Catéchèses Benoît XVI 22049

Mercredi 22 avril 2009 - L'enseignement du moine saint Ambroise Autpert

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Chers frères et soeurs,

L'Eglise vit dans les personnes et celui qui veut connaître l'Eglise, comprendre son mystère, doit considérer les personnes qui ont vécu et vivent son message, son mystère. C'est pourquoi je parle depuis si longtemps dans les catéchèses du mercredi de personnes dont nous pouvons apprendre ce qu'est l'Eglise. Nous avons commencé avec les apôtres et les Pères de l'Eglise et nous sommes peu à peu arrivés jusqu'au viii siècle, la période de Charlemagne. Aujourd'hui, je voudrais parler d'Ambroise Autpert, un auteur relativement inconnu: ses oeuvres, en effet, avaient été attribuées en grande partie à d'autres personnages plus célèbres, de saint Ambroise de Milan à saint Ildefonse, sans parler de celles que les moines du Mont-Cassin ont pensé devoir attribuer à la plume d'un de leurs abbés homonyme, ayant vécu presque un siècle plus tard. En dehors de quelques brefs faits autobiographiques insérés dans son grand commentaire de l'Apocalypse, nous ne possédons que peu d'informations certaines sur sa vie. La lecture attentive des oeuvres dont peu à peu la critique lui reconnaît la paternité permet cependant de découvrir dans son enseignement un trésor théologique et spirituel précieux également pour notre époque.

Né en Provence, dans une bonne famille, Ambroise Autpert - selon son biographe tardif Jean - vécut à la cour du roi franc Pépin le Bref où, en plus de sa charge d'officier, il exerça également d'une certaine façon celle de précepteur du futur empereur Charlemagne. Probablement à la suite du Pape Etienne ii, qui en 753-54 s'était rendu à la cour franque, Autpert vint en Italie et eut l'occasion de visiter la célèbre abbaye bénédictine Saint-Vincent, à la source du Volturne, dans le duché de Bénévent. Fondée au début de ce siècle par les trois frères du Bénévent Paldone, Tatone et Tasone, l'abbaye était connue comme une oasis de culture classique et chrétienne. Peu après sa visite, Ambroise Autpert décida d'embrasser la vie religieuse et il entra dans ce monastère, où il put se former de façon adaptée, en particulier dans le domaine de la théologie et de la spiritualité, selon la tradition des Pères. Autour de l'année 761, il fut ordonné prêtre et, le 4 octobre 777, il fut élu abbé avec le soutien des moines francs, tandis que les moines lombards s'opposaient à lui, soutenant le lombard Potone. La tension à caractère nationaliste ne se calma pas pendant les mois qui suivirent, de sorte que l'année suivante, en 778, Autpert décida de donner sa démission et de se retirer avec quelques moines francs à Spolète, où il pouvait compter sur la protection de Charlemagne. Mais malgré cela, la divergence dans le monastère Saint-Vincent ne fut pas aplanie et quelques années plus tard, quand à la mort de l'abbé qui avait succédé à Aupert fut précisément nommé Potone (782), le conflit reprit avec vigueur et l'on arriva à la dénonciation du nouvel abbé auprès de Charlemagne. Celui-ci renvoya les adversaires devant le tribunal du Pape, qui les convoqua à Rome. Il appela également Autpert comme témoin, mais celui-ci mourut de manière inattendue pendant le voyage, peut-être assassiné, le 30 janvier 784.

Ambroise Autpert fut moine et abbé à une époque marquée par de fortes tensions politiques, qui se répercutaient également sur la vie à l'intérieur des monastères. Nous en avons des échos fréquents et préoccupés dans ses écrits. Il dénonce, par exemple, la contradiction entre la splendide apparence extérieure des monastères et la tiédeur des moines: cette critique visait aussi certainement sa propre abbaye. Pour celle-ci, il écrivit la Vie des trois fondateurs avec la claire intention d'offrir à la nouvelle génération de moines un point de référence auquel se confronter. Un but semblable était également poursuivi par le petit traité d'ascèse Conflictus vitirum et virtutum ("Sur le conflit des vices et des vertus"), qui connut un grand succès au Moyen-âge et fut publié en 1473 à Utrecht sous le nom de Grégoire le Grand et un an plus tard à Strasbourg sous celui de saint Augustin. Dans celui-ci, Ambroise Autpert entend enseigner aux moines de façon concrète la façon d'affronter le combat spirituel jour après jour. De manière significative, il applique l'affirmation de 2 Tm 3, 12: "D'ailleurs tous ceux qui veulent vivre en hommes religieux dans le Christ Jésus subiront la persécution", non plus la persécution extérieure, mais l'assaut que le chrétien doit affronter en lui-même de la part des forces du mal. Dans une sorte d'affrontement, sont présentés 24 couples de combattants; chaque vice cherche à tenter l'âme par de subtiles raisonnements, alors que la vertu respective combat ces tentations en se servant le plus souvent de paroles de l'Ecriture.

