Catéchèses Benoît XVI 50912

Mercredi 5 septembre 2012: La prière dans l'Apocalypse

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Chers frères et soeurs,

Aujourd’hui, après l’interruption des vacances, nous reprenons les audiences au Vatican, en poursuivant cette « école de la prière » que je suis en train de vivre avec vous lors de ces catéchèses du mercredi.

Aujourd’hui, je voudrais parler de la prière dans le Livre de l’Apocalypse qui, comme vous le savez, est le dernier du Nouveau Testament. C’est un livre difficile, mais qui contient une grande richesse. Il nous met en contact avec la prière vivante et palpitante de l’assemblée chrétienne, réunie « le jour du Seigneur » (
Ap 1,10) : telle est en effet le sillon fondamental à partir duquel se développe le texte.

Un lecteur présente à l’assemblée un message confié par le Seigneur à l’Évangéliste Jean. Le lecteur et l’assemblée constituent, pour ainsi dire, les deux acteurs du développement du livre ; à ceux-ci, dès le départ, sont adressés des voeux enthousiastes : « Heureux celui qui lit, heureux ceux qui écoutent les paroles de cette prophétie » (1, 3). Du dialogue constant entre eux, naît une symphonie de prière, qui se développe avec une grande variété de formes jusqu’à la conclusion. En écoutant le lecteur qui présente le message, en écoutant et en observant l’assemblée qui réagit, leur prière tend à devenir nôtre.

La première partie de l’Apocalypse (Ap 1,4-3,22) présente, dans l’attitude de l’assemblée qui prie, trois phases successives. La première (1, 4-8) est constituée par un dialogue qui — cas unique dans le Nouveau Testament — se déroule entre l’assemblée à peine réunie et le lecteur, lequel adresse à celle-ci ses voeux et sa bénédiction : « Que la grâce et la paix vous soient données » (1, 4). Le lecteur poursuit en soulignant la provenance de ces voeux. Ils dérivent de la Trinité : du Père, de l’Esprit Saint, de Jésus Christ, impliqués ensemble pour mener à bien le projet créateur et salvifique pour l’humanité. L’assemblée écoute et, quand elle entend nommer Jésus Christ, elle a comme un sursaut de joie et répond avec enthousiasme, élevant la prière de louange suivante : « À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen » (1, 5b-6). L’assemblée, enveloppée par l’amour du Christ, se sent libérée des liens du péché et se proclame « royaume » de Jésus Christ, qui appartient totalement à Lui. Elle reconnaît la grande mission qui, avec le baptême, lui a été confiée pour porter dans le monde la présence de Dieu. Et elle conclut cette célébration de louanges en regardant de nouveau directement vers Jésus et, avec un enthousiasme croissant, en reconnaît « la gloire et la puissance » pour sauver l’humanité. L’« amen » final conclut l’hymne de louange au Christ. Déjà ces quatre premiers versets contiennent une grande richesse d’indications pour nous ; ils nous disent que notre prière doit être avant tout écoute de Dieu qui nous parle. Submergé par tant de paroles, nous sommes peu habitués à écouter, surtout à nous mettre dans la disposition intérieure et extérieure du silence pour être attentifs à ce que Dieu veut nous dire. Ces versets nous enseignent en outre que notre prière, souvent uniquement de demande, doit être en revanche avant tout de louange à Dieu pour son amour, pour le don de Jésus Christ, qui nous a apporté force, espérance et salut.

Une nouvelle intervention du lecteur rappelle ensuite à l’assemblée, emportée par l’amour du Christ, l’engagement d’en saisir la présence dans notre propre vie. Il dit ainsi : « Voici qu’il vient parmi les nuées, et tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé ; et, en le voyant, toutes les tribus de la terre se lamenteront » (1, 7a). Après être monté au ciel sur un « nuage », symbole de la transcendance (cf. Ac 1,9), Jésus Christ reviendra tout comme il est monté au Ciel (cf. Ac 1,11). Alors tous les peuples le reconnaîtront et, comme l’exhorte saint Jean dans le Quatrième Évangile, « ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (19, 37). Ils penseront à leurs péchés, cause de sa crucifixion, et, comme ceux qui avaient assisté directement à celle-ci sur le Calvaire, « ils se frapperont la poitrine » (cf. Lc 23,48) en lui demandant pardon, pour le suivre dans la vie et préparer ainsi la pleine communion avec Lui, après son retour final. L’assemblée réfléchit sur ce message et dit : « Oui, vraiment ! Amen !» (Ap 1,7). Elle exprime par son « oui » la plénitude de l’accueil de ce qui lui est communiqué et demande que cela puisse vraiment devenir réalité. C’est la prière de l’assemblée, qui médite sur l’amour de Dieu manifesté de manière suprême sur la Croix et qui demande de vivre avec cohérence en disciples du Christ. Et vient la réponse de Dieu : « Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, je suis celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant » (1, 8). Dieu, qui se révèle comme le début et la conclusion de l’histoire, accueille et prend à coeur la demande de l’assemblée. Il a été, il est, et il sera présent et actif avec son amour dans les affaires humaines, dans le présent, dans l’avenir, comme dans le passé, jusqu’à parvenir à l’objectif final. Telle est la promesse de Dieu. Et nous trouvons ici un autre élément important : la prière constante réveille en nous le sens de la présence du Seigneur dans notre vie et dans l’histoire, et sa présence est une présence qui nous soutient, nous guide et nous donne une grande espérance même au milieu de l’obscurité de certaines affaires humaines ; en outre, chaque prière, même celle dans la solitude la plus radicale, n’est jamais un isolement et elle n’est jamais stérile, mais elle est la sève vitale pour alimenter une existence chrétienne toujours plus engagée et cohérente.

