Catéchèses Benoît XVI 8212

Mercredi 8 février 2012

8212

Chers frères et soeurs,

Je voudrais aujourd’hui réfléchir avec vous sur la prière de Jésus dans l’imminence de sa mort, en m’arrêtant sur ce que nous rapportent saint Marc et saint Matthieu. Les deux évangélistes rapportent la prière de Jésus mourant non seulement dans la langue grecque, dans laquelle leur récit est écrit, mais, en raison de l’importance de ces paroles, également dans un mélange d’hébreu et d’araméen. De cette manière, ils ont transmis non seulement le contenu, mais également le son que cette prière a eu sur les lèvres de Jésus : nous écoutons réellement les paroles de Jésus telles qu’elles étaient. Dans le même temps, ils nous ont décrit l’attitude des personnes présentes à la crucifixion, qui ne comprirent pas — ou ne voulurent pas comprendre — cette prière.

Saint Marc écrit, comme nous l’avons écouté : « Quand arriva l'heure de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusque vers trois heures. Et à trois heures, Jésus cria d'une voix forte : “Eloï, Eloï, lama sabactani ?”, ce qui veut dire : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?” » (15, 34). Dans la structure du récit, la prière, le cri de Jésus s’élève à la fin des trois heures de ténèbres qui, depuis midi jusqu’à trois heures de l’après-midi, tombèrent sur toute la terre. Ces trois heures d’obscurité sont, à leur tour, la continuation d’une période de temps précédente, également de trois heures, commencée avec la crucifixion de Jésus. L’évangéliste Marc, en effet, nous informe que : « Il était neuf heures lorsqu'on le crucifia » (cf. 15, 25). De l’ensemble des indications horaires du récit, les six heures de Jésus sur la croix sont articulées en deux parties chronologiquement équivalentes.

Pendant les trois premières heures, de neuf heures jusqu’à midi, ont lieu les moqueries des divers groupes de personnes, qui montrent leur scepticisme, qui affirment ne pas croire. Saint Marc écrit : « Les passants l'injuriaient » (15, 29) ; « de même, les chefs des prêtres se moquaient de lui avec les scribes » (15, 31) ; « même ceux qui étaient crucifiés avec lui l'insultaient » (15, 32). Pendant les trois heures suivantes, de midi « jusqu’à trois heures de l’après-midi », l’évangéliste parle seulement des ténèbres qui étaient descendues sur la terre ; l’obscurité occupe à elle seule toute la scène, sans aucune référence à des mouvements de personnages ou à des paroles. Quand Jésus s’approche toujours plus de la mort, il n’y a que l’obscurité qui tombe « sur toute la terre ». L’univers prend lui aussi part à cet événement : l’obscurité enveloppe les personnes et les choses, mais en ce moment de ténèbres également, Dieu est présent, il n’abandonne pas. Dans la tradition biblique, l’obscurité a une signification ambivalente : elle est le signe de la présence et de l’action du mal, mais également d’une mystérieuse présence et action de Dieu qui est capable de vaincre toutes les ténèbres. Dans le Livre de l’Exode, par exemple, nous lisons : « Je vais venir vers toi dans l'épaisseur de la nuée » (19, 9) ; et aussi : « le peuple resta à distance, mais Moïse s'approcha de la nuée obscure où Dieu était présent » (20, 21). Et dans les discours du Deutéronome, Moïse raconte : « La montagne était embrasée jusqu’en plein ciel — ciel obscurci de nuages ténébreux et retentissants » (4, 11) ; vous entendîtes « cette voix sortir des ténèbres, tandis que la montagne était en feu » (5, 23). Dans la scène de la crucifixion de Jésus, les ténèbres enveloppent la terre et sont des ténèbres de mort dans lesquelles le Fils de Dieu se plonge pour apporter la vie, à travers son acte d’amour.

