Catéchèses Benoît XVI 15611

Mercredi 15 juin 2011: L'homme en prière (6) Prophètes et prières en confrontation

15611
(
1R 18,20-40)

Chers frères et soeurs,

Dans l’histoire religieuse de l’ancien Israël, les prophètes ont joué un rôle de grande importance par leur enseignement et leur prédication. Parmi eux, ressort la figure d’Elie, suscité par Dieu pour conduire le peuple à la conversion. Son nom signifie «Le Seigneur est mon Dieu» et c’est en accord avec ce nom que se déroule toute sa vie, consacrée tout entière à provoquer dans le peuple la reconnaissance du Seigneur comme unique Dieu. D’Elie, le Siracide dit: «Le prophète Elie surgit comme un feu, sa parole brûlait comme une torche» (Si 48,1). Avec cette flamme Israël retrouve son chemin vers Dieu. Dans son mystère, Elie prie: il invoque le Seigneur afin qu’il ramène à la vie le fils d’une veuve qui l’avait accueilli (cf. 1R 17,17-24), il crie à Dieu sa lassitude et son angoisse tandis qu’il fuit dans le désert, recherché et condamné à mort par la reine Jézabel (cf. 1R 19,1-4), mais c’est surtout sur le mont Carmel qu’il montre toute sa puissance comme intercesseur lorsque, devant tout Israël, il prie le Seigneur pour qu’il se manifeste et convertisse le coeur du peuple. C’est l’épisode raconté dans le chapitre 18 du Premier Livre des Rois, sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui.

Nous nous trouvons dans le royaume du Nord, au ixe siècle av. J. C., au temps du roi Achab, à un moment où en Israël s’était créée une situation de syncrétisme ouvert. A côté du Seigneur, le peuple adorait Baal, l’idole rassurante dont on pensait que venait le don de la pluie et auquel était attribué pour cette raison le pouvoir de donner la fertilité aux champs et la vie aux hommes et au bétail. Tout en prétendant suivre le Seigneur, Dieu invisible et mystérieux, le peuple recherchait aussi la sécurité chez un dieu compréhensible et prévisible, dont il pensait pouvoir obtenir la fécondité et la prospérité en échange de sacrifices. Israël était en train de céder à la séduction de l’idolâtrie, la tentation continuelle du croyant, ayant l’illusion de pouvoir «servir deux maîtres» (cf. Mt 6,24 Lc 16,13), et de faciliter les chemins impraticables de la foi dans le Tout-Puissant en plaçant également sa confiance dans un dieu impuissant fait par les hommes.

C’est justement pour démasquer la stupidité trompeuse d’une telle attitude qu’Elie fait se réunir le peuple d’Israël sur le mont Carmel et le place face à la nécessité de faire un choix: «Si le Seigneur est Dieu, suivez-le; si c’est Baal, suivez-le» (1R 18,21). Et le prophète, porteur de l’amour de Dieu, n’abandonne pas son peuple face à ce choix, mais il l’aide en indiquant le signe qui révélera la vérité: lui d’un côté et les prophètes de Baal de l’autre prépareront un sacrifice et prieront, et le vrai Dieu se manifestera en répondant par le feu qui consumera l’offrande. Ainsi commence la confrontation entre le prophète Elie et les disciples de Baal, qui est en réalité entre le Seigneur d’Israël, Dieu de salut et de vie, et l’idole muette et sans consistance, qui ne peut rien faire, ni en bien ni en mal (cf. Jr 10,5). Et s’engage aussi la confrontation entre deux manières complètement différentes de s’adresser à Dieu et de prier.

Les prophètes de Baal, en effet, crient, s’agitent, dansent en sautant, entrent dans un tel état d’exaltation qu’ils en vienne à s’inciser le corps, «avec des épées et des lances jusqu’à l’effusion du sang» (1R 18,28). Ils ont recours à eux-mêmes pour interpeller leur dieu, en faisant confiance à leurs propres capacités de provoquer sa réponse. Ainsi se révèle la réalité trompeuse de l’idole: elle est pensée par l’homme comme quelque chose dont on peut disposer, que l’on peut gérer avec ses propres forces, à laquelle on peut accéder à partir de soi-même et de sa propre force vitale. L’adoration de l’idole, au lieu d’ouvrir le coeur humain à l’Altérité, à une relation qui libère et permet de sortir de l’espace étroit de son propre égoïsme pour accéder à des dimensions d’amour et de don réciproque, enferme la personne dans le cercle exclusif et désespérant de la recherche de soi. Et la tromperie est telle que, en adorant l’idole, l’homme se retrouve contraint à des actions extrêmes, dans la tentative illusoire de la soumettre à sa propre volonté. C’est pourquoi les prophètes de Baal en viennent jusqu’à se faire du mal, à s’infliger des blessures sur le corps, dans un geste dramatiquement ironique: pour avoir une réponse, un signe de vie de leur dieu, ils se recouvrent de sang, se recouvrant symboliquement de mort.