La deuxième phase de la prière de l’assemblée (1, 9-22) approfondit encore la relation avec Jésus Christ : le Seigneur nous fait voir, parle, agit, et la communauté toujours plus proche de Lui, écoute, réagit et accueille. Dans le message présenté par le lecteur, saint Jean raconte une expérience personnelle de rencontre avec le Christ: il se trouve sur l’île de Patmos à cause de « la Parole de Dieu et du témoignage pour Jésus » (1, 9) et c’est le « jour du Seigneur » (1, 10a), le dimanche, au cours duquel est célébrée la Résurrection. Et saint Jean se trouve « inspiré par l’Esprit » (1, 10a). L’Esprit Saint pénètre en lui et le renouvelle, élargissant sa capacité d’accueillir Jésus, lequel l’invite à écrire. La prière de l’assemblée qui écoute, prend progressivement une attitude contemplative rythmée par les verbes « voit », « regarde » : elle contemple, en fait, ce que le lecteur lui propose, en l’intériorisant et le faisant sien. Jean entend « une voix clamer, comme une trompette » (1, 10b) : la voix lui impose d’envoyer un message « aux sept Eglises » (1, 11) qui se trouvent en Asie mineure et, à travers elles, à toutes les Eglises de tous les temps, unies à leurs pasteurs. L’expression « voix... de trompette », tirée du livre de l’Exode (cf. 20, 18), rappelle la manifestation divine à Moïse sur le mont Sinaï et indique la voix de Dieu, qui parle de son Ciel, de sa transcendance. Ici, elle est attribuée à Jésus Christ Ressuscité, qui de la gloire du Père, parle, avec la voix de Dieu, à l’assemblée en prière. Se retournant « pour regarder la voix » (1, 12), Jean aperçoit « sept candélabres d’or, et, au milieu des candélabres, comme un Fils d’homme » (1, 12-13), terme particulièrement familier à Jean, qui indique Jésus lui-même. Les candélabres d’or, avec leurs bougies allumées, indiquent l’Eglise de tout temps en attitude de prière dans la liturgie : Jésus Ressuscité, le « Fils de l’homme », se trouve parmi elle et, revêtu des habits du prêtre suprême de l’Ancien Testament, il accomplit la fonction sacerdotale de médiateur auprès du Père. Dans le message symbolique de Jean, suit une manifestation lumineuse du Christ ressuscité, avec les caractéristiques propres de Dieu, qui reviennent dans l’Ancien Testament. On parle des « cheveux blancs, [...] comme de la laine blanche, comme de la neige » (1, 14), symbole de l’éternité de Dieu (cf. Dn Da 7,9) et de la Résurrection. Un deuxième symbole est celui du feu qui, dans l’Ancien Testament, se réfère souvent à Dieu pour indiquer deux propriétés. La première est l’intensité jalouse de son amour, qui anime son alliance avec l’homme (cf. Dt Dt 4,24). C’est cette même intensité brûlante de l’amour qui se lit dans le regard de Jésus Ressuscité : « Ses yeux comme une flamme ardente » (Ap 1,14). La deuxième est la capacité irréfrénable de vaincre le mal comme un « feu dévorant » (Dt 9,3). Ainsi, les « pieds » de Jésus, en chemin pour affronter et détruire le mal, ont eux aussi l’incandescence de l’« airain précieux » (Ap 1,15). La voix de Jésus, « comme la voix des grandes eaux » (1, 15c) possède la clameur impressionnante de « la gloire du Dieu d’Israël » qui se dirige vers Jérusalem, dont parle le prophète Ezéchiel (cf. 43, 2). Suivent encore trois éléments symboliques qui montrent ce que Jésus ressuscité fait pour son Église : il la tient fermement dans sa main droite — une image très importante : Jésus tient l’Église dans sa main — il lui parle avec la force pénétrante d’une épée affilée, et lui montre la splendeur de sa divinité : « Son visage [...] est comme le soleil qui brille dans tout son éclat » (Ap 1,16). Jean est tellement pris par cette magnifique expérience du Ressuscité, qu’il se sent défaillir et tombe comme mort.

Après cette expérience de révélation, l’Apôtre a devant lui le Seigneur Jésus qui lui parle, le rassure, lui met une main sur la tête, lui révèle son identité de Crucifié ressuscité et lui confie la charge de transmettre son message à l’Église (cf. Ap Ap 1,17-18). C’est une belle chose ce Dieu devant lequel il s’évanouit, il tombe comme mort. C’est l’ami de la vie, et il lui met la main sur la tête. Et il en sera ainsi aussi pour nous : nous sommes amis de Jésus. Vient ensuite la révélation du Dieu ressuscité, du Christ ressuscité, elle ne sera pas effrayante, mais elle sera la rencontre avec l’ami. L’assemblée vit elle aussi avec Jean le moment particulier de lumière devant le Seigneur, uni toutefois à l’expérience de la rencontre quotidienne avec Jésus, en ressentant la richesse du contact avec le Seigneur, qui remplit chaque espace de l’existence.

Dans la troisième et dernière phase de la première partie de l’Apocalypse (Ap 2-3), le lecteur propose à l’assemblée un message septiforme dans lequel Jésus parle à la première personne. Adressé aux sept Églises situées en Asie mineure autour d’Éphèse, le discours de Jésus part de la situation particulière de chaque Église, et s’étend ensuite aux Églises de tout temps. Jésus entre immédiatement dans le vif de la situation de chaque Église, en soulignant ses lumières et ses ombres et en adressant une invitation pressante : « Repens-toi » (2, 5.16 ; 3, 19c) ; « Tiens ferme ce que tu as » (3, 11) ; « Reprends ta conduite première » (2, 5) ; « Un peu d’ardeur, et repens-toi ! » (3, 19b)... Cette parole de Jésus, si elle est écoutée avec foi, commence immédiatement à être efficace : l’Église en prière, en accueillant la Parole du Seigneur, est transformée. Toutes les Églises doivent se placer dans l’écoute attentive du Seigneur, en s’ouvrant à l’Esprit comme Jésus le demande avec insistance en répétant ce commandement sept fois : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises » (2, 7.11.17.29; 3, 6.13.22). L’assemblée écoute le message en recevant un encouragement pour le repentir, la conversion, la persévérance, la croissance dans l’amour, l’orientation pour le chemin.

Chers amis, l’Apocalypse nous présente une communauté réunie en prière, car c’est précisément dans la prière que nous ressentons de façon toujours plus forte la présence de Jésus avec nous et en nous. Plus nous prions avec constance, avec intensité, et mieux nous le faisons, plus nous nous assimilons à Lui, et Il entre véritablement dans notre vie et la guide, lui apportant joie et paix. Et plus nous connaissons, aimons et suivons Jésus, plus nous ressentons le besoin de nous arrêter en prière avec Lui, en recevant sérénité, espérance et force dans notre vie. Merci pour votre attention.
* * *


Je salue les francophones présents, particulièrement les séminaristes de Luxembourg, accompagnés de l’Archevêque, Mgr Hollerich, et ceux des Missions étrangères de Paris. Puissiez-vous trouver chaque jour un temps de silence pour pouvoir entendre ce que Dieu veut vous dire ! Que Jésus soit lui-même votre guide sur le chemin de la prière ! Bon pèlerinage à tous !





Salle Paul VI

Mercredi 12 septembre 2012

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Chers frères et soeurs,

mercredi dernier j’ai parlé de la prière dans la première partie de l’Apocalypse, aujourd’hui nous passons à la deuxième partie du livre et tandis que, dans la première partie, la prière est orientée vers l’intérieur de la vie ecclésiale, l’attention dans la seconde se tourne vers le monde entier ; l’Église, en effet, marche dans l’histoire, elle en fait partie selon le projet de Dieu. L’assemblée qui, en écoutant le message de Jean présenté par le lecteur, a redécouvert sa tâche de collaborer au développement du Royaume de Dieu comme « prêtres de Dieu et du Christ » (
Ap 20,6 cf. Ap 1,5 Ap 5,10), et s’ouvre sur le monde des hommes. Et ici apparaissent deux manières de vivre en relation dialectique entre elles : la première nous pourrions la définir comme le « système du Christ », auquel l’assemblée est heureuse d’appartenir, et la seconde le « système terrestre anti-royaume et anti-alliance mis en oeuvre par l’influence du Malin » qui, en trompant les hommes, veut réaliser un monde opposé à celui voulu par le Christ et par Dieu (cf. Commission pontificale biblique, Bible et morale. Racines bibliques de l’action chrétienne, n. 70). L’assemblée doit alors savoir lire en profondeur l’histoire qu’elle est en train de vivre, en apprenant à discerner avec la foi les événements pour collaborer, avec son action, au développement du Royaume de Dieu. Et cette oeuvre de lecture et de discernement, ainsi que d’action, est liée à la prière.

Tout d’abord, après l’appel insistant du Christ qui, dans la première partie de l’Apocalypse, à sept reprises a dit : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit à l’Église » (cf. Ap Ap 2,7 Ap Ap 2,11 Ap Ap 2,17 Ap Ap 2,29 Ap 3,6 Ap 3,13 Ap 3,22), l’assemblée est invitée à monter au Ciel pour regarder la réalité avec les yeux de Dieu ; et nous retrouvons ici trois symboles, points de référence d’où partir pour lire l’histoire : le trône de Dieu, l’Agneau et le livre (cf. Ap Ap 4,1 – 5, 14).

Le trône est le premier symbole, sur lequel est assis un personnage que Jean ne décrit pas, parce qu’il dépasse toute représentation humaine; il ne peut qu’évoquer le sentiment de beauté et de joie qu’il éprouve en se trouvant devant Lui. Ce personnage mystérieux est Dieu, Dieu tout-puissant qui n’est pas resté enfermé dans son Ciel, mais s’est fait proche de l’homme, en entrant en alliance avec lui ; Dieu qui fait sentir dans l’histoire, de manière mystérieuse mais réelle, sa voix symbolisée par les éclairs et les coups de tonnerre. Il y a divers éléments qui apparaissent autour du trône de Dieu comme les vingt-quatre anciens et les quatre vivants, qui rendent incessamment louange à l’unique Seigneur de l’histoire.

Le premier symbole est donc le trône. Le deuxième symbole est le livre, qui contient le plan de Dieu sur les événements et sur les hommes ; il est fermé hermétiquement par sept sceaux et personne n’est en mesure de le lire. Face à cette incapacité de l’homme à scruter le projet de Dieu, Jean ressent une profonde tristesse qui le conduit à pleurer. Mais il y a un remède à l’égarement de l’homme face au mystère de l’histoire : quelqu’un est en mesure d’ouvrir le livre et de l’éclairer.

Et ici apparaît le troisième symbole : le Christ, l’Agneau immolé lors du Sacrifice de la Croix, mais qui est debout, signe de sa Résurrection. Et c’est précisément l’Agneau, le Christ mort et ressuscité, qui ouvre progressivement les sceaux et révèle le plan de Dieu, le sens profond de l’histoire.

Que disent ces symboles ? Ils nous rappellent quelle est la route pour savoir lire les faits de l’histoire et de notre vie. En élevant le regard au Ciel de Dieu, dans le rapport constant avec le Christ, en ouvrant à Lui notre coeur et notre esprit dans la prière personnelle et communautaire, nous apprenons à voir les choses de manière nouvelle et à en saisir le sens le plus vrai ; la prière est comme une fenêtre ouverte qui nous permet de garder le regard tourné vers Dieu, non seulement pour nous rappeler le but vers lequel nous sommes dirigés, mais aussi pour laisser la volonté de Dieu illuminer notre chemin terrestre et nous aider à le vivre avec intensité et engagement.

De quelle manière le Seigneur guide-t-il la communauté chrétienne à une lecture plus profonde de l’histoire ? Tout d’abord en l’invitant à considérer avec réalisme le présent que nous sommes en train de vivre. L’Agneau ouvre alors les quatre premiers sceaux du livre et l’Eglise voit le monde où elle est insérée, un monde où il y a divers éléments négatifs. Il y a les maux que l’homme accomplit, comme la violence qui naît du désir de posséder, de dominer les uns sur les autres, au point d’arriver à se tuer (deuxième sceau) ; ou bien l’injustice, parce que les hommes ne respectent pas les lois qui ont été données (troisième sceau). À ceux-ci s’ajoutent les maux que l’homme doit subir comme la mort, la faim, la maladie (quatrième sceau). Face à ces réalités, souvent dramatiques, la communauté ecclésiale est invitée à ne jamais perdre l’espérance, à croire fermement que l’apparente toute-puissance du Malin se heurte à la toute-puissance véritable qui est celle de Dieu. Et le premier sceau qu’ouvre l’Agneau contient précisément ce message. Jean raconte : « Et voici qu’apparut à mes yeux un cheval blanc ; celui qui le montait tenait un arc ; on lui donna une couronne et il partit en vainqueur, et pour vaincre encore » (Ap 6,2). Dans l’histoire de l’homme est entré la force de Dieu, qui est non seulement en mesure d’équilibrer le mal, mais même de le battre ; la couleur blanche rappelle la Résurrection : Dieu s’est fait si proche qu’il est descendu dans l’obscurité de la mort pour l’éclairer de la splendeur de sa vie divine ; il a pris sur lui le mal du monde pour le purifier avec le feu de son amour.

Comment grandir dans cette lecture chrétienne de la réalité ? L’Apocalypse nous dit que la prière nourrit en chacun de nous et de nos communautés cette vision de lumière et de profonde espérance: il nous invite à ne pas nous laisser vaincre par le mal, mais à vaincre le mal par le bien, à tourner notre regard vers le Christ crucifié et ressuscité qui nous associe à sa victoire. L’Église vit dans l’histoire, elle ne se referme pas sur elle-même, mais elle affronte avec courage son chemin au milieu des difficultés et des souffrances, en affirmant avec force que le mal en définitive ne vainc pas le bien, que l’obscurité ne voile pas la splendeur de Dieu. Cela est un point important pour nous ; comme chrétiens nous ne pouvons jamais être pessimistes ; nous savons bien que sur le chemin de notre vie nous rencontrons souvent la violence, le mensonge, la haine, la persécution, mais cela ne nous décourage pas. C’est surtout la prière qui nous éduque à voir les signes de Dieu, sa présence et son action, et plus encore à être nous-mêmes des lumières de bien, qui diffusent l’espérance et qui indiquent que la victoire appartient à Dieu.

Cette perspective conduit à élever à Dieu et à l’Agneau l’action de grâce et la louange : les vingt-quatre anciens et les quatre vivants chantent ensemble le « cantique nouveau » qui célèbre l’oeuvre du Christ Agneau, qui rendra « toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). Mais ce renouveau est tout d’abord un don à demander. Et ici nous trouvons un autre élément qui doit caractériser la prière : il faut invoquer du Seigneur avec insistance que son Royaume vienne, que l’homme ait le coeur docile à la seigneurie de Dieu, que ce soit sa volonté qui oriente notre vie et celle du monde. Dans la vision de l’Apocalypse cette prière de requête est représentée par un détail important : « les vingt-quatre anciens » et « les quatre vivants » qui tiennent entre leurs mains, avec la harpe qui accompagne leur chant, « des coupes d’or pleines d’encens » (5, 8a) qui, comme il est expliqué, « sont les prières des saints » (5, 8b), c’est-à-dire de ceux qui ont déjà rejoint Dieu, mais aussi de nous tous qui sommes en chemin. Et nous voyons que, devant le trône de Dieu, un ange tient à la main un encensoir en or, dans lequel il met sans cesse des grains d’encens, c’est-à-dire nos prières, dont l’odeur suave est offerte avec les prières qui s’élèvent vers Dieu (cf. Ap Ap 8,1-4). C’est un symbolisme qui exprime comment toutes nos prières — avec toutes les limites, la difficulté, la pauvreté, la sécheresse, les imperfections qu’elles peuvent avoir — sont presque purifiées et atteignent le coeur de Dieu. C’est-à-dire que nous devons être certains qu’il n’existe pas de prières superflues, inutiles ; aucune ne se perd. Et celles-ci trouvent une réponse, même si elle est parfois mystérieuse, car Dieu est Amour et Miséricorde infinie. L’ange — écrit Jean — « prit l’encensoir et le remplit du feu de l’autel qu’il jeta sur la terre : il y eut des coups de tonnerre, des fracas, des éclairs et un tremblement de terre » (Ap 8,5). Cette image signifie que Dieu n’est pas insensible à nos supplications, il intervient et fait sentir sa puissance et sa voix sur la terre, il fait trembler et bouleverse le système du Malin. Face au mal on a souvent la sensation de ne rien pouvoir faire, mais c’est précisément notre prière qui est la première réponse la plus efficace que nous pouvons donner et qui rend plus fort notre engagement quotidien pour diffuser le bien. La puissance de Dieu rend notre faiblesse féconde (cf. Rm 8,26-27).

Je voudrais conclure par quelques mots du dialogue final (cf. Ap Ap 22,6-21). Jésus répète plusieurs fois : « Voici que je viens sans tarder » (Ap 22,7-12). Cette affirmation n’indique pas seulement la perspective future à la fin des temps, mais également la perspective présente : Jésus vient, il établit sa demeure en celui qui croit en Lui et l’accueille. L’assemblée, guidée par l’Esprit Saint, répète alors à Jésus l’invitation pressante à devenir toujours plus proche : « Viens » (Ap 22,17). Elle est comme l’« épouse » (22, 17) qui aspire ardemment à la plénitude de la vie nuptiale. Pour la troisième fois revient l’invocation : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! » (22, 20b) ; et le lecteur conclut avec une expression qui manifeste le sens de cette présence : « Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous les hommes » (22, 21).

L’Apocalypse, avec la complexité de ses symboles, nous fait participer à une prière très riche, qui a pour effet que nous aussi nous écoutons, nous louons, nous rendons grâce, nous contemplons le Seigneur, nous lui demandons pardon. Sa structure de grande prière liturgique communautaire est également un appel puissant à redécouvrir la charge extraordinaire et transformatrice que possède l’Eucharistie ; je voudrais en particulier inviter avec force à être fidèles à la Messe dominicale le jour du Seigneur, le dimanche, véritable centre de la semaine ! La richesse de la prière dans l’Apocalypse nous fait penser à un diamant, qui possède une série fascinante de facettes, mais dont le caractère précieux réside dans la pureté de l’unique noyau central. Les formes suggestives de la prière que nous rencontrons dans l’Apocalypse font alors briller le caractère précieux unique et indicible de Jésus Christ. Merci.
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Je salue avec joie les pèlerins de langue française, en particulier ceux de Saint-Maurice en Suisse ! L’Apocalypse possède la structure d’une grande prière liturgique et communautaire. Ce livre nous appelle aussi à redécouvrir la force transformatrice de l’Eucharistie. Je vous invite à être fidèles à la Messe dominicale, véritable centre de la semaine. Vous y trouverez les forces nécessaires pour résister au Malin. Bon pèlerinage à tous !

Chers pèlerins, dans deux jours à pareille heure, je serais en vol vers le Liban. Je me réjouis de ce Voyage apostolique. Il me permettra de rencontrer de nombreuses composantes de la société libanaise : des responsables civils et ecclésiaux, des fidèles catholiques de divers rites, et des autres chrétiens, des musulmans et des druzes de cette région. Je rends grâce au Seigneur pour cette richesse qui ne pourra continuer que si elle vit dans la paix et la réconciliation permanente. C’est pourquoi j’exhorte tous les chrétiens du Moyen-Orient, qu’ils soient de souche ou nouveaux arrivés, à être des constructeurs de paix et des acteurs de réconciliation. Demandons à Dieu de fortifier la foi des chrétiens du Liban et du Moyen-Orient, et de les remplir d’espérance. Je remercie Dieu pour leur présence et j’encourage l’ensemble de l’Église à la solidarité afin qu’ils puissent continuer à témoigner du Christ sur ces terres bénies en recherchant la communion dans l’unité. Je rends grâce à Dieu pour toutes les personnes et toutes les institutions qui, de multiples manières, les aident dans ce sens. L’histoire du Moyen-Orient nous enseigne le rôle important et souvent primordial joué par les différentes communautés chrétiennes dans le dialogue interreligieux et interculturel. Demandons à Dieu de donner à cette région du monde la paix si désirée, dans le respect des légitimes différences. Que Dieu bénisse le Liban et le Moyen-Orient ! Que Dieu vous bénisse tous !





Salle Paul VI

Mercredi 19 septembre 2012

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Voyage apostolique au Liban

Chers frères et soeurs,

Aujourd’hui, je voudrais revenir brièvement par la pensée et le coeur aux journées extraordinaires du voyage apostolique que j’ai accompli au Liban. Un voyage que j’ai fortement désiré, en dépit des circonstances difficiles, considérant qu’un père doit toujours être aux côtés de ses fils lorsqu’ils rencontrent de graves problèmes. J’ai été animé par le vif désir d’annoncer la paix que le Seigneur ressuscité a laissée à ses disciples à travers les paroles : « Je vous donne ma paix » (
Jn 14,27). Mon voyage avait pour but principal la signature et la remise de l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente aux représentants des communautés catholiques du Moyen-Orient, ainsi qu’aux autres Eglises et communautés ecclésiales et aux chefs musulmans.

Ce fut un événement ecclésial émouvant et, dans le même temps, une occasion providentielle de dialogue vécue dans un pays complexe mais emblématique pour toute la région, en raison de sa tradition de coexistence et de collaboration active entre les diverses composantes religieuses et sociales. Face aux souffrances et aux drames qui persistent dans cette région du Moyen-Orient, j’ai exprimé ma proximité sincère aux aspirations légitimes de ces chères populations, en leur apportant un message d’encouragement et de paix. Je pense en particulier au terrible conflit qui bouleverse la Syrie, provoquant des milliers de morts mais aussi un flux de réfugiés qui se déversent dans la région à la recherche désespérée de sécurité et d’avenir; et je n’oublie pas la situation difficile de l’Irak. Au cours de ma visite, les habitants du Liban et du Moyen-Orient — catholiques, représentants des autres Églises et communautés ecclésiales et des diverses communautés musulmanes — ont vécu avec enthousiasme et dans un climat détendu et constructif, une expérience importante de respect réciproque, de compréhension et de fraternité, qui constitue un signe puissant d’espérance pour toute l’humanité. Mais c’est surtout la rencontre avec les fidèles catholiques du Liban et du Moyen-Orient, présents par milliers, qui a suscité dans mon âme un sentiment de profonde gratitude en raison de l’ardeur de leur foi et de leur témoignage.

Je remercie le Seigneur pour ce don précieux, qui donne espoir pour l’avenir de l’Église sur ces territoires: jeunes, adultes et familles animées par le ferme désir d’enraciner leur vie dans le Christ, de demeurer ancrés à l’Évangile, de marcher ensemble dans l’Église. Je renouvelle ma reconnaissance également à ceux qui ont travaillé inlassablement pour cette visite : les patriarches et les évêques du Liban avec leurs collaborateurs, le secrétariat général du synode des évêques, les personnes consacrées, les fidèles laïcs, qui sont une réalité précieuse et significative dans la société libanaise. J’ai pu constater directement que les communautés catholiques libanaises, à travers leur présence bimillénaire et leur engagement riche d’espérance, offrent une contribution significative et appréciée à la vie quotidienne de tous les habitants du pays. J’adresse une pensée reconnaissante et respectueuse aux autorités libanaises, aux institutions et associations, aux volontaires et à tous ceux qui ont offert le soutien de la prière. Je ne peux oublier l’accueil cordial que j’ai reçu de la part du président de la République, M. Michel Sleimane, ainsi que des diverses composantes du pays et des personnes: ce fut un accueil généreux, fidèle à la célèbre hospitalité libanaise. Les musulmans m’ont accueilli avec un grand respect et une considération sincère: leur présence constante et active m’a permis de lancer un message de dialogue et de collaboration entre le christianisme et l’islam : il me semble que le moment est venu d’apporter ensemble un témoignage sincère et résolu contre les divisions, contre la violence, contre les guerres. Les catholiques, venus également des pays voisins, ont manifesté avec ferveur leur affection profonde au Successeur de Pierre.

Après la belle cérémonie à mon arrivée à l’aéroport de Beyrouth, le premier rendez-vous était particulièrement solennel : la signature de l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente, dans la basilique grecque-melkite Saint-Paul à Harissa. En cette circonstance, j’ai invité les catholiques du Moyen-Orient à fixer leur regard sur le Christ crucifié pour trouver la force, même dans des contextes difficiles et douloureux, de célébrer la victoire de l’amour sur la haine, du pardon sur la vengeance et de l’unité sur la division. J’ai assuré à tous que l’Eglise universelle est plus que jamais proche, par l’affection et par la prière, des Eglises du Moyen-Orient: celles-ci, tout en étant un « petit troupeau », ne doivent pas avoir peur, dans la certitude que le Seigneur est toujours avec elles. Le Pape ne les oublie pas.

Le deuxième jour de mon voyage apostolique, j’ai rencontré les représentants des institutions de la République et du monde de la culture, le corps diplomatique et les chefs religieux. Je leur ai, entre autres, indiqué un chemin à parcourir pour favoriser un avenir de paix et de solidarité: il s’agit d’oeuvrer afin que les différences culturelles, sociales et religieuses parviennent, dans le dialogue sincère, à une nouvelle fraternité, où ce qui unit est le sens partagé de la grandeur et de la dignité de toute personne, dont la vie doit toujours être défendue et protégée. Le même jour, j’ai rencontré les chefs des communautés religieuses musulmanes, une rencontre qui s’est déroulée dans un esprit de dialogue et de bienveillance réciproque. Je rends grâce à Dieu pour cette rencontre. Le monde d’aujourd’hui a besoin de signes clairs et forts de dialogue et de collaboration, et de ce point de vue, le Liban a été et doit continuer d’être un exemple pour les pays arabes et pour le reste du monde.

