Catéchèses Benoît XVI 27100

APPEL


Ces dernières heures, un nouveau et terrible tsunami s'est abattu sur les côtes indonésiennes, frappées également par une éruption volcanique, provoquant de nombreux morts et personnes portées disparues. J'exprime aux familles des victimes mes plus vives condoléances pour la perte de leurs proches et j'assure toute la population indonésienne de ma proximité et de ma prière.

En outre, je suis, proche des chères populations du Bénin, frappées par des pluies continues, qui ont laissé de nombreuses personnes sans abri et dans des situations d'hygiène et de santé très précaires. J'invoque sur toute la nation la bénédiction et le réconfort du Seigneur.

Je demande à la communauté internationale de se prodiguer pour fournir l'aide nécessaire et pour soulager les difficultés de ceux qui souffrent à la suite de ces dévastations.







Salle Paul VI

Mercredi 3 novembre 2010 - Marguerite d’Oingt

31110

Chers frères et soeurs,

Avec Marguerite d'Oingt, dont je voudrais vous parler aujourd'hui, nous sommes introduits dans la spiritualité des chartreux qui s’inspire de la synthèse évangélique vécue et proposée par saint Bruno. Sa date de naissance nous est inconnue, bien que certains la situent autour de 1240. Marguerite provient d'une puissante famille d'antique noblesse de la région lyonnaise, les Oingt. Nous savons que sa mère s'appelait elle aussi Marguerite, qu'elle avait deux frères — Guiscard et Louis — et trois soeurs: Catherine, Isabelle et Agnès. Cette dernière la suivra au monastère, dans la chartreuse, lui succédant ensuite comme prieure.

Nous n’avons pas d'informations sur son enfance, mais ses écrits laissent transparaître qu'elle fut tranquille, dans un milieu familial affectueux. En effet, pour exprimer l'amour illimité de Dieu, elle a volontiers recours à des images liées à la famille, en particulier des références aux figures du père et de la mère. Dans l’une de ses méditations, elle prie avec ces mots: «Beau et doux Seigneur, quand je pense aux grâces spéciales que tu m'as faites par ta sollicitude: en particulier la manière dont tu m'as protégée dès mon enfance, et dont tu m'as soustraite au péril de ce monde et m'as appelée à me consacrer à ton saint service, et comment tu as pourvu à toutes les choses qui m'étaient nécessaires pour manger, boire, me vêtir et me chausser, (et tu l'as fait) de telle façon que je n'ai pas eu l'occasion de penser pour toutes ces choses à rien d'autre qu’à ta grande miséricorde » (Marguerite d’Oingt, Ecrits spirituels, Méditation V, 100).

De ses méditations, nous percevons aussi qu'elle entra dans la Chartreuse de Poleteins en réponse à l'appel du Seigneur, abandonnant tout et acceptant la sévère règle des chartreux, pour appartenir totalement au Seigneur, pour demeurer toujours avec Lui. Elle écrit: « Doux Seigneur, j'ai abandonné mon père et ma mère et mes frères et toutes les choses de ce monde pour ton amour; mais c'est bien peu de choses, car les richesses de ce monde ne sont que des épines acérées; et plus l'on en possède, plus l'on est malheureux. Et c'est pourquoi il me semble n'avoir rien abandonné d'autre que misère et pauvreté; mais tu sais doux Seigneur, que si je possédais mille mondes et pouvais en disposer à mon plaisir, j’abandonnerais tout par amour pour toi; et même si toi-même me donnais tout ce que tu possèdes au ciel et sur la terre, je ne me sentirais pas satisfaite tant que je ne t'aurais pas, parce que tu es la vie de mon âme, et je ne veux pas avoir de père ni de mère en dehors de toi» (ibid., Méditation II, 32).

Et sur sa vie dans la chartreuse également, nous possédons peu d'informations. Nous savons qu'en 1288, elle en devint la quatrième prieure, une charge qu'elle assura jusqu'à sa mort, le 11 février 1310. Dans ses écrits, quoi qu'il en soit, n'apparaissent pas de tournants particuliers sur son itinéraire spirituel. Elle conçoit toute la vie comme un chemin de purification jusqu'à la pleine configuration avec le Christ. Le Christ est le Livre qu'il faut écrire, graver quotidiennement dans son propre coeur et dans sa propre vie, en particulier sa passion salvifique. Dans l’oeuvre Speculum, Marguerite, se référant à elle-même à la troisième personne, souligne que par la grâce du Seigneur elle «avait gravé dans son coeur la sainte vie que Dieu Jésus Christ conduisit sur la terre, ses bons exemples et sa bonne doctrine. Elle avait si bien mis le doux Jésus Christ dans son coeur qu'il lui semblait même que celui-ci était présent et qu'il tenait un livre fermé dans son coeur, pour l'instruire» (ibid., I, 2-3, p. 81). «Dans ce livre, elle trouvait écrite la vie que Jésus Christ conduisit sur la terre, de sa naissance à son ascension au ciel» (ibid., I, 12).