C’est une attitude de prière bien différente qu’adopte en revanche Elie. Il demande au peuple de s’approcher, en l’impliquant ainsi dans son action et dans sa supplication. Le but du défi qu’il a lancé aux prophètes de Baal était de ramener à Dieu le peuple qui s’était égaré en suivant les idoles: c’est pourquoi il veut qu’Israël s’unisse à lui, devenant participant et acteur de sa prière et de ce qui est en train d’advenir. Puis le prophète érige un autel, en utilisant, comme le dit le texte, «douze pierres, selon le nombre des tribus des fils de Jacob, à qui le Seigneur s’était adressé en disant : “Ton nom sera Israël”» (v. 31). Ces pierres représentent tout Israël et sont la mémoire tangible de l’histoire d’élection, de prédilection et de salut dont le peuple a été l’objet. Le geste liturgique d’Elie a une portée décisive; l’autel est le lieu sacré qui indique la présence du Seigneur, mais ces pierres qui le composent représentent le peuple qui à présent, par la médiation du prophète, est symboliquement placé devant Dieu, devient «autel», lieu d’offrande et de sacrifice.

Mais il est nécessaire que le symbole devienne réalité, qu’Israël reconnaisse le véritable Dieu et retrouve son identité de peuple du Seigneur. C’est pourquoi Elie demande à Dieu de se manifester, et les douze pierres qui devaient rappeler à Israël sa vérité servent également à rappeler au Seigneur sa fidélité, à laquelle le prophète appelle dans la prière. Les paroles de son invocation sont riches de signification et de foi: «Seigneur, Dieu d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, qu'on sache aujourd'hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur et que c'est par ton ordre que j'ai accompli toutes ces choses. Réponds-moi, Seigneur, réponds-moi, pour que ce peuple sache que c'est toi, Seigneur, qui es Dieu et qui convertis leur coeur!» (vv. 36-37; cf. Gn 32,36-37). Elie s’adresse au Seigneur en l’appelant Dieu des Pères, faisant ainsi mémoire de façon implicite des promesses divines et de l’histoire d’élection et d’alliance qui a uni de façon indissoluble le Seigneur à son peuple. La participation de Dieu à l’histoire des hommes est telle que désormais, son nom est lié de façon inséparable à celui des patriarches et le prophète prononce ce Nom saint afin que Dieu se rappelle et soit fidèle, mais également afin qu’Israël se sente appelé par son nom et retrouve sa fidélité. Le titre divin prononcé par Elie apparaît en effet un peu surprenant. Au lieu d’utiliser la formule habituelle, «Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob», il utilise une appellation moins commune: «Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël». L’utilisation du nom «Jacob» qui remplace celui d’«Israël» évoque la lutte de Jacob au gué du Yabboq et le changement de nom auquel le narrateur fait une référence explicite (cf. Gn 32,31) et dont j’ai parlé dans l’une des catéchèses passées. Cette substitution acquiert une signification importante au sein de l’invocation d’Elie. Le prophète est en train de prier pour le peuple du royaume du Nord, qui s’appelait précisément Israël, qui se distingue de Juda, qui indiquait le royaume du Sud. Et à présent, ce peuple, qui semble avoir oublié son origine et sa relation privilégiée avec le Seigneur, est appelé par son nom tandis qu’est prononcé le nom de Dieu, Dieu du Patriarche et Dieu du peuple: «Seigneur, Dieu [...] d’Israël, qu'on sache aujourd'hui que tu es Dieu en Israël».

