Catéchèses Benoît XVI 20906

Mercredi 20 septembre 2006 - Le voyage apostolique en Bavière

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Chers frères et soeurs,

Je voudrais aujourd'hui revenir en pensée aux divers moments du voyage pastoral que le Seigneur m'a permis d'accomplir, la semaine dernière, en Bavière. En partageant avec vous les émotions et les sentiments vécus en revoyant les lieux qui me sont chers, je ressens tout d'abord le besoin de rendre grâce à Dieu pour avoir rendu possible cette deuxième visite en Allemagne et pour la première fois en Bavière, ma terre d'origine. Je suis également sincèrement reconnaissant à tous ceux - pasteurs, prêtres, agents de pastorale, autorités publiques, organisateurs, forces de l'ordre et volontaires - qui ont travaillé avec dévouement et patience, afin que chaque événement se déroule du mieux possible. Comme je l'ai dit à mon arrivée à l'aéroport de Munich, le samedi 9 septembre, le but de mon voyage était, dans le souvenir de ceux qui ont contribué à former ma personnalité, de réaffirmer et confirmer, comme Successeur de l'Apôtre Pierre, les liens étroits qui unissent le Siège de Rome à l'Eglise qui est en Allemagne. Ce voyage n'a donc pas été un simple "retour" au passé, mais également une occasion providentielle pour regarder avec espérance vers l'avenir. "Celui qui croit n'est jamais seul": la devise de la visite voulait être une invitation à réfléchir sur l'appartenance de chaque baptisé à l'unique Eglise du Christ, au sein de laquelle on n'est jamais seul, mais en communion constante avec Dieu et avec tous nos frères.

La première étape a été la ville de Munich, appelée "la Métropole avec un coeur" (Weltstadt mit Herz). Dans son centre historique se trouve la Marienplatz , la place de Marie, où s'élève la "Mariensäule", la Colonne de la Vierge, qui porte à son sommet une statue de la Vierge Marie, en bronze doré. J'ai voulu commencer mon séjour bavarois par l'hommage à la Patronne de la Bavière, qui revêt pour moi une valeur hautement significative: là, sur cette place et face à cette image mariale, il y a environ trente ans, j'ai été accueilli comme Archevêque, et j'ai commencé ma mission épiscopale par une prière à Marie; c'est là que je suis revenu, au terme de mon mandat, avant de partir pour Rome. Cette fois-ci, j'ai voulu m'arrêter encore au pied de la Mariensäule pour implorer l'intercession et la bénédiction de la Mère de Dieu non seulement pour la ville de Munich et la Bavière, mais pour toute l'Eglise et pour le monde entier.
Le lendemain, dimanche, j'ai célébré l'Eucharistie sur l'esplanade de la "Neue Messe" (La Foire Nouvelle) de Munich, parmi les fidèles venus nombreux de divers lieux: m'appuyant sur le passage de l'Evangile du jour, j'ai rappelé à tous qu'il existe une "faiblesse de l'ouïe" à l'égard de Dieu, dont on souffre particulièrement aujourd'hui. C'est à nous, chrétiens dans un monde sécularisé, que revient la tâche de proclamer et de témoigner à tous le message d'espérance que la foi nous offre: en Jésus crucifié, Dieu, Père miséricordieux, nous appelle à être ses fils et à surmonter toute forme de haine et de violence pour contribuer au triomphe définitif de l'amour.

"Rends-nous forts dans la foi": tel a été le thème du rendez-vous de l'après-midi de dimanche, avec les enfants de la première communion et avec leurs jeunes familles, avec les catéchistes, les autres agents pastoraux et ceux qui coopèrent à l'évangélisation dans le diocèse de Munich. Ensemble, nous avons célébré les Vêpres dans la cathédrale historique, connue comme "cathédrale de Notre-Dame", où sont conservées les reliques de Saint Benno, patron de la ville, et où, en 1977, je fus ordonné Evêque. J'ai rappelé aux enfants et aux adultes que Dieu n'est pas loin de nous, dans un lieu de l'univers que l'on ne peut atteindre; au contraire, en Jésus, Il s'est approché de nous pour établir avec chacun une relation d'amitié. Chaque communauté chrétienne, et en particulier la paroisse, grâce à l'engagement constant de chacun de ses membres, est appelée à devenir une grande famille, capable d'avancer unie sur le sentier de la vie véritable.