Dans ce traité sur le conflit entre vices et vertus, Autpert oppose à la cupiditas (la cupidité), le contemptus mundi (le mépris du monde), qui devient une figure importante dans la spiritualité des moines. Ce mépris du monde n'est pas un mépris de la création, de la beauté et de la bonté de la création et du Créateur, mais un mépris de la fausse vision du monde qui nous est présentée et qui est insinuée en nous précisément par la cupidité. Celle-ci nous laisse croire qu'"avoir" serait la valeur suprême de notre être, de notre vie dans le monde en apparaissant comme importants. Et ainsi, elle falsifie la création du monde et détruit le monde. Autpert observe ensuite que l'avidité au gain des riches et des puissants dans la société de son temps existe aussi au sein des âmes des moines, et il écrit donc un traité intitulé De cupiditate, où, avec l'apôtre Paul, il dénonce dès le début la cupidité comme la racine de tous les maux. Il écrit: "Du sol de la terre différentes épines acérées pointent de diverses racines; dans le coeur de l'homme, en revanche, les piqûres de tous les vices proviennent d'une unique racine, la cupidité" (De cupiditate: 1 cccm 27b, p. 963). Une observation qui, à la lumière de la présente crise économique mondiale, révèle toute son actualité. Nous voyons que c'est précisément de cette racine de la cupidité que cette crise est née. Ambroise imagine l'objection que les riches et les puissants pourraient soulever: mais nous ne sommes pas des moines, pour nous certaines exigences ascétiques ne sont pas valables. Et lui répond: "Ce que vous dites est vrai, mais pour vous également, selon la manière propre à votre milieu et dans la mesure de vos forces, celle qui est valable est la voie escarpée et étroite, car le Seigneur n'a proposé que deux portes et deux voies (c'est-à-dire la porte étroite et la porte large, la voie escarpée et la voie aisée); il n'a pas indiqué de troisième porte, ni de troisième voie" (op. cit., p. 978). Il voit clairement que les façons de vivre sont très diverses. Mais pour l'homme de ce monde également, pour le riche aussi vaut le devoir de combattre la cupidité, le désir de posséder, d'apparaître, contre le concept erroné de liberté comme faculté de disposer de tout selon le libre arbitre. Le riche aussi doit trouver l'authentique voie de la vérité, de l'amour et ainsi, de la juste voie. Alors Autpert, en pasteur d'âme prudent, sait ensuite dire, à la fin de sa prédication pénitentielle, une parole de réconfort: "J'ai parlé non pas contre les avides, mais contre l'avidité, non pas contre la nature, mais contre le vice" (op. cit., p. 981).

