Catéchèses Benoît XVI 11112

Mercredi 11 janvier 2012

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Chers frères et soeurs,

Dans notre parcours de réflexion sur la prière de Jésus, présentée dans les Evangiles, je voudrais méditer aujourd’hui sur le moment, particulièrement solennel, de sa prière lors de la Dernière Cène.

Le contexte temporel et émotionnel du banquet au cours duquel Jésus prend congé de ses amis, est l’imminence de sa mort qu’il sent désormais proche. Depuis longtemps, Jésus avait commencé à parler de sa passion, en essayant aussi d’impliquer toujours davantage ses disciples dans cette perspective. L’Evangile selon Marc raconte que depuis le départ du voyage vers Jérusalem, dans les villages de la lointaine Césarée de Philippes, Jésus avait commencé à leur enseigner « qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite » (
Mc 8,31). Par ailleurs, précisément dans les jours où il se préparait à dire adieu à ses disciples, la vie du peuple était marquée par l’approche de la Pâque, c’est-à-dire le mémorial de la libération d’Israël de l’Egypte. Cette libération, vécue dans le passé et attendue à nouveau dans le présent et pour l’avenir, redevenait vivante dans les célébrations familiales de la Pâque. La Dernière Cène s’inscrit dans ce contexte, mais avec une nouveauté de fond. Jésus regarde sa Passion, sa Mort et sa Résurrection, en en étant pleinement conscient. Il veut vivre cette Cène avec ses disciples, avec un caractère tout à fait spécial et différent des autres banquets; cela est sa Cène, au cours de laquelle il donne Quelque chose de totalement nouveau : Lui-même. De cette manière, Jésus célèbre sa Pâque, anticipe sa Croix et sa Résurrection.

Cette nouveauté est soulignée pour nous par la chronologie de la Dernière Cène dans l’Evangile de Jean, qui ne la décrit pas comme un dîner pascal, précisément parce que Jésus entend inaugurer quelque chose de nouveau, célébrer sa Pâque, liée bien sûr aux événements de l’Exode. Et pour Jean, Jésus mourut sur la croix précisément au moment où, au temple de Jérusalem, étaient immolés les agneaux pascals.

Quel est alors le centre de cette Cène ? Ce sont les gestes de rompre le pain, de le distribuer aux siens et de partager la coupe du vin avec les paroles qui les accompagnent et dans le contexte de prière dans lequel elles s’inscrivent : c’est l’institution de l’Eucharistie, c’est la grande prière de Jésus et de l’Eglise. Mais regardons ce moment de plus près.

Tout d’abord, les traditions néotestamentaires de l’institution de l’Eucharistie (cf. 1Co 11,23-25 Lc 22,14-20 Mc 14,22-25 Mt 26,26-29), en indiquant la prière qui introduit les gestes et les paroles de Jésus sur le pain et sur le vin, utilisent deux verbes parallèles et complémentaires. Paul et Luc parlent d’eucaristia/action de grâce : il « prit du pain; après avoir rendu grâce, il le rompit et le leur donna » (Lc 22,19). Marc et Matthieu, en revanche, soulignent l’aspect d’eulogia/bénédiction : il « prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit, et le leur donna » (Mc 14,22). Les deux termes grecs eucaristeìn et eulogeìn renvoient à la berakha juive, c’est-à-dire la grande prière d’action de grâce et de bénédiction de la tradition d’Israël qui inaugurait les grands banquets. Les deux mots grecs différents indiquent les deux directions intrinsèques et complémentaires de cette prière. La berakha, en effet, est avant tout une action de grâce et de louange qui s’élève à Dieu pour le don reçu: au cours de la Dernière Cène de Jésus, il s’agit du pain — travaillé à partir du froment que Dieu fait germer et pousser en terre — et du vin produit à partir du fruit mûri sur les vignes. Cette prière de louange et d’action de grâce, qui s’élève vers Dieu, revient comme une bénédiction, qui descend de Dieu sur le don et l’enrichit. Remercier, louer Dieu, devient ainsi une bénédiction, et l’offre donnée à Dieu revient à l’homme bénie par le Tout-Puissant. Les paroles de l’institution de l’Eucharistie se situent dans ce contexte de prière: en elles, la louange et la bénédiction de la berakha deviennent une bénédiction et une transformation du pain et du vin dans le Corps et dans le Sang de Jésus.

