Catéchèses Benoît XVI 25511

Mercredi 25 mai 2011

25511

Chers frères et soeurs,


Aujourd’hui, je voudrais réfléchir avec vous sur un texte du Livre de la Genèse, qui rapporte un épisode assez particulier de l’histoire du patriarche Jacob. C’est un passage qui n’est pas facile à interpréter, mais qui est important pour notre vie de foi et de prière; il s’agit du récit de la lutte avec Dieu au gué du Yabboq, dont nous avons entendu un passage.

Comme vous vous en souviendrez, Jacob avait soustrait à son jumeau Esaü son droit d’aînesse en échange d’un plat de lentilles et avait ensuite soutiré par la ruse la bénédiction de son père Isaac, désormais très âgé, en profitant de sa cécité. Fuyant la colère d’Esaü, il s’était réfugié chez un parent, Laban; il s’était marié, était devenu riche et s’en retournait à présent dans sa terre natale, prêt à affronter son frère après avoir prudemment pris certaines précautions. Mais, lorsque tout est prêt pour cette rencontre, après avoir fait traverser à ceux qui l’accompagnaient le gué du torrent qui délimitait le territoire d’Esaü, Jacob, demeuré seul, est soudain agressé par un inconnu avec lequel il lutte toute une nuit. Ce combat corps à corps — que nous trouvons dans le chapitre 32 du Livre de la Genèse — devient précisément pour lui une expérience particulière de Dieu.

La nuit est le temps favorable pour agir de façon cachée, et donc, pour Jacob, le meilleur moment pour entrer dans le territoire de son frère sans être vu et sans doute dans l’illusion de prendre Esaü par surprise. Mais c’est au contraire lui qui est surpris par une attaque soudaine, à laquelle il n’était pas préparé. Il avait joué d’astuce pour tenter d’échapper à une situation dangereuse, il pensait réussir à tout contrôler, et il doit en revanche affronter à présent une lutte mystérieuse qui le surprend seul et sans lui donner la possibilité d’organiser une défense adéquate. Sans défense, dans la nuit, le patriarche Jacob lutte contre quelqu’un. Le texte ne spécifie pas l’identité de l’agresseur; il utilise un terme hébreu qui indique «un homme» de façon générique, «un, quelqu’un»; il s’agit donc d’une définition vague, indéterminée, qui maintient volontairement l’attaquant dans le mystère. Il fait nuit, Jacob ne réussit pas à distinguer son adversaire et pour le lecteur, pour nous, il demeure inconnu; quelqu’un s’oppose au patriarche et cela est l’unique élément sûr fourni par le narrateur. Ce n’est qu’à la fin, lorsque la lutte sera désormais terminée et que ce «quelqu’un» aura disparu, que Jacob le nommera et pourra dire qu’il a lutté avec Dieu.

L’épisode se déroule donc dans l’obscurité et il est difficile de percevoir non seulement l’identité de l’agresseur de Jacob, mais également le déroulement de la lutte. En lisant le passage, il est difficile d’établir qui des deux adversaires réussit à avoir le dessus; les verbes utilisés sont souvent sans sujet explicite, et les actions se déroulent de façon presque contradictoire, de sorte que lorsque l’on croit que l’un des deux a l’avantage, l’action successive contredit immédiatement les faits et présente l’autre comme le vainqueur. Au début, en effet, Jacob semble être le plus fort, et l’adversaire — dit le texte — «ne le maîtrisait pas» (v. 26); et pourtant, il frappe Jacob à l’emboîture de la hanche, provoquant son déboîtement. On devrait alors penser que Jacob est sur le point de succomber, mais c’est l’autre au contraire qui lui demande de le lâcher; et le patriarche refuse, en imposant une condition: «Je ne te lâcherai pas, que tu ne m'aies béni» (v. 27). Celui qui par la ruse avait dérobé son frère de la bénédiction due à l’aîné, la prétend à présent de l’inconnu, dont il commence sans doute à entrevoir les traits divins, mais sans pouvoir encore vraiment le reconnaître.

