Catéchèses Benoît XVI 63

Mercredi 7 juillet 2010 - Jean Duns Scot

Chers frères et soeurs,

Ce matin — après plusieurs catéchèses sur de nombreux grands théologiens — je veux vous présenter une autre figure importante dans l'histoire de la théologie: il s'agit du bienheureux Jean Duns Scot, qui vécut à la fin du XIIIe siècle. Une antique inscription sur sa tombe résume les points de référence géographiques de sa biographie : «L’Angleterre l'accueillit; la France l'instruisit; Cologne, en Allemagne, en conserve la dépouille; c'est en Ecosse qu'il naquit». Nous ne pouvons pas négliger ces informations, notamment parce que nous possédons très peu d'éléments sur la vie de Duns Scot. Il naquit probablement en 1266 dans un village qui s'appelait précisément Duns, non loin d’Edimbourg. Attiré par le charisme de saint François d'Assise, il entra dans la Famille des Frères mineurs et, en 1291, il fut ordonné prêtre. Doué d'une intelligence brillante et porté à la spéculation — cette intelligence qui lui valut de la tradition le titre de Doctor subtilis, «Docteur subtil» — Duns Scot fut dirigé vers des études de philosophie et de théologie auprès des célèbres universités d'Oxford et de Paris. Après avoir conclu avec succès sa formation, il entreprit l'enseignement de la théologie dans les universités d'Oxford et de Cambridge, puis de Paris, en commençant à commenter, comme tous les Maîtres de ce temps, les Sentences de Pierre Lombard. Les principales oeuvres de Duns Scot représentent précisément le fruit mûr de ces leçons, et prennent le titre des lieux où il les professa: Ordinatio (appélée dans le passé Opus Oxoniense — Oxford), Reportatio Cantabrigiensis (Cambridge), Reportata Parisiensia (Paris). A celles-ci il faut ajouter au moins les Quodlibeta (ou Quaestiones quodlibetales), oeuvre très importante formée de 21 questions sur divers thèmes théologiques. Lorsqu’un grave conflit éclata entre le roi Philippe IV le Bel et le Pape Boniface VIII, Duns Scot s’éloigna de Paris et préféra l'exil volontaire, plutôt que de signer un document hostile au Souverain Pontife, ainsi que le roi l'avait imposé à tous les religieux. De cette manière — par amour pour le Siège de Pierre —, avec les Frères franciscains, il quitta le pays.

Chers frères et soeurs, ce fait nous invite à rappeler combien de fois, dans l’histoire de l'Eglise, les croyants ont rencontré l'hostilité et même subi des persécutions à cause de leur fidélité et de leur dévotion à l'égard du Christ, de l'Eglise et du Pape. Nous tous regardons avec admiration ces chrétiens qui nous enseignent à conserver comme un bien précieux la foi dans le Christ et la communion avec le Successeur de Pierre et, ainsi, avec l'Eglise universelle.

Toutefois, les rapports entre le roi de France et le successeur de Boniface VIII redevinrent rapidement des rapports d'amitié, et en 1305, Duns Scot put rentrer à Paris pour y enseigner la théologie sous le titre de Magister regens, nous dirions aujourd'hui professeur titulaire. Par la suite, ses supérieurs l'envoyèrent à Cologne comme professeur du Studium de théologie franciscain, mais il mourut le 8 novembre 1308, à 43 ans à peine, laissant toutefois un nombre d’oeuvres important.

En raison de la renommée de sainteté dont il jouissait, son culte se diffusa rapidement dans l'Ordre franciscain et le vénérable Pape Jean-Paul II voulut le confirmer solennellement bienheureux le 20 mars 1993, en le définissant «Chantre du Verbe incarné et défenseur de l'Immaculée Conception». Dans cette expression se trouve synthétisée la grande contribution que Duns Scot a offerte à l'histoire de la théologie.

Il a avant tout médité sur le Mystère de l'Incarnation et, à la différence de beaucoup de penseurs chrétiens de l'époque, il a soutenu que le Fils de Dieu se serait fait homme même si l'humanité n'avait pas péché. Il affirme dans la «Reportata Parisiensa»: «Penser que Dieu aurait renoncé à une telle oeuvre si Adam n'avait pas péché ne serait absolument pas raisonnable! Je dis donc que la chute n'a pas été la cause de la prédestination du Christ et que — même si personne n'avait chuté, ni l'ange ni l'homme — dans cette hypothèse le Christ aurait été encore prédestiné de la même manière» (in III Sent., d. 7, 4). Cette pensée, peut-être un peu surprenante, naît parce que pour Duns Scot l'Incarnation du Fils de Dieu, projetée depuis l'éternité par Dieu le Père dans son plan d'amour, est l'accomplissement de la création, et rend possible à toute créature, dans le Christ et par son intermédiaire, d'être comblée de grâce, et de rendre grâce et gloire à Dieu dans l'éternité. Même s'il est conscient qu’en réalité, à cause du péché originel, le Christ nous a rachetés à travers sa Passion, sa Mort et sa Résurrection, Duns Scot réaffirme que l'Incarnation est l’oeuvre la plus grande et la plus belle de toute l'histoire du salut, et qu'elle n'est conditionnée par aucun fait contingent, mais qu’elle est l'idée originelle de Dieu d'unir en fin de compte toute la création à lui-même dans la personne et dans la chair du Fils.