La journée du lundi 11 septembre a été en grande partie consacrée à la halte à Altötting, dans le diocèse de Passau. Cette petite ville est connue comme "Herz Bayerns" (le coeur de la Bavière), et c'est là qu'est conservée la "Vierge Noire", vénérée dans la Gnadenkapelle (Chapelle des Grâces), but de nombreux pèlerins provenant d'Allemagne et des pays d'Europe centrale. Dans les environs se trouve le couvent capucin de Sainte-Anne, où vécut saint Konrad Birndorfer, canonisé par mon vénéré prédécesseur, le Pape Pie XI, en 1934. Avec les nombreux fidèles présents à la Messe, célébrée sur la place devant le sanctuaire, nous avons réfléchi ensemble sur le rôle de Marie dans l'oeuvre du salut, pour apprendre d'Elle la bonté serviable, l'humilité et la généreuse acceptation de la volonté divine. Marie nous conduit à Jésus: cette vérité a été rendue encore plus visible, au terme du divin Sacrifice, par la pieuse procession lors de laquelle, portant avec nous la statue de la Vierge, nous nous sommes rendus dans la nouvelle chapelle de l'Adoration eucharistique (Anbetungskapelle), inaugurée pour l'occasion. La journée s'est terminée par les Vêpres mariales solennelles dans la basilique Sainte-Anne d'Altötting, en présence des religieux et des séminaristes de Bavière, ainsi qu'avec les membres de l'Oeuvre pour les Vocations.

Le lendemain, mardi, à Ratisbonne, diocèse érigé par saint Boniface en 739 et dont le Patron est l'Evêque saint Wolfgang, se sont déroulés trois rendez-vous importants. Le matin, la Messe sur l'Islinger Feld, au cours de laquelle, reprenant le thème de la visite pastorale "Celui qui croit n'est jamais seul", nous avons réfléchi sur le contenu du Symbole de la foi. Dieu, qui est Père, veut recueillir, à travers Jésus Christ, toute l'humanité dans une unique famille, l'Eglise. C'est pourquoi celui qui croit n'est jamais seul; celui qui croit ne doit pas avoir peur de finir dans une voie sans issue. Dans l'après-midi, je me suis ensuite rendu dans la Cathédrale de Ratisbonne, également célèbre pour son choeur de voix blanches, les "Domspatzen" (passereaux de la cathédrale), qui s'enorgueillit de mille années d'existence et qui, pendant trente ans, a été dirigé par mon frère Georg. C'est là que s'est tenue la célébration oecuménique des Vêpres, à laquelle ont pris part de nombreux représentants des diverses Eglises et communautés ecclésiales en Bavière et les membres de la Commission oecuménique de la Conférence épiscopale allemande. Cela a été une occasion providentielle pour prier ensemble, afin qu'arrive au plus tôt la pleine unité entre tous les disciples du Christ et pour réaffirmer le devoir de proclamer notre foi en Jésus sans affaiblissement, mais de manière intégrale et claire, et surtout pour notre comportement d'amour sincère.

Une expérience particulièrement belle a été pour moi, ce jour-là, de prononcer un discours devant un grand auditoire de professeurs et d'étudiants de l'Université de Ratisbonne, où j'ai enseigné comme professeur pendant de nombreuses années. J'ai pu rencontrer encore une fois avec joie le monde universitaire qui, pendant une longue période de ma vie, a été ma patrie spirituelle. J'avais choisi pour thème la question du rapport entre foi et raison. Pour présenter à l'auditoire le caractère dramatique et actuel du thème, j'ai cité quelques paroles d'un dialogue chrétien-musulman du XIV siècle, avec lesquelles l'interlocuteur chrétien, l'empereur byzantin Manuel II Paléologue - d'une manière pour nous étonnamment abrupte - présenta à son interlocuteur musulman le problème du rapport entre la religion et la violence. Cette citation a malheureusement pu se prêter à un malentendu. Pour un lecteur attentif de mon texte, il apparaît cependant clairement que je ne voulais en aucune façon faire miennes les paroles négatives prononcées par l'empereur médiéval dans ce dialogue et que leur contenu polémique n'exprime pas ma conviction personnelle. Mon intention était bien différente: en partant de ce que Manuel II dit ensuite de manière positive, avec une très belle phrase, à propos de la raison qui doit guider dans la transmission de la foi, je voulais expliquer que ce n'est pas la religion et la violence, mais la religion et la raison qui vont de pair. Le thème de ma conférence - répondant à la mission de l'Université - fut donc la relation entre la foi et la raison: je voulais inviter au dialogue de la foi chrétienne avec le monde moderne et au dialogue de toutes les cultures et religions. J'espère qu'en divers moments de ma visite - par exemple, lorsque j'ai souligné à Munich combien il est important de respecter ce qui est sacré pour les autres - est apparu clairement mon profond respect pour les grandes religions et, en particulier, pour les musulmans, qui "adorent le Dieu unique" et avec lesquels nous sommes engagés à "protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté" (Nostra Aetate
NAE 3). Je suis donc certain que, après les réactions du premier moment, mes paroles à l'Université de Ratisbonne pourront constituer une impulsion et un encouragement à un dialogue positif, même autocritique, que ce soit entre les religions ou entre la raison moderne et la foi des chrétiens.