Chaque jour, dès le matin, Marguerite s’applique à l’étude de ce livre. Et, lorsqu’elle s’en est bien imprégnée, elle commence à lire dans le livre de sa propre conscience, qui révèle les erreurs et les mensonges de sa vie (cf. ibid., I, 6-7, p. 82); elle écrit sur elle pour en faire bénéficier les autres et pour fixer plus profondément dans son coeur la grâce de la présence de Dieu, c’est-à-dire, pour faire en sorte que chaque jour, son existence soit marquée par la confrontation avec les paroles et les actions de Jésus, avec le Livre de sa vie à Lui. Et ce afin que la vie du Christ soit marquée dans l’âme de façon stable et profonde, jusqu’à pouvoir voir le Livre à l’intérieur, c’est-à-dire jusqu’à contempler le mystère de Dieu Trinité (cf. ibid., II, 14-22; III, 23-40).

A travers ses écrits, Marguerite nous offre un aperçu de sa spiritualité, en nous permettant de saisir certains traits de sa personnalité et de ses capacités de gouvernement. Il s’agit d’une femme très cultivée; elle écrit habituellement en latin, la langue des érudits, mais écrit également en franco-provençal et cela aussi est rare: ses écrits sont, ainsi, les premiers dont on garde mémoire rédigés dans cette langue. Elle vit une existence riche d’expériences mystiques, décrites avec simplicité, laissant entrevoir le mystère ineffable de Dieu, soulignant les limites de l’esprit pour le saisir et l’inaptitude de la langue humaine pour l’exprimer. Elle possède une personnalité linéaire, simple, ouverte, d’une douce sensibilité, d’un grand équilibre et d’un fin discernement, capable de pénétrer les profondeurs de l’esprit humain, d’en saisir les limites, les ambiguïtés, mais également les aspirations, la tension de l’âme vers Dieu. Elle manifeste une profonde aptitude au gouvernement, en alliant sa profonde vie spirituelle mystique au service de ses soeurs et de la communauté. Dans ce sens, un passage d’une lettre à son père est significatif: «Mon doux père, je veux vous dire que je suis si prise à cause des besoins de notre maison qu’il m’est impossible d’occuper mon esprit à de bonnes pensées; en effet, j’ai tant à faire que je ne sais pas de quel côté me tourner. Nous n’avons pas récolté de blé le septième mois de l’année et nos petites vignes ont été détruites par la tempête. En outre, notre église se trouve en si mauvais état que nous sommes contraintes à la reconstruire en partie» (ibid., Lettres III, 14).

Une religieuse chartreuse définit ainsi la figure de Marguerite: «A travers son oeuvre, elle nous révèle une personnalité fascinante, à l’intelligence vive, portée à la réflexion, et, dans le même temps, dotée de grâces mystiques: en un mot, une femme sainte et sage qui sait exprimer avec un certain humour une sensibilité toute spirituelle» (Une religieuse chartreuse, Chartreuses, dans Dictionnaire des Instituts de Perfection, Rome 1975,
Col 777). Dans le dynamisme de la vie mystique, Marguerite valorise l’expérience des affections naturelles, purifiées par la grâce, comme moyen privilégié pour comprendre plus profondément et répondre avec davantage de promptitude et d’ardeur à l’action divine. La raison en est que la personne humaine est créée à l’image de Dieu, et qu’elle est donc appelée à construire avec Lui une merveilleuse histoire d’amour, se laisser toucher entièrement par son initiative.

Le Dieu Trinité, le Dieu amour qui se révèle dans le Christ la fascine et Marguerite vit une relation d’amour profonde envers le Seigneur et, à l’opposé, elle voit l’ingratitude humaine jusqu’à la méchanceté, jusqu’au paradoxe de la croix. Elle affirme que la croix du Christ est semblable à la table de l’accouchement. La douleur de Jésus sur la croix est comparée à celle d’une mère. Elle écrit: «La mère qui me porta dans son sein, souffrit profondément en me donnant le jour, pendant un jour ou pendant une nuit, mais toi, doux et beau Seigneur, tu as été tourmenté pour moi non pas une nuit ou un jour seulement, mais pendant plus de trente ans [...]; combien as-tu souffert amèrement à cause de moi pendant toute ta vie! Et lorsque vint le moment de l’accouchement, ton travail fut si douloureux que ta sainte sueur devint comme des gouttes de sang qui s’écoulaient le long de tout ton corps jusqu’à terre» (ibid., Méditation I, 33).

