Catéchèses Benoît XVI 18106

Mercredi 18 octobre 2006 - Judas Iscariote et Matthias

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Chers frères et soeurs,

En terminant aujourd'hui de parcourir la galerie de portraits des Apôtres appelés directement par Jésus au cours de sa vie terrestre, nous ne pouvons pas omettre de mentionner celui qui est toujours cité le dernier dans les listes des Douze: Judas Iscariote. Nous voulons ici lui associer la personne qui fut ensuite élue pour le remplacer, c'est-à-dire Matthias.

Le simple nom de Judas suscite déjà chez les chrétiens une réaction instinctive de réprobation et de condamnation. La signification de l'appellation "Iscariote" est controversée: l'explication la plus répandue l'entend comme "homme de Keriot", en référence à son village d'origine, situé dans les environs d'Hébron et mentionné deux fois dans les Ecritures Saintes (cf. Jos
Jos 15,25 Am 2,2). D'autres l'interprètent comme une variation du terme "sicaire", comme si l'on faisait allusion à un guerrier armé d'un poignard, appelé sica en latin. Enfin, certains voient dans ce surnom la simple transcription d'une racine hébreu-araméenne signifiant: "celui qui allait le livrer". Cette désignation se retrouve deux fois dans le IV Evangile, c'est-à-dire après une confession de foi de Pierre (cf. Jn 6,71), puis au cours de l'onction de Béthanie (cf. Jn 12,4). D'autres passages montrent que la trahison était en cours, en disant: "celui qui le livrait"; c'est le cas au cours de la Dernière Cène, après l'annonce de la trahison (cf. Mt 26,25), puis au moment de l'arrestation de Jésus (cf. Mt 26,46 Mt 26,48 Jn 18,2 Jn 18,5). En revanche, les listes des Douze rappellent le fait de la trahison comme étant désormais accomplie: "Judas Iscariote, celui-là même qui le livra", dit Marc (3, 19); Matthieu (10, 4) et Luc (6, 16) ont des formules équivalentes. La trahison en tant que telle a eu lieu en deux temps: tout d'abord dans la phase du projet, quand Judas se met d'accord avec les ennemis de Jésus pour trente deniers d'argent (cf. Mt 26,14-16), puis lors de son exécution avec le baiser donné au Maître, au Gethsémani (cf. Mt 26,46-50). Quoi qu'il en soit, les évangélistes insistent sur la qualité d'apôtre, qui revenait à Judas à tous les effets: il est appelé de manière répétée l'"un des Douze" (Mt 26,14 Mt 26,47 Mc 14,10 Mc 14,20 Jn 6,71) ou "qui était au nombre des Douze" (Lc 22,3). Plus encore, à deux reprises, Jésus, s'adressant aux Apôtres et parlant précisément de lui, l'indique même comme "l'un de vous" (Mt 26,21 Mc 14,18 Jn 6,70 Jn 13,21). Et Pierre dira de Judas qu'il "était pourtant l'un de nous et avait reçu sa part de notre ministère" (Ac 1,17).

Il s'agit donc d'une figure appartenant au groupe de ceux que Jésus avait choisis comme ses proches compagnons et collaborateurs. Cela suscite deux questions, dans la tentative de donner une explication aux faits qui se sont produits. La première consiste à se demander pourquoi Jésus a choisi cet homme et lui a fait confiance. D'autant plus que, en effet, bien que Judas soit, dans les faits, l'économe du groupe (cf. Jn 12,6 Jn 13,29), en réalité il est aussi qualifié de "voleur" (Jn 12,6). Le mystère du choix demeure, d'autant plus que Jésus prononce un jugement très sévère sur son compte: "Malheureux l'homme par qui le Fils de l'homme est livré" (Mt 26,24). Le mystère s'épaissit encore davantage à propos de son destin éternel, sachant que Judas "pris de remords en le voyant condamné... rapporta les trente pièces d'argent aux chefs des prêtres et aux anciens. Il leur dit: "J'ai péché en livrant à la mort un innocent"" (Mt 27,3-4). Bien qu'il se soit ensuite éloigné pour aller se pendre (cf. Mt 27,5), ce n'est pas à nous qu'il revient de juger son geste, en nous substituant à Dieu infiniment miséricordieux et juste.

