Catéchèses Benoît XVI 45

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Mercredi 27 février 2008 - Les trois étapes de la conversion de saint Augustin, un modèle pour chaque être humain

Chers frères et soeurs,

Avec la rencontre d'aujourd'hui je voudrais conclure la présentation de la figure de saint Augustin. Après nous être arrêtés sur sa vie, sur ses oeuvres et plusieurs aspects de sa pensée, je voudrais revenir aujourd'hui sur son itinéraire intérieur, qui en a fait l'un des plus grands convertis de l'histoire chrétienne. J'ai consacré une réflexion à cette expérience particulière au cours du pèlerinage que j'ai accompli à Pavie l'année dernière pour vénérer la dépouille mortelle de ce Père de l'Eglise. De cette façon, j'ai voulu lui exprimer l'hommage de toute l'Eglise catholique, mais également rendre visible ma dévotion personnelle et ma reconnaissance à l'égard d'une figure à laquelle je me sens profondément lié, en raison du rôle qu'elle a joué dans ma vie de théologien, de prêtre et de pasteur.

Aujourd'hui encore, il est possible de reparcourir la vie de saint Augustin en particulier grâce aux Confessiones, écrites en louange à Dieu, et qui sont à l'origine de l'une des formes littéraires les plus spécifiques de l'Occident, l'autobiographie, c'est-à-dire l'expression personnelle de la conscience de soi. Eh bien, quiconque approche ce livre extraordinaire et fascinant, beaucoup lu aujourd'hui encore, s'aperçoit facilement que la conversion d'Augustin n'a pas eu lieu à l'improviste et n'a pas été pleinement réalisée dès le début, mais que l'on peut plutôt la définir comme un véritable et propre chemin, qui reste un modèle pour chacun de nous. Cet itinéraire atteint bien sûr son sommet avec la conversion et ensuite avec le baptême, mais il ne se conclut pas lors de cette veillée pascale de l'année 387, lorsqu'à Milan le rhéteur africain fut baptisé par l'Evêque Ambroise. Le chemin de conversion d'Augustin continua en effet humblement jusqu'à la fin de sa vie, si bien que l'on peut vraiment dire que ses différentes étapes - on peut facilement en distinguer trois - sont une unique grande conversion.

Saint Augustin a été un chercheur passionné de la vérité: il l'a été dès le début et ensuite pendant toute sa vie. La première étape de son chemin de conversion s'est précisément réalisée dans l'approche progressive du christianisme. En réalité, il avait reçu de sa mère Monique, à laquelle il resta toujours très lié, une éducation chrétienne et, bien qu'il ait vécu pendant ses années de jeunesse une vie dissipée, il ressentit toujours une profonde attraction pour le Christ, ayant bu l'amour pour le nom du Seigneur avec le lait maternel, comme il le souligne lui-même (cf. Confessiones, III, 4, 8). Mais la philosophie également, en particulier d'inspiration platonicienne, avait également contribué à le rapprocher ultérieurement du Christ en lui manifestant l'existence du Logos, la raison créatrice. Les livres des philosophes lui indiquaient qu'il y d'abord la raison, dont vient ensuite tout le monde, mais ils ne lui disaient pas comment rejoindre ce Logos, qui semblait si loin. Seule la lecture des lettres de saint Paul, dans la foi de l'Eglise catholique, lui révéla pleinement la vérité. Cette expérience fut synthétisée par Augustin dans l'une des pages les plus célèbres de ses Confessiones: il raconte que, dans le tourment de ses réflexions, s'étant retiré dans un jardin, il entendit à l'improviste une voix d'enfant qui répétait une cantilène, jamais entendue auparavant: tolle, lege, tolle, lege, "prends, lis, prends, lis" (VII, 12, 29). Il se rappela alors de la conversion d'Antoine, père du monachisme, et avec attention il revint au codex de Paul qu'il tenait quelques instants auparavant entre les mains, il l'ouvrit et son regard tomba sur la lettre aux Romains, où l'Apôtre exhorte à abandonner les oeuvres de la chair et à se revêtir du Christ (13, 13-14). Il avait compris que cette parole, à ce moment, lui était personnellement adressée, provenait de Dieu à travers l'Apôtre et lui indiquait ce qu'il fallait faire à ce moment. Il sentit ainsi se dissiper les ténèbres du doute et il se retrouva finalement libre de se donner entièrement au Christ: "Tu avais converti mon être à toi", commente-t-il (Confessiones, VIII, 12, 30). Ce fut la première conversion décisive.