Son rival, qui semble retenu et donc vaincu par Jacob, au lieu de céder à la demande du patriarche, lui demande son nom: «Quel est ton nom». Et le patriarche répond: «Jacob» (v. 28). Ici, la lutte prend un tournant important. Connaître le nom de quelqu’un, en effet, implique une sorte de pouvoir sur la personne, car le nom, dans la mentalité biblique, contient la réalité la plus profonde de l’individu, en dévoile le secret et le destin. Connaître le nom veut dire alors connaître la vérité de l’autre et cela permet de pouvoir le dominer. Lorsque, à la demande de l’inconnu, Jacob révèle donc son nom, il se place entre les mains de son adversaire, c’est une façon de capituler, de se remettre totalement à l’autre.

Mais dans le geste de se rendre, Jacob résulte paradoxalement aussi vainqueur, car il reçoit un nom nouveau, en même temps que la reconnaissance de sa victoire de la part de son adversaire, qui lui dit: «On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l’as emporté» (v. 29). «Jacob» était un nom qui rappelait l’origine problématique du patriarche; en hébreu, en effet, il rappelle le terme «talon», et renvoie le lecteur au moment de la naissance de Jacob, lorsque, sortant du sein maternel, il tenait par la main le talon de son frère jumeau (cf.
Gn 25,26), presque en préfigurant l’acte de passer en premier, au détriment de son frère, qu’il aurait effectué à l’âge adulte; mais le nom de Jacob rappelle également le verbe «tromper, supplanter». Eh bien, à présent, dans la lutte, le patriarche révèle à son opposant, dans le geste de se remettre et de se rendre, sa propre réalité d’imposteur, qui supplante; mais l’autre, qui est Dieu, transforme cette réalité négative en positive: Jacob l’imposteur devient Israël, un nom nouveau lui est donné qui marque une nouvelle identité. Mais ici aussi, le récit conserve une duplicité voulue, car la signification la plus probable du nom Israël est «Dieu est fort, Dieu triomphe».

Jacob a donc prévalu, il a vaincu — c’est l’adversaire lui-même qui l’affirme — mais sa nouvelle identité, reçue de l’adversaire, affirme et témoigne de la victoire de Dieu. Et lorsque Jacob demandera, à son tour, son nom à son adversaire, celui-ci refusera de le lui dire, mais il se révélera dans un geste sans équivoque, en lui donnant la bénédiction. Cette bénédiction que le patriarche avait demandée au début de la lutte lui est à présent accordée. Et ce n’est pas la bénédiction obtenue par la tromperie, mais celle donnée gratuitement par Dieu, que Jacob peut recevoir car il est désormais seul, sans protection, sans astuces ni tromperies, il se remet sans défense, il accepte de se rendre et confesse la vérité sur lui-même. Ainsi, au terme de la lutte, ayant reçu la bénédiction, le patriarche peut finalement reconnaître l’autre, le Dieu de la bénédiction: «car — dit-il — j’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve» (v. 31), et il peut à présent traverser le gué, porteur d’un nom nouveau mais «vaincu» par Dieu et marqué pour toujours, boiteux à la suite de la blessure reçue.

Les explications que l’exégèse biblique peut donner à ce passage sont multiples; les chercheurs reconnaissent en particulier dans celui-ci des intentions et des composantes littéraires de différents genres, ainsi que des références à certains récits populaires. Mais lorsque ces éléments sont repris par les auteurs sacrés et inclus dans le récit biblique, ils changent de signification et le texte s’ouvre à des dimensions plus vastes. L’épisode de la lutte au Yabboq se présente ainsi au croyant comme un texte paradigmatique dans lequel le peuple d’Israël parle de sa propre origine et définit les traits d’une relation particulière entre Dieu et l’homme. C’est pourquoi, comme cela est également affirmé dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, «la tradition spirituelle de l’Eglise a retenu de ce récit le symbole de la prière comme combat de la foi et victoire de la persévérance» (n. 2573). Le texte biblique nous parle de la longue nuit de la recherche de Dieu, de la lutte pour en connaître le nom et en voir le visage; c’est la nuit de la prière qui avec ténacité et persévérance demande à Dieu la bénédiction et un nouveau nom, une nouvelle réalité fruit de conversion et de pardon.