Le matin suivant, mercredi 13 septembre, dans la "Alte Kapelle" (Ancienne Chapelle) de Ratisbonne, dans laquelle est conservée une image miraculeuse de Marie, peinte selon la tradition locale par l'évangéliste Luc, j'ai présidé une brève liturgie pour la bénédiction du nouvel orgue. A partir de la structure de cet instrument musical formé de nombreux tuyaux de diverses dimensions, cependant tous en harmonie entre eux, j'ai rappelé aux personnes présentes la nécessité que les divers ministères, dons et charismes en oeuvre dans la communauté ecclésiale convergent tous, sous la direction de l'Esprit Saint, pour former l'unique harmonie de la louange à Dieu et de l'amour pour nos frères.

La dernière étape, le jeudi 14 septembre, a été la ville de Freising. Je me sens particulièrement lié à elle, car je fus ordonné prêtre précisément dans sa Cathédrale, consacrée à la Très Sainte Vierge Marie et à saint Corbinien, l'évangélisateur de la Bavière. C'est précisément dans la Cathédrale que s'est tenue la dernière rencontre prévue, celle avec les prêtres et les diacres permanents. En revivant les émotions de mon ordination sacerdotale, j'ai rappelé aux personnes présentes le devoir de collaborer avec le Seigneur en suscitant de nouvelles vocations au service de la "moisson" qui aujourd'hui aussi, est très "abondante", et je les ai exhortées à cultiver la vie intérieure comme priorité pastorale, pour ne pas perdre le contact avec le Christ, source de joie dans le labeur quotidien du ministère.

Lors de la cérémonie de congé, en remerciant encore une fois ceux qui avaient collaboré au déroulement de la visite, j'en ai à nouveau affirmé la finalité principale: reproposer à mes concitoyens les vérités éternelles de l'Evangile et confirmer les croyants dans l'adhésion au Christ, Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité pour nous. Que Marie, Mère de l'Eglise, nous aide à ouvrir notre coeur et notre esprit à Celui qui est "le Chemin, la Vérité et la Vie" (Jn 14,16). C'est pour cela que j'ai prié et c'est pour cela que je vous invite tous, chers frères et soeurs, à continuer de prier, en vous remerciant cordialement de l'affection avec laquelle vous m'accompagnez dans mon ministère pastoral quotidien. Je vous remercie tous.
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J’accueille avec joie les pèlerins de langue française, en particulier les pèlerins de Guinée, accompagnés par Mgr Philippe Kourouma, Évêque de N’Zérékoré. Que Marie vous aide tous à ouvrir vos coeurs à Celui qui est «le chemin, la vérité et la vie» !



Mercredi 27 septembre 2006 - Thomas

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Chers frères et soeurs,

Poursuivant nos rencontres avec les douze Apôtres choisis directement par Jésus, nous consacrons aujourd'hui notre attention à Thomas. Toujours présent dans les quatre listes établies par le Nouveau Testament, il est placé dans les trois premiers Evangiles, à côté de Matthieu (cf.
Mt 10,3 Mc 3,18 Lc 6,15), alors que dans les Actes, il se trouve près de Philippe (cf. Ac 1,13). Son nom dérive d'une racine juive, ta'am, qui signifie "apparié, jumeau". En effet, l'Evangile de Jean l'appelle plusieurs fois par le surnom de "Didyme" (cf. Jn 11,16 Jn 20,24 Jn 21,2), qui, en grec, signifie précisément "jumeau". La raison de cette dénomination n'est pas claire.