L'oeuvre la plus importante d'Ambroise Autpert est certainement son commentaire en dix livres de l'Apocalypse: il constitue, après des siècles, le premier long commentaire dans le monde latin du dernier livre de l'Ecriture Sainte. Cette oeuvre était le fruit d'un travail de plusieurs années, qui s'est déroulé en deux étapes entre 758 et 767, c'est-à-dire avant son élection comme abbé. Dans l'introduction, il indique de façon détaillée ses sources, ce qui n'était absolument pas habituel au Moyen-âge. A travers sa source sans doute la plus significative, le commentaire de l'évêque Primatius d'Hadrumète, rédigé vers le milieu du VIe siècle, Autpert entre en contact avec l'interprétation qu'avait laissée de l'Apocalypse l'Africain Tyconius, qui avait vécu une génération avant saint Augustin. Il n'était pas catholique; il appartenait à l'Eglise schismatique donatiste; c'était toutefois un grand théologien. Dans son commentaire, il voit surtout réflété dans l'Apocalypse le mystère de l'Eglise. Tyconius était convaincu que l'Eglise était un corps bipartite: une partie, dit-il, appartient au Christ, mais il existe une autre partie de l'Eglise qui appartient au diable. Augustin lut ce commentaire et en tira profit, mais souligna avec fermeté que l'Eglise est entre les mains du Christ, demeure son Corps, ne formant avec Lui qu'un seul objet, participant à la médiation de la grâce. Il souligne donc que l'Eglise ne peut jamais être séparée de Jésus Christ. Dans sa lecture de l'Apocalypse, semblable à celle de Tyconius, Autpert ne s'intéresse pas tant à la deuxième venue du Christ à la fin des temps, qu'aux conséquences qui découlent pour l'Eglise du présent de sa première venue, l'incarnation dans le sein de la Vierge Marie. Et il nous dit une parole très importante: en réalité, le Christ "doit en nous, qui sommes son Corps, naître, mourir et ressusciter quotidiennement" (In Apoc, iii: cccm 27, p. 205). Dans le contexte de la dimension mystique qui investit chaque chrétien, il considère Marie comme le modèle de l'Eglise, modèle pour nous tous, car en nous et entre nous aussi doit naître le Christ. A la suite des Pères qui voyaient dans la "Femme vêtue de lumière" de l'
Ap 12,1, l'image de l'Eglise, Autpert explique: "La bienheureuse et pieuse Vierge... engendre quotidiennement de nouveaux peuples, à partir desquels se forme le Corps général du Médiateur. Il n'est donc pas surprenant si celle-ci, dans le sein bienheureux duquel l'Eglise elle-même mérite d'être unie à son Chef, représente le type de l'Eglise". En ce sens, Autpert voit un rôle décisif de la Vierge Marie dans l'oeuvre de la rédemption (cf. également ses homélies dans In purificatione s. Mariae et In adsumptione s. Mariae). Sa grande vénération et son profond amour pour la Mère de Dieu lui inspirent parfois des formulations qui, d'une certaine façon, anticipent celles de saint Bernard et de la mystique franciscaine, sans toutefois dévier vers des formes discutables de sentimentalisme, car il ne sépare jamais Marie du mystère de l'Eglise. C'est donc à juste titre qu'Ambroise Autpert est considéré comme le premier grand mariologue en Occident. A la piété qui, selon lui, doit libérer l'âme de l'attachement aux plaisirs terrestres transitoires, il considère que doit s'unir la profonde étude des sciences sacrées, en particulier la méditation des Saintes Ecritures, qu'il qualifie de "ciel profond, abîme insondable" (In Apoc. ix). Dans la belle prière par laquelle il conclut son commentaire de l'Apocalypse, en soulignant la priorité qui revient à l'amour dans toute recherche théologique de la vérité, il s'adresse à Dieu par ces paroles: "Lorsque nous te scrutons de façon intellectuelle, nous ne te découvrons jamais tel que tu es réellement; lorsque nous t'aimons, alors nous parvenons à toi".

Nous pouvons voir aujourd'hui chez Ambroise Autpert une personnalité qui vécut à une époque de profonde instrumentalisation politique de l'Eglise, dans laquelle nationalisme et tribalisme avaient défiguré le visage de l'Eglise. Mais lui, parmi toutes ces difficultés que nous connaissons nous aussi, sut redécouvrir le véritable visage de l'Eglise dans Marie et dans les saints. Et il apprit ainsi à comprendre ce que signifie être catholique, être chrétien, vivre de la parole de Dieu, entrer dans cet abîme et vivre ainsi le mystère de la Mère de Dieu: donner de nouveau vie à la Parole de Dieu, offrir à la Parole de Dieu sa propre chair dans le temps présent. Et avec toute sa connaissance théologique et la profondeur de sa science, Autpert dut comprendre qu'avec la simple recherche théologique, Dieu ne peut être connu tel qu'il est réellement. Seul l'amour peut parvenir à lui. Ecoutons ce message et prions le Seigneur afin qu'il nous aide à vivre le mystère de l'Eglise aujourd'hui, en notre temps.
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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue en particulier les nombreux jeunes présents ce matin, surtout les lycéens. Les pèlerins des diocèses de Perpignan et de Fréjus Toulon avec leurs Évêques Mgr Marceau et Mgr Rey, les paroisses de saint-Cloud et de saint Martin de Chanu, ainsi que les pèlerins de Paris, Strasbourg, Dijon, Cambrai, Albi, Angoulême et Versailles. À l’exemple de saint Ambroise Autpert et de la Vierge Marie, aimez passionnément l’Église. Que Dieu vous bénisse!



Mercredi 29 avril 2009 - Germain de Constantinople

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Chers frères et soeurs,

Le patriarche Germain de Constantinople, dont je voudrais parler aujourd'hui, n'appartient pas aux figures les plus représentatives du monde chrétien oriental de langue grecque et toutefois son nom apparaît avec une certaine solennité dans la liste des grands défenseurs des images sacrées, dressée lors du Second Concile de Nicée, septième concile oecuménique (787). L'Eglise grecque célèbre sa fête dans la liturgie du 12 mai. Il eut un rôle significatif dans l'histoire complexe de la lutte pour les images, au cours de ce qu'on a appelé la crise iconoclaste: il sut vaillamment résister aux pressions d'un empereur iconoclaste, c'est-à-dire adversaire des icônes, comme le fut Léon III.

Au cours du patriarcat de Germain (715-730) la capitale de l'empire byzantin, Constantinople, subit un siège très dangereux de la part des Sarrasins. En cette occasion (717-718), une procession solennelle fut organisée en ville, avec l'ostension de l'image de la Mère de Dieu, la Theotokos, et de la relique de la Sainte Croix, pour invoquer du Très-Haut la défense de la ville. De fait, Constantinople fut libérée du siège. Les adversaires décidèrent d'abandonner pour toujours l'idée d'établir leur capitale dans la ville symbole de l'empire chrétien et la reconnaissance de l'aide divine fut extrêmement grande dans le peuple.

Après cet événement, le patriarche Germain fut convaincu que l'intervention de Dieu devait être considérée comme une approbation évidente de la piété exprimée par la population envers les saintes icônes. D'un avis entièrement différent fut en revanche Léon III, qui précisément à partir de cette année (717) s'installa comme empereur indiscuté dans la capitale, sur laquelle il régna jusqu'en 741. Après la libération de Constantinople et après une série d'autres victoires, l'empereur chrétien commença à manifester toujours plus ouvertement la conviction que la consolidation de l'empire devait précisément commencer par une réorganisation des manifestations de la foi, avec une référence particulière au risque d'idolâtrie auquel, à son avis, le peuple était exposé en raison du culte excessif des icônes.

Les appels du patriarche Germain à la tradition de l'Eglise et à l'effective efficacité de certaines images, qui étaient unanimement reconnues comme "miraculeuses" ne servirent à rien. L'empereur devint toujours plus inébranlable dans l'application de son projet restaurateur, qui prévoyait l'élimination des icônes. Et lorsque, le 7 janvier 730, il prit ouvertement position lors d'une réunion publique contre le culte des images, Germain ne voulut en aucune façon se plier au désir de l'empereur sur des questions qu'il considérait déterminantes pour la foi orthodoxe, à laquelle selon lui appartenait précisément le culte, l'amour pour les images. C'est pourquoi, il se vit contraint de donner sa démission de patriarche, en s'auto-condamnant à l'exil dans un monastère où il mourut oublié de presque tout le monde. Son nom réapparut précisément à l'occasion du Second Concile de Nicée (787), lorsque les pères orthodoxes se proclamèrent en faveur des icônes, reconnaissant les mérites de Germain.

Le patriarche Germain apportait un grand soin aux célébrations liturgiques et, pendant un certain temps, il fut considéré également comme l'instaurateur de la fête de l'Akatistos. Comme on le sait, l'Akatistos est un hymne ancien et célèbre qui est né dans le milieu byzantin et qui est consacré à la Theotokos, la Mère de Dieu. Bien que du point de vue théologique, on ne puisse pas qualifier Germain de grand penseur, plusieurs de ses oeuvres eurent un certain retentissement notamment en raison de certaines intuitions sur la mariologie. En effet, de lui ont été conservées plusieurs homélies de thème marial et certaines d'entre elles ont profondément marqué la piété de générations entières de fidèles, aussi bien en Orient qu'en Occident. Ses splendides Homélies sur la Présentation de Marie au Temple sont des témoignages encore vivants des traditions non écrites des Eglises chrétiennes. Des générations de moines, de moniales et de membres de très nombreux instituts de vie consacrée, continuent encore aujourd'hui à retrouver dans ces textes des trésors très précieux de spiritualité.

Certains textes mariologiques de Germain, qui font partie des homélies prononcées In SS. Deiparae dormitionem, une festivité correspondant à notre fête de l'Assomption, suscitent encore l'émerveillement. Parmi ceux-ci, le Pape Pie XII en préleva un, qu'il enchâssa comme une perle dans la Constitution apostolique Munificentissimus Deus (1950), avec laquelle il déclara le dogme de foi de l'Assomption de Marie. Pie xii cita ce texte dans la Constitution susmentionnée, en le présentant comme l'un des arguments en faveur de la foi permanente de l'Eglise à propos de l'Assomption corporelle de Marie au ciel. Germain écrit: "Cela pouvait-il jamais arriver, Très Sainte Mère de Dieu, que le ciel et la terre se sentent honorés de ta présence, et que toi, avec ton départ, tu laisses les hommes privés de ta protection? Non. Il est impossible de penser ces choses. En effet, de même que lorsque tu étais dans le monde tu ne te sentais pas étrangère aux réalités du ciel, ainsi, après que tu sois partie de ce monde, tu n'es pas du tout devenue étrangère à la possibilité de communiquer en esprit avec les hommes... Tu n'as pas du tout abandonné ceux auxquels tu as garanti le salut... en effet, ton esprit vit pour l'éternité et ta chair ne subit pas la corruption du sépulcre. Toi, ô Mère, tu es proche de tous et tu protèges chacun et, bien que nos yeux ne puissent pas te voir, nous savons toutefois, ô Très Sainte Mère, que tu habites parmi nous et que tu es présente selon les manières les plus diverses... Toi (Marie) tu te révèles entièrement, comme il est écrit, dans ta beauté. Ton corps virginal est totalement saint, tout chaste, entièrement une maison de Dieu si bien que, également pour cette raison, il est absolument réfractaire à toute réduction en poussière Celui-ci est immuable, du moment que ce qui était humain en lui a été assumé dans l'incorruptibilité, restant vivant et absolument glorieux, intact et participant à la vie parfaite. En effet, il était impossible que soit gardée dans le sépulcre des morts celle qui était devenue vase de Dieu et temple vivant de la très sainte divinité du Fils unique. D'autre part, nous croyons de manière certaine que tu continues à marcher avec nous" (PG 98, coll. 344B-346B, passim).

Il a été dit que pour les Byzantins, la dignité de la forme rhétorique dans la prédication, et encore davantage dans les hymnes ou compositions poétiques qu'ils appellent tropaires, est tout aussi importante pour la célébration liturgique que la beauté de l'édifice sacré dans laquelle celle-ci se déroule. Le patriarche Germain a été reconnu, dans cette tradition, comme l'un de ceux qui ont particulièrement contribué à garder cette conviction vivante, c'est-à-dire que beauté de la parole, du langage et beauté de l'édifice et de la musique doivent coïncider.

Je cite pour conclure, les paroles inspirées avec lesquelles Germain qualifie l'Eglise au début de son petit chef-d'oeuvre: "L'Eglise est temple de Dieu, espace sacré, maison de prière, convocation du peuple, corps du Christ... Elle est le ciel sur la terre, où Dieu transcendant habite comme chez lui et s'y promène, mais elle est également une empreinte (antitypos) de la crucifixion, de la tombe et de la résurrection... L'Eglise est la maison de Dieu dans laquelle on célèbre le sacrifice mystique vivifiant, à la fois la partie la plus intime du sanctuaire et la grotte sainte. Dans celle-ci, en effet, se trouve le sépulcre et la table, nourritures pour l'âme et garantie de vie. Dans celle-ci, enfin, se trouvent les véritables perles précieuses que sont les dogmes divins de l'enseignement offert directement par le Seigneur à ses disciples" (PG 98, coll. 384B-385A).

A la fin, la question demeure: aujourd'hui, qu'est-ce que ce saint peut nous dire, alors qu'il est chronologiquement mais aussi culturellement assez éloigné de nous. Je pense substantiellement trois choses. La première: il y a une certaine visibilité de Dieu dans le monde, dans l'Eglise que nous devons apprendre à percevoir. Dieu a créé l'homme à son image, mais cette image a été couverte par les nombreuses salissures du péché, en conséquence desquelles Dieu ne transparaissait presque plus. Ainsi, le Fils de Dieu s'est fait vrai homme, image parfaite de Dieu: dans le Christ, nous pouvons ainsi contempler également le visage de Dieu et apprendre à être nous-mêmes de vrais hommes, de vraies images de Dieu. Le Christ nous invite à l'imiter, à devenir semblables à Lui, de manière à ce qu'en chaque homme transparaisse le nouveau visage de Dieu, l'image de Dieu. En vérité, Dieu avait interdit dans le Décalogue de faire des images de Dieu, mais cela en raison de la tentation d'idolâtrie à laquelle le croyant pouvait être exposé dans un contexte païen. Mais quand Dieu s'est rendu visible en Christ à travers l'incarnation, il est devenu légitime de reproduire le visage du Christ. Les images saintes nous enseignent à voir Dieu dans la représentation du visage du Christ. Après l'incarnation du Fils de Dieu, il est donc devenu possible de voir Dieu dans les images du Christ et également dans le visage des saints, dans le visage de tous les hommes en qui resplendit la sainteté de Dieu.

La deuxième chose est la beauté et la dignité de la liturgie. Célébrer la liturgie avec la conscience de la présence de Dieu, avec cette dignité et cette beauté qui en fasse voir un peu la splendeur, est l'engagement de chaque chrétien formé dans sa foi. La troisième chose est aimer l'Eglise. Précisément à propos de l'Eglise, nous les hommes sommes enclins à voir surtout les péchés, ce qui est négatif; mais avec l'aide de la foi, qui nous rend capables de voir de manière authentique, nous pouvons également, aujourd'hui et toujours, redécouvrir dans celle-ci la beauté divine. C'est dans l'Eglise que Dieu est présent, s'offre à nous dans la Sainte Eucharistie et reste présent pour l'adoration. Dans l'Eglise, Dieu parle avec nous, dans l'Eglise "Dieu se promène avec nous", comme le dit saint Germain. Dans l'Eglise, nous recevons le pardon de Dieu et nous apprenons à pardonner.
Prions Dieu afin qu'il nous enseigne à voir dans l'Eglise sa présence, sa beauté, à voir sa présence dans le monde, et qu'il nous aide à être nous aussi transparents sous sa lumière.
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Je suis heureux d’accueillir les pèlerins francophones. Je salue particulièrement les jeunes lycéens du diocèse d’Ajaccio, avec leur Évêque Mgr Jean-Luc Brunin. Que votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul soit pour vous tous l’occasion de faire grandir votre foi dans le Christ ressuscité! Avec ma Bénédiction apostolique!



Mercredi 6 mai 2009 - Saint Jean Damascène

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Chers frères et soeurs,

Je voudrais parler aujourd'hui de Jean Damascène, un personnage de premier plan dans l'histoire de la théologie byzantine, un grand docteur dans l'histoire de l'Eglise universelle. Il représente surtout un témoin oculaire du passage de la culture chrétienne grecque et syriaque, commune à la partie orientale de l'Empire byzantin, à la culture de l'islam, qui s'est imposée grâce à ses conquêtes militaires sur le territoire reconnu habituellement comme le Moyen ou le Proche Orient. Jean, né dans une riche famille chrétienne, assuma encore jeune la charge - remplie déjà sans doute par son père - de responsable économique du califat. Mais très vite, insatisfait de la vie de la cour, il choisit la vie monastique, en entrant dans le monastère de Saint-Saba, près de Jérusalem. C'était aux environs de l'an 700. Ne s'éloignant jamais du monastère, il consacra toutes ses forces à l'ascèse et à l'activité littéraire, ne dédaignant pas une certaine activité pastorale, dont témoignent avant tout ses nombreuses Homélies. Sa mémoire liturgique est célébrée le 4 décembre. Le Pape Léon XIII le proclama docteur de l'Eglise universelle en 1890.

En Orient, on se souvient surtout de ses trois Discours pour légitimer la vénération des images sacrées, qui furent condamnés, après sa mort, par le Concile iconoclaste de Hiéria (754). Mais ces discours furent également le motif fondamental de sa réhabilitation et de sa canonisation de la part des Pères orthodoxes convoqués par le second Concile de Nicée (787), septième Concile oecuménique. Dans ces textes, il est possible de retrouver les premières tentatives théologiques importantes de légitimer la vénération des images sacrées, en les reliant au mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.

Jean Damascène fut, en outre, parmi les premiers à distinguer, dans le culte public et privé des chrétiens, l'adoration (latreia) de la vénération (proskynesis): la première ne peut être adressée qu'à Dieu, suprêmement spirituel, la deuxième au contraire peut utiliser une image pour s'adresser à celui qui est représenté dans l'image même. Bien sûr, le saint ne peut en aucun cas être identifié avec la matière qui compose l'icône. Cette distinction se révéla immédiatement très importante pour répondre de façon chrétienne à ceux qui prétendaient universel et éternel l'observance de l'interdit sévère de l'Ancien Testament d'utiliser des images dans le culte. Tel était le grand débat également dans le monde islamique, qui accepte cette tradition juive de l'exclusion totale d'images dans le culte. Les chrétiens, en revanche, dans ce contexte, ont débattu du problème et trouvé la justification pour la vénération des images. Damascène écrit: "En d'autres temps, Dieu n'avait jamais été représenté en image, étant sans corps et sans visage. Mais à présent que Dieu a été vu dans sa chair et a vécu parmi les hommes, je représente ce qui est visible en Dieu. Je ne vénère pas la matière, mais le créateur de la matière, qui s'est fait matière pour moi et a daigné habiter dans la matière et opérer mon salut à travers la matière. Je ne cesserai donc pas de vénérer la matière à travers laquelle m'a été assuré le salut. Mais je ne la vénère absolument pas comme Dieu! Comment pourrait être Dieu ce qui a reçu l'existence à partir du non-être?... Mais je vénère et respecte également tout le reste de la matière qui m'a procuré le salut, car pleine d'énergie et de grâces saintes. Le bois de la croix trois fois bénie n'est-il pas matière? L'encre et le très saint livre des Evangiles ne sont-ils pas matière? L'autel salvifique qui nous donne le pain de vie n'est-il pas matière?.... Et, avant tout autre chose, la chair et le sang de mon Seigneur ne sont-ils pas matière? Ou bien tu dois supprimer le caractère sacré de toutes ces choses, ou bien tu dois accorder à la tradition de l'Eglise la vénération des images de Dieu et celle des amis de Dieu qui sont sanctifiés par le nom qu'ils portent, et qui, pour cette raison, sont habités par la grâce de l'Esprit Saint. N'offense donc pas la matière: celle-ci n'est pas méprisable; car rien de ce que Dieu a fait n'est méprisable" (Contra imaginum calumniatores, I, 16, ed; Kotter,
PP 89-90). Nous voyons que, à cause de l'incarnation, la matière apparaît comme divinisée, elle est vue comme la demeure de Dieu. Il s'agit d'une nouvelle vision du monde et des réalités matérielles. Dieu s'est fait chair et la chair est devenue réellement demeure de Dieu, dont la gloire resplendit sur le visage humain du Christ. C'est pourquoi, les sollicitations du Docteur oriental sont aujourd'hui encore d'une très grande actualité, étant donnée la très grande dignité que la matière a reçue dans l'Incarnation, pouvant devenir, dans la foi, le signe et le sacrement efficace de la rencontre de l'homme avec Dieu. Jean Damascène reste donc un témoin privilégié du culte des icônes, qui deviendra l'un des aspects les plus caractéristiques de la théologie et de la spiritualité orientale jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit toutefois d'une forme de culte qui appartient simplement à la foi chrétienne, à la foi dans ce Dieu qui s'est fait chair et s'est rendu visible. L'enseignement de saint Jean Damascène s'inscrit ainsi dans la tradition de l'Eglise universelle, dont la doctrine sacramentelle prévoit que les éléments matériels issus de la nature peuvent devenir un instrument de grâce en vertu de l'invocation (epiclesis) de l'Esprit Saint, accompagnée par la confession de la foi véritable.

Jean Damascène met également en relation avec ces idées de fond la vénération des reliques des saints, sur la base de la conviction que les saints chrétiens, ayant participé de la résurrection du Christ, ne peuvent pas être considérés simplement comme des "morts". En énumérant, par exemple, ceux dont les reliques ou les images sont dignes de vénération, Jean précise dans son troisième discours en défense des images: "Tout d'abord (nous vénérons) ceux parmi lesquels Dieu s'est reposé, lui le seul saint qui se repose parmi les saints (cf. Is Is 57,15), comme la sainte Mère de Dieu et tous les saints. Ce sont eux qui, autant que cela est possible, se sont rendus semblables à Dieu par leur volonté et, par l'inhabitation et l'aide de Dieu, sont dits réellement dieux (cf. Ps 82,6), non par nature, mais par contingence, de même que le fer incandescent est appelé feu, non par nature mais par contingence et par participation du feu. Il dit en effet: Vous serez saint parce que je suis saint (Lv 19,2)" (III, 33, Col 1352 A). Après une série de références de ce type, Jean Damascène pouvait donc déduire avec sérénité: "Dieu, qui est bon et supérieur à toute bonté, ne se contenta pas de la contemplation de lui-même, mais il voulut qu'il y ait des êtres destinataires de ses bienfaits, qui puissent participer de sa bonté: c'est pourquoi il créa du néant toutes les choses, visibles et invisibles, y compris l'homme, réalité visible et invisible. Et il le créa en pensant et en le réalisant comme un être capable de pensée (ennoema ergon)enrichi par la parole (logo[i] sympleroumenon) et orienté vers l'esprit (pneumati teleioumenon)" (II, 2, PG, col. 865A). Et pour éclaircir ultérieurement sa pensée, il ajoute: "Il faut se laisser remplir d'étonnement (thaumazein) par toutes les oeuvres de la providence (tes pronoias erga), les louer toutes et les accepter toutes, en surmontant la tentation de trouver en celles-ci des aspects qui, a beaucoup de personnes, semblent injustes ou iniques (adika), et en admettant en revanche que le projet de Dieu (pronoia) va au-delà des capacités cognitives et de compréhension (agnoston kai akatalepton) de l'homme, alors qu'au contraire lui seul connaît nos pensées, nos actions et même notre avenir" (II, 29, PG, col. 964C). Du reste, Platon disait déjà que toute la philosophie commence avec l'émerveillement: notre foi aussi commence avec l'émerveillement de la création, de la beauté de Dieu qui se fait visible.

L'optimisme de la contemplation naturelle (physikè theoria), de cette manière de voir dans la création visible ce qui est bon, beau et vrai, cet optimisme chrétien n'est pas un optimisme naïf: il tient compte de la blessure infligée à la nature humaine par une liberté de choix voulue par Dieu et utilisée de manière impropre par l'homme, avec toutes les conséquences d'un manque d'harmonie diffus qui en ont dérivées. D'où l'exigence, clairement perçue par le théologien de Damas, que la nature dans laquelle se reflète la bonté et la beauté de Dieu, blessées par notre faute, "soit renforcée et renouvelée" par la descente du Fils de Dieu dans la chair, après que de nombreuses manières et en diverses occasions Dieu lui-même ait cherché à démontrer qu'il avait créé l'homme pour qu'il soit non seulement dans l'"être", mais dans le "bien-être" (cf. La foi orthodoxe, II, 1, PG 94, col. 981°). Avec un enthousiasme passionné, Jean explique: "Il était nécessaire que la nature soit renforcée et renouvelée et que soit indiquée et enseignée concrètement la voie de la vertu (didachthenai aretes hodòn), qui éloigne de la corruption et conduit à la vie éternelle... C'est ainsi qu'apparut à l'horizon de l'histoire la grande mer de l'amour de Dieu pour l'homme (philanthropias pelagos)...". C'est une belle expression. Nous voyons, d'une part, la beauté de la création et, de l'autre, la destruction accomplie par la faute humaine. Mais nous voyons dans le Fils de Dieu, qui descend pour renouveler la nature, la mer de l'amour de Dieu pour l'homme. Jean Damascène poursuit: " Lui-même, le Créateur et le Seigneur, lutta pour sa créature en lui transmettant à travers l'exemple son enseignement... Et ainsi, le Fils de Dieu, bien que subsistant dans la forme de Dieu, abaissa les cieux et descendit... auprès de ses serviteurs... en accomplissant la chose la plus nouvelle de toutes, l'unique chose vraiment nouvelle sous le soleil, à travers laquelle se manifesta de fait la puissance infinie de Dieu" (III, 1. PG 94, coll. 981C-984B).

Nous pouvons imaginer le réconfort et la joie que diffusaient dans le coeur des fidèles ces paroles riches d'images si fascinantes. Nous les écoutons nous aussi, aujourd'hui, en partageant les mêmes sentiments que les chrétiens de l'époque: Dieu veut reposer en nous, il veut renouveler la nature également par l'intermédiaire de notre conversion, il veut nous faire participer de sa divinité. Que le Seigneur nous aide à faire de ces mots la substance de notre vie.


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J’accueille avec plaisir les pèlerins de langue française. Je salue en particulier les pèlerins du diocèse de Bâle ainsi que les jeunes de Malines et de Buzançais ainsi que ceux de l’École internationale de formation et d’évangélisation de Paray-le-Monial. En ce temps pascal, je vous invite à entrer dans une relation toujours plus intime avec le Christ qui est vivant dans notre monde. Que Dieu vous bénisse!

Mes chers amis, vendredi je quitterai Rome pour une visite apostolique en Jordanie, Israël et dans les Territoires palestiniens. Je profite de l'occasion qui m'est donnée ce matin, à travers la radio et la télévision, pour saluer toutes les populations de ces pays. J'attends avec impatience de pouvoir être avec vous pour partager vos aspirations et vos espérances, tout comme vos souffrances et vos combats. Je viendrai parmi vous en pèlerin de paix. Mon intention principale est de visiter les lieux devenus saints par la vie de Jésus et de prier dans ces lieux pour le don de la paix et de l'unité pour vos familles et pour tous ceux dont la Terre Sainte et le Moyen Orient sont le foyer. Parmi les nombreux rassemblements religieux et civils qui se dérouleront au cours de la semaine, il y aura des rencontres avec les représentants des communautés musulmanes et juives avec qui ont été accomplis de grands progrès dans le dialogue et dans les échanges culturels. Je salue avec une affection particulière les catholiques de la région et je vous demande de vous unir à moi dans la prière afin que cette visite porte beaucoup de fruits pour la vie spirituelle et civile de ceux qui vivent en Terre Sainte. Prions tous Dieu pour sa bonté! Que nous puissions tous devenir un peuple d'espérance! Que nous puissions être tous fermes dans notre désir et nos efforts de paix!




Catéchèses Benoît XVI 22049