En évoquant les récits de la passion, Marguerite contemple ces douleurs avec une profonde compassion: «Tu as été déposé sur le dur lit de la croix, de manière telle que tu ne pouvais pas bouger, ou bien tourner ou agiter tes membres comme le fait un homme qui souffre d’une grande douleur, car tu as été complètement étendu et des clous ont été enfoncés en toi [...] et [...] tous tes muscles et toutes tes veines ont été déchirés. [...] Mais toutes ces douleurs [...] n’étaient pas encore suffisantes, au point que tu voulus que ton flanc fût cruellement ouvert par la lance, au point que ton corps docile fût tout labouré et torturé; et ton sang précieux coulait avec tant de violence qu’il formait une large rigole, comme s’il était un grand ruisseau». Se référant à Marie, elle affirme: «Il ne faut pas s’étonner si l’épée qui t’a brisé le corps a également pénétré dans le coeur de ta glorieuse mère qui aimait tant te soutenir [...] car ton amour a été supérieur à tous les autres amours» (ibid., Méditation II, 36-39.42).

Chers amis, Marguerite d’Oingt nous invite à méditer quotidiennement la vie de douleur et d’amour de Jésus et celle de sa mère, Marie. Là est notre espérance, le sens de notre existence. De la contemplation de l’amour du Christ pour nous naissent la force et la joie de répondre avec tout autant d’amour, en mettant notre vie au service de Dieu et des autres. Avec Marguerite, nous disons nous aussi: «Doux Seigneur, tout ce que tu as accompli, par amour pour moi et pour tout le genre humain, m’incite à t’aimer, mais le souvenir de ta très sainte passion donne une vigueur sans égale à la puissance de mon affection pour t’aimer. C’est pour cela qu’il me semble [...] avoir trouvé ce que j’ai tant désiré: ne rien aimer d’autre que toi ou en toi ou par amour de toi» (ibid., Méditation II, 46). A première vue, cette figure de chartreuse médiévale, ainsi que toute sa vie, sa pensée, apparaissent très éloignées de nous, de notre vie, de notre façon de penser et d’agir. Mais si nous regardons ce qui est essentiel dans cette vie, nous voyons que cela nous touche nous aussi et devrait devenir également essentiel dans notre existence.

Nous avons entendu que Marguerite a considéré le Seigneur comme un livre, elle a fixé son regard sur le Seigneur, elle l’a considéré comme un miroir dans lequel apparaît également sa propre conscience. Et de ce miroir, la lumière est entrée dans son âme: elle a laissé entrer la parole, la vie du Christ dans son être et ainsi elle a été transformée; sa conscience a été illuminée, elle a trouvé des critères, la lumière et a été nettoyée. C’est précisément de cela dont nous avons besoin nous aussi: laisser entrer les paroles, la vie, la lumière du Christ dans notre conscience pour qu’elle soit illuminée, qu’elle comprenne ce qui est vrai et bon et ce qui est mal; que notre conscience soit illuminée et nettoyée. Les ordures ne se trouvent pas seulement dans certaines rues du monde. On trouve également des ordures dans nos consciences et dans nos âmes. Seuls la lumière du Seigneur, sa force et son amour nous nettoient, nous purifient et nous indiquent la juste voie. Suivons donc Marguerite dans ce regard vers Jésus. Lisons dans le livre de sa vie, laissons-nous éclairer et nettoyer, pour apprendre la vie véritable. Merci.
* * *


J’accueille avec joie les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier le Collège Hellénique de Thessalonique, en Grèce. Recueillant le message de Sainte Marguerite d’Oingt, je vous invite à contempler chaque jour la vie de Jésus et de sa Mère, Marie. Vous y trouverez le sens de l’existence, et vous aurez la force et la joie de vous mettre au service de Dieu et du prochain. Bon pèlerinage à tous!





