Catéchèses Benoît XVI 30099

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Chers frères et soeurs!

Comme c'est l'habitude après les voyages apostoliques internationaux, je profite de l'Audience générale d'aujourd'hui pour parler du pèlerinage que j'ai accompli ces derniers jours en République tchèque. Je le fais tout d'abord comme action de grâce à Dieu, qui m'a donné d'effectuer cette visite et qui l'a largement bénie. Cela a été un véritable pèlerinage et, dans le même temps, une mission au coeur de l'Europe: un pèlerinage, car la Bohême et la Moravie sont depuis plus d'un millénaire une terre de foi et de sainteté; une mission, car l'Europe a besoin de retrouver Dieu et, dans son amour, le fondement solide de l'espérance. Ce n'est pas un hasard si les saints évangélisateurs de ces populations, Cyrille et Méthode, sont les patrons de l'Europe avec saint Benoît. "L'amour du Christ est notre force": telle a été la devise du voyage, une affirmation qui fait écho à la foi de tant de témoins héroïques du passé lointain et récent, je pense en particulier au siècle dernier, mais qui veut surtout interpréter la certitude des chrétiens d'aujourd'hui. Oui, notre force est l'amour du Christ! Une force qui inspire et anime les véritables révolutions, pacifiques et libératrices, et qui nous soutient dans les moments de crise, en permettant de nous relever lorsque la liberté, retrouvée avec difficulté, risque de s'égarer elle-même, d'égarer sa propre vérité.

L'accueil que j'ai reçu a été cordial. Le président de la République, à qui je renouvelle l'expression de ma reconnaissance, a voulu être présent en diverses occasions et il m'a reçu avec mes collaborateurs, dans sa résidence, le château historique de la capitale, avec beaucoup de cordialité. Toute la Conférence épiscopale, en particulier le cardinal-archevêque de Prague et l'évêque de Brno, m'ont fait ressentir, avec une grande chaleur, le lien profond qui unit la communauté catholique tchèque au Successeur de saint Pierre. Je les remercie également pour avoir préparé avec soin les célébrations liturgiques. Je suis également reconnaissant aux autorités civiles et militaires et à ceux qui, de différentes manières, ont collaboré à la bonne réussite de ma visite.

L'amour du Christ a commencé à se révéler sur le visage d'un Enfant. Arrivé à Prague, en effet, j'ai accompli la première étape dans l'église Sainte-Marie de la Victoire, où l'on vénère l'Enfant-Jésus, connu précisément comme "Enfant de Prague". Cette effigie renvoie au mystère du Dieu fait Homme, au "Dieu proche", fondement de notre espérance. Face à l'"Enfant de Prague", j'ai prié pour tous les enfants, pour les parents, pour l'avenir de la famille. La véritable "victoire", que nous demandons aujourd'hui à Marie, est la victoire de l'amour et de la vie dans la famille et dans la société!

Le château de Prague, extraordinaire du point de vue historique et architectural, suggère une réflexion supplémentaire plus générale: il contient dans son très vaste espace de multiples monuments, locaux et institutions, représentant une sorte de polis, dans laquelle coexistent en harmonie la cathédrale et le palais, la place et le jardin. Ainsi, dans ce même contexte, ma visite a pu embrasser le cadre civil et religieux, non juxtaposés, mais dans une harmonieuse proximité tout en étant distincts. M'adressant donc aux autorités politiques et civiles et au corps diplomatique, j'ai voulu rappeler le lien indissoluble qui doit toujours exister entre liberté et vérité. Il ne faut pas avoir peur de la vérité, car elle est l'amie de l'homme et de sa liberté; au contraire, ce n'est que dans la recherche sincère du vrai, du bien et du beau que l'on peut réellement offrir un avenir aux jeunes d'aujourd'hui et aux générations à venir. Du reste, qu'est-ce qui attire autant de personnes à Prague sinon sa beauté, une beauté qui n'est pas seulement esthétique mais historique, religieuse, humaine dans un sens large? Ceux qui exercent des responsabilités dans le domaine politique et éducatif doivent savoir puiser à la lumière de cette vérité qui est le reflet de l'éternelle Sagesse du Créateur; et ils sont appelés à en témoigner personnellement à travers leurs vie. Seul un engagement sérieux de rectitude intellectuelle et morale est digne du sacrifice de ceux qui ont chèrement payé le prix de la liberté!

Le symbole de cette synthèse entre vérité et beauté est la splendide cathédrale de Prague, dédiée aux saints Guy, Venceslas et Adalbert, où s'est déroulée la célébration des vêpres avec les prêtres, les religieux, les séminaristes et une délégation de laïcs engagés dans les associations et dans les mouvements ecclésiaux. Pour les communautés de l'Europe centre-orientale, il s'agit d'un moment difficile: aux conséquences du long hiver du totalitarisme athée, s'ajoutent les effets nocifs d'un certain sécularisme et consumérisme occidental. J'ai donc encouragé chacun à puiser des énergies toujours nouvelles dans le Seigneur ressuscité, pour pouvoir être levain évangélique dans la société et s'engager, comme c'est déjà le cas, dans des activités caritatives, et encore davantage dans les activités éducatives et scolaires.

