Catéchèses Benoît XVI 21121

Mercredi 21 décembre 2011

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Chers frères et soeurs,

Je suis heureux de vous accueillir en Audience générale à quelques jours de la célébration du Noël du Seigneur. Le salut qui court ces jours-ci sur les lèvres de tout le monde est «Joyeux Noël! Meilleurs voeux de bonnes fêtes de Noël!». Faisons en sorte que, dans la société actuelle aussi, l’échange de voeux ne perde pas sa profonde signification religieuse, et que la fête ne soit pas absorbée par les aspects extérieurs, qui touchent les cordes du coeur. Assurément, les signes extérieures sont beaux et importants, à condition qu’ils ne nous éloignent pas, mais plutôt qu’ils nous aident à vivre Noël dans son sens le plus vrai, le sens sacré et chrétien, de manière à ce que notre joie également ne soit pas superficielle, mais profonde.

Avec la liturgie de Noël, l’Eglise nous introduit dans le grand Mystère de l’Incarnation. Noël, en effet n’est pas un simple anniversaire de la naissance de Jésus, il est aussi cela, mais il est davantage, il est la célébration d’un Mystère qui a marqué et continue de marquer l’histoire de l’homme — Dieu lui-même est venu habiter parmi nous (cf.
Jn 1,14), il s’est fait l’un de nous —: un Mystère qui concerne notre foi et notre existence; un Mystère que nous vivons concrètement dans les célébrations liturgiques, en particulier lors de la Messe. On pourrait se demander: comment est-il possible que je vive à présent cet événement si éloigné dans le temps? Comment puis-je prendre part de façon fructueuse à la naissance du Fils de Dieu advenue il y a plus de deux mille ans? Lors de la Messe de la Nuit de Noël, nous répéterons comme un refrain au Psaume responsorial ces paroles: «Aujourd’hui un Sauveur nous est né». Cet adverbe de temps, «aujourd’hui», revient plusieurs fois dans toutes les célébrations de Noël et il se réfère à l’événement de la naissance de Jésus et au salut que l’Incarnation du Fils de Dieu vient apporter. Dans la liturgie, cet événement dépasse les limites de l’espace et du temps et devient actuel, présent: son effet perdure, malgré le passage des jours, des années et des siècles. En indiquant que Jésus naît «aujourd’hui», la liturgie n’utilise pas une phrase sans sens, mais elle souligne que cette Naissance investit et pénètre toute l’histoire, elle reste une réalité à laquelle aujourd’hui aussi, nous pouvons arriver précisément dans la liturgie. A nous croyants, la célébration de Noël renouvelle la certitude que Dieu est réellement présent parmi nous, encore «chair» et pas seulement loin: bien qu’étant avec le Père, il est proche de nous. Dieu, à travers cet Enfant né à Bethléem, s’est rapproché de l’homme: nous pouvons le rencontrer à présent, dans un «aujourd’hui» sur lequel le soleil ne s’est jamais couché.

Je voudrais insister sur ce point, parce que l’homme contemporain, homme du «sensible», de ce dont on peut faire l’expérience empirique, a de plus en plus de difficulté à ouvrir les horizons et à entrer dans le monde de Dieu. La rédemption de l’humanité advient assurément à un moment précis et identifiable de l’histoire: à travers l’événement de Jésus de Nazareth; mais Jésus est le Fils de Dieu, il est Dieu lui-même, qui a non seulement parlé à l’homme, lui a montré des signes admirables, l’a guidé le long de toute une histoire de salut, mais s’est fait homme et reste homme. L’Eternel est entré dans les limites du temps et de l’espace, pour rendre possible «aujourd’hui» la rencontre avec Lui. Les textes liturgiques de Noël nous aident à comprendre que les événements du salut opéré par le Christ sont toujours actuels, ils concernent l’homme et tous les hommes. Lorsque nous écoutons ou prononçons, lors des célébrations liturgiques, cet «aujourd’hui un Sauveur nous est né», nous n’avons pas recours à une vaine expression conventionnelle, mais nous entendons que Dieu nous offre «aujourd’hui», à présent, à moi, à chacun de nous la possibilité de le reconnaître et de l’accueillir, comme le firent les pasteurs à Bethléem, pour qu’Il naisse aussi dans notre vie et qu’Il la renouvelle, l’éclaire, la transforme par sa Grâce, par sa Présence.

