Catéchèses Benoît XVI 30111

Mercredi 30 novembre 2011

30111

Chers frères et soeurs,

Au cours des dernières catéchèses, nous avons réfléchi sur certains exemples de prière dans l’Ancien Testament; aujourd’hui, je voudrais commencer à tourner notre regard vers Jésus, vers sa prière, qui traverse toute sa vie, comme un canal secret qui irrigue l’existence, les relations, les gestes et qui le guide, avec une fermeté progressive, vers le don total de soi, selon le projet d’amour de Dieu le Père. Jésus est le maître également de nos prières, Il est même notre soutien actif et fraternel chaque fois que nous nous adressons au Père. Il est vrai, comme le synthétise un titre du Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique, que « la prière est pleinement révélée et réalisée en Jésus » (541-547). C’est vers lui que nous voulons tourner notre regard au cours des prochaines catéchèses.

Un moment particulièrement significatif de son chemin est la prière qui suit le baptême auquel il se soumet dans le fleuve Jourdain. L’évangéliste Luc souligne que Jésus, après avoir reçu, avec tout le peuple, le baptême des mains de Jean-Baptiste, entre dans une prière très personnelle et prolongée: « Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait, après avoir été baptisé lui aussi, alors le ciel s'ouvrit. L'Esprit Saint descendit sur Jésus » (
Lc 3,21-22). C’est précisément ce fait de «prier», d’être en dialogue avec le Père qui illumine l’action qu’il a accomplie avec une grande partie de son peuple, accourue sur les rives du Jourdain. En priant, Il donne à son geste du baptême une marque exclusive et personnelle.

Jean-Baptiste avait adressé un puissant appel à vivre véritablement comme « fils d’Abraham », en se convertissant au bien et en accomplissant des fruits dignes de ce changement (cf. Lc 3,7-9). Et un grand nombre d’Israélites s’étaient mis en route, comme le rappelle l’évangéliste Marc, qui écrit: « Toute la Judée, tout Jérusalem, venait [à Jean]. Tous se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en reconnaissant leurs péchés » (Mc 1,5). Jean-Baptiste apportait quelque chose de véritablement nouveau: se soumettre au baptême devait marquer un tournant définitif, abandonner une conduite liée au péché et commencer une vie nouvelle. Jésus aussi accueille cette invitation, entre dans la multitude grise des pécheurs qui attendent sur les rives du Jourdain. Mais, comme les premiers chrétiens, nous aussi nous nous posons la question : pourquoi Jésus se soumet-il volontairement à ce baptême de pénitence et de conversion ? Il n’avait aucun péché à confesser, il n’avait pas de péché, donc il n’avait pas besoin de se convertir. Pourquoi accomplit-il alors ce geste ? L’évangéliste Matthieu rapporte l’étonnement de Jean-Baptiste qui affirme : « C'est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c'est toi qui viens à moi ! » (Mt 3,14) et la réponse de Jésus : « Pour le moment, laisse-moi faire ; c'est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste » (v. 15). Le sens du mot « justice » dans le monde biblique est d’accepter pleinement la volonté de Dieu. Jésus montre sa proximité à la portion de son peuple qui, en suivant Jean-Baptiste, reconnaît comme insuffisant de se considérer simplement comme fils d’Abraham, mais veut accomplir la volonté de Dieu, veut s’appliquer afin que son comportement soit une réponse fidèle à l’alliance offerte par Dieu en Abraham. En descendant alors au fleuve Jourdain, Jésus, sans péché, rend visible sa solidarité avec ceux qui reconnaissent leurs péchés, choisissent de se repentir et de changer de vie ; il fait comprendre que faire partie du peuple de Dieu signifie entrer dans une optique de nouveauté de vie, de vie selon Dieu.