J'ai étendu ce message d'espérance, fondé sur la foi dans le Christ, au Peuple de Dieu tout entier lors des deux grandes célébrations eucharistiques qui se sont déroulées respectivement à Brno, chef-lieu de la Moravie, et à Stará Boleslav, lieu du martyre de saint Venceslas, patron principal du pays. La Moravie fait penser immédiatement aux saints Cyrille et Méthode, évangélisateurs des peuples slaves, et donc à la force inépuisable de l'Evangile qui, comme un fleuve d'eau qui guérit, traverse l'histoire et les continents, en apportant partout la vie et le salut. Sur le fronton, au-dessus de la porte de la cathédrale de Brno, sont inscrites les paroles du Christ: "Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos" (Mt 11, 28). Ces mêmes paroles ont retenti dimanche dernier au cours de la liturgie, faisant écho à la voix éternelle du Seigneur, espérance des nations, hier, aujourd'hui et à jamais. Le signe éloquent de la domination du Christ, domination de grâce et de miséricorde, est l'existence des saints Patrons des différentes nations chrétiennes, comme précisément Venceslas, jeune roi de Bohême au x siècle, qui se distingua par son témoignage chrétien exemplaire et qui fut tué par son frère. Venceslas plaça le royaume des cieux avant l'attrait du pouvoir terrestre et il est resté pour toujours dans le coeur du peuple tchèque, comme modèle et protecteur au cours des différentes vicissitudes de l'histoire. Aux nombreux jeunes présents à la Messe de saint Venceslas, provenant également des pays voisins, j'ai adressé l'invitation à reconnaître dans le Christ l'ami le plus vrai, qui satisfait les aspirations les plus profondes du coeur humain.

Je dois enfin mentionner, entre autres, deux rencontres: la rencontre oecuménique et celle avec la communauté académique. La première, qui s'est tenue à l'archevêché de Prague, a réuni les représentants des différentes communautés chrétiennes de la République tchèque et le responsable de la communauté juive. En pensant à l'histoire de ce pays, qui a malheureusement connu de durs conflits entre les chrétiens, un motif de vive reconnaissance à Dieu est de nous être retrouvés ensemble comme disciples de l'unique Seigneur, pour partager la joie de la foi et la responsabilité historique face aux défis actuels. L'effort de progresser vers une unité toujours plus pleine et visible entre nous, croyants en Christ, rend plus fort et efficace l'engagement commun pour la redécouverte des racines chrétiennes de l'Europe. Ce dernier aspect, qui tenait beaucoup à coeur de mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul ii, est également apparu pendant la rencontre avec les recteurs des Universités, les représentants des enseignants et des étudiants et d'autres personnalités importantes dans le domaine culturel. Dans ce contexte, j'ai voulu insister sur le rôle de l'institution universitaire, l'une des structures portantes de l'Europe, Prague ayant l'une des universités les plus anciennes et prestigieuses du continent, l'université Charles, du nom de l'empereur Charles iv qui la fonda, avec le Pape Clément vi. L'université des études est un milieu vital pour la société, une garantie de liberté et de développement, comme le démontre le fait que c'est précisément des cercles universitaires que démarra à Prague ce qu'on a appelé la "Révolution de velours". Vingt ans après cet événement historique, j'ai reproposé l'idée d'une formation humaine intégrale, fondée sur l'unité de la connaissance enracinée dans la vérité, pour faire obstacle à une nouvelle dictature, celle du relativisme accompagnée par la domination de la technique. La culture humaniste et la culture scientifique ne peuvent pas être séparées, au contraire, elles sont les deux faces d'une même médaille: c'est ce que nous rappelle encore une fois la terre tchèque, patrie de grands écrivains comme Kafka, et de l'abbé Mendel, pionnier de la génétique moderne.

Chers amis, je rends grâce au Seigneur car, avec ce voyage, il m'a permis de rencontrer un peuple et une Eglise aux profondes racines historiques et religieuses, qui commémore cette année différents événements d'une haute valeur spirituelle et sociale. Je renouvelle à mes frères et soeurs de la République tchèque un message d'espérance et une invitation au courage du bien, pour construire le présent et l'avenir de l'Europe. Je confie les fruits de ma visite pastorale à l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie et de tous les saints et saintes de Bohême et de Moravie. Merci.
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Je suis heureux de saluer les pèlerins de langue française, notamment les Soeurs du Bon Secours de Notre-Dame Auxiliatrice, réunies en Chapitre général, et les groupes du Liban, du Canada et de France. Que le Christ soit pour vous tous l’ami qui vous accompagne sur les chemins de votre vie! Avec ma Bénédiction apostolique!


Mercredi 7 octobre 2009 - Saint Jean Léonardi

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Chers frères et soeurs!