Avant les paroles de l’institution viennent les gestes: celui de rompre le pain et celui d’offrir le vin. Celui qui fractionne le pain et passe la coupe est avant tout le chef de famille, qui accueille à sa table les parents, mais ces gestes sont aussi ceux de l’hospitalité, de l’accueil à la communion conviviale de l’étranger, qui ne fait pas partie de la maison. Ces mêmes gestes, au cours du repas par lequel Jésus prend congé des siens, acquièrent une profondeur toute nouvelle: Il donne un signe visible de l’accueil à la table à laquelle Dieu se donne. Dans le pain et dans le vin, Jésus s’offre et se communique lui-même.

Mais comment tout cela peut-il se réaliser? Comment Jésus peut-il se donner lui-même à ce moment ? Jésus sait que la vie va lui être ôtée à travers le supplice de la croix, la peine capitale des hommes non libres, celle que Cicéron définissait comme la mors turpissima crucis. Avec le don du pain et du vin qu’il offre lors de la Dernière Cène, Jésus anticipe sa mort et sa résurrection, en réalisant ce qu’il avait dit dans le discours du Bon Pasteur : « Je donne ma vie pour la reprendre ensuite. Personne n'a pu me l'enlever: je la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre : voilà le commandement que j'ai reçu de mon Père » (Jn 10,17-18). Il offre donc par avance la vie qui lui sera ôtée et transforme de cette façon sa mort violente en un acte libre de don de soi pour les autres et aux autres. La violence subie se transforme en un sacrifice actif, libre et rédempteur.

Une fois de plus dans la prière, commencée sous la forme rituelle de la tradition biblique, Jésus révèle son identité et sa détermination à accomplir jusqu’au bout sa mission d’amour total, d’offrande en obéissance à la volonté du Père. La profonde originalité du don de Soi aux siens, à travers le mémorial eucharistique, est le sommet de la prière qui caractérise le repas d’adieu avec les siens. En contemplant les gestes et les paroles de Jésus cette nuit-là, nous voyons clairement que la relation intime et constante avec le Père est le lieu dans lequel Il réalise le geste de laisser aux siens, et à chacun de nous, le Sacrement de l’amour, le « Sacramentum caritatis ». Par deux fois, au cénacle, retentissent les paroles : « Faites cela en mémoire de moi » (1Co 11,24 1Co 11,25). A travers le don de Soi, Il célèbre sa Pâque, en devenant le véritable Agneau qui accomplit tout le culte antique. C’est pourquoi, en parlant aux chrétiens de Corinthe, il affirme : « Voici que le Christ, notre agneau pascal, a été immolé. Célébrons donc la Fête... avec du pain non fermenté: la droiture et la vérité » (1Co 5,7-8).

L’évangéliste Luc a conservé un précieux élément supplémentaire des événements de la Dernière Cène, qui nous permet de voir la profondeur émouvante de la prière de Jésus pour les siens en cette nuit, l’attention pour chacun. En partant de la prière d’action de grâce et de bénédiction, Jésus parvient au don eucharistique, au don de Soi-même, et, alors qu’il donne la réalité sacramentelle décisive, il s’adresse à Pierre. A la fin de la Cène, il lui dit : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,31-32). La prière de Jésus, lorsque l’épreuve s’approche également pour ses disciples, soutient leur faiblesse, leur difficulté à comprendre que la voie de Dieu passe à travers le Mystère pascal de mort et de résurrection, anticipé dans l’offrande du pain et du vin. L’Eucharistie est la nourriture des pèlerins qui devient une force également pour celui qui est fatigué, épuisé et désorienté. Et la prière s’adresse particulièrement à Pierre, pour que, une fois converti, il confirme ses frères dans la foi. L’évangéliste Luc rappelle que ce fut précisément le regard de Jésus qui chercha le visage de Pierre, au moment où celui-ci venait de commettre son triple reniement, pour lui donner la force de reprendre le chemin derrière Lui : « Et à l'instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre; et Pierre se rappela la parole que le Seigneur lui avait dite » (cf. Lc 22,60-61).