Le Quatrième Evangile, en particulier, nous offre plusieurs informations qui décrivent certains traits significatifs de sa personnalité. La première concerne l'exhortation qu'il fit aux autres Apôtres lorsque Jésus, à un moment critique de sa vie, décida de se rendre à Béthanie pour ressusciter Lazare, s'approchant ainsi dangereusement de Jérusalem (cf. Mc 10,32). A cette occasion, Thomas dit à ses condisciples: "Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui!" (Jn 11,16). Sa détermination à suivre le Maître est véritablement exemplaire et nous offre un précieux enseignement: elle révèle la totale disponibilité à suivre Jésus, jusqu'à identifier son propre destin avec le sien et à vouloir partager avec Lui l'épreuve suprême de la mort. En effet, le plus important est de ne jamais se détacher de Jésus. D'ailleurs, lorsque les Evangiles utilisent le verbe "suivre" c'est pour signifier que là où Il se dirige, son disciple doit également se rendre. De cette manière, la vie chrétienne est définie comme une vie avec Jésus Christ, une vie à passer avec Lui. Saint Paul écrit quelque chose de semblable, lorsqu'il rassure les chrétiens de Corinthe de la façon suivante: "Vous êtes dans nos coeurs à la vie et à la mort" (2Co 7,3). Ce qui a lieu entre l'Apôtre et ses chrétiens doit, bien sûr, valoir tout d'abord pour la relation entre les chrétiens et Jésus lui-même: mourir ensemble, vivre ensemble, être dans son coeur comme Il est dans le nôtre.

Une deuxième intervention de Thomas apparaît lors de la Dernière Cène. A cette occasion, Jésus, prédisant son départ imminent, annonce qu'il va préparer une place à ses disciples pour qu'ils aillent eux aussi là où il se trouve; et il leur précise: "Pour aller où je m'en vais, vous savez le chemin" (Jn 14, 4). C'est alors que Thomas intervient en disant: "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas; comment pourrions-nous savoir le chemin?" (Jn 14, 5). En réalité, avec cette phrase, il révèle un niveau de compréhension plutôt bas; mais ses paroles fournissent à Jésus l'occasion de prononcer la célèbre définition: "Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie" (Jn 14,6). C'est donc tout d'abord à Thomas que cette révélation est faite, mais elle vaut pour nous tous et pour tous les temps. Chaque fois que nous entendons ou que nous lisons ces mots, nous pouvons nous placer en pensée aux côtés de Thomas et imaginer que le Seigneur nous parle à nous aussi, comme Il lui parla. Dans le même temps, sa question nous confère à nous aussi le droit, pour ainsi dire, de demander des explications à Jésus. Souvent, nous ne le comprenons pas. Ayons le courage de dire: je ne te comprends pas, Seigneur, écoute-moi, aide-moi à comprendre. De cette façon, avec cette franchise qui est la véritable façon de prier, de parler avec Jésus, nous exprimons la petitesse de notre capacité à comprendre et, dans le même temps, nous nous plaçons dans l'attitude confiante de celui qui attend la lumière et la force de celui qui est en mesure de les donner.

Très célèbre et même proverbiale est ensuite la scène de Thomas incrédule, qui eut lieu huit jours après Pâques. Dans un premier temps, il n'avait pas cru à l'apparition de Jésus en son absence et il avait dit: "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté; non, je ne croirai pas!" (Jn 20,25). Au fond, ces paroles laissent apparaître la conviction que Jésus est désormais reconnaissable non pas tant par son visage que par ses plaies. Thomas considère que les signes caractéristiques de l'identité de Jésus sont à présent surtout les plaies, dans lesquelles se révèle jusqu'à quel point Il nous a aimés. En cela, l'Apôtre ne se trompe pas. Comme nous le savons, huit jours après, Jésus réapparaît parmi ses disciples, et cette fois, Thomas est présent. Jésus l'interpelle: "Avance ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main, et mets-la dans mon côté: cesse d'être incrédule, sois croyant" (Jn 20,27). Thomas réagit avec la plus splendide profession de foi de tout le Nouveau Testament: "Mon Seigneur et mon Dieu!" (Jn 20, 28). A ce propos, saint Augustin commente: Thomas "voyait et touchait l'homme, mais il confessait sa foi en Dieu, qu'il ne voyait ni ne touchait. Mais ce qu'il voyait et touchait le poussait à croire en ce que, jusqu'alors, il avait douté" (In Iohann. 121, 5). L'évangéliste poursuit par une dernière parole de Jésus à Thomas: "Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu" (Jn 20,29). Cette phrase peut également être mise au présent: "Heureux ceux qui croient sans avoir vu". Quoi qu'il en soit, Jésus annonce un principe fondamental pour les chrétiens qui viendront après Thomas, et donc pour nous tous. Il est intéressant d'observer qu'un autre Thomas, le grand théologien médiéval d'Aquin, rapproche de cette formule de béatitude celle apparemment opposée qui est rapportée par Luc: "Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez" (Lc 10,23). Mais saint Thomas d'Aquin commente: "Celui qui croit sans voir mérite bien davantage que ceux qui croient en voyant" (In Johann. XX lectio VI 2566). En effet, la Lettre aux Hébreux, rappelant toute la série des anciens Patriarches bibliques, qui crurent en Dieu sans voir l'accomplissement de ses promesses, définit la foi comme "le moyen de posséder déjà ce qu'on espère, et de connaître des réalités qu'on ne voit pas" (11, 1). Le cas de l'Apôtre Thomas est important pour nous au moins pour trois raisons: la première, parce qu'il nous réconforte dans nos incertitudes; la deuxième, parce qu'il nous démontre que chaque doute peut déboucher sur une issue lumineuse au-delà de toute incertitude; et, enfin, parce que les paroles qu'il adresse à Jésus nous rappellent le sens véritable de la foi mûre et nous encouragent à poursuivre, malgré les difficultés, sur notre chemin d'adhésion à sa personne.