Pour revenir au récit de saint Marc, devant les insultes des différentes catégories de personnes, devant l’obscurité qui tombe sur tout, au moment où il se trouve face à la mort, Jésus avec le cri de sa prière montre que, en même temps que le poids de la souffrance et de la mort dans lequel il semble qu’il y ait l’abandon, l’absence de Dieu, Il a la pleine certitude de la proximité du Père, qui approuve cet acte suprême d’amour, de don total de soi, bien que l’on n’entende pas, comme à d’autres moments, sa voix d’en-haut. En lisant les Evangiles, on s’aperçoit que dans d’autres passages importants de son existence terrestre, Jésus avait vu s’associer aux signes de la présence du Père et de l’approbation à son chemin d’amour, également la voix illuminante de Dieu. Ainsi, lors de l’événement qui suit le baptême au Jourdain, lorsque les cieux se déchirent, on avait entendu la parole du Père : « C'est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j'ai mis tout mon amour » (
Mc 1,11). Ensuite, lors de la transfiguration, au signe de la nuée s’était unie la parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le » (Mc 9,7). En revanche, à l’approche de la mort du Crucifié, le silence descend, on n’entend aucune voix, mais le regard d’amour du Père reste fixé sur le don d’amour du Fils.

Mais quelle est la signification de la prière de Jésus, de ce cri qu’il lance au Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », doute-t-il de sa mission, de la présence du Père ? Dans cette prière n’y a-t-il pas, précisément, la conscience d’avoir été abandonné ? Les paroles que Jésus adresse au Père sont le début du Psaume 22, dans lequel le Psalmiste manifeste à Dieu la tension entre le sentiment d’être laissé seul et la certitude de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Le Psalmiste prie : « Mon Dieu, j’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas ; même la nuit, je n’ai pas de repos. Toi, pourtant, tu es saint, toi qui habites les hymnes d’Israël ! » (vv. 3-4). Le Psalmiste parle même d’un « cri » pour exprimer toute la souffrance de sa prière face à Dieu apparemment absent: dans un moment d’angoisse, la prière devient un cri.

Et cela advient aussi dans notre relation avec le Seigneur: face aux situations les plus difficiles et les plus douloureuses, lorsque Dieu semble ne pas nous entendre, nous ne devons pas craindre de Lui confier tout le poids que nous portons dans notre coeur, nous ne devons pas avoir peur de crier vers Lui notre souffrance, nous devons être convaincus que Dieu est proche, même si en apparence il se tait.

Et répétant sur la croix précisément les paroles initiales du Psaume, « Eloï, Eloï, lama sabactani ? » — « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46), en criant les paroles du Psaume, Jésus prie au moment du dernier refus des hommes, au moment de l’abandon ; mais il prie, avec le Psaume, dans la conscience de la présence de Dieu le Père même en cette heure où il sent le drame humain de la mort. Mais en nous se fait jour une question : comment est-il possible qu’un Dieu aussi puissant n’intervienne pas pour soustraire son Fils à cette terrible épreuve ? Il est important de comprendre que la prière de Jésus n’est pas le cri de celui qui va au-devant de la mort avec désespoir, ni même le cri de celui qui sait avoir été abandonné. Jésus à ce moment-là fait sien le Psaume 22 tout entier, le Psaume du peuple d’Israël qui souffre, et de cette manière, il prend sur Lui non seulement la douleur de son peuple, mais aussi celle de tous les hommes qui souffrent en raison de l’oppression du mal et, dans le même temps, porte tout cela dans le coeur de Dieu lui-même dans la certitude que son cri sera exaucé dans la Résurrection : « Le cri dans l’extrême tourment est, en même temps, certitude de la réponse divine, certitude du salut – non seulement pour Jésus lui-même, mais pour les “multitudes” » (Jésus de Nazareth ii, p. 245). Dans cette prière de Jésus sont contenus l’extrême confiance et l’abandon entre les mains de Dieu, même lorsqu’il semble absent, même lorsqu’il semble rester silencieux, suivant un dessein qui nous est incompréhensible. Dans le Catéchisme de l’Eglise catholique nous lisons ceci : « Dans l’amour rédempteur qui l’unissait toujours au Père, il nous a assumé dans l’égarement de notre péché par rapport à Dieu au point de pouvoir dire en notre nom sur la croix : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné” » (n. 603). Sa souffrance est une souffrance en communion avec nous et pour nous, qui dérive de l’amour et porte déjà en elle la rédemption, la victoire de l’amour.