Chers frères et soeurs, en participant à l’Eucharistie, nous vivons de manière extraordinaire la prière que Jésus a faite et fait sans cesse pour chacun, afin que le mal, que nous rencontrons tous dans la vie, ne réussisse pas à vaincre et qu’agisse en nous la force transformatrice de la mort et de la résurrection du Christ. Dans l’Eucharistie, l’Eglise répond au commandement de Jésus : « Faites cela en mémoire de moi » (Lc 22,19 cf. 1Co 11,24-26) ; il répète la prière de remerciement et de bénédiction et, avec celle-ci, les paroles de la transsubstantiation du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Seigneur. Nos Eucharisties sont une manière d’être attirés dans ce moment de prière, une manière de nous unir toujours à nouveau à la prière de Jésus. Dès le début, l’Eglise a compris les paroles de consécration comme une partie de la prière faite avec Jésus ; comme la partie centrale de la louange pleine de gratitude, à travers laquelle le fruit de la terre et du travail de l’homme nous est à nouveau donné par Dieu comme corps et sang de Jésus, comme don de Dieu lui-même dans l’amour accueillant du Fils (cf. Jésus de Nazareth, ii). En participant à l’Eucharistie, en nous nourrissant de la Chair et du Sang du Fils de Dieu, nous unissons notre prière à celle de l’Agneau pascal dans sa nuit suprême, pour que notre vie ne soit pas perdue, malgré notre faiblesse et nos infidélités, mais soit transformée.

Chers amis, demandons au Seigneur que, après nous être préparés comme il se doit, également avec le sacrement de la pénitence, notre participation à son Eucharistie, indispensable pour la vie chrétienne, soit toujours le point le plus élevé de toute notre prière. Nous demandons que, profondément unis dans sa même offrande au Père, nous puissions nous aussi transformer nos croix en sacrifice, libre et responsable, d’amour à Dieu et à nos frères. Merci.
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Je salue avec joie les pèlerins francophones, en particulier les prêtres de Marseille avec Mgr Georges Pontier et les fidèles de Nouméa. À la suite de Jésus, puissiez-vous transformer vos croix personnelles en sacrifice d’amour pour Dieu et pour les autres, et par le Sacrement de la Pénitence, vous préparer dignement à participer à l’Eucharistie, sommet de la prière chrétienne. Avec ma bénédiction !





Salle Paul VI

Mercredi 18 janvier 2012

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Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens

Chers frères et soeurs, aujourd’hui nous entrons dans la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens. Ce rendez-vous spirituel annuel fait grandir la conscience que l’Unité vers laquelle nous tendons ne pourra être obtenue par nos seuls efforts, mais sera surtout un don reçu d’en haut, et à demander toujours. Cette octave de prière veut « Être un cri unanime de tout le Peuple chrétien » qui demande à Dieu ce grand don ! En effet, la prière demeure la voie fondamentale et première pour parvenir à la pleine communion. Jésus lui-même a prié pour cette unité et l’a demandée à son Père avant sa Passion. Cette année, le thème de la Semaine est : « Tous nous serons transformés par la victoire de Jésus Christ, notre Seigneur ». Cette victoire ne passe ni par le pouvoir ni par la puissance. Elle est celle de l’amour, de l’entraide et du service mutuels. Nous pouvons donc devenir victorieux seulement si nous nous laissons transformer par Dieu en convertissant notre vie. Chers amis, ayons conscience que le manque d’unité est un obstacle à l’annonce de l’Evangile ! L’unité pour laquelle nous prions demande que nous renforcions notre foi en Dieu, qui nous a parlé et s’est fait l’un de nous en Jésus. En vivant plus profondément avec le Christ, nous pourrons témoigner de lui autour de nous et faire grandir la communion dans la vérité et dans la charité.
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Je salue les pèlerins francophones, particulièrement les élèves du Collège Notre Dame des Missions de Charenton le Pont et ceux du Collège Rocroy Saint Vincent de Paul de Paris. Je vous invite à être des semeurs d’unité là où vous êtes, dans vos familles et dans vos communautés, pour que l’amour du Christ puisse porter à tous la paix et la joie. Je vous bénis de grand coeur !