Une dernière annotation sur Thomas est conservée dans le Quatrième Evangile, qui le présente comme le témoin du Ressuscité lors du moment qui suit la pêche miraculeuse sur le Lac de Tibériade (cf. Jn 21,2). En cette occasion, il est même mentionné immédiatement après Simon-Pierre: signe évident de la grande importance dont il jouissait au sein des premières communautés chrétiennes. En effet, c'est sous son nom que furent ensuite écrits les Actes et l'Evangile de Thomas, tous deux apocryphes, mais tout de même importants pour l'étude des origines chrétiennes. Rappelons enfin que, selon une antique tradition, Thomas évangélisa tout d'abord la Syrie et la Perse (c'est ce que réfère déjà Origène, rapporté par Eusèbe de Césarée, Hist. eccl. 3,1), se rendit ensuite jusqu'en Inde occidentale (cf. Actes de Thomas 1-2 et 17sqq), d'où il atteignit également l'Inde méridionale. Nous terminons notre réflexion dans cette perspective missionnaire, en formant le voeu que l'exemple de Thomas corrobore toujours davantage notre foi en Jésus Christ, notre Seigneur et notre Dieu.
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J’accueille avec joie les pèlerins de langue française présents ce matin. Je salue en particulier le groupe de l’École normale catholique Blomet, de Paris. Que l’exemple de l’Apôtre Thomas rende toujours plus forte votre foi en Jésus et qu’il vous incite à être d’ardents missionnaires de l’Évangile parmi vos frères.



Mercredi 4 octobre 2006 - Barthélemy

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Chers frères et soeurs,

Dans la série des Apôtres appelés par Jésus au cours de sa vie terrestre, c'est aujourd'hui l'Apôtre Barthélemy qui retient notre attention. Dans les antiques listes des Douze, il est toujours placé avant Matthieu, alors que le nom de celui qui le précède varie et peut être Philippe (cf.
Mt 10,3 Mc 3,18 Lc 6,14) ou bien Thomas (cf. Ac 1,13). Son nom est clairement un patronyme, car il est formulé avec une référence explicite au nom de son père. En effet, il s'agit probablement d'un nom d'origine araméenne, bar Talmay, qui signifie précisément "fils de Talmay".

Nous ne possédons pas d'informations importantes sur Barthélemy; en effet, son nom revient toujours et seulement au sein des listes des Douze susmentionnées et ne se trouve donc au centre d'aucun récit. Cependant, il est traditionnellement identifié avec Nathanaël: un nom qui signifie "Dieu a donné". Ce Nathanaël provenait de Cana (cf. Jn 21,2) et il est donc possible qu'il ait été témoin du grand "signe" accompli par Jésus en ce lieu (cf. Jn 2,1-11). L'identification des deux personnages est probablement motivée par le fait que ce Nathanaël, dans la scène de vocation rapportée par l'Evangile de Jean, est placé à côté de Philippe, c'est-à-dire à la place qu'occupe Barthélemy dans les listes des Apôtres rapportées par les autres Evangiles. Philippe avait dit à ce Nathanaël qu'il avait trouvé "Celui dont parle la loi de Moïse et les Prophètes [...] c'est Jésus fils de Joseph, de Nazareth" (Jn 1,45). Comme nous le savons, Nathanaël lui opposa un préjugé plutôt grave: "De Nazareth! Peut-il sortir de là quelque chose de bon?" (Jn 1,46a). Cette sorte de contestation est, à sa façon, importante pour nous. En effet, elle nous fait voir que, selon les attentes des juifs, le Messie ne pouvait pas provenir d'un village aussi obscur, comme l'était précisément Nazareth (voir également Jn 7,42). Cependant, dans le même temps, elle met en évidence la liberté de Dieu, qui surprend nos attentes en se faisant trouver précisément là où nous ne l'attendrions pas. D'autre part, nous savons qu'en réalité, Jésus n'était pas exclusivement "de Nazareth", mais qu'il était né à Bethléem (cf. Mt 2,1 Lc 2,4), et qu'en définitive, il venait du ciel, du Père qui est aux cieux.