Les personnes présentes sous la croix de Jésus ne réussissent pas à comprendre et pensent que son cri est une supplique adressé à Elie. Dans une scène bouleversante, ils tentent de le faire boire pour prolonger sa vie et vérifier si Elie viendra vraiment à son secours, mais un hurlement puissant met fin à la vie terrestre de Jésus et à leur souhait. Au moment ultime, Jésus laisse son coeur exprimer sa douleur, mais il laisse apparaître, dans le même temps, le sens de la présence du Père et l’accord avec son dessein de salut de l’humanité. Nous aussi, nous nous trouvons toujours à nouveau face à l’« aujourd’hui » de la souffrance, du silence de Dieu — nous l’exprimons très souvent dans notre prière mais nous nous trouvons aussi face à l’« aujourd’hui de la Résurrection, de la réponse de Dieu qui a pris sur Lui nos souffrances, pour les porter avec nous et nous donner la ferme espérance qu’elles seront vaincues » (cf. Lett. enc. Spe salvi ).

Chers amis, dans la prière, nous portons à Dieu nos croix quotidienne, dans la certitude qu’Il est présent et qu’il nous écoute. Le cri de Jésus nous rappelle que, dans la prière, nous devons dépasser les barrières de notre « moi » et de nos problèmes et nous ouvrir aux besoins et aux souffrances des autres. Que la prière de Jésus mourant sur la Croix nous enseigne à prier avec amour pour tant de frères et soeurs qui sentent le poids de la vie quotidienne, qui vivent des moments difficiles, qui sont dans la douleur, qui ne reçoivent pas de parole de réconfort ; apportons tout cela au coeur de Dieu, pour qu’eux aussi puissent sentir l’amour de Dieu qui ne nous abandonne jamais. Merci.
* * *


Je salue les pèlerins francophones présents, particulièrement les paroissiens de Paris ainsi que les collégiens et les lycéens. Soyez sûrs de la présence et de l’amour de Dieu dans nos vies. Il écoute nos cris et répond à notre prière par l’espérance qui a surgi de la victoire de Jésus sur la mort et le mal. Je vous bénis de grand coeur !

Chers frères et soeurs,

Au cours des dernières semaines, une vague de froid et de gel s’est abattue sur certaines régions de l'Europe provoquant de graves difficultés et des dégâts importants, comme nous le savons. En manifestant ma proximité aux populations frappées par cet intense mauvais temps, j’invite à prier pour les victimes et leurs familles. J’encourage dans le même temps à la solidarité afin que les personnes victimes de ces tragiques événements soient secourues avec générosité.





Salle Paul VI

Mercredi 15 février 2012

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Chers frères et soeurs,

A notre école de prière, mercredi dernier, j’ai parlé de la prière de Jésus sur la Croix tirée du psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ». Je voudrais à présent continuer de méditer sur la prière de Jésus sur la croix, à l’approche de sa mort, je voudrais m’arrêter aujourd’hui sur le récit que nous rencontrons dans l’Evangile de saint Luc. L’évangéliste nous a transmis trois paroles de Jésus sur la croix, dont deux — la première et la troisième — sont des prières adressées de façon explicite au Père. La deuxième, en revanche, est constituée par la promesse faite à celui appelé le bon larron, crucifié avec Lui; en effet, répondant à la prière du larron, Jésus le rassure : « Amen, je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (
Lc 23,43). Dans le récit de Luc, se mêlent ainsi de façon suggestive les deux prières que Jésus mourant adresse au Père et la supplique qui lui est adressée par le pécheur repenti. Jésus invoque le Père et écoute la prière de cet homme qui est souvent appelé latro poenitens, « le larron repenti ».

