Catéchèses Benoît XVI 7312

Mercredi 7 mars 2012

7312

Chers frères et soeurs,

Dans une série de catéchèses précédentes, j’ai parlé de la prière de Jésus et je ne voudrais pas conclure cette réflexion sans m’arrêter brièvement sur le thème du silence de Jésus, si important dans la relation avec Dieu.

Dans l’Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, j’avais fait référence au rôle que le silence assume dans la vie de Jésus, surtout sur le Golgotha : « Nous nous trouvons ici face au “langage de la croix” (
1Co 1,18). Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s’est “dit” jusqu’à se taire, ne conservant rien de ce qu’il devait communiquer » (n. 12). Face à ce silence de la croix, saint Maxime le Confesseur place sur les lèvres de la Mère de Dieu l’expression suivante : « Elle est sans parole, la Parole du Père, qui a fait toute créature qui parle; sans vie sont les yeux éteints de celui dont la moindre parole et le moindre geste fait mouvoir tout ce qui est en vie » (La vie de Marie, n. 89 : Testi mariani del primo millennio, 2, Rome 1989, p. 253).

La croix du Christ ne montre pas seulement le silence de Jésus comme sa dernière parole au Père, mais elle révèle aussi que Dieu parle à travers le silence : « Le silence de Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puissant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel silence lui causait : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” (Mc 15,34 Mt 27,46). Persévérant dans l’obéissance jusqu’à son dernier souffle de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus a invoqué le Père. C’est à Lui qu’il s’en remet au moment du passage, à travers la mort, à la vie éternelle : “Père, entre tes mains je remets mon esprit” (Lc 23,46) » (Exhort. ap. Post-syn. Verbum Domini, n. 21). L’expérience de Jésus sur la croix est profondément révélatrice de la situation de l’homme qui prie et du sommet de l’oraison : après avoir écouté et reconnu la Parole de Dieu, nous devons nous mesurer aussi au silence de Dieu, expression importante de la Parole divine elle-même.

La dynamique de la parole et du silence, qui marque la prière de Jésus dans toute son existence terrestre, surtout sur la croix, touche aussi notre vie de prière dans deux directions.

La première est celle qui concerne l’accueil de la Parole de Dieu. Le silence intérieur et extérieur est nécessaire pour que cette parole puisse être entendue. Et c’est un point particulièrement difficile pour nous à notre époque. En effet, notre époque ne favorise pas le recueillement et l'on peut même avoir parfois l’impression qu’il existe une peur de se détacher, même pour un instant, du fleuve de paroles et d’images qui marquent et remplissent les journées. C’est pourquoi dans l’Exhortation Verbum Domini que j’ai déjà mentionnée, j’ai rappelé la nécessité de s’éduquer à la valeur du silence : « Redécouvrir le caractère central de la Parole de Dieu dans la vie de l’Eglise veut dire redécouvrir le sens du recueillement et de la paix intérieure. La grande tradition patristique nous enseigne que les mystères du Christ sont liés au silence; par lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure, comme chez Marie, qui est inséparablement la femme de la Parole et du silence » (n. 66). Ce principe — que sans le silence, on n’entend pas, on n’écoute pas, on ne reçoit pas une parole — vaut surtout pour la prière personnelle, mais aussi pour nos liturgies : pour faciliter une écoute authentique, elles doivent être aussi riches de moments de silence et d’accueil sans parole. La remarque de saint Augustin est toujours valable Verbo crescente, verba deficiunt — « Quand le Verbe de Dieu augmente, les paroles de l’homme manquent » (cf. Sermons 288,5 : pl 38, 1307 ; Sermons 120, 2 : pl 38,677). Les Evangiles présentent souvent, surtout au moment de choix décisifs, Jésus qui se retire seul dans un lieu à l’écart de la foule et de ses propres disciples pour prier dans le silence et vivre sa relation filiale avec Dieu. Le silence est capable de creuser un espace intérieur au plus profond de nous-mêmes, pour y faire habiter Dieu, pour que sa Parole demeure en nous, pour que l’amour pour Lui s’enracine dans notre esprit et notre coeur, et anime notre vie. La première direction est donc de réapprendre le silence, l’ouverture pour l’écoute, qui nous ouvre à l’autre, à la Parole de Dieu.