La nuit de Jacob au gué du Yabboq devient ainsi pour le croyant le point de référence pour comprendre la relation avec Dieu qui, dans la prière, trouve sa plus haute expression. La prière demande confiance, proximité, presque un corps à corps symbolique, non avec un Dieu adversaire et ennemi, mais avec un Seigneur bénissant qui reste toujours mystérieux, qui apparaît inaccessible. C’est pourquoi l’auteur sacré utilise le symbole de la lutte, qui implique force d’âme, persévérance, ténacité pour parvenir à ce que l’on désire. Et si l’objet du désir est la relation avec Dieu, sa bénédiction et son amour, alors la lutte ne pourra qu’atteindre son sommet dans le don de soi-même à Dieu, dans la reconnaissance de sa propre faiblesse, qui l’emporte précisément lorsqu’on en arrive à se remettre entre les mains miséricordieuses de Dieu.

Chers frères et soeurs, toute notre vie est comme cette longue nuit de lutte et de prière, qu’il faut passer dans le désir et dans la demande d’une bénédiction de Dieu qui ne peut pas être arrachée ou gagnée en comptant sur nos forces, mais qui doit être reçue avec humilité de Lui, comme don gratuit qui permet, enfin, de reconnaître le visage du Seigneur. Et quand cela se produit, toute notre réalité change, nous recevons un nouveau nom et la bénédiction de Dieu. Mais encore davantage: Jacob, qui reçoit un nom nouveau, devient Israël, il donne également un nom nouveau au lieu où il a lutté avec Dieu, où il l’a prié, il le renomme Penuel, qui signifie «Visage de Dieu». Avec ce nom, il reconnaît ce lieu comblé de la présence du Seigneur, il rend cette terre sacrée en y imprimant presque la mémoire de cette mystérieuse rencontre avec Dieu. Celui qui se laisse bénir par Dieu, qui s’abandonne à Lui, qui se laisse transformer par Lui, rend le monde béni. Que le Seigneur nous aide à combattre la bonne bataille de la foi (cf 1Tm 6,12 2Tm 4,7) et à demander, dans notre prière, sa bénédiction, pour qu’il nous renouvelle dans l’attente de voir son Visage. Merci.
* * *


Je salue cordialement les pèlerins francophones, particulièrement les jeunes et les membres de la communauté de l’Arche de Grenoble ! Comme Jacob, laissez-vous bénir et transformer par Dieu pour rendre béni notre monde. Puisse le Seigneur vous aider à mener le bon combat de la foi avec humilité et dans une prière quotidienne et confiante ! Avec ma bénédiction !



Place Saint-Pierre

Mercredi 1er juin 2011

10611
Chers frères et soeurs,

En lisant l’Ancien Testament, une figure ressort parmi les autres: celle de Moïse, précisément comme homme de prière. Moïse, le grand prophète et «condottiere» du temps de l’Exode, a exercé sa fonction de médiateur entre Dieu et Israël en se faisant le messager, auprès du peuple, des paroles et des commandements divins, en le conduisant vers la liberté de la Terre promise, en enseignant aux juifs à vivre dans l’obéissance et dans la confiance envers Dieu au cours de leur long séjour dans le désert, mais également, et je dirais surtout, en priant. Il prie pour le pharaon lorsque Dieu, avec les plaies, tentait de convertir le coeur des Egyptiens (cf. Ex
Ex 8-10); il demande au Seigneur la guérison de sa soeur Marie frappée par la lèpre (cf. Nb Nb 12,9-13), il intercède pour le peuple qui s’était rebellé, effrayé par le compte-rendu des explorateurs (cf. Nb Nb 14,1-19), il prie quand le feu va dévorer le campement (cf. Nb Nb 11,1-2) et quand les serpents venimeux font un massacre (cf. Nb Nb 21,4-9); il s’adresse au Seigneur et réagit en protestant quand le poids de sa mission devient trop lourd (cf. Nb Nb 11,10-15); il voit Dieu et parle avec Lui «face à face, comme un homme parle à son ami» (cf. Ex Ex 24,9-17 Ex 33,7-23 Ex 34,1-10 Ex 34,28-35).