Arrêtons-nous sur ces trois prières de Jésus. Il prononce la première immédiatement après avoir été cloué sur la croix, tandis que les soldats se partagent ses vêtements comme triste récompense de leur service. Dans un certain sens, c’est par ce geste que se conclut l’épisode de la crucifixion. Saint Luc écrit : « Lorsqu'on fut arrivé au lieu dit Le Crâne, ou Calvaire, on mit Jésus en croix, avec les deux malfaiteurs, l'un à droite et l'autre à gauche. Jésus disait : “Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu'ils font”. Ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort » (23, 33-34). La première prière que Jésus adresse au Père est d’intercession: il demande le pardon pour ses bourreaux. Par cela, Jésus accomplit en première personne ce qu’il avait enseigné dans le discours de la montagne, lorsqu’il avait dit : « Je vous le dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6,27) et qu’il avait également promis à ceux qui savent pardonner : « Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Dieu très-haut » (v. 35). A présent, sur la croix, non seulement il pardonne ses bourreaux, mais il s’adresse directement au Père en intercédant en leur faveur.

Cette attitude de Jésus trouve une «imitation» émouvante dans le récit de la lapidation de saint Etienne, premier martyr. En effet, Etienne, désormais proche de la fin, « se mit à genoux et s'écria d'une voix forte : “Seigneur, ne leur compte pas ce péché”. Et, après cette parole, il s'endormit dans la mort » (Ac 7,60) : tels ont été ses derniers mots. La comparaison entre la prière de pardon de Jésus et celle du protomartyr est significative. Saint Etienne s’adresse au Seigneur ressuscité et demande que sa mise à mort — un geste clairement défini à travers l’expression « ce péché » — ne soit pas imputée à ses lapidateurs. Jésus s’adresse au Père sur la croix et demande non seulement le pardon pour ceux qui l’ont crucifié, mais il offre également une lecture de ce qui s’est passé. En effet, selon ses paroles, les hommes qui le crucifient « ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,24). Il invoque donc l’ignorance, le fait de « ne pas savoir » comme motif de la demande de pardon au Père, car cette ignorance laisse ouvert le chemin de la conversion, comme il advient d’ailleurs dans les paroles que prononcera le centurion à la mort de Jésus : « Sûrement, cet homme, c'était un juste » (v. 47), c’était le Fils de Dieu. « Il est une consolation pour tous les temps et pour tous les hommes que, aussi bien à ceux qui ignorent — les bourreaux —, qu’à ceux qui savent — ceux qui l’avaient condamné —, le Seigneur fasse de leur ignorance la base de la demande de pardon. il la voit comme une porte qui peut nous ouvrir à la conversion » (Jésus de Nazareth, ii).

La deuxième parole de Jésus sur la croix rapportée par saint Luc est une parole d’espérance, c’est la réponse à la prière d’un des deux hommes crucifiés avec Lui. Le bon larron en présence de Jésus rentre en lui-même et se repent, il se rend compte qu’il se trouve devant le Fils de Dieu, qui rend visible le Visage même de Dieu, et il le prie : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne » (v. 42). La réponse du Seigneur à cette prière va bien au-delà de sa requête ; en effet il lui dit : « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (v. 43). Jésus est conscient d’entrer directement dans la communion avec le Père et de rouvrir à l’homme la voie pour le Paradis de Dieu. Ainsi, à travers cette réponse il donne la ferme espérance que la bonté de Dieu peut nous toucher même au dernier instant de la vie et la prière sincère, même après une vie d’erreur, trouve les bras ouverts du Père bon qui attend le retour du fils.

