Catéchèses Benoît XVI 41

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Mercredi 23 janvier 2008 - Semaine de Prière pour l’Unité des chrétiens

Chers frères et soeurs,

Nous célébrons la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, qui se conclura vendredi prochain, 25 janvier, fête de la Conversion de l'Apôtre Paul. Les chrétiens des diverses Eglises et Communautés ecclésiales s'unissent au cours de ces journées dans une invocation commune pour demander au Seigneur Jésus le rétablissement de la pleine unité entre tous ses disciples. C'est une imploration unanime faite avec une seule âme et un seul coeur, répondant à l'aspiration du Rédempteur lui-même qui, lors de la Dernière Cène, s'est adressé au Père en ces termes: "Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu'ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m'as envoyé" (Jn 17,20-21). En demandant la grâce de l'unité, les chrétiens s'unissent à la prière même du Christ et s'engagent à oeuvrer activement pour que l'humanité tout entière l'accueille et le reconnaisse comme seul Pasteur et unique Seigneur, et puisse ainsi faire l'expérience de la joie de son amour.

Cette année, la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens prend une valeur et une signification particulières, car elle rappelle les cent ans écoulés depuis ses débuts. Lorsqu'elle fut lancée, ce fut en effet une intuition vraiment féconde. C'était en 1908: un anglican américain, ensuite entré dans la communion de l'Eglise catholique, fondateur de la "Society of the Atonment" (Communauté des frères et des soeurs de l'Atonement), le Père Paul Wattson, avec un autre épiscopalien, le Père Spencer Jones, lança l'idée prophétique d'une octave de prière pour l'unité des chrétiens. L'idée fut accueillie de manière favorable par l'Archevêque de New York et par le Nonce apostolique. L'appel à prier pour l'unité fut ensuite étendu, en 1916, à toute l'Eglise catholique grâce à l'intervention de mon vénéré Prédécesseur le Pape Benoît XV, à travers le Bref Ad perpetuam rei memoriam.L'initiative, qui entre temps avait suscité un grand intérêt, prit pied partout de manière progressive et, avec le temps, elle définit toujours davantage sa propre structure, marquant également une évolution dans son déroulement grâce à l'apport de l'Abbé Couturier (1936). Ensuite, lorsque souffla le vent prophétique du Concile Vatican II, on ressentit encore davantage l'urgence de l'unité. Après l'Assemblée conciliaire, le chemin patient de la recherche de la pleine communion entre tous les chrétiens se poursuivit, un chemin oecuménique qui, d'année en année, a trouvé précisément dans la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens l'un des moments les plus qualifiés et fructueux. Cent ans après le premier appel à prier pour l'unité, cette Semaine de prière est désormais devenue une tradition bien établie, conservant l'esprit et les dates choisies au début par le Père Wattson. Il les avait en effet choisies en raison de leur caractère symbolique. Le calendrier de l'époque prévoyait pour le 18 janvier, la fête de la Chaire de saint Pierre, qui est le fondement solide et la garantie certaine de l'unité du Peuple de Dieu tout entier, alors que le 25 janvier, comme aujourd'hui encore, la liturgie célèbre la fête de la conversion de saint Paul. Alors que nous rendons grâce au Seigneur pour ces cent ans de prière et d'engagement commun entre les nombreux disciples de Jésus, nous rappelons avec reconnaissance le créateur de cette initiative spirituelle providentielle, le Père Wattson et, avec lui, ceux qui l'ont développée et enrichie par leur contribution, la faisant devenir le patrimoine commun de tous les chrétiens.

Je rappelais il y a quelques instants que le Concile Vatican II a consacré une grande attention au thème de l'unité des chrétiens, en particulier avec le Décret sur l'oecuménisme (Unitatis redintegratio ), dans lequel, entre autres, sont soulignés avec force le rôle et l'importance de la prière pour l'unité. La prière, observe le Concile, se trouve au coeur même de tout le chemin oecuménique. "Cette conversion du coeur et cette sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l'unité des chrétiens, doivent être regardées comme l'âme de tout l'oecuménisme" (UR 8). Précisément grâce à cet oecuménisme spirituel - sainteté de la vie, conversion du coeur, prières privées et publiques -, la recherche commune de l'unité a enregistré un grand développement au cours de ces décennies, qui s'est diversifié dans de multiples initiatives: de la connaissance réciproque au contact fraternel entre membres des diverses Eglises et Communautés ecclésiales, de conversations toujours plus amicales à des collaborations dans divers domaines, du dialogue théologique à la recherche de formes concrètes de communion. Ce qui a vivifié et continue à vivifier ce chemin vers la pleine communion entre tous les chrétiens est tout d'abord la prière. "Priez sans cesse" (1Th 5,17) est le thème de la Semaine de cette année; c'est en même temps l'invitation qui ne cesse jamais de retentir dans nos communautés, pour que la prière soit la lumière, la force, l'orientation de nos pas, dans une attitude d'écoute humble et docile de notre Seigneur commun.