Le rhéteur africain arriva à cette étape fondamentale de son long chemin grâce à sa passion pour l'homme et pour la vérité, passion qui le mena à chercher Dieu, grand et inaccessible. La foi en Christ lui fit comprendre que le Dieu, apparemment si lointain, en réalité ne l'était pas. En effet, il s'était fait proche de nous, devenant l'un de nous. C'est dans ce sens que la foi en Christ a porté à son accomplissement la longue recherche d'Augustin sur le chemin de la vérité. Seul un Dieu qui s'est fait "tangible", l'un de nous, était finalement un Dieu que l'on pouvait prier, pour lequel et avec lequel on pouvait vivre. Il s'agit d'une voie à parcourir avec courage et en même temps avec humilité, en étant ouvert à une purification permanente dont chacun de nous a toujours besoin. Mais avec cette Veillée pascale de 387, comme nous l'avons dit, le chemin d'Augustin n'était pas conclu. De retour en Afrique et ayant fondé un petit monastère, il s'y retira avec quelques amis pour se consacrer à la vie contemplative et à l'étude. C'était le rêve de sa vie. A présent, il était appelé à vivre totalement pour la vérité, avec la vérité, dans l'amitié du Christ qui est la vérité. Un beau rêve qui dura trois ans, jusqu'à ce qu'il soit, malgré lui, consacré prêtre à Hippone et destiné à servir les fidèles, en continuant certes à vivre avec le Christ et pour le Christ, mais au service de tous. Cela lui était très difficile, mais il comprit dès le début que ce n'est qu'en vivant pour les autres, et pas seulement pour sa contemplation privée, qu'il pouvait réellement vivre avec le Christ et pour le Christ. Ainsi, renonçant à une vie uniquement de méditation, Augustin apprit, souvent avec difficulté, à mettre à disposition le fruit de son intelligence au bénéfice des autres. Il apprit à communiquer sa foi aux personnes simples et à vivre ainsi pour elles, dans ce qui devint sa ville, accomplissant sans se lasser une activité généreuse et difficile, qu'il décrit ainsi dans l'un de ses très beaux sermons: "Sans cesse prêcher, discuter, reprendre, édifier, être à la disposition de tous - c'est une lourde charge, un grand poids, une immense fatigue" (Serm. 339, 4). Mais il prit ce poids sur lui, comprenant que précisément ainsi il pouvait être plus proche du Christ. Comprendre que l'on arrive aux autres avec simplicité et humilité, telle fut sa véritable deuxième conversion.

Mais il y a une dernière étape du chemin d'Augustin, une troisième conversion: celle qui le mena chaque jour de sa vie à demander pardon à Dieu. Il avait tout d'abord pensé qu'une fois baptisé, dans la vie de communion avec le Christ, dans les Sacrements, dans la célébration de l'Eucharistie, il serait arrivé à la vie proposée par le Discours sur la montagne: à la perfection donnée dans le baptême et reconfirmée dans l'Eucharistie. Dans la dernière partie de sa vie, il comprit que ce qu'il avait dit dans ses premières prédications sur le Discours de la montagne - c'est-à-dire ce que nous à présent, en tant que chrétiens, nous vivons constamment cet idéal - était erroné. Seul le Christ lui-même réalise vraiment et complètement le Discours de la montagne. Nous avons toujours besoin d'être lavés par le Christ, qu'il nous lave les pieds et qu'il nous renouvelle. Nous avons besoin d'une conversion permanente. Jusqu'à la fin nous avons besoin de cette humilité qui reconnaît que nous sommes des pécheurs en chemin, jusqu'à ce que le Seigneur nous donne la main définitivement et nous introduise dans la vie éternelle. Augustin est mort dans cette dernière attitude d'humilité, vécue jour après jour.