Mais arrêtons-nous sur les derniers mots de Jésus mourant. L’Evangéliste raconte : « Il était déjà presque midi ; l’obscurité se fit dans tout le pays jusqu’à trois heures, car le soleil s’était caché. Le rideau du Temple se déchira par le milieu. Alors, Jésus poussa un grand cri : “Père, entre tes mains je remets mon esprit”. Et après avoir dit cela, il expira » (vv. 44-46). Certains aspects de cette narration sont différents par rapport au cadre offert par Marc et par Matthieu. Les trois heures d’obscurité chez Marc ne sont pas décrites, tandis que chez Matthieu, elles sont reliées à une série d’événements apocalyptiques, comme le tremblement de terre, l’ouverture des sépulcres, les morts qui ressuscitent (cf. Mt 27,51-53). Chez Luc, les heures d’obscurité ont pour cause l’éclipse du soleil mais, à ce moment-là, il advient aussi que le rideau du temple se déchire. Ainsi, le récit de Luc présente deux signes, d’une certaine manière parallèles, dans le ciel et dans le temple. Le ciel perd sa lumière, la terre s’effondre, tandis que dans le temple, lieu de la présence de Dieu, se déchire le voile qui protège le sanctuaire. La mort de Jésus est caractérisée explicitement comme un événement cosmique et liturgique; en particulier, elle marque le début d’un nouveau culte, dans un temple qui n’est pas construit par les hommes, parce qu’il est le Corps lui-même de Jésus mort et ressuscité, qui réunit les peuples et les unit au sacrement de son Corps et de son Sang.

La prière de Jésus, en ce moment de souffrance — « Père, entre tes mains je remets mon esprit » — est un cri puissant de confiance extrême et totale à Dieu. Cette prière exprime la pleine conscience de ne pas être abandonné. L’invocation initiale — « Père » — rappelle sa première déclaration d’enfant à douze ans. Lorsque que pendant trois jours il était resté dans le temple de Jérusalem, dont le voile s’est à présent déchiré. Et lorsque ses parents lui avaient exprimé leur inquiétude, il avait répondu : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être » (Lc 2,49). Du début jusqu’à la fin, ce qui détermine complètement la sensibilité de Jésus, sa parole, son action, c’est la relation unique avec le Père. Sur la croix, il vit pleinement, dans l’amour, cette relation filiale avec Dieu, qui anime sa prière.

Les paroles prononcées par Jésus, après l’invocation « Père », reprennent une expression du Psaume 31 : « En tes mains je remets mon esprit » (Ps 31,6). Mais ces paroles ne sont pas une simple citation, elles manifestent plutôt une ferme décision : Jésus « se remet » au Père dans un acte d’abandon total. Ces paroles sont une prière d’« offrande », pleine de confiance dans l’amour de Dieu. La prière de Jésus face à la mort est dramatique comme elle l’est pour chaque homme, mais, dans le même temps, elle est parcourue par ce calme profond qui naît de la confiance dans le Père et de la volonté de se remettre totalement à Lui. A Gethsémani, alors qu’il était entré dans la lutte finale et dans la prière plus intense et qu’il allait être « livré aux mains des hommes » (Lc 9,44), sa sueur était devenue « comme des gouttes de sang qui tombaient jusqu'à terre » (Lc 22,44). Mais son coeur était pleinement obéissant à la volonté du Père, et c’est pourquoi « un ange du ciel » était venu le réconforter (cf. Lc 22,42-43). A présent, pendant les derniers instants, Jésus s’adresse au Père en disant quelles sont réellement les mains auxquelles Il remet toute son existence. Avant son départ pour le voyage vers Jérusalem, Jésus avait insisté avec ses disciples : « Mettez-vous bien en tête ce que je vous dis là : le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes » (Lc 9,44). Alors que la vie va le quitter, Il scelle dans la prière sa dernière décision : Jésus s’est laissé livrer « aux mains des hommes », mais c’est dans les mains du Père qu’Il remet son esprit ; ainsi — comme l’affirme l’évangéliste Jean — tout est accompli, l’acte suprême d’amour est accompli jusqu’au bout, jusqu’à la limite et au-delà de la limite.