Ainsi Noël, alors qu’il commémore la naissance de Jésus dans la chair de la Vierge Marie — et de nombreux textes liturgiques font revivre à nos yeux divers épisodes —, est donc un événement concret pour nous. Le Pape saint Léon le Grand, en présentant le sens profond de la fête de Noël, invitait ses fidèles avec ces mots: «Exultons dans le Seigneur, ô mes amis, et ouvrons notre coeur à la joie pure, car le jour est venu qui signifie pour nous la nouvelle rédemption, l’antique préparation, le bonheur éternel. En effet, pour nous se renouvelle dans le cycle annuel qui revient, le mystère élevé de notre salut, qui, promis au début et accordé à la fin des temps, est destiné à durer sans fin» (Sermo 22, In Nativitate Domini, 2, 1; PL 54, 193). Et, dans une autre de ses homélies de Noël, toujours saint Léon le Grand affirmait encore: «Aujourd’hui, l’auteur du monde a été engendré du sein d’une vierge: celui qui avait fait toutes les choses s’est fait le fils d’une femme qu’il a lui-même créée. Aujourd’hui, le Verbe de Dieu est apparu revêtu de chair et, alors qu’il n’avait jamais été visible à l’oeil humain, il s’est aussi rendu visiblement tangible. Aujourd’hui, les pasteurs ont appris de la voix des anges que le Sauveur était né dans la substance de notre corps et de notre âme» (Sermo, 26, In Nativitate Domini, 6, 1: PL 54, 213).

Il existe un deuxième aspect, que je voudrais brièvement mentionner: l’événement de Bethléem doit être considéré à la lumière du Mystère pascal: l’un et l’autre font partie de l’unique oeuvre rédemptrice du Christ. L’incarnation et la naissance de Jésus nous invitent déjà à tourner notre regard vers sa mort et sa résurrection: Noël et Pâques sont toutes les deux des fêtes de la rédemption. Pâques la célèbre comme victoire sur le péché et sur la mort: elle marque le moment final, quand la gloire de l’Homme-Dieu resplendit comme la lumière du jour; Noël la célèbre comme l’entrée de Dieu dans l’histoire en se faisant homme, pour reconduire l’homme à Dieu: il marque, pour ainsi dire, le moment initial, lorsqu’on entrevoit la clarté de l’aube. Mais précisément comme l’aube précède et fait pressentir la lumière du jour, ainsi, Noël annonce déjà la Croix et la gloire de la Résurrection. Les deux périodes de l’année pendant lesquelles se situent ces deux grandes fêtes, tout au moins dans certaines régions du monde, peuvent aussi aider à comprendre cet aspect. En effet, alors que Pâque tombe au début du printemps, quand le soleil vainc le brouillard dense et froid et renouvelle la face de la terre, Noël tombe précisément au début de l’hiver, quand la lumière et la chaleur du soleil ne réussissent pas à réveiller la nature, enveloppée par le froid, sous le manteau duquel la vie frémit cependant et commence à nouveau la victoire du soleil et de la chaleur.

Les Pères de l’Eglise lisaient toujours la naissance du Christ à la lumière de toute l’oeuvre rédemptrice, qui trouve son sommet dans le Mystère pascal. L’Incarnation du Fils de Dieu apparaît non seulement comme le début et la condition du salut, mais comme la présence même du Mystère de notre salut: Dieu s’est fait homme, il naît enfant comme nous, assume notre chair pour vaincre la mort et le péché. Deux textes significatifs de saint Basile l’illustrent bien. Saint Basile disait aux fidèles: «Dieu est venu dans la chair afin de tuer la mort qui s’y cache. De même, en effet, que les remèdes et les médicaments triomphent des facteurs de corruption lorsqu’ils sont assimilés par le corps, et de même que l’obscurité qui règne dans une maison est dissipée par l’entrée de la lumière, ainsi la mort qui tenait en son pouvoir la nature humaine fut anéantie par l’avènement de la divinité. De même que dans l’eau la glace l’emporte sur l’élément liquide tant qu’il fait nuit et que s’étend l’obscurité, mais se dissout quand vient le soleil, sous la chaleur de ses rayons: ainsi la mort a régné jusqu’à l’avènement du Christ, mais lorsqu’apparut la grâce salvatrice de Dieu et que s’est levé le Soleil de justice, la mort “fut engloutie en cette victoire” (cf 1Co 15,54), n’ayant pu supporter le séjour de la vraie vie» (Homélie sur la naissance du Christ, 2; PG 31,1461). Toujours saint Basile, dans un autre texte, adressait cette invitation: «Fêtons le salut du monde, le jour de la naissance de l'humanité. Aujourd'hui la condamnation d'Adam est levée. On ne dira plus: “Tu es terre et tu retourneras à la terre” (Gn 3,19), mais: “Uni à celui qui est dans les cieux, tu seras élevé au ciel”» (Homélie sur la naissance du Christ, 6: PG 31,1473).