Cette attitude de profonde humilité devant l'unique Seigneur Jésus le conduisit à l'expérience de l'humilité également intellectuelle. En effet, au cours des dernières années de sa vie, Augustin, qui est l'une des plus grandes figures de l'histoire de la pensée, voulut soumettre à un examen critique clairvoyant toutes ses très nombreuses oeuvres. C'est ainsi que sont nées les Retractationes ("révisions"), qui insèrent de cette façon sa pensée théologique, vraiment grande, dans la foi humble et sainte de celle qu'il appelle simplement par le nom de Catholica, c'est-à-dire l'Eglise. "J'ai compris - écrit-il précisément dans ce livre très original (I, 19, 1-3) - qu'une seule personne est véritablement parfaite et que les paroles du Discours de la montagne ne se sont totalement réalisées que dans une seule personne: en Jésus Christ lui-même. En revanche, toute l'Eglise - nous tous, y compris les apôtres - doit prier chaque jour: pardonne nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés".

Converti au Christ, qui est vérité et amour, Augustin l'a suivi pendant toute sa vie et il est devenu un modèle pour chaque être humain, pour nous tous, à la recherche de Dieu. C'est pourquoi j'ai voulu conclure mon pèlerinage à Pavie en remettant idéalement à l'Eglise et au monde, devant la tombe de ce grand amoureux de Dieu, ma première Encyclique, intitulée Deus caritas est. Celle-ci doit en effet beaucoup à la pensée de saint Augustin, en particulier dans sa première partie. Aujourd'hui aussi, comme à son époque, l'humanité a besoin de connaître et surtout de vivre cette réalité fondamentale: Dieu est amour et la rencontre avec lui est la seule réponse aux inquiétudes du coeur humain. Un coeur qui est habité par l'espérance, peut-être encore obscure et inconsciente chez beaucoup de nos contemporains, mais qui, pour nous chrétiens, nous ouvre déjà à l'avenir, à tel point que saint Paul a écrit que: "Nous avons été sauvés, mais c'est en espérance" (Rm 8,24). J'ai voulu consacrer ma deuxième Encyclique, Spe salvi, à l'espérance; elle doit elle aussi beaucoup à Augustin et à sa rencontre avec Dieu.

Dans un très beau texte, saint Augustin définit la prière comme l'expression du désir et il affirme que Dieu répond en élargissant notre coeur vers Lui. Quant à nous, nous devons purifier nos désirs et nos espérances pour accueillir la douceur de Dieu (cf. In Ioannis, 4, 6). En effet, celle-ci est la seule qui nous sauve, en nous ouvrant également aux autres. Prions donc pour que dans notre vie il nous soit donné chaque jour de suivre l'exemple de ce grand converti, en rencontrant comme lui à chaque moment de notre vie le Seigneur Jésus, l'unique qui nous sauve, qui nous purifie et nous donne la vraie joie, la vraie vie.
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Salle Paul VI

Je suis heureux d'accueillir ce matin les pèlerins francophones. Je salue particulièrement les prêtres et les séminaristes de Chambéry, accompagnés de l'Archevêque, Mgr Laurent Ulrich, ainsi que les novices de la Congrégation Saint-Jean et les jeunes. Suivant l'exemple de saint Augustin, soyez toujours des chercheurs de la vérité, en allant avec confiance à la rencontre du Seigneur Jésus, l'unique sauveur. Que Dieu vous bénisse!

Basilique Vaticane

Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents dans cette basilique. Que votre pèlerinage au tombeau de l'Apôtre Pierre soit pour vous l'occasion de mieux découvrir que Dieu est amour et que sa rencontre constitue la seule réponse aux inquiétudes du coeur humain. Par l'intercession de la Vierge Marie, que Dieu vous bénisse ainsi que vos familles et toutes les personnes qui vous sont proches!




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Mercredi 5 mars 2008 - Saint Léon le Grand

Chers frères et soeurs,

En poursuivant notre chemin parmi les Pères de l'Eglise, véritables astres qui brillent de loin, nous abordons pendant notre rencontre d'aujourd'hui la figure d'un Pape qui, en 1754, fut proclamé Docteur de l'Eglise par Benoît XIV: il s'agit de saint Léon le Grand. Comme l'indique l'épithète que la tradition lui attribua très tôt, il fut véritablement l'un des plus grands Papes qui aient honoré le Siège romain, contribuant largement à en renforcer l'autorité et le prestige. Premier Evêque de Rome à porter le nom de Léon, adopté ensuite par douze autres Souverains Pontifes, il est également le premier Pape dont nous soit parvenue la prédication qu'il adressait au peuple qui se rassemblait autour de lui pendant les célébrations. Il est naturel de penser également à lui dans le contexte des actuelles Audiences générales du mercredi, des rendez-vous qui pendant les dernières décennies sont devenus pour l'Evêque de Rome une forme habituelle de rencontre avec les fidèles et avec de nombreux visiteurs de toutes les parties du monde.