Il existe toutefois également une deuxième relation importante entre le silence et la prière. En effet, il n’existe pas seulement notre silence pour nous disposer à l’écoute de la Parole de Dieu. Souvent, dans notre prière, nous nous trouvons face au silence de Dieu, nous éprouvons presque un sentiment d’abandon, il nous semble que Dieu n’écoute pas et ne répond pas. Mais ce silence de Dieu, comme cela a été le cas également pour Jésus, n’exprime pas son absence. Le chrétien sait bien que le Seigneur est présent et écoute, même dans l’obscurité de la douleur, du refus et de la solitude. Jésus rassure ses disciples et chacun de nous que Dieu connaît bien nos nécessités à tout moment de notre vie. Il enseigne aux disciples : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l'ayez demandé » (Mt 6,7-8) : un coeur attentif, silencieux, ouvert est plus important que de nombreuses paroles. Dieu nous connaît intimement, plus que nous-mêmes, et nous aime : savoir cela doit être suffisant. Dans la Bible, l’expérience de Job est particulièrement significative à ce propos. En peu de temps, cet homme perd tout : sa famille, ses biens, ses amis, sa santé : il semble véritablement que l’attitude de Dieu envers lui soit celle de l’abandon, du silence total. Pourtant Job, dans sa relation avec Dieu, parle avec Dieu, crie à Dieu ; dans sa prière, en dépit de tout, il conserve intacte sa foi et, à la fin, il découvre la valeur de son expérience et du silence de Dieu. Et ainsi, à la fin, s’adressant au Créateur, il peut conclure : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (Jb 42,5) : nous connaissons presque tous Dieu uniquement par ouï-dire et plus nous sommes ouverts à son silence et à notre silence, plus nous commençons à le connaître véritablement. Cette extrême confiance qui s’ouvre à la rencontre profonde avec Dieu a mûri dans le silence. Saint François-Xavier priait en disant au Seigneur : je t’aime non parce que tu peux me donner le paradis ou me condamner à l’enfer, mais parce que tu es mon Dieu. Je t’aime parce que tu es Toi ».

En nous approchant de la conclusion des réflexions sur la prière de Jésus, nous reviennent à l’esprit certains enseignements du Catéchisme de l’Eglise catholique : « Le drame de la prière nous est pleinement révélé dans le Verbe qui s’est fait chair et qui demeure parmi nous. Chercher à comprendre sa prière, à travers ce que ses témoins nous en annoncent dans l’Evangile, c’est nous approcher du Saint Seigneur Jésus comme du Buisson ardent : d’abord le contempler lui-même en prière, puis écouter comment il nous enseigne à prier, pour connaître enfin comment il exauce notre prière » (n. 2598). Et comment Jésus nous enseigne-t-il à prier? Dans le Compendium du catéchisme de l’Eglise catholique, nous trouvons une réponse claire : « Jésus nous enseigne à prier non seulement avec la prière du Notre Père » — certainement l’acte central de l’enseignement sur la façon de prier — « mais aussi quand il est en prière. De cette manière, en plus du contenu de la prière, il nous enseigne les dispositions requises pour une prière vraie: la pureté du coeur qui cherche le Royaume et qui pardonne à ses ennemis, la confiance audacieuse et filiale qui va au-delà de ce que nous ressentons et comprenons, la vigilance qui protège le disciple de la tentation » (n. 544).

En parcourant les Evangiles, nous avons vu que le Seigneur est, pour notre prière, un interlocuteur, un ami, un témoin et un maître. En Jésus se révèle la nouveauté de notre dialogue avec Dieu : la prière filiale, que le Père attend de ses enfants. Et nous apprenons de Jésus que la prière constante nous aide à interpréter notre vie, à effectuer nos choix, à reconnaître et à accueillir notre vocation, à découvrir les talents que Dieu nous a donnés, à accomplir quotidiennement sa volonté, unique voie pour réaliser notre existence.