L'épisode de Nathanaël nous inspire une autre réflexion: dans notre relation avec Jésus, nous ne devons pas seulement nous contenter de paroles. Philippe, dans sa réponse, adresse une invitation significative à Nathanaël: "Viens et tu verras!" (Jn 1,46). Notre connaissance de Jésus a surtout besoin d'une expérience vivante: le témoignage d'autrui est bien sûr important, car généralement, toute notre vie chrétienne commence par une annonce qui parvient jusqu'à nous à travers un ou plusieurs témoins. Mais nous devons ensuite personnellement participer à une relation intime et profonde avec Jésus; de manière analogue, les Samaritains, après avoir entendu le témoignage de leur concitoyenne que Jésus avait rencontrée près du puits de Jacob, voulurent parler directement avec Lui et, après cet entretien, dirent à la femme: "Ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant; nous l'avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c'est vraiment lui le Sauveur du monde!" (Jn 4,42).

En revenant à la scène de vocation, l'évangéliste nous rapporte que, lorsque Jésus voit Nathanaël s'approcher, il s'exclame: "Voici un véritable fils d'Israël, un homme qui ne sait pas mentir" (Jn 1,47). Il s'agit d'un éloge qui rappelle le texte d'un Psaume: "Heureux l'homme... dont l'esprit est sans fraude" (Ps 32,2), mais qui suscite la curiosité de Nathanaël, qui réplique avec étonnement: "Comment me connais-tu?" (Jn 1,48). La réponse de Jésus n'est pas immédiatement compréhensible. Il dit: "Avant que Philippe te parle, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu" (Jn 1,48). Nous ne savons pas ce qu'il s'est passé sous ce figuier. Il est évident qu'il s'agit d'un moment décisif dans la vie de Nathanaël. Il se sent touché au plus profond du coeur par ces paroles de Jésus, il se sent compris et comprend: cet homme sait tout sur moi, Il sait et connaît le chemin de la vie, je peux réellement m'abandonner à cet homme. Et ainsi, il répond par une confession de foi claire et belle, en disant: "Rabbi, c'est toi le Fils de Dieu! C'est toi le roi d'Israël!" (Jn 1,49). Dans cette confession apparaît un premier pas important dans l'itinéraire d'adhésion à Jésus. Les paroles de Nathanaël mettent en lumière un double aspect complémentaire de l'identité de Jésus: Il est reconnu aussi bien dans sa relation spéciale avec Dieu le Père, dont il est le Fils unique, que dans celle avec le peuple d'Israël, dont il est déclaré le roi, une qualification propre au Messie attendu. Nous ne devons jamais perdre de vue ni l'une ni l'autre de ces deux composantes, car si nous ne proclamons que la dimension céleste de Jésus, nous risquons d'en faire un être éthéré et évanescent, et si au contraire nous ne reconnaissons que sa situation concrète dans l'histoire, nous finissons par négliger la dimension divine qui le qualifie précisément.