Léon était originaire de la région italienne de la Tuscia. Il devint diacre de l'Eglise de Rome autour de l'an 430 et, avec le temps, il acquit au sein de celle-ci une position de grande importance. Ce rôle de premier plan poussa Galla Placidia, qui à cette époque dirigeait l'Empire d'Occident, à l'envoyer en Gaule en 440 pour résoudre une situation difficile. Mais au cours de l'été de cette année, le Pape Sixte III - dont le nom est lié aux magnifiques mosaïques de Sainte-Marie-Majeure - mourut, et ce fut précisément Léon qui lui succéda, recevant la nouvelle alors qu'il accomplissait justement sa mission de paix en Gaule. De retour à Rome, le nouveau Pape fut consacré le 29 septembre 440. C'est ainsi que commença son pontificat, qui dura plus de vingt-et-un an, et qui a été sans aucun doute l'un des plus importants de l'histoire de l'Eglise. A sa mort, le 10 novembre 461, le Pape fut enterré auprès de la tombe de saint Pierre. Ses reliques sont conservées aujourd'hui encore dans l'un des autels de la Basilique vaticane.

Le Pape Léon vécut à une époque très difficile: la répétition des invasions barbares, le progressif affaiblissement en Occident de l'autorité impériale et une longue crise sociale avaient imposé à l'Evêque de Rome - comme cela devait se produire de manière encore plus forte un siècle et demi plus tard pendant le pontificat de Grégoire le Grand - d'assumer un rôle important également dans les événements civils et politiques. Cela ne manqua pas, bien évidemment, d'accroître l'importance et le prestige du Siège romain. Un épisode de la vie de Léon est en particulier resté célèbre. Il remonte à 452, lorsque le Pape rencontra à Mantoue, avec une délégation romaine, Attila, chef des Huns, et le dissuada de poursuivre la guerre d'invasion par laquelle il avait déjà dévasté les régions du nord-est de l'Italie. Et ainsi sauva-t-il le reste de la péninsule. Cet événement important devint vite mémorable, et il demeure comme le signe emblématique de l'action de paix accomplie par le Pontife. Trois ans plus tard, l'issue d'une autre initiative papale, signe d'un courage qui nous stupéfie encore, ne fut malheureusement pas aussi positive: en effet, au printemps 455 Léon ne réussit pas à empêcher que les Vandales de Genséric, arrivés aux portes de Rome, envahissent la ville sans défense, qui fut mise à sac pendant deux semaines. Toutefois, le geste du Pape - qui, sans défense et uniquement entouré de son clergé, alla à la rencontre de l'envahisseur pour le conjurer de s'arrêter - empêcha au moins que Rome ne soit incendiée et obtint que le terrible sac épargnât les Basiliques Saint-Pierre, Saint-Paul et Saint-Jean, dans lesquelles une partie de la population terrorisée se réfugia.

Nous connaissons bien l'action du Pape Léon, grâce à ses très beaux sermons - nous en conservons près de cent dans un latin splendide et clair - et grâce à ses lettres, environ cent cinquante. Dans ces textes, le Pape apparaît dans toute sa grandeur, tourné vers le service de la vérité dans la charité, à travers un exercice assidu de la parole, qui le montre dans le même temps théologien et pasteur. Léon le Grand, constamment attentif à ses fidèles et au peuple de Rome, mais également à la communion entre les différentes Eglises et à leurs nécessités, fut le défenseur et le promoteur inlassable du primat romain, se présentant comme l'authentique héritier de l'Apôtre Pierre: les nombreux Evêques, en grande partie orientaux, réunis au Concile de Chalcédoine se montrèrent bien conscients de cela.