A Noël, nous rencontrons la tendresse et l’amour de Dieu qui se penche sur nos limites, sur nos faiblesses, sur nos péchés, et s’abaisse jusqu’à nous. Saint Paul affirme que Jésus Christ «qui était dans la condition de Dieu... se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes» (Ph 2,6-7). Regardons la grotte de Bethléem: Dieu s’abaisse jusqu’à être couché dans une crèche, qui est déjà le prélude de l’abaissement à l’heure de sa passion. Le sommet de l’histoire d’amour entre Dieu et l’homme passe à travers la crèche de Bethléem et le sépulcre de Jérusalem.

Chers frères et soeurs, vivons dans la joie Noël qui approche. Vivons cet événement merveilleux: le Fils de Dieu naît encore «aujourd’hui», Dieu est véritablement proche de chacun de nous et veut nous rencontrer, nous conduire à Lui. Il est la véritable lumière, qui éclaircit et dissipe les ténèbres qui enveloppent notre vie et l’humanité. Vivons le Noël du Seigneur en contemplant le chemin de l’amour immense de Dieu qui nous a élevés à Lui à travers le Mystère de l’Incarnation, de la Passion, de la Mort et de la Résurrection de son Fils car — comme l’affirme saint Augustin — «En lui [le Christ] la divinité du Fils unique a participé à notre mortalité, afin que nous-mêmes nous participions à son immortalité» (Epistola 187, 6, 20: PL 33, 839-840). Surtout, contemplons et vivons ce Mystère dans la célébration de l’Eucharistie, coeur Noël; c’est là qu’est présent de façon réelle Jésus, véritable pain descendu du ciel, véritable Agneau sacrifié pour notre salut.

Je vous souhaite à tous, ainsi qu’à vos familles, de célébrer un Noël véritablement chrétien, de façon à ce que les échanges de voeux de ce jour soient une expression de la joie de savoir que Dieu est proche de nous et veut parcourir avec nous le chemin de la vie. Merci.

* * *

Je salue les pèlerins francophones, particulièrement le groupe de Fréjus-Toulon avec leur évêque, Mgr Dominique Rey, et les étudiants lyonnais de l’Institut de formation de l’Oratoire. Puissions-nous fêter Noël en contemplant le chemin pris par l’amour infini de Dieu pour nous élever jusqu’à Lui. Joyeux et Saint Noël à tous, particulièrement aux enfants!







Salle Paul VI

Mercredi 28 décembre 2011

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Chers frères et soeurs,

La rencontre d’aujourd’hui se déroule dans le climat de Noël, enveloppé d’une joie profonde pour la naissance du Sauveur. Nous venons de célébrer ce mystère, dont l’écho se répand dans la liturgie de toutes ces journées. C’est un mystère de lumière que les hommes de chaque époque peuvent revivre dans la foi et dans la prière. C’est précisément à travers la prière que nous devenons capables de nous approcher de Dieu de manière intime et profonde. C’est pourquoi, en gardant à l’esprit le thème de la prière que je développe en cette période dans les catéchèses, je voudrais aujourd’hui vous inviter à réfléchir sur la manière dont la prière fait partie de la vie de la Sainte Famille de Nazareth. La maison de Nazareth, en effet, est une école de prière, où l’on apprend à écouter, à méditer, à pénétrer la signification profonde de la manifestation du Fils de Dieu, en prenant exemple sur Marie, Joseph et Jésus.

Le discours du serviteur de Dieu Paul VI lors de sa visite à Nazareth reste mémorable. Le Pape dit qu’à l’école de la Sainte Famille nous « comprenons pourquoi nous devons garder une discipline spirituelle, si nous voulons suivre la doctrine de l’Evangile et devenir des disciples du Christ ». Et il ajouta : « En premier lieu, celle-ci nous enseigne le silence. Oh ! Si renaissait en nous l’estime du silence, atmosphère admirable et indispensable de l’esprit: alors que nous sommes étourdis par tant de vacarme, de bruit et de voix criardes dans la vie agitée et tumultueuse de notre temps. Oh ! Silence de Nazareth, enseigne-nous à être fermes dans les bonnes pensées, recherchant la vie intérieure, prêts à bien entendre les inspirations secrètes de Dieu et les exhortations des maîtres véritables » (Discours à Nazareth, 5 janvier 1964).