Nous ne possédons pas d'informations précises sur l'activité apostolique successive de Barthélemy-Nathanaël. Selon une information rapportée par l'historien Eusèbe au IV siècle, un certain Pantenus aurait trouvé jusqu'en Inde les signes d'une présence de Barthélemy (cf. Hist. eccl. V, 10, 3). Dans la tradition postérieure, à partir du Moyen Age, s'imposa le récit de sa mort par écorchement, qui devint ensuite très populaire. Il suffit de penser à la très célèbre scène du Jugement dernier dans la Chapelle Sixtine, dans laquelle Michel-Ange peignit saint Barthélemy qui tient sa propre peau dans la main gauche, sur laquelle l'artiste laissa son autoportrait. Ses reliques sont vénérées ici à Rome, dans l'église qui lui est consacrée sur l'Ile Tibérine, où elles furent apportées par l'empereur allemand Otton III en l'an 983. En conclusion, nous pouvons dire que la figure de saint Barthélemy, malgré le manque d'information le concernant, demeure cependant face à nous pour nous dire que l'on peut également vivre l'adhésion à Jésus et en témoigner sans accomplir d'oeuvres sensationnelles. C'est Jésus qui est et reste extraordinaire, Lui à qui chacun de nous est appelé à consacrer sa propre vie et sa propre mort.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin. Puisse la figure de l’Apôtre Barthélemy vous inviter, dans le quotidien de vos vies, à témoigner du Christ, lui qui vous appelle à lui consacrer toute votre existence !



Mercredi 11 octobre 2006 - Simon le Cananéen et Jude Thaddée

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Chers frères et soeurs,

Nous prenons aujourd'hui en considération deux des douze Apôtres: Simon le Cananéen et Jude Thaddée (qu'il ne faut pas confondre avec Judas Iscariote). Nous les considérons ensemble, non seulement parce que dans les listes des Douze, ils sont toujours rappelés l'un à côté de l'autre (cf.
Mt 10,4 Mc 3,18 Lc 6,15 Ac 1,13), mais également parce que les informations qui les concernent ne sont pas nombreuses, en dehors du fait que le Canon néo-testamentaire conserve une lettre attribuée à Jude Thaddée.

Simon reçoit un épithète qui varie dans les quatre listes: alors que Matthieu et Marc le qualifient de "cananéen", Luc le définit en revanche comme un "zélote". En réalité, les deux dénominations s'équivalent, car elles signifient la même chose: dans la langue juive, en effet, le verbe qana' signifie: "être jaloux, passionné" et peut être utilisé aussi bien à propos de Dieu, en tant que jaloux du peuple qu'il a choisi (cf. Ex Ex 20,5), qu'à propos des hommes qui brûlent de zèle en servant le Dieu unique avec un dévouement total, comme Elie (cf. 1R 19,10). Il est donc possible que ce Simon, s'il n'appartenait pas précisément au mouvement nationaliste des Zélotes, fût au moins caractérisé par un zèle ardent pour l'identité juive, donc pour Dieu, pour son peuple et pour la Loi divine. S'il en est ainsi, Simon se situe aux antipodes de Matthieu qui, au contraire, en tant que publicain, provenait d'une activité considérée comme totalement impure. C'est le signe évident que Jésus appelle ses disciples et ses collaborateurs des horizons sociaux et religieux les plus divers, sans aucun préjugé. Ce sont les personnes qui l'intéressent, pas les catégories sociales ou les étiquettes! Et il est beau de voir que dans le groupe de ses fidèles, tous, bien que différents, coexistaient ensemble, surmontant les difficultés imaginables: en effet, Jésus lui-même était le motif de cohésion, dans lequel tous se retrouvaient unis. Cela constitue clairement une leçon pour nous, souvent enclins à souligner les différences, voire les oppositions, oubliant qu'en Jésus Christ, nous a été donnée la force pour concilier nos différences. Rappelons-nous également que le groupe des Douze est la préfiguration de l'Eglise, dans laquelle doivent trouver place tous les charismes, les peuples, les races, toutes les qualités humaines, qui trouvent leur composition et leur unité dans la communion avec Jésus.

En ce qui concerne ensuite Jude Thaddée, il est ainsi appelé par la tradition qui réunit deux noms différents: en effet, alors que Matthieu et Marc l'appellent simplement "Thaddée" (Mt 10,3 Mc 3,18), Luc l'appelle "Jude fils de Jacques" (Lc 6,16 Ac 1,13). Le surnom de Thaddée est d'une origine incertaine et il est expliqué soit comme provenant de l'araméen taddà, qui veut dire "poitrine" et qui signifierait donc "magnanime", soit comme l'abréviation d'un nom grec comme "Théodore, Théodote". On ne connaît que peu de choses de lui. Seul Jean signale une question qu'il posa à Jésus au cours de la Dernière Cène. Thaddée dit au Seigneur: "Seigneur, pour quelle raison vas-tu te manifester à nous, et non pas au monde?". C'est une question de grande actualité, que nous posons nous aussi au Seigneur: pourquoi le Ressuscité ne s'est-il pas manifesté dans toute sa gloire à ses adversaires pour montrer que le vainqueur est Dieu? Pourquoi s'est-il manifesté seulement à ses Disciples? La réponse de Jésus est mystérieuse et profonde. Le Seigneur dit: "Si quelqu'un m'aime, il restera fidèle à ma parole; mon Père l'aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui" (Jn 14,22-23). Cela signifie que le Ressuscité doit être vu et perçu également avec le coeur, de manière à ce que Dieu puisse demeurer en nous. Le Seigneur n'apparaît pas comme une chose. Il veut entrer dans notre vie et sa manifestation est donc une manifestation qui implique et présuppose un coeur ouvert. Ce n'est qu'ainsi que nous voyons le Ressuscité.