Salle Paul VI

Mercredi 25 janvier 2012

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Chers frères et soeurs,

Dans la catéchèse d’aujourd’hui, nous concentrons notre attention sur la prière que Jésus adresse au Père à l’« Heure » de son élévation et de sa glorification (cf.
Jn 17,1-26). Comme l’affirme le Catéchisme de l’Eglise catholique : « La tradition chrétienne l’appelle à juste titre la prière “sacerdotale” de Jésus. Elle est celle de notre Grand Prêtre, elle est inséparable de son Sacrifice, de son “passage” [pâque] vers le Père où il est “consacré” tout entier au Père » (n. 2747).

Cette prière de Jésus est compréhensible dans son extrême richesse surtout si nous l’inscrivons dans le cadre de la fête juive de l’expiation, le Yom kippour. Ce jour-là, le Grand Prêtre accomplit l’expiation d’abord pour lui-même, puis pour la classe sacerdotale et enfin pour toute la communauté du peuple. Le but est de redonner au peuple d’Israël, après les transgressions d’une année, la conscience de la réconciliation avec Dieu, la conscience d’être un peuple élu, un « peuple saint » au milieu des autres peuples. La prière de Jésus, présentée dans le chapitre 17 de l’Evangile selon saint Jean, reprend la structure de cette fête. Jésus, cette nuit-là, s’adresse au Père au moment où il s’offre lui-même. Lui, prêtre et victime, prie pour lui-même, pour les apôtres et pour tous ceux qui croient en Lui, pour l’Eglise de tous les temps (cf. Jn 17,20).

La prière que Jésus fait pour lui-même est la demande de sa propre glorification, de son « élévation » à son « Heure ». En réalité c’est davantage qu’une demande et qu’une déclaration de pleine disponibilité à entrer, librement et généreusement, dans le dessein de Dieu le Père qui s’accomplit dans le fait de se remettre et dans la mort et la résurrection. Cette « Heure » a commencé avec la trahison de Judas (cf. Jn 13,31) et culminera dans la montée de Jésus ressuscité vers le Père (Jn 20,17). La sortie de Judas du cénacle est commentée par Jésus avec ces mots : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui » (Jn 13,31). Ce n’est pas par hasard qu’il commence la prière sacerdotale en disant : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie » (Jn 17,1). La glorification que Jésus demande pour lui-même, en tant que Grand Prêtre, c’est l’entrée dans une pleine obéissance au Père, une obéissance qui le conduit à la pleine condition filiale : « Toi, Père, glorifie-moi maintenant auprès de toi : donne-moi la gloire que j’avais auprès de toi avant le commencement du monde » (Jn 17,5). Cette disponibilité et cette requête sont le premier acte du sacerdoce nouveau de Jésus qui est un don de soi total sur la croix, et c’est sur la croix — l’acte d’amour suprême — qu’Il est glorifié, parce que l’amour est la gloire véritable, la gloire divine.

Le deuxième moment de cette prière est l’intercession de Jésus pour les disciples qui ont été avec Lui. Ces derniers sont ceux dont Jésus peut dire au Père : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. (Jn 17,6). « Manifester le nom de Dieu aux hommes » est la réalisation d’une présence nouvelle du Père au milieu du peuple, de l’humanité. Ce « manifester » n’est pas seulement un mot, mais c’est une réalité en Jésus ; Dieu est avec nous, et ainsi le nom — sa présence avec nous, être l’un de nous — est « réalisé ». Cette manifestation se réalise donc dans l’incarnation du Verbe. En Jésus, Dieu entre dans la chair humaine, il devient proche de manière unique et nouvelle. Et cette présence atteint son sommet dans le sacrifice que Jésus réalise dans sa Pâque de mort et de résurrection.

Au centre de cette prière d’intercession et d’expiation en faveur des disciples se trouve la demande de consécration ; Jésus dit au Père : « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Consacre-les par la vérité: ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité » (Jn 17,16-19). Je pose la question : que signifie « consacrer » dans ce cas ? Tout d’abord, il faut dire que le « Consacré », ou « Saint » n’est à proprement parler que Dieu. Consacrer veut donc dire transférer une réalité — une personne ou une chose — dans la propriété de Dieu. Et en cela sont présents deux aspects complémentaires : d’une part, ôter des choses communes, séparer, « mettre à part » du milieu de la vie personnelle de l’homme pour être totalement donnés à Dieu ; et de l’autre, cette séparation, ce transfert dans le domaine de Dieu, a précisément la signification d’« envoi », de mission : précisément parce qu’elle est donnée à Dieu, la réalité, la personne consacrée existe « pour » les autres, est donnée aux autres. Donner à Dieu signifie ne plus être pour soi-même, mais pour tous. Le consacré est celui qui, comme Jésus, est séparé du monde et mis à part pour Dieu, en vue d’un devoir et qui, précisément pour cette raison, est totalement à la disposition de tous. Pour les disciples, il s’agira de continuer la mission de Jésus, être donnés à Dieu pour être ainsi en mission pour tous. Le soir de Pâques, le Ressuscité, apparaissant à ses disciples, leur dira : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21).