Nous pouvons tirer plusieurs éléments sur la prière, sur la relation avec Dieu, de la Sainte Famille des récits évangéliques de l’enfance de Jésus. Nous pouvons partir de l’épisode de la présentation de Jésus au temple. Saint Luc rapporte que Marie et Joseph, « quand arriva le jour fixé par la loi de Moïse pour la purification, [...] le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur » (2, 22). Comme chaque famille juive qui observait la loi, les parents de Jésus se rendent au temple pour consacrer à Dieu leur premier-né et pour offrir le sacrifice. Animés par la fidélité aux prescriptions, ils partent de Bethléem et se rendent à Jérusalem avec Jésus qui a à peine quarante jours ; au lieu d’un agneau d’un an, ils présentent l’offrande des familles simples, c’est-à-dire deux colombes. Le pèlerinage de la Sainte Famille est le pèlerinage de la foi, de l’offrande des dons, symbole de la prière, et de la rencontre avec le Seigneur, que Marie et Joseph voient déjà dans leur fils Jésus.

La contemplation du Christ a en Marie son modèle inégalable. Le visage du Fils lui appartient à un titre spécial, car c’est dans son sein qu’ils s’est formé, en prenant d’elle également une ressemblance humaine. Personne ne s’est consacré à la contemplation de Jésus avec autant d’assiduité que Marie. Le regard de son coeur se concentre déjà sur Lui au moment de l’Annonciation, quand elle le conçoit par l’oeuvre de l’Esprit Saint; dans les mois qui suivent, elle en sent peu à peu la présence, jusqu’au jour de sa naissance, quand ses yeux peuvent fixer avec une tendresse maternelle le visage de son fils, alors qu’elle l’enveloppe de langes et qu’elle le dépose dans la mangeoire. Les souvenirs de Jésus, fixés dans son esprit et dans son coeur, ont marqué chaque instant de l’existence de Marie. Elle vit avec les yeux sur le Christ et elle tire profit de chacune de ses paroles. Saint Luc dit : « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur » (
Lc 2,19), et il décrit ainsi l’attitude de Marie devant le Mystère de l’Incarnation, une attitude qui se prolongera pendant toute son existence : conserver les choses et les méditer dans son coeur. Luc est l’évangéliste qui nous fait connaître le coeur de Marie, sa foi (cf. Lc 1,45), son espérance et son obéissance (cf. Lc 1,38), en particulier son intériorité et sa prière (cf. Lc 1,46-56), sa libre adhésion au Christ (cf. 1, 55). Et tout cela procède du don de l’Esprit Saint qui descend sur elle (cf. Lc 1,35), comme il descendra sur les apôtres selon la promesse du Christ (cf. Ac 1,8). Cette image de Marie que nous donne saint Luc présente la Vierge comme modèle de chaque croyant qui conserve et confronte les paroles et les actions de Jésus, une confrontation qui est toujours une progression dans la connaissance de Jésus. Dans le sillage du bienheureux Pape Jean-Paul II (cf. Lett. apos. Rosarium Virginis Mariae ) nous pouvons dire que la prière du Rosaire tire son modèle précisément de Marie, car elle consiste à contempler les mystères du Christ en union spirituelle avec la Mère du Seigneur. La capacité de Marie de vivre du regard de Dieu est, pour ainsi dire, contagieuse. Le premier à en faire l’expérience a été saint Joseph. Son amour humble et sincère pour sa fiancée et la décision d’unir sa vie à celle de Marie l’a attiré et introduit lui aussi, qui était déjà un « homme juste » (Mt 1,19), dans une intimité particulière avec Dieu. En effet, avec Marie, et ensuite surtout avec Jésus, il inaugure une nouvelle façon de se mettre en relation avec Dieu, de l’accueillir dans sa propre vie, d’entrer dans son projet de salut, en accomplissant sa volonté. Après avoir suivi avec confiance l’indication de l’Ange — « ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse » (Mt 1,20) — il a pris Marie avec lui et il a partagé sa vie avec elle ; il s’est vraiment entièrement donné à Marie et à Jésus, et cela l’a conduit vers la perfection de la réponse à la vocation reçue. L’Evangile, comme nous le savons, n’a conservé aucune parole de Jo- seph: sa présence est silencieuse, mais fidèle, constante, active. Nous pouvons imaginer que lui aussi, comme son épouse et en intime harmonie avec elle, a vécu les années de l’enfance et de l’adolescence de Jésus en goûtant, pour ainsi dire, sa présence dans leur famille. Joseph a pleinement accompli son rôle paternel, sous chaque aspect. Il a certainement éduqué Jésus à la prière, avec Marie. Il l’aura en particulier emmené avec lui à la synagogue, lors des rites du samedi, ainsi qu’à Jérusalem, pour les grandes fêtes du peuple d’Israël. Joseph, selon la tradition juive, aura guidé la prière domestique, aussi bien quotidienne — le matin, le soir, lors des repas —, qu’à l’occasion des principales fêtes religieuses. Ainsi, au rythme des journées passées à Nazareth, entre la maison simple et l’atelier de Joseph, Jésus a appris à alterner prière et travail, et à offrir à Dieu également la fatigue pour gagner le pain nécessaire à la famille.