Dans l’après-midi, à la résidence du patriarcat maronite, j’ai été accueilli par l’enthousiasme irréfrénable de milliers de jeunes libanais et des pays voisins, qui ont animé un moment de fête et de prière, qui restera inoubliable dans le coeur de nombreuses personnes. J’ai souligné leur chance de vivre dans cette région du monde qui a vu Jésus, mort et ressuscité pour notre salut, et le développement du christianisme, en les exhortant à la fidélité et à l’amour pour leur terre, malgré les difficultés causées par le manque de stabilité et de sécurité. En outre, je les ai encouragés à être fermes dans la foi, confiants dans le Christ, source de notre joie et à approfondir leur rapport personnel avec Lui dans la prière, comme aussi à être ouverts aux grands idéaux de la vie, de la famille, de l’amitié et de la solidarité. En voyant les jeunes chrétiens et musulmans faire la fête dans une grande harmonie, je les ai encouragés à construire ensemble l’avenir du Liban et du Moyen-Orient et à s’opposer ensemble à la violence et à la guerre. La concorde et la réconciliation doivent être plus forts que les élans de mort.

Dans la matinée de dimanche, il y a eu le moment très intense, qui a connu une grande participation, de la Messe au City Center Waterfront de Beyrouth, accompagné par des chants suggestifs, qui ont caractérisé également les autres célébrations. En présence de nombreux évêques et d’une grande foule de fidèles, provenant de toutes les parties du Moyen-Orient, j’ai voulu exhorter chacun à vivre la foi et à en témoigner sans peur, dans la conscience que la vocation du chrétien et de l’Église est celle d’apporter l’Évangile à tous sans distinction, à l’exemple de Jésus. Dans un contexte marqué par d’âpres conflits, j’ai rappelé l’attention sur la nécessité de servir la paix et la justice, en devenant des instruments de réconciliation et des constructeurs de communion. Au terme de la concélébration eucharistique, j’ai eu la joie de remettre l’exhortation apostolique qui rassemble les conclusions de l’assemblée spéciale du synode des évêques consacrée au Moyen-Orient. À travers les patriarches et les évêques orientaux et latins, les prêtres, les personnes consacrées et les laïcs, ce document veut atteindre tous les fidèles de cette chère région, pour les soutenir dans la foi et dans la communion et les encourager sur la voie de la nouvelle évangélisation tant souhaitée. Dans l’après-midi, au siège du patriarcat syro-catholique, j’ai eu ensuite la joie de vivre une rencontre oecuménique fraternelle avec les patriarches orthodoxes et les orthodoxes orientaux et avec les représentants de ces Églises, ainsi que des communautés ecclésiales.

Chers amis, les jours passés au Liban ont été une merveilleuse manifestation de foi et d’intense religiosité et un signe prophétique de paix. La multitude des croyants, provenant de tout le Moyen-Orient, a eu l’opportunité de réfléchir, de dialoguer et surtout de prier ensemble, en renouvelant l’engagement d’enraciner sa propre vie en Christ. Je suis certain que le peuple libanais, dans sa composition religieuse et sociale multiforme mais bien amalgamée, saura témoigner avec un élan renouvelé de la paix véritable, qui naît de la confiance en Dieu. Je souhaite que les divers messages de paix et d’estime que j’ai voulu donner, puissent aider les gouvernants de la région à accomplir des pas décisifs vers la paix et vers une meilleure compréhension des relations entre chrétiens et musulmans. Pour ma part, je continue à accompagner ces populations bien-aimées par la prière, afin qu’elles demeurent fidèles aux engagements pris. Je confie à l’intercession maternelle de Marie, vénérée dans de nombreux et antiques sanctuaires libanais, les fruits de cette visite pastorale, ainsi que les intentions de bien et les justes aspirations du Moyen-Orient tout entier. Merci.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier l’Association catholique internationale de services pour la jeunesse féminine ! Je vous invite, tous, à vous unir à moi pour confier à la Vierge Marie les fruits de ma Visite pastorale au Liban et les justes aspirations de tous les habitants du Moyen-Orient. Merci pour vos prières et bon pèlerinage à tous !





Place Saint-Pierre

Mercredi 26 septembre 2012


Catéchèses Benoît XVI 50912