Se déroulant en 451, avec la participation de trois cent cinquante Evêques, ce Concile fut la plus importante assemblée célébrée jusqu'alors dans l'histoire de l'Eglise. Chalcédoine représente le point d'arrivée sûr de la christologie des trois Conciles oecuméniques précédents: celui de Nicée de 325, celui de Constantinople de 381 et celui d'Ephèse de 431. Au VI siècle, ces quatre Conciles, qui résument la foi de l'Eglise des premiers siècles, furent en effet déjà comparés aux quatre Evangiles: c'est ce qu'affirme Grégoire le Grand dans une lettre célèbre (I, 24), dans laquelle il déclare "accueillir et vénérer, comme les quatre livres du saint Evangile, les quatre Conciles", car c'est sur eux - explique encore Grégoire - "comme sur une pierre carrée que s'élève la structure de la sainte foi". Le Concile de Chalcédoine - repoussant l'hérésie d'Eutichios, qui niait la véritable nature humaine du Fils de Dieu - affirma l'union dans son unique Personne, sans confusion ni séparation, des deux natures humaine et divine.

Cette foi en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, était affirmée par le Pape dans un important texte doctrinal adressé à l'Evêque de Constantinople, qui s'intitule Tome à Flavien, qui, lu à Chalcédoine, fut accueilli par les Evêques présents avec une acclamation éloquente, dont la description est conservée dans les actes du Concile: "Pierre a parlé par la bouche de Léon", s'exclamèrent d'une seule voix les Pères conciliaires. C'est en particulier de cette intervention, ainsi que d'autres effectuées au cours de la controverse christologique de ces années-là, qu'il ressort de manière évidente que le Pape ressentait avec une urgence particulière la responsabilité du Successeur de Pierre, dont le rôle est unique dans l'Eglise, car "à un seul apôtre est confié ce qui est communiqué à tous les apôtres", comme affirme Léon dans l'un de ses sermons pour la fête des saints Pierre et Paul (83, 2). Et le Pape sut exercer ces responsabilités, en Occident comme en Orient, en intervenant en diverses circonstances avec prudence, fermeté et lucidité à travers ses écrits et au moyen de ses légats. Il montrait de cette manière que l'exercice du primat romain était alors nécessaire, comme il l'est aujourd'hui, pour servir efficacement la communion, caractéristique de l'unique Eglise du Christ.

Conscient du moment historique dans lequel il vivait et du passage qui se produisait - à une période de crise profonde - entre la Rome païenne et la Rome chrétienne, Léon le Grand sut être proche du peuple et des fidèles à travers l'action pastorale et la prédication. Il anima la charité dans une Rome éprouvée par les famines, l'afflux des réfugiés, les injustices et la pauvreté. Il fit obstacle aux superstitions païennes et à l'action des groupes manichéens. Il relia la liturgie à la vie quotidienne des chrétiens: en unissant par exemple la pratique du jeûne à la charité et à l'aumône, en particulier à l'occasion des Quattro tempora, qui marquent pendant le cours de l'année le changement des saisons. Léon le Grand enseigna en particulier à ses fidèles - et aujourd'hui encore ses paroles restent valables pour nous - que la liturgie chrétienne n'est pas le souvenir d'événements passés, mais l'actualisation de réalités invisibles qui agissent dans la vie de chacun. C'est ce qu'il souligne dans un sermon (64, 1-2) à propos de la Pâque, à célébrer à chaque époque de l'année "pas tant comme quelque chose du passé, mais plutôt comme un événement du présent". Tout cela s'inscrit dans un projet précis, insiste le saint Pontife: en effet, de même que le Créateur a animé par le souffle de la vie rationnelle l'homme façonné avec la boue de la terre, après le péché originel, il a envoyé son Fils dans le monde pour restituer à l'homme la dignité perdue et détruire la domination du diable, à travers la vie nouvelle de la grâce.

Tel est le mystère christologique auquel saint Léon le Grand, avec sa lettre au Concile d'Ephèse, a apporté une contribution efficace et essentielle, confirmant pour tous les temps - par l'intermédiaire de ce Concile - ce que dit saint Pierre à Césarée de Philippe. Avec Pierre et comme Pierre, il confesse: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". Il est donc Dieu et Homme à la fois, "il n'est pas étranger au genre humain, mais étranger au péché" (cf. Serm. 64). Dans la force de cette foi christologique, il fut un grand porteur de paix et d'amour. Il nous montre ainsi le chemin: dans la foi nous apprenons la charité. Nous apprenons donc avec saint Léon le Grand à croire dans le Christ, vrai Dieu et vrai Homme, et à réaliser cette foi chaque jour dans l'action pour la paix et dans l'amour pour le prochain.
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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones, particulièrement des séminaristes de Versailles avec leur Évêque, Monseigneur Éric Aumonier, et le groupe de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Puissiez-vous professer la même foi que saint Léon dans le mystère de l’Incarnation et y trouver la joie profonde. Avec ma Bénédiction apostolique.