Voilà enfin un autre épisode qui voit la Sainte Famille de Nazareth rassemblée pour une occasion de prière. Jésus, nous l’avons entendu, a douze ans et se rend au temple de Jérusalem avec ses parents. Cet épisode se situe dans le contexte du pèlerinage, comme le souligne saint Luc : « Chaque année, les parents de Jésus allaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut douze ans, ils firent le pèlerinage suivant la coutume » (2, 41-42). Le pèlerinage est une expression religieuse qui se nourrit de prière et, dans le même temps, la nourrit. Il s’agit ici du pèlerinage pascal, et l’évangéliste nous fait observer que la famille de Jésus l’accomplit chaque année, pour participer aux rites dans la ville sainte. La famille juive, comme la famille chrétienne, prie dans l’intimité domestique, mais elle prie également avec la communauté, se reconnaissant une partie du Peuple de Dieu en marche, et le pèlerinage exprime précisément cette condition de marche du Peuple de Dieu. Pâques est le centre et le sommet de tout cela, et concerne la dimension familiale et la dimension du culte liturgique et public.

Dans l'épisode du Jésus âgé de douze ans, sont enregistrées également les premières paroles de Jésus : « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être » (Lc 2,49). Après trois jours de recherche, ses parents le retrouvèrent dans le temple assis parmi les maîtres alors qu'il les écoutait et les interrogeait (cf. 2, 46). Lorsqu’on lui demande pourquoi il a fait cela à son père et à sa mère, il répond qu'il a fait uniquement ce que doit faire le Fils, c'est-à-dire se trouver près du Père. Il montre ainsi qui est le vrai Père, où est sa vraie maison, qu'il n'a rien fait d'étrange, qu'il n'a pas désobéi. Il est resté là où doit se trouver le Fils, c'est-à-dire près du Père, et il a souligné qui est son Père. Le mot « Père » domine ainsi le ton de cette réponse et fait émerger tout le mystère christologique. Ce mot ouvre donc le mystère, il est la clé du mystère du Christ, qui est le Fils, et est aussi la clé de notre mystère de chrétiens, qui sommes fils dans le Fils. Dans le même temps, Jésus nous enseigne comment être fils, précisément dans le fait d'être avec le Père dans la prière. Le mystère christologique, le mystère de l'existence chrétienne est intimement lié, fondé sur la prière. Jésus enseignera un jour à ses disciples à prier, en leur disant : lorsque vous priez, dites « Père ». Et, naturellement, ne le dites pas seulement avec les mots, mais avec votre existence, apprenez toujours plus à le dire avec votre existence : « Père » ; et ainsi, vous serez de vrais fils dans le Fils, de vrais chrétiens.

Ici, lorsque Jésus est pleinement inséré dans la vie de la Famille de Nazareth, il est important de noter l'écho qu'a pu avoir dans les coeurs de Marie et Joseph le fait d'entendre de la bouche de Jésus ce mot « Père », et l'entendre révéler, souligner qui est le Père, et entendre de sa bouche ce mot dans la conscience d'être le Fils unique, qui précisément pour cela a voulu rester trois jours dans le temple, qui est la « maison du Père ». Dès lors, nous pouvons imaginer que la vie dans la Sainte Famille fut encore plus comblée de prière, car du coeur de Jésus enfant, puis adolescent et jeune, ne cessera plus de se répandre et de se refléter dans les coeurs de Marie et de Joseph, ce sens profond de la relation avec Dieu le Père. Cet épisode nous montre la véritable situation, l'atmosphère du fait d'être avec le Père. Ainsi, la Famille de Nazareth est le premier modèle de l'Eglise où, autour de la présence de Jésus et grâce à sa médiation, l’on vit toute la relation filiale avec Dieu le Père, qui transforme aussi les relations interpersonnelles, humaines.

