Catéchèses Benoît XVI 20113

Mercredi 2 janvier 2013: Il a été conçu du Saint Esprit

20113

Chers frères et soeurs,

Le Noël du Seigneur illumine encore une fois avec sa lumière les ténèbres qui enveloppent souvent notre monde et notre coeur et il apporte l’espérance et la joie. D’où vient cette lumière ? De la grotte de Bethléem, où les pasteurs trouvèrent « Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire » (
Lc 2,16). Face à cette Sainte Famille naît une autre question plus profonde : comment cet enfant petit et faible peut-il avoir apporté une nouveauté aussi radicale dans le monde au point de changer le cours de l’histoire ? N’y a-t-il pas quelque chose de mystérieux dans son origine qui va au-delà de cette grotte ?

Toujours à nouveau réapparaît ainsi la question sur l’origine de Jésus, la même que lui pose le procureur Ponce Pilate au cours du procès : « D’où es-tu ? » (Jn 19,29). Et pourtant il s’agit d’une origine bien claire. Dans l’Évangile de Jean, quand le Seigneur affirme : « Je suis le pain descendu du ciel », les juifs réagissent en murmurant : « Cet homme-là n'est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire : “Je suis descendu du ciel” ? » (Jn 6,42). Et peu après, les citoyens de Jérusalem s’opposent avec force à la prétendue condition messianique de Jésus, en affirmant que l’on sait bien « d'où il est. Or, lorsque le Messie viendra, personne ne saura d'où il est » (Jn 7,27). Jésus lui-même fait remarquer à quel point est vaine leur prétention de connaître son origine, et avec cela il offre déjà une orientation pour savoir d’où il vient : « Je ne suis pas venu de moi-même : mais celui qui m'a envoyé dit la vérité, lui que vous ne connaissez pas » (Jn 7,28). Certes Jésus est originaire de Nazareth, il est né à Bethléem, mais que sait-on de son origine véritable ?

Dans les quatre Évangiles apparaît avec clarté la réponse à la question « d’où » vient Jésus : sa véritable origine est le Père, Dieu ; Il provient totalement de Lui, mais d’une manière différente de n’importe quel prophète ou envoyé de Dieu, qui l’ont précédé. Cette origine du mystère de Dieu, « que personne ne connaît », est déjà contenue dans les récits de l’enfance des Évangiles de Matthieu et de Luc, que nous lisons en ce temps de Noël. L’ange Gabriel annonce : « L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c'est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1,35). Nous répétons ces paroles chaque fois que nous récitons le Credo, la profession de foi : « et incarnatus est de Spiritu Sancto, ex Maria Vergine », « par l’oeuvre de l’Esprit Saint il s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie ». À cette phrase, nous nous agenouillons car le voile qui cachait Dieu est, pour ainsi dire, levé et son mystère insondable et inaccessible nous touche : Dieu devient l’Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». Quand nous écoutons les Messes composées par les grands maîtres de la musique sacrée, je pense par exemple à la Messe du Couronnement de Mozart, nous remarquons immédiatement comment elles s’arrêtent en particulier sur cette phrase, presque comme pour chercher à exprimer avec le langage universel de la musique ce que les paroles ne peuvent pas manifester : le grand mystère de Dieu qui s’incarne, qui se fait homme.

Si nous considérons attentivement l’expression « par l’oeuvre de l’Esprit Saint né dans le sein de la Vierge Marie », nous trouvons que celle-ci inclut quatre sujets qui agissent. De manière explicite sont mentionnés l’Esprit Saint et Marie, mais « Il » est sous-entendu, c’est-à-dire le Fils, qui s’est fait chair dans le sein de la Vierge. Dans la profession de foi, le Credo, Jésus est défini par diverses appellations : « Seigneur..., Jésus Christ, le Fils unique de Dieu... Il est Dieu, né de Dieu, Lumière, né de la Lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu... de même nature que le Père » (Credo de Nicée-Constantinople). Nous voyons alors qu’« Il » renvoie à une autre personne, celle du Père. Le premier sujet de cette phrase est donc le Père qui, avec le Fils et l’Esprit Saint, est l’unique Dieu.