Fidèle disciple de saint François, Duns Scot aimait contempler et prêcher le Mystère de la Passion salvifique du Christ, expression de la volonté d'amour, qui communique avec une très grande générosité en dehors de lui les rayons de sa bonté et de son amour (cf. Tractatus de primo principio, c. 4). Et cet amour ne se révèle pas seulement sur le Calvaire, mais également dans la Très Sainte Eucharistie, pour laquelle Duns Scot avait une très grande dévotion et qu’il voyait comme le sacrement de la présence réelle de Jésus et comme le sacrement de l’unité et de la communion qui conduit à nous aimer les uns les autres et à aimer Dieu comme le Bien commun suprême (cf. Reportata Parisiensa, in IV Sent., d. 8, q. 1, n. 3). « Et, — ainsi que je l'écrivais dans ma Lettre à l'occasion du Congrès international de Cologne pour le VIIème centenaire de la mort du bienheureux Duns Scot, rapportant la pensée de notre auteur — comme cet amour, cette charité, fut au commencement de tout, de même aussi dans l'amour et dans la charité seulement sera notre béatitude: "le vouloir ou la volonté d'amour est simplement la vie éternelle, bienheureuse et parfaite" » (AAS 101 [2009], 5).

Chers frères et soeurs, cette vision théologique, fortement «christocentrique», nous ouvre à la contemplation, à l’émerveillement et à la gratitude: le Christ est le centre de l’histoire et de l’univers, il est Celui qui donne un sens, une dignité et une valeur à notre vie! Comme le Pape Paul VI à Manille, je voudrais moi aussi aujourd’hui crier au monde: «[Le Christ] est celui qui nous a révélés le Dieu invisible, il est le premier né de toute créature, il est le fondement de toute chose; Il est le Maître de l’humanité et le rédempteur; Il est né, il est mort, il est ressuscité pour nous; Il est le centre de l’histoire et du monde; Il est Celui qui nous connaît et qui nous aime; Il est le compagnon et l’ami de notre vie... Je n’en finirais plus de parler de Lui» (Homélie, 29 novembre 1970; cf. ORLF n. 50 du 11 décembre 1970).

Non seulement le rôle du Christ dans l’histoire du salut, mais également celui de Marie est l’objet de la réflexion du Doctor subtilis. A l’époque de Duns Scot, la majorité des théologiens opposait une objection, qui semblait insurmontable, à la doctrine selon laquelle la très Sainte Vierge Marie fut préservée du péché originel dès le premier instant de sa conception: en effet, l’universalité de la Rédemption opérée par le Christ, à première vue, pouvait apparaître compromise par une telle affirmation, comme si Marie n’avait pas eu besoin du Christ et de sa rédemption. C’est pourquoi les théologiens s’opposaient à cette thèse. Alors, Duns Scot, pour faire comprendre cette préservation du péché originel, développa un argument qui sera ensuite adopté également par le Pape Pie IX en 1854, lorsqu’il définit solennellement le dogme de l’Immaculée Conception de Marie. Et cet argument est celui de la «Rédemption préventive», selon laquelle l’Immaculée Conception représente le chef d’oeuvre de la Rédemption opérée par le Christ, parce que précisément la puissance de son amour et de sa médiation a fait que sa Mère soit préservée du péché originel. Marie est donc totalement rachetée par le Christ, mais avant même sa conception. Les Franciscains, ses confrères, accueillirent et diffusèrent avec enthousiasme cette doctrine, et d’autres théologiens — souvent à travers un serment solennel — s’engagèrent à la défendre et à la perfectionner.