Dans ce geste, Jésus anticipe la croix, il entame son activité en prenant la place des pécheurs, en assumant sur ses épaules le poids de la faute de l’humanité tout entière, en accomplissant la volonté du Père. En se recueillant en prière, Jésus montre le lien intime avec le Père qui est aux Cieux, fait l’expérience de sa paternité, saisit la beauté exigeante de son amour, et dans le dialogue avec le Père, reçoit la confirmation de sa mission. Dans les paroles qui retentissent du Ciel (cf. Lc 3,22), il y a le renvoi anticipé au mystère pascal, à la croix et à la résurrection. La voix divine le définit « mon Fils, le bien-aimé », rappelant Isaac, le fils bien-aimé que le père Abraham était disposé à sacrifier, selon le commandement de Dieu (cf. Gn 22,1-4). Jésus n’est pas seulement le Fils de David, descendant messianique royal, ou le Serviteur, dont Dieu se réjouit, mais il est aussi le Fils unique, bien-aimé, semblable à Isaac, que Dieu le Père donne pour le salut du monde. Au moment où, à travers la prière, Jésus vit en profondeur sa propre filiation et l’expérience de la paternité de Dieu (cf. Lc 3,22), l’Esprit Saint descend (cf. Lc 3,22), qui le guide dans sa mission et qu’Il manifestera après avoir été élevé sur la croix (cf. Jn 1,32-34 Jn 7,37-39), afin qu’il illumine l’oeuvre de l’Eglise. Dans la prière, Jésus vit un contact ininterrompu avec le Père pour réaliser jusqu’au bout son projet d’amour pour les hommes.

C’est sur l’arrière-plan de cette extraordinaire prière que se situe toute l’existence de Jésus vécue dans une famille profondément liée à la tradition religieuse du peuple d’Israël. C’est ce que montrent les références que nous trouvons dans l’Evangile: sa circoncision (cf. Lc 2,21), et sa présentation au temple (cf. Lc 2,22-24), ainsi que l’éducation et la formation à Nazareth, dans la sainte maison (cf. Lc 2,39-40 et 2, 51-52). Il s’agit d’«environ trente ans» (Lc 3,23), un temps prolongé de vie cachée et de travail, bien qu’avec des expériences de participation à des moments d’expression religieuse communautaire, comme les pèlerinages à Jérusalem (cf. Lc 2,41). En nous rapportant l’épisode de Jésus, âgé de 12 ans, dans le Temple, assis au milieu des maîtres (cf. Lc 2,42-52), l’évangéliste Luc laisse entrevoir que Jésus, qui prie après le baptême au Jourdain, possède une longue habitude de prière intime avec Dieu le Père, enracinée dans les traditions, dans le style de sa famille, dans les expériences décisives vécues en son sein. La réponse de l’enfant de 12 ans à Marie et Joseph indique déjà la filiation divine, que la voix céleste manifeste après le baptême : « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être » (Lc 2,49). Ce n’est pas en sortant des eaux du Jourdain que Jésus inaugure sa prière, mais il poursuit sa relation constante, habituelle avec le Père ; et c’est dans cette union intime avec Lui qu’il accomplit le passage de la vie cachée de Nazareth à son ministère public.

L’enseignement de Jésus sur la prière vient certainement de sa façon de prier apprise en famille, mais elle a des origines profondes et essentielles dans sa condition de Fils de Dieu, dans son rapport unique avec Dieu le Père. Le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique répond à la question : De qui Jésus a-t-il appris à prier ? de la façon suivante : « Selon son coeur d’homme, Jésus a appris à prier de sa mère et de la tradition juive. Mais sa prière jaillit d’une source plus secrète, parce qu’il est le Fils éternel de Dieu qui, dans sa sainte humanité, adresse à son Père la prière filiale parfaite » (541).

Dans le récit évangélique, les contextes de la prière de Jésus se situent toujours au croisement entre l’enracinement dans la tradition de son peuple et la nouveauté d’une relation personnelle unique avec Dieu. Le « lieu désert » (cf. Mc 1,35 Lc 5,16) dans lequel il se retire souvent, le « mont » qu’il gravit pour prier (cf. Lc 6,12 Lc 9,28), « la nuit » qui lui permet d’être en solitude (cf. Mc 1,35 Mc 6,46-47 Lc 6,12) rappellent des moments du chemin de la révélation de Dieu dans l’Ancien Testament, en indiquant la continuité de son projet salvifique. Mais dans le même temps, ils marquent des moments d’importance particulière pour Jésus, qui s’inscrit consciemment dans ce dessein, pleinement fidèle à la volonté du Père.