Le peuple pour lequel Elie prie est placé devant sa propre vérité, et le prophète demande que la vérité du Seigneur également se manifeste et qu’Il intervienne pour convertir Israël, le détachant de la tromperie de l’idolâtrie et le conduisant ainsi au salut. Sa requête est que le peuple sache finalement, qu’il connaisse en plénitude qui est véritablement son Dieu, et fasse le choix décisif de le suivre, Lui seul, le vrai Dieu. Car ce n’est qu’ainsi que Dieu est reconnu pour ce qu’il est, Absolu et Transcendant, sans la possibilité de placer à ses côtés d’autres dieux, qui le nieraient comme absolu, le relativisant. Telle est la foi qui fait d’Israël le peuple de Dieu; c’est la foi proclamée dans le texte bien connu du Shema ‘Israel: «Ecoute, Israël: Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir» (Dt 6,4-5). A l’absolu de Dieu, le croyant doit répondre par un amour absolu, total, qui engage toute sa vie, ses forces, son coeur. Et c’est précisément pour le coeur de son peuple que le prophète, à travers sa prière, implore la conversion: «que ce peuple sache que c'est toi, Seigneur, qui es Dieu et qui convertis leur coeur!» (1R 18,37). Elie, à travers son intercession, demande à Dieu ce que Dieu lui-même désire faire, se manifester dans toute sa miséricorde, fidèle à sa réalité de Seigneur de la vie qui pardonne, convertit, transforme.

Et c’est ce qui a lieu: «Et le feu du Seigneur tomba et dévora l'holocauste et le bois, et il absorba l'eau qui était dans le canal. Tout le peuple le vit; les gens tombèrent la face contre terre et dirent: “C'est le Seigneur qui est Dieu! C'est le Seigneur qui est Dieu!”» (vv. 38-39). Le feu, cet élément à la fois nécessaire et terrible, lié aux manifestations divines du buisson ardent et du Sinaï, sert à présent à signaler l’amour de Dieu qui répond à la prière et se révèle à son peuple. Baal, le dieu muet et impuissant, n’avait pas répondu aux invocations de ses prophètes: le Seigneur, au contraire, répond, et sans équivoque, non seulement en brûlant l’holocauste, mais en allant jusqu’à absorber toute l’eau qui avait été versée autour de l’autel. Israël ne peut plus avoir de doutes: la miséricorde divine est allée au devant de sa faiblesse, de ses doutes, de son manque de foi. A présent, Baal, la vaine idole, est vaincu et le peuple, qui semblait perdu, a retrouvé le chemin de la vérité et s’est retrouvé lui-même.

Chers frères et soeurs, que nous dit cette histoire du passé? Dans quelle mesure cette histoire est- elle actuelle? Avant tout, c’est la priorité du premier commandement qui est en question: adorer uniquement Dieu. Là où Dieu disparaît, l’homme tombe dans l’esclavage d’idolâtries, comme l’ont montré, à notre époque, les régimes totalitaires et comme le montrent également diverses formes de nihilisme, qui rendent l’homme dépendant d’idoles, d’idolâtries qui le réduisent à l’état d’esclave. Deuxièmement, l’objectif principal de la prière est la conversion: le feu de Dieu qui transforme notre coeur et nous rend capables de voir Dieu et ainsi, de vivre selon Dieu et de vivre pour l’autre. En troisième lieu, les Pères nous disent que cette histoire d’un prophète est elle aussi prophétique, si — disent-ils — elle est l’ombre du futur, du futur Christ; il s’agit d’un pas sur le chemin vers le Christ. Et ils nous disent que nous voyons ici le véritable feu de Dieu: l’amour qui guide le Seigneur jusqu’à la croix, jusqu’au don total de soi. La véritable adoration de Dieu, alors, est de se donner soi-même à Dieu et aux hommes, la véritable adoration est l’amour. Et la véritable adoration de Dieu ne détruit pas, mais renouvelle, transforme. Certes, le feu de Dieu, le feu de l’amour brûle, transforme, purifie, mais précisément ainsi, il ne détruit pas, mais crée la vérité de notre être, il recrée notre coeur. Et ainsi, réellement vivants par la grâce du feu de l’Esprit Saint, de l’amour de Dieu, nous sommes adorateurs en esprit et en vérité. Merci.
* * *


Je suis heureux de saluer les pèlerins francophones, particulièrement les jeunes et le groupe du sanctuaire de Belpeuch. En ces jours qui suivent la fête de la Pentecôte, que l’Esprit-Saint vous donne de savoir accueillir chaque jour la miséricorde de Dieu qui vient à la rencontre de notre faiblesse et de nos manques de foi ! Que Dieu vous bénisse !