Salle Paul VI

Mercredi 10 novembre 2010 - Voyage apostolique à Saint-Jacques-de-Compostelle et Barcelone

10110
Chers frères et soeurs!

Je voudrais reparcourir aujourd’hui avec vous le voyage apostolique à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Barcelone, que j’ai eu la joie d’accomplir samedi et dimanche derniers. Je m’y suis rendu pour confirmer mes frères dans la foi (cf.
Lc 22,32); je l’ai fait en tant que témoin du Christ ressuscité, semeur de l’espérance qui ne déçoit pas et ne trompe pas, car elle trouve son origine dans l’amour infini de Dieu pour tous les hommes.

La première étape a été Saint-Jacques. Dès la cérémonie de bienvenue, j’ai pu me rendre compte de l’affection que le peuple d’Espagne nourrit envers le Successeur de Pierre. J’ai été accueilli véritablement avec un grand enthousiasme et chaleur. En cette Année sainte compostellane, j’ai voulu devenir pèlerin avec tous ceux, très nombreux, qui se sont rendus dans ce célèbre sanctuaire. J’ai pu visiter la «Maison de l’apôtre Jacques le majeur», qui continue de répéter, à ceux qui y arrivent en ayant besoin de grâce que dans le Christ, Dieu est venu dans le monde pour le réconcilier à lui, en ne reprochant pas aux hommes leurs fautes.

Dans l’imposante cathédrale de Compostelle, en accomplissant avec émotion le geste traditionnel d’embrasser le saint, je pensais que cet acte d’accueil et d’amitié est également une façon d’exprimer l’adhésion à sa parole et la participation à sa mission. Un signe fort de la volonté de se conformer au message apostolique, qui, d’un côté, nous engage à être de fidèles gardiens de la Bonne Nouvelle que les apôtres ont transmise, sans céder à la tentation de l’altérer, de la diminuer ou de la soumettre à d’autres intérêts, et, de l’autre, de transformer chacun de nous en annonciateurs inlassables de la foi dans le Christ, à travers la parole et le témoignage de la vie dans tous les domaines de la société.

En voyant le nombre de pèlerins présents à la Messe solennelle que j’ai eu la grande joie de présider à Saint-Jacques, je méditais sur ce qui pousse tant de personnes à quitter leurs occupations quotidiennes et à entreprendre le chemin de pénitence vers Compostelle, un chemin parfois long et fatigant; c’est le désir de parvenir à la lumière du Christ, à laquelle ils aspirent au plus profond de leur coeur, même si souvent, ils ne savent pas l’exprimer de façon adéquate à travers les mots. Dans les moments d’égarement, de recherche, de difficulté, ainsi que dans l’aspiration à renforcer la foi et à vivre de façon plus cohérente, les pèlerins à Compostelle entreprennent un profond itinéraire de conversion au Christ, qui a pris sur lui la faiblesse, le péché de l’humanité, les pauvretés du monde, en les portant là où le mal n’a plus de pouvoir, là où la lumière du bien illumine toute chose. Il s’agit d’un peuple de marcheurs silencieux, provenant de toutes les régions du monde, qui redécouvrent l’antique tradition médiévale et chrétienne du pèlerinage, en traversant des villages et des villes imprégnées du catholicisme.

Au cours de cette Eucharistie solennelle, vécue par les très nombreux fidèles présents avec une intense participation et dévotion, j’ai demandé avec ferveur que ceux qui se rendent en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle puissent recevoir le don de devenir de véritables témoins du Christ, qu’ils ont redécouvert aux carrefours des routes suggestives vers Compostelle. J’ai également prié pour que les pèlerins, suivant les traces des nombreux saints qui ont accompli au cours des siècles le «Chemin de saint Jacques», continuent à en conserver vivant le sens religieux, spirituel et pénitentiel authentique, sans céder à la banalité, à la distraction, aux modes. Ce chemin, mélange de voies qui sillonnent de vastes terres en formant un réseau à travers la péninsule ibérique et l’Europe, a été et continue à être un lieu de rencontre d’hommes et de femmes aux origines les plus diverses, unis par la recherche de la foi et de la vérité sur eux-mêmes, et il suscite des expériences profondes de partage, de fraternité et de solidarité.

C’est précisément la foi dans le Christ qui donne un sens à Compostelle, un lieu extraordinaire d’un point de vue spirituel qui continue à être un point de référence pour l’Europe d’aujourd’hui dans ses nouvelles configurations et perspectives. Conserver et renforcer l’ouverture au transcendant, ainsi qu’un dialogue fécond entre foi et raison, entre politique et religion, entre économie et éthique, permettra de construire une Europe qui, fidèle à ses racines chrétiennes incontournables, pourra pleinement répondre à sa vocation et à sa mission dans le monde. C’est pourquoi, sûr des immenses possibilités du continent européen et confiant dans son avenir d’espérance, j’ai invité l’Europe à s’ouvrir toujours plus à Dieu, en favorisant ainsi les perspectives d’une rencontre authentique, respectueuse et solidaire, avec les populations et les civilisations des autres continents.