Une deuxième question concerne la raison du comportement de Judas: pourquoi trahit-il Jésus? Cette question est l'objet de diverses hypothèses. Certains pensent à sa soif d'argent; d'autres défendent une explication d'ordre messianique: Judas aurait été déçu de voir que Jésus n'insérait pas dans son programme la libération politique et militaire de son pays. En réalité, les textes évangéliques insistent sur un autre aspect: Jean dit expressément que "le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l'intention de le livrer" (Jn 13,2); de manière analogue, Luc écrit: "Satan entra en Judas, appelé Iscariote, qui était au nombre des Douze" (Lc 22,3). De cette manière, on va au-delà des motivations historiques et on explique le fait à partir de la responsabilité personnelle de Judas, qui céda misérablement à une tentation du Malin. La trahison de Judas demeure quoi qu'il en soit un mystère. Jésus l'a traité en ami (cf. Mt 26,50), mais dans ses invitations à le suivre sur la voie des béatitudes, il ne forçait pas les volontés et ne les protégeait pas non plus contre les tentations de Satan, respectant la liberté humaine.

En effet, les possibilités de perversion du coeur humain sont vraiment nombreuses. La seule façon d'y remédier consiste à ne pas cultiver une vision des choses uniquement individualiste, autonome, mais au contraire à se remettre toujours à nouveau du côté de Jésus, en assumant son point de vue. Nous devons chercher, jour après jour, à être en pleine communion avec Lui. Rappelons-nous que Pierre aussi voulait s'opposer à lui et à ce qui l'attendait à Jérusalem, mais il fut sévèrement réprimandé: "Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes" (Mc 8,32-33)! Pierre, après sa chute, s'est repenti et a trouvé le pardon et la grâce. Judas aussi s'est repenti, mais son repentir a dégénéré en désespoir, se transformant ainsi en autodestruction. C'est pour nous une invitation à toujours nous rappeler ce que dit saint Benoît à la fin du chapitre V de sa "Règle", qui est fondamental: "Ne désespère jamais de la miséricorde divine". En réalité, Dieu "est plus grand que notre coeur", comme le dit saint Jean (1Jn 3,20). Gardons donc deux choses à l'esprit. La première: Jésus respecte notre liberté. La deuxième: Jésus attend notre disponibilité au repentir et à la conversion; il est riche de miséricorde et de pardon. Du reste, quand nous pensons au rôle négatif joué par Judas, nous devons l'insérer dans la direction supérieure des événements de la part de Dieu. Sa trahison a conduit à la mort de Jésus, qui transforma ce terrible supplice en espace d'amour salvifique et en don de soi au Père (cf. Ga 2,20 Ep 5,2 Ep 5,25). Le verbe "trahir" est la version d'un mot grec qui signifie "livrer". Parfois son sujet est même Dieu en personne: c'est lui qui par amour "livra" Jésus pour nous tous (cf. Rm 8,32). Dans son mystérieux projet salvifique, Dieu assume le geste inexcusable de Judas comme une occasion de don total du Fils pour la rédemption du monde.

Pour conclure, nous voulons également rappeler celui qui après la Pâque fut élu à la place du traître. Dans l'Eglise de Jérusalem deux personnes furent proposées par la communauté et ensuite tirées au sort: "Joseph Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias" (Ac 1,23). Ce dernier fut précisément élu et ainsi "associé aux onze Apôtres" (Ac 1,26). Nous ne savons rien de lui, si ce n'est qu'il avait été lui aussi témoin de toute la vie terrestre de Jésus (cf. Ac 1,21-22), lui demeurant fidèle jusqu'au bout. A la grandeur de sa fidélité s'ajouta ensuite l'appel divin à prendre la place de Judas, comme pour compenser sa trahison. Nous pouvons en tirer une dernière leçon: même si dans l'Eglise ne manquent pas les chrétiens indignes et traîtres, il revient à chacun de nous de contrebalancer le mal qu'ils ont accompli par notre témoignage limpide à Jésus Christ, notre Seigneur et Sauveur.
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J’accueille avec joie les pèlerins de langue française, en particulier les pèlerins du diocèse de Limoges, accompagnés par leur Évêque, Mgr Christophe Dufour, ainsi que les membres du chapitre des Frères du Sacré-Coeur et leur nouveau supérieur général. Que votre pèlerinage à Rome vous renforce tous dans la joie d’être disciples et témoins du Christ ressuscité!