Dans notre prière aussi, nous devons apprendre, toujours davantage, à entrer dans cette histoire du salut dont Jésus est le sommet, renouveler devant Dieu notre décision personnelle de nous ouvrir à sa volonté, Lui demander la force de conformer notre volonté à la sienne, dans toute notre vie, en obéissance à son projet d’amour pour nous.

La prière de Jésus touche toutes les phases de son ministère et toutes ses journées. Les difficultés ne sont pas un obstacle. Les Evangiles laissent même entrevoir l’habitude de Jésus de passer en prière une partie de la nuit. L’Evangéliste Marc raconte l’une de ces nuits, après la lourde journée de la multiplication des pains et il écrit : « Aussitôt après, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, vers Bethsaïde, pendant que lui-même renvoyait la foule. Quand il les eut congédiés, il s’en alla sur la montagne pour prier. Le soir venu, la barque était au milieu de la mer et lui, tout seul, à terre » (Mc 6,45-47). Lorsque les décisions se font urgentes et complexes, sa prière se prolonge et devient plus intense. Dans l’imminence du choix des Douze Apôtres, par exemple, Luc souligne la durée nocturne de la prière préparatoire de Jésus : « En ces jours-là, Jésus s’en alla dans la montagne pour prier, et il passa la nuit à prier Dieu. Le jour venu, il appela ses disciples, en choisit douze, et leur donna le nom d’Apôtres » (Lc 6,12-13).

En examinant la prière de Jésus, une question doit naître en nous : et moi, comment je prie ? Comment prions-nous ? Combien de temps je consacre à ma relation avec Dieu ? Eduque-t-on et forme-t-on aujourd’hui suffisamment à la prière ? Et qui peut l’enseigner ? Dans l’exhortation apostolique Verbum Domini, j’ai parlé de l’importance de la lecture en prière de la Sainte Ecriture. En recueillant ce qui était apparu au cours de l’assemblée du synode des évêques, j’ai mis un accent particulier sur la forme spécifique de la lectio divina.Ecouter, méditer, observer le silence devant le Seigneur qui parle est un art, qui s’apprend en le pratiquant avec constance. La prière est assurément un don, qui demande toutefois d’être accueilli ; c’est l’oeuvre de Dieu, mais elle exige engagement et continuité de notre part ; surtout, la continuité et la constance sont importantes. L’expérience exemplaire de Jésus montre justement que sa prière, animée par la paternité de Dieu et par la communion de l’Esprit, s’est approfondie en un exercice prolongé et fidèle, jusqu’au Jardin des Oliviers et à la Croix. Aujourd’hui les chrétiens sont appelés à être des témoins de prière, précisément parce que notre monde est souvent fermé à l’horizon divin et à l’espérance qui conduit à la rencontre avec Dieu. Dans l’amitié profonde avec Jésus et en vivant en Lui et avec Lui la relation filiale avec le Père, à travers notre prière fidèle et constante, nous pouvons ouvrir des fenêtres vers le Ciel de Dieu. C’est même en parcourant la voie de la prière, sans considération humaine, que nous pouvons aider les autres à la parcourir: pour la prière chrétienne aussi, il est vrai que c’est en cheminant que s’ouvrent des chemins.

Chers frères et soeurs, éduquons-nous à une relation intense avec Dieu, à une prière qui ne soit pas occasionnelle, mais constante, pleine de confiance, capable d’éclairer notre vie, comme nous l’enseigne Jésus. Et demandons-Lui de pouvoir communiquer aux personnes qui nous sont proches, à ceux que nous rencontrons sur notre route, la joie de la rencontre avec le Seigneur, lumière pour notre existence. Merci.
* * *


Je salue les délégations de divers pays qui participent à la rencontre promue par la communauté de Sant’Egidio sur le thème : No Justice without Life (Pas de justice sans vie). Je forme le voeu que vos débats encouragent les initiatives politiques et législatives actuellement promues dans un nombre croissant de pays en vue d’abolir la peine de mort et de poursuivre les progrès importants accomplis afin de rendre le droit pénal plus conforme à la dignité humaine des prisonniers et au maintien efficace de l’ordre public.