Chers amis, c'est en raison de ces divers aspects, que j'ai brièvement évoqués à la lumière de l'Evangile, que la Sainte famille est l'icône de l'Eglise domestique, appelée à prier ensemble. La famille est l'Eglise domestique et doit être la première école de prière. Dans la famille, les enfants, dès leur plus jeune âge, peuvent apprendre à percevoir le sens de Dieu, grâce à l'enseignement et à l'exemple des parents: vivre dans une atmosphère marquée par la présence de Dieu. Une éducation authentiquement chrétienne ne peut se passer de l'expérience de la prière. Si l'on n'apprend pas à prier en famille, il sera ensuite difficile de réussir à combler ce vide. C'est pour cette raison que je voudrais vous adresser l'invitation à redécouvrir la beauté de prier ensemble comme famille à l'école de la Sainte Famille de Nazareth. Et devenir ainsi réellement un seul coeur et une seule âme, une vraie famille. Merci.
* * *


Je salue cordialement les pèlerins francophones, particulièrement les prêtres congolais, les membres des Communautés catholiques africaines francophones d’Italie et les anciens élèves de l’Institution Saint-Jean de Douai. Que ce temps de Noël soit pour tous l’occasion de rendre plus intime et plus vraie votre relation avec le Fils de Dieu fait homme. Bonne et heureuse année nouvelle à tous !




Salle Paul VI

Mercredi 4 janvier 2012

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Chers frères et soeurs,

Je suis heureux de vous accueillir à cette première Audience générale de la nouvelle année et je vous présente de tout coeur à vous et à vos familles mes voeux affectueux: que Dieu, qui par la naissance du Christ son Fils a inondé de joie le monde entier, ordonne les oeuvres et les jours dans sa paix. Nous sommes dans le temps liturgique de Noël; qui commence le soir du 24 décembre avec la veillée et qui se conclut avec la célébration du Baptême du Seigneur. L’arc des jours est bref, mais riche de célébrations et de mystères et il se rassemble entièrement autour des deux grandes solennités du Seigneur: Noël et l’Epiphanie. Le nom même de ces deux fêtes en indique la physionomie respective. Noël célèbre le fait historique de la naissance de Jésus à Bethléem. L’Epiphanie, née comme fête en Orient, indique un fait, mais surtout un aspect du Mystère: Dieu se révèle dans la nature humaine du Christ et tel est le sens du verbe grec epiphaino, se rendre visible. Dans cette perspective, l’Epiphanie rappelle une pluralité d’événements qui ont pour objet la manifestation du Seigneur: de manière particulière l’adoration des Mages, qui reconnaissent en Jésus le Messie attendu, mais également le Baptême dans le fleuve Jourdain avec sa théophanie — la voix de Dieu d’en-haut — et le miracle aux noces de Cana, comme premier «signe» accompli par Jésus. Une très belle antienne de la Liturgie des Heures unifie ces trois événements autour du thème des noces entre le Christ et l’Eglise: «Aujourd’hui, l’Eglise s’unit à son Epoux céleste, car dans le Jourdain le Christ a lavé ses péchés; les Mages accourent avec des dons aux noces royales, et les invités se réjouissent en voyant l’eau transformée en vin» (Antienne des Laudes). Nous pouvons presque dire qu’en la fête de Noël on souligne Dieu caché dans l’humilité de la condition humaine, dans l’Enfant de Bethléem. Dans l’Epiphanie, en revanche, on souligne sa manifestation, l’apparition de Dieu à travers cette même humanité.

Dans cette catéchèse, je voudrais rappeler brièvement quelques thèmes propres à la célébration du Noël du Seigneur, afin que chacun de nous puisse étancher sa soif à la source intarissable de ce mystère et porter des fruits de vie.