Ensuite, dimanche, j’ai eu la très grande joie de présider, à Barcelone, la dédicace de l’église de la Sainte Famille, que j’ai élevée au rang de basilique mineure. En contemplant la majesté et la beauté de cet édifice, qui invite à élever le regard et l’âme vers le Haut, vers Dieu, j’ai rappelé les grandes constructions religieuses, comme les cathédrales du Moyen Age, qui ont profondément marqué l’histoire et la physionomie des principales villes d’Europe. Cette oeuvre splendide — très riche de symbolisme religieux, précieuse dans le mélange des formes, fascinante dans le jeu des lumières et des couleurs — sorte d’immense sculpture de pierre, fruit de la foi profonde, de la sensibilité spirituelle et du talent artistique d’Antonio Gaudí, renvoie au véritable sanctuaire, le lieu du culte royal, le Ciel, où le Christ est entré pour apparaître aux côtés de Dieu en notre faveur (cf. He 9,24). Dans ce temple magnifique, cet architecte génial, a su admirablement représenter le mystère de l’Eglise, dans laquelle les fidèles sont incorporés par le baptême, comme des pierres vivantes pour la construction d’un édifice spirituel (cf. 1P 2,5).

L’Eglise de la Sainte Famille fut conçue et projetée par Gaudí comme une grande catéchèse sur Jésus Christ, comme un cantique de louange au Créateur. Dans cet édifice si imposant, il a placé son propre génie au service de la beauté. En effet, l’extraordinaire capacité expressive et symbolique des formes et des motifs artistiques, ainsi que les techniques architecturales et sculpturales innovatrices, évoquent la Source suprême de toute beauté. Le célèbre architecte considéra ce travail comme une mission à laquelle tout son être participait. A partir du moment où il accepta la responsabilité de construire cette église, sa vie fut marquée par un changement profond. Il entreprit ainsi une intense pratique de prière, de jeûne et de pauvreté, ressentant la nécessité de se préparer spirituellement pour réussir à exprimer dans la réalité matérielle le mystère insondable de Dieu. On peut dire que, alors que Gaudí travaillait à la construction du temple, Dieu construisait en lui l’édifice spirituel (cf. Ep 2,22), le renforçant dans la foi et le rapprochant toujours davantage de l’intimité du Christ. S’inspirant sans cesse de la nature, oeuvre du Créateur, et se consacrant avec passion à la connaissance de l’Ecriture Sainte et de la liturgie, il sut réaliser au coeur de la ville un édifice digne de Dieu et, pour cela même, digne de l’homme.

A Barcelone, j'ai également rendu visite à l’oeuvre du «Nen Déu», une initiative plus que centenaire, très liée à cet archidiocèse, où sont soignés, avec professionnalisme et amour, des enfants et des jeunes porteurs de handicap. Leurs vies sont précieuses aux yeux de Dieu et ils nous invitent constamment à sortir de notre égoïsme. Dans cette maison, j'ai partagé la joie et la charité profonde et inconditionnelles des soeurs franciscaines des Sacrés-Coeurs, le travail généreux des médecins, des éducateurs, et de bien d'autres professionnels et bénévoles, qui oeuvrent avec un dévouement louable dans cette institution. J'ai également béni la première pierre d'une nouvelle résidence qui fera partie de cette oeuvre, où toute chose parle de charité, de respect de la personne et de sa dignité, de joie profonde, parce que l'être humain vaut pour ce qu'il est, et pas seulement pour ce qu'il fait.

Pendant que j'étais à Barcelone, j'ai prié intensément pour les familles, cellules vitales et espérance de la société et de l'Eglise. J’ai également rappelé ceux qui souffrent, en particulier en cette période de sérieuses difficultés économiques. J'ai eu également à l'esprit les jeunes — qui m'ont accompagné pendant toute ma visite à Saint-Jacques et à Barcelone avec leur enthousiasme et leur joie — pour qu'ils découvrent la beauté, la valeur et l'engagement du mariage, dans lequel un homme et une femme forment une famille, qui avec générosité accueille la vie et l’accompagne de sa conception à sa mort naturelle. Tout ce que l’on fait pour soutenir le mariage et la famille, pour aider les personnes les plus démunies tout ce qui accroît la grandeur de l'homme et de sa dignité inviolable, contribue au perfectionnement de la société. Aucun effort n'est vain en ce sens.