Après-demain, 9 octobre, nous célébrerons les 400 ans de la mort de saint Jean Léonardi, fondateur de l'Ordre religieux des clercs réguliers de la Mère de Dieu, canonisé le 17 avril 1938 et élu patron des pharmaciens le 8 août 2006. Il est également rappelé pour son grand élan missionnaire. Avec Mgr Juan Bautista Vives et le jésuite Martin de Funes, il projeta et contribua à l'institution d'une Congrégation spécifique du Saint-Siège pour les missions, celle de Propaganda Fide, et à la future naissance du Collège urbain de Propaganda Fide qui, au cours des siècles, a formé des milliers de prêtres, dont un grand nombre de martyrs, pour évangéliser les peuples. Il s'agit donc d'une figure lumineuse de prêtre, que j'ai plaisir à montrer comme exemple à tous les prêtres en cette année sacerdotale. Il mourut en 1609 à la suite d'une grippe contractée alors qu'il soignait tous ceux qui, dans le quartier romain de Campitelli, avaient été touchés par la maladie.

Jean Léonardi naquit en 1541 à Diecimo, dans la province de Lucques. Dernier de sept frères, son adolescence fut marquée par les rythmes de foi vécus dans un noyau familial sain et travailleur, et par la fréquentation assidue d'une boutique d'épices et de médicaments de son pays natal. A l'âge de 17 ans, son père l'inscrivit à un cours régulier d'apothicaire à Lucques, dans le but d'en faire un futur pharmacien, ou plutôt un apothicaire, comme on disait alors. Pendant presque dix ans, le jeune Jean Léonardi fréquenta ce cours de façon attentive et assidue, mais lorsque, selon les normes prévues par l'antique République de Lucques, il reçut la reconnaissance officielle qui devait l'autoriser à ouvrir sa boutique d'apothicaire, il se demanda si le moment n'était pas venu de réaliser un projet qui lui tenait à coeur depuis longtemps. Après une mûre réflexion, il décida de se consacrer au sacerdoce. Et ainsi, ayant quitté la boutique de l'apothicaire, et ayant reçu une formation théologique adéquate, il fut ordonné prêtre et, le jour de l'Epiphanie de 1572, il célébra sa première Messe. Toutefois, il n'abandonna pas la passion pour la pharmacie, car il sentait que la médiation professionnelle de pharmacien lui aurait permis de réaliser pleinement sa vocation, celle de transmettre aux hommes, à travers une vie sainte, "la médecine de Dieu", qui est Jésus Christ, mort et ressuscité, "mesure de toute chose".

Animé par la conviction que tous les êtres humains avaient besoin plus que tout autre chose de cette médecine, saint Jean Léonardi tenta de faire de la rencontre personnelle avec Jésus Christ la raison fondamentale de son existence. "Il est nécessaire de repartir du Christ", aimait-il répéter très souvent. Le primat du Christ sur tout devint pour lui le critère concret de jugement et d'action et le principe moteur de son activité sacerdotale, qu'il exerça tandis qu'était en cours un mouvement vaste et diffus de renouveau spirituel dans l'Eglise, grâce à la floraison de nouveaux Instituts religieux et au témoignage lumineux de saints tels que Charles Borromée, Philippe Neri, Ignace de Loyola, Joseph Calasanzio, Camille de Lellis, Louis Gonzague. Il se consacra avec enthousiasme à l'apostolat auprès des jeunes à travers la Compagnie de la Doctrine chrétienne, en rassemblant autour de lui un groupe de jeunes avec lesquels, le 1 septembre 1574, il fonda la Congrégation des prêtres réformés de la Bienheureuse Vierge, appelé par la suite Ordre des clercs réguliers de la Mère de Dieu. A ses disciples, il recommandait d'avoir "devant les yeux de l'esprit uniquement l'honneur, le service et la gloire de Jésus Christ crucifié" et, en bon pharmacien habitué à doser les potions grâce à une référence précise, il ajoutait: "Elevez un peu plus vos yeux vers Dieu et mesurez les choses avec Lui".

Soutenu par son zèle apostolique, en mai 1605, il envoya au Pape Paul v qui venait d'être élu un Mémorial, dans lequel il suggérait les critères d'un authentique renouveau dans l'Eglise. En observant qu'il est "nécessaire que ceux qui aspirent à la réforme des moeurs des hommes recherchent en particulier, et en premier lieu, la gloire de Dieu", il ajoutait qu'ils devaient resplendir "par l'intégrité de leur vie et l'excellence de leurs moeurs, ainsi, plus que l'imposer, ils conduiront doucement à la réforme". Il observait, en outre, que "celui qui veut opérer une sérieuse réforme religieuse et morale doit faire avant tout, comme un bon médecin, un diagnostic attentif des maux qui tourmentent l'Eglise pour pouvoir ainsi être en mesure de prescrire pour chacun d'eux le remède le plus approprié". Et il notait que "le renouveau de l'Eglise doit avoir lieu également chez les responsables et les subalternes, en haut et en bas. Il doit commencer par celui qui commande et s'étendre aux sujets". Ce fut pour cette raison que, tandis qu'il sollicitait le Pape à promouvoir une "réforme universelle de l'Eglise", il se préoccupait de la formation chrétienne du peuple et en particulier des enfants, qu'il fallait éduquer "dès les premières années... dans la pureté de la foi chrétienne et des saintes traditions".