Place Saint-Pierre

Mercredi 22 juin 2011

22611
Chers frères et soeurs,


Dans les précédentes catéchèses, nous nous sommes arrêtés sur plusieurs figures de l’Ancien Testament particulièrement significatives pour notre réflexion sur la prière. J’ai parlé d’Abraham qui intercède pour les villes étrangères, de Jacob qui pendant la lutte nocturne reçoit la bénédiction, de Moïse qui invoque le pardon pour son peuple, et d’Elie qui prie pour la conversion d’Israël. Avec la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais commencer une nouvelle étape du parcours: au lieu de commenter des épisodes particuliers de personnages en prière, nous entrerons dans le «livre de prière» par excellence, le livre des Psaumes.Dans les prochaines catéchèses nous lirons et nous méditerons quelques-uns des Psaumes les plus beaux et les plus chers à la tradition de prière de l’Eglise. Je voudrais aujourd’hui les présenter en parlant du livre des Psaumes dans son ensemble.

Le Psautier se présente comme un «formulaire» de prière, un recueil de cent cinquante psaumes que la tradition biblique donne au peuple des croyants afin qu’ils deviennent sa prière, notre prière, notre manière de nous adresser à Dieu et de nous mettre en relation avec Lui. Dans ce livre, toute l’expérience humaine avec ses multiples facettes et toute la gamme des sentiments qui accompagnent l’existence de l’homme trouvent leur expression. Dans les Psaumes se mêlent et s’expriment la joie et la souffrance, le désir de Dieu et la perception de la propre indignité, le bonheur et le sentiment d’abandon, la confiance en Dieu et la douloureuse solitude, la plénitude de vie et la peur de mourir. Toute la réalité du croyant se retrouve dans ces prières, que le peuple d’Israël tout d’abord et ensuite l’Eglise ont assumées comme médiation privilégiée de la relation avec l’unique Dieu et comme réponse adaptée à sa révélation dans l’histoire. En tant que prière, les psaumes sont des manifestations de l’âme et de la foi, où tous peuvent se reconnaître et dans lesquels se communique cette expérience de proximité particulière avec Dieu à laquelle chaque homme est appelé. Et c’est toute la complexité de l’existence humaine qui se concentre dans la complexité des différentes formes littéraires des divers Psaumes: hymnes, lamentations, supplications individuelles et collectives, chants de remerciement, psaumes pénitentiels, psaumes sapientiels et d’autres genres que nous pouvons retrouver dans ces compositions poétiques.

Malgré cette multiplicité expressive, deux grands domaines qui synthétisent la prière du Psautier peuvent être identifiés: la supplique, liée à la lamentation, et la louange, deux dimensions reliées et presque inséparables. Car la supplique est animée par la certitude que Dieu répondra, et cela ouvre à la louange et à l’action de grâce; et la louange et le remerciement naissent de l’expérience d’un salut reçu, qui suppose un besoin d’aide que la supplique exprime.

Dans la supplique, l’orant se lamente et décrit sa situation d’angoisse, de danger, de désolation, ou bien, comme dans les psaumes pénitentiels, il confesse sa faute, le péché, en demandant d’être pardonné. Il expose au Seigneur son état de besoin dans la certitude d’être écouté, et cela implique une reconnaissance de Dieu comme bon, désireux du bien et «amant de la vie» (cf. Sg
Sg 11,26), prêt à aider, sauver, pardonner. C’est ainsi, par exemple, que prie le Psalmiste dans le Psaume 31: «En toi Seigneur j’ai mon refuge; garde-moi d’être humilié pour toujours [...] Tu m’arraches au filet qu’ils m’ont tendu; oui, c’est toi mon abri» (vv. 2.5). Dans la lamentation peut donc déjà apparaître quelque chose de la louange, qui se préannonce dans l’espérance de l’intervention divine et qui se fait ensuite explicite quand le salut divin devient réalité. De manière analogue, dans les Psaumes d’action de grâce et de louange, en faisant mémoire du don reçu ou en contemplant la grandeur de la miséricorde de Dieu, on reconnaît également sa propre petitesse et la nécessité d’être sauvés, qui est à la base de la supplication. On confesse ainsi à Dieu sa propre condition de créature inévitablement marquée par la mort, mais pourtant porteuse d’une désir de vie radical. Le Psalmiste s’exclame donc, dans le Psaume 86: «Je te rends grâce de tout mon coeur, Seigneur mon Dieu, toujours je rendrai gloire à ton nom; il est grand, ton amour pour moi: tu m’as tiré de l’abîme des morts» (vv. 12-13). De cette manière, dans la prière des Psaumes, la supplique et la louange se mêlent et se fondent dans un unique chant qui célèbre la grâce éternelle du Seigneur qui se penche sur notre fragilité.