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Mercredi 12 mars 2008 - Boèce et Cassiodore

Chers frères et soeurs,

Je voudrais parler aujourd'hui de deux auteurs ecclésiastiques, Boèce et Cassiodore, qui vécurent pendant les années les plus tourmentées de l'Occident chrétien et, en particulier, de la péninsule italienne. Odoacre, roi des Erules, une ethnie germanique, s'était rebellé, mettant un terme à l'empire romain d'Occident (476), mais avait dû rapidement succomber aux Ostrogoths de Théodoric, qui pendant plusieurs décennies s'assurèrent du contrôle de la péninsule italienne. Boèce, né à Rome vers 480 dans la noble famille des Anicii, entra encore jeune dans la vie publique, obtenant déjà la charge de sénateur à l'âge de vingt-cinq ans. Fidèle à la tradition de sa famille, il s'engagea dans la politique, convaincu qu'il était possible d'harmoniser les lignes directrices de la société romaine avec les valeurs des nouveaux peuples. Et à cette nouvelle époque de la rencontre des cultures, il considéra comme sa mission de réconcilier et de mettre ensemble ces deux cultures, la culture romaine classique et la culture naissante du peuple ostrogoth. Il fut très actif en politique, également sous Théodoric, qui les premiers temps l'estima beaucoup. Malgré cette activité publique, Boèce ne négligea pas ses études, se consacrant en particulier à l'approfondissement de thèmes d'ordre philosophique et religieux. Mais il écrivit également des manuels d'arithmétique, de géométrie, de musique, d'astronomie: le tout avec l'intention de transmettre aux nouvelles générations, aux nouveaux temps, la grande culture gréco-romaine. Dans ce cadre, c'est-à-dire dans l'engagement pour promouvoir la rencontre des cultures, il utilisa les catégories de la philosophie grecque pour proposer la foi chrétienne, ici aussi à la recherche d'une synthèse entre le patrimoine hellénistique-romain et le message évangélique. C'est précisément pour cela que Boèce a été présenté comme le dernier représentant de la culture romaine antique et le premier des intellectuels du Moyen-âge.

Son oeuvre certainement la plus célèbre est le De consolatione philosophiae, qu'il rédigea en prison pour donner un sens à sa détention injuste. En effet, il avait été accusé de complot contre le roi Théodoric pour avoir pris la défense d'un ami, le sénateur Albin, lors de son jugement. Mais cela était un prétexte: en réalité Théodoric, arien et barbare, soupçonnait Boèce d'éprouver de la sympathie pour l'empereur byzantin Justinien. De fait, jugé et condamné à mort, il fut exécuté le 23 octobre 524, à 44 ans seulement. Précisément en raison de cette fin dramatique, il peut parler à partir de sa propre expérience à l'homme d'aujourd'hui également, et surtout aux très nombreuses personnes qui subissent le même sort à cause de l'injustice présente dans de nombreux domaines de la "justice humaine". Dans cette oeuvre, alors qu'il est en prison il recherche le réconfort, il recherche la lumière, il recherche la sagesse. Et il dit avoir su distinguer, précisément dans cette situation, entre les biens apparents - en prison ceux-ci disparaissent - et les vrais biens, comme l'amitié authentique, qui même en prison ne disparaissent pas. Le bien le plus élevé est Dieu: Boèce apprit - et il nous l'enseigne - à ne pas tomber dans le fatalisme, qui éteint l'espérance. Il nous enseigne que ce n'est pas le destin qui gouverne, mais la Providence et que celle-ci a un visage. On peut parler avec la Providence, car Dieu est la Providence. Ainsi, même en prison il lui reste la possibilité de la prière, du dialogue avec Celui qui nous sauve. Dans le même temps, même dans cette situation il conserve le sens de la beauté et de la culture et rappelle l'enseignement des grands philosophes antiques grecs et romains, comme Platon, Aristote - il avait commencé à traduire ces grecs en latin -, Cicéron, Sénèque, et également des poètes comme Tibulle et Virgile.