Même quand le peuple, au Sinaï, demande à Aaron de faire le veau d’or, Moïse prie, en accomplissant de manière emblématique sa propre fonction d’intercesseur. L’épisode est raconté au chapitre 32 du Livre de l’Exode et possède un récit parallèle dans le Deutéronome, au chapitre 9. C’est sur cet épisode que je voudrais m’arrêter dans la catéchèse d’aujourd’hui, et en particulier sur la prière de Moïse que nous trouvons dans le récit de l’Exode. Le peuple d’Israël se trouvait au pied du Sinaï tandis que Moïse, sur le mont, attendait le don des tables de la Loi, jeûnant pendant quarante jours et quarante nuits (cf. Ex Ex 24,18 Dt 9,9). Le chiffre quarante possède une valeur symbolique et signifie la totalité de l’expérience, alors qu’avec le jeûne, on indique que la vie vient de Dieu, que c’est Lui qui la soutient. L’acte de manger, en effet, implique de prendre la nourriture qui nous soutient; jeûner, en renonçant à la nourriture, acquiert donc, dans ce cas, une signification religieuse: c’est une manière pour indiquer que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de chaque parole qui sort de la bouche du Seigneur (cf. Dt Dt 8,3). En jeûnant, Moïse montre qu’il attend le don de la Loi divine comme source de vie: celle-ci révèle la volonté de Dieu et nourrit le coeur de l’homme, en le faisant entrer dans une alliance avec le Très-Haut, qui est source de la vie, qui est la vie elle-même.

Mais alors que le Seigneur, sur le mont, donne la Loi à Moïse, au pied de la montagne, le peuple la transgresse. Incapable de résister à l’attente et à l’absence du médiateur, les juifs demandent à Aaron: «Allons, fais-nous un dieu qui aille devant nous, car ce Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Egypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé» (Ex 32,1). Las d’un chemin avec un Dieu invisible, à présent que Moïse, le médiateur, a lui aussi disparu, le peuple demande une présence tangible, perceptible, du Seigneur, et il trouve dans le veau de métal fondu fait par Aaron, un dieu rendu accessible, manoeuvrable, à la portée de l’homme. C’est une tentation constante sur le chemin de foi: éluder le mystère divin en construisant un dieu compréhensible, correspondant à ses propres conceptions, à ses propres projets. Ce qui se produit au Sinaï révèle toute la stupidité et la vanité illusoire de cette prétention car, comme l’affirme ironiquement le Psaume 106, «ils échangeaient ce qui était leur gloire pour l’image d’un taureau, d’un ruminant» (Ps 106,20). C’est pourquoi le Seigneur réagit et ordonne à Moïse de descendre de la montagne, en lui révélant ce que fait son peuple et en terminant par ces mots: «Ma colère va s’enflammer. De toi en revanche je ferai une grande nation» (Ex 32,10). Comme avec Abraham à propos de Sodome et de Gomorrhe, à présent aussi, Dieu révèle à Moïse ce qu’il entend faire, comme s’il ne voulait pas agir sans son consentement (cf. Am Am 3,7). Il dit: «ma colère va s’enflammer». En réalité, ce «Ma colère va s’enflammer» est dit précisément pour que Moïse intervienne et lui demande de ne pas le faire, révélant ainsi que le désir de Dieu est toujours celui du salut. Comme pour les deux villes de l’époque d’Abraham, la punition et la destruction, à travers lesquelles s’exprime la colère de Dieu comme refus du mal, indiquent la gravité du péché commis; dans le même temps, la demande de l’intercesseur entend manifester la volonté de pardon du Seigneur. Tel est le salut de Dieu, qui implique la miséricorde, mais en même temps également la dénonciation de la vérité du péché, du mal qui existe, de sorte que le pécheur, ayant reconnu et refusé son propre mal, puisse se laisser pardonner et transformer par Dieu. La prière d’intercession rend ainsi agissante, au sein de la réalité corrompue de l’homme pécheur, la miséricorde divine, qui trouve voix dans la supplique de l’orant et qui se fait présente à travers lui là où il y a besoin de salut.