Le troisième acte de cette prière sacerdotale étend le regard jusqu’à la fin des temps. Dans celle-ci, Jésus s’adresse au Père pour intercéder en faveur de tous ceux qui seront conduits à la foi grâce à la mission inaugurée par les apôtres et poursuivie dans l’histoire : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi ». Jésus prie pour l’Eglise de tous les temps, il prie également pour nous (Jn 17,20). Le Catéchisme de l’Eglise catholique commente : « Jésus a tout accompli de l’oeuvre du Père et sa prière, comme son Sacrifice, s’étend jusqu’à la consommation du temps. La prière de l’Heure emplit les derniers temps et les porte vers leur consommation » (n. 2749).

La requête centrale de la prière sacerdotale de Jésus dédiée à ses disciples de tous les temps est celle de la future unité de tous ceux qui croiront en Lui. Cette unité n’est pas un produit terrestre. Elle provient exclusivement de l’unité divine et nous parvient par le Père au moyen du Fils et dans l’Esprit Saint. Jésus invoque un don qui provient du Ciel, et qui a son effet — réel et perceptible — sur la terre. Il prie afin « que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21). L’unité des chrétiens est, d’une part, une réalité secrète qui est chère au coeur des personnes croyantes. Mais, dans le même temps, elle doit apparaître de façon très claire dans l’histoire, elle doit apparaître afin que le monde croie, elle a un objectif très pratique et concret, elle doit apparaître afin que tous soient réellement un. L’unité des futurs disciples, étant une unité avec Jésus — que le Père a envoyé dans le monde — est également la source originelle de l’efficacité de la mission chrétienne dans le monde.

Nous pouvons dire que dans la prière sacerdotale de Jésus se réalise l’institution de l’Eglise... C’est précisément ici, dans l’acte de la Dernière Cène, que Jésus crée l’Eglise. Car, qu’est-ce que l’Eglise, sinon la communauté des disciples qui, à travers la foi en Jésus Christ comme envoyé du Père, reçoit son unité et participe à la mission de Jésus de sauver le monde, en le conduisant à la connaissance de Dieu ? Nous trouvons ici réellement une véritable définition de l’Eglise. L’Eglise naît de la prière de Jésus. Et cette prière n’est pas seulement une parole : elle est l’acte dans lequel il « se consacre » lui-même et donc « se sacrifie pour la vie du monde » (cf. Jésus de Nazareth ii, 117sq.).

Jésus prie afin que ses disciples soient un. En vertu d’une telle unité, reçue et préservée, l’Eglise peut marcher « dans le monde » sans être « du monde » (cf. Jn 17,16) et vivre la mission qui lui a été confiée afin que le monde croie dans le Fils et dans le Père qui l’a envoyé. L’Eglise devient alors le lieu dans lequel se poursuit la mission même du Christ : conduire le « monde » hors de l’aliénation de l’homme à l’égard de Dieu et de lui-même, hors du péché, afin qu’il redevienne le monde de Dieu.