Tout d’abord, nous nous demandons: quelle est la première réaction devant cette extraordinaire action de Dieu qui se fait enfant, qui se fait homme? Je pense que la première réaction ne peut être autre que de joie. «Réjouissons-nous tous dans le Seigneur, car le Sauveur est né dans le monde»: c’est ainsi que commence la Messe de la Nuit de Noël, et nous venons d’entendre les paroles de l’ange aux pasteurs: «Voici que je vous annonce une grande joie» (
Lc 2,10). C’est le thème qui ouvre l’Evangile, et c’est le thème qui le termine, car Jésus ressuscité reprochera précisément aux apôtres d’être tristes (cf. Lc 24,17) — ce qui est incompatible avec le fait qu’Il reste Homme pour l’éternité. Mais accomplissons un pas en avant: d’où naît cette joie? Je dirais qu’elle naît de l’émerveillement du coeur en voyant que Dieu est proche de nous, que Dieu pense à nous, que Dieu agit dans l’histoire; c’est donc une joie qui naît de la contemplation du visage de cet humble enfant, car nous savons que c’est la Face de Dieu présente pour toujours dans l’humanité, pour nous et avec nous. Noël est joie car nous voyons et nous sommes finalement certains que Dieu est le bien, la vie, la vérité de l’homme et s’abaisse jusqu’à l’homme, pour l’élever à Lui: Dieu devient ainsi si proche que l’on peut le voir et le toucher. L’Eglise contemple ce mystère ineffable et les textes de la liturgie de ce temps sont parcourus par l’émerveillement et par la joie; tous les chants de Noël expriment cette joie. Noël est le moment où le Ciel et la terre s’unissent, et diverses expressions que nous entendons au cours de ces jours soulignent la grandeur de ce qui a eu lieu: le lointain — Dieu semble très lointain — est devenu proche; «l’inaccessible voulut être accessible, Lui qui existe avant le temps commença à être dans le temps, le Seigneur de l’univers, voilant la grandeur de sa majesté, prit la nature de serviteur» — s’exclame saint Léon le Grand (Sermon 2 sur Noël, 2.1). Dans cet enfant, qui a besoin de tout comme tous les enfants, ce que Dieu est, éternité, force, sainteté, vie, joie, s’unit à ce que nous sommes nous: faiblesse, péché, souffrance, mort.

La théologie et la spiritualité de Noël utilisent une expression pour décrire ce fait, elles parlent d’admirabile commercium, c’est-à-dire d’un admirable échange entre la divinité et l’humanité. Saint Athanase d’Alexandrie affirme: «Le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous faire Dieu» (De Incarnatione, 54, 3: PG 25,192), mais c’est surtout avec saint Léon le Grand et ses célèbres Homélies de Noël que cette réalité devient l’objet d’une profonde méditation. En effet, le saint Pontife affirme: «Si nous en appelons à l’inexprimable condescendance de la divine miséricorde qui a poussé le Créateur des hommes à se faire homme, celle-ci nous élèvera à la nature de Celui que nous adorons dans la nôtre» (Sermon 8 de Noël, CCL 138, 139). Le premier acte de ce merveilleux échange s’accomplit dans l’humanité même du Christ. Le Verbe a assumé notre humanité et, en échange, la nature humaine a été élevée à la dignité divine. Le deuxième acte de cet échange consiste dans notre participation réelle et intime à la nature divine du Verbe. Saint Paul dit: «Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale» (Ga 4,4-5). Noël est donc la fête dans laquelle Dieu se fait si proche de l’homme qu’il en partage l’acte même de naître, pour lui révéler sa dignité la plus profonde: celle d’être fils de Dieu. Et ainsi le rêve de l’humanité commençant au Paradis – nous voudrions être comme Dieu – se réalise de manière inattendue non par la grandeur de l’homme qui ne peut pas se faire Dieu, mais par l’humilité de Dieu qui descend et entre ainsi en nous dans son humilité et nous élève à la vraie grandeur de son être. Le Concile Vatican II à ce propos a dit ceci: «En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné» (Gaudium et spes GS 22); autrement une énigme demeure: que veut dire cette créature l’homme? C’est seulement en voyant que Dieu est avec nous que nous pouvons voir la lumière pour notre être, être heureux d’être des hommes et de vivre avec confiance et joie. Et où est présent de manière réelle ce merveilleux échange, afin qu’il opère dans notre vie et en fasse une existence de véritables fils de Dieu? Il devient très concret dans l’Eucharistie. Lorsque nous participons à la Messe nous présentons à Dieu ce qui est nôtre: le pain et le vin, fruit de la terre, pour qu’il les accepte et les transforme en se donnant à nous et en se faisant notre nourriture, afin qu’en recevant son Corps et son Sang nous participions à sa vie divine.