Chers pèlerins francophones, je suis heureux de vous accueillir et de saluer le séminaire pontifical français de Rome, ainsi que la délégation du diocèse de Belley-Ars accompagnée de l’Évêque, Mgr Guy Bagnard, venue offrir à la Basilique vaticane un portrait du saint curé d’Ars, en commémoration de l’Année sacerdotale. À la suite de saint Jean-Marie Vianney, réapprenons l’importance de la prière dans nos vies ! En priant régulièrement, nous entrerons avec Jésus dans le projet d’amour de Dieu sur nous et nous trouverons la force et la joie d’y répondre généreusement.







Salle Paul VI

Mercredi 7 décembre 2011

7121

Chers frères et soeurs,

Les évangélistes Matthieu et Luc (cf.
Mt 11,25-30 et Lc 10,21-22) nous ont transmis un «joyau» de la prière de Jésus qui est souvent appelé Hymne de jubilation ou Hymne de jubilation messianique. Il s’agit d’une prière de reconnaissance et de louange, comme nous l’avons entendu. Dans l’original en grec des Evangiles, le verbe par lequel commence cet hymne, et qui exprime l’attitude de Jésus s’adressant au Père, est exomologoumai, souvent traduit par «je proclame ta louange» (Mt 11,25 et Lc 10,21). Mais dans les écrits du Nouveau Testament, ce verbe indique principalement deux choses: la première, c’est «reconnaître jusqu’au bout» — par exemple, Jean-Baptiste demandait à qui venait à lui pour se faire baptiser de reconnaître jusqu’au bout ses péchés (cf. Mt 3,6) —; la seconde, c’est «être d’accord». L’expression par laquelle Jésus commence sa prière contient donc le fait qu’il reconnaît jusqu’au bout, pleinement, l’agir de Dieu le Père, et en même temps, le fait d’être totalement, consciemment et joyeusement d’accord avec cette façon d’agir, avec le projet du Père. L’Hymne de jubilation est le sommet d’un chemin de prière où apparaît clairement la communion profonde et intime de Jésus avec la vie du Père dans l’Esprit Saint et où se manifeste sa filiation divine.

Jésus s’adresse à Dieu en l’appelant «Père». Ce terme exprime la conscience et la certitude de Jésus d’être «le Fils», en communion intime et constante avec Lui, et c’est le point central et la source de chaque prière de Jésus. Nous le voyons clairement dans la dernière partie de l’Hymne, qui éclaire tout le texte. Jésus dit: «Tout m'a été confié par mon Père; personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler» (Lc 10,22). Jésus affirme donc que seul «le Fils» connaît vraiment le Père. Toute connaissance entre des personnes — nous en faisons tous l’expérience dans nos relations humaines —, comporte une implication, un type de lien intérieur entre celui qui connaît et celui qui est connu, à un niveau plus ou moins profond: on ne peut connaître sans une communion de l’être. Dans l’Hymne de jubilation, comme dans toute sa prière, Jésus montre que la vraie connaissance de Dieu présuppose la communion avec lui: c’est seulement en étant en communion avec l’autre que je commence à le connaître; il en est ainsi avec Dieu aussi: c’est seulement si j’ai un vrai contact, si je suis en communion, que je peux aussi le connaître. La véritable connaissance est donc réservée au «Fils», le Fils unique qui est depuis toujours dans le sein du Père (cf. Jn 1,18), parfaitement uni à lui. Seul le Fils connaît vraiment Dieu, en étant dans une intime communion de l’être; seul le Fils peut révéler vraiment qui est Dieu.

Le nom de «Père» est suivi d’un autre titre, «Seigneur du ciel et de la terre». Par cette expression, Jésus récapitule la foi dans la création et fait résonner les premières paroles de l’Ecriture Sainte: «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre» (Gn 1,1). En priant, il rappelle le grand récit biblique de l’histoire d’amour de Dieu pour l’homme, qui commence par l’acte de la création. Jésus s’insère dans cette histoire d’amour, il en est le sommet et l’accomplissement. Dans son expérience de prière, l’Ecriture Sainte est éclairée et elle revit dans son ampleur la plus complète: annonce du mystère de Dieu et réponse de l’homme transformé. Mais, à travers l’expression «Seigneur du ciel et de la terre», nous pouvons aussi reconnaître comment en Jésus, le Révélateur du Père, est donnée à nouveau à l’homme la possibilité d’accéder à Dieu.

Posons-nous maintenant la question: à qui le Fils veut-il révéler les mystères de Dieu? Au début de l’hymne, Jésus exprime sa joie parce que la volonté du Père est de tenir ces choses cachées aux savants et aux sages, et de les révéler aux petits (cf. Lc 10,21). Dans cette expression de sa prière, Jésus manifeste sa communion avec la décision du Père qui révèle ses mystères à celui qui a un coeur simple: la volonté du Fils ne fait qu’un avec celle du Père. La révélation divine n’advient pas selon la logique terrestre, selon laquelle ce sont les hommes cultivés et puissants qui possèdent les connaissances importantes, et qui les transmettent aux gens plus simples, aux petits. Dieu a utilisé un tout autre style: les destinataires de sa communication ont été précisément les «petits». Telle est la volonté du Père, et le Fils la partage avec joie. Le Catéchisme de l’Eglise catholique dit: «Son tressaillement “Oui, Père!” exprime le fond de son coeur, son adhésion au “bon plaisir” du Père, en écho au “Fiat” de sa Mère lors de sa conception et en prélude à celui qu’il dira au Père dans son agonie. Toute la prière de Jésus est dans cette adhésion aimante de son coeur d’homme au “mystère de la volonté” du Père (Ep 1,9)» (CEC 2603). D’où l’invocation que nous adressons à Dieu dans le Notre Père: «Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel»: avec le Christ, et dans le Christ, nous aussi nous demandons à entrer en harmonie avec la volonté du Père, en devenant ainsi nous aussi ses enfants. Dans cet Hymne de jubilation, Jésus exprime ainsi sa volonté d’impliquer dans sa connaissance filiale de Dieu tous ceux que le Père veut y faire participer; et ceux qui accueillent ce don, ce sont les «petits».

Mais que signifie «être petits», simples? Quelle est la «petitesse» qui ouvre l’homme à l’intimité filiale avec Dieu et à l’accueil de sa volonté? Quelle doit être l’attitude de fond de notre prière? Regardons le «Discours de la Montagne» dans lequel Jésus affirme: «Heureux les coeurs purs, ils verront Dieu!» (Mt 5,8). C’est la pureté de coeur qui permet de reconnaître le visage de Dieu en Jésus Christ; c’est avoir un coeur simple comme celui des enfants, sans la présomption de qui s’enferme en lui-même, pensant n’avoir besoin de personne, pas même de Dieu.

Il est intéressant aussi de noter en quelle l’occasion Jésus déclame cet Hymne au Père. Dans le récit évangélique de Matthieu, c’est la joie, parce qu’en dépit des oppositions et des refus, il y a des «petits» qui accueillent sa parole et qui s’ouvrent au don de la foi en Lui. L’Hymne de jubilation est en effet précédé par le contraste entre l’éloge de Jean-Baptiste, l’un des «petits» qui ont reconnu l’action de Dieu dans le Christ Jésus (cf. Mt 11,2-19), et le reproche pour l’incrédulité des villes du lac «où avaient eu lieu la plupart de ses miracles» (cf. Mt 11,20-24). La jubilation est donc vue par Matthieu en relation avec les paroles par lesquelles Jésus constate l’efficacité de sa parole et de son action: «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi!» (Mt 11,4-6).

Saint Luc aussi présente l’Hymne de jubilation en lien avec un moment où se développe l’annonce de l’Evangile. Jésus a envoyé les «soixante-douze disciples» (cf. Lc 10,1) et ils sont partis avec un sentiment de peur du fait de l’échec possible de leur mission. Luc aussi souligne le refus rencontré dans les villes où le Seigneur a prêché et accompli des signes prodigieux. Mais les soixante-douze disciples rentrent remplis de joie parce que leur mission a été un succès; ils ont constaté que, par la puissance de la parole de Jésus, les maux de l’homme sont vaincus. Et Jésus partage leur satisfaction: «à cette heure même», à ce moment-là, Il exulta de joie.