La supplique de Moïse est entièrement axée sur la fidélité et la grâce du Seigneur. Il se réfère tout d’abord à l’histoire de la rédemption que Dieu a commencée avec la sortie d’Israël d’Egypte, pour ensuite rappeler l’antique promesse donnée aux Pères. Le Seigneur a opéré le salut en libérant son peuple de l’esclavage égyptien; pourquoi alors — demande Moïse — «les Egyptiens devraient-ils dire: “c’est par méchanceté qu’il les a fait sortir, pour les faire périr dans les montagnes et les exterminer de la face de la terre”?» (Ex 32,12). L’oeuvre de salut commencée doit être complétée; si Dieu faisait périr son peuple, cela pourrait être interprété comme le signe d’une incapacité divine à mener à bien son projet de salut. Dieu ne peut pas permettre cela: Il est le Seigneur bon qui sauve, le garant de la vie, il est le Dieu de miséricorde et de pardon, de libération du péché qui tue. Et ainsi, Moïse fait appel à Dieu, à la vie intérieure de Dieu contre la sentence extérieure. Mais alors, argumente Moïse avec le Seigneur, si ses élus périssent, même s’ils sont coupables, Il pourrait apparaître incapable de vaincre le péché. Et on ne peut pas accepter cela. Moïse a fait l’expérience concrète du Dieu de salut, il a été envoyé comme médiateur de la libération divine et à présent, avec sa prière, il se fait l’interprète d’une double inquiétude, préoccupé pour le sort de son peuple, mais en même temps également préoccupé pour l’honneur que l’on doit au Seigneur, pour la vérité de son nom. En effet, l’intercesseur veut que le peuple d’Israël soit sauf, car il est le troupeau qui lui a été confié, mais également parce que dans ce salut se manifeste la véritable réalité de Dieu. L’amour des frères et l’amour de Dieu se mêlent dans la prière d’intercession, sont inséparables. Moïse, l’intercesseur, est l’homme tendu entre deux amours, qui dans la prière se superposent dans un unique désir de bien.

Moïse en appelle ensuite à la fidélité de Dieu, en lui rappelant ses promesses: «Souviens toi de tes serviteurs Abraham, Isaac et Israël, à qui tu as juré par toi-même et à qui tu as dit: “Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, et tout ce pays dont je vous ai parlé, je le donnerai à vos descendants et il sera votre héritage à jamais”» (Ex 32,13). Moïse rappelle l’histoire fondatrice des origines, des Pères du peuple et de leur élection, totalement gratuite, dont Dieu seul avait eu l’initiative. Ce n’est pas en raison de leurs mérites qu’ils avaient reçu la promesse, mais par le libre choix de Dieu et de son amour (cf. Dt Dt 10,15). Et à présent, Moïse demande que le Seigneur continue dans la fidélité son histoire d’élection et de salut, en pardonnant à son peuple. L’intercesseur ne fournit pas d’excuse pour le péché de son peuple, il ne dresse pas la liste de présumés mérites revenant à son peuple ou à lui-même, mais il fait appel à la gratuité de Dieu: un Dieu libre, totalement amour, qui ne cesse de chercher celui qui s’est éloigné, qui reste toujours fidèle à lui-même et offre au pécheur la possibilité de revenir à Lui et de devenir, avec son pardon, juste et capable de fidélité. Moïse demande à Dieu de se montrer plus fort également que le péché et que la mort, et avec sa prière, il provoque cette révélation divine. Médiateur de vie, l’intercesseur solidarise avec le peuple; désirant uniquement le salut que Dieu lui-même désire, il renonce à la perspective de devenir un nouveau peuple agréable au Seigneur. La phrase que Dieu lui avait adressée, «de toi en revanche je ferai une grande nation», n’est pas même prise en considération par l’«ami» de Dieu, qui en revanche est prêt à assumer sur lui non seulement la faute de son peuple, mais toutes ses conséquences. Lorsque, après la destruction du veau d’or, il reviendra sur le mont pour demander à nouveau le salut pour Israël, il dira au Seigneur: «Pourtant, s’il te plaisait de pardonner leur péché... Sinon, efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit» (v. 32). Avec la prière, désirant le désir de Dieu, l’intercesseur entre toujours plus profondément dans la connaissance du Seigneur et de sa miséricorde et il devient capable d’un amour qui arrive jusqu’au don total de soi. En Moïse, qui se trouve sur la cime du mont face à face avec Dieu et qui se fait l’intercesseur pour son peuple et s’offre lui-même — «efface-moi» —, les Pères de l’Eglise ont vu une préfiguration du Christ, qui sur la haute cime de la Croix se trouve réellement devant Dieu, non seulement comme ami mais comme Fils. Et il ne s’offre pas seulement — «efface-moi» —, mais avec son coeur transpercé, il se fait effacer, il devient, comme le dit saint Paul lui-même, péché, il porte sur lui nos péchés pour nous sauver; son intercession est non seulement solidarité, mais identification avec nous: il nous porte tous dans son corps. Et ainsi, toute son existence d’homme et de Fils est un cri au coeur de Dieu, est pardon, mais un pardon qui transforme et qui renouvelle.