C’est précisément pour permettre au peuple des croyants de s’unir à ce chant que le livre du Psautier a été donné à Israël et à l’Eglise. En effet, les Psaumes enseignent à prier. Dans ceux-ci, la Parole de Dieu devient parole de prière — et ce sont les paroles du Psalmiste inspiré —, qui devient également parole de l’orant qui prie avec les Psaumes. Telle est la beauté et la particularité de ce livre biblique: les prières qui y sont contenues, à la différence d’autres prières que nous trouvons dans l’Ecriture sainte, ne sont pas insérées dans une trame narrative qui en spécifie le sens et la fonction. Les Psaumes sont donnés au croyant précisément comme texte de prière, qui a pour unique but de devenir la prière de celui qui les assume et avec eux s’adresse à Dieu. Etant donné qu’ils sont la Parole de Dieu, celui qui prie les Psaumes parle à Dieu avec les paroles mêmes que Dieu nous a données, il s’adresse à Lui avec les paroles que Lui-même nous donne. Ainsi, en priant les Psaumes on apprend à prier. Ils sont une école de la prière.

Il advient quelque chose d'analogue lorsque l'enfant commence à parler, c'est-à-dire qu'il apprend à exprimer ses sensations, ses émotions, ses besoins avec des mots qui ne lui appartiennent pas de façon innée, mais qu'il apprend de ses parents et de ceux qui vivent autour de lui. Ce que l'enfant veut exprimer est son propre vécu, mais le moyen d'expression appartient à d'autres; et lui peu à peu s'en approprie; les mots reçus des parents deviennent ses mots et à travers ces mots il apprend aussi une manière de penser et de sentir, il accède à tout un monde de concepts, et il grandit à l'intérieur de celui-ci, il entre en relation avec la réalité, avec les hommes et avec Dieu. La langue de ses parents est enfin devenue sa langue, il parle avec les mots reçus des autres qui sont désormais devenus ses mots. Ainsi en est-il avec la prière des Psaumes. Ils nous sont donnés pour que nous apprenions à nous adresser à Dieu, à communiquer avec Lui, à lui parler de nous avec ses mots, à trouver un langage pour la rencontre avec Dieu. Et à travers ces mots, il sera possible aussi de connaître et d'accueillir les critères de son action, de s'approcher du mystère de ses pensées et de ses voies (cf. Is Is 55,8-9), afin de grandir toujours davantage dans la foi et dans l'amour. Comme nos mots ne sont pas seulement des mots, mais qu'ils nous enseignent un monde réel et conceptuel, de même ces prières aussi nous enseignent le coeur de Dieu, si bien que non seulement nous pouvons parler de Dieu, mais nous pouvons apprendre qui est Dieu et, en apprenant comment parler avec Lui, nous apprenons à être homme, à être nous-mêmes.

A cet égard, apparaît significatif le titre que la tradition juive a donné au Psautier. Il s’appelle tehillîm, un terme hébreu qui veut dire «louanges», de cette racine verbale que nous retrouvons dans l'expression «Alleluia», c'est-à-dire, littéralement: «louez le Seigneur». Ce livre de prières, donc, même si multiforme et complexe, avec ses divers genres littéraires et avec son articulation entre louange et supplique, est en fin de compte un livre de louanges, qui enseigne à rendre grâces, à célébrer la grandeur du don de Dieu, à reconnaître la beauté de ses oeuvres et à glorifier son saint Nom. C'est là la réponse la plus adaptée face à la manifestation du Seigneur et à l'expérience de sa bonté. En nous enseignant à prier, les Psaumes nous enseignent que même dans le désespoir, dans la douleur, la présence de Dieu demeure, elle est source d'émerveillement et de réconfort; on peut pleurer, supplier, intercéder, se plaindre, mais dans la conscience que nous sommes en train de cheminer vers la lumière, où la louange pourra être définitive. Comme nous l'enseigne le Psaume 36: «En toi est la source de vie; par ta lumière nous voyons la lumière» (Ps 36,10).

Mais outre ce titre général du livre, la tradition juive a donné à de nombreux Psaumes des titres spécifiques, en les attribuant, en grande majorité, au roi David. Figure d'une remarquable fibre humaine et théologique, David est un personnage complexe, qui a traversé les expériences fondamentales les plus variées de l'existence. Jeune pasteur du troupeau paternel, vivant alternativement des épisodes positifs et négatifs, parfois même dramatiques, il devient roi d’Israël, pasteur du peuple de Dieu. Homme de paix, il a combattu de nombreuses guerres; inlassable et tenace chercheur de Dieu, il a trahi son amour, et cela est caractéristique: il est toujours resté un chercheur de Dieu, même si très souvent il a gravement péché; humble pénitent, il a accueilli le pardon divin, ainsi que la peine divine, et il a accepté un destin marqué par la douleur. David a ainsi été un roi, avec toutes ses faiblesses, «selon le coeur de Dieu» (cf. 1S 13,14), c'est-à-dire un orant passionné, un homme qui savait ce que veut dire supplier et louer. Le lien des Psaumes avec cet insigne roi d'Israël est donc important, parce qu'il est une figure messianique. Oint par le Seigneur, chez qui est en quelque sorte ébauché le mystère du Christ.

Tout aussi importantes et significatives sont la manière et la fréquence avec lesquelles les paroles des Psaumes sont reprises par le Nouveau Testament, en assumant et en soulignant cette valeur prophétique suggérée par le lien du Psautier avec la figure messianique de David. Dans le Seigneur Jésus, qui pendant sa vie terrestre a prié avec les Psaumes, ils trouvent leur accomplissement définitif et ils révèlent leur sens le plus plein et le plus profond. Les prières du Psautier, avec lesquelles on parle à Dieu, nous parlent de Lui, nous parlent du Fils, image du Dieu invisible (Col 1,15), qui nous révèle de manière accomplie le Visage du Père. Le chrétien, donc, en priant les Psaumes, prie le Père dans le Christ et avec le Christ, en assumant ces chants dans une perspective nouvelle, qui a dans le mystère pascal son ultime clé interprétative. L'horizon de l'orant s'ouvre ainsi à une réalité inattendue, chaque Psaume acquiert une lumière nouvelle dans le Christ et le Psautier peut briller dans toute son infinie richesse.

Très chers frères et soeurs, prenons donc en main ce livre saint, laissons Dieu nous apprendre à nous adresser à Lui, faisons du Psautier un guide qui nous aide et nous accompagne quotidiennement sur le chemin de la prière. Et demandons nous aussi, comme disciples de Jésus, «Seigneur, apprends-nous à prier» (Lc 11,1), en ouvrant notre coeur pour accueillir la prière du Maître, où toutes les prières trouvent leur accomplissement. Ainsi, rendus fils dans le Fils, nous pourrons parler à Dieu en l'appelant «Notre Père». Merci.
* * *


Je salue cordialement les pèlerins francophones particulièrement les aumôniers militaires de France accompagnés de Monseigneur Luc Ravel ! Dans votre ministère parfois difficile, je vous invite à être fidèle à la liturgie des heures et à la célébration des sacrements. Puissiez-vous trouver aussi dans les psaumes la force inépuisable pour votre ministère et votre vie chrétienne ! Bon pèlerinage à tous ! Avec ma bénédiction !



Castel Gandolfo

Mercredi 3 août 2011

30811
Chers frères et soeurs!

Je suis très heureux de vous rencontrer ici, sur la place de Castel Gandolfo, et de recommencer les audiences interrompues pendant le mois de juillet. Je voudrais poursuivre le thème que nous avons commencé, c’est-à-dire une «école de prière», et aujourd’hui aussi, de manière un peu différente, sans m’éloigner du thème, mentionner certains aspects à caractère spirituel et concret, qui me semblent utiles non seulement pour celui qui vit — dans une partie du monde — la période des vacances d’été, comme nous, mais également pour tous ceux qui sont pris par leur travail quotidien.

Lorsque nous avons un moment de pause dans nos activités, en particulier durant les vacances, nous prenons souvent un livre à la main, que nous désirons lire. Tel est précisément le premier aspect sur lequel je voudrais m’arrêter. Chacun de nous a besoin de temps et d’espaces de recueillement, de méditation et de calme... Remercions le ciel qu’il en soit ainsi! En effet, cette exigence nous dit que nous ne sommes pas faits seulement pour travailler, mais aussi pour penser, réfléchir ou bien simplement pour suivre avec l’esprit et avec le coeur un récit, une histoire dans laquelle nous identifier, dans un certain sens «nous perdre» pour ensuite nous retrouver enrichis.

Naturellement, beaucoup de ces livres de lecture, que nous prenons en main pendant les vacances, sont en général des livres d’évasion, et cela est normal. Toutefois, certaines personnes, en particulier si elle peuvent avoir des temps de pause et de détente plus prolongés, se consacrent à lire quelque chose de plus exigeant. Je voudrais alors faire une proposition: pourquoi ne pas découvrir certains livres de la Bible, qui ne sont normalement pas connus? Ou dont nous avons peut-être écouté certains passages durant la liturgie, mais que nous n’avons jamais lus en entier? En effet, de nombreux chrétiens ne lisent jamais la Bible, et ils ont de celle-ci une connaissance très limitée et superficielle. La Bible — comme le dit son nom — est un recueil de livres, une petite «bibliothèque», née au cours d’un millénaire. Certains de ces «livrets» qui la composent demeurent presque inconnus à la plupart des gens, même bons chrétiens. Certains sont très brefs, comme le Livre de Tobie, un récit qui contient un sens très élevé de la famille et du mariage; ou le Livre d’Esther, dans lequel la reine juive, par la foi et la prière, sauve son peuple de l’extermination; ou encore plus court, le Livre de Ruth, une étrangère qui connaît Dieu et qui fait l’expérience de sa providence. Ces petits livres peuvent être lus en entier en une heure. Plus exigeants — et ce sont d’authentiques chefs-d’oeuvre — sont le Livre de Job, qui affronte le grand problème de la douleur innocente; le Quoèlet, qui frappe en raison de la modernité déconcertante avec laquelle il met en discussion le sens de la vie et du monde; le Cantique des Cantiques, merveilleux poème symbolique de l’amour humain. Comme vous le voyez, ce sont tous des livres de l’Ancien Testament. Et le Nouveau? Certes, le Nouveau Testament est plus connu, et les genres littéraires sont moins diversifiés. Cependant, la beauté de lire un Evangile tout d’une traite est à découvrir, de même que je recommande les Actes des Apôtres, ou l’une des Lettres.

En conclusion, chers amis, je voudrais aujourd’hui suggérer de garder à portée de main, au cours de la période estivale ou dans les moments de pause, la sainte Bible, pour la goûter d’une manière nouvelle, en lisant à la suite certains de ses Livres, ceux qui sont les moins connus et aussi les plus connus, comme les Evangiles, mais avec une lecture continue. Ainsi, les moments de détente peuvent devenir, outre un enrichissement culturel, également une nourriture pour l’esprit, capable d’alimenter la connaissance de Dieu et le dialogue avec Lui, la prière. Et cela semble une belle occupation pour les vacances: prendre un livre de la Bible, goûter ainsi un peu de détente et, dans le même temps, entrer dans le grand espace de la Parole de Dieu et approfondir notre contact avec l’Eternel, précisément comme but du temps libre que le Seigneur nous donne.

***

Chers pèlerins francophones, je suis heureux de vous accueillir ce matin! Je salue particulièrement la paroisse Saint-Joseph de l’Ile de La Réunion et le groupe de Baillargues. En cette période de congés pour beaucoup d’entre vous, je vous invite à prendre le temps d’ouvrir votre Bible, et de lire à la suite l’un ou l’autre des livres qui la composent! Vous pourrez ainsi nourrir votre esprit et votre culture et surtout développer votre connaissance de Dieu et votre relation avec lui dans la prière. Bon pèlerinage et bon séjour à tous!



Castel Gandolfo

Mercredi 10 août 2011

10811

Chers frères et soeurs!