Cette affirmation du Credo ne concerne pas l’être éternel de Dieu, mais elle nous parle plutôt d’une action à laquelle prennent part les trois Personnes divines et qui se réalise « ex Maria Virgine ».Sans elle l’entrée de Dieu dans l’histoire de l’humanité ne serait pas parvenue à son but et il ne se serait pas produit ce qui est central dans notre profession de foi : Dieu est un Dieu avec nous. Ainsi, Marie appartient de manière incontournable à notre foi dans le Dieu qui agit, qui entre dans l’histoire. Elle met à disposition toute sa personne, « elle accepte » de devenir le lieu de la demeure de Dieu.

Sur notre chemin et dans notre vie de foi, nous pouvons parfois même ressentir notre pauvreté, notre incapacité face au témoignage à offrir au monde. Mais Dieu a précisément choisi une humble femme, dans un village inconnu, dans l’une des provinces les plus reculées du grand empire romain. Nous devons toujours, même face aux difficultés les plus ardues à affronter, avoir confiance en Dieu, en renouvelant la foi dans sa présence et son action dans notre histoire, comme dans celle de Marie. Rien n’est impossible à Dieu ! Avec Lui notre existence avance toujours en terrain sûr et elle est ouverte à un avenir de ferme espérance.

En professant dans le Credo : « par l’oeuvre de l’Esprit Saint il s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie », nous affirmons que l’Esprit Saint, comme force du Dieu Très-Haut, a opéré de manière mystérieuse dans la Vierge Marie la conception du Fils de Dieu. L’évangéliste Luc rapporte les paroles de l’archange Gabriel : « L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre » (1, 35). Deux rappels sont évidents : le premier est celui du moment de la création. Au début du Livre de la Genèse nous lisons que « l’esprit de Dieu planait sur les eaux » (1, 2) ; c’est l’Esprit créateur qui a donné vie à toutes les choses et à l’être humain. Ce qui se passe en Marie, à travers l’action de l’Esprit divin lui-même, est une nouvelle création : Dieu, qui a appelé l’être du néant, donne vie avec l’Incarnation à un nouveau début de l’humanité. Les Pères de l’Église parlent plusieurs fois du Christ comme du nouvel Adam, pour souligner le début de la nouvelle création de la naissance du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie. Cela nous fait réfléchir sur le fait que la foi apporte aussi en nous une nouveauté si forte qu’elle produit une seconde naissance. En effet, au début du fait d’être chrétien se trouve le Baptême qui nous fait renaître comme fils de Dieu, qui nous fait participer à la relation filiale que Jésus a avec le Père. Et je voudrais faire remarquer que le Baptême se reçoit, nous « sommes baptisés » — c’est un passif — car personne n’est capable de se rendre fils de Dieu tout seul : c’est un don qui est conféré gratuitement. Saint Paul rappelle cette filiation adoptive des chrétiens dans un passage central de sa Lettre aux Romains, où il écrit : « En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. L'Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c'est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l'appelant: “Abba !”. C'est donc l'Esprit Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (8, 14-16), et non des serviteurs. Ce n’est que si nous nous ouvrons à l’action de Dieu, comme Marie, ce n’est que si nous confions notre vie au Seigneur comme à un ami dont nous nous fions totalement, que tout change, que notre vie acquiert un nouveau sens et un nouveau visage : celui de fils d’un Père qui nous aime et ne nous abandonne jamais.

Nous avons parlé de deux éléments : le premier élément, l’Esprit sur les eaux, l’Esprit Créateur ; il y a un autre élément dans les paroles de l’Annonciation.

L’ange dit à Marie : « la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ». C’est un rappel de la sainte nuée qui, durant le chemin de l’exode, s’arrêtait sur la tente de la rencontre, sur l’arche de l’alliance, que le peuple d’Israël portait avec lui, et qui indiquait la présence de Dieu (cf. Ex Ex 40, 40, 34-38). Marie est donc la nouvelle tente sainte, la nouvelle arche de l’alliance: avec son « oui » aux paroles de l’archange, Dieu reçoit une demeure dans ce monde, Celui que l’univers ne peut pas contenir prend demeure dans le sein d’une Vierge.

Revenons alors à la question dont nous sommes partis, celle sur l’origine de Jésus, synthétisée par la question de Pilate : « D’où es-tu ? ». De nos réflexions apparaît clairement, dès le début des Évangiles, quelle est la véritable origine de Jésus : Il est le Fils unique du Père, il vient de Dieu. Nous nous nous trouvons face au grand mystère bouleversant que nous célébrons en ce temps de Noël : le Fils de Dieu, par l’oeuvre de l’Esprit Saint, s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie. C’est une grande annonce qui retentit toujours à nouveau et qui apporte l’espérance et la joie à notre coeur, parce qu’elle nous donne à chaque fois la certitude que, même si nous nous sentons souvent faibles, pauvres, incapables devant les difficultés et le mal du monde, la puissance de Dieu agit toujours et accomplit des merveilles précisément dans la faiblesse. Sa grâce est notre force (cf. 2Co 12,9-10). Merci.
* * *


Je salue avec joie les pèlerins francophones en particulier ceux de la Nouvelle Calédonie et de Wallis et Futuna ! Au début de cette année, renouvelons notre foi en la présence et en l’action de Dieu dans nos vies et dans notre histoire. Ouvrons-lui grandement les portes de nos coeurs et de nos maisons pour qu’il y établisse sa demeure. Il est un Père aimant qui ne nous abandonne jamais. Bonne Année à tous !





Salle Paul VI

Mercredi 9 janvier 2013: Il s’est fait homme

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Chers frères et soeurs,

En ce temps de Noël, nous nous arrêtons une fois de plus sur le grand mystère de Dieu qui est descendu de son Ciel pour entrer dans notre chair. En Jésus, Dieu s’est incarné, il est devenu homme comme nous, et ainsi, il nous a ouvert la voie vers son Ciel, vers la pleine communion avec Lui.

En ces jours, a retenti à plusieurs reprises dans nos églises le terme « Incarnation » de Dieu, pour exprimer la réalité que nous célébrons au cours du Saint Noël : le Fils de Dieu s’est fait homme, comme nous le récitons dans le Credo. Mais que signifie cette parole centrale pour la foi chrétienne ? Incarnation dérive du latin « incarnatio ». Saint Ignace d’Antioche — fin du premier siècle — et, surtout, saint Irénée, ont utilisé ce terme en réfléchissant sur le Prologue de l’Évangile de saint Jean, en particulier sur l’expression : « Et le Verbe s’est fait chair » (
Jn 1,14). Ici, la parole « chair », selon l’usage juif, indique l’homme dans son intégralité, tout l’homme, mais précisément sous l’aspect de sa caducité et temporalité, de sa pauvreté et contingence. Cela pour nous dire que le salut apporté par Dieu qui s’est fait chair en Jésus de Nazareth touche l’homme dans sa réalité concrète et dans toutes les situations où il se trouve. Dieu a assumé la condition humaine pour la guérir de tout ce qui la sépare de Lui, pour nous permettre de l’appeler, dans son Fils unique, par le nom d’« Abba, Père », et être véritablement fils de Dieu. Saint Irénée affirme : « C’est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : afin que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu » (Adversus haereses 3, 19, 1: PG 7,939; pg 7, 939 ; cf. Catéchisme de l’Église catholique CEC 460).

« Le Verbe s’est fait chair » est l’une de ces vérités à laquelle nous nous sommes tant habitués que la grandeur de l’événement qu’elle exprime ne nous touche presque plus. Et en effet, au cours de cette période de Noël, dans laquelle cette expression revient souvent dans la liturgie, on est parfois plus attentifs aux aspects extérieurs, aux « couleurs » de la fête, qu’au coeur de la grande nouveauté chrétienne que nous célébrons : quelque chose d’absolument impensable, que seul Dieu pouvait opérer et que nous ne pouvons pénétrer que par la foi. Le Logos, qui est auprès de Dieu, le Logos qui est Dieu, le Créateur du monde (cf. Jn 1,1), pour lequel furent créées toutes les choses (cf. 1, 3), qui a accompagné et accompagne les hommes dans leur histoire avec sa lumière (cf. 1, 4-5 ; 1, 9), devient un parmi les autres, prend demeure parmi nous, devient l’un de nous (cf. 1, 14). Le Concile oecuménique Vatican ii affirme : « Le Fils de Dieu... a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un coeur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Const. Gaudium et spes GS 22). Il est alors important de retrouver l’émerveillement face à ce mystère, de nous laisser envelopper par la grandeur de cet événement : Dieu, le vrai Dieu, Créateur de tout, a parcouru comme homme nos routes, en entrant dans le temps de l’homme, pour nous transmettre sa vie même (cf. 1Jn 1,1-4). Et il l’a fait non pas avec la splendeur d’un souverain, qui assujettit le monde par son pouvoir, mais avec l’humilité d’un enfant.

Je voudrais souligner un deuxième élément. Pour Noël, on échange généralement quelques dons avec les personnes les plus proches. Parfois, cela peut être un geste fait par convention, mais il exprime généralement de l’affection, c’est un signe d’amour et d’estime. Dans la prière sur les offrandes de la Messe de la nuit de la solennité de Noël, l’Église prie ainsi : « Accepte, ô Père, notre offrande en cette nuit de lumière, et pour ce mystérieux échange de dons, transforme-nous dans le Christ ton Fils, qui a élevé l’homme à tes côtés dans la gloire ». La pensée du don est donc au coeur de la liturgie et rappelle à notre conscience le don originel de Noël : en cette nuit sainte, Dieu, en se faisant chair, a voulu se faire don pour les hommes, il s’est donné lui-même pour nous ; Dieu a fait de son Fils unique un don pour nous, il a assumé notre humanité pour nous donner sa divinité. Cela est un grand don. Dans notre action d’offrir également, il n’est pas important que le cadeau soit coûteux ou non ; qui ne parvient à donner un peu de soi-même donne toujours trop peu ; plus encore, on tente parfois justement de remplacer le coeur et l’effort de don de soi par l’argent, par les choses matérielles. Le mystère de l’Incarnation est là pour indiquer que Dieu n’a pas fait cela : il n’a pas donné quelque chose, mais il s’est donné lui-même dans son Fils unique. Nous trouvons ici le modèle de notre action d’offrir, pour que nos relations, en particulier les plus importantes, soient guidées par la gratuité de l’amour.

Je voudrais proposer une troisième réflexion : le fait de l’Incarnation, de Dieu qui se fait homme comme nous, nous montre le réalisme inouï de l’amour divin. L’action de Dieu, en effet, ne se limite pas aux paroles, nous pourrions même dire qu’Il ne se contente pas de parler, mais il se plonge dans notre histoire et assume en lui la fatigue et le poids de la vie humaine. Le Fils de Dieu s’est fait vraiment homme, il est né de la Vierge Marie, en un temps et en un lieu déterminés, à Bethléem sous le règne de l’empereur Auguste, sous le gouverneur Quirinius (cf. Lc 2,1-2) ; il a grandi dans une famille, il a eu des amis, il a formé un groupe de disciples, il a instruit les apôtres pour continuer sa mission, il a terminé le cours de sa vie terrestre sur la croix. Cette manière d’agir de Dieu est un puissant encouragement à nous interroger sur le réalisme de notre foi, qui ne doit pas être limitée au domaine du sentiment, des émotions, mais doit entrer dans le concret de notre existence, doit toucher par conséquent notre vie de tous les jours et l’orienter aussi de manière pratique. Dieu ne s’est pas arrêté aux paroles, mais nous a indiqué comment vivre, en partageant notre propre expérience, à l’exception du péché. Le catéchisme de saint Pie X, que certains d’entre nous ont étudié dans leur jeunesse, avec la concision qui le caractérise, à la question : « Pour vivre selon Dieu, que devons-nous faire ? », donne cette réponse : « Pour vivre selon Dieu, nous devons croire les vérités révélées par Lui et observer ses commandements avec l’aide de sa grâce, qui s’obtiennent à travers les sacrements et la prière ». La foi a un aspect fondamental, qui intéresse non seulement l’esprit et le coeur, mais toute notre vie.

Je propose un dernier élément à votre réflexion. Saint Jean affirme que le Verbe, le Logos, était dès le début auprès de Dieu, et que tout a été fait au moyen du Verbe et rien de ce qui existe n’a été fait sans Lui (cf. Jn 1,1-3). L’évangéliste fait clairement allusion au récit de la création qui se trouve dans les premiers chapitres du Livre de la Genèse, et il le relit à la lumière du Christ. Il s’agit d’un critère fondamental dans la lecture chrétienne de la Bible : l’Ancien et le Nouveau Testament doivent toujours être lus ensemble et, à partir du Nouveau, s’ouvre le sens le plus profond également de l’Ancien. Ce même Verbe, qui existe depuis toujours auprès de Dieu, qui est Dieu Lui-même et au moyen duquel et en vue duquel tout a été créé (cf. Col 1,16-17), s’est fait homme : le Dieu éternel et infini s’est plongé dans la finitude humaine, dans sa créature, pour reconduire à Lui l’homme et toute la création. Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : « La première création trouve son sens et son sommet dans la nouvelle création dans le Christ, dont la splendeur dépasse celle de la première » (n. 349). Les Pères de l’Église ont rapproché Jésus d’Adam, au point de le définir « deuxième Adam » ou l’Adam définitif, l’image parfaite de Dieu. Avec l’Incarnation du Fils de Dieu a lieu une nouvelle création, qui donne la réponse complète à la question « Qui est l’homme ? ». Ce n’est qu’en Jésus que se manifeste de manière accomplie le projet de Dieu sur l’être humain : Il est l’homme définitif selon Dieu. Le Concile Vatican ii le réaffirme avec force : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné... Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Const. Gaudium et spes GS 22 cf. Catéchisme de l’Église catholique CEC 359). Dans cet enfant, le Fils de Dieu contemplé dans le Noël, nous pouvons reconnaître le véritable visage, non seulement de Dieu, mais le véritable visage de l’être humain ; et ce n’est qu’en nous ouvrant à l’action de sa grâce et en cherchant chaque jour à le suivre, que nous réalisons le projet de Dieu sur nous, sur chacun de nous.

Chers amis, en cette période nous méditons la grande et merveilleuse richesse du Mystère de l’Incarnation, pour laisser le Seigneur nous illuminer et nous transformer toujours plus à l’image de son Fils fait homme pour nous.
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Je salue avec joie les pèlerins francophones, particulièrement les élèves qui ont le voyage à Rome pour me rencontrer ! L’Incarnation de Jésus est centrale dans notre foi. Laissez-vous toucher par la grandeur de cet événement, plutôt que par les aspects extérieurs de la fête. Bon pèlerinage !





Salle Paul VI

Mercredi 16 janvier 2013: Jésus Christ « médiateur et plénitude de toute la Révélation »

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Chers frères et soeurs,

Le Concile Vatican ii, dans la Constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei Verbum, affirme que la vérité intime de toute la Révélation de Dieu resplendit pour nous « dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (n. 2). L’Ancien Testament nous rapporte que Dieu, après la création, en dépit du péché originel, en dépit de l’arrogance de l’homme qui veut prendre la place de son Créateur, offre à nouveau la possibilité de son amitié, en particulier à travers l’Alliance avec Abraham et le chemin d’un petit peuple, celui d’Israël, qu’Il choisit non pas selon des critères de puissance terrestre, mais simplement par amour. C’est un choix qui demeure un mystère et qui révèle le style de Dieu qui appelle certains non pas pour en exclure d’autres, mais afin qu’ils servent de pont pour conduire à Lui : une élection est toujours une élection pour l’autre. Dans l’histoire du peuple d’Israël, nous pouvons reparcourir les étapes d’un long chemin dans lequel Dieu se fait connaître, se révèle, entre dans l’histoire à travers les paroles et les actions. Pour cette oeuvre, Il se sert de médiateurs, comme Moïse, les Prophètes, les Juges, qui communiquent au peuple sa volonté, rappellent l’exigence de fidélité à l’alliance et maintiennent élevée l’attente de la réalisation pleine et définitive des promesses divines.

Et c’est précisément la réalisation de ces promesses que nous avons contemplée au cours du Saint Noël : la Révélation de Dieu parvient à son sommet, à sa plénitude. En Jésus de Nazareth, Dieu visite réellement son peuple, visite l’humanité d’une façon qui va au-delà de toute attente : il envoie son Fils unique ; Dieu lui-même se fait homme. Jésus ne nous dit pas quelque chose de Dieu, il ne parle pas simplement du Père, mais il est révélation de Dieu, parce qu’il est Dieu, et il nous révèle ainsi le visage de Dieu. Dans le prologue de son Évangile, saint Jean écrit : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (
Jn 1,18).

Je voudrais m’arrêter sur ce fait de « faire connaître le visage de Dieu ». À ce propos, saint Jean, dans son Évangile, nous rappelle un fait significatif que nous venons d’écouter. Alors que s’approchait la Passion, Jésus rassure ses disciples en les invitant à ne pas avoir peur et à avoir la foi ; puis il instaure un dialogue avec eux dans lequel il parle de Dieu le Père (cf. Jn 14,2-9). À un certain moment, l’apôtre Philippe demande à Jésus : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit » (Jn 14,8). Philippe est très pratique et concret, il dit également ce que nous voulons dire : « Nous voulons voir, montre-nous le Père », il demande de « voir » le Père, de voir son visage. La réponse de Jésus est une réponse non seulement à Philippe, mais également à nous, et nous introduit dans le coeur de la foi christologique ; le Seigneur affirme : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9). Dans cette expression est contenue de façon synthétique la nouveauté du Nouveau Testament, la nouveauté qui est apparue dans la grotte de Bethléem : il est possible de voir Dieu, Dieu a montré son visage, il est visible en Jésus Christ.

Dans tout l’Ancien Testament est bien présent le thème de la « recherche du visage de Dieu », le désir de connaître ce visage, le désir de voir Dieu tel qu’il est, si bien que le terme hébreu panîm, qui signifie « visage », y apparaît pas moins de 400 fois, dont 100 se réfèrent à Dieu : 100 fois, on se réfère à Dieu, on veut voir son visage. Et pourtant, la religion juive interdit strictement les images, parce que l’on ne peut pas représenter Dieu, comme le faisaient en revanche les peuples voisins avec l’adoration des idoles ; à travers cette interdiction des images, l’Ancien Testament semble donc exclure totalement la « vision » du culte et de la piété. Que signifie alors, pour le pieux Israélite, chercher toutefois le visage de Dieu, dans la conscience qu’il ne peut y avoir aucune image ? La question est importante : d’une part, on veut dire que Dieu ne peut se réduire à un objet, comme une image que l’on prend en main, mais on ne peut pas non plus mettre quelque chose à la place de Dieu ; d’autre part, toutefois, on affirme que Dieu a un visage, c’est-à-dire un « Toi » qui peut entrer en relation, qui n’est pas prisonnier de son Ciel à regarder l’humanité d’en haut. Dieu est certainement au delà de toute chose, mais il s’adresse à nous, il nous écoute, il nous voit, il parle, il établit une alliance, il est capable d’aimer. L’histoire du salut est l’histoire de Dieu avec l’humanité, c’est l’histoire de ce rapport de Dieu qui se révèle progressivement à l’homme, qui se révèle lui-même, qui révèle son visage.

Au début de l’année, justement, le 1er janvier, nous avons écouté, dans la liturgie, la très belle prière de bénédiction sur le peuple : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il se penche vers toi ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » (Nb 6,24-26). La splendeur du visage divin est la source de la vie, elle est ce qui permet de voir la réalité; la lumière de son visage est le guide de la vie. Dans l’Ancien Testament, on trouve une figure qui est liée de manière toute particulière au thème du « visage de Dieu » ; il s’agit de Moïse, celui que Dieu choisit pour libérer le peuple de l’esclavage d’Égypte, lui donner la Loi de l’alliance et le conduire à la Terre promise. Or, dans le chapitre 33 du Livre de l’Exode, il est dit que Moïse avait un rapport étroit et de confiance avec Dieu : « Le Seigneur s’entretenait avec Moïse face à face, comme on s’entretient d’homme à homme » (v. 11). En vertu de cette confiance, Moïse demande à Dieu : « Laisse-moi contempler ta gloire ! », et la réponse de Dieu est claire : « Je vais passer devant toi avec toute ma splendeur, et je prononcerai devant toi mon nom... Tu ne pourras pas voir mon visage, car on ne peut pas me voir sans mourir... Voici une place près de moi... Tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir » (vv. 18-23). D’un côté, alors, il y a le dialogue face à face comme entre amis, mais de l’autre il y a l’impossibilité, dans cette vie, de voir le visage de Dieu, qui reste caché ; la vision est limitée. Les Pères disent que ces paroles, « tu ne peux me voir que de dos », veulent dire : tu ne peux que suivre le Christ et en le suivant tu vois depuis son dos le mystère de Dieu ; on peut suivre Dieu en le voyant de dos.

Quelque chose de totalement nouveau a lieu, toutefois, avec l’Incarnation. La recherche du visage de Dieu connaît un tournant inimaginable, parce que ce visage peut à présent être vu : c’est celui de Jésus, du Fils de Dieu qui se fait homme. En lui trouve son accomplissement le chemin de révélation de Dieu entamé avec l’appel d’Abraham, Lui est la plénitude de cette révélation parce qu’il est le Fils de Dieu, il est à la fois « le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (Const. dogm. Dei Verbum DV 2), en Lui le contenu de la Révélation et le Révélateur coïncident. Jésus nous montre le visage de Dieu et nous fait connaître le nom de Dieu. Dans la Prière sacerdotale, lors de la Dernière Cène, Il dit au Père : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes… Je leur ai fait connaître ton nom » (cf. Jn 17,6 Jn 17,26). L’expression « nom de Dieu » signifie Dieu comme Celui qui est présent parmi les hommes. À Moïse, auprès du buisson ardent, Dieu avait révélé son nom, c’est-à-dire qu’il s’était rendu invocable, il avait donné un signe concret de son « être là » parmi les hommes. Tout cela trouve en Jésus un accomplissement et une plénitude: Il inaugure d’une manière nouvelle la présence de Dieu dans l’histoire parce que celui qui le voit Lui, voit le Père, comme il dit à Philippe (cf. Jn 14,9). Le christianisme — affirme saint Bernard — est la « religion de la Parole de Dieu » ; mais ce n’est pas « une parole écrite et muette, mais celle du Verbe incarné et vivant (Hom. super missus est, iv, 11 : pl 183, 86b). Dans la tradition patristique et médiévale, on utilise une formule particulière pour exprimer cette réalité: on dit que Jésus est le Verbum abbreviatum (cf. Rm 9, 28, se référant à Is 10,23), le Verbe abrégé, est la Parole brève, abrégée et substantielle du Père, qui nous a tout dit de Lui. En Jésus toute la Parole est présente.

En Jésus, la médiation entre Dieu et l’homme trouve également sa plénitude. Dans l’Ancien Testament, il existe une série de figures qui ont eu cette fonction, en particulier Moïse, le libérateur, le guide, le « médiateur » de l’alliance, comme le définit également le Nouveau Testament (cf. Ga 3,19 Ac 7,35 Jn 1,17). Jésus, vrai Dieu et vrai homme, n’est pas simplement l’un des médiateurs entre Dieu et l’homme, mais il est « le médiateur » de l’alliance nouvelle et éternelle (cf. He 8,6 He 9 He 15 He 12,24) ; « car Dieu est unique — dit Paul —, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus » (1Tm 2,5 cf. Gal Ga 3,19-20). En Lui nous voyons et nous rencontrons le Père ; en Lui nous pouvons invoquer Dieu sous le nom d’« Abbà Père » ; en Lui nous est donné le salut.

Le désir de connaître réellement Dieu, c’est-à-dire de voir le visage de Dieu est présent en chaque homme, même chez les athées. Et nous avons peut-être inconsciemment ce désir de voir simplement qui Il est, ce qu’Il est, qui Il est pour nous. Mais ce désir se réalise en suivant le Christ, ainsi nous le voyons de dos et nous voyons enfin Dieu également comme un ami, son visage dans le visage du Christ. L’important est que nous suivions le Christ non seulement au moment où nous en avons besoin et quand nous trouvons du temps dans nos occupations quotidiennes, mais dans notre vie en tant que telle. Toute notre existence doit être orientée vers la rencontre avec Jésus Christ, vers l’amour envers Lui ; et, dans celle-ci, l’amour pour notre prochain doit aussi occuper une place centrale, cet amour qui, à la lumière du Crucifié, nous fait reconnaître le visage de Jésus chez le pauvre, celui qui est faible, qui souffre. Cela n’est possible que si le véritable visage de Jésus nous est devenu familier dans l’écoute de sa Parole, dans le dialogue intérieur, dans la pénétration de cette Parole de manière à le rencontrer réellement, et naturellement dans le Mystère de l’Eucharistie. Dans l’Évangile de saint Luc est significatif le passage des deux disciples d’Emmaüs, qui reconnaissent Jésus dans la fraction du pain, mais préparés par le chemin avec Lui, préparés par l’invitation qu’ils Lui ont adressée de demeurer avec eux, préparés par le dialogue qui a fait brûler leur coeur ; ainsi, à la fin, ils voient Jésus. Pour nous aussi l’Eucharistie est la grande école où nous apprenons à voir le visage de Dieu, où nous entrons en relation intime avec Lui ; et nous apprenons dans le même temps à tourner notre regard vers le moment final de l’histoire, quand Il nous rassasiera de la lumière de son visage. Sur la terre, nous marchons vers cette plénitude, dans l’attente joyeuse que s’accomplisse réellement le Royaume de Dieu. Merci.


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Après-demain, vendredi 18 janvier, commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, qui cette année a pour thème : « Ce que le Seigneur exige de nous », inspiré par un passage du prophète Michée (cf. Mi Mi 6,6-8).

J’invite chacun à prier, en demandant avec insistance à Dieu le grand don de l’unité entre tous les disciples du Seigneur. Que la force inépuisable de l’Esprit Saint nous encourage à un engagement sincère de recherche de l’unité, afin que nous puissions professer tous ensemble que Jésus est le Sauveur du monde.

Je salue cordialement les pèlerins francophones, particulièrement les élèves venus de Strasbourg ! Je vous invite à l’écoute assidue de la Parole de Dieu et à vivre pleinement du Mystère de l’Eucharistie, pour être familiers du visage de Jésus. Vous pourrez alors le reconnaître dans les personnes qui sont pauvres, faibles et souffrantes. Bon pèlerinage à tous !







Salle Paul VI

Mercredi 23 janvier 2013: « Je crois en Dieu »


Catéchèses Benoît XVI 20113