Je pense que nous devons méditer cette réalité. Le Christ se trouve devant la face du Seigneur et prie pour moi. Sa prière sur la Croix est contemporaine de tous les hommes, elle m’est contemporaine: Il prie pour moi, il a souffert et il souffre pour moi, il s’est identifié avec moi en prenant notre corps et l’âme humaine. Et il nous invite à entrer dans son identité, en nous faisant un corps, un esprit avec Lui, car du haut de la cime de la Croix il a apporté non de nouvelles lois, des tables de pierre, mais il a apporté lui-même, son corps et son sang, comme nouvelle alliance. Ainsi, il nous fait devenir ses consanguins, un corps avec Lui, identifiés à Lui. Il nous invite à entrer dans cette identification; à être unis avec Lui dans notre désir d’être un corps, un esprit avec Lui. Prions le Seigneur afin que cette identification nous transforme, nous renouvelle, car le pardon est renouveau, est transformation.

Je voudrais conclure cette catéchèse avec les paroles de l’apôtre Paul aux chrétiens de Rome: «Qui accusera ceux que Dieu a choisis? Puisque c’est Dieu qui justifie. Qui pourra condamner? Puisque Jésus Christ est mort; plus encore: il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous. Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ? [...] Ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances [...] ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est Jésus Christ notre Seigneur» (Rm 8,33-35 Rm 8,38 Rm 8,39).
* * *


J’accueille avec joie les pèlerins francophones ! Comme Moïse, soyons aussi des intercesseurs auprès de Dieu, en étant solidaires de nos frères. Désirons ardemment le salut qu’il veut pour tous. Connaissant sa miséricorde, nous serons capables d’aimer jusqu’au don de nous-mêmes. Avec ma Bénédiction !



Place Saint-Pierre

Mercredi 8 juin 2011: Voyage apostolique en Croatie

8611

Chers frères et soeurs!

Je voudrais vous parler aujourd’hui de la visite pastorale en Croatie, que j’ai accomplie samedi et dimanche derniers. Un voyage apostolique bref, qui s’est déroulé entièrement dans la capitale Zagreb, et pourtant riche de rencontres et surtout d’un intense esprit de foi, car les Croates sont un peuple profondément catholique. Je renouvelle mes plus vifs remerciements au cardinal Bozanic, archevêque de Zagreb, à Mgr Srakic, président de la conférence épiscopale, et aux autres évêques de Croatie, ainsi qu’au président de la République, pour l’accueil chaleureux qu’ils m’ont réservé. Ma reconnaissance va à toutes les autorités civiles et à ceux qui ont collaboré de différentes manières à cet événement, en particulier aux personnes qui ont offert dans cette intention des prières et des sacrifices.