Chers amis, je rends grâce à Dieu pour les journées intenses que j'ai passées à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Barcelone. Je renouvelle mes remerciements au roi et à la reine d'Espagne, aux princes des Asturies et à toutes les autorités. J'adresse encore une fois ma pensée reconnaissante et affectueuse à mes chers frères archevêques de ces deux Eglises particulières et à leurs collaborateurs, ainsi qu'à tous ceux qui se sont généreusement prodigués afin que ma visite dans ces deux merveilleuses villes fût fructueuse. Ce furent des jours inoubliables, qui demeureront imprimés dans mon coeur! En particulier les deux célébrations eucharistiques, soigneusement préparées et intensément vécues par tous les fidèles, à travers les chants également, tirés à la fois de la grande tradition musicale de l'Eglise, et du génie des auteurs modernes, ont été des moments de vraie joie intérieure. Que Dieu récompense chacun, comme lui seul sait le faire; que la Très Sainte Mère de Dieu et l'apôtre saint Jacques continuent d'accompagner de leur protection leur chemin. L'année prochaine, si Dieu le veut, je me rendrai à nouveau en Espagne, à Madrid, pour la Journée mondiale de la jeunesse. Je confie dès à présent à vos prières cette initiative providentielle, afin qu'elle soit une occasion de croissance dans la foi pour beaucoup de jeunes.
* * *


Je salue les pèlerins francophones, particulièrement ceux de la paroisse de Dannemarie-Haut-Rhin, et de la paroisse Saint Roch de Fréjus avec leur Evêque, Mgr Rey, ainsi que les élèves de l’Institut Saint Dominique de Rome et de Pau. Chers amis, puissiez-vous être porteurs de la joie et de la vérité du Christ autour de vous! A tous, je souhaite un bon pèlerinage!






Mercredi 17 novembre 2010 - Sainte Julienne de Cornillon

17110
Chers frères et chères soeurs,

Ce matin également, je voudrais vous présenter une figure féminine, peu connue, à laquelle l’Eglise doit toutefois une grande reconnaissance, non seulement en raison de sa sainteté de vie, mais également parce qu’à travers sa grande ferveur, elle a contribué à l’institution de l’une des solennités liturgiques les plus importantes de l’année, celle du Corpus Domini. Il s’agit de sainte Julienne de Cornillon, également connue sous le nom de sainte Julienne de Liège. Nous possédons quelques informations sur sa vie, en particulier à travers une biographie, probablement écrite par un ecclésiastique qui lui était contemporain, dans laquelle sont recueillis divers témoignages de personnes qui eurent une connaissance directe de la sainte.

Julienne naquit entre 1191 et 1192 près de Liège, en Belgique. Il est important de souligner ce lieu, car à cette époque, le diocèse de Liège était, pour ainsi dire, un véritable «cénacle» eucharistique. Avant Julienne, d’éminents théologiens y avaient illustré la valeur suprême du sacrement de l’Eucharistie et, toujours à Liège, il existait des groupes féminins généreusement consacrés au culte eucharistique et à la communion fervente. Guidées par des prêtres exemplaires, elles vivaient ensemble, se consacrant à la prière et aux oeuvres de charité.

Devenue orpheline à l’âge de 5 ans, Julienne, avec sa soeur Agnès, fut confiée aux soins des soeurs augustiniennes du couvent-léproserie du Mont-Cornillon. Elle fut éduquée surtout par une religieuse prénommée Sapience, qui suivit sa maturation spirituelle, jusqu’à ce que Julienne elle-même reçoive l’habit religieux et devienne elle aussi moniale augustinienne. Elle acquit une culture considérable, au point de lire les oeuvres des Pères de l’Eglise en latin, en particulier saint Augustin, et saint Bernard. Outre sa vive intelligence, Julienne faisait preuve, dès le début, d’une propension particulière pour la contemplation; elle possédait un sens profond de la présence du Christ, dont elle faisait l’expérience en vivant de façon particulièrement intense le sacrement de l’Eucharistie et s’arrêtant souvent pour méditer sur les paroles de Jésus: «Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde» (
Mt 28,20).