A cet égard, je voudrais mettre en évidence un fait qui me paraît très important. Des théologiens de grande valeur, comme Duns Scot en ce qui concerne la doctrine sur l’Immaculée Conception, ont enrichi de la contribution spécifique de leur pensée ce que le Peuple de Dieu croyait déjà spontanément sur la Bienheureuse Vierge, et manifestait dans les actes de piété, dans les expressions artistiques et, en général, dans le vécu chrétien. Ainsi, la foi tant dans l’Immaculée Conception que dans l’Assomption corporelle de la Vierge, était déjà présente chez le Peuple de Dieu, tandis que la théologie n’avait pas encore trouvé la clé pour l’interpréter dans la totalité de la doctrine de la foi. Le Peuple de Dieu précède donc les théologiens, et tout cela grâce au sensus fidei surnaturel, c’est-à-dire à la capacité dispensée par l’Esprit Saint, qui permet d’embrasser la réalité de la foi, avec l’humilité du coeur et de l’esprit. Dans ce sens, le Peuple de Dieu est un «magistère qui précède», et qui doit être ensuite approfondi et accueilli intellectuellement par la théologie. Puissent les théologiens se placer toujours à l’écoute de cette source de la foi et conserver l’humilité et la simplicité des petits! Je l’avais rappelé il y a quelques mois en disant: «Il y a de grands sages, de grands spécialistes, de grands théologiens, des maîtres de la foi, qui nous ont enseigné de nombreuses choses. Ils ont pénétré dans les détails de l'Ecriture Sainte, [...] mais ils n'ont pas pu voir le mystère lui-même, le véritable noyau [...] L'essentiel est resté caché! [...] En revanche, il y a aussi à notre époque des petits qui ont connu ce mystère. Nous pensons à sainte Bernadette Soubirous; à sainte Thérèse de Lisieux, avec sa nouvelle lecture de la Bible “non scientifique”, mais qui entre dans le coeur de l'Ecriture Sainte» (Homélie lors de la Messe avec les membres de la Commission théologique internationale, 1er décembre 2009; cf. ORLF n. 49 du 8 décembre 2009).

Enfin, Duns Scot a développé un point à l’égard duquel la modernité est très sensible. Il s’agit du thème de la liberté et de son rapport avec la volonté et avec l’intellect. Notre auteur souligne la liberté comme qualité fondamentale de la volonté, en commençant par un raisonnement qui valorise le plus la volonté. Malheureusement, chez des auteurs qui ont suivi le notre, cette ligne de pensée se développa dans un volontarisme en opposition avec ce qu’on appelle l’intellectualisme augustinien et thomiste. Pour saint Thomas d’Aquin, qui suit saint Augustin, la liberté ne peut pas être considérée comme une qualité innée de la volonté, mais comme le fruit de la collaboration de la volonté et de l’intellect. Une idée de la liberté innée et absolue — comme justement elle évolue après Duns Scot — située dans la volonté qui précède l’intellect, que ce soit en Dieu ou dans l’homme, risque en effet de conduire à l’idée d’un Dieu qui ne ne serait même pas lié à la vérité et au bien. Le désir de sauver la transcendance absolue et la différence de Dieu par une accentuation aussi radicale et impénétrable de sa volonté ne tient pas compte du fait que le Dieu qui s’est révélé en Christ est le Dieu «logos», qui a agi et qui agit rempli d’amour envers nous. Assurément, comme l’affirme Duns Scot dans le sillage de la théologie franciscaine, l’amour dépasse la connaissance et est toujours en mesure de percevoir davantage que la pensée, mais c’est toujours l’amour du Dieu «logos» (cf. Benoît XVI, Discours à Ratisbonne, Insegnamenti di Benedetto XVI, II [2006], p. 261; cf. ORLF n. 38 du 19 septembre 2006). Dans l’homme aussi, l’idée de liberté absolue, située dans sa volonté, en oubliant le lien avec la vérité, ignore que la liberté elle-même doit être libérée des limites qui lui viennent du péché. De toute façon, la vision scotiste ne tombe pas dans ces extrêmes: pour Duns Scot un acte libre découle du concours d'un intellect et d'une volonté et s'il parle d'un « primat » de la volonté, il l'argumente exactement parce que la volonté suit toujours l'intellect.

En m’adressant aux séminaristes romains — l’année dernière — je rappelais que «la liberté, à toutes les époques, a été le grand rêve de l’humanité, mais en particulier à l’époque moderne» (Discours au séminaire pontifical romain, 20 février 2009). Mais c’est précisément l’histoire moderne, outre notre expérience quotidienne, qui nous enseigne que la liberté n’est authentique et n’aide à la construction d’une civilisation vraiment humaine que lorsqu’elle est vraiment réconciliée avec la vérité. Si elle est détachée de la vérité, la liberté devient tragiquement un principe de destruction de l’harmonie intérieure de la personne humaine, source de la prévarication des plus forts et des violents, et cause de souffrance et de deuils. La liberté, comme toutes les facultés dont l’homme est doté, croît et se perfectionne, affirme Duns Scot, lorsque l’homme s’ouvre à Dieu, en valorisant la disposition à l’écoute de sa voix, qu’il appelle potentia oboedientialis: quand nous nous mettons à l’écoute de la Révélation divine, de la Parole de Dieu, pour l’accueillir, alors nous sommes atteints par un message qui remplit notre vie de lumière et d’espérance et nous sommes vraiment libres.