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Mercredi 25 octobre 2006



Chers frères et soeurs,

Nous avons achevé nos réflexions sur les douze Apôtres directement appelés par Jésus au cours de sa vie terrestre. Aujourd'hui, nous commençons à aborder les figures d'autres personnages importants de l'Eglise primitive. Eux aussi ont donné leur vie pour le Seigneur, pour l'Evangile et pour l'Eglise. Il s'agit d'hommes et également de femmes, qui, comme l'écrit Luc dans le Livre des Actes "ont consacré leur vie à la cause de notre Seigneur Jésus Christ" (Ac 15,26).

Le premier d'entre eux, appelé par le Seigneur lui-même, par le Ressuscité, à être lui aussi un véritable Apôtre, est sans aucun doute Paul de Tarse. Il brille comme une étoile de première grandeur dans l'histoire de l'Eglise, et non seulement celle des origines. Saint Jean Chrysostome l'exalte comme un personnage étant même supérieur à de nombreux anges et archanges (cf. Panégyrique, 7, 3). Dante Alighieri, dans la Divine Comédie, s'inspirant du récit de Luc dans les Actes (cf. Ac 9,15), le définit simplement comme un "vase d'élection" (Enfer 2, 28), ce qui signifie: instrument choisi de Dieu. D'autres l'ont appelé le "treizième Apôtre" - et il insiste réellement beaucoup sur le fait d'être un véritable Apôtre, ayant été appelé par le Ressuscité -, voire "le premier après l'Unique". Certes, après Jésus, il est le personnage des origines sur lequel nous possédons le plus d'informations. En effet, nous possédons non seulement le récit qu'en fait Luc dans les Actes des Apôtres, mais également un groupe de Lettres qui proviennent directement de sa main et qui, sans intermédiaires, nous en révèlent la personnalité et la pensée. Luc nous informe que son nom originel était Saul (cf. Ac 7,58 Ac 8,1 etc.), ou plutôt en hébreu Saoul (cf. Ac 9,14 Ac 9,17 Ac 22,7 Ac 22,13 Ac 26,14), comme le roi Saül (cf. Ac 13,21), et qu'il était un juif de la diaspora, la ville de Tarse étant située entre l'Anatolie et la Syrie. Il s'était rendu très tôt à Jérusalem pour étudier en profondeur la Loi de Moïse aux pieds du grand Rabbi Gamaliel (cf. Ac 22,3). Il avait également appris un métier manuel et rude, la fabrication de tentes (cf. Ac 18,3), qui devait ensuite lui permettre de pourvoir personnellement à son entretien sans peser sur les Eglises (cf. Ac 20,34 1Co 4,12 2Co 12,13-14).

Rencontrer la communauté de ceux qui se professaient les disciples du Christ fut un événement décisif pour lui. C'est par eux qu'il avait connu une foi nouvelle - un nouveau "chemin" comme l'on disait alors - , qui ne plaçait pas tant la Loi de Dieu en son centre, que plutôt la personne de Jésus, crucifié et ressuscité, auquel était désormais liée la rémission des péchés. En juif zélé, il considérait ce message comme inacceptable, et même scandaleux, et il se sentit donc en devoir de poursuivre les disciples du Christ, même en dehors de Jérusalem. Ce fut précisément sur le chemin de Damas, au début des années 30, que Saul, selon ses paroles, fut "ravi par le Christ" (Ph 3,12). Alors que Luc raconte le fait avec une abondance de détails - comment la lumière du Ressuscité l'a touché et a profondément changé toute sa vie -, dans ses lettres Paul va droit à l'essentiel et parle non seulement de vision (cf. 1Co 9,1), mais d'illumination (cf. 2Co 4,6) et surtout de révélation et de vocation dans la rencontre avec le Ressuscité (cf. Ga 1,15-16). En effet, il se définira explicitement "apôtre par vocation" (cf. Rm 1,1 1Co 1,1) ou "apôtre par la volonté de Dieu" (2Co 1,1 Ep 1,1 Col 1,1), comme pour souligner que sa conversion n'était pas le résultat d'un développement de pensées, de réflexions, mais le fruit d'une intervention divine, d'une grâce divine imprévisible. Dès lors, tout ce qui auparavant constituait pour lui une valeur devint paradoxalement, selon ses termes, une perte et des balayures (cf. Ph 3,7-10). Et, à partir de ce moment-là, toutes ses énergies furent placées au service exclusif de Jésus Christ et de son Evangile. Son existence sera désormais celle d'un Apôtre souhaitant "se faire tout à tous" (1Co 9,22) sans réserves.