En deuxième lieu, le Concile place l'accent sur la prière commune, celle qui est élevée à la fois par des catholiques et d'autres chrétiens vers l'unique Père céleste. Le Décret sur l'oecuménisme affirme à ce propos: "De telles supplications communes sont assurément un moyen efficace de demander la grâce de l'unité" (UR 8). Et cela parce que dans la prière commune, les chrétiens se placent ensemble face au Seigneur et, prenant conscience des contradictions engendrées par la division, manifestent la volonté d'obéir à sa volonté en ayant recours avec confiance à son assistance toute puissante. Le Décret ajoute ensuite que ces prières "constituent une expression authentique des liens par lesquels les catholiques demeurent unis avec les frères séparés (seiuncti)" (ibid.). La prière commune n'est donc pas un acte volontariste ou purement sociologique, mais elle est l'expression de la foi qui unit tous les disciples du Christ. Au cours des années s'est instaurée une collaboration féconde dans ce domaine et, depuis 1968, ce qui était alors le Secrétariat pour l'unité des chrétiens, devenu ensuite le Conseil pontifical pour la Promotion et l'Unité des Chrétiens, et le Conseil oecuménique des Eglises préparent ensemble les documents pour la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, qui sont ensuite diffusés en même temps dans le monde, couvrant des zones que l'on n'aurait jamais pu atteindre en oeuvrant seuls.

Le Décret conciliaire sur l'oecuménisme fait référence à la prière pour l'unité quand, précisément à la fin, il affirme que le Concile est conscient que "ce projet sacré, la réconciliation de tous les chrétiens dans l'unité d'une seule et unique Eglise du Christ, dépasse les forces et les capacités humaines. C'est pourquoi il met entièrement son espoir dans la prière du Christ pour l'Eglise" (UR 24). C'est la conscience de nos limites humaines qui nous pousse à l'abandon confiant entre les mains du Seigneur. A tout bien considérer, le sens profond de cette Semaine de prière est précisément de s'appuyer solidement sur la prière du Christ, qui dans son Eglise continue à prier pour que "tous soient un... pour que le monde croie..." (Jn 17,21). Aujourd'hui nous ressentons profondément le réalisme de ces mots. Le monde souffre en raison de l'absence de Dieu, de l'inaccessibilité de Dieu, il a le désir de connaître le visage de Dieu. Mais comment les hommes d'aujourd'hui pourraient-ils et peuvent-il connaître ce visage de Dieu dans le visage de Jésus Christ si nous les chrétiens sommes divisés, si l'un enseigne contre l'autre, si l'un se dresse contre l'autre? Ce n'est que dans l'unité que nous pouvons réellement montrer à ce monde - qui en a besoin - le visage de Dieu, le visage du Christ. Il est également évident que ce n'est pas avec nos propres stratégies, avec le dialogue et avec tout ce que nous faisons - qui est pourtant si nécessaire - que nous pouvons obtenir cette unité. Ce que nous pouvons obtenir, c'est notre disponibilité et capacité à accueillir cette unité quand le Seigneur nous la donne. Voilà le sens de la prière: ouvrir nos coeurs, créer en nous cette disponibilité qui ouvre la route au Christ. Dans la liturgie de l'Eglise antique, après l'homélie, l'Evêque ou le président de la célébration, le célébrant principal disait: "Conversi ad Dominum". Puis il se levait avec tout le monde et ils se tournaient vers l'Orient. Tous voulaient regarder vers le Christ. Ce n'est que convertis, dans cette conversion vers le Christ, dans ce regard commun vers le Christ, que nous pouvons trouver le don de l'unité.

Nous pouvons dire que c'est la prière pour l'unité des chrétiens qui a animé et accompagné les diverses étapes du mouvement oecuménique, en particulier à partir du Concile Vatican II. Au cours de cette période, l'Eglise catholique est entrée en contact avec les différentes Eglises et Communautés ecclésiales d'Orient et d'Occident à travers diverses formes de dialogue, en affrontant avec chacune les problèmes théologiques et historiques nés au cours des siècles et qui sont restés comme des éléments de division. Le Seigneur a fait en sorte que ces relations amicales améliorent la connaissance réciproque, intensifient la communion en rendant, en même temps, plus claire la perception des problèmes qui restent ouverts et qui fomentent la division. Aujourd'hui, pendant cette Semaine, nous rendons grâce à Dieu qui a soutenu et éclairé le chemin parcouru jusqu'à présent, un chemin fécond que le décret conciliaire sur l'oecuménisme décrivait comme "né sous l'action de la grâce de l'Esprit Saint" et "qui s'amplifie également de jour en jour" (UR 1).

Chers frères et soeurs, nous recueillons l'invitation "à prier sans cesse", que l'Apôtre Paul adressait aux premiers chrétiens de Thessalonique, une communauté qu'il avait lui-même fondée. Et précisément parce qu'il avait su que des désaccords y étaient apparus, il voulut leur recommander d'être patients avec tous, de se garder de rendre le mal pour le mal, en recherchant en revanche toujours le bien entre eux et avec tous, et en restant heureux en toute circonstance, heureux car le Seigneur est proche. Les conseils que saint Paul donnait aux Thessaloniciens peuvent inspirer aujourd'hui aussi le comportement des chrétiens dans le cadre des relations oecuméniques. Il dit en particulier: "Vivez en paix entre vous" et "Priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance" (cf. 1Th 5,13 1Th 5,18). Accueillons nous aussi cette exhortation pressante de l'Apôtre, aussi bien pour rendre grâce au Seigneur des progrès accomplis par le mouvement oecuménique, que pour implorer la pleine unité. Que la Vierge Marie, Mère de l'Eglise, obtienne pour tous les disciples de son divin Fils de pouvoir vivre au plus tôt dans la paix et la charité réciproque, de manière à rendre un témoignage convaincant de réconciliation devant le monde entier, pour rendre accessible le visage de Dieu dans le visage du Christ, qui est le Dieu-avec-nous, le Dieu de la paix et de l'unité.
* * *