Chers frères et soeurs, le bienheureux Duns Scot nous enseigne que dans notre vie l’essentiel est de croire que Dieu est proche de nous et nous aime en Jésus Christ, et donc de cultiver un profond amour pour lui et son Eglise. Nous sommes les témoins de cet amour sur cette terre. Que la Très Sainte Vierge Marie nous aide à recevoir cet amour infini de Dieu dont nous jouirons pleinement pour l’éternité dans le Ciel, lorsque finalement notre âme sera unie pour toujours à Dieu, dans la communion des saints.
* * *


J’accueille avec joie les pèlerins francophones, surtout les jeunes. Je vous exhorte, chers collégiens, lycéens et servants d’autel, à faire croître votre amour pour le Saint Sacrement et pour la Vierge Immaculée. Puissiez-vous aussi vous laisser guider par l’Esprit Saint pour témoigner joyeusement et librement des vérités de la foi chrétienne ! N’ayez pas honte de votre foi et soyez fiers d’être catholiques ! Bon pèlerinage et bonnes vacances !





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Place Saint-Pierre

Mercredi 4 août 2010 - Saint Tarcisius

Chers frères et soeurs,

Je veux vous exprimer ma joie d'être ici aujourd'hui au milieu de vous, sur cette place, où vous êtes réunis en fête pour cette Audience générale, qui voit la présence tellement significative du grand pèlerinage européen des servants d'autel! Chers jeunes, garçons et filles, soyez les bienvenus! Comme la grande majorité des servants d'autel présents sur la place sont de langue allemande, je m'adresserai avant tout à eux dans ma langue maternelle.

Chers servants et servantes d'autel, chers amis et chères amies, chers pèlerins de langue allemande, bienvenue à Rome! Je vous salue tous cordialement. Je salue avec vous le cardinal-secrétaire d'Etat, Tarcisio Bertone; il s'appelle Tarcisio comme votre patron. Vous avez eu l’amitié de l'inviter et lui, qui porte le nom de saint Tarcisius, est heureux de pouvoir être ici au milieu des servants d'autel du monde et des servants d'autel allemands. Je salue mes chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, ainsi que les diacres qui ont voulu prendre part à cette audience. Je remercie de tout coeur l’évêque auxiliaire de Bâle, Mgr Martin Gächter, président du «Coetus Internationalis Ministrantium», pour les paroles de salutation qu'il m'a adressées, pour le grand don de la statue de saint Tarcisius et pour le foulard qu'il m’a remis. Tout cela me rappelle l'époque où moi aussi j'étais un servant d'autel. Je le remercie, en votre nom, également pour le grand travail qu'il accomplit au milieu de vous, ainsi que ses collaborateurs et tous ceux qui ont rendu possible cette joyeuse rencontre. Mes remerciements vont aussi aux promoteurs suisses et à ceux qui ont travaillé à divers niveaux pour la réalisation de la statue de saint Tarcisius.

Vous êtes nombreux! J'ai survolé il y a quelques instants la place Saint-Pierre en hélicoptère et j'ai vu toutes les couleurs et la joie, qui est présente sur cette place! Ainsi, non seulement vous créez un climat de fête sur la place, mais vous rendez mon coeur plus joyeux encore! Merci! La statue de saint Tarcisius est arrivée jusqu'à nous après un long pèlerinage. En septembre 2008, elle a été présentée en Suisse, en présence de 8000 servants d'autel: certains d'entre vous étaient là. De Suisse, elle est passée par le Luxembourg jusqu'en Hongrie. Nous l'accueillons aujourd'hui dans la fête, heureux de pouvoir mieux connaître cette figure des premiers siècles de l’Eglise. La statue — comme l'a déjà dit Mgr Gächter — sera ensuite placée à proximité des catacombes de Saint-Calixte, où saint Tarcisius fut enterré. Le souhait que j'adresse à tous est que ce lieu, c'est-à-dire les catacombes de Saint-Calixte et cette statue, puisse devenir un point de référence pour les servants d'autel et pour ceux qui souhaitent suivre Jésus de plus près à travers la vie sacerdotale, religieuse et missionnaire. Que tous puissent regarder ce jeune homme courageux et fort et renouveler l'engagement d'amitié avec le Seigneur lui-même pour apprendre à vivre toujours avec Lui, en suivant le chemin qu'il nous indique avec sa Parole et le témoignage de si nombreux saints et martyrs, dont, à travers le Baptême, nous sommes devenus frères et soeurs.