Une leçon très importante en découle pour nous: ce qui compte c'est de placer Jésus Christ au centre de sa propre vie, de manière à ce que notre identité soit essentiellement marquée par la rencontre, la communion avec le Christ et sa Parole. A sa lumière, toute autre valeur est rétablie et, en même temps, purifiée de résidus éventuels. Une autre leçon fondamentale offerte par Paul est le souffle universel qui caractérise son apostolat. Ressentant de manière aiguë le problème de l'accès des Gentils, c'est-à-dire des païens, à Dieu, qui en Jésus Christ crucifié et ressuscité offre le salut à tous les hommes sans exception, il se consacra à faire connaître cet Evangile, littéralement "bonne nouvelle", c'est-à-dire annonce de grâce destinée à réconcilier l'homme avec Dieu, avec lui-même et avec les autres. Dès le premier moment, il avait compris qu'il s'agissait d'une réalité qui ne concernait pas seulement les juifs ou un certain groupe d'hommes, mais qui avait une valeur universelle et concernait chacun, car Dieu est le Dieu de tous. Le point de départ de ses voyages fut l'Eglise d'Antioche de Syrie, où pour la première fois l'Evangile fut annoncé aux Grecs et où fut également forgé le nom de "chrétiens" (cf. Ac 11,20 Ac 11,26), c'est-à-dire de croyants en Christ. De là, il se dirigea tout d'abord vers Chypre et ensuite, à plusieurs reprises, vers les régions de l'Asie mineure (Pisidie, Lycaonie, Galatie), puis vers celles d'Europe (Macédoine, Grèce). Les plus importantes furent les villes d'Ephèse, de Philippe, de Thessalonique, de Corinthe, sans toutefois oublier Beréa, Athènes et Milet.

Dans l'apostolat de Paul, les difficultés ne manquèrent pas, qu'il affronta avec courage par amour du Christ. Il rappelle lui-même avoir connu "la fatigue... la prison... les coups... le danger de mort...: trois fois j'ai subi la bastonnade; une fois, j'ai été lapidé; trois fois, j'ai fait naufrage...; souvent à pied sur les routes, avec les dangers des fleuves, les dangers des bandits, les dangers venant des juifs, les dangers venant des païens, les dangers de la ville, les dangers du désert, les dangers de la mer, les dangers des faux frères. J'ai connu la fatigue et la peine, souvent les nuits sans sommeil, la faim et la soif, les journées sans manger, le froid et le manque de vêtements, sans compter tout le reste: ma préoccupation quotidienne, le souci de toutes les Eglises" (2Co 11,23-28). Dans un passage de la Lettre aux Romains (cf. 15, 24.28) transparaît son intention de pousser jusqu'à l'Espagne, à l'extrémité de l'Occident, pour annoncer partout l'Evangile, jusqu'aux extrémités de la terre connue jusque là. Comment ne pas admirer un tel homme? Comment ne pas rendre grâce au Seigneur de nous avoir donné un Apôtre de cette envergure? Il est clair qu'il ne lui aurait pas été possible d'affronter des situations si difficiles et parfois désespérées, s'il n'y avait pas eu une raison de valeur absolue, face à laquelle aucune limite ne pouvait être considérée comme infranchissable. Pour Paul, cette raison, nous le savons, est Jésus Christ, dont il écrit: "En effet l'amour du Christ nous saisit... afin que les vivants n'aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux" (2Co 5,14-15) pour nous, pour tous.

De fait, l'Apôtre rendra le témoignage suprême du sang sous l'empereur Néron ici à Rome, où nous conservons et vénérons sa dépouille mortelle. Clément Romain, mon prédécesseur sur ce Siège apostolique au cours des dernières années du I siècle, écrivit ainsi à son propos: "En raison de la jalousie et de la discorde, Paul fut obligé de nous montrer comment on obtient le prix de la patience... Après avoir prêché la justice au monde entier, et après être parvenu jusqu'aux frontières extrêmes de l'Occident, il subit le martyre devant les gouvernants; c'est ainsi qu'il partit de ce monde et rejoignit le lieu saint, devenu par cela le plus grand modèle de persévérance" (Aux Corinthiens, 5). Que le Seigneur nous aide à mettre en pratique l'exhortation que nous a laissée l'Apôtre dans ses Lettres: "Prenez-moi pour modèle; mon modèle à moi, c'est le Christ" (1Co 11,1).
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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier le groupe de pèlerins de Sion, accompagné par Monsieur le Cardinal Henri Schwery, Évêque émérite de Sion, et la Communauté du Séminaire pontifical français de Rome, venue à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de son installation Via Santa Chiara. À l’exemple de saint Paul, prenez le Christ pour modèle : lui seul vous rendra capables d’annoncer avec audace la Bonne Nouvelle du salut !