Je salue tous les pèlerins francophones, en particulier les jeunes des collèges La Rochefoucauld et Rocroy Saint-Léon de Paris. Suivant les conseils de l’Apôtre Paul, je vous invite à être des artisans d’unité dans l’Église et dans le monde, étant attentifs à tous et priant le Seigneur de nous faire la grâce de l’unité.


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Mercredi 30 janvier 2008 - Saint Augustin nous rappelle que Dieu n'est pas loin de notre raison et de notre vie

Chers amis,

Après la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, nous revenons aujourd'hui sur la grande figure de saint Augustin. Mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II lui a consacré en 1986, c'est-à-dire pour le seizième centenaire de sa conversion, un long document très dense, la Lettre apostolique Augustinum Hipponensem. Le Pape lui-même souhaita qualifier ce texte d'"action de grâce à Dieu pour le don fait à l'Eglise, et pour elle à l'humanité tout entière, avec cette admirable conversion". Je voudrais revenir sur le thème de la conversion lors d'une prochaine Audience. C'est un thème fondamental non seulement pour sa vie personnelle, mais aussi pour la nôtre. Dans l'Evangile de dimanche dernier, le Seigneur a résumé sa prédication par la parole: "Convertissez-vous". En suivant le chemin de saint Augustin, nous pourrions méditer sur ce qu'est cette conversion: c'est une chose définitive, décisive, mais la décision fondamentale doit se développer, doit se réaliser dans toute notre vie.

La catéchèse d'aujourd'hui est en revanche consacrée au thème foi et raison, qui est un thème déterminant, ou mieux, le thème déterminant dans la biographie de saint Augustin. Enfant, il avait appris de sa mère Monique la foi catholique. Mais adolescent il avait abandonné cette foi parce qu'il ne parvenait plus à en voir la caractère raisonnable et il ne voulait pas d'une religion qui ne fût pas aussi pour lui expression de la raison, c'est-à-dire de la vérité. Sa soif de vérité était radicale et elle l'a conduit à s'éloigner de la foi catholique. Mais sa radicalité était telle qu'il ne pouvait pas se contenter de philosophies qui ne seraient pas parvenues à la vérité elle-même, qui ne seraient pas arrivées jusqu'à Dieu. Et à un Dieu qui ne soit pas uniquement une ultime hypothèse cosmologique, mais qui soit le vrai Dieu, le Dieu qui donne la vie et qui entre dans notre vie personnelle. Ainsi, tout l'itinéraire spirituel de saint Augustin constitue un modèle valable encore aujourd'hui dans le rapport entre foi et raison, thème non seulement pour les hommes croyants mais pour tout homme qui recherche la vérité, thème central pour l'équilibre et le destin de tout être humain. Ces deux dimensions, foi et raison, ne doivent pas être séparées ni opposées, mais doivent plutôt toujours aller de pair. Comme l'a écrit Augustin lui-même peu après sa conversion, foi et raison sont "les deux forces qui nous conduisent à la connaissance" (Contra Academicos, III, 20, 43). A cet égard demeurent célèbres à juste titre les deux formules augustiniennes (Sermones, 43, 9) qui expriment cette synthèse cohérente entre foi et raison: crede ut intelligas ("crois pour comprendre") - croire ouvre la route pour franchir la porte de la vérité - mais aussi, et de manière inséparable, intellige ut credas ("comprends pour croire"), scrute la vérité pour pouvoir trouver Dieu et croire.

Les deux affirmations d'Augustin expriment de manière immédiate et concrète ainsi qu'avec une grande profondeur, la synthèse de ce problème, dans lequel l'Eglise catholique voit exprimé son propre chemin. D'un point de vue historique, cette synthèse se forme avant même la venue du Christ, dans la rencontre entre la foi juive et la pensée grecque dans le judaïsme hellénistique. Ensuite au cours de l'histoire, cette synthèse a été reprise et développée par un grand nombre de penseurs chrétiens. L'harmonie entre foi et raison signifie surtout que Dieu n'est pas éloigné: il n'est pas éloigné de notre raison et de notre vie; il est proche de tout être humain, proche de notre coeur et proche de notre raison, si nous nous mettons réellement en chemin.

C'est précisément cette proximité de Dieu avec l'homme qui fut perçue avec une extraordinaire intensité par Augustin. La présence de Dieu en l'homme est profonde et dans le même temps mystérieuse, mais elle peut être reconnue et découverte dans notre propre intimité: ne sors pas - affirme le converti - mais "rentre en toi-même; c'est dans l'homme intérieur qu'habite la vérité; et si tu trouves que la nature est muable, transcende-toi toi-même. Mais rappelle-toi, lorsque tu te transcendes toi-même, que tu transcendes une âme qui raisonne. Tends donc là où s'allume la lumière de la raison" (De vera religione, 39, 72). Précisément comme il le souligne, dans une affirmation très célèbre, au début des Confessiones, son autobiographie spirituelle écrite en louange à Dieu: "Tu nous as faits pour toi et notre coeur est sans repos, tant qu'il ne repose pas en toi" (I, 1, 1).