Qui était saint Tarcisius? Nous ne disposons pas de beaucoup d'informations. Nous sommes dans les premiers siècles de l’histoire de l'Eglise, plus précisément au troisième siècle; on raconte qu'il était un jeune homme qui fréquentait les catacombes de Saint-Calixte ici à Rome et qu'il était très fidèle à ses engagements chrétiens. Il aimait beaucoup l'Eucharistie et, de divers éléments, nous concluons que, probablement, il était un acolyte, c'est-à-dire un servant d'autel. Dans ces années-là, l'empereur Valérien persécutait durement les chrétiens, qui étaient contraints de se réunir clandestinement dans les maisons privées ou, parfois, également dans les catacombes, pour écouter la Parole de Dieu, prier et célébrer la Messe. Même la tradition d'apporter l’Eucharistie aux prisonniers et aux malades devenait de plus en plus dangereuse. Un jour, alors que le prêtre demanda comme d’habitude, qui était disposé à apporter l'Eucharistie aux autres frères et soeurs qui l'attendaient, le jeune Tarcisius se leva et dit: «Veux-tu que je m'en charge?». Ce garçon semblait trop jeune pour un service aussi exigeant! «Ma jeunesse — dit Tarcisius — sera le meilleur abri pour l'Eucharistie». Le prêtre, convaincu, lui confia le précieux Pain en lui disant: «Tarcisius, rappelle-toi qu'un trésor céleste est remis entre tes faibles mains. Evite les chemins fréquentés et n'oublie pas que les choses saintes ne doivent pas être jetées aux chiens ni les perles aux cochons. Protégeras-tu avec fidélité et assurance les Saints Mystères?». «Je mourrai — répondit Tarcisius avec fermeté — plutôt que de les céder». En route, il rencontra des amis qui, s'approchant de lui, lui demandèrent de se joindre à eux. A sa réponse négative — ils étaient païens — ils devinrent soupçonneux et insistants et ils se rendirent compte qu'il serrait quelque chose sur sa poitrine qu'il semblait défendre. Ils tentèrent de la lui arracher mais en vain; la lutte se fit de plus en plus acharnée, surtout lorsqu'ils apprirent que Tarcisius était chrétien: ils lui donnèrent des coups de pied, lui lancèrent des pierres, mais il ne céda pas. Mourant, il fut apporté au prêtre par un officier prétorien du nom de Quadratus, devenu lui aussi, clandestinement, chrétien. Il y arriva sans vie, mais il serrait encore contre sa poitrine un petit morceau de lin contenant l'Eucharistie. Il fut enterré immédiatement dans les catacombes de Saint-Calixte. Le Pape Damase fit apposer une inscription sur la tombe de saint Tarcisius, selon laquelle le jeune homme mourut en 257. Le Martyrologe romain fixe la date au 15 août et dans le même Martyrologe est rapportée une belle tradition orale selon laquelle, sur le corps de saint Tarcisius, on ne retrouva pas le Très Saint Sacrement, ni dans ses mains, ni dans ses vêtements. On raconta que le pain consacré, défendu par sa vie par le petit martyr, était devenu chair de sa chair, formant ainsi avec son propre corps, une unique hostie immaculée offerte à Dieu.

Chères servantes et chers servants d'autel, le témoignage de saint Tarcisius et cette belle tradition nous enseignent l’amour profond et la grande vénération que nous devons avoir pour l'Eucharistie: c'est un bien précieux, un trésor dont la valeur ne peux pas être mesurée, c'est le Pain de la vie, c'est Jésus lui-même qui se fait nourriture, soutien et force pour notre chemin de chaque jour et route ouverte vers la vie éternelle, c'est le don le plus grand que Jésus nous a laissé.

Je m'adresse à vous ici présents et, à travers vous, à tous les servants d'autel du monde! Servez avec générosité Jésus présent dans l'Eucharistie. C'est une tâche importante, qui vous permet d'être particulièrement proches du Seigneur et de croître dans une amitié vraie et profonde avec Lui. Conservez jalousement cette amitié dans votre coeur comme saint Tarcisius, prêts à vous engager, à lutter et à donner la vie pour que Jésus parvienne à tous les hommes. Vous aussi, transmettez aux jeunes de votre âge le don de cette amitié, avec joie, avec enthousiasme, sans peur, afin qu'ils puissent sentir que vous connaissez ce Mystère, qu'il est vrai et que vous l'aimez! Chaque fois que vous vous approchez de l'autel, vous avez la chance d’assister au grand geste d'amour de Dieu, qui continue à vouloir se donner à chacun de nous, à être proche de nous, à nous aider, à nous donner la force pour vivre bien. Avec la consécration — vous le savez — ce petit morceau de pain devient Corps du Christ, ce vin devient Sang du Christ. Vous avez la chance de pouvoir vivre de près cet indicible mystère! Vous accomplissez avec amour, avec dévotion et avec fidélité votre tâche de servants d'autel; n'entrez pas dans l'église pour la célébration avec superficialité, mais préparez-vous intérieurement à la Messe! En aidant vos prêtres dans le service de l’autel, vous contribuez à rendre Jésus plus proche, de manière telle que les fidèles puissent le sentir et s’en rendre compte avec plus de force: Il est ici; vous collaborez afin qu'il puisse être plus présent dans le monde, dans la vie de chaque jour, dans l'Eglise et en tout lieu. Chers amis! Vous prêtez à Jésus vos mains, vos pensées, votre temps. Il ne manquera pas de vous récompenser, en vous donnant la vraie joie et en vous faisant sentir où est le bonheur le plus complet. Saint Tarcisius nous a montré que l'amour peut nous conduire jusqu'au don de la vie pour un bien authentique, pour le bien véritable, pour le Seigneur.