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Mercredi 8 novembre 2006

Le christocentrisme de Paul

Chers frères et soeurs,

Dans la catéchèse précédente, il y a quinze jours, je me suis efforcé de tracer les lignes essentielles de la biographie de l'Apôtre Paul. Nous avons vu de quelle manière la rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas a littéralement révolutionné sa vie. Le Christ devint sa raison d'être et la motivation profonde de tout son travail apostolique. Dans ses lettres, après le nom de Dieu, qui apparaît plus de cinq cents fois, le nom qui est le plus souvent mentionné est celui du Christ (trois cent quatre-vingt fois). Il est donc important que nous nous rendions compte à quel point Jésus Christ peut influencer la vie d'un homme et donc également notre vie elle-même. En réalité, Jésus Christ est le sommet de l'histoire salvifique et donc la véritable marque de distinction dans le dialogue avec les autres religions.

En considérant Paul, nous pourrions formuler ainsi l'interrogation de fond: comment se produit la rencontre d'un être humain avec le Christ? Et en quoi consiste la relation qui en découle? La réponse donnée par Paul peut être divisée en deux temps. En premier lieu, Paul nous aide à comprendre la valeur absolument fondatrice et irremplaçable de la foi. Voilà ce qu'il écrit dans la Lettre aux Romains: "En effet, nous estimons que l'homme devient juste par la foi, indépendamment des actes prescrits par la loi de Moïse" (3, 28). Et il écrit ainsi dans la Lettre aux Galates: "Cependant nous le savons bien, ce n'est pas en observant la Loi que l'homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ; c'est pourquoi nous avons cru en Jésus Christ pour devenir des justes par la foi au Christ, mais non par la pratique de la loi de Moïse, car personne ne devient juste en pratiquant la Loi" (2, 16). "Etre justifiés" signifie être rendus justes, c'est-à-dire accueillis par la justice miséricordieuse de Dieu, et entrer en communion avec Lui, et en conséquence, pouvoir établir une relation beaucoup plus authentique avec tous nos frères: et cela sur la base d'un pardon total de nos péchés. Et bien, de manière tout à fait claire, Paul dit que cette condition de vie ne dépend pas des éventuelles bonnes oeuvres, mais d'une pure grâce de Dieu: "Lui qui leur donne [aux hommes] d'être des justes par sa seule grâce, en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus" (Rm 3,24).

A travers ces paroles, saint Paul exprime le contenu fondamental de sa conversion, la nouvelle direction de sa vie, qui résulte de sa rencontre avec le Christ Ressuscité. Paul, avant la conversion, n'avait pas été un homme éloigné de Dieu et de sa Loi. Au contraire, il était observant, d'une observance fidèle jusqu'au fanatisme. A la lumière de la rencontre avec le Christ, il comprit cependant qu'avec cela, il avait cherché à se construire lui-même, sa propre justice, et qu'avec toute cette justice, il avait vécu pour lui-même. Il comprit qu'une nouvelle orientation de sa vie était absolument nécessaire. Et nous trouvons cette nouvelle orientation exprimée dans ces paroles: "Ma vie aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi" (Ga 2,20). Paul ne vit donc plus pour lui, pour sa propre justice. Il vit du Christ et avec le Christ: en se donnant lui-même, non plus en se cherchant et en se construisant lui-même. Telle est la nouvelle justice, la nouvelle orientation donnée par le Seigneur, donnée par la foi. Devant la croix du Christ, expression extrême de son don de soi, il n'y a personne qui puisse s'enorgueillir lui-même, de sa propre justice faite par lui pour lui! Ailleurs, Paul, faisant écho à Jérémie, explicite cette pensée en écrivant: "Celui qui veut s'enorgueillir, qu'il mette son orgueil dans le Seigneur" (1Co 1,31 = Jr 9, 22sq); ou bien: "Mais pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. Par elle, le monde est à jamais crucifié pour moi, et moi pour le monde" (Ga 6,14).