«Ensemble dans le Christ»: telle a été la devise de ma visite. Elle exprime tout d’abord l’expérience de se retrouver tous unis au nom du Christ, l’expérience d’être Eglise, manifestée par la réunion du peuple de Dieu autour du Successeur de Pierre. Mais «Ensemble dans le Christ» avait, dans ce cas, une référence particulière à la famille: en effet, l’occasion principale de ma visite était la Ière Journée nationale des familles catholiques croates, dont le point culminant a été la concélébration eucharistique de dimanche matin, qui a vu la participation, dans la zone de l’hippodrome de Zagreb, d’une grande multitude de fidèles. Il a été très important pour moi de confirmer dans la foi en particulier les familles, que le Concile Vatican ii a appelées «Eglises domestiques» (cf. Lumen gentium
LG 11). Le bienheureux Jean-Paul II, qui s’est rendu en visite trois fois en Croatie, a accordé une grande importance au rôle de la famille dans l’Eglise; ainsi, avec ce voyage, j’ai voulu poursuivre cet aspect de son magistère. Dans l’Europe d’aujourd’hui, les nations de solide tradition chrétienne ont une responsabilité particulière dans la défense et la promotion de la valeur de la famille fondée sur le mariage, qui reste quoi qu’il en soit décisive tant dans le domaine de l’éducation, que dans le domaine social. Ce message avait donc une importance particulière pour la Croatie, qui, riche de son patrimoine spirituel, éthique et culturel, s’apprête à entrer dans l’Union européenne.

La Messe a été célébrée dans le climat spirituel particulier de la neuvaine de la Pentecôte. Comme dans un grand «cénacle» à ciel ouvert, les familles croates se sont réunies en prière, en invoquant ensemble le don de l’Esprit Saint. Cela m’a donné l’occasion de souligner le don et l’engagement de la communion de l’Eglise, ainsi que d’encourager les conjoints dans leur mission. De nos jours, tandis que l’on constate malheureusement la multiplication des séparations et des divorces, la fidélité des conjoints est devenue en soi un témoignage significatif de l’amour du Christ, qui permet de vivre le mariage pour ce qu’il est, à savoir l’union d’un homme et d’une femme qui, avec la grâce du Christ, s’aiment et s’aident pendant toute leur vie, dans la joie et la douleur, dans la santé et la maladie. La première éducation à la foi consiste précisément dans le témoignage de cette fidélité au pacte conjugal: de celle-ci, les enfants apprennent sans paroles que Dieu est amour fidèle, patient, respectueux et généreux. La foi dans le Dieu qui est Amour se transmet avant tout par le témoignage d’une fidélité à l’amour conjugal, qui se traduit naturellement en amour pour les enfants, fruit de cette union. Mais cette fidélité n’est pas possible sans la grâce de Dieu, sans le soutien de la foi et de l’Esprit Saint. Voilà pourquoi la Vierge Marie ne cesse d’intercéder auprès de son Fils afin que — comme aux noces de Cana — il renouvelle continuellement aux époux le don du «bon vin», c’est-à-dire de sa Grâce, qui permet de vivre dans «une seule chair» aux divers âges et situations de la vie.

La veillée de prière avec les jeunes, qui a eu lieu dans la soirée de samedi sur la Place Jelacic, coeur de la ville de Zagreb, s’est parfaitement inscrite dans ce contexte de grande attention à la famille. J’ai pu y rencontrer la nouvelle génération croate, et j’ai perçu toute la force de sa foi jeune, animée par un grand élan vers la vie et sa signification, vers le bien, vers la liberté, c’est-à-dire vers Dieu. Il a été beau et émouvant d’entendre ces jeunes chanter avec joie et enthousiasme, et ensuite, au moment de l’écoute et de la prière, se recueillir dans un profond silence! Je leur ai répété la question que Jésus posa à ses premiers disciples: «Que cherchez-vous?» (Jn 1,38), mais je leur ai dit que Dieu les cherche le premier et plus qu’eux-mêmes ne Le recherchent. Telle est la joie de la foi: découvrir que Dieu nous aime le premier! C’est une découverte qui fait toujours de nous des disciples, et donc, qui nous fait toujours rester jeunes en esprit! Ce mystère, au cours de la Veillée, a été vécu dans la prière d’adoration eucharistique: dans le silence, notre façon d’être «ensemble dans le Christ» a trouvé sa plénitude. Ainsi, mon invitation à suivre Jésus a été un écho de la Parole qu’Il adressait lui-même au coeur des jeunes.