Il y a encore deux éléments que je voudrais souligner. L’évangéliste Luc introduit la prière avec cette remarque: «Jésus exulta de joie sous l'action de l'Esprit Saint» (Lc 10,21). Jésus se réjouit en partant de l’intérieur de lui-même, de ce qu’il a de plus profond: la communion unique de connaissance et d’amour avec le Père, la plénitude de l’Esprit Saint. En nous impliquant dans sa filiation, Jésus nous invite nous aussi à nous ouvrir à la lumière de l’Esprit Saint, parce que, comme l’affirme l’apôtre Paul, «nous ne savons pas prier comme il faut. L'Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables.… [selon] ce que Dieu veut» (Rm 8,26-27) et nous révèle l’amour du Père. Dans l’Evangile de Matthieu, après l’Hymne de jubilation, nous trouvons l’un des appels les plus poignants de Jésus: «Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos» (Mt 11,28). Jésus demande d’aller à Lui, qui est la vraie sagesse, à Lui qui est «doux et humble de coeur»; il propose «son joug», la voie de la sagesse de l’Evangile qui n’est pas une doctrine à apprendre ni une proposition éthique, mais une Personne à suivre: Lui-même, le Fils unique en parfaite communion avec le Père.

Chers frères et soeurs, nous avons goûté pendant un moment la richesse de cette prière de Jésus. Nous aussi, par le don de son Esprit, nous pouvons nous adresser à Dieu, dans la prière avec la confiance des enfants, en invoquant le nom du Père, «Abba». Mais nous devons avoir le coeur des petits, des «pauvres de coeur» (Mt 5,3), pour reconnaître que nous ne sommes pas auto-suffisants, que nous ne pouvons pas construire notre vie tout seuls, mais que nous avons besoin de Dieu, nous avons besoin de le rencontrer, de l’écouter, de lui parler. La prière nous ouvre à la réception du don de Dieu, sa sagesse, qui est Jésus lui-même, pour accomplir la volonté du Père sur notre vie et trouver ainsi le repos dans les peines de notre chemin. Merci.
* * *


Je salue les pèlerins francophones, particulièrement le groupe des élus de la Sarthe, avec Mgr Yves Le Saux, Évêque du Mans. Nous aussi nous avons besoin de Dieu, de le rencontrer, de l’écouter et de lui parler dans la prière. Adressons-nous à lui d’un coeur simple et ouvert. Invoquons avec confiance celui que nous pouvons appeler « notre Père » ! Je vous bénis de grand coeur.







Salle Paul VI

Mercredi 14 décembre 2011

14121

Chers frères et soeurs,

Je voudrais réfléchir aujourd’hui avec vous sur la prière de Jésus liée à sa prodigieuse oeuvre de guérison. Dans les Evangiles sont présentes diverses situations dans lesquelles Jésus prie face à l’action bénéfique et guérissante de Dieu le Père, qui agit à travers Lui. Il s’agit d’une prière qui, une fois de plus, manifeste la relation unique de connaissance et de communion avec le Père, tandis que Jésus se laisse toucher avec une grande participation humaine par les difficultés de ses amis, par exemple de Lazare et de sa famille, ou des nombreux pauvres et malades qu’Il veut aider concrètement.

Un cas significatif est la guérison du sourd-muet (cf.
Mc 7,32-37). Le récit de l’évangéliste Marc — que nous venons d’écouter — montre que l’action guérissante de Jésus est liée à sa relation intense tant avec le prochain — le malade — qu’avec le Père. La scène du miracle est décrite en détails de la façon suivante: «Jésus l'emmena à l'écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit: “Effatà!”, c'est-à-dire: “Ouvre-toi!”» (7, 33-34). Jésus veut que la guérison ait lieu «à l’écart, loin de la foule». Cela ne semble pas être dû seulement au fait que le miracle doit être caché aux personnes afin d’éviter de susciter des interprétations limitatives ou déformées de la personne de Jésus. Le choix d’emmener le malade à l’écart fait en sorte que, au moment de la guérison, Jésus et le sourd-muet sont seuls, liés dans une relation particulière. Par un geste, le Seigneur touche les oreilles et la langue du malade, c’est-à-dire les lieux spécifiques de son infirmité. L’intensité de l’attention de Jésus se manifeste également dans les caractéristiques insolites de la guérison: Il utilise ses doigts et même sa salive. Le fait que l’évangéliste rapporte la parole originale prononcée par le Seigneur — «Effatà», c’est-à-dire «Ouvre-toi!» — souligne également le caractère particulier de la scène.