En réfléchissant sur ce que signifie la justification non par les oeuvres, mais par la foi, nous en sommes ainsi arrivés à la deuxième composante, qui définit l'identité chrétienne décrite par saint Paul dans sa propre vie. Identité chrétienne, qui se compose précisément de deux éléments: le fait de ne pas se chercher soi-même, mais se recevoir du Christ, et se donner avec le Christ, et ainsi participer personnellement à l'histoire du Christ lui-même, jusqu'à se plonger en Lui, et à partager aussi bien sa mort que sa vie. C'est ce que Paul écrit dans la Lettre aux Romains: "C'est dans sa mort que nous avons été baptisés... nous avons été mis au tombeau avec lui... nous sommes déjà en communion avec lui... De même vous aussi: pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ" (Rm 6,3 Rm 6,4 Rm 6,5 Rm 6,11). C'est précisément cette dernière expression qui est plus que jamais symptomatique: en effet, pour Paul, il ne suffit pas de dire que les chrétiens sont des baptisés ou des croyants; pour lui, il est tout aussi important de dire qu'ils sont "en Jésus Christ" (cf. également Rm 8,1 Rm 8,2 Rm 8,39 Rm 12,5 Rm 16,3 Rm 16,7 Rm 16,10 1Co 1,2 1Co 1, etc. ). Ailleurs, il inverse les termes et écrit que "le Christ est en nous/vous" (Rm 8,10 2Co 13,5) ou "en moi" (Ga 2,20). Cette compénétration mutuelle entre le Christ et le chrétien, caractéristique de l'enseignement de Paul, complète son discours sur la foi. La foi, en effet, bien que nous unissant intimement au Christ, souligne la distinction entre nous et Lui. Mais, selon Paul, la vie du chrétien possède également une composante que nous pourrions appeler "mystique", dans la mesure où elle comporte une identification de notre personne avec le Christ et du Christ avec nous. Dans ce sens, l'Apôtre arrive même à dire que "nous avons largement part aux souffrances du Christ" (2Co 1,5), si bien que "partout et toujours, nous subissons dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps" (2Co 4,10).

Nous devons appliquer tout cela à notre vie quotidienne en suivant l'exemple de Paul qui a toujours vécu avec ce grand souffle spirituel. D'une part, la foi doit nous maintenir dans une attitude d'humilité constante face à Dieu, et même d'admiration et de louange à son égard. En effet, ce que nous sommes en tant que chrétiens, nous le devons uniquement à Lui et à sa grâce. Etant donné que rien ni personne ne peut prendre sa place, il faut donc que nous ne rendions à rien d'autre ni à personne d'autre l'hommage que nous Lui rendons. Aucune idole ne doit contaminer notre univers spirituel, autrement, au lieu de jouir de la liberté acquise, nous retomberions dans une forme d'esclavage humiliant. D'autre part, notre appartenance radicale au Christ et le fait que "nous sommes en Lui" doit susciter en nous une attitude de confiance totale et de joie immense. En définitive, en effet, nous devons nous exclamer avec saint Paul: "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?" (Rm 8,31). Et la réponse est que rien ni personne "ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur" (Rm 8,39). Notre vie chrétienne repose donc sur le roc le plus stable et le plus sûr que l'on puisse imaginer. Et de celui-ci nous tirons toute notre énergie, comme l'écrit précisément l'Apôtre: "Je peux tout supporter avec celui qui me donne la force" (Ph 4,13).

Affrontons donc notre existence, avec ses joies et ses peines, soutenus par ces grands sentiments que Paul nous offre. En vivant cette expérience, nous pourrons comprendre à quel point est vrai ce que l'Apôtre lui-même écrit: "Je sais en qui j'ai mis ma foi, et je suis sûr qu'il est assez puissant pour sauvegarder jusqu'au jour de sa venue l'Evangile dont je suis le dépositaire", c'est à dire jusqu'au jour définitif (2Tm 1,12) de notre rencontre avec le Christ Juge, Sauveur du monde et notre Sauveur.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier les lecteurs du magazine «Pèlerin». Puisse l’exemple de Paul vous inviter à demeurer toujours plus «dans le Christ», louant Dieu, qui, par sa seule grâce, a fait de vous ce que vous êtes.