Je voudrais m’arrêter, enfin, sur un autre aspect de Noël. Lorsque l’Ange du Seigneur se présente aux pasteurs dans la nuit de la Naissance de Jésus, l’Evangéliste Luc note que «la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté» (2, 9); et le Prologue de l’Evangile de Jean parle du Verbe fait chair comme de la lumière véritable qui vient dans le monde, la lumière capable d’éclairer chaque homme (cf. Gv Jn 1,9). La liturgie de Noël est emplie de lumière. La venue du Christ déchire le voile des ténèbres du monde, remplit la Nuit sainte d’un éclat céleste et répand sur le visage des hommes la splendeur de Dieu le Père. Aujourd’hui aussi. Enveloppés par la lumière du Christ, nous sommes invités avec insistance par la liturgie de Noël à nous laisser éclairer l’esprit et le coeur par le Dieu qui a montré la splendeur de sa Face. La première Préface de Noël proclame: «Par le mystère du Verbe incarné, une lumière nouvelle de ta clarté a resplendi aux yeux de notre esprit: de sorte que connaissant désormais Dieu d’une manière visible, par lui nous soyons ravis pour l’amour des choses invisibles». Dans le Mystère de l’Incarnation, Dieu, après avoir parlé et être intervenu dans l’histoire à travers des messages et des signes, «est apparu», il est sorti de sa lumière inaccessible pour illuminer le monde.

Dans la solennité de l’Epiphanie, le 6 janvier, que nous célébrerons dans quelques jours, l’Eglise propose un passage très significatif du prophète Isaïe: «Debout! Resplendis! car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire du Seigneur. Tandis que les ténèbres s’étendent sur la terre et l’obscurité sur les peuples, sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire sur toi paraît. Les nations marcheront à ta lumière et les rois à ta clarté naissante» (60, 1-3). C’est une invitation adressée à l’Eglise, la Communauté du Christ, mais aussi à chacun de nous, à prendre une conscience encore plus vive de la mission et de la responsabilité envers le monde pour témoigner et porter la lumière nouvelle de l’Evangile. Au début de la Constitution Lumen gentium du Concile Vatican II, nous trouvons les paroles suivantes: «Le Christ est la lumière des peuples; réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Evangile répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Eglise» (n. 1). L’Evangile est la lumière qu’il ne faut pas mettre sous le boisseau, qu’il faut mettre sur le lampadaire. L’Eglise n’est pas la lumière, mais elle reçoit la lumière du Christ, elle l’accueille pour en être éclairée et pour la diffuser dans toute sa splendeur. Et cela doit advenir aussi dans notre vie personnelle. Encore une fois, je cite saint Léon le Grand qui a dit en la Sainte Nuit: «Chrétien, reconnais ta dignité et, participant désormais de la nature divine, refuse de retomber dans la condition méprisable de jadis par une conduite indigne. Rappelle-toi qui est ton Chef et de quel Corps tu es membre. Rappelle-toi que, arraché au pouvoir des ténèbres, tu as été transféré dans la lumière et dans le Royaume de Dieu» (Sermon 1 de Noël, 3, 2: CCL 138,88).

Chers frères et soeurs, Noël, c’est s’arrêter pour contempler cet Enfant, le Mystère de Dieu qui se fait homme dans l’humilité et dans la pauvreté, mais c’est surtout accueillir encore à nouveau en nous-mêmes cet Enfant, qui est le Christ Seigneur, pour vivre dans sa vie, pour faire en sorte que ses sentiments, ses pensées, ses actions, soient nos sentiments, nos pensées, nos actions. Célébrer Noël c’est donc manifester la joie, la nouveauté, la lumière que cette Naissance a porté dans notre existence, pour être nous aussi porteurs de la joie, de la vraie nouveauté, de la lumière de Dieu aux autres. Encore une fois, meilleurs voeux à tous, pour un temps de Noël béni par la présence de Dieu!
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Je suis heureux d’accueillir les pèlerins de langue française. Je salue particulièrement les Oblates Missionnaires de Marie Immaculée, à l’occasion du cinquantième anniversaire de leur fondation. À travers toute votre existence, soyez des porteurs de la joie, de la nouveauté et de la lumière de Dieu parmi les autres ! Qu’en ce temps de Noël Dieu vous bénisse de sa présence !





Salle Paul VI

Mercredi 11 janvier 2012


Catéchèses Benoît XVI 21121