Mais le point central de cet épisode est le fait que Jésus, au moment d’opérer la guérison, cherche directement sa relation avec le Père. Le récit dit en effet que «les yeux levés au ciel, il soupira» (v. 34). L’attention au malade, le soin de Jésus pour lui, sont liés à une profonde attitude de prière adressée à Dieu. Et l’émission du soupir est décrite à travers un verbe qui, dans le Nouveau Testament, indique l’aspiration à quelque chose de bon qui manque encore (cf. Rm 8,23). L’ensemble du récit montre alors que la participation humaine avec le malade conduit Jésus à la prière. Une fois de plus ressort sa relation unique avec le Père, son identité de Fils unique. En Lui, à travers sa personne, est présente l’action guérissante et bénéfique de Dieu. Ce n’est pas un hasard si le commentaire final des personnes après le miracle rappelle le jugement de la création au début de la Genèse: «Tout ce qu'il fait est admirable» (Mc 7,37). Dans l’action guérissante de Jésus, la prière a un rôle évident, à travers son regard élevé vers le ciel. La force qui a guéri le sourd-muet est certainement provoquée par la compassion pour lui, mais elle provient du recours au Père. Ces deux relations se rencontrent: la relation humaine de compassion avec l’homme, qui entre dans la relation avec Dieu, et devient ainsi guérison.

Dans le récit johannique de la résurrection de Lazare, cette même dynamique est témoignée avec une évidence encore plus grande (cf. Jn 11,1-44). Ici aussi se mêlent, d’une part, le lien de Jésus avec un ami et avec sa souffrance et, de l’autre, la relation filiale qu’Il a avec le Père. La participation humaine de Jésus à l’histoire de Lazare possède des caractéristiques particulières. Dans tout le récit, son amitié avec lui, ainsi qu’avec les soeurs Marthe et Marie, est rappelée de manière répétée. Jésus lui-même affirme: «Lazare, notre ami, s'est endormi; mais je m'en vais le tirer de ce sommeil» (Jn 11,11). L’affection sincère pour son ami est également soulignée par les soeurs de Lazare, ainsi que par les Juifs (cf. Jn 11,3 Jn 11,36), elle se manifeste dans l’émotion profonde de Jésus en voyant la douleur de Marthe et de Marie et de tous les amis de Lazare et elle débouche sur ses pleurs — si profondément humains — lorsqu’il s’approche de sa tombe: «Quand il vit qu’elle [Marthe] pleurait, et que les juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé d'une émotion profonde. Il demanda: “Où l'avez-vous déposé?”. Ils lui répondirent: “Viens voir, Seigneur”. Alors Jésus pleura» (Jn 11,33-35).

Ce lien d’amitié, la participation et l’émotion de Jésus devant la douleur des parents et des amis de Lazare, est lié, dans tout le récit, à une relation permanente et intense avec le Père. Dès le début, l’événement est lu par Jésus en relation avec sa propre identité et mission et avec la glorification qui L’attend. En effet, à la nouvelle de la maladie de Lazare, Il commente: «Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié» (Jn 11,4). L’annonce de la mort de son ami est également accueillie par Jésus avec une profonde douleur humaine, mais toujours avec une claire référence à la relation avec Dieu et avec la mission qu’il lui a confiée; il dit: «Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez» (Jn 11,14-15). Le moment de la prière explicite de Jésus au Père devant la tombe est le débouché naturel de toute l’histoire, qui se déroule sur ce double registre de l’amitié avec Lazare et de la relation filiale avec Dieu. Ici aussi, les deux relations vont de pair. «Père, je te rends grâce parce que tu m'as exaucé» (Jn 11,41): c’est une eucharistie. La phrase révèle que Jésus n’a pas cessé, même pour un instant, la prière demandant la vie pour Lazare. Cette prière continue, elle a même renforcé le lien avec son ami et, dans le même temps, elle a confirmé la décision de Jésus de rester en communion avec la volonté du Père, avec son plan d’amour, dans lequel la maladie et la mort de Lazare doivent être considérées comme un lieu dans lequel se manifeste la gloire de Dieu.