A l’âge de seize ans, elle eut une première vision, qui se répéta ensuite plusieurs fois dans ses adorations eucharistiques. La vision présentait la lune dans toute sa splendeur, dont le diamètre était traversé par une bande noire. Le Seigneur lui fit comprendre la signification de ce qui lui était apparu. La lune symbolisait la vie de l’Eglise sur terre, la ligne opaque représentait en revanche l’absence d’une fête liturgique, pour l’institution de laquelle il était demandé à Julienne de se prodiguer de façon efficace: c’est-à-dire une fête dans laquelle les croyants pouvaient adorer l’Eucharistie pour faire croître leur foi, avancer dans la pratique des vertus et réparer les offenses au Très Saint Sacrement.

Pendant environ vingt ans, Julienne, qui entre-temps était devenue prieure du couvent, conserva le secret de cette révélation, qui avait rempli son coeur de joie. Puis elle se confia à deux ferventes adoratrices de l’Eucharistie, la bienheureuse Eve, qui menait une vie d’ermite, et Isabelle, qui l’avait rejointe dans le monastère du Mont-Cornillon. Les trois femmes établirent une sorte d’«alliance spirituelle», dans l’intention de glorifier le Très Saint Sacrement. Elles demandèrent également l’aide d’un prêtre très estimé, Jean de Lausanne, chanoine de l’église de Saint-Martin à Liège, le priant d’interpeller les théologiens et les ecclésiastiques au sujet de ce qui leur tenait à coeur. Les réponses furent positives et encourageantes.

Ce qui arriva à Julienne de Cornillon se répète fréquemment dans la vie des saints: pour avoir la confirmation qu’une inspiration vient de Dieu, il faut toujours se plonger dans la prière, savoir attendre avec patience, chercher l’amitié et la confrontation avec d’autres bonnes âmes, et tout soumettre au jugement des pasteurs de l’Eglise. Ce fut précisément l’évêque de Liège, Robert de Thourotte, qui, après avoir hésité au début, accueillit la proposition de Julienne et de ses compagnes, et qui institua, pour la première fois, la solennité du Corpus Domini dans son diocèse. Plus tard, d’autres évêques l’imitèrent, établissant la même fête dans les territoires confiés à leurs soins pastoraux.

Le Seigneur demande toutefois souvent aux saints de surmonter des épreuves, pour que leur foi soit accrue. Cela arriva également à Julienne, qui dut subir la dure opposition de certains membres du clergé et du supérieur même dont dépendait son monastère. Alors, de sa volonté, Julienne quitta le couvent de Mont-Cornillon avec quelques compagnes, et pendant dix ans, de 1248 à 1258, elle fut l’hôte de divers monastères de soeurs cisterciennes. Elle édifiait chacun par son humilité, elle ne faisait jamais de reproches ou de critiques à ses adversaires, mais elle continuait à diffuser avec zèle le culte eucharistique. Elle s’éteignit en 1258 à Fosses-La-Ville, en Belgique. Dans la cellule où elle gisait, le Très Saint-Sacrement fut exposé et, selon les termes de son biographe, Julienne mourut en contemplant avec un dernier élan d’amour Jésus Eucharistie, qu’elle avait toujours aimé, honoré et adoré.

Jacques Pantaléon de Troyes, qui avait connu la sainte au cours de son ministère d’archidiacre à Liège, fut lui aussi conquis à la bonne cause de la fête du Corpus Domini.Ce fut précisément lui, devenu Pape sous le nom d’Urbain iv, qui institua en 1264 la solennité du Corpus Domini comme fête de précepte pour l’Eglise universelle, le jeudi suivant la Pentecôte. Dans la Bulle d’institution, intitulée Transiturus de hoc mundo (11 août 1264), le Pape Urbain réévoque avec discrétion également les expériences mystiques de Julienne, soutenant leur authenticité, et il écrit: «Bien que l’Eucharistie soit chaque jour solennellement célébrée, nous considérons juste que, au moins une fois par an, l’on en honore la mémoire de manière plus solennelle. En effet, les autres choses dont nous faisons mémoire, nous les saisissons avec l’esprit et avec l’intelligence, mais nous n’obtenons pas pour autant leur présence réelle. En revanche, dans cette commémoration sacramentelle du Christ, bien que sous une autre forme, Jésus Christ est présent avec nous dans sa propre substance. En effet, alors qu’il allait monter au ciel, il dit: “Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28,20)».