Un autre moment que nous pourrions définir de «cénacle» a été la célébration des vêpres dans la cathédrale, avec les évêques, les prêtres, les religieuses et les jeunes en formation dans les séminaires et dans les noviciats. Ici aussi, de manière particulière, nous avons fait l’expérience de notre façon d’être «famille» comme communauté ecclésiale. Dans la cathédrale de Zagreb se trouve la tombe monumentale du bienheureux Alojzije Stepinac, évêque et martyr. Au nom du Christ, il s’opposa avec courage tout d’abord aux abus du nazisme et du fascisme et, ensuite, à ceux du régime communiste. Il fut emprisonné et assigné à résidence dans son village natal. Créé cardinal par le Pape Pie XII, il mourut en 1960 à la suite d’une maladie contractée en prison. A la lumière de son témoignage, j’ai encouragé les évêques et les prêtres dans leur ministère, les exhortant à la communion et à l’élan apostolique; j’ai reproposé aux consacrés la beauté et la radicalité de leur forme de vie; j’ai invité les séminaristes, les novices hommes et femmes à suivre avec joie le Christ qui les a appelés par leur nom. Ce moment de prière, enrichi par la présence de nombreux frères et soeurs qui ont consacré leur vie au Seigneur, a été pour moi d’un grand réconfort, et je prie pour que les familles croates soient toujours un terrain fertile pour la naissance de nombreuses et saintes vocations au service du Royaume de Dieu.

Un moment très significatif a été également la rencontre avec les représentants de la société civile, du monde politique, académique, culturel et de l’entreprise, avec le corps diplomatique et avec les responsables religieux, réunis au Théâtre national de Zagreb. Dans ce cadre, j’ai eu la joie de rendre hommage à la grande tradition culturelle croate, inséparable de son histoire de foi et de la présence vivante de l’Eglise, qui a promu au cours des siècles de multiples institutions et surtout qui a formé d’illustres chercheurs de la vérité et du bien commun. Parmi ceux-ci, j’ai rappelé en particulier le père jésuite Ruder Boškovic, grand homme de science dont est célébré cette année le troisième centenaire de la naissance. Une fois de plus, nous est apparue évidente à tous la vocation la plus profonde de l’Europe, qui est celle de préserver et de renouveler un humanisme qui possède des racines chrétiennes et que l’on peut définir de «catholique», c’est-à-dire universel et intégral. Un humanisme qui place en son centre la conscience de l’homme, son ouverture transcendante et dans le même temps sa réalité historique, capable d’inspirer des projets politiques diversifiés, mais qui convergent dans la construction d’une démocratie solide, fondée sur les valeurs éthiques enracinées dans la nature humaine elle-même. Considérer l’Europe du point de vue d’une nation à l’antique et solide tradition chrétienne, qui est une partie intégrante de la civilisation européenne, alors qu’elle s’apprête à entrer dans l’Union politique, a fait ressentir à nouveau l’urgence du défi qui interpelle aujourd’hui les peuples de ce continent: c’est-à-dire celui de ne pas avoir peur de Dieu, du Dieu de Jésus Christ, qui est Amour et Vérité, qui n’ôte rien à la liberté, mais la restitue à elle-même et lui confère l’horizon d’une espérance certaine.

Chers amis, chaque fois que le Successeur de Pierre accomplit un voyage apostolique, tout le corps ecclésial participe en quelque sorte au dynamisme de communion et de mission propre à son ministère. Je remercie tous ceux qui m’ont accompagné et soutenu par la prière, faisant en sorte que ma visite pastorale se déroule de la meilleure façon. A présent, tandis que nous rendons grâce au Seigneur pour ce grand don, nous Lui demandons, par l’intercession de la Vierge Marie, Reine des Croates, que ce que j’ai pu semer porte des fruits abondants, pour les familles croates, pour toute la nation et pour toute l’Europe.
* * *


Je salue les pèlerins francophones, particulièrement les Petites Soeurs de Jésus et le groupe de l’Aide à l’Église en détresse, ainsi que les pèlerins de France et de Suisse. Puissiez-vous découvrir la joie de la foi en vous laissant aimer par le Christ ! Bonne préparation à la fête de la Pentecôte !



Place Saint-Pierre

Mercredi 15 juin 2011: L'homme en prière (6) Prophètes et prières en confrontation


Catéchèses Benoît XVI 25511