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Mercredi 15 novembre 2006

La présence de l'Esprit dans nos coeurs dans les Lettres de saint Paul

Chers frères et soeurs,

Aujourd'hui aussi, comme déjà dans les deux catéchèses précédentes, nous revenons à saint Paul et à sa pensée. Nous nous trouvons devant un géant non seulement du point de vue de l'apostolat concret, mais également de celui de la doctrine théologique, extraordinairement profonde et stimulante. Après avoir médité la dernière fois sur ce que Paul a écrit à propos de la place centrale que Jésus Christ occupe dans notre vie de foi, nous examinons aujourd'hui ce qu'il dit sur l'Esprit Saint et sur sa présence en nous, car ici aussi, l'Apôtre a quelque chose d'une grande importance à nous enseigner.

Nous connaissons ce que saint Luc nous dit de l'Esprit Saint dans les Actes des Apôtres, en décrivant l'événement de la Pentecôte. L'Esprit de Pentecôte apporte avec lui une impulsion vigoureuse à assumer l'engagement de la mission pour témoigner de l'Evangile sur les routes du monde. De fait, le Livre des Actes rapporte toute une série de missions accomplies par les Apôtres, tout d'abord en Samarie, puis sur la bande côtière de la Palestine, et enfin vers la Syrie. Ce sont surtout les trois grands voyages missionnaires accomplis par Paul qui sont rapportés, comme je l'ai déjà rappelé dans une précédente rencontre du mercredi. Cependant, dans ses Lettres, saint Paul nous parle de l'Esprit d'un autre point de vue également. Il n'illustre pas uniquement la dimension dynamique et active de la troisième Personne de la Très Sainte Trinité, mais il en analyse également la présence dans la vie du chrétien, dont l'identité en reste marquée. En d'autres termes, Paul réfléchit sur l'Esprit en exposant son influence non seulement sur l'agir du chrétien, mais également sur son être. En effet, c'est lui qui dit que l'Esprit de Dieu habite en nous (cf. Rm 8,9 1Co 3,16) et que "envoyé par Dieu, l'Esprit de son Fils est dans nos coeurs" (Ga 4,6). Pour Paul donc, l'Esprit nous modèle jusque dans nos profondeurs personnelles les plus intimes. A ce propos, voilà quelques-unes de ses paroles d'une importance significative: "En me faisant passer sous sa loi, l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus m'a libéré, moi qui étais sous la loi du péché et de la mort... L'Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur; c'est un Esprit qui fait de vous des fils; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l'appelant: "Abba!"" (Rm 8,2 Rm 8,15). On voit donc bien que le chrétien, avant même d'agir, possède déjà une intériorité riche et féconde, qui lui a été donnée dans le Sacrement du Baptême et de la Confirmation, une intériorité qui l'établit dans une relation de filiation objective et originale à l'égard de Dieu. Voilà notre grande dignité: celle de ne pas être seulement des images, mais des fils de Dieu. Et cela est une invitation à vivre notre filiation, à être toujours plus conscients que nous sommes des fils adoptifs dans la grande famille de Dieu. Il s'agit d'une invitation à transformer ce don objectif en une réalité subjective, déterminante pour notre penser, pour notre agir, pour notre être. Dieu nous considère comme ses fils, nous ayant élevés à une dignité semblable, bien que n'étant pas égale, à celle de Jésus lui-même, l'unique véritable Fils au sens plein. En lui nous est donnée, ou restituée, la condition filiale et la liberté confiante en relation au Père.

Nous découvrons ainsi que pour le chrétien, l'Esprit n'est plus seulement l'"Esprit de Dieu", comme on le dit normalement dans l'Ancien Testament et comme l'on continue à répéter dans le langage chrétien (cf. Gn 41,38 Ex 31,3 1Co 2,11 1Co 2,12 Ph 3,3 etc. ). Et ce n'est pas non plus un "Esprit Saint" au sens large, selon la façon de s'exprimer de l'Ancien Testament (cf. Is Is 63,10 Is Is 63,11 Ps 51,13), et du Judaïsme lui-même dans ses écrits (Qumràn, rabbinisme). En effet, à la spécificité de la foi chrétienne appartient la confession d'un partage original de cet Esprit de la part du Seigneur ressuscité, qui est devenu Lui-même "l'être spirituel qui donne la vie" (1Co 15,45). C'est précisément pour cela que saint Paul parle directement de l'"Esprit du Christ" (Rm 8,9), de l'"Esprit de Fils" (Ga 4,6) ou de l'"Esprit de Jésus Christ" (Ph 1,19). C'est comme s'il voulait dire que non seulement Dieu le Père est visible dans le Fils (cf. Jn 14,9), mais que l'Esprit de Dieu s'exprime aussi dans la vie et dans l'action du Seigneur crucifié et ressuscité!