A nous, qui sommes souvent préoccupés par l’efficacité concrète et les résultats concrets que nous obtenons, la prière de Jésus indique que nous avons besoin de nous arrêter, de vivre des moments d’intimité avec Dieu, « en nous détachant » du vacarme de chaque jour, pour écouter, pour aller à la « racine » qui soutient et nourrit la vie. Un des moments les plus beaux de la prière de Jésus est précisément quand, pour affronter les maladies, les difficultés et les limites de ses interlocuteurs, il s’adresse à son Père en prière et enseigne ainsi à ceux qui sont autour de lui où chercher la source pour obtenir l’espérance et le salut. J’ai déjà rappelé, comme un exemple émouvant, la prière de Jésus devant la tombe de Lazare. L’évangéliste Jean raconte : « On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : “Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je savais bien moi que tu m’exauces toujours; mais si j’ai parlé, c’est pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé”. Après cela il cria d’une voix forte : “Lazare, viens dehors !” » (Jn 11,41-43). Mais Jésus atteint le point qui possède la plus grande profondeur dans la prière au Père, au moment de sa Passion et de sa Mort, où il prononce le « oui » extrême au projet de Dieu et montre que la volonté humaine trouve son accomplissement précisément dans la pleine adhésion à la volonté divine et non dans l’opposition. Dans la prière de Jésus, dans son cri au Père sur la croix, se rejoignent « toutes les détresses de l’humanité de tous les temps, esclave du péché et de la mort, toutes les demandes et les intercessions de l’histoire du salut... Voici que le Père les accueille et, au-delà de toute espérance, les exauce en ressuscitant son Fils. Ainsi s’accomplit et se consomme le drame de la prière dans l’économie de la création et du salut » (Catéchisme de l’Eglise catholique, CEC 2606).
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Chers frères et soeurs, je désire à présent saluer, avec une affection fraternelle, Sa Béatitude Nerses Bedros XIX Tarmouni, patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques, et les évêques venus à Rome de divers continents pour la célébration du synode. Je leur exprime ma sincère gratitude pour la fidélité au patrimoine de leur vénérable tradition chrétienne et au Successeur de l’Apôtre Pierre, une fidélité qui les a toujours soutenus dans les innombrables épreuves de l’histoire. J’accompagne par ma prière fervente et ma Bénédiction apostolique les travaux synodaux, en souhaitant qu’ils puissent favoriser encore plus la communion et l’entente entre les pasteurs, de manière à ce qu’ils sachent guider avec un élan évangélique renouvelé les catholiques arméniens sur les sentiers d’un témoignage généreux et joyeux au Christ et à l’Eglise. Alors que je confie le Synode arménien à l’intercession maternelle de la Très Sainte Mère de Dieu, j’étends ma pensée dans la prière aux régions du Moyen-Orient, en encourageant les pasteurs et tous les fidèles à persévérer avec espérance face aux graves souffrances qui frappent ces chères populations.

Le Seigneur vous bénisse.

Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les diacres et les jeunes prêtres, et les jeunes présents. Jésus nous enseigne la nécessité de rompre avec nos préoccupations d’efficacité et de résultats pour vivre des moments d’intimité avec Dieu. Puisse ce carême vous aider à découvrir la valeur du silence. Il est la source qui soutient et nourrit notre vie.
Avec ma bénédiction pour vous tous !





Place Saint-Pierre

Mercredi 14 mars 2012

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Chers frères et soeurs,

Avec la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais commencer à parler de la prière dans les Actes des Apôtres et dans les Lettres de saint Paul. Saint Luc nous a remis, comme nous le savons, l’un des quatre Evangiles, consacré à la vie terrestre de Jésus, mais il nous a également laissé ce qui a été défini comme le premier livre sur l’histoire de l’Eglise, c’est-à-dire les Actes des Apôtres. Dans ces deux livres, l’un des éléments récurrents est précisément la prière, de celle de Jésus à celle de Marie, des disciples, des femmes et de la communauté chrétienne. Le chemin initial de l’Eglise est rythmé avant tout par l’action de l’Esprit Saint, qui transforme les Apôtres en témoins du Ressuscité jusqu’à l’effusion de sang, et par la rapide diffusion de la Parole de Dieu vers l’Orient et l’Occident. Toutefois, avant que l’annonce de l’Evangile ne se diffuse, Luc rapporte l’épisode de l’Ascension du Ressuscité (cf.
Ac 1,6-9). Le Seigneur remet aux disciples le programme de leur existence vouée à l’évangélisation et dit : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). A Jérusalem, les apôtres, demeurés au nombre de Onze après la trahison de Judas Iscariote, sont réunis dans la maison pour prier, et c’est précisément dans la prière qu’ils attendent le don promis par le Christ Ressuscité, l’Esprit Saint.

Dans ce contexte d’attente, situé entre l’Ascension et la Pentecôte, saint Luc mentionne pour la dernière fois Marie, la Mère de Jésus, et sa famille (v. 14). Il a consacré à Marie les débuts de son Evangile, de l’annonce de l’Ange à la naissance et à l’enfance du Fils de Dieu fait homme. Avec Marie commence la vie terrestre de Jésus et avec Marie commencent également les premiers pas de l’Eglise ; dans les deux moments, le climat est celui de l’écoute de Dieu, du recueillement. C’est pourquoi je voudrais m’arrêter aujourd’hui sur cette présence orante de la Vierge dans le groupe des disciples qui seront la première Eglise naissante. Marie a suivi avec discrétion tout le chemin de son Fils au cours de sa vie publique jusqu’aux pieds de la croix, et elle continue à présent de suivre, avec une prière silencieuse, le chemin de l’Eglise. Lors de l’Annonciation, dans la maison de Nazareth, Marie reçoit l’Ange de Dieu, elle est attentive à ses paroles, elle les accueille et répond au projet divin, en manifestant sa pleine disponibilité : « Voici la servante du Seigneur; que tout se passe pour moi selon ta volonté » (cf. Lc 1,38). Marie, précisément en raison de l’attitude intérieure d’écoute, est capable de lire son histoire, en reconnaissant avec humilité que c’est le Seigneur qui agit. En rendant visite à sa parente Elisabeth, Elle se lance dans une prière de louange et de joie, de célébration de la grâce divine, qui a empli son coeur et sa vie, en faisant d’elle la Mère du Seigneur (cf. Lc 1,46-55). Louange, action de grâce, joie: dans le cantique du Magnificat, Marie ne regarde pas seulement ce que Dieu a opéré en Elle, mais également ce qu’il a accompli et accomplit continuellement dans l’histoire. Saint Ambroise, dans un célèbre commentaire au Magnificat, invite à avoir le même esprit dans la prière et écrit : « Qu’en tous réside l’âme de Marie pour glorifier le Seigneur ; qu’en tous réside l’esprit de Marie pour exulter en Dieu » (Expositio Evangelii secundum Lucam, 2, 26 : PL 15, 1561).

Elle est aussi présente au Cénacle, à Jérusalem, dans « la chambre haute où se tenaient habituellement » les disciples de Jésus (cf. Ac 1,13), dans un climat d’écoute et de prière, avant que ne s’ouvrent les portes et que ces derniers ne commencent à annoncer le Christ Seigneur à tous les peuples, enseignant à observer tout ce qu’Il avait commandé (cf. Mt 28,19-20). Les étapes du chemin de Marie, de la maison de Nazareth à celle de Jérusalem, à travers la Croix où son Fils lui confie l’apôtre Jean, sont marquées par la capacité de conserver un climat de recueillement persévérant, pour méditer chaque événement dans le silence de son coeur, devant Dieu (cf. Lc 2,19-51) et, dans la méditation devant Dieu, de comprendre également la volonté de Dieu et devenir capables de l’accepter intérieurement. La présence de la Mère de Dieu avec les Onze, après l’Ascension, n’est donc pas une simple annotation historique d’une chose du passé, mais elle prend une signification d’une grande valeur, parce qu’Elle partage avec eux ce qu’il y a de plus précieux : la mémoire vivante de Jésus, dans la prière ; elle partage cette mission de Jésus: conserver la mémoire de Jésus et conserver ainsi sa présence.

La dernière mention de Marie dans les deux écrits de saint Luc se situe le jour du samedi : le jour du repos de Dieu après la Création, le jour du silence après la mort de Jésus et de l’attente de sa Résurrection. Et c’est sur cet épisode que s’enracine la tradition de la sainte Vierge au samedi. Entre l’Ascension du Ressuscité et la première Pentecôte chrétienne, les apôtres et l’Eglise se rassemblent avec Marie pour attendre avec Elle le don de l’Esprit Saint, sans lequel on ne peut pas devenir des témoins. Elle qui l’a déjà reçu pour engendrer le Verbe incarné, partage avec toute l’Eglise l’attente du même don, pour que dans le coeur de chaque croyant « le Christ soit formé » (cf. Ga 4,19). S’il n’y a pas d’Eglise sans Pentecôte, il n’y a pas non plus de Pentecôte sans la Mère de Jésus, car Elle a vécu de manière unique ce dont l’Eglise fait l’expérience chaque jour sous l’action de l’Esprit Saint. Saint Chromace d’Aquilée commente ainsi l’annotation des Actes des Apôtres : « L’Eglise se rassembla donc dans la pièce à l’étage supérieur avec Marie, la Mère de Jésus, et avec ses frères. On ne peut donc pas parler d’Eglise si Marie, la Mère du Seigneur, n’est pas présente... L’Eglise du Christ est là où est prêchée l’Incarnation du Christ par la Vierge, et où prêchent les apôtres, qui sont les frères du Seigneur, là on écoute l’Evangile » (Sermo 30, 1 : SC 164,135).

Le Concile Vatican ii a voulu souligner de manière particulière ce lien qui se manifeste de manière visible dans la prière en commun de Marie et des Apôtres, dans le même lieu, dans l’attente de l’Esprit Saint. La constitution dogmatique Lumen gentium affirme : « Dieu ayant voulu que le mystère du salut des hommes ne se manifestât ouvertement qu’à l’heure où il répandrait l’Esprit promis par le Christ, on voit les Apôtres, avant le jour de Pentecôte, “persévérant d’un même coeur dans la prière avec quelques femmes dont Marie, Mère de Jésus, et avec ses frères” (Ac 1,14); et l’on voit Marie appelant elle aussi de ses prières le don de l’Esprit qui, à l’Annonciation, l’avait déjà elle-même prise sous son ombre » (n. 59). La place privilégiée de Marie est l’Eglise où elle est « saluée comme un membre suréminent et absolument unique… modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité » (ibid., n. 53).

Vénérer la Mère de Jésus dans l’Eglise signifie alors apprendre d’Elle à être une communauté qui prie : telle est l’une des observations essentielles de la première description de la communauté chrétienne définie dans les Actes des Apôtres (cf. 2, 42). Souvent, la prière est dictée par des situations de difficulté, par des problèmes personnels qui conduisent à s’adresser au Seigneur pour trouver une lumière, un réconfort et une aide. Marie invite à ouvrir les dimensions de la prière, à se tourner vers Dieu non seulement dans le besoin et non seulement pour soi-même, mais de façon unanime, persévérante, fidèle, avec « un seul coeur et une seule âme » (cf. Ac 4,32).

Chers amis, la vie humaine traverse différentes phases de passage, souvent difficiles et exigeantes, qui exigent des choix imprescriptibles, des renoncements et des sacrifices. La Mère de Jésus a été placée par le Seigneur à des moments décisifs de l’histoire du salut et elle a su répondre toujours avec une pleine disponibilité, fruit d’un lien profond avec Dieu mûri dans la prière assidue et intense. Entre le vendredi de la Passion et le dimanche de la Résurrection, c’est à elle qu’a été confié le disciple bien-aimé et avec lui toute la communauté des disciples (cf. Jn 19,26). Entre l’Ascension et la Pentecôte, elle se trouve avec et dans l’Eglise en prière (cf. Ac 1,14). Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, Marie exerce cette maternité jusqu’à la fin de l’histoire. Confions-lui chaque étape de notre existence personnelle et ecclésiale, à commencer par celle de notre départ final. Marie nous enseigne la nécessité de la prière et nous indique que ce n’est qu’à travers un lien constant, intime, plein d’amour avec son Fils que nous pouvons sortir de « notre maison », de nous-mêmes, avec courage, pour atteindre les confins du monde et annoncer partout le Seigneur Jésus, Sauveur du monde. Merci.
* * *


Je salue avec joie les pèlerins francophones, en particulier l’Association des paralysés de France. Marie nous enseigne la nécessité de la prière. Seul un lien constant et plein d’amour avec son Fils, peut nous aider à l’annoncer partout comme le Sauveur du monde. Apprenons d’elle, durant ce Carême, à prier avec toute l’Église d’un seul coeur. Avec ma bénédiction !





Place Saint-Pierre

Mercredi 4 avril 2012: Voyage apostolique au Mexique et en République de Cuba; Triduum pascal

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Chers frères et soeurs,

Je garde encore profondément en moi les émotions suscitées par le récent voyage apostolique au Mexique et à Cuba, sur lequel je voudrais m’arrêter aujourd’hui. Dans mon âme s’élève spontanément une action de grâce au Seigneur: dans sa providence, Il a voulu que je me rende pour la première fois comme Successeur de Pierre dans ces deux pays, qui conservent la mémoire indélébile des visites accomplies par le bienheureux Jean-Paul II. Le bicentenaire de l’Indépendance du Mexique et d’autres pays latino-américains, le vingtième anniversaire des relations diplomatiques entre le Mexique et le Saint-Siège et le quatrième centenaire de la découverte de l’image de la Vierge de la Charité del Cobre dans la République de Cuba ont été les occasions de mon pèlerinage. A travers celui-ci, j’ai voulu embrasser idéalement le continent tout entier, en invitant chacun à vivre ensemble dans l’espérance et dans l’engagement concret de marcher unis vers un avenir meilleur. Je suis reconnaissant à Messieurs les présidents du Mexique et de Cuba, qui, avec déférence et courtoisie, m’ont souhaité la bienvenue, ainsi qu’aux autres autorités. Je remercie de tout coeur les archevêques de León, de Santiago de Cuba et de La Havane, ainsi que mes autres frères dans l’épiscopat, qui m’ont accueilli avec une grande affection, ainsi que leurs collaborateurs et tous ceux qui se sont généreusement prodigués pour ma visite pastorale. Ce furent des jours inoubliables de joie et d’espérance, qui demeureront gravés dans mon coeur!

La première étape a été León, dans l’Etat du Guanajuato, coeur géographique du Mexique. Là, une grande foule en liesse m’a réservé un accueil extraordinaire et enthousiaste, comme signe du salut chaleureux d’un peuple tout entier. Dès la cérémonie de bienvenue, j’ai pu ressentir la foi et la chaleur des prêtres, des personnes consacrées et des fidèles laïcs. En présence des représentants des Institutions, de nombreux évêques et de représentants de la société, j’ai rappelé la nécessité de reconnaître et de protéger les droits fondamentaux de la personne humaine, parmi lesquels se distingue la liberté religieuse, en assurant de ma proximité tous ceux qui souffrent à cause de fléaux sociaux, de conflits anciens et nouveaux, de la corruption et de la violence. Je repense avec une profonde gratitude à la file interminable de personnes le long des rues, qui m’a accompagné avec enthousiasme. Dans ces mains tendues en signe de salut et d’affection, sur ces visages heureux, dans ces cris de joie, j’ai perçu l’espérance tenace des chrétiens mexicains, une espérance demeurée allumée dans les coeurs en dépit des moments difficiles des violences, que je n’ai pas manqué de déplorer, en adressant une pensée émue aux victimes de celles-ci, et en réconfortant quelques-unes personnellement. Dans la même journée, j’ai rencontré de très nombreux enfants et adolescents, qui sont l’avenir de la nation et de l’Eglise. Leur joie inépuisable, exprimée à travers des chants et des musiques retentissantes, ainsi que leurs regards et leurs gestes, exprimaient le profond désir de tous les enfants du Mexique, de l’Amérique latine et des Caraïbes de pouvoir vivre en paix, dans la sérénité et l’harmonie, dans une société plus juste et réconciliée.

Les disciples du Seigneur doivent faire croître la joie d’être chrétiens, la joie d’appartenir à son Eglise. De cette joie découlent également les énergies pour servir le Christ dans les situations difficiles et de souffrance. J’ai rappelé cette vérité à l’immense foule rassemblée pour la célébration eucharistique du dimanche au parc du Bicentenaire de León. J’ai exhorté chacun à avoir confiance dans la bonté de Dieu tout-puissant qui peut changer de l’intérieur, du coeur, les situations insupportables et obscures. Les Mexicains ont répondu à travers leur foi ardente et, dans leur adhésion convaincue à l’Evangile, j’ai reconnu une fois de plus des signes réconfortants d’espérance pour le continent. Le dernier événement de ma visite au Mexique a été, toujours à León, la célébration des vêpres dans la cathédrale Notre-Dame de la Lumière, avec les évêques mexicains et les représentants des épiscopats d’Amérique. J’ai manifesté ma proximité à l’égard de leur engagement face aux divers défis et difficultés, ainsi que ma gratitude pour ceux qui sèment l’Evangile dans des situations complexes et souvent non exemptes de restrictions. Je les ai encouragés à être des pasteurs zélés et des guides sûrs, suscitant partout la communion sincère et l’adhésion cordiale à l’enseignement de l’Eglise. J’ai ensuite quitté la bien-aimée terre mexicaine où j’ai constaté une dévotion et une affection spéciales pour le vicaire du Christ. Avant de partir, j’ai exhorté le peuple mexicain à demeurer fidèle au Seigneur et à son Eglise, en étant solidement ancré à ses racines chrétiennes.

Le lendemain a commencé la seconde partie de mon voyage apostolique avec l’arrivée à Cuba, où je me suis rendu avant tout pour soutenir la mission de l’Eglise catholique, engagée à annoncer avec joie l’Evangile, malgré la pauvreté des moyens et les difficultés restant encore à surmonter afin que la religion puisse accomplir son service spirituel et de formation dans le domaine public de la société. C’est ce que j’ai voulu souligner en arrivant à Santiago de Cuba, deuxième ville de l’île, en ne manquant pas de souligner les bonnes relations existant entre l’Etat et le Saint-Siège, visant au service de la présence vivante et constructive de l’Eglise locale. J’ai également assuré que le Pape porte dans son coeur les préoccupations et les aspirations de tous les Cubains, en particulier de ceux qui souffrent pour la restriction de leur liberté.

La première Messe que j’ai eu la joie de célébrer en terre cubaine se situait dans le cadre du ive centenaire de la découverte de l’image de la Vierge de la Charité del Cobre, patronne de Cuba. Il s’est agi d’un moment de profonde intensité spirituelle avec la participation attentive et orante de milliers de personnes, signe d’une Eglise qui provient de situations difficiles, mais apportant un témoignage vivant de charité et de présence active dans la vie des personnes. Aux catholiques cubains qui, avec la population tout entière, espèrent en un avenir meilleur, j’ai adressé l’invitation à donner une vigueur renouvelée à leur foi et à contribuer, avec le courage du pardon et de la compréhension, à la construction d’une société ouverte et renouvelée, où l’on accorde toujours plus un espace à Dieu, car quand Dieu est exclu, le monde se transforme en un lieu inhospitalier pour l’homme. Avant de quitter Santiago de Cuba, je me suis rendu au sanctuaire de Notre-Dame de la Charité à El Cobre, si chère au peuple cubain. Le pèlerinage de l’image de la Vierge de la Charité a suscité chez les familles de l’île un profond enthousiasme spirituel, et a représenté un événement significatif de nouvelle évangélisation, ainsi qu’une occasion de redécouvrir la foi. J’ai confié à la Sainte Vierge avant tout les personnes qui souffrent et les jeunes Cubains.

