Catéchèses Benoît XVI 14112

Mercredi 14 novembre 2012: L'Année de la foi. Les chemins qui conduisent à la connaissance de Dieu

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Chers frères et soeurs,

Mercredi dernier, nous avons réfléchi sur le désir de Dieu que l’être humain porte au plus profond de lui-même. Aujourd’hui, je voudrais continuer à approfondir cet aspect en méditant brièvement avec vous sur certaines voies pour arriver à la connaissance de Dieu. Je voudrais rappeler, toutefois, que l’initiative de Dieu précède toujours toute initiative de l’homme, et, même en chemin vers Lui, c’est Lui le premier qui nous éclaire, nous oriente et nous guide, en respectant toujours notre liberté. Et c’est toujours Lui qui nous fait entrer dans son intimité, en se révélant et en nous donnant la grâce pour pouvoir accueillir cette révélation dans la foi. N’oublions jamais l’expérience de saint Augustin : ce n’est pas nous qui possédons la Vérité après l’avoir cherchée, mais c’est la Vérité qui nous cherche et nous possède.

Toutefois, il existe des voies qui peuvent ouvrir le coeur de l’homme à la connaissance de Dieu, il existe des signes qui conduisent vers Dieu. Certes, nous risquons souvent d’être aveuglés par les miroitements de la vie du monde, qui nous rendent moins capables de parcourir ces voies ou de lire ces signes. Mais Dieu ne se lasse jamais de nous chercher, il est fidèle à l’homme qu’il a créé et racheté, il reste proche de notre vie parce qu’il nous aime. Voilà une certitude qui doit nous accompagner chaque jour, même si certaines mentalités diffuses rendent plus difficiles à l’Eglise et au chrétien de transmettre la joie de l’Évangile à chaque créature et de conduire chacun à la rencontre avec Jésus, unique Sauveur du monde. Telle est, toutefois, notre mission, c’est la mission de l’Église et tout croyant doit la vivre joyeusement, en la ressentant comme sienne, à travers une existence vraiment animée par la foi, marquée par la charité, par le service à Dieu et aux autres, et capable de faire rayonner l’espérance. Cette mission resplendit surtout dans la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés.

Aujourd’hui — nous le savons — les difficultés ne manquent pas ni les épreuves pour la foi, souvent peu comprise, contestée, refusée. Saint Pierre disait à ses chrétiens : «Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous » (1 Pt 3, 15). Par le passé, en Occident, dans une société considérée comme chrétienne, la foi était le milieu dans lequel elle évoluait; la référence et l’adhésion à Dieu étaient, pour la plupart des personnes, une partie de la vie quotidienne. C’était plutôt celui qui ne croyait pas qui devait justifier son incrédulité. Dans notre monde, la situation a changé et le croyant doit toujours davantage être capable de rendre raison de sa foi. Le bienheureux Jean-Paul II, dans l’encyclique Fides et ratio, soulignait combien la foi est encore mise à l’épreuve à l’époque contemporaine à travers des formes subtiles et captieuses d’athéisme théorique et pratique (cf. nn. 46-47). A partir du siècle des Lumières, la critique contre la religion s’est intensifiée ; l’histoire a été marquée par la présence de systèmes athées dans lesquels Dieu était considéré comme une pure projection de l’esprit humain, une illusion et le produit d’une société déjà faussée par tant d’aliénations. Le siècle dernier a ensuite connu un fort processus de sécularisme à l’enseigne de l’autonomie absolue de l’homme, considéré comme la mesure et l’artisan de la réalité, mais appauvri dans son identité de créature « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». De nos jours s’est vérifié un phénomène particulièrement dangereux pour la foi: il y a en effet une forme d’athéisme que nous définissons, justement, « pratique », dans lequel les vérités de la foi ou les rites religieux ne sont pas niés, mais simplement ils sont jugés sans importance pour l’existence quotidienne, détachés de la vie, inutiles. Souvent, alors, on croit en Dieu de manière superficielle, et on vit « comme si Dieu n’existait pas » (etsi Deus non daretur). Mais à la fin, cette manière de vivre se révèle encore plus destructrice, parce qu’elle porte à l’indifférence envers la foi et envers la question de Dieu.

En réalité, l’homme, séparé de Dieu, est réduit à une seule dimension, celle horizontale, et ce réductionnisme est précisément l’une des causes fondamentales des totalitarismes qui ont eu des conséquences tragiques au siècle dernier, ainsi que de la crise de valeurs que nous voyons dans la réalité actuelle. En affaiblissant la référence à Dieu, on a également affaibli l’horizon éthique, pour laisser place au relativisme et à une conception ambiguë de la liberté, qui au lieu d’être libératrice, finit par lier l’homme à des idoles. Les tentations que Jésus a affrontées dans le désert avant sa mission publique, représentent bien ces « idoles » qui fascinent l’homme, lorsqu’il ne va pas au-delà de lui-même. Si Dieu perd son caractère central, l’homme perd sa juste place, il ne trouve plus sa place dans la création, dans les relations avec les autres. Ce que la sagesse antique évoque avec le mythe de Promothée n’a pas disparu : l’homme pense pouvoir devenir lui-même « dieu », patron de la vie et de la mort.

Face à cette situation, l’Église, fidèle au mandat du Christ, ne cesse d’affirmer la vérité sur l’homme et sur son destin. Le Concile Vatican ii affirme ainsi de façon synthétique : « L’aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu. Cette invitation que Dieu adresse à l’homme de dialoguer avec Lui commence avec l’existence humaine. Car, si l’homme existe, c’est que Dieu l’a créé par amour et, par amour, ne cesse de lui donner l’être ; et l’homme ne vit pleinement selon la vérité que s’il reconnaît librement cet amour et s’abandonne à son Créateur » (Const. Gaudium et spes
GS 19).

Quelles réponses la foi est-elle alors appelée à donner, « avec douceur et respect» à l’athéisme, au scepticisme, à l’indifférence envers la dimension verticale, afin que l’homme de notre temps puisse continuer à s’interroger sur l’existence de Dieu et à parcourir les voies qui conduisent à Lui ? Je voudrais évoquer certaines voies, qui dérivent tant de la réflexion naturelle, que de la force même de la foi. Je voudrais les résumer de façon très synthétique en trois mots : le monde, l’homme, la foi.

Le premier mot : le monde. Saint Augustin, qui dans sa vie a longuement cherché la Vérité et a été saisi par la Vérité, a écrit une très belle et célèbre page, dans laquelle il affirme ceci : « Interroge la beauté de la terre, la beauté de la mer, la beauté de cette vaste et immense atmosphère, la beauté du ciel... interroge tout cela. Tout ne répond-il pas : Regarde, admire notre beauté ? Leur beauté même est une réponse. Or, qui a fait ces beautés muables, sinon l'immuable Beauté ? » (Sermon, 241, 2 : pl 38, 1134). Je pense que nous devons récupérer et faire récupérer à l’homme d’aujourd’hui la capacité de contempler la création, sa beauté, sa structure. Le monde n’est pas un magma informe, mais plus nous le connaissons, plus nous en découvrons les merveilleux mécanismes, plus nous voyons un dessein, nous voyons qu’il y a une intelligence créatrice. Albert Einstein disait que dans les lois de la nature « se révèle une raison si supérieure que toutes les pensées ingénieuses des hommes et leur agencement ne sont, en comparaison, qu’un reflet tout à fait futile » (Comment je vois le monde). Une première voie, donc, qui conduit à la découverte de Dieu consiste à contempler la création avec un regard attentif.

Le deuxième mot : l’homme. Saint Augustin, toujours lui, est l’auteur ensuite d’une phrase célèbre dans laquelle il dit que Dieu est davantage en moi que je ne le suis moi-même (cf. Confessions III, 6, 11). C’est pourquoi il formule l’invitation : « Ne va pas au dehors, cherche en toi-même ; la vérité réside dans l'homme intérieur » (De vera religione, 39, 72). Cela est un autre aspect que nous risquons de perdre de vue dans le monde bruyant et désordonné dans lequel nous vivons : la capacité de nous arrêter et de regarder en profondeur en nous-mêmes et de lire cette soif d’infini que nous portons à l’intérieur, qui nous pousse à aller au-delà et renvoie à Quelqu’un qui puisse la combler. Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : « Avec son ouverture à la vérité et à la beauté, son sens du bien moral, sa liberté et la voix de sa conscience, son aspiration à l’infini et au bonheur, l’homme s’interroge sur l’existence de Dieu » (n. 33).

Le troisième mot: la foi. En particulier dans la réalité de notre temps, nous ne devons pas oublier qu’une voie qui conduit à la connaissance et à la rencontre avec Dieu est la vie de la foi. Celui qui croit est uni à Dieu, il est ouvert à sa grâce, à la force de la charité. Ainsi, son existence devient le témoignage non de lui-même, mais du Ressuscité, et sa foi n’a pas crainte de se montrer dans la vie quotidienne, elle est ouverte au dialogue qui exprime une amitié profonde pour le chemin de chaque homme, et sait allumer des lumières d’espérance au besoin de rachat, de bonheur, d’avenir. En effet, la foi est une rencontre avec Dieu qui parle et oeuvre dans l’histoire et qui convertit notre vie quotidienne, en transformant en nous la mentalité, les jugements de valeur, les choix et les actions concrètes. Ce n’est pas une illusion, une fuite de la réalité, un refuge confortable, du sentimentalisme, mais une participation de toute la vie et l’annonce de l’Evangile, Bonne Nouvelle capable de libérer chaque homme. Un chrétien, une communauté qui sont actifs et fidèles au projet de Dieu qui nous a aimés le premier, constituent une voie privilégiée pour ceux qui sont dans l’indifférence ou dans le doute à propos de son existence et de son action. Mais cela demande à chacun de rendre toujours plus transparent son propre témoignage de foi, en purifiant sa vie afin qu’elle soit conforme au Christ. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont une conception limitée de la foi chrétienne, car ils l’identifient avec un simple système de croyances et de valeurs et pas tant avec la vérité de Dieu qui s’est révélé dans l’histoire, désireux de communiquer avec l’homme de manière personnelle, dans une relation d’amour avec lui. En réalité, comme fondement de chaque doctrine ou valeur, il y a l’événement de la rencontre entre l’homme et Dieu en Jésus Christ. Le christianisme, avant d’être une morale ou une éthique, est l’avènement de l’amour, est l’accueil de la personne de Jésus. C’est pourquoi le chrétien et les communautés chrétiennes doivent tout d’abord regarder et faire voir le Christ, véritable chemin qui conduit à Dieu.
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Je salue tous les francophones présents venus du Canada et de France, spécialement les collégiens de Fénelon-Sainte-Marie ! Puissiez-vous annoncer avec joie l’Évangile par le témoignage courageux de votre foi, par une vie conforme au Christ, et par la force de votre charité. Je vous invite à vivre chaque jour dans la sainteté pour irradier sur notre monde la lumière de l’espérance.
Bon pèlerinage !





Salle Paul VI

Mercredi 21 novembre 2012: L'Année de la foi. Le caractère raisonnable de la foi en Dieu

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Chers frères et soeurs,

Nous avançons dans cette Année de la foi, en portant dans notre coeur l’espérance de redécouvrir quelle joie il y a à croire et retrouver l’enthousiasme de communiquer à tous les vérités de la foi. Ces vérités ne sont pas un simple message sur Dieu, une information particulière sur Lui. Elles expriment en revanche l’événement de la rencontre de Dieu avec les hommes, une rencontre salvifique et libératrice, qui réalise les aspirations les plus profondes de l’homme, son désir de paix, de fraternité, d’amour. La foi conduit à découvrir que la rencontre avec Dieu valorise, perfectionne et élève ce qu’il y a de vrai, de bon et de beau en l’homme. Il arrive ainsi que, tandis que Dieu se révèle et se laisse connaître, l’homme vient à savoir qui est Dieu et, le connaissant, il se découvre lui-même, sa propre origine, son destin, la grandeur et la dignité de la vie humaine.

La foi permet un savoir authentique sur Dieu qui implique toute la personne humaine : c’est un sàpere, c’est-à-dire un savoir qui donne une saveur à la vie, un goût nouveau d’exister, une manière joyeuse d’être au monde. La foi s’exprime dans le don de soi pour les autres, dans la fraternité qui rend solidaires, capables d’aimer, en vainquant la solitude qui rend tristes. Cette connaissance de Dieu à travers la foi n’est donc pas seulement intellectuelle, mais vitale. C’est la connaissance de Dieu-Amour, grâce à son amour même. L’amour de Dieu, ensuite, fait voir, ouvre les yeux, permet de connaître toute la réalité, au-delà des perspectives étroites de l’individualisme et du subjectivisme qui désorientent les consciences. La connaissance de Dieu est donc une expérience de foi et implique, dans le même temps, un chemin intellectuel et moral : touché au plus profond par l’Esprit de Jésus en nous, nous dépassons les horizons de nos égoïsmes et nous nous ouvrons aux vraies valeurs de l’existence.

Aujourd’hui, dans cette catéchèse, je voudrais m’arrêter sur le caractère raisonnable de la foi en Dieu. La tradition catholique depuis le début a rejeté ce que l’on appelle le fidéisme, qui est la volonté de croire contre la raison. Credo quia absurdum (je crois parce que c’est absurde) n’est pas une formule qui interprète la foi catholique. Dieu, en effet, n’est pas absurde, tout au plus est-il mystère. Le mystère, à son tour, n’est pas irrationnel, mais est surabondance de sens, de signification, de vérité. Si, en regardant le mystère, la raison est dans l’obscurité, ce n’est pas parce que le mystère n’est pas lumière, mais plutôt parce qu’il y en a trop. Il en est ainsi lorsque les yeux de l’homme se tournent directement vers le soleil pour le regarder, ils ne voient que ténèbres ; mais qui dirait que le soleil n’est pas lumineux, il est même la source de la lumière ? La foi permet de regarder le « soleil », Dieu, parce qu’elle est accueil de sa révélation dans l’histoire et, pour ainsi dire, elle reçoit vraiment toute sa luminosité du mystère de Dieu, en reconnaissant le grand miracle : Dieu s’est approché de l’homme, il s’est offert à sa connaissance, en s’abaissant à la limite créaturale de sa raison (cf. Conc. oec. Vat. ii, Const. dogm. Dei Verbum
DV 13). Dans le même temps, Dieu, par sa grâce, éclaire la raison, lui ouvre des horizons nouveaux, incommensurables et infinis. C’est pourquoi la foi constitue un encouragement à chercher toujours, à ne jamais s’arrêter et à ne jamais trouver le repos dans la découverte inépuisable de la vérité et de la réalité. Le préjugé de certains penseurs modernes, selon lesquels la raison humaine serait bloquée par les dogmes de la foi, est faux. C’est exactement le contraire qui est vrai, comme les grands maîtres de la tradition catholique l’ont démontré. Saint Augustin, avant sa conversion, cherche avec tant d’inquiétude la vérité, à travers toutes les philosophies disponibles, en les trouvant toutes insatisfaisantes. Sa recherche rationnelle épuisante est pour lui une pédagogie significative en vue de la rencontre avec la Vérité du Christ. Lorsqu’il dit : « Comprends pour croire et crois pour comprendre » (Discours 43, 9 : PL 38, 258), c’est comme s’il racontait sa propre expérience de vie. L’intellect et la foi, face à la Révélation divine, ne sont pas étrangers ou antagonistes, mais ils sont tous deux des conditions pour en comprendre le sens, pour en recevoir le message authentique, en s’approchant du seuil du mystère. Saint Augustin, avec beaucoup d’autres penseurs chrétiens, est témoin d’une foi qui s’exerce avec la raison, qui pense et invite à penser. Dans ce sillage, saint Anselme dira dans son Proslogion que la foi catholique est fides quaerens intellectum, où la recherche de l’intelligence est un acte antérieur à croire. Ce sera surtout saint Thomas d’Aquin — fort de cette tradition — qui se confrontera avec les raisons des philosophes, en montrant quelle fécondité rationnelle nouvelle dérive dans la pensée humaine de la greffe des principes et des vérités de la foi chrétienne.

La foi catholique est donc raisonnable et nourrit notre confiance également dans la raison humaine. Le Concile Vatican i, dans la constitution dogmatique Dei Filius, a affirmé que la raison est en mesure de connaître avec certitude l’existence de Dieu à travers la voie de la création, tandis que ce n’est qu’à la foi qu’appartient la possibilité de connaître « facilement, avec une certitude absolue et sans erreur » (DS 3005) les vérités qui concernent Dieu, à la lumière de la grâce. La connaissance de la foi, en outre, n’est pas contre la raison droite. Le bienheureux Pape Jean-Paul II, en effet, dans l’encyclique Fides et ratio, résume ainsi : « La raison de l’homme n’est ni anéantie, ni humiliée lorsqu’elle donne son assentiment au contenu de la foi; celui-ci est toujours atteint par un choix libre et conscient » (n. 43). Dans l’irrésistible désir de vérité, seul un rapport harmonieux entre foi et raison est le chemin juste qui conduit à Dieu et à la pleine réalisation de soi.

Cette doctrine est facilement reconnaissable dans tout le Nouveau Testament. En écrivant aux chrétiens de Corinthe, saint Paul soutient, comme nous l’avons entendu : « Alors que les juifs réclament les signes du Messie, et que le monde grec recherche une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les peuples païens » (1Co 1,22-23). En effet, Dieu a sauvé le monde non pas par un acte de puissance, mais à travers l’humiliation de son Fils unique : selon les paramètres humains, la modalité insolite utilisée par Dieu détonne avec les exigences de la sagesse grecque. Pourtant, la Croix du Christ possède sa raison, que saint Paul appelle : ho lògos tou staurou, « le langage de la croix » (1Co 1,18). Ici, le terme lògos indique tant le langage que la raison et, si il fait allusion au langage, c’est parce qu’il exprime verbalement ce que la raison élabore. Paul voit donc dans la Croix non pas un événement irrationnel, mais un fait salvifique qui possède un bon sens propre, reconnaissable à la lumière de la foi. Dans le même temps, il a tellement confiance dans la raison humaine qu’il s’étonne du fait que de nombreuses personnes, bien que voyant les oeuvres accomplies par Dieu, s’obstinent à ne pas croire en Lui. Il dit dans la Lettre aux Romains : « Depuis la création du monde, les hommes, avec leur intelligence, peuvent voir, à travers les oeuvres de Dieu, ce qui est invisible: sa puissance éternelle et sa divinité » (1, 20). Ainsi, saint Pierre exhorte lui aussi les chrétiens de la diaspora à adorer « dans vos coeurs le Seigneur Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous » (1P 3,15). Dans un climat de persécution et de profonde exigence de témoigner de la foi, il est demandé aux croyants de justifier par des motivations fondées leur adhésion à la parole de l’Évangile, de donner raison de notre espérance.

Sur ces prémisses à propos du lien fécond entre comprendre et croire, se fonde également le rapport vertueux entre science et foi. La recherche scientifique, nous le voyons, conduit à la connaissance de vérités toujours nouvelles sur l’homme et sur l’univers. Le bien véritable de l’humanité, accessible dans la foi, ouvre l’horizon dans lequel doit se dérouler son chemin de découverte. Il faut donc encourager, par exemple, les recherches placées au service de la vie et visant à vaincre les maladies. Les recherches en vue de découvrir les secrets de notre planète et de l’univers sont également importantes, dans la conscience que l’homme est au sommet de la création non pour l’exploiter de manière insensée, mais pour la protéger et la rendre habitable. Ainsi la foi, réellement vécue, n’entre pas en conflit avec la science, mais coopère plutôt avec elle, en offrant des critères de base pour qu’elle promeuve le bien de tous, en lui demandant de ne renoncer qu’aux tentatives qui — en s’opposant au projet originel de Dieu — peuvent produire des effets qui se retournent contre l’homme lui-même. C’est également pour cela qu’il est raisonnable de croire : si la science est une alliée précieuse de la foi pour la compréhension du dessein de Dieu dans l’univers, la foi permet au progrès scientifique de se réaliser toujours pour le bien et pour la vérité de l’homme, en restant fidèle à ce même dessein.

Voilà pourquoi il est décisif pour l’homme de s’ouvrir à la foi et de connaître Dieu et son projet de salut en Jésus Christ. Dans l’Evangile est inauguré un nouvel humanisme, une authentique « grammaire » de l’homme et de toute la réalité. Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : « La vérité de Dieu est sa sagesse qui commande tout l’ordre de la création et du gouvernement du monde. Dieu qui, seul, “a créé le ciel et la terre” (cf. Ps 115,15), peut seul donner la connaissance véritable de toute chose créée dans sa relation à Lui » (n. 216).

Espérons alors que notre engagement dans l’évangélisation aide à redonner son caractère central à l’Évangile dans la vie de tant d’hommes et femmes de notre temps. Et prions afin que tous retrouvent dans le Christ le sens de l’existence et le fondement de la liberté véritable: en effet, sans Dieu, l’homme s’égare. Les témoignages de ceux qui nous ont précédés et ont consacré leur vie à l’Évangile le confirment pour toujours. Il est raisonnable de croire, c’est notre existence qui est en jeu. Cela vaut la peine de se prodiguer pour le Christ, Lui seul satisfait les désirs de vérité et de bien enracinés dans l’âme de chaque homme: à présent, dans le temps qui passe, et le jour sans fin de l’Éternité bienheureuse.
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Je suis avec une grave préoccupation l’aggravation de la violence entre les Israéliens et les Palestiniens de la Bande de Gaza. Avec mon souvenir dans la prière pour les victimes et pour tous ceux qui souffrent, je sens le devoir de répéter une fois de plus que la haine et la violence ne sont pas la solution des problèmes. En outre, j’encourage les initiatives et les efforts de ceux qui s’efforcent de parvenir à une trêve et de promouvoir les négociations. J’exhorte également les autorités des deux parties à prendre des décisions courageuses en faveur de la paix et à mettre fin à un conflit qui a des répercussions négatives sur toute la région du Moyen-Orient, tourmentée par de trop nombreux affrontements et qui a besoin de paix et de réconciliation.

Je salue avec joie les pèlerins francophones, en particulier ceux des diocèses d’Arras et d’Autun, ainsi que les Focolari du Liban ! L’évangile inaugure un nouvel humanisme et offre une authentique « grammaire » de l’humain et de toute réalité. Puissiez-vous le méditer et faire resplendir sa lumière chaque jour, afin que beaucoup de nos contemporains trouvent dans le Christ le sens de leur existence et le vrai fondement de leur liberté ! Bon pèlerinage à vous tous !





Salle Paul VI

Mercredi 28 novembre 2012: L'Année de la foi. Comment parler de Dieu ?

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Chers frères et soeurs,

La question centrale que nous nous posons aujourd’hui est la suivante : comment parler de Dieu à notre époque ? Comment transmettre l’Évangile, pour ouvrir la route à la vérité salvifique dans les coeurs souvent fermés de nos contemporains et dans leurs esprits parfois distraits par les nombreux phares éblouissants de notre société. Jésus lui-même, nous disent les évangélistes, en annonçant le Royaume de Dieu s’est interrogé sur cela : « Comment allons-nous comparer le Royaume de Dieu ? ou par quelle parabole allons-nous le figurer ? » (
Mc 4,30). Comment parler de Dieu aujourd’hui ? La première réponse est que nous pouvons parler de Dieu, parce qu’Il a parlé avec nous. La première condition pour parler de Dieu est donc l’écoute de ce qu’a dit Dieu lui-même. Dieu a parlé avec nous ! Dieu n’est pas une hypothèse lointaine sur l’origine du monde ; ce n’est pas une intelligence mathématique très éloignée de nous. Dieu s’intéresse à nous, nous aime, est entré personnellement dans la réalité de notre histoire, il s’est communiqué lui-même jusqu’à s’incarner. Donc, Dieu est une réalité de notre vie, il est si grand qu’il a aussi du temps pour nous, il s’occupe de nous. En Jésus de Nazareth nous rencontrons le visage de Dieu, qui est descendu de son Ciel pour se plonger dans le monde des hommes, dans notre monde, et enseigner « l’art de vivre », le chemin du bonheur; pour nous libérer du péché et faire de nous les enfants de Dieu (cf. Ep 1,5 Rm 8,14). Jésus est venu pour nous sauver et nous montrer la vie bonne de l’Évangile.

Parler de Dieu veut dire tout d’abord avoir bien clair ce que nous devons apporter aux hommes et aux femmes de notre temps ; non pas un Dieu abstrait, une hypothèse, mais un Dieu concret, un Dieu qui existe, qui est entré dans l’histoire et qui est présent dans l’histoire ; le Dieu de Jésus Christ comme réponse à la question fondamentale du pourquoi et du comment vivre. C’est pourquoi parler de Dieu exige une familiarité avec Jésus et son Évangile, suppose notre connaissance personnelle et réelle de Dieu et une forte passion pour son projet de salut, sans céder à la tentation du succès, mais en suivant la méthode de Dieu lui-même. La méthode de Dieu est celle de l’humilité — Dieu se fait l’un de nous — c’est la méthode réalisée dans l’Incarnation dans la maison simple de Nazareth et dans la grotte de Bethléem, celle de la parabole du grain de sénevé. Il ne faut pas craindre l’humilité des petits pas et avoir confiance dans le levain qui pénètre dans la pâte et lentement la fait croître (cf. Mt 13,33). Pour parler de Dieu, dans l’oeuvre d’évangélisation, sous la conduite de l’Esprit Saint, il est nécessaire de retrouver la simplicité, de revenir à l’essentiel de l’annonce : la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui est réel et concret, un Dieu qui s’intéresse à nous, un Dieu-Amour qui se fait proche de nous en Jésus Christ jusqu’à la Croix et qui dans la Résurrection nous donne l’espérance et nous ouvre à une vie et qui n’a pas de fin, la vie éternelle, la vraie vie. Ce communicateur exceptionnel que fut l’apôtre Paul nous offre une leçon qui va précisément au coeur de la foi, de la question de savoir « comment parler de Dieu » avec une grande simplicité. Dans la Première Lettre aux Corinthiens, il écrit : « Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié » (2, 1-2). Donc la première réalité est que Paul ne parle pas d’une philosophie qu’il a développée lui-même, il ne parle pas d’idées qu’il a trouvées ailleurs ou inventées, mais il parle d’une réalité de sa vie, il parle du Dieu qui est entré dans sa vie, il parle d’un Dieu réel qui vit, a parlé avec lui et parlera avec nous, il parle du Christ crucifié et ressuscité. La seconde réalité est que Paul ne se cherche pas lui-même, il ne veut pas se créer une foule d’admirateurs, il ne veut pas entrer dans l’histoire comme chef d’une école de grandes connaissances, il ne se cherche pas lui-même, mais saint Paul annonce le Christ et veut gagner les personnes pour le Dieu vrai et réel. Paul ne parle qu’avec le désir de vouloir prêcher ce qui est entré dans sa vie et qui est la vraie vie, qui l’a conquis sur le chemin de Damas. Par conséquent, parler de Dieu veut dire faire de la place à Celui qui nous le fait connaître, qui nous révèle son visage d’amour ; cela veut dire sortir de son propre moi en l’offrant au Christ, dans la conscience que nous ne sommes pas ceux qui sont capables de gagner les autres à Dieu, mais nous devons les attendre de Dieu lui-même, les invoquer de Lui. Parler de Dieu naît donc de l’écoute, de notre connaissance de Dieu qui se réalise dans la familiarité avec Lui, dans la vie de la prière et selon les Commandements.

Transmettre la foi, pour saint Paul, ne signifie pas apporter soi-même, mais dire ouvertement et publiquement ce que l’on a vu et entendu dans la rencontre avec le Christ, ce dont on a fait l’expérience dans notre existence désormais transformée par cette rencontre : c’est apporter le Jésus que l’on sent présent en soi et qui est devenu la véritable orientation de notre vie, pour faire comprendre à tous qu’Il est nécessaire pour le monde et qu’il est décisif pour la liberté de tout homme. L’apôtre ne se contente pas de proclamer des mots, mais il implique toute son existence dans la grande oeuvre de la foi. Pour parler de Dieu, il faut lui faire de la place, dans la confiance que c’est Lui qui agit dans notre faiblesse ; lui faire de la place sans crainte, avec simplicité et joie, dans la conviction profonde que plus nous le mettons Lui au centre et pas nous, plus notre communication sera fructueuse. Et cela vaut aussi pour les communautés chrétiennes : elles sont appelées à montrer l’action transformatrice de la grâce de Dieu, en dépassant les individualismes, les fermetures, les égoïsmes, l’indifférence et en vivant dans les rapports quotidiens l’amour de Dieu. Demandons-nous si nos communautés sont vraiment ainsi. Nous devons nous mettre en marche pour devenir toujours et réellement ainsi, annonciateurs du Christ et non de nous-mêmes.

À ce point, nous devons nous demander comment Jésus lui-même communiquait. Jésus, dans son unicité, parle de son Père — Abbà — et du Royaume de Dieu, avec le regard plein de compassion pour les problèmes et les difficultés de l’existence humaine. Il parle avec un grand réalisme et, je dirais, l’essentiel de l’annonce de Jésus est qu’il rend le monde transparent et notre vie a une valeur pour Dieu. Jésus montre que dans le monde et dans la création transparaît le visage de Dieu et il nous montre comment dans les faits quotidiens de notre vie, Dieu est présent. Que ce soit dans les paraboles de la nature, le grain de sénevé, le champ avec différentes semences, ou dans notre vie, pensons à la parabole du fils prodigue, de Lazare et d’autres paraboles de Jésus. Dans les Évangiles, nous voyons comment Jésus s’intéresse à chaque situation humaine qu’il rencontre, se plonge dans la réalité des hommes et des femmes de son temps, avec une pleine confiance dans l’aide du Père. Le fait est que réellement dans cette histoire, de manière cachée, Dieu est présent et si nous sommes attentifs, nous pouvons le rencontrer. Et les disciples, qui vivent avec Jésus, les foules qui le rencontrent, voient sa réaction face aux problèmes les plus divers, voient comment il parle, comment il se comporte; ils voient en Lui l’action de l’Esprit Saint, l’action de Dieu. En Lui, l’annonce et la vie se mêlent: Jésus agit et enseigne, en partant toujours d’un rapport intime avec Dieu le Père. Ce style devient une indication essentielle pour nous chrétiens: notre manière de vivre dans la foi et dans la charité devient une manière de parler de Dieu dans l’aujourd’hui, car elle montre à travers une existence vécue dans le Christ la crédibilité, le réalisme de ce que nous disons avec les paroles, qui ne sont pas seulement des paroles, mais qui montrent la réalité, la véritable réalité. Et dans cela nous devons être attentifs à saisir les signes des temps à notre époque, c’est-à-dire à définir les potentialités, les désirs, les obstacles que l’on rencontre dans la culture actuelle, en particulier le désir d’authenticité, l’aspiration à la transcendance, la sensibilité pour la sauvegarde de la création, et à communiquer sans crainte la réponse qu’offre la foi en Dieu. L’Année de la foi est l’occasion pour découvrir, avec une imagination animée par l’Esprit Saint, de nouveaux parcours au niveau personnel et communautaire, afin que dans chaque lieu la force de l’Évangile soit sagesse de vie et orientation de l’existence.

À notre époque aussi, un lieu privilégié pour parler de Dieu est la famille, la première école pour transmettre la foi aux nouvelles générations. Le Concile Vatican ii parle des parents comme des premiers messagers de Dieu (cf. Const. dogm. Lumen gentium LG 11 Décr. Apostolicam actuositatem AA 11), appelés à redécouvrir leur mission, en assumant la responsabilité d’éduquer, d’ouvrir les consciences des enfants à l’amour de Dieu comme service fondamental à leur vie, à être les premiers catéchistes et maîtres de la foi pour leurs enfants. Dans cette tâche est tout d’abord importante la vigilance, qui signifie savoir saisir les occasions favorables pour introduire en famille le discours de foi et pour faire mûrir une réflexion critique par rapport aux nombreux conditionnements auxquels les enfants sont soumis. Cette attention des parents est également une sensibilité pour accueillir les éventuelles questions religieuses qui sont présentes dans l’âme des enfants, parfois évidentes, parfois cachées. Ensuite, la joie : la transmission de la foi doit toujours avoir une tonalité de joie. C’est la joie pascale, qui ne tait ni ne cache la réalité de la douleur, de la souffrance, de la fatigue, de la difficultés, de l’incompréhension et de la mort elle-même, mais qui sait offrir les critères pour tout interpréter dans la perspective de l’espérance chrétienne. La bonne vie de l’Évangile est précisément ce regard nouveau, cette capacité de voir avec les yeux de Dieu lui-même chaque situation. Il est important d’aider tous les membres de la famille à comprendre que la foi n’est pas un poids, mais une source de joie profonde, elle signifie percevoir l’action de Dieu, reconnaître la présence du bien, qui ne fait pas de bruit ; et elle offre des orientations précieuses pour bien vivre sa propre existence. Enfin, la capacité d’écoute et de dialogue : la famille doit être un milieu dans lequel on apprend à être ensemble, à réconcilier les oppositions dans le dialogue réciproque, qui est fait d’écoute et de parole, à se comprendre et à s’aimer, pour être un signe, l’un pour l’autre, de l’amour miséricordieux de Dieu.

Parler de Dieu signifie donc faire comprendre par la parole et par la vie que Dieu n’est pas le concurrent de notre existence, mais qu’il en est plutôt le véritable garant, le garant de la grandeur de la personne humaine. Nous revenons ainsi au début : parler de Dieu est communiquer, avec force et simplicité, avec la parole et avec la vie, ce qui est essentiel : le Dieu de Jésus Christ, ce Dieu qui nous a montré un amour si grand, au point de s’incarner, de mourir et de ressusciter pour nous ; ce Dieu qui demande de le suivre et de se laisser transformer par son immense amour pour renouveler notre vie et nos relations; ce Dieu qui nous a donné l’Église, pour marcher ensemble et, à travers la Parole et les sacrements, renouveler toute la Cité des hommes, afin qu’elle puisse devenir Cité de Dieu.
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Le 1er décembre prochain sera célébrée la Journée mondiale contre le sida, une initiative des Nations unies pour attirer l’attention sur une maladie qui a causé des millions de morts et des souffrances humaines tragiques, accentuées dans les régions les plus pauvres du monde, qui ne peuvent avoir accès à des médicaments efficaces qu’avec de grandes difficultés. Ma pensée va, en particulier, au grand nombre d’enfants qui chaque année contractent le virus de leurs propres mères, malgré l’existence de thérapies qui peuvent l’empêcher. J’encourage les nombreuses initiatives qui, dans le cadre de la mission ecclésiale, sont promues pour faire disparaître ce fléau.



Je salue cordialement les pèlerins francophones, particulièrement ceux d’Amiens ! Puissiez-vous regarder les situations humaines avec les yeux mêmes de Dieu et laisser son amour renouveler votre vie et vos relations ! Vous formerez alors des communautés chrétiennes exemptes d’individualisme et d’indifférence, capables de manifester à tous les hommes l’action transformante de la grâce de Dieu.
Bon pèlerinage !





Salle Paul VI

Mercredi 5 décembre 2012: L'Année de la foi. Dieu révèle son « dessein bienveillant »


Catéchèses Benoît XVI 14112