Paul nous enseigne également une autre chose importante: il dit qu'il n'existe pas de véritable prière sans la présence de l'Esprit en nous. Il écrit en effet: "Bien plus, l'Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L'Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables. Et Dieu, qui voit le fond des coeurs, connaît les intentions de l'Esprit: il sait qu'en intervenant pour les fidèles, l'Esprit veut ce que Dieu veut" (Rm 8,26-27). C'est comme dire que l'Esprit Saint, c'est-à-dire l'Esprit du Père et du Fils, est désormais comme l'âme de notre âme, la partie la plus secrète de notre être, d'où s'élève incessamment vers Dieu un mouvement de prière, dont nous ne pouvons pas même préciser les termes. En effet, l'Esprit, toujours éveillé en nous, supplée à nos carences et il offre au Père notre adoration, avec nos aspirations les plus profondes. Cela demande naturellement un niveau de grande communion vitale avec l'Esprit. C'est une invitation à être toujours plus sensibles, plus attentifs à cette présence de l'Esprit en nous, à la transformer en prière, à ressentir cette présence et à apprendre ainsi à prier, à parler avec le Père en tant que fils dans l'Esprit Saint.

Il existe également un autre aspect typique de l'Esprit que nous enseigne saint Paul: il s'agit de son lien avec l'amour. En effet, l'Apôtre écrit: "Et l'espérance ne trompe pas, puisque l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné" (Rm 5,5). Dans ma Lettre encyclique "Deus caritas est", je citais une phrase très éloquente de saint Augustin: "Tu vois la Trinité quand tu vois la charité" (n. 19), et je poursuivais en expliquant: "En effet, l'Esprit est la puissance intérieure qui met leur coeur [des croyants] au diapason du coeur du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés" (ibid.). L'Esprit nous introduit dans le rythme même de la vie divine, qui est vie d'amour, en nous faisant personnellement participer aux relations qui existent entre le Père et le Fils. Il n'est pas sans signification que Paul, lorsqu'il énumère les divers fruits de l'Esprit, place l'amour à la première place: "Mais voici ce que produit l'Esprit: amour, joie, paix, etc." (Ga 5,22). Et puisque, par définition, l'amour unit, cela signifie tout d'abord que l'Esprit est Créateur de communion au sein de la communauté chrétienne, comme nous le disons au début de la Messe selon une expression paulinienne: "Que la communion de l'Esprit Saint [c'est-à-dire celle qu'Il opère] soit avec vous tous" (2Co 13,13). D'autre part, cependant, il est également vrai que l'Esprit nous incite à nouer des relations de charité avec tous les hommes. C'est pourquoi, lorsque nous aimons, nous donnons de l'espace à l'Esprit, nous lui permettons de s'exprimer en plénitude. On comprend ainsi pourquoi Paul rapproche dans la même page de la Lettre aux Romains les deux exhortations: "Laissez jaillir l'Esprit" et "Ne rendez à personne le mal pour le mal" (Rm 12,11 Rm 12,17).

Enfin, l'Esprit constitue selon saint Paul des arrhes généreuses qui nous ont été données par Dieu lui-même, comme avance et comme garantie de notre héritage futur (cf. 2Co 1,22 2Co 5,5 Ep 1,13-14). Nous apprenons ainsi de Paul que l'action de l'Esprit oriente notre vie vers les grandes valeurs de l'amour, de la joie, de la communion et de l'espérance. C'est à nous qu'il revient d'en faire chaque jour l'expérience, en suivant les suggestions intérieures de l'Esprit, aidés dans notre discernement par la direction éclairante de l'Apôtre.
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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue particulièrement les jeunes prêtres de la Province de Montpellier, accompagnés de Mgr Alain Planet, Évêque de Carcassonne, ainsi que les assistants spirituels de l’Union internationale des Guides et Scouts d’Europe et les responsables des Associations familiales catholiques de France. Que l’Esprit Saint fasse grandir en vous l’amour, la joie, la communion et l’espérance ! Avec ma Bénédiction apostolique !


Catéchèses Benoît XVI 18106