Chers frères et soeurs, en lisant ce récit, chacun de nous est appelé à comprendre que dans la prière de requête au Seigneur, nous ne devons pas nous attendre à un accomplissement immédiat de ce que nous demandons, de notre volonté, mais nous confier plutôt à la volonté du Père, en lisant chaque événement dans la perspective de sa gloire, de son dessein d’amour, souvent mystérieux à nos yeux. C’est pourquoi, dans notre prière, la requête, la louange et l’action de grâce devraient se fondre ensemble, même lorsqu’il nous semble que Dieu ne répond pas à nos attentes concrètes. S’abandonner à l’amour de Dieu, qui nous précède et nous accompagne toujours, est l’une des attitudes de fond de notre dialogue avec Lui. Le Catéchisme de l’Eglise catholique commente ainsi la prière de Jésus dans le récit de la résurrection de Lazare: «Portée par l’action de grâce, la prière de Jésus nous révèle comment demander: Avant que le don soit donné, Jésus adhère à Celui qui donne et Se donne dans ses dons. Le Donateur est plus précieux que le don accordé, il est le “Trésor”, et c’est en Lui qu’est le coeur de son Fils; le don est donné “par surcroît” (cf. Mt 6,21 Mt 6,33)» (n. 2604). Cela me semble très important: avant que le don ne soit donné, adhérer à Celui qui donne; le donateur est plus précieux que le don. Pour nous aussi, par conséquent, au-delà de ce que Dieu nous donne lorsque nous l’invoquons, le don le plus grand qu’il peut nous offrir est son amitié, sa présence, son amour. Il est le trésor précieux à demander et à garder toujours.

La prière que Jésus prononce tandis qu’est enlevée la pierre de l’entrée de la tombe de Lazare, présente ensuite un développement singulier et inattendu. En effet, après avoir rendu grâce à Dieu le Père, il ajoute: «Je savais bien, moi, que tu m’exauces toujours; mais si j’ai parlé, c’est pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé» (Jn 11,42). Par sa prière, Jésus veut conduire à la foi, à la confiance totale en Dieu et dans sa volonté, et il veut montrer que ce Dieu qui a tant aimé l’homme et le monde qu’il a envoyé son Fils unique (cf. Jn 3,16), est le Dieu de la Vie, le Dieu qui apporte l’espérance et qui est capable de renverser les situations humainement impossibles. La prière confiante d’un croyant, alors, est un témoignage vivant de cette présence de Dieu dans le monde, de son intérêt pour l’homme, de son action pour réaliser son plan de salut.

Les deux prières de Jésus méditées à présent, qui accompagnent la guérison du sourd-muet et la résurrection de Lazare, révèlent que le lien profond entre l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain doit entrer aussi dans notre prière. En Jésus, vrai Dieu et vrai homme, l’attention pour l’autre, notamment s’il est dans le besoin et qu’il souffre, l’émotion devant la douleur d’une famille amie, le conduisent à s’adresser au Père, dans cette relation fondamentale qui conduit toute sa vie. Mais inversement aussi: la communion avec le Père, le dialogue constant avec Lui, pousse Jésus à être attentif de façon unique aux situations concrètes de l’homme pour y apporter le réconfort et l’amour de Dieu. La relation avec l’homme nous conduit vers la relation avec Dieu, et celle avec Dieu nous conduit de nouveau à notre prochain.

Chers frères et soeurs, notre prière ouvre la porte à Dieu, qui nous enseigne à sortir constamment de nous-mêmes pour être capables de nous faire proches des autres, notamment, dans les moments d’épreuve, pour leur apporter le réconfort, l’espérance et la lumière. Que le Seigneur nous accorde d’être capables d’une prière toujours plus intense, pour renforcer notre relation personnelle avec Dieu le Père, élargir notre coeur aux besoins de ceux qui nous entourent et ressentir la beauté d’être «fils dans le Fils» avec de si nombreux frères. Merci.

* * *

Je salue les pèlerins francophones, en particulier la délégation venue de Nouvelle-Calédonie, le groupe de Nice et de la Trinité. Un lien profond existe entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Comme Jésus, soyons attentifs aux personnes qui nous entourent, surtout celles qui souffrent. Apportons-leur la consolation et l’espérance que nous trouvons en Dieu. Bonne préparation de Noël ! Avec ma Bénédiction apostolique.







Salle Paul VI

Mercredi 21 décembre 2011


Catéchèses Benoît XVI 30111