Etre éloigné de Dieu équivaut alors à être éloigné de soi-même: "En effet - reconnaît Augustin (Confessiones, III, 6, 11) en s'adressant directement à Dieu - tu étais à l'intérieur de moi dans ce que j'ai de plus intime et plus au-dessus de ce que j'ai de plus haut", interior intimo meo et superior summo meo; si bien que - ajoute-t-il dans un autre passage lorsqu'il rappelle l'époque antérieure à sa conversion - "tu étais devant moi; et quant à moi en revanche, je m'étais éloigné de moi-même, et je ne me retrouvais plus; et moins encore te retrouvais-je" (Confessiones, V, 2, 2). C'est précisément parce qu'Augustin a vécu personnellement cet itinéraire intellectuel et spirituel, qu'il a su le rendre dans ses oeuvres de manière immédiate et avec tant de profondeur et de sagesse, reconnaissant dans deux autres passages célèbres des Confessiones (IV, 4, 9 et 14, 22) que l'homme est "une grande énigme" (magna quaestio) et "un grand abîme" (grande profundum), une énigme et un abîme que seul le Christ illumine et sauve. Voilà ce qui est important: un homme qui est éloigné de Dieu est aussi éloigné de lui-même, et il ne peut se retrouver lui-même qu'en rencontrant Dieu. Ainsi il arrive également à lui-même, à son vrai moi, à sa vraie identité.

L'être humain - souligne ensuite Augustin dans De civitate Dei (XII, 27) - est social par nature mais antisocial par vice, et il est sauvé par le Christ, unique médiateur entre Dieu et l'humanité et "voie universelle de la liberté et du salut", comme l'a répété mon prédécesseur Jean-Paul II (Augustinum Hipponensem, 21): hors de cette voie, qui n'a jamais fait défaut au genre humain - affirme encore Augustin dans cette même oeuvre - "personne n'a jamais trouvé la liberté, personne ne la trouve, personne ne la trouvera" (De civitate Dei, X, 32, 2). En tant qu'unique médiateur du salut, le Christ est la tête de l'Eglise et il est uni à elle de façon mystique au point qu'Augustin peut affirmer: "Nous sommes devenus le Christ. En effet, s'il est la tête et nous les membres, l'homme total est lui et nous" (In Iohannis evangelium tractatus, 21, 8).

Peuple de Dieu et maison de Dieu, l'Eglise, dans la vision augustinienne est donc liée étroitement au concept de Corps du Christ, fondée sur la relecture christologique de l'Ancien Testament et sur la vie sacramentelle centrée sur l'Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne son Corps et nous transforme en son Corps. Il est alors fondamental que l'Eglise, Peuple de Dieu au sens christologique et non au sens sociologique, soit véritablement inscrite dans le Christ, qui - affirme Augustin dans une très belle page - "prie pour nous, prie en nous, est prié par nous; prie pour nous comme notre prêtre, prie en nous comme notre chef, est prié par nous comme notre Dieu: nous reconnaissons donc en lui notre voix et en nous la sienne" (Enarrationes in Psalmos, 85, 1).

Dans la conclusion de la Lettre apostolique Agustinum Hipponensem Jean-Paul II a voulu demander au saint lui-même ce qu'il avait à dire aux hommes d'aujourd'hui et il répond tout d'abord avec les paroles qu'Augustin confia dans une lettre dictée peu après sa conversion: "Il me semble que l'on doive reconduire les hommes à l'espérance de trouver la vérité" (Epistulae, 1, 1); cette vérité qui est le Christ lui-même, le Dieu véritable, auquel est adressée l'une des plus belles et des plus célèbres prières des Confessiones (X, 27, 38): "Je t'ai aimée tard, beauté si ancienne, beauté si nouvelle, je t'ai aimée tard. Mais quoi! Tu étais au dedans, moi au dehors de moi-même; et c'est au dehors que je te cherchais; et je poursuivais de ma laideur la beauté de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n'étais pas avec toi; retenu loin de toi par tout ce qui, sans toi, ne serait que néant. Tu m'appelles, et voilà que ton cri force la surdité de mon oreille; ta splendeur rayonne, elle chasse mon aveuglement; ton parfum, je le respire, et voilà que je soupire pour toi; je t'ai goûté, et me voilà dévoré de faim et de soif; tu m'as touché, et je brûle du désir de ta paix".

Voilà, Augustin a rencontré Dieu et tout au long de sa vie, il en a fait l'expérience au point que cette réalité - qui est avant tout la rencontre avec une Personne, Jésus - a changé sa vie, comme elle change celle de tous ceux, femmes et hommes, qui de tous temps ont la grâce de le rencontrer. Prions afin que le Seigneur nous donne cette grâce et nous permette de trouver sa paix.
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Je souhaite la bienvenue aux pèlerins de langue française, et je salue particulièrement les membres de la Congrégation de Saint-Victor et les jeunes. À la suite de saint Augustin, je vous encourage à aimer et à servir toujours davantage l’Église, pour trouver des réponses aux questions des hommes de notre temps. Avec ma Bénédiction apostolique.