Selon Boèce, la philosophie, au sens de la recherche de la véritable sagesse, est le véritable remède de l'âme (lib. I). D'autre part, l'homme ne peut faire l'expérience du bonheur authentique que dans sa propre intériorité (lib. II). C'est pourquoi Boèce réussit à trouver un sens en pensant à sa tragédie personnelle à la lumière d'un texte sapientiel de l'Ancien Testament (Sg 7, 30-8,1), qu'il cite: "Contre la sagesse le mal ne prévaut pas. Elle s'étend avec force d'un bout du monde à l'autre et elle gouverne l'univers pour son bien" (lib. III, 12: PL 63, Col 780). La soi-disant prospérité des méchants se révèle donc mensongère (lib. IV), et la nature providentielle de la adversa fortuna est soulignée. Les difficultés de la vie révèlent non seulement combien celle-ci est éphémère et de brève durée, mais elles se démontrent même utiles pour déterminer et conserver les rapports authentiques entre les hommes. L'Adversa fortuna permet en effet de discerner les vrais amis des faux et elle fait comprendre que rien n'est plus précieux pour l'homme qu'une amitié véritable. Accepter de manière fataliste une situation de souffrance est absolument dangereux, ajoute le croyant Boèce, car "cela élimine à la racine la possibilité même de la prière et de l'espérance théologale qui se trouvent à la base de la relation de l'homme avec Dieu" (lib. V, 3: PL 63, Col 842).

Le discours final du De consolatione philosophiae peut être considéré comme une synthèse de tout l'enseignement que Boèce s'adresse à lui-même et à tous ceux qui pourraient se trouver dans la même situation. Il écrit ainsi en prison: "Combattez donc les vices, consacrez-vous à une vie vertueuse orientée par l'espérance qui pousse le coeur vers le haut, jusqu'à atteindre le ciel avec les prières nourries d'humilité. L'imposition que vous avez subie peut se transformer, si vous refusez de mentir, en l'immense avantage d'avoir toujours devant les yeux le juge suprême qui voit et qui sait comment sont vraiment les choses" (lib. V, 6: PL 63, Col 862). Chaque détenu, quel que soit le motif pour lequel il est en prison, comprend combien cette condition humaine particulière est lourde, notamment lorsqu'elle est aggravée, comme cela arriva à Boèce, par le recours à la torture. Particulièrement absurde est aussi la condition de celui qui, encore comme Boèce - que la ville de Pavie reconnaît et célèbre dans la liturgie comme martyr de la foi -, est torturé à mort sans aucun autre motif que ses propres convictions idéales, politiques et religieuses. Boèce, symbole d'un nombre immense de détenus injustement emprisonnés de tous les temps et de toutes les latitudes, est de fait une porte d'entrée objective à la contemplation du mystérieux Crucifié du Golgotha.

Marc Aurèle Cassiodore, un calabrais né à Squillace vers 485, qui mourut à un âge avancé à Vivarium vers 580, fut un contemporain de Boèce. Lui aussi d'un niveau social élevé, il se consacra à la politique et à l'engagement culturel comme peu d'autres personnes dans l'Occident romain de son époque. Les seules personnes qui purent l'égaler dans son double intérêt furent peut-être Boèce, déjà mentionné, et le futur Pape de Rome, Grégoire le Grand (590-604). Conscient de la nécessité de ne pas laisser sombrer dans l'oubli tout le patrimoine humain et humaniste, accumulé au cours des siècles d'or de l'empire romain, Cassiodore collabora généreusement, et aux niveaux les plus élevés de la responsabilité politique, avec les peuples nouveaux qui avaient traversé les frontières de l'empire et qui s'étaient établis en Italie. Il fut lui aussi un modèle de rencontre culturelle, de dialogue, de réconciliation. Les événements historiques ne lui permirent pas de réaliser ses rêves politiques et culturels, qui visaient à créer une synthèse entre la tradition romano-chrétienne de l'Italie et la nouvelle culture des Goths. Ces mêmes événements le convainquirent cependant du caractère providentiel du mouvement monastique, qui s'affirmait dans les terres chrétiennes. Il décida de l'appuyer en lui consacrant toutes ses richesses matérielles et toutes ses forces spirituelles.