A toute époque, les hommes et les femmes qui ont consacré leur vie à Dieu dans la prière — comme les moines et les moniales — ont établi leurs communautés dans des lieux particulièrement beaux, dans les campagnes, sur les collines, dans les vallées entre les montagnes, au bord des lacs ou de la mer, voire sur de petites îles. Ces lieux unissent deux éléments très importants pour la vie contemplative: la beauté de la création, qui renvoie à celle du Créateur, et le silence, garanti par l’éloignement des villes et des grandes voies de communication. Le silence est le cadre qui favorise le mieux le recueillement, l’écoute de Dieu, la méditation. Déjà, le fait même de goûter le silence, de se laisser, pour ainsi dire, «emplir» par le silence, nous prédispose à la prière. Le grand prophète Elie, sur le mont Horeb — c’est-à-dire le Sinaï — assista à un tourbillon de vent, puis à un tremblement de terre, et enfin à des éclairs de feux, mais il ne reconnut pas en eux la voix de Dieu; il la reconnut en revanche dans une brise légère (cf.
1R 19,11-13). Dieu parle dans le silence, mais il faut savoir l’écouter. C’est pourquoi les monastères sont des oasis où Dieu parle à l’humanité; et on trouve en leur sein le cloître, lieu symbolique, parce que c’est un espace fermé, mais ouvert vers le ciel.

Demain, chers amis, nous fêterons sainte Claire d’Assise. C’est pourquoi je suis heureux de rappeler l’une de ces «oasis» de l’esprit particulièrement chère à la famille franciscaine et à tous les chrétiens: le petit couvent de Saint-Damien, situé juste en dessous de la ville d’Assise, au milieu des champs d’oliviers qui descendent vers Sainte-Marie-des-Anges. C’est dans cette petite église, que François restaura après sa conversion, que Claire et ses premières compagnes établirent leur communauté, en vivant de prière et de petits travaux. Elles s’appelaient les «Soeurs pauvres», et leur «forme de vie» était la même que celle des frères mineurs: «Observer le saint Evangile de notre Seigneur Jésus Christ» (Règle de Sainte Claire, I, 2), en conservant l’union dans la charité mutuelle (cf. ibid., X, 7) et en observant en particulier la pauvreté et l’humilité vécues par Jésus et par sa Très Sainte Mère (cf. ibid., XII, 13).

Le silence et la beauté du lieu où vit la communauté monastique — beauté simple et austère — constituent comme un reflet de l’harmonie spirituelle que la communauté elle-même tente de réaliser. Le monde est constellé de ces oasis de l’esprit, certaines très anciennes, particulièrement en Europe, d’autres récentes, d’autres restaurées par de nouvelles communautés. En regardant les choses dans une optique spirituelle, ces lieux de l’esprit sont une structure portante du monde! Et ce n’est pas par hasard qu’un grand nombre de personnes, en particulier dans les périodes de repos, visitent ces lieux et s’y arrêtent pour quelques jours: l’âme aussi, grâce à Dieu, a ses exigences!

Souvenons-nous, donc, de sainte Claire. Mais souvenons-nous aussi des autres figures de saints qui nous rappellent l’importance de tourner le regard vers les «choses du ciel», comme sainte Edith Stein, Thérèse Bénédicte de la Croix, carmélite, co-patronne de l’Europe, célébrée hier. Et aujourd’hui, 10 août, nous ne pouvons pas oublier saint Laurent, diacre et martyr, avec des voeux spéciaux pour les Romains, qui le vénèrent depuis toujours comme l’un de leurs patrons. Et tournons enfin notre regard vers la Vierge Marie, pour qu’elle nous enseigne à aimer le silence et la prière.

* * *

Chers amis de langue française, je suis heureux de vous saluer ce matin. Demain, nous célèbrerons la fête de sainte Claire d’Assise, fondatrice des moniales Clarisses. Dans notre monde si souvent agité, les communautés monastiques, véritables oasis de l’esprit, nous rappellent en particulier la nécessité du silence dans nos vies, pour réaliser en nous une authentique harmonie spirituelle et ainsi tourner notre regard vers Dieu. En ces jours de repos, sachons prendre nous aussi des temps de silence pour entrer paisiblement dans la prière! Que Dieu vous bénisse!



Castel Gandolfo

Mercredi 17 août 2011: L'homme en prière (10) La méditation


Catéchèses Benoît XVI 15611