Chers frères et soeurs, les paroles de Jésus sur la croix lors des derniers instants de sa vie terrestre offrent des indications exigeantes pour notre prière, mais elles l’ouvrent également à une confiance sereine et à une ferme espérance. Jésus qui demande au Père de pardonner ceux qui le crucifient, nous invite au geste difficile de prier également pour ceux qui nous font du tort, qui nous ont porté atteinte, en sachant toujours pardonner, afin que la lumière de Dieu puisse illuminer leur coeur ; et il nous invite à vivre, dans notre prière, la même attitude de miséricorde et d’amour dont Dieu fait preuve à notre égard : « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés », disons-nous chaque jour dans le « Notre Père ». Dans le même temps, Jésus, qui au moment extrême de la mort se remet totalement entre les mains de Dieu le Père, nous communique la certitude que, pour autant que les épreuves soient dures, les problèmes difficiles, la souffrance lourde, nous ne tomberons jamais en-dehors des mains de Dieu, ces mains qui nous ont créés, qui nous soutiennent et qui nous accompagnent sur le chemin de l’existence, car elles sont guidées par un amour infini et fidèle. Merci
* * *


Je salue les pèlerins francophones, particulièrement le groupe de l’Institut Catholique de Toulouse, les paroissiens, et les collégiens et lycéens présents ici ce matin. Que l’exemple de Jésus fortifie votre confiance en l’amour du Père pour chacun de vous ! Comme nous le demandons dans la prière du Notre Père, apprenons de lui à pardonner afin que la lumière de Dieu puisse éclairer le monde. Bon séjour à tous !





Salle Paul VI

Mercredi 22 février 2012

22212

Mercredi des Cendres

Chers frères et soeurs,

Au cours de cette catéchèse, je voudrais m’arrêter brièvement sur le temps de carême, qui commence aujourd’hui par la liturgie du mercredi des cendres. Il s’agit d’un itinéraire de quarante jours qui conduira au Triduum pascal, mémoire de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, le coeur du mystère de notre salut. Pendant les premiers siècles de vie de l’Eglise, c’était le temps au cours duquel ceux qui avaient entendu et accueilli l’annonce du Christ commençaient, peu à peu, leur chemin de foi et de conversion pour arriver à recevoir le sacrement du Baptême. Il s’agissait d’une occasion de s’approcher du Dieu vivant, d’une initiation à la foi à accomplir graduellement, à travers un changement intérieur de la part des catéchumènes, c’est-à-dire de ceux qui désiraient devenir chrétiens et être incorporés au Christ et à l’Eglise.

Par la suite, les pénitents puis tous les fidèles furent également invités à vivre cet itinéraire de renouveau spirituel, pour conformer toujours plus leur existence à celle du Christ. La participation de la communauté tout entière aux divers passages de l’itinéraire quadragésimal souligne une dimension importante de la spiritualité chrétienne: c’est la rédemption non pas de quelques-uns, mais de tous, qui est disponible grâce à la mort et à la résurrection du Christ. C’est pourquoi, tant ceux qui parcouraient un chemin de foi comme catéchumènes pour recevoir le baptême, que ceux qui s’étaient éloignés de Dieu et de la communauté de la foi et cherchaient la réconciliation, ou encore ceux qui vivaient la foi en pleine communion avec l’Eglise, tous ensemble savaient que le temps qui précède Pâques est un temps de metanoia, c’est-à-dire de changement intérieur, de repentir; le temps qui identifie notre vie humaine et toute notre histoire comme un processus de conversion qui se met en mouvement à présent pour rencontrer le Seigneur à la fin des temps.

A travers une expression devenue typique dans la liturgie, l’Eglise appelle la période dans laquelle nous sommes entrés aujourd’hui «quadragésimale» c’est-à-dire un temps de quarante jours et, à travers une référence claire à l’Ecriture Sainte, elle nous introduit ainsi dans un contexte spirituel précis. Quarante est en effet le nombre symbolique par lequel l’Ancien et le Nouveau Testament représentent les moments les plus importants de l’expérience de la foi du Peuple de Dieu. Il s’agit d’un nombre qui exprime le temps de l’attente, de la purification, du retour au Seigneur, de la conscience que Dieu est fidèle à ses promesses. Ce nombre ne représente pas un temps chronologique exact, marqué par la somme des jours. Il indique plutôt une persévérance patiente, une longue épreuve, une période suffisante pour voir les oeuvres de Dieu, un temps dans les limites duquel il faut se décider à assumer ses responsabilités sans plus de retard. C’est le temps des décisions mûres.