Il conçut l'idée de confier précisément aux moines la tâche de retrouver, conserver et transmettre à la postérité l'immense patrimoine culturel de l'antiquité, pour qu'il ne soit pas perdu. C'est pourquoi il fonda Vivarium, un monastère dans lequel tout était organisé de manière à ce que le travail intellectuel des moines soit estimé comme très précieux et indispensable. Il disposa que les moines qui n'avaient pas de formation intellectuelle ne devaient pas s'occuper seulement du travail matériel, de l'agriculture, mais également de transcrire des manuscrits et aider ainsi à transmettre la grande culture aux générations futures. Et cela sans aucun dommage pour l'engagement spirituel monastique et chrétien et pour l'activité caritative envers les pauvres. Dans son enseignement, publié dans plusieurs ouvrages, mais surtout dans le traité De anima et dans les Institutiones divinarum litterarum, la prière (cf. PL 69, Col 1108), nourrie par les saintes Ecritures et particulièrement par la lecture assidue des Psaumes (cf. PL 69, Col 1149), a toujours une position centrale comme nourriture nécessaire pour tous. Voilà, par exemple, la façon dont ce très docte calabrais introduit son Expositio in Psalterium: "Ayant refusé et abandonné à Ravenne les sollicitations de la carrière politique, marquée par le goût écoeurant des préoccupations mondaines, et ayant goûté le Psautier, un livre venu du ciel comme un authentique miel de l'âme, je me plongeai avec avidité, comme un assoiffé, dans la lecture incessante afin de me laisser imprégner entièrement de cette douceur salutaire, après en avoir eu assez des innombrables amertumes de la vie active" (PL 70, Col 10).

La recherche de Dieu, visant à sa contemplation - note Cassiodore -, reste l'objectif permanent de la vie monastique (cf. PL 69, Col 1107). Il ajoute cependant que, avec l'aide de la grâce divine (cf. PL 69, Col 1131 Col 1142), on peut parvenir à une meilleure compréhension de la Parole révélée grâce à l'utilisation des conquêtes scientifiques et des instruments culturels "profanes", déjà possédés par les Grecs et les Romains (cf. PL 69, Col 1140). Cassiodore se consacra, quant à lui, aux études philosophiques, théologiques et exégétiques sans créativité particulière, mais attentif aux intuitions qu'il reconnaissait valables chez les autres. Il lisait en particulier avec respect et dévotion Jérôme et Augustin. De ce dernier, il disait: "Chez Augustin il y a tellement de richesse qu'il me semble impossible de trouver quelque chose qu'il n'ait pas déjà abondamment traité" (cf. PL 70, Col 10). En citant Jérôme, en revanche, il exhortait les moines de Vivarium: "Ce n'est pas seulement ceux qui luttent jusqu'à verser leur sang ou qui vivent dans la virginité qui remportent la palme de la victoire, mais également tous ceux qui, avec l'aide de Dieu, l'emportent sur les vices du corps et conservent la rectitude de la foi. Mais pour que vous puissiez, toujours avec l'aide de Dieu, vaincre plus facilement les sollicitations du monde et ses attraits, en restant dans celui-ci comme des pèlerins sans cesse en chemin, cherchez tout d'abord à vous garantir l'aide salutaire suggérée par le premier psaume qui recommande de méditer nuit et jour la loi du Seigneur. En effet, l'ennemi ne trouvera aucune brèche pour vous assaillir si toute votre attention est occupée par le Christ" (De Institutione Divinarum Scripturarum, 32: PL 70, col. 1147D-1148A). C'est un avertissement que nous pouvons accueillir comme valable également pour nous. Nous vivons, en effet, nous aussi à une époque de rencontre des cultures, du danger de la violence qui détruit les cultures, et de l'engagement nécessaire de transmettre les grandes valeurs et d'enseigner aux nouvelles générations la voie de la réconciliation et de la paix. Nous trouvons cette voie en nous orientant vers le Dieu au visage humain, le Dieu qui s'est révélé à nous dans le Christ.
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Je salue les pèlerins francophones, en particulier les jeunes du collège de Vaugneray et les pèlerins de l’Île de la Réunion. Puissiez-vous mobiliser toutes les ressources de votre intelligence pour rechercher toujours la vraie sagesse, qui est le Christ. Avec ma Bénédiction apostolique.



Catéchèses Benoît XVI 45