A Jude Thaddée a été attribuée la paternité de l'une des Lettres du Nouveau Testament, qui sont appelées "catholiques" car adressées non pas à une Eglise locale déterminée, mais à un cercle très vaste de destinataires. Celle-ci est en effet adressée "aux appelés, bien-aimés de Dieu le Père et réservés pour Jésus Christ" (Jud 1,1). La préoccupation centrale de cet écrit est de mettre en garde les chrétiens contre tous ceux qui prennent le prétexte de la grâce de Dieu pour excuser leur débauche et pour égarer leurs autres frères avec des enseignements inacceptables, en introduisant des divisions au sein de l'Eglise "dans leurs chimères" (Jud 1,8), c'est ainsi que Jude définit leurs doctrines et leurs idées particulières. Il les compare même aux anges déchus et, utilisant des termes forts, dit qu'"ils sont partis sur le chemin de Caïn" (Jud 1,11). En outre, il les taxe sans hésitation de "nuages sans eau emportés par le vent; arbres de fin d'automne sans fruits, deux fois morts, déracinés; flots sauvages de la mer, crachant l'écume de leur propre honte; astres errants, pour lesquels est réservée à jamais l'obscurité des ténèbres" (Jud 1,12-13).

Aujourd'hui, nous ne sommes peut-être plus habitués à utiliser un langage aussi polémique qui, toutefois, nous dit quelque chose d'important. Au milieu de toutes les tentations qui existent, avec tous les courants de la vie moderne, nous devons conserver l'identité de notre foi. Certes, la voie de l'indulgence et du dialogue, que le Concile Vatican II a entreprise avec succès, doit assurément être poursuivie avec une ferme constance. Mais cette voie du dialogue, si nécessaire, ne doit pas faire oublier le devoir de repenser et de souligner toujours avec tout autant de force les lignes maîtresses et incontournables de notre identité chrétienne. D'autre part, il faut bien garder à l'esprit que notre identité demande la force, la clarté et le courage face aux contradictions du monde dans lequel nous vivons. C'est pourquoi le texte de la lettre se poursuit ainsi: "Mais vous, mes bien-aimés, - il s'adresse à nous tous - que votre foi très sainte soit le fondement de la construction que vous êtes vous-mêmes. Priez dans l'Esprit Saint, maintenez-vous dans l'amour de Dieu, attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ en vue de la vie éternelle. Ceux qui sont hésitants, prenez-les en pitié..." (vv. Jud 1,20-22). La Lettre se conclut sur ces très belles paroles: "Gloire à Dieu, qui a le pouvoir de vous préserver de la chute et de vous rendre irréprochables et pleins d'allégresse, pour comparaître devant sa gloire: au Dieu unique, notre Sauveur, par notre Seigneur Jésus Christ, gloire, majesté, force et puissance, avant tous les siècles, maintenant et pour tous les siècles. Amen" (vv. Jud 1,24-25).

On voit bien que l'auteur de ces lignes vit en plénitude sa propre foi, à laquelle appartiennent de grandes réalités telles que l'intégrité morale et la joie, la confiance et, enfin, la louange; le tout n'étant motivé que par la bonté de notre unique Dieu et par la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ. C'est pourquoi Simon le Cananéen, ainsi que Jude Thaddée, doivent nous aider à redécouvrir toujours à nouveau et à vivre inlassablement la beauté de la foi chrétienne, en sachant en donner un témoignage à la fois fort et serein.

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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue particulièrement les Soeurs de Jésus-Marie et les servants de messe de la Haute-Ajoie, en Suisse. En vous mettant à la suite des Apôtres, soyez attentifs à redécouvrir et à vivre toujours plus intensément la beauté de la foi chrétienne et à en donner un témoignage fort et serein. Que Dieu vous bénisse !



Catéchèses Benoît XVI 20906