Le nombre quarante apparaît avant tout dans l’histoire de Noé. Cet homme juste, à cause du déluge, passe quarante jours et quarante nuits dans l’arche, avec sa famille et les animaux que Dieu lui avait dit d’emporter avec lui. Il attend quarante jours, après le déluge, avant de toucher la terre ferme, sauvée de la destruction (cf.
Gn 7,4 Gn 7,12 Gn 8,6). Puis la prochaine étape: Moïse demeure sur le mont Sinaï, en présence du Seigneur, quarante jours et quarante nuits, pour recevoir la Loi. Au cours de ce temps, il jeûne (cf. Ex Ex 24,18). Quarante est le nombre d’années de voyage du peuple juif, d’Egypte à la Terre promise, un temps adapté pour faire l’expérience de la fidélité de Dieu. «Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t'a fait faire pendant 40 ans... Le vêtement que tu portais ne s'est pas usé et ton pied n'a pas enflé, au cours de ces 40 ans!» dit Moïse dans le Deutéronome à la fin de ces quarante ans de migration (Dt 8,24). Les années de paix dont jouit Israël sous les juges sont quarante (cf. Jg Jg 3,11 Jg Jg 3,30), mais, passé ce temps, commence l’oubli des dons de Dieu et le retour au péché. Le prophète Elie met quarante jours à atteindre le Horeb, le mont où il rencontre Dieu (cf. 1R 19,8). Quarante est également le nombre de jours au cours desquels les citoyens de Ninive font pénitence pour obtenir le pardon de Dieu (cf. Gn 3,4). Quarante est également le nombre d’années de règne de Saül (cf. Ac 13,21), de David (cf. 2S 5,4-5) et de Salomon (cf. 1R 11,41), les trois premiers rois d’Israël. Les psaumes réfléchissent eux aussi sur la signification biblique des quarante ans, comme par exemple le Psaume 95, dont nous avons entendu un passage: «Aujourd'hui si vous écoutiez sa voix! “N'endurcissez pas vos coeurs comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m'éprouvaient, me tentaient, alors qu'ils me voyaient agir! 40 ans cette génération m'a dégoûté et je dis: Toujours ces coeurs errants, ces gens-là n'ont pas connu mes voies”» (vv. 7c-10).

Dans le Nouveau Testament, avant de commencer sa vie publique, Jésus se retire dans le désert pendant quarante jours, sans manger ni boire (cf. Mt 4,2): il se nourrit de la Parole de Dieu, qu’il utilise comme une arme pour vaincre le diable. Les tentations de Jésus rappellent celles que le peuple juif affronta dans le désert, mais qu’il ne sut pas vaincre. Quarante est le nombre de jours au cours desquels Jésus ressuscité instruit les siens, avant de monter au Ciel et d’envoyer l’Esprit Saint (cf. Ac 1,3).

Avec ce chiffre récurrent de quarante est décrit un contexte spirituel qui reste actuel et valable, et l’Eglise, précisément au moyen des jours de la période quadragésimale, entend en conserver la valeur durable et la mettre à profit. La liturgie chrétienne du Carême a pour but d’encourager un chemin de renouveau spirituel, à la lumière de cette longue expérience biblique et surtout d’apprendre à imiter Jésus qui, pendant les quarante jours passés dans le désert, enseigna à vaincre la tentation avec la Parole de Dieu. Les quarante ans de la pérégrination d’Israël dans le désert présentent des attitudes et des situations ambivalentes. D’une part, ils sont la saison du premier amour avec Dieu et entre Dieu et son peuple, quand Il parlait à son coeur, en lui indiquant sans cesse la route à parcourir. Dieu avait établi, pour ainsi dire, sa demeure au milieu d’Israël, il le précédait à l’intérieur d’un nuage ou d’une colonne de feu, il pourvoyait chaque jour à sa nourriture en faisant descendre la manne et en faisant jaillir l’eau de la roche. Les années passées par Israël dans le désert peuvent donc être vues comme le temps de l’élection spéciale de Dieu et de l’adhésion du peuple à Lui: le temps du premier amour. D’autre part, la Bible montre également une autre image de la pérégrination d’Israël dans le désert: c’est aussi le temps des tentations et des dangers les plus grands, quand Israël murmure contre son Dieu et voudrait revenir au paganisme et se construit ses propres idoles, car il ressent l’exigence de vénérer un Dieu plus proche et plus tangible. C’est également le temps de la rébellion contre le Dieu grand et invisible.

Cette ambivalence, temps de la proximité particulière de Dieu — temps du premier amour —, et temps de la tentation — la tentation du retour au paganisme —, nous la retrouvons de manière surprenante dans le chemin terrestre de Jésus, naturellement sans aucun compromis avec le péché. Après le baptême de pénitence dans le Jourdain, lors duquel il assume le destin du Serviteur de Dieu qui renonce à lui-même et qui vit pour les autres et se place parmi les pécheurs pour prendre sur lui le péché du monde, Jésus se rend dans le désert pour y rester quarante jours en profonde union avec le Père, répétant ainsi l’histoire d’Israël, tous ces rythmes de quarante jours ou années que j’ai mentionnés. Cette dynamique est une constante dans la vie terrestre de Jésus, qui recherche toujours des moments de solitude pour prier son Père et rester en communion intime, en intime solitude avec Lui, en communion exclusive avec Lui, et ensuite revenir parmi les personnes. Mais pendant ce temps de «désert» et de rencontre spéciale avec le Père, Jésus se trouve exposé au danger et est assailli par la tentation et par la séduction du Malin, qui lui propose une vie messianique différente, éloignée du projet de Dieu, car elle passe à travers le pouvoir, le succès, la domination et non à travers le don total sur la Croix. L’alternative est la suivante: un messianisme de pouvoir, de succès, ou un messianisme d’amour, de don de soi.

Cette situation d’ambivalence décrit également la condition de l’Eglise en chemin dans le «désert» du monde et de l’histoire. Dans ce «désert», nous croyants avons certainement l’opportunité d’accomplir une profonde expérience de Dieu qui rend l’esprit fort, qui confirme la foi, nourrit l’espérance, anime la charité; une expérience qui nous fait participer à la victoire du Christ sur le péché et sur la mort à travers le sacrifice d’amour sur la Croix. Mais le «désert» est également l’aspect négatif de la réalité qui nous entoure: l’aridité, la pauvreté de paroles de vie et de valeurs, le sécularisme et la culture matérialiste, qui enferment la personne dans l’horizon terrestre de l’existence en l’éloignant de toute référence à la transcendance. Tel est également le milieu où le ciel au- dessus de nous est obscur, car il est assombri par les nuages de l’égoïsme, de l’incompréhension et de la tromperie. Malgré cela, pour l’Eglise d’aujourd’hui aussi, le temps du désert peut se transformer en temps de grâce, car nous avons la certitude que du roc le plus dur Dieu peut aussi faire jaillir l’eau vive qui désaltère et restaure.

Chers frères et soeurs, au cours de ces quarante jours qui nous conduiront à la Pâque de résurrection, nous pouvons retrouver un nouveau courage pour accepter avec patience et avec foi chaque situation de difficulté, de tristesse et d’épreuve, dans la conscience que des ténèbres le Seigneur fera naître le jour nouveau. Et si nous avons été fidèles à Jésus, en le suivant sur la voie de la Croix, le monde clair de Dieu, le monde de la lumière, de la vérité et de la joie nous sera comme redonné: ce sera l’aube nouvelle créée par Dieu lui-même. Bon chemin de carême à vous tous.
* * *


Je salue les pèlerins francophones, particulièrement les paroissiens et les collégiens et lycéens présents ici ce matin. Que le temps du Carême vous permette de voir combien Dieu est à l’oeuvre aujourd’hui dans le monde et dans l’Église. C’est un temps privilégié pour comprendre et assumer notre responsabilité de chrétien, pour faire les bons choix en étant fidèle aux engagements de notre baptême. Bon Carême et bon séjour à tous !





Place Saint-Pierre

Mercredi 7 mars 2012


Catéchèses Benoît XVI 8212