Chers frères et soeurs, nous avons examiné certains éléments de la grande richesse de la prière sacerdotale de Jésus, que je vous invite à lire et à méditer, afin qu’elle nous guide dans le dialogue avec le Seigneur, qu’elle nous enseigne à prier. Nous aussi alors, dans notre prière, nous demandons à Dieu qu’il nous aide à entrer, de façon plus pleine, dans le projet qu’il a sur chacun de nous; demandons-Lui d’être « consacrés » à Lui, de lui appartenir toujours plus, pour pouvoir toujours plus aimer les autres, ceux qui sont proches et ceux qui sont loin ; nous Lui demandons d’être toujours capables d’ouvrir notre prière aux dimensions du monde, en ne la renfermant pas dans la demande d’aide pour nos problèmes, mais en rappelant notre prochain devant le Seigneur, en apprenant la beauté d’intercéder pour les autres; demandons-Lui le don de l’unité visible entre tous les croyants dans le Christ — nous l’avons invoqué avec force au cours de cette Semaine de prière pour l’unité des chrétiens — prions afin d’être toujours prêts à répondre à quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous (cf. 1P 3,15). Merci.
* * *


Je salue les pèlerins francophones, particulièrement le groupe Notre Dame de l’Écoute de Paris. Chers amis, puisse la méditation de la Prière sacerdotale de Jésus nous aider à entrer, comme lui, dans le projet de Dieu sur nous et à élargir notre prière aux dimensions du monde. Demandons-lui de lui appartenir toujours plus pour pouvoir aimer les autres et témoigner de l’espérance qui est en nous. Bon pèlerinage à tous !





Salle Paul VI

Mercredi 1er février 2012

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Chers frères et soeurs,

aujourd’hui, je voudrais parler de la prière de Jésus à Gethsémani, au jardins des Oliviers. Le cadre du récit évangélique de cette prière est particulièrement significatif. Jésus se met en route vers le mont des Oliviers, après la Cène, tandis qu’il prie avec les disciples. L’évangéliste Marc raconte : «Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers» (14, 26). Il est fait probablement allusion au chant de certains Psaumes de l’hallèl à travers lesquels on rend grâce à Dieu pour avoir libéré le peuple de l’esclavage et l’on demande son aide pour les difficultés et les menaces toujours nouvelles du présent. Le parcours jusqu’à Gethsémani est constellé d’expressions de Jésus qui expriment son destin de mort qui se prépare et annoncent l’imminente dispersion des disciples.

Arrivés au domaine sur le Mont des Oliviers, cette nuit-là également, Jésus se prépare à la prière personnelle. Mais cette fois, a lieu quelque chose de nouveau: il semble qu’il ne veuille pas rester seul. Jésus se retirait souvent à l’écart de la foule et de ses disciples eux-mêmes, s’arrêtant dans « des lieux déserts » (cf.
Mc 1,35) ou gravissant « le mont » dit saint Marc (cf. Mc 6,46). A Gethsémani, en revanche, il invite Pierre, Jacques et Jean à être plus proches de lui. Ce sont les disciples qu’il a appelés à être avec Lui sur le mont de la Transfiguration (cf. Mc 9,2-13). Cette proximité des trois hommes lors de la prière à Gethsémani est significative. Cette nuit-là aussi, Jésus priera le Père « seul », car sa relation avec Lui est véritablement unique et particulier : c’est la relation du Fils unique. On dirait même que, surtout cette nuit-là, personne ne puisse véritablement s’approcher du Fils, qui se présente au Père dans son identité absolument unique, exclusive. Mais Jésus, bien qu’arrivant « seul » à l’endroit où il s’arrêtera pour prier, veut que trois disciples au moins demeurent non loin, dans une relation plus étroite avec Lui. Il s’agit d’une proximité physique, d’une demande de solidarité au moment où il sent s’approcher la mort, mais il s’agit surtout d’une proximité dans la prière pour exprimer d’une certaine façon l’harmonie avec Lui, au moment où il s’apprête à accomplir jusqu’au bout la volonté du Père, et il s’agit d’une invitation pour tous les disciples à le suivre sur le chemin de la Croix. L’Evangéliste Marc raconte : « Puis il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean, et commence à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit : “Mon âme est triste à mourir. Demeurez ici et veillez” » (14, 33-34).

Dans la parole qu’il adresse aux trois disciples, Jésus, une fois de plus, s’exprime à travers le langage des Psaumes : « Mon âme est triste », une expression du Psaume 43 (cf. Ps 43,5). La ferme détermination « jusqu’à la mort » rappelle ensuite une situation vécue par un grand nombre des envoyés de Dieu dans l’Ancien Testament et exprimée dans leur prière. En, effet, suivre la mission qui leur est confiée signifie souvent se heurter à l’hostilité, au refus, et à la persécution. Moïse ressent de façon dramatique l’épreuve qu’il subit tandis qu’il guide le peuple dans le désert, et dit à Dieu : « Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple: c’est un fardeau trop lourd pour moi. Si c’est ainsi que tu me traites, fais-moi plutôt mourir ! Ah! Si je pouvais trouver grâce à tes yeux et voir la fin de mon malheur !» (NM 11,14-15). Pour le prophète Elie non plus, il n’est pas facile d’accomplir le service à Dieu et à son peuple. Dans le premier Livre des Rois, il est écrit : « Quant à lui, il marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : “Maintenant, Seigneur, c’en est trop! Reprends ma vie: je ne vaux pas mieux que mes pères” » (19, 4).

Les paroles de Jésus aux trois disciples qu’il veut près de lui au cours de sa prière à Gethsémani, révèlent qu’Il éprouve frayeur et angoisse en cette « Heure », qu’il fait l’expérience pour la dernière fois de la solitude profonde, précisément alors que le dessein de Dieu se réalise. Et dans cette frayeur et cette angoisse de Jésus est concentrée toute l’horreur de l’homme face à sa propre mort, la certitude de son caractère inexorable et la perception du poids du mal qui pèse sur notre vie.

Après l’invitation à demeurer et à veiller dans la prière adressée aux trois disciples, Jésus s’adresse « seul » au Père. L’évangéliste Marc raconte que, « s’écartant un peu, il tombait à terre et priait pour que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui » (14, 35). Jésus tombe face contre terre : c’est une position de prière qui exprime l’obéissance à la volonté du Père, l’abandon confiant à Lui. C’est un geste qui se répète au début de la célébration de la Passion, le Vendredi Saint, ainsi que dans la profession monastique et dans les ordinations diaconale, sacerdotale et épiscopale, pour exprimer, dans la prière, également de façon physique, l’abandon total à Dieu, la confiance en Lui. Puis, Jésus demande au Père que, si cela était possible, cette heure s’éloigne de lui. Ce n’est pas seulement la frayeur et l’angoisse de l’homme face à la mort, mais c’est le bouleversement du Fils de Dieu qui voit le poids terrible du mal qu’il devra prendre sur Lui pour le surmonter, pour le priver de son pouvoir.

Chers amis, nous aussi dans la prière nous devons être capables d’apporter devant Dieu nos difficultés, la souffrance de certaines situations, de certaines journées, l’engagement quotidien à le suivre, à être chrétiens, ainsi aussi que le poids de mal que nous voyons en nous et autour de nous, pour qu’il nous donne espoir, qu’il nous fasse sentir qu’il est proche, qu’il nous offre un peu de lumière sur le chemin de la vie.

Jésus poursuit sa prière : « Abba... Père, tout est possible pour toi. Eloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14,36). Dans cette invocation il y a trois passages révélateurs. Au début, nous avons le redoublement du terme avec lequel Jésus s’adresse à Dieu : « Abba ! Père ! » (Mc 14,36). Nous savons que le mot araméen Abba est celui qui était utilisé par l’enfant pour s’adresser à son père et exprime ainsi la relation de Jésus avec Dieu le Père, une relation de tendresse, d’affection, de confiance, d’abandon. Dans la partie centrale de l’invocation, il y a un deuxième élément : la conscience de la toute-puissance du Père — « tout est possible pour toi » —, qui introduit une demande où, encore une fois, apparaît le drame de la volonté humaine de Jésus devant la mort et le mal : « Eloigne de moi cette coupe ». Mais il y a la troisième expression de la prière de Jésus et c’est elle qui est décisive, là où la volonté humaine adhère pleinement à la volonté divine. Jésus, en effet, conclut en disant avec force : « Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (). Dans l’unité de la personne divine du Fils, la volonté humaine trouve sa pleine réalisation dans l’abandon total du Moi au Toi du Père, appelé Abba. Saint Maxime le Confesseur affirme qu’à partir du moment de la création de l’homme et de la femme, la volonté humaine est orientée par la volonté divine et c’est précisément dans le « oui » à Dieu que la volonté humaine est pleinement libre et trouve sa réalisation. Malheureusement, à cause du péché, ce « oui » à Dieu s’est transformé en opposition : Adam et Eve ont pensé que le « non » à Dieu était le sommet de la liberté, signifiait être pleinement soi-même. Jésus sur le Mont des Oliviers ramène la volonté humaine au « oui » total à Dieu ; en Lui la volonté naturelle est pleinement intégrée dans l’orientation que lui donne la Personne Divine. Jésus vit son existence selon le centre de sa Personne : le fait d’être Fils de Dieu. Sa volonté humaine est attirée dans le Moi du Fils, qui s’abandonne totalement au Père. Ainsi, Jésus nous dit que ce n’est que dans la conformation de sa propre volonté à celle de Dieu, que l’être humain arrive à sa hauteur véritable, devient « divin » ; ce n’est qu’en sortant de lui, ce n’est que dans le «oui» à Dieu que se réalise le désir d’Adam, de nous tous, celui d’être complètement libres. C’est ce que Jésus accomplit au Gethsémani : en transférant la volonté humaine dans la volonté divine naît l’homme véritable, et nous sommes rachetés.

Le Compendium du catéchisme de l’Eglise catholique l’enseigne de manière synthétique: « Pendant l’agonie au Jardin de Gethsémani, ainsi que par les dernières paroles sur la Croix, la prière de Jésus révèle la profondeur de sa prière filiale. Jésus porte à son achèvement le dessein d’amour du Père et prend sur lui toutes les angoisses de l’humanité, toutes les demandes et les intercessions de l’histoire du salut. Il les présente au Père qui les accueille et les exauce au-delà de toute espérance, en le ressuscitant des morts » (n. 543). Véritablement « en aucun autre lieu de l’Ecriture Sainte nous ne pouvons scruter aussi profondément le mystère intérieur de Jésus comme dans la prière sur le Mont des Oliviers » (Jésus de Nazareth ii, p. 183).

Chers frères et soeurs, chaque jour dans la prière du Notre-Père nous demandons au Seigneur: « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Mt 6,10). C’est-à-dire que nous reconnaissons qu’il y a une volonté de Dieu avec nous et pour nous, une volonté de Dieu sur notre vie, qui doit devenir chaque jour davantage la référence de notre volonté et de notre être ; et nous reconnaissons que c’est au «ciel» que se fait la volonté de Dieu et que la « terre » devient « ciel », lieu de la présence de l’amour, de la bonté, de la vérité, de la beauté divine, uniquement si en elle est faite la volonté de Dieu. Dans la prière de Jésus au Père, dans cette nuit terrible et extraordinaire du Gethsémani, la « terre » est devenue « ciel », la « terre » de sa volonté humaine, mue par la peur et par l’angoisse, a été assumée par sa volonté divine, si bien que la volonté de Dieu s’est accomplie sur la terre. Et cela est important aussi dans notre prière : nous devons apprendre à nous en remettre davantage à la Providence divine, demander à Dieu la force de sortir de nous-même pour lui renouveler notre « oui », pour lui répéter « que ta volonté soit faite », pour conformer notre volonté à la sienne. C’est une prière que nous devons faire quotidiennement, parce qu’il n’est pas toujours facile de nous en remettre à la volonté de Dieu, répéter le « oui » de Jésus, le « oui » de Marie. Les récits évangéliques du Gethsémani montre douloureusement que les trois disciples, choisis par Jésus pour être à ses côtés, ne furent pas capables de veiller avec Lui, de partager sa prière, son adhésion au Père et furent emportés par le sommeil. Chers amis demandez au Seigneur d’être capables de veiller avec Lui en prière, de suivre la volonté de Dieu chaque jour même s’il parle de la Croix, de vivre dans une intimité toujours plus grande avec le Seigneur, pour apporter sur cette « terre » un peu de « ciel » de Dieu. Merci.
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Je salue les pèlerins francophones, particulièrement le groupe du Collège du Sacré-Coeur d’Aix-en-Provence. Chers amis, dans la prière, n’hésitons pas à confier à Dieu ce qui fait notre vie, nos joies et nos soucis. Je vous invite à chercher en tout sa volonté, et à renouveler votre engagement à vivre en chrétien, en suivant Jésus, la lumière de notre vie. Avec ma bénédiction à tous, et particulièrement aux personnes consacrées, dont nous célébrerons la fête demain !





Salle Paul VI

Mercredi 8 février 2012


Catéchèses Benoît XVI 11112