A nous probablement, le martyre n'est pas demandé, mais Jésus nous demande la fidélité dans les petites choses, le recueillement intérieur, la participation intérieure, notre foi et l'effort de conserver présent ce trésor dans notre vie de chaque jour. Il nous demande la fidélité dans les tâches quotidiennes, le témoignage de Son amour, en fréquentant l'Eglise par conviction intérieure et pour la joie de sa présence. Ainsi pouvons-nous aussi faire savoir à nos amis que Jésus est vivant. Dans cet engagement, puisse nous aider l’intercession de saint Jean-Marie Vianney, dont c'est aujourd'hui la fête liturgique, de cet humble curé de France, qui a changé une petite communauté et a ainsi donné au monde une lumière nouvelle. Que l'exemple des saints Tarcisius et Jean-Marie Vianney nous pousse chaque jour à aimer Jésus et à accomplir sa volonté, comme l'a fait la Vierge Marie, fidèle à son Fils jusqu'au bout. Merci encore à tous! Que Dieu vous bénisse en ces jours et bon retour dans vos pays!
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Je vous salue avec affection, chers servants d'autel et chers pèlerins. Je viens de parler de saint Tarcisius qui est, comme vous le savez, le patron des enfants de choeur. Suivez son exemple. Le message que je désire vous adresser pourra accompagner votre vie et illuminer votre service. Les apôtres ont été les témoins de Jésus parce qu'ils étaient ses «amis». C'est Lui qui les a choisis. Vous aussi, vous pouvez entrer dans cette amitié! Quand vous participez à la liturgie en servant l'autel, vous offrez à tous un témoignage incomparable d'humilité et de disponibilité. Votre prière, si près de l'autel, vient de la profondeur de votre coeur. Vous êtes très proches de Jésus-Eucharistie. Laissez-vous émerveiller toujours davantage par tant d'amour et tant de proximité! Puissiez-vous, chers servants d'autel, chercher votre vie entière le trésor de cette proximité avec le Seigneur Jésus! Et au sortir de l'église, dites à vos amis combien vous avez été heureux d'être avec le Christ et à son service. Je vous bénis de tout coeur ainsi que les pèlerins francophones présents.





APPEL


Ma pensée va en particulier aux populations frappées, en ce moment, par de graves catastrophes naturelles, qui ont provoqué des pertes de vies humaines, des blessés et des dommages, laissant de nombreuses personnes sans abris. De façon particulière, je pense aux vastes incendies dans la Fédération russe et aux inondations dévastatrices au Pakistan et en Afghanistan. Je prie le Seigneur pour les victimes et j’exprime ma proximité spirituelle à tous ceux qui sont frappés par ces situations de détresse. Pour eux, je demande à Dieu le soulagement de leurs souffrances et le soutien dans leurs difficultés. Je souhaite, en outre, que ne manque pas la solidarité de tous.




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Palais pontifical de Castel Gandolfo

Mercredi 11 août 2010 - Le martyre

Chers frères et soeurs,

Aujourd’hui, dans la liturgie, nous rappelons sainte Claire d’Assise, fondatrice des Clarisses, figure lumineuse dont je parlerai dans l’une des prochaines catéchèses. Mais au cours de cette semaine — comme je l’avais déjà mentionné dans l’Angelus de dimanche dernier — nous rappelons également la mémoire de plusieurs saints martyrs, aussi bien des premiers siècles de l’Eglise, comme saint Laurent, diacre, saint Pontien, Pape, et saint Hippolyte, prêtre; que d’une époque plus proche de nous, comme sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, Edith Stein, patronne de l’Europe, et saint Maximilien Marie Kolbe. Je voudrais donc m’arrêter brièvement sur le martyre, forme d’amour total pour Dieu.

Sur quoi se fonde le martyre? La réponse est simple: sur la mort de Jésus, sur son sacrifice suprême d’amour, consommé sur la Croix afin que nous puissions avoir la vie (cf. Jn 10,10). Le Christ est le serviteur souffrant dont parle le prophète Isaïe (cf. Is 52,13-15), qui s’est donné lui-même en rançon pour une multitude (cf. Mt 20,28). Il exhorte ses disciples, chacun de nous, à prendre chaque jour sa propre croix et à le suivre sur la voie de l’amour total pour Dieu le Père et pour l’humanité: «Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas — nous dit-il — n’est pas digne de moi. Qui veut garder sa vie pour soi la perdra; qui perdra sa vie à cause de moi la gardera» (Mt 10,38-39). C’est la logique du grain de blé qui meurt pour germer et porter la vie (cf. Jn 12,24). Jésus lui-même «est le grain de blé venu de Dieu, le grain de blé divin, qui se laisse tomber sur la terre, qui se laisse ouvrir, briser dans la mort et, précisément à travers cela, il s’ouvre et peut ainsi porter du fruit dans l’immensité du monde» (Benoît XVI, Visite à l’Eglise luthérienne de Rome, 14 mars 2010; cf. ORLF n. 12 du 23 mars 2010). Le martyr suit le Seigneur jusqu’à la fin, en acceptant librement de mourir pour le salut du monde, dans une épreuve suprême de foi et d’amour (cf. Lumen gentium LG 42).

Encore une fois, d’où naît la force pour affronter le martyre? De l’union profonde et intime avec le Christ, car le martyre et la vocation au martyre ne sont pas le résultat d’un effort humain, mais ils sont la réponse à une initiative et à un appel de Dieu, ils sont un don de sa grâce, qui rend capables d’offrir sa propre vie par amour au Christ et à l’Eglise, et ainsi au monde. Si nous lisons les vies des martyrs, nous sommes étonnés par leur sérénité et leur courage en affrontant la souffrance et la mort: la puissance de Dieu se manifeste pleinement dans la faiblesse, dans la pauvreté de celui qui se confie à Lui et ne place qu’en Lui son espérance (cf. 2Co 12,9). Mais il est important de souligner que la grâce de Dieu ne supprime pas et n’étouffe pas la liberté de celui qui affronte le martyre, mais au contraire l’enrichit et l’exalte: le martyr est une personne souverainement libre, libre à l’égard du pouvoir, du monde; une personne libre, qui à travers un acte unique définitif, donne toute sa vie à Dieu, et dans un acte suprême de foi, d’espérance et de charité, s’abandonne entre les mains de son Créateur et Rédempteur; elle sacrifie sa propre vie pour être associée de manière totale au Sacrifice du Christ sur la Croix. En un mot, le martyre est un grand acte d’amour en réponse à l’amour immense de Dieu.

Chers frères et soeurs, comme je le disais mercredi dernier, nous ne sommes probablement pas appelés au martyre, mais aucun de nous n’est exclu de l’appel divin à la sainteté, à vivre le haut degré de l’existence chrétienne et cela implique de se charger chaque jour de la croix. Nous tous, en particulier à notre époque où semblent prévaloir l’égoïsme et l’individualisme, nous devons assumer comme premier engagement fondamental celui de croître chaque jour dans un amour toujours plus grand pour Dieu et nos frères, afin de transformer notre vie et de transformer ainsi également notre monde. Par l’intercession des saints et des martyrs, nous demandons au Seigneur d’enflammer notre coeur pour être capables d’aimer comme Il a aimé chacun de nous.
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Je suis heureux de saluer les pèlerins francophones présents ce matin et plus particulièrement le groupe de l’Ecole normale supérieure de Paris et les pèlerins venus de la République centrafricaine. Cette semaine nous donne de célébrer plusieurs martyrs insignes. Que leurs vies données soient pour chacun un exemple de courage et de foi en réponse à l’immense acte d’amour du Christ sur la croix! Puissiez-vous passer d’excellentes vacances!





Palais pontifical de Castel Gandolfo

Mercredi 18 août 2010 - Saint Pie X

18810

Chers frères et soeurs!

Je voudrais m’arrêter aujourd’hui sur la figure de mon prédécesseur, saint Pie X, dont on célébrera samedi prochain la mémoire liturgique, en soulignant certains de ses traits qui peuvent être utiles également pour les pasteurs et les fidèles de notre époque.

Giuseppe Sarto, tel était son nom, né à Riese (Trévise, Italie) en 1835 dans une famille d’agriculteurs, fut ordonné prêtre à l’âge de 23 ans, après des études au séminaire de Padoue. Il fut d’abord vicaire de Tombolo, ensuite curé à Salzano, puis chanoine de la cathédrale de Trévise avec charge de chancelier épiscopal et de directeur spirituel du séminaire diocésain. Au cours de ces années de riche et généreuse expérience pastorale, le futur Souverain Pontife manifesta un profond amour pour le Christ et son Eglise, ainsi que l’humilité, la simplicité et la grande charité envers les personnes les plus indigentes, qui caractérisèrent toute sa vie. En 1884, il fut nommé évêque de Mantoue et en 1893 patriarche de Venise. Le 4 août 1903, il fut élu Pape, ministère qu’il accepta après quelques hésitations, car il ne se considérait pas à la hauteur d’une charge si élevée.