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Mercredi des Cendres 6 février 2008 - Le Carême: un temps pour redevenir chrétiens

Chers frères et soeurs,

Aujourd'hui, Mercredi des Cendres, nous reprenons, comme chaque année, le chemin quadragésimal animés par un esprit plus intense de prière et de réflexion, de pénitence et de jeûne. Nous entrons dans un temps liturgique "fort" qui, alors qu'il nous prépare à la célébration de la Pâque - coeur et centre de l'année liturgique et de notre existence tout entière - nous invite, et nous pourrions même dire nous incite, à donner une impulsion plus décidée à notre existence chrétienne. Etant donné que les engagements, les soucis et les préoccupations nous font retomber dans l'habitude, nous exposent au risque d'oublier à quel point l'aventure à laquelle Jésus nous fait participer est extraordinaire, nous avons besoin, chaque jour, de commencer à nouveau notre itinéraire exigeant de vie évangélique, en rentrant en nous-mêmes à travers des pauses restauratrices de l'esprit. Avec l'antique rite de l'imposition des cendres, l'Eglise nous introduit dans le Carême comme dans une grande retraite spirituelle qui dure quarante jours.

Nous entrons donc dans le climat quadragésimal, qui nous aide à redécouvrir le don de la foi reçue avec le Baptême et nous pousse à recevoir le Sacrement de la Réconciliation, en plaçant notre engagement de conversion sous le signe de la miséricorde divine. Aux origines, dans l'Eglise primitive, le Carême était un temps privilégié pour la préparation des catéchumènes aux sacrements du Baptême et de l'Eucharistie, qui étaient célébrés pendant la Veillée pascale. Le Carême était considéré comme le temps du devenir chrétien, qui ne se réalisait pas en un seul moment, mais qui exigeait un long itinéraire de conversion et de renouvellement. Ceux qui étaient déjà baptisés s'unissaient également à cette préparation en se rappelant le souvenir du Sacrement reçu, et en se disposant à une communion renouvelée avec le Christ dans la célébration joyeuse de la Pâque. Ainsi, le Carême possédait, et possède encore, le caractère d'un itinéraire baptismal, au sens où il aide à garder éveillée la conscience que l'être chrétien se réalise toujours comme un nouveau devenir chrétien: ce n'est jamais une histoire terminée qui se trouve derrière nous, mais un chemin qui exige toujours une pratique nouvelle.

En imposant les cendres sur la tête, le célébrant dit: "Rappelle-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière" (cf. Gn 3,19), ou bien il répète l'exhortation de Jésus: "Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle" (cf. Mc 1,15). Ces deux formules constituent un rappel à la vérité de l'existence humaine: nous sommes des créatures limitées; des pécheurs qui ont toujours besoin de pénitence et de conversion. Comme il est important d'écouter et d'accueillir cet appel à notre époque! Lorsqu'il proclame sa totale autonomie de Dieu, l'homme contemporain devient l'esclave de lui-même et il se retrouve souvent dans une solitude désespérée. L'invitation à la conversion est alors un élan à revenir entre les bras de Dieu, Père tendre et miséricordieux, à avoir confiance en Lui, à se remettre à Lui comme des enfants adoptifs, régénérés par son amour. Avec une sage pédagogie, l'Eglise répète que la conversion est tout d'abord une grâce, un don qui ouvre le coeur à l'infinie bonté de Dieu. Il devance lui-même par sa grâce notre désir de conversion et accompagne nos efforts vers la pleine adhésion à sa volonté salvifique. Se convertir signifie alors se laisser conquérir par Jésus (cf. Ph 3,12) et "retourner" avec Lui au Père.

La conversion implique donc de se mettre humblement à l'école de Jésus et de marcher en suivant docilement ses traces. A ce propos, les paroles avec lesquelles Il indique lui-même les conditions pour devenir ses véritables disciples sont éclairantes. Après avoir affirmé que "celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l'Evangile la sauvera", il ajoute "Quel avantage, en effet, un homme a-t-il à gagner le monde entier en le payant de sa vie?" (Mc 8,35-36). La conquête du succès, la soif de prestige et la recherche des facilités, lorsqu'elles envahissent totalement la vie jusqu'à exclure Dieu de son propre horizon, conduisent-elles véritablement au bonheur? Peut-il exister un bonheur authentique en dehors de Dieu? L'expérience démontre que l'on n'est pas heureux parce que l'on répond aux attentes et aux exigences matérielles. En réalité, la seule joie qui comble le coeur humain est celle qui vient de Dieu: nous avons en effet besoin de la joie infinie. Ni les préoccupations quotidiennes ni les difficultés de la vie ne réussissent à éteindre la joie qui naît de l'amitié avec Dieu. L'invitation de Jésus à prendre notre croix et à le suivre peut, dans un premier temps, apparaître dure et contraire à ce que nous voulons, mortifiante pour notre désir de réalisation personnelle. Mais en regardant de plus près nous pouvons découvrir qu'il n'en est pas ainsi: le témoignage des saints démontre que dans la Croix du Christ, dans l'amour qui se donne, en renonçant à la possession de soi-même, se trouve cette profonde sérénité qui est source de généreux dévouement envers nos frères, en particulier les pauvres et les indigents. Et cela nous donne de la joie à nous aussi. Le chemin quadragésimal de conversion, que nous entreprenons aujourd'hui avec toute l'Eglise, devient donc l'occasion propice, "le moment favorable" (cf. 2Co 6,2) pour renouveler notre abandon filial entre les mains de Dieu et pour mettre en pratique ce que Jésus continue à nous répéter: "Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, et qu'il e suive" (Mc 8,34), et qu'il avance ainsi sur la route de l'amour et du bonheur véritable.

Pendant le temps de Carême, l'Eglise, faisant écho à l'Evangile, propose plusieurs tâches spécifiques qui accompagnent les fidèles au cours de cet itinéraire de renouvellement intérieur: la prière, le jeûne et l'aumône. Dans le Message pour le Carême de cette année, publié il y a quelques jours, j'ai voulu m'arrêter "sur la pratique de l'aumône: elle est une manière concrète de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin, et, en même temps, un exercice ascétique pour se libérer de l'attachement aux biens terrestres" (n. 1). Nous savons cependant à quel point l'attrait des richesses matérielles envahit en profondeur la société moderne. En tant que disciples de Jésus Christ nous sommes appelés à ne pas idolâtrer les biens terrestres, mais à les utiliser comme des moyens pour vivre et pour aider les autres qui sont dans le besoin. En nous indiquant la pratique de l'aumône, l'Eglise nous éduque à aller à la rencontre des besoins de notre prochain, à l'imitation de Jésus qui, comme le remarque saint Paul, s'est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (cf. 2Co 8,9). "A son école - ai-je encore écrit dans le Message cité -, nous pouvons apprendre à faire de notre vie un don total; en l'imitant, nous réussissons à devenir disposés, non pas tant à donner quelque chose de ce que nous possédons, qu'à nous donner nous-mêmes". Et j'ai ajouté: "L'Evangile tout entier ne se résume-t-il pas dans l'unique commandement de la charité? La pratique quadragésimale de l'aumône devient donc un moyen pour approfondir notre vocation chrétienne. Quand il s'offre gratuitement lui-même, le chrétien témoigne que c'est l'amour et non la richesse matérielle qui dicte les lois de l'existence" (n. 5).

Chers frères et soeurs, demandons à la Vierge, Mère de Dieu et de l'Eglise, de nous accompagner sur le chemin quadragésimal, pour qu'il soit un chemin de conversion véritable. Laissons-nous guider par Elle et nous parviendrons, intérieurement renouvelés, à la célébration du grand mystère de la Pâque du Christ, révélation suprême de l'amour miséricordieux de Dieu.

Bon Carême à tous!
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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue particulièrement les jeunes et le groupe de l’International Police Association, Avec ma Bénédiction apostolique.

Appel du Pape pour la réconciliation au Tchad



Ces derniers jours, je suis particulièrement proche des chères populations du Tchad, bouleversées par des luttes intestines, qui ont causé de nombreuses victimes, ainsi que la fuite de milliers de civils de la capitale. Je confie également à votre prière et à votre solidarité ces frères et soeurs qui souffrent, en demandant que leur soient épargnées des violences supplémentaires et que leur soit assurée l'assistance humanitaire nécessaire, tandis que j'adresse un appel fervent à déposer les armes et à parcourir la voie du dialogue et de la réconciliation.


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Mercredi 20 février 2008 - La leçon de saint Augustin sur la véritable laïcité

Chers frères et soeurs,

Après la pause des exercices spirituels de la semaine dernière nous revenons aujourd'hui à la grande figure de saint Augustin, duquel j'ai déjà parlé à plusieurs reprises dans les catéchèses du mercredi. C'est le Père de l'Eglise qui a laissé le plus grand nombre d'oeuvres, et c'est de celles-ci que j'entends aujourd'hui brièvement parler. Certains des écrits d'Augustin sont d'une importance capitale, et pas seulement pour l'histoire du christianisme, mais pour la formation de toute la culture occidentale: l'exemple le plus clair sont les Confessiones, sans aucun doute l'un des livres de l'antiquité chrétienne le plus lu aujourd'hui encore. Comme différents Pères de l'Eglise des premiers siècles, mais dans une mesure incomparablement plus vaste, l'Evêque d'Hippone a en effet lui aussi exercé une influence étendue et persistante, comme il ressort déjà de la surabondante traduction manuscrite de ses oeuvres, qui sont vraiment très nombreuses.

Il les passa lui-même en revue quelques années avant de mourir dans les Retractationes et, peu après sa mort, celles-ci furent soigneusement enregistrées dans l'Indiculus ("liste") ajouté par son fidèle ami Possidius à la biographie de saint Augustin Vita Augustini. La liste des oeuvres d'Augustin fut réalisée avec l'intention explicite d'en conserver la mémoire alors que l'invasion vandale se répandait dans toute l'Afrique romaine et elle compte plus de mille trois cents écrits, numérotés par leur auteur, ainsi que d'autres "que l'on ne peut pas numéroter, car il n'y a placé aucun numéro". Evêque d'une ville voisine, Possidius dictait ces paroles précisément à Hippone - où il s'était réfugié et où il avait assisté à la mort de son ami - et il se basait presque certainement sur le catalogue de la bibliothèque personnelle d'Augustin. Aujourd'hui, plus de trois cents lettres ont survécu à l'Evêque d'Hippone et presque six cents homélies, mais à l'origine ces dernières étaient beaucoup plus nombreuses, peut-être même entre trois mille et quatre mille, fruit de quarante années de prédication de l'antique rhéteur qui avait décidé de suivre Jésus et de parler non plus aux grandes cours impériales, mais à la simple population d'Hippone.

Et encore ces dernières années, la découverte d'un groupe de lettres et de plusieurs homélies a enrichi notre connaissance de ce grand Père de l'Eglise. "De nombreux livres - écrit Possidius - furent composés par lui et publiés, de nombreuses prédications furent tenues à l'église, transcrites et corrigées, aussi bien pour réfuter les divers hérétiques que pour interpréter les Saintes Ecritures, en vue de l'édification de saints fils de l'Eglise. Ces oeuvres - souligne son ami Evêque - sont si nombreuses que difficilement un érudit a la possibilité de les lire et d'apprendre à les connaître" (Vita Augustini, 18, 9).

Parmi la production d'Augustin - plus de mille publications subdivisées en écrits philosophiques, apologétiques, doctrinaux, moraux, monastiques, exégétiques, anti-hérétiques, en plus des lettres et des homélies - ressortent plusieurs oeuvres exceptionnelles de grande envergure théologique et philosophique. Il faut tout d'abord rappeler les Confessiones susmentionnées, écrites en treize livres entre 397 et 400 pour louer Dieu. Elles sont une sorte d'autobiographie sous forme d'un dialogue avec Dieu. Ce genre littéraire reflète précisément la vie de saint Augustin, qui était une vie qui n'était pas refermée sur elle, dispersée en tant de choses, mais vécue substantiellement comme un dialogue avec Dieu, et ainsi une vie avec les autres. Le titre Confessiones indique déjà la spécificité de cette autobiographie. Ce mot confessiones, dans le latin chrétien développé par la tradition des Psaumes, possède deux significations, qui toutefois se recoupent. Confessiones indique, en premier lieu, la confession des propres faiblesses, de la misère des péchés; mais, dans le même temps, confessiones signifie louange de Dieu, reconnaissance à Dieu. Voir sa propre misère à la lumière de Dieu devient louange à Dieu et action de grâce, car Dieu nous aime et nous accepte, nous transforme et nous élève vers lui-même. Sur ces Confessiones qui eurent un grand succès déjà pendant la vie de saint Augustin, il a lui-même écrit: "Elles ont exercé sur moi une profonde action alors que je les écrivais et elles l'exercent encore quand je les relis. Il y a de nombreux frères à qui ces oeuvres plaisent" (Retractationes, II, 6): et je dois dire que je suis moi aussi l'un de ces "frères". Et grâce aux Confessiones nous pouvons suivre pas à pas le chemin intérieur de cet homme extraordinaire et passionné de Dieu. Moins connues, mais tout aussi importantes et originales sont les Retractationes, composées en deux livres autour de 427, dans lesquelles saint Augustin, désormais âgé, accomplit une oeuvre de "révision" (retractatio) de toute son oeuvre écrite, laissant ainsi un document littéraire original et précieux, mais également un enseignement de sincérité et d'humilité intellectuelle.
Le De civitate Dei - une oeuvre imposante et décisive pour le développement de la pensée politique occidentale et pour la théologie chrétienne de l'histoire - fut écrit entre 413 et 426 en vingt-deux livres. L'occasion était le sac de Rome accompli par les Goths en 410. De nombreux païens encore vivants, mais également de nombreux chrétiens, avaient dit: Rome est tombée, à présent le Dieu chrétien et les apôtres ne peuvent pas protéger la ville. Pendant la présence des divinités païennes, Rome était caput mundi, la grande capitale, et personne ne pouvait penser qu'elle serait tombée entre les mains des ennemis. A présent, avec le Dieu chrétien, cette grande ville n'apparaissait plus sûre. Le Dieu des chrétiens ne protégeait donc pas, il ne pouvait pas être le Dieu auquel se confier. A cette objection, qui touchait aussi profondément le coeur des chrétiens, saint Augustin répond par cette oeuvre grandiose, le De civitate Dei, en clarifiant ce que nous devons attendre ou pas de Dieu, quelle est la relation entre le domaine politique et le domaine de la foi, de l'Eglise. Aujourd'hui aussi, ce livre est une source pour bien définir la véritable laïcité et la compétence de l'Eglise, la grande véritable espérance que nous donne la foi.

Ce grand livre est une présentation de l'histoire de l'humanité gouvernée par la Providence divine, mais actuellement divisée par deux amours. Et cela est le dessein fondamental, son interprétation de l'histoire, qui est la lutte entre deux amours: amour de soi "jusqu'à l'indifférence pour Dieu", et amour de Dieu "jusqu'à l'indifférence pour soi" (De civitate Dei, XIV, 28), à la pleine liberté de soi pour les autres dans la lumière de Dieu. Cela, donc, est peut-être le plus grand livre de saint Augustin, d'une importance qui dure jusqu'à aujourd'hui. Tout aussi important est le De Trinitate, une oeuvre en quinze livres sur le noyau principal de la foi chrétienne, écrite en deux temps: entre 399 et 412 pour les douze premiers livres, publiés à l'insu d'Augustin, qui vers 420 les compléta et revit l'oeuvre tout entière. Il réfléchit ici sur le visage de Dieu et cherche à comprendre ce mystère du Dieu qui est unique, l'unique créateur du monde, de nous tous, et toutefois, précisément ce Dieu unique est trinitaire, un cercle d'amour. Il cherche à comprendre le mystère insondable: précisément l'être trinitaire, en trois Personnes, est la plus réelle et la plus profonde unité de l'unique Dieu. Le De doctrina Christiana est, en revanche, une véritable introduction culturelle à l'interprétation de la Bible et en définitive au christianisme lui-même, qui a eu une importance décisive dans la formation de la culture occidentale.

Malgré toute son humilité, Augustin fut certainement conscient de son envergure intellectuelle. Mais pour lui, il était plus important d'apporter le message chrétien aux simples, plutôt que de faire des oeuvres de grande envergure théologique. Cette profonde intention, qui a guidé toute sa vie, ressort d'une lettre écrite à son collège Evodius, où il communique la décision de suspendre pour le moment la dictée des livres du De Trinitate, "car ils sont trop difficiles et je pense qu'ils ne pourront être compris que par un petit nombre; c'est pourquoi il est plus urgent d'avoir des textes qui, nous l'espérons, seront utiles à un grand nombre" (Epistulae, 169, 1, 1). Il était donc plus utile pour lui de communiquer la foi de manière compréhensible à tous, plutôt que d'écrire de grandes oeuvres théologiques. La responsabilité perçue avec acuité à l'égard de la divulgation du message chrétien est ensuite à l'origine d'écrits tels que le De catechizandis rudibus, une théorie et également une pratique de la catéchèse, ou le Psalmus contra partem Donati. Les donatistes étaient le grand problème de l'Afrique de saint Augustin, un schisme volontairement africain. Ils affirmaient: la véritable chrétienté est africaine. Ils s'opposaient à l'unité de l'Eglise. Le grand Evêque a lutté contre ce schisme pendant toute sa vie, cherchant à convaincre les donatistes que ce n'est que dans l'unité que l'africanité peut également être vraie. Et pour se faire comprendre des gens simples, qui ne pouvaient pas comprendre le grand latin du rhéteur, il a dit: je dois aussi écrire avec des fautes de grammaire, dans un latin très simplifié. Et il l'a fait surtout dans ce Psalmus, une sorte de poésie simple contre les donatistes, pour aider tous les gens à comprendre que ce n'est que dans l'unité de l'Eglise que se réalise réellement pour tous notre relation avec Dieu et que grandit la paix dans le monde.

Dans cette production, destinée à un plus vaste public, revêt une importance particulière le grand nombre des homélies souvent prononcées de manière improvisée, transcrites par les tachygraphes au cours de la prédication et immédiatement mises en circulation. Parmi celles-ci, ressortent les très belles Enarrationes in Psalmos, fréquemment lues au moyen-âge. C'est précisément la pratique de la publication des milliers d'homélies d'Augustin - souvent sans le contrôle de l'auteur - qui explique leur diffusion et leur dispersion successive, mais également leur vitalité. En effet, en raison de la renommée de leur auteur, les prédications de l'Evêque d'Hippone devinrent immédiatement des textes très recherchés et servirent de modèles, adaptés à des contextes toujours nouveaux.

La tradition iconographique, déjà visible dans une fresque du Latran remontant au VI siècle, représente saint Augustin avec un livre à la main, certainement pour exprimer sa production littéraire, qui influença tant la mentalité et la pensée des chrétiens, mais aussi pour exprimer également son grand amour pour les livres, pour la lecture et la connaissance de la grande culture précédente. A sa mort il ne laissa rien, raconte Possidius, mais "il recommandait toujours de conserver diligemment pour la postérité la bibliothèque de l'église avec tous les codex", en particulier ceux de ses oeuvres. Dans celles-ci, souligne Possidius, Augustin est "toujours vivant" et ses écrits sont bénéfiques à ceux qui les lisent, même si, conclut-il, "je crois que ceux qui purent le voir et l'écouter quand il parlait en personne à l'église, ont pu davantage tirer profit de son contact, et surtout ceux qui parmi les fidèles partagèrent sa vie quotidienne" (Vita Augustini, 31). Oui, il aurait été beau pour nous aussi de pouvoir l'entendre vivant. Mais il est réellement vivant dans ses écrits, il est présent en nous et ainsi nous voyons aussi la vitalité permanente de la foi pour laquelle il a donné toute sa vie.
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Je salue les pèlerins francophones, en particulier les nombreux jeunes des écoles, collèges et lycées de France, notamment ceux de Fénelon Sainte-Marie et de Gerson. Je vous encourage à fréquenter saint Augustin, afin qu'il vous ouvre à l'intelligence des Ecritures et qu'il fortifie votre attachement au Christ. Avec ma Bénédiction apostolique.



Catéchèses Benoît XVI 41