Le Pape lui-même voulut donner l’exemple, en célébrant la solennité du Corpus Domini à Orvieto, la ville où il demeurait alors. C’est précisément sur son ordre que, dans la cathédrale de la ville l’on conservait — et l’on conserve encore — le célèbre corporal portant les traces du miracle eucharistique qui avait eu lieu l’année précédente, en 1263 à Bolsène. Un prêtre, alors qu’il consacrait le pain et le vin, avait été saisi de doutes profonds sur la présence réelle du Corps et du Sang du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie. Miraculeusement quelques gouttes de sang commencèrent à jaillir de l’hostie consacrée, confirmant de cette manière ce que notre foi professe. Urbain IV demanda à l’un des plus grands théologiens de l’histoire, saint Thomas d’Aquin — qui a cette époque accompagnait le Pape et se trouvait à Orvieto —, de composer les textes de l’office liturgique de cette grande fête. Ces derniers, encore en usage aujourd’hui dans l’Eglise, sont des chefs-d’oeuvre, dans lesquels se fondent la théologie et la poésie. Ce sont des textes qui font vibrer les cordes du coeur pour exprimer la louange et la gratitude au Très Saint Sacrement, alors que l’intelligence, pénétrant avec émerveillement dans le mystère, reconnaît dans l’Eucharistie la présence vivante et véritable de Jésus, de son Sacrifice d’amour qui nous réconcilie avec le Père, et nous donne le salut.

Même si après la mort d'Urbain iv la célébration de la fête du Corpus Domini se limita à certaines régions de France, d'Allemagne, de Hongrie et d'Italie du nord, ce fut un autre Pape, Jean XXII, qui en 1317 lui redonna cours pour toute l'Eglise. Depuis lors, la fête connut un développement merveilleux, et elle est encore très appréciée du peuple chrétien.

Je voudrais affirmer avec joie qu'il y a aujourd'hui dans l'Eglise un «printemps eucharistique»: combien de personnes demeurent en silence devant le Tabernacle, pour s'entretenir en une conversation d'amour avec Jésus! Il est réconfortant de savoir que beaucoup de groupes de jeunes ont redécouvert la beauté de prier en adoration devant le Très Saint Sacrement. Je pense par exemple à notre adoration eucharistique à Hyde Park, à Londres. Je prie afin que ce «printemps eucharistique» se répande toujours davantage dans toutes les paroisses, en particulier en Belgique, la patrie de sainte Julienne. Le vénérable Jean-Paul II, dans l'encyclique Ecclesia de Eucharistia, constatait que «dans beaucoup d'endroits, l'adoration du Saint-Sacrement a une large place chaque jour et devient source inépuisable de sainteté. La pieuse participation des fidèles à la procession du Saint-Sacrement lors de la solennité du Corps et du Sang du Christ est une grâce du Seigneur qui remplit de joie chaque année ceux qui y participent. On pourrait mentionner ici d'autres signes positifs de foi et d'amour eucharistiques» (n. 10).

En nous souvenant de sainte Julienne de Cornillon renouvelons nous aussi la foi dans la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Comme nous l'enseigne le Compendium du catéchisme de l'Eglise catholique, «Jésus Christ est présent dans l’Eucharistie d’une façon unique et incomparable. Il est présent en effet de manière vraie, réelle, substantielle: avec son Corps et son Sang, avec son Âme et sa divinité. Dans l’Eucharistie, est donc présent de manière sacramentelle, c’est-à-dire sous les espèces du pain et du vin, le Christ tout entier, Dieu et homme» (n. 282).

Chers amis, la fidélité à la rencontre avec le Christ eucharistique dans la Messe dominicale est essentielle pour le chemin de foi, mais essayons aussi d'aller fréquemment rendre visite au Seigneur présent dans le Tabernacle! En regardant en adoration l'Hostie consacrée, nous rencontrons le don de l'amour de Dieu, nous rencontrons la Passion et la Croix de Jésus, ainsi que sa Résurrection. C'est précisément à travers notre regard d'adoration que le Seigneur nous attire à lui dans son mystère, pour nous transformer comme il transforme le pain et le vin. Les saints ont toujours trouvé force, consolation et joie dans la rencontre eucharistique. Avec les paroles de l’hymne eucharistique, Adoro te devote nous répétons devant le Seigneur, présent dans le Très Saint-Sacrement: «Fais que, toujours davantage, en toi je croie, je place mon espérance, je t'aime!». Merci.
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Je salue avec joie les pèlerins de langue française, particulièrement les prêtres du diocèse de Nevers, venus avec leur Évêque, Mgr Francis Deniau. Je vous souhaite à tous de trouver dans l’adoration eucharistique force, consolation et joie pour votre vie chrétienne et votre apostolat. Que Dieu vous bénisse!



Catéchèses Benoît XVI 27100