Chers frères et soeurs, la figure lumineuse de ce saint invite tout d'abord les prêtres, et tous les chrétiens, à tendre constamment vers la "haute mesure de la vie chrétienne" qui est la sainteté, naturellement chacun selon son état. En effet, ce n'est que de la fidélité au Christ que peut naître l'authentique renouveau ecclésial. Au cours de ces années, lors du passage culturel et social entre le xvi siècle et le xvii siècle, commencèrent à se dessiner les prémisses de la future culture contemporaine, caractérisée par une scission indue entre foi et raison, qui a produit parmi ses effets négatifs la marginalisation de Dieu, avec l'illusion d'une possible et totale autonomie de l'homme qui choisit de vivre "comme si Dieu n'existait pas". C'est la crise de la pensée moderne, que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de souligner et qui débouche souvent sur des formes de relativisme. Jean Léonardi eut l'intuition du véritable remède pour ces maux spirituels et il la synthétisa dans l'expression: "le Christ avant tout", le Christ au centre du coeur, au centre de l'histoire et de l'univers. Et l'humanité a un besoin extrême du Christ - affirmait-il avec force - , car Il est notre "mesure". Il n'y a pas de milieu qui ne puisse être touché par sa force; il n'y a pas de maux qui ne trouvent en Lui un remède, il n'y a pas de problème qui ne se résolvent en Lui. "Ou le Christ ou rien"! Voilà sa recette pour chaque type de réforme spirituelle et sociale.

Il existe un autre aspect de la spiritualité de saint Jean Léonardi qu'il me plaît de souligner. En diverses circonstances, il réaffirma que la rencontre vivante avec le Christ se réalise dans son Eglise, sainte mais fragile, enracinée dans l'histoire et dans son devenir parfois obscur, où le blé et l'ivraie croissent ensemble (cf.
Mt 13,30), mais toutefois toujours Sacrement de salut. Ayant clairement conscience du fait que l'Eglise est le champ de Dieu (cf. Mt 13,24), il ne se scandalisa pas de ses faiblesses humaines. Pour faire obstacle à l'ivraie, il choisit d'être le bon grain: c'est-à-dire qu'il décida d'aimer le Christ dans l'Eglise et de contribuer à la rendre toujours davantage un signe transparent de sa personne. Avec un grand réalisme, il vit l'Eglise, sa fragilité humaine, mais également sa manière d'être "champ de Dieu", instrument de Dieu pour le salut de l'humanité. Pas seulement. Par amour du Christ, il travailla avec zèle pour purifier l'Eglise, pour la rendre plus belle et sainte. Il comprit que toute réforme doit être faite dans l'Eglise et jamais contre l'Eglise. En cela, saint Jean Léonardi a vraiment été extraordinaire et son exemple reste toujours actuel. Chaque réforme concerne assurément les structures, mais elle doit tout d'abord toucher le coeur des croyants. Seuls les saints, les hommes et les femmes qui se laissent guider par l'Esprit divin, prêts à accomplir des choix radicaux et courageux à la lumière de l'Evangile, renouvellent l'Eglise et contribuent, de manière déterminante, à construire un monde meilleur.

Chers frères et soeurs, l'existence de saint Jean Léonardi fut toujours illuminée par la splendeur de la "Sainte Face" de Jésus, conservée et vénérée dans l'église-cathédrale de Lucques, devenue le symbole éloquent et la synthèse indiscutable de la foi qui l'animait. Conquis par le Christ comme l'apôtre Paul, il indiqua à ses disciples, et il continue de nous indiquer à tous, l'idéal christocentrique pour lequel "il faut se dépouiller de chaque intérêt personnel et ne voir que le service de Dieu", en ayant "devant les yeux de l'esprit uniquement l'honneur, le service et la gloire du Christ Jésus crucifié". A côté de la face du Christ, il fixa son regard sur le visage maternel de Marie. Celle qu'il élisit Patronne de son ordre, fut pour lui maîtresse, soeur, mère, et il fit l'expérience de sa constante protection. Que l'exemple et l'intercession de cet "homme de Dieu fascinant" soient, en particulier en cette Année sacerdotale, un appel et un encouragement pour les prêtres et pour tous les chrétiens à vivre avec passion et enthousiasme sa propre vocation.
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Je salue avec joie les pèlerins francophones, spécialement les participants du Chapitre général des Frères Maristes des Ecoles et les membres de la Confédération des Chanoines Réguliers de saint Augustin à l’occasion du 50ème anniversaire de la fondation de la Confédération, ainsi que les pèlerins provenant de Belgique, du Bénin, du Canada, de Suisse et de France. Je vous invite à prier pour vos prêtres et, en ces jours du Synode, pour le cher continent africain. Que Dieu vous bénisse !



Mercredi 14 octobre 2009 - Pierre le Vénérable

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Chers frères et soeurs,

La figure de Pierre le Vénérable, que je veux présenter dans la catéchèse d'aujourd'hui, nous ramène à la célèbre abbaye de Cluny, à sa "dignité" (decor) et à sa "splendeur" (nitor)- pour reprendre des termes récurrents dans les textes de Cluny - dignité et splendeur, que l'on peut admirer en particulier dans la beauté de la liturgie, voie privilégiée pour parvenir à Dieu. Cependant, plus encore que ces aspects, la personnalité de Pierre rappelle la sainteté des grands abbés de Cluny: à Cluny "il n'y eut pas un seul abbé qui ne fût un saint", affirmait en 1080 le Pape Grégoire vii. Parmi ceux-ci s'inscrit Pierre le Vénérable, qui réunit en lui un peu de toutes les vertus de ses prédécesseurs, bien que déjà à son époque Cluny, face aux Ordres nouveaux comme celui de Cîteaux, commençât à ressentir certains symptômes de crise. Pierre est une exemple admirable d'ascète rigoureux avec lui-même et compréhensif avec les autres. Né autour de 1094 dans la région française de l'Auvergne, il entra encore enfant au monastère de Sauxillanges, où il devint moine profès et ensuite prieur. En 1122, il fut élu Abbé de Cluny, et occupa cette charge jusqu'à sa mort, qui eut lieu le jour de Noël 1156, comme il l'avait désiré. "Aimant la paix - écrit son biographe Rodolphe - il obtint la paix dans la gloire de Dieu le jour de la paix" (Vie, I, 1, 17; PL 189, 28).

Ceux qui le connurent en exaltèrent la douceur distinguée, l'équilibre serein, la maîtrise de soi, la rectitude, la loyauté, la lucidité et la capacité particulière de médiateur. "Il est dans ma nature même - écrivait-il - d'être profondément porté à l'indulgence; à cela m'incite mon habitude à pardonner. Je suis habitué à supporter et à pardonner" (EP 192, in: The Letters of Peter the Venerable, Harvard University Press, 1967, p. 446). Il disait aussi: "Avec ceux qui haïssent la paix nous voudrions, si possible, être toujours pacifiques" (EP 100, l.c., p. 261). Et il écrivait à propos de lui-même: "Je ne suis pas de ceux qui ne sont pas contents de leur sort,... dont l'esprit est toujours dans l'anxiété ou dans le doute, et qui se plaignent parce que tous les autres se reposent et qu'ils sont les seuls à travailler" (EP 182, p. 425). De nature sensible et affectueuse, il savait conjuguer l'amour pour le Seigneur avec la tendresse envers sa famille, en particulier envers sa mère, et envers ses amis. Il cultivait l'amitié, de manière particulière à l'égard de ses moines, qui se confiaient habituellement à lui, sûrs d'être accueillis et compris. Selon le témoignage de son biographe "il ne méprisait ni ne repoussait personne" (Vie, 1, 3: PL 189, 19); "il apparaissait à tous aimable; dans sa bonté innée il était ouvert à tous" (ibid., I, 1: PL 189, 17).

Nous pourrions dire que ce saint abbé constitue un exemple également pour les moines et les chrétiens de notre époque, marquée par un rythme de vie frénétique, où les épisodes d'intolérance et d'incommunicabilité, les divisions et les conflits ne sont pas rares. Son témoignage nous invite à savoir unir l'amour pour Dieu avec l'amour pour le prochain, et à ne pas nous lasser en renouant des relations de fraternité et de réconciliation. C'est en effet ainsi qu'agissait Pierre le Vénérable, qui se retrouva à la tête du monastère de Cluny pendant des années qui ne furent pas très sereines, en raison de différentes causes extérieures et internes à l'abbaye, réussissant à être dans le même temps sévère et doté d'une profonde humanité. Il avait l'habitude de dire: "On pourra obtenir davantage d'un homme en le tolérant, plutôt qu'en l'irritant avec des plaintes" (EP 172, l.c., p. 409). En raison de sa charge, il dut effectuer de fréquents voyages en Italie, en Angleterre, en Allemagne et en Espagne. L'abandon forcé de la quiétude contemplative lui pesait. Il confessait: "Je vais d'un lieu à l'autre, je m'essouffle, je m'inquiète, je me tourmente, entraîné ci et là; à un moment j'ai l'esprit tourné vers mes affaires et à un autre vers celles des autres, non sans une grande agitation de mon âme" (EP 91, l.c., p. 233). Bien qu'ayant dû composer avec les pouvoirs et les seigneuries qui entouraient Cluny, il réussit cependant, grâce à son sens de la mesure, à sa magnanimité et à son réalisme, à conserver sa tranquillité habituelle. Parmi les personnalités avec lesquelles il entra en relation, il y eut Bernard de Clairvaux, avec lequel il entretint une relation croissante d'amitié, malgré la diversité de leurs tempéraments et de leurs points de vue. Bernard le définissait: "un homme important occupé dans des affaires importantes" et il le tenait en grande estime (EP 147, éd. Scriptorium Claravallense, Milan 1986, VI/1, PP 658-660), alors que Pierre le Vénérable définissait Bernard comme la "lanterne de l'Eglise" (EP 164, p. 396), "forte et splendide colonne de l'ordre monastique et de toute l'Eglise" (EP 175, p. 418).

Avec un sens ecclésial très vif, Pierre le Vénérable affirmait que les événements du peuple chrétien devaient être vécus dans "l'intimité du coeur" par ceux qui comptent au nombre des "membres du corps du Christ" (EP 164, l.c., p. 397). Et il ajoutait: "Qui ne sent pas les blessures du corps du Christ n'est pas nourri par l'esprit du Christ", partout où elles peuvent se produire (ibid.). Il nourrissait en outre attention et sollicitude également pour ceux qui étaient en dehors de l'Eglise, en particulier pour les juifs et les musulmans: pour favoriser la connaissance de ces derniers il fit traduire le Coran. Un historien récent observe à cet égard que: "Au milieu de l'intransigeance des hommes du Moyen-âge - même les plus grands d'entre eux - nous admirons ici un exemple sublime de la délicatesse à laquelle conduit la charité chrétienne" (J. Leclercq, Pierre le Vénérable, Jaka Book, 1991, p. 189). D'autres aspects de la vie chrétienne lui étaient chers, tels que l'amour pour l'Eucharistie et la dévotion envers la Vierge Marie. Sur le Très Saint Sacrement, il nous a laissé des pages qui constituent "un des chefs-d'oeuvre de la littérature eucharistique de tous les temps" (ibid. , p. 267), et sur la Mère de Dieu il a écrit des réflexions éclairantes, en la contemplant toujours en étroite relation avec Jésus Rédempteur et avec son oeuvre de salut. Il suffit de citer cette élévation inspirée qu'on lui doit: "Je te salue, Vierge bénie, qui a mis en fuite la malédiction. Je te salue Mère du Très-Haut, épouse de l'Agneau très doux. Tu as vaincu le serpent, tu lui as écrasé la tête, lorsque Dieu que tu as engendré l'a anéanti... Etoile resplendissante de l'orient, qui mets en fuite les ombres de l'occident. Aurore qui précède le soleil, jour qui ignore la nuit... Prie le Dieu qui est né de toi afin qu'il dénoue notre péché et, après le pardon, nous concède la grâce et la gloire" (Carmina, PL 189, 1018-1019).

Pierre le Vénérable nourrissait également une prédilection pour l'activité littéraire et en possédait le talent. Il notait ses réflexions, persuadé de l'importance d'utiliser la plume comme une sorte de charrue "pour semer sur le papier la semence du Verbe" (EP 20, p. 38). Même s'il ne fut pas un théologien systématique, ce fut un grand explorateur du mystère de Dieu. Sa théologie plonge ses racines dans la prière, notamment liturgique, et parmi les mystères du Christ, sa prédilection allait à la Transfiguration, dans laquelle se préfigure déjà la Résurrection. C'est lui qui introduisit cette fête à Cluny, en composant pour elle un office spécial, où se reflète la piété théologique caractéristique de Pierre et de l'Ordre de Cluny, tout entière tendue à la contemplation du visage glorieux (gloriosa facies) du Christ, en y trouvant les raisons de cette joie ardente que distingue son esprit et rayonne dans la liturgie du monastère.

Chers frères et soeurs, ce saint moine est assurément un grand exemple de sainteté monastique, nourrie aux sources de la tradition bénédictine. Pour lui l'idéal du moine consiste à "adhérer avec ténacité au Christ" (EP 53, l.c., p.161) dans une vie de clôture se distinguant par l'"humilité monastique" (ibid.) et le dévouement au travail (EP 77, l.c., p. 211), ainsi que par un climat de contemplation silencieuse et de louange permanente à Dieu. La première et la plus importante occupation du moine, selon Pierre de Cluny, est la célébration solennelle de l'office divin - "oeuvre céleste et la plus utile de toutes" (Statuta, I, 1026) - qu'il faut accompagner par la lecture, la méditation, la prière personnelle et la pénitence observée avec discrétion (cf. Ep. 20, l.c., p. 40). De cette manière toute la vie résulte imprégnée d'un amour profond pour Dieu et d'amour pour les autres, un amour qui s'exprime dans l'ouverture sincère au prochain, dans le pardon, et dans la recherche de la paix. Nous pourrions dire, pour conclure, que si ce style de vie uni au travail quotidien constitue pour saint Benoît l'idéal du moine, celui-ci nous concerne tous également, il peut être, dans une large mesure, le style de vie du chrétien qui veut devenir un authentique disciple du Christ, caractérisé précisément par une forte adhésion au Christ, par l'humilité, par le dévouement au travail, par la capacité de pardon et de paix.
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Je suis heureux de saluer les pèlerins francophones, notamment les Petites Soeurs des Pauvres et leurs amis, venus à Rome pour la canonisation de Jeanne Jugan, ainsi que les diocésains de Périgueux et Sarlat, avec leur Évêque, Mgr Michel Mouïsse. Vous aussi, soyez toujours des témoins ardents de la miséricorde de Dieu pour les plus petits et les plus faibles. Avec ma Bénédiction apostolique !



Mercredi 21 octobre 2009 - Saint Bernard

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Chers frères et soeurs,

Aujourd'hui je voudrais parler de saint Bernard de Clairvaux, appelé le dernier des Pères de l'Eglise, car au XII siècle, il a encore une fois souligné et rendue présente la grande théologie des pères. Nous ne connaissons pas en détail les années de son enfance; nous savons cependant qu'il naquit en 1090 à Fontaines en France, dans une famille nombreuse et assez aisée. Dans son adolescence, il se consacra à l'étude de ce que l'on appelle les arts libéraux - en particulier de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique - à l'école des chanoines de l'église de Saint-Vorles, à Châtillon-sur-Seine et il mûrit lentement la décision d'entrer dans la vie religieuse. Vers vingt ans, il entra à Cîteaux, une fondation monastique nouvelle, plus souple par rapport aux anciens et vénérables monastères de l'époque et, dans le même temps, plus rigoureuse dans la pratique des conseils évangéliques. Quelques années plus tard, en 1115, Bernard fut envoyé par saint Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux, pour fonder le monastère de Clairvaux. C'est là que le jeune abbé (il n'avait que vingt-cinq ans) put affiner sa propre conception de la vie monastique, et s'engager à la traduire dans la pratique. En regardant la discipline des autres monastères, Bernard rappela avec fermeté la nécessité d'une vie sobre et mesurée, à table comme dans l'habillement et dans les édifices monastiques, recommandant de soutenir et de prendre soin des pauvres. Entre temps, la communauté de Clairvaux devenait toujours plus nombreuse et multipliait ses fondations.

Au cours de ces mêmes années, avant 1130, Bernard commença une longue correspondance avec de nombreuses personnes, aussi bien importantes que de conditions sociales modestes. Aux multiples Lettres de cette période, il faut ajouter les nombreux Sermons, ainsi que les Sentences et les Traités. C'est toujours à cette époque que remonte la grande amitié de Bernard avec Guillaume, abbé de Saint-Thierry, et avec Guillaume de Champeaux, des figures parmi les plus importantes du xii siècle. A partir de 1130, il commença à s'occuper de nombreuses et graves questions du Saint-Siège et de l'Eglise. C'est pour cette raison qu'il dut sortir toujours plus souvent de son monastère, et parfois hors de France. Il fonda également quelques monastères féminins, et engagea une vive correspondance avec Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, dont j'ai parlé mercredi dernier. Il dirigea surtout ses écrits polémiques contre Abélard, le grand penseur qui a lancé une nouvelle manière de faire de la théologie en introduisant en particulier la méthode dialectique-philosophique dans la construction de la pensée théologique. Un autre front sur lequel Bernard a lutté était l'hérésie des Cathares, qui méprisaient la matière et le corps humain, méprisant en conséquence le Créateur. En revanche, il sentit le devoir de prendre la défense des juifs, en condamnant les vagues d'antisémitisme toujours plus diffuses. C'est pour ce dernier aspect de son action apostolique que, quelques dizaines d'années plus tard, Ephraïm, rabbin de Bonn, adressa un vibrant hommage à Bernard. Au cours de cette même période, le saint abbé rédigea ses oeuvres les plus fameuses, comme les très célèbres Sermons sur le Cantique des Cantiques. Au cours des dernières années de sa vie - sa mort survint en 1153 - Bernard dut limiter les voyages, sans pourtant les interrompre complètement. Il en profita pour revoir définitivement l'ensemble des Lettres, des Sermons, et des Traités. Un ouvrage assez singulier, qu'il termina précisément en cette période, en 1145, quand un de ses élèves Bernardo Pignatelli, fut élu Pape sous le nom d'Eugène III, mérite d'être mentionné. En cette circonstance, Bernard, en qualité de Père spirituel, écrivit à son fils spirituel le texte De Consideratione, qui contient un enseignement en vue d'être un bon Pape. Dans ce livre, qui demeure une lecture intéressante pour les Papes de tous les temps, Bernard n'indique pas seulement comment bien faire le Pape, mais présente également une profonde vision des mystères de l'Eglise et du mystère du Christ, qui se résout, à la fin, dans la contemplation du mystère de Dieu un et trine: "On devrait encore poursuivre la recherche de ce Dieu, qui n'est pas encore assez recherché", écrit le saint abbé: "mais on peut peut-être mieux le chercher et le trouver plus facilement avec la prière qu'avec la discussion. Nous mettons alors ici un terme au livre, mais non à la recherche" (xiv, 32: PL 182, 808), à être en chemin vers Dieu.

Je voudrais à présent m'arrêter sur deux aspects centraux de la riche doctrine de Bernard: elles concernent Jésus Christ et la Très Sainte Vierge Marie, sa Mère. Sa sollicitude à l'égard de la participation intime et vitale du chrétien à l'amour de Dieu en Jésus Christ n'apporte pas d'orientations nouvelles dans le statut scientifique de la théologie. Mais, de manière plus décidée que jamais, l'abbé de Clairvaux configure le théologien au contemplatif et au mystique. Seul Jésus - insiste Bernard face aux raisonnements dialectiques complexes de son temps - seul Jésus est "miel à la bouche, cantique à l'oreille, joie dans le coeur (mel in ore, in aure melos, in corde iubilum)". C'est précisément de là que vient le titre, que lui attribue la tradition, de Doctor mellifluus: sa louange de Jésus Christ, en effet, "coule comme le miel". Dans les batailles exténuantes entre nominalistes et réalistes - deux courants philosophiques de l'époque - dans ces batailles, l'Abbé de Clairvaux ne se lasse pas de répéter qu'il n'y a qu'un nom qui compte, celui de Jésus le Nazaréen. "Aride est toute nourriture de l'âme", confesse-t-il, "si elle n'est pas baignée de cette huile; insipide, si elle n'est pas agrémentée de ce sel. Ce que tu écris n'a aucun goût pour moi, si je n'y ai pas lu Jésus". Et il conclut: "Lorsque tu discutes ou que tu parles, rien n'a de saveur pour moi, si je n'ai pas entendu résonner le nom de Jésus" (Sermones in Cantica Canticorum xv, 6: PL 183, 847). En effet, pour Bernard, la véritable connaissance de Dieu consiste dans l'expérience personnelle et profonde de Jésus Christ et de son amour. Et cela, chers frères et soeurs, vaut pour chaque chrétien: la foi est avant tout une rencontre personnelle, intime avec Jésus, et doit faire l'expérience de sa proximité, de son amitié, de son amour, et ce n'est qu'ainsi que l'on apprend à le connaître toujours plus, à l'aimer et le suivre toujours plus. Que cela puisse advenir pour chacun de nous!

Dans un autre célèbre Sermon le dimanche entre l'octave de l'Assomption, le saint Abbé décrit en termes passionnés l'intime participation de Marie au sacrifice rédempteur du Fils. "O sainte Mère, - s'exclame-t-il - vraiment, une épée a transpercé ton âme!... La violence de la douleur a transpercé à tel point ton âme que nous pouvons t'appeler à juste titre plus que martyr, car en toi, la participation à la passion du Fils dépassa de loin dans l'intensité les souffrances physiques du martyre" (14: PL 183-437-438). Bernard n'a aucun doute: "per Mariam ad Iesum", à travers Marie, nous sommes conduits à Jésus. Il atteste avec clarté l'obéissance de Marie à Jésus, selon les fondements de la mariologie traditionnelle. Mais le corps du Sermon documente également la place privilégiée de la Vierge dans l'économie de salut, à la suite de la participation très particulière de la Mère (compassio) au sacrifice du Fils. Ce n'est pas par hasard qu'un siècle et demi après la mort de Bernard, Dante Alighieri, dans le dernier cantique de la Divine Comédie, placera sur les lèvres du "Doctor mellifluus" la sublime prière à Marie: "Vierge Mère, fille de ton Fils, / humble et élevée plus qu'aucune autre créature / terme fixe d'un éternel conseil,..." (Paradis 33, vv. 1ss).

Ces réflexions, caractéristiques d'un amoureux de Jésus et de Marie comme saint Bernard, interpellent aujourd'hui encore de façon salutaire non seulement les théologiens, mais tous les croyants. On prétend parfois résoudre les questions fondamentales sur Dieu, sur l'homme et sur le monde à travers les seules forces de la raison. Saint Bernard, au contraire, solidement ancré dans la Bible, et dans les Pères de l'Eglise, nous rappelle que sans une profonde foi en Dieu alimentée par la prière et par la contemplation, par un rapport intime avec le Seigneur, nos réflexions sur les mystères divins risquent de devenir un vain exercice intellectuel, et perdent leur crédibilité. La théologie renvoie à la "science des saints", à leur intuition des mystères du Dieu vivant, à leur sagesse, don de l'Esprit Saint, qui deviennent un point de référence de la pensée théologique. Avec Bernard de Clairvaux, nous aussi nous devons reconnaître que l'homme cherche mieux et trouve plus facilement Dieu "avec la prière qu'avec la discussion". A la fin, la figure la plus authentique du théologien et de toute évangélisation demeure celle de l'apôtre Jean, qui a appuyé sa tête sur le coeur du Maître.

Je voudrais conclure ces réflexions sur saint Bernard par les invocations à Marie, que nous lisons dans une belle homélie. "Dans les dangers, les difficultés, les incertitudes - dit-il - pense à Marie, invoque Marie. Qu'elle ne se détache jamais de tes lèvres, qu'elle ne se détache jamais de ton coeur; et afin que tu puisses obtenir l'aide de sa prière, n'oublie jamais l'exemple de sa vie. Si tu la suis, tu ne te tromperas pas de chemin; si tu la pries, tu ne désespéreras pas; si tu penses à elle, tu ne peux pas te tromper. Si elle te soutient, tu ne tombes pas; si elle te protège, tu n'as rien à craindre; si elle te guide, tu ne te fatigues pas; si elle t'est propice, tu arriveras à destination..." (Hom. II super "Missus est", 17: PL 183, 70-71).
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Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les jeunes d’Alsace et de Normandie ainsi que les servants de messe des unités pastorales Notre-Dame et Sainte-Claire du canton de Fribourg. Que l’enseignement de saint Bernard vous aide à découvrir toujours plus en Marie la Mère qui protège de toute crainte et qui nous guide vers son divin Fils. Que Dieu vous bénisse !




Place Saint-Pierre

Mercredi 28 octobre 2009 - Théologie monastique et théologie scolastique


Catéchèses Benoît XVI 30099