Le pontificat de saint Pie X a laissé une marque indélébile dans l’histoire de l’Eglise et fut caractérisé par un effort important de réforme, résumé dans la devise Instaurare omnia in Christo, «Renouveler toute chose dans le Christ». En effet, ses interventions bouleversèrent les divers milieux ecclésiaux. Dès le début, il se consacra à la réorganisation de la Curie Romaine; puis il lança les travaux de rédaction du Code de Droit canonique, promulgué par son successeur Benoît XV. Il promut ensuite la révision des études et de l’«iter» de formation des futurs prêtres, en fondant également divers séminaires régionaux, équipés de bibliothèques de qualité, et de professeurs bien préparés. Un autre domaine important fut celui de la formation doctrinale du Peuple de Dieu. Depuis les années où il était curé, il avait rédigé lui-même un catéchisme et au cours de son épiscopat à Mantoue, il avait travaillé afin que l’on parvienne à un catéchisme unique, sinon universel, tout au moins italien. En authentique pasteur, il avait compris que la situation de l’époque, notamment en raison du phénomène de l’émigration, rendait nécessaire un catéchisme auquel chaque fidèle puisse se référer indépendamment du lieu et des circonstances de vie. En tant que Souverain Pontife, il prépara un texte de doctrine chrétienne pour le diocèse de Rome, qui fut diffusé par la suite dans toute l’Italie et le monde. Ce catéchisme appelée «de Pie X» a été pour de nombreuses personnes un guide sûr pour apprendre les vérités de la foi en raison de son langage simple, clair et précis et de sa présentation concrète.

Il consacra une grande attention à la réforme de la Liturgie, en particulier de la musique sacrée, pour conduire les fidèles à une vie de prière plus profonde et à une participation plus pleine aux sacrements. Dans le Motu proprio Parmi les sollicitudes (1903), première année de son pontificat, il affirma que le véritable esprit chrétien a sa source première et indispensable dans la participation active aux sacro-saints mystères et à la prière publique et solennelle de l’Eglise (cf. AAS 36 [1903], 531). C’est pourquoi, il recommanda de s’approcher souvent des sacrements, encourageant la pratique quotidienne de la communion, bien préparés, et anticipant de manière opportune la première communion des enfants vers l’âge de sept ans, «lorsque l’enfant commence à raisonner» (cf. S. Congr. de Sacramentis, Decretum Quam singulari: AAS 2 [1910], 582).

Fidèle à la tâche de confirmer ses frères dans la foi, saint Pie X, face à certaines tendances qui se manifestèrent dans le domaine théologique à la fin du XIXe siècle et aux débuts du XXe siècle, intervint avec décision, condamnant le «Modernisme», pour défendre les fidèles de conceptions erronées et promouvoir un approfondissement scientifique de la Révélation, en harmonie avec la Tradition de l’Eglise. Le 7 mai 1909, avec la Lettre apostolique Vinea electa, il fonda l’Institut pontifical biblique. Les derniers mois de sa vie furent assombris par les grondements de la guerre. L’appel aux catholiques du monde, lancé le 2 août 1914 pour exprimer «la douleur aiguë» de l’heure présente, était le cri de souffrance d’un père qui voit ses fils se dresser l’un contre l’autre. Il mourut peu après, le 20 août, et sa réputation de sainteté commença à se diffuser immédiatement au sein du peuple chrétien.

Chers frères et soeurs, saint Pie X nous enseigne à tous qu’à la base de notre action apostolique, dans les différents domaines dans lesquels nous oeuvrons, doit toujours se trouver une intime union personnelle avec le Christ, à cultiver et à accroître jour après jour. Ceci est le noyau de tout son enseignement, de tout son engagement pastoral. Ce n’est que si nous aimons le Seigneur, que nous serons capables de conduire les hommes à Dieu et de les ouvrir à son amour miséricordieux et ouvrir ainsi le monde à la miséricorde de Dieu.
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Chers pèlerins francophones, je suis heureux de vous accueillir ce matin, ici à Castel Gandolfo! Je salue particulièrement le groupe des Sri-Lankais de Paris et la jeunesse franciscaine de Bitche. Que saint Pie X, dont nous célébrerons la fête cette semaine, vous aide à laisser grandir en vous l’union personnelle avec le Christ pour devenir capables de témoigner parmi vos frères et vos soeurs de l’amour miséricordieux de Dieu. Bon pèlerinage à tous!


Catéchèses Benoît XVI 63