La deuxième étape a été La Havane, la capitale de l’île. Les jeunes en particulier, ont été les principaux artisans de l’accueil exubérant sur le parcours vers la nonciature, où j’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec les évêques du pays pour parler des défis que l’Eglise cubaine est appelée à affronter, dans la conscience que le peuple regarde dans sa direction avec une confiance croissante. Le lendemain, j’ai présidé la Messe sur la place principale de La Havane, noire de monde. J’ai rappelé à tous que Cuba et le monde ont besoin de changements mais ceux-ci n’adviendront que si chacun s’ouvre à la vérité intégrale sur l’homme, présupposé indispensable pour parvenir à la liberté, et décide de semer autour de lui réconciliation et fraternité, en fondant sa propre vie sur Jésus Christ: Lui seul peut dissiper les ténèbres de l’erreur, en nous aidant à vaincre le mal et tout ce qui nous opprime. J’ai voulu par ailleurs réaffirmer que l’Eglise ne demande pas de privilèges, mais demande de pouvoir proclamer et célébrer publiquement également la foi, en apportant le message d’espérance et de paix de l’Evangile dans tous les milieux de la société. Tout en appréciant les progrès déjà accomplis jusqu’ici dans ce sens par les autorités cubaines, j’ai souligné qu’il est nécessaire de poursuivre sur ce chemin de liberté religieuse toujours plus pleine.

Au moment de quitter Cuba, des dizaines de milliers de Cubains sont venus me saluer le long de la route, malgré la pluie battante. Au cours de la cérémonie de congé, j’ai rappelé qu’à l’heure actuelle les différentes composantes de la société cubaine sont appelées à un effort de sincère collaboration et de dialogue patient pour le bien de la patrie. Dans cette perspective, ma présence sur l’île, comme témoin de Jésus Christ, s’est voulu un encouragement à Lui ouvrir les portes du coeur, Lui qui est source d’espérance et de force pour faire croître le bien. C’est pourquoi j’ai salué les Cubains en les exhortant à raviver la foi de leurs pères et à édifier un avenir toujours meilleur.

Ce voyage au Mexique et à Cuba, grâce à Dieu, a eu le succès pastoral désiré. Puissent le peuple mexicain et le peuple cubain en tirer des fruits abondants pour construire dans la communion ecclésiale et avec courage évangélique un avenir de paix et de fraternité.

Chers amis, demain après-midi, avec la Messe in Coena Domini, nous entrerons dans le Triduum pascal, sommet de toute l’Année liturgique, pour célébrer le Mystère central de la foi: la passion, la mort et la résurrection du Christ. Dans l’Evangile de saint Jean, ce moment culminant de la mission de Jésus est appelé son «heure», qui s’ouvre avec la Dernière Cène. L’Evangéliste l’introduit ainsi: «Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout» (
Jn 13,1). Toute la vie de Jésus est orientée vers cette heure, caractérisée par deux aspects qui s’éclairent réciproquement: c’est l’heure du «passage» (metabasis)et c’est l’heure de l’«amour (agape) jusqu’au bout». En effet, c’est d’amour divin justement, c’est de l’Esprit, que Jésus est empli, et qui fait «passer» Jésus lui-même à travers l’abîme du mal et de la mort et le fait sortir dans l’«espace» nouveau de la résurrection. C’est l’agape, l’amour, qui opère cette transformation, si bien que Jésus outrepasse les limites de la condition humaine marquée par le péché et surmonte la barrière qui tient l’homme prisonnier, séparé de Dieu et de la vie éternelle. En participant avec foi aux célébrations liturgiques du Triduum pascal, nous sommes invités à vivre cette transformation mise en oeuvre par l’agape.Chacun de nous est aimé de Jésus «jusqu’au bout», c’est-à-dire jusqu’au don total de Soi sur la croix, lorsqu’il s’exclama: «Tout est accompli» (Jn 19,30). Laissons-nous toucher par cet amour, laissons-nous transformer, pour que se réalise vraiment en nous la résurrection. Je vous invite donc à vivre avec intensité le Triduum pascal et je vous souhaite à tous une Sainte Pâque! Merci.


Catéchèses Benoît XVI 7312