Catéchèses S. J-Paul II 61278

Mercredi 6 décembre 1978 L'homme ressemble plus à Dieu qu'à la nature


61278 Soeurs et frères très chers,

Je me reporte au thème de mercredi dernier.

1. Pour pénétrer dans la plénitude biblique et liturgique de l’Avent et ce qu’il signifie, il faut suivre deux directions. Il faut remonter aux commencements et, en même temps, descendre en profondeur. Nous l’avons déjà fait une première fois mercredi dernier, en choisissant pour thème de notre méditation les premières paroles de la Genèse : « Au début, Dieu créa… » ( « Beresit bara Elohim. ») En terminant, la semaine dernière, nous avons notamment fait remarquer que pour comprendre pleinement l’Avent, il faut aussi aborder le thème de l’homme. L’Avent trouve son sens plénier en réfléchissant sur la réalité de Dieu qui crée et qui, en créant, se révèle lui-même (c’est la révélation première et fondamentale, et aussi la vérité première et fondamentale de notre Credo). Le sens plénier de l’Avent émerge en même temps de la profonde réflexion sur la réalité de l’homme. Nous approfondirons un peu plus cette seconde réalité — l’homme — dans la méditation d’aujourd’hui.

2. La semaine dernière, nous avons commenté les paroles du livre de la Genèse où il est dit de l’homme qu’il est « image et ressemblance de Dieu »... Il est nécessaire de réfléchir plus intensément sur ces textes qui parlent de lui. Ils font partie du premier livre de la Genèse, où la création du monde est décrite et présentée dans la succession des sept jours. Le récit de la création de l’homme, le sixième jour, est un peu différent des récits précédents. Nous y voyons seulement l’acte de la création, exprimé par les mots : « Dieu dit : qu’il soit… » Ici, l’auteur inspiré veut mettre en évidence avant tout l’intention et le dessein du Créateur (Dieu - Elohim). Nous lisons en effet : « Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance… » (
Gn 1,26) Comme si le Créateur entrait en lui-même ; comme si, en créant, non seulement il appelait du néant à l’existence en disant : « Qu’il soit ! », mais, d’une façon particulière, il tirait l’homme du mystère de son propre être. Cela est compréhensible parce qu’il ne s’agit pas seulement de l’être, mais de l’image. L’image doit « refléter » ; elle doit, en un certain sens, pour ainsi dire reproduire « la substance » de son prototype. Le Créateur dit de plus: « Selon notre ressemblance. » Il est évident que cette ressemblance ne doit pas être entendue comme un « portrait », mais comme le fait pour un être vivant d’avoir une vie semblable à celle de Dieu.

C’est seulement après ces mots, qui témoignent pour ainsi dire du plan du Dieu Créateur, que la Bible parle de l’acte même de la création de l’homme : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; homme et femme il les créa. » (Gn 1,27)

Cette description est complétée par la bénédiction. Il y a donc : le dessein, l’acte même de la création et la bénédiction : « Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. » (Gn 1,28)

Les derniers mots du récit : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà c’était très bon ! » (Gn 1,31) sont comme l’écho de cette bénédiction.

3. Le texte de la Genèse est certainement des plus anciens. Selon les exégètes, il a été écrit vers le IXe siècle avant Jésus-Christ. Il contient la vérité fondamentale de notre foi, le premier article du Credo apostolique. La partie du texte consacrée à la création de l’homme est d’une simplicité et en même temps d’une profondeur merveilleuses. Ses affirmations correspondent à notre expérience et à notre connaissance de l’homme. Il est clair pour quiconque, quelle que soit son idéologie et sa conception du monde, que l’homme, tout en appartenant au monde visible, à la nature, se différencie d’une certaine manière de cette nature. En effet, le monde visible existe « pour lui » et il le « domine » ; aussi conditionné qu’il puisse être, de diverses manières, par la nature, il la « domine » ; fort de ce qu’il est, de ses capacités et de ses facultés d’ordre spirituel qui le différencient du monde naturel, il le domine. Et ce sont précisément ces dernières facultés qui constituent l’homme. Sur ce point, le livre de la Genèse est extraordinairement précis. En définissant l’homme comme « image de Dieu », il met en évidence ce par quoi l’homme est homme, ce par quoi il est un être distinct de toutes les autres créatures du monde visible.

La science, on le sait, a fait et continue de faire, dans différents domaines, de nombreuses tentatives pour montrer les liens de l’homme avec le monde naturel, pour montrer sa dépendance de ce monde, afin de l’insérer dans l’histoire de l’évolution des différentes espèces. Tout en respectant ces recherches, nous ne pouvons pas nous limiter à elles. Si nous analysons l’homme au plus profond de son être, nous voyons qu’il se différencie du monde de la nature plus qu’il ne lui ressemble. C’est également dans ce sens que procèdent l’anthropologie et la philosophie lorsqu’elles cherchent à analyser et à comprendre l’intelligence, la liberté, la conscience et la spiritualité de l’homme. Le livre de la Genèse semble aller au-devant de toutes ces expériences de la science et, en disant de l’homme qu’il est « image de Dieu », il fait comprendre que la réponse au mystère de son humanité ne doit pas être cherchée dans sa ressemblance avec le monde de la nature. L’homme ressemble plus à Dieu qu’à la nature. C’est en ce sens que le psaume dit : « Vous êtes des dieux ! » (Ps 82,6), paroles que Jésus reprendra (cf. Jn Jn 10,34).

4. Cette affirmation est audacieuse. Il faut avoir la foi pour l’accepter. Cependant, la raison dépourvue de préjugés ne s’oppose pas à cette vérité sur l’homme. Elle voit au contraire en elle un complément de ce que fait apparaître l’analyse de la réalité humaine, et surtout de l’esprit humain.

Il est très significatif que déjà le livre de la Genèse, dans son long récit de la création de l’homme, oblige l’homme — le premier homme créé (Adam) — à faire une semblable analyse. Sa lecture peut « scandaliser », en raison d’un mode d’expression archaïque, mais en même temps on ne peut pas ne pas être émerveillé par l’actualité de ce récit si l’on va au coeur du problème.

En voici le texte : « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour irriguer le jardin ; de là, il se partageait pour former quatre bras… »

« Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder… Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » Le Seigneur Dieu modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu’il amena à l’homme pour voir comment il les désignerait. Tout ce que désigna l’homme avait pour nom « être vivant » ; l’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs mais pour lui-même, l’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. » (Gn 2,7-20)

Que voyons-nous ? Nous voyons le premier homme accomplir le premier acte, l’acte fondamental de sa connaissance du monde. En même temps, cet acte lui permet de se connaître lui-même et de se distinguer, en tant qu’ « homme » de toutes les autres créatures et surtout de ces « êtres vivants », ayant une vie végétative et sensitive, qui sont proportionnellement le plus semblables à lui, l’homme ayant, lui aussi, une vie végétative et sensitive. On pourrait dire que ce premier homme fait ce que font habituellement tous les hommes de tous les temps : il réfléchit sur son propre être et il se demande qui il est.

Le résultat de ce processus de connaissance, c’est la constatation de sa différence fondamentale et essentielle. Il est autre, plus différent que semblable. Le récit de la Bible conclut en disant : « L’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. » (Gn 2,20)

5. Pourquoi parlons-nous de tout cela aujourd’hui ? Pour mieux comprendre le mystère de l’Avent, pour le comprendre à partir de ses fondements mêmes, et ainsi pénétrer plus profondément dans notre christianisme.

Avent signifie « venue ».

Si Dieu vient vers l’homme, c’est parce qu’il a préparé dans son être une « dimension d’attente » à travers laquelle l’homme peut « accueillir » Dieu et devient capable de le faire.

Cela est déjà exprimé dans le livre de la Genèse, surtout dans ce chapitre, lorsqu’il est dit que « Dieu créa l’homme à son image » (Gn 1,27).

  


Mercredi 13 décembre 1978 Avent: le don que Dieu fait à l'homme

13128 1. Pour la troisième fois, en ces rencontres du mercredi, je reprends le thème de l’Avent, en suivant le rythme de la liturgie qui, d’une façon à la fois très simple et très profonde, nous introduit dans la vie de l’Église. Le IIe Concile du Vatican, qui nous a donné sur l’Église une doctrine riche et universelle, a aussi attiré notre attention sur la liturgie. Par elle, non seulement nous savons ce qu’est l’Église, mais, jour après jour, nous expérimentons ce dont elle vit. Nous aussi nous en vivons parce que nous sommes l’Église : « La liturgie… contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église. Car il appartient en propre à celle-ci d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l’action et occupée à la contemplation, présente dans le monde, et pourtant étrangère. » (Const. « Sacrosanctum Concilium », 2.)

En ce moment l’Église vit l’Avent et nos rencontres du mercredi sont donc axées sur ce temps liturgique. Avent veut dire « venue ». Pour pénétrer la réalité de l’Avent, nous avons d’abord cherché à savoir qui vient et pour qui il vient. Nous avons alors parlé d’un Dieu qui se révèle en créant le monde, d’un Dieu créateur. Et mercredi dernier, nous avons parlé de l’homme. Aujourd’hui nous poursuivrons en cherchant à trouver une réponse plus complète à la question : pourquoi l’Avent ? Pourquoi Dieu vient-il ? Pourquoi veut-il venir vers l’homme ?

La liturgie de l’Avent est principalement fondée sur des textes des prophètes de l’Ancien Testament. Nous y entendons presque chaque jour le prophète Isaïe qui, dans l’histoire du peuple de Dieu de l’ancienne alliance, était un « interprète » particulier de la promesse que ce peuple avait depuis longtemps obtenue de Dieu en la personne de son premier père, Abraham. Comme tous les autres prophètes, et peut-être plus qu’eux, Isaïe affermissait chez ses contemporains la foi dans les promesses de Dieu confirmées par l’Alliance au pied du mont Sinaï. Il enseignait surtout la persévérance dans l’attente et la fidélité: « Peuple de Sion, le Seigneur viendra sauver les peuples et fera entendre sa voix majestueuse pour la joie de vos coeurs. ,» (cf. Is
Is 30,19 Is Is 30,30 Is )

Lorsque le Christ était dans le monde, il s’est référé plusieurs fois aux paroles d’Isaïe, et il a dit clairement : « Aujourd’hui, cette Écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » (Lc 4,21)

2. La liturgie de l’Avent a un caractère historique. L’attente de la venue de l’Oint (le Messie) fut un processus historique. Elle a en effet imprégné toute l’histoire d’Israël, qui fut choisi précisément pour préparer la venue du Sauveur.

Cependant, nos considérations débordent, d’une certaine manière, le cadre de la liturgie quotidienne de l’Avent. Revenons donc à notre question fondamentale : pourquoi Dieu vient-il ? Est-ce parce qu’il veut venir à l’homme, à l’humanité ? Essayons d’apporter à ces questions des réponses satisfaisantes que nous chercherons dans les toutes premières origines, c’est-à-dire avant même que ne commence l’histoire du peuple élu. Cette année, notre attention est concentrée sur les premiers chapitres du livre de la Genèse. L’Avent « historique » ne saurait être compris sans une lecture et une analyse attentives de ces chapitres.

Lorsque nous nous interrogeons sur le pourquoi de l’Avent, nous devons donc relire attentivement tout le récit de la création du monde, et en particulier de la création de l’homme. Il est significatif, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, que chacun des jours de la création finit sur cette constatation : « Dieu vit que cela était bon » ; et, après la création de l’homme : « … il vit que cela était très bon ». Comme je l’ai déjà dit la semaine dernière, cette constatation s’unit à la bénédiction de la création, et surtout à une bénédiction explicite de l’homme.

Dans tout ce récit, nous avons devant nous un Dieu qui, selon l’expression de saint Paul, se réjouit de la vérité, du bien (cf. 1Co 13,6). Là où est la joie, qui naît du bien, là est l’amour. Et c’est seulement là où est l’amour qu’est la joie qui naît du bien. Dès ses premiers chapitres, le livre de la Genèse nous révèle que Dieu est amour (expression dont se servira saint Jean beaucoup plus tard). Il est amour parce qu’il se réjouit du bien. La création est donc un don authentique : là où il y a amour, il y a don.

Le livre de la Genèse nous parle du moment où le monde et l’homme ont commencé à exister. En interprétant cette existence, nous devons, comme saint Thomas d’Aquin, construire la philosophie de l’être qui en découle et dans laquelle sera exprimé l’ordre même de l’existence. Cependant, le livre de la Genèse parle de la création comme d’un don. Dieu qui crée le monde visible est donateur et l’homme est donataire. Il est celui pour lequel Dieu crée le monde visible, celui que Dieu, dès le commencement, introduit non seulement dans l’ordre de l’existence, mais dans l’ordre du don. Le fait que l’homme soit « image et ressemblance » de Dieu signifie notamment qu’il est en mesure de recevoir le don, qu’il est sensible à ce don et qu’il est capable de donner en retour. C’est pourquoi, dès le début, Dieu établit une alliance avec l’homme et avec lui seul. Le livre de la Genèse nous révèle non seulement l’ordre naturel de l’existence, mais en même temps, et dès le début, l’ordre surnaturel de la grâce. Nous ne pouvons parler de la grâce que si nous admettons la réalité de Dieu. Rappelons-nous ce que dit le catéchisme : la grâce est le don surnaturel de Dieu par lequel nous devenons enfants de Dieu et héritiers du ciel.

3. Mais, nous demanderons-nous, quel rapport tout cela a-t-il avec l’Avent ? Je réponds : l’Avent s’est profilé pour la première fois à l’horizon de l’histoire de l’homme lorsque Dieu s’est révélé comme celui qui se réjouit du bien, qui aime et qui donne. Dans ce don à l’homme, Dieu ne s’est pas limité à « lui donner » le monde visible — cela est bien clair dès le début — mais en donnant à l’homme le monde visible, Dieu veut aussi se donner lui-même à lui, de même que l’homme est capable de se donner, de faire le don de lui-même à un autre homme, de personne à personne. Dieu veut donc se donner à lui en l’admettant à participer à ses mystères et même à sa vie. Cela se réalise d’une façon tangible dans les relations entre mari et femme, entre parents et enfants. Et c’est pourquoi les prophètes se réfèrent très souvent à ces relations pour montrer la vraie image de Dieu.

L’ordre de la grâce n’est possible que « dans le monde des personnes ». Il concerne le don qui tend toujours à la formation et à la communion des personnes ; le livre de la Genèse nous présente en effet un tel don. La forme de cette « communion des personnes » y est esquissée dès le début. L’homme est appelé à la familiarité avec Dieu, à l’intimité et à l’amitié avec lui. Dieu veut être proche de lui. Il veut le faire participer à ses desseins, à sa vie. Il veut le réjouir de sa même joie (de son même Être).

C’est pour tout cela qu’est nécessaire la venue de Dieu et l’attente de l’homme, la disponibilité de l’homme.

Nous savons que le premier homme, qui bénéficiait de l’innocence originelle et d’une proximité particulière avec son Créateur, n’a pas fait preuve de cette disponibilité. Cette première alliance de Dieu avec l’homme a été interrompue. Mais pour sa part, Dieu n’a pas cessé de vouloir sauver l’homme. L’ordre de la grâce n’a pas été rompu, et c’est pourquoi l’Avent dure toujours.

La réalité de l’Avent a notamment été exprimée par saint Paul lorsqu’il a dit : « Dieu… veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1Tm 2,4)

« Dieu veut… » C’est justement cela l’Avent, le fondement, de tout Avent.


Un appel du Saint-Père pour la libération des victimes de séquestres



S'adressant au groupe de malades présents

Un salut et une bénédiction particulière aux malades ici présents et à tous ceux qui souffrent. Ma pensée se tourne vers tout endroit du monde où la douleur, physique ou morale, tourmente des êtres humains.

En suivant les nouvelles quotidiennes, on rencontre des drames et des souffrances qui étreignent le coeur. Aujourd'hui je voudrais rappeler tout particulièrement ceux qui se trouvent dans l'affliction à cause d'une forme de violence qui est devenue malheureusement tellement fréquente, ces dernières années : celle des enlèvements de personnes.

C'est une plaie indigne de pays civilisés ; elle est parvenue, hélas, à des formes de cruauté qui font horreur.

Au nom de Dieu je supplie les responsables d'accepter de rendre la liberté à ceux qu'ils tiennent sous séquestre et je leur rappelle que Dieu est vengeur des actions des hommes. Que le Seigneur touche vraiment leur coeur et fasse triompher cette étincelle d'humanité qui ne peut être absente de leur âme donnant ainsi une conclusion plausible à un acte vivement déplorable.


Mercredi 20 décembre 1978 La dimension éthique de l'homme

20128 1. Notre rencontre d’aujourd’hui nous donne l’occasion de faire notre quatrième et dernière méditation sur l’Avent. Le Seigneur est proche. La liturgie de l’Avent nous le rappelle chaque jour, et nous le sentons tous : aussi bien nous prêtres, lorsque nous récitons chaque jour les admirables « grandes antiennes » de l’Avent, que tous les chrétiens, qui s’efforcent de préparer leurs coeurs et leurs consciences à sa venue. Je sais qu’en cette période, dans mon pays, la Pologne, les confessionnaux sont assiégés dans les églises (tout autant que pendant le Carême). Je pense qu’il en est certainement ainsi également en Italie et partout où un profond esprit de foi fait éprouver le besoin d’ouvrir son âme au Seigneur qui va venir. La joie la plus grande, en cette attente de l’Avent, est celle des enfants. Je me souviens que, dans mon pays, ils venaient plus volontiers aux messes célébrées à l’aurore ( que l’on appelle « Rorate… », à cause des premières paroles de la liturgie : « Rorate Coeli… » cieux, répandez votre rosée… Is 45,8). Chaque jour, ils comptaient combien il restait encore d’échelons sur « l’échelle céleste » par laquelle Jésus descendrait sur la terre, pour pouvoir le rencontrer la nuit de Noël dans la crèche de Bethléem.

Le Seigneur est proche.

2. Nous avons déjà parlé de cette venue du Seigneur la semaine dernière. C’était en effet le troisième thème des considérations choisies cette année pour les mercredis de l’Avent. En nous reportant aux origines de l’humanité, c’est-à-dire au livre de la Genèse, nous avons médité successivement sur les vérités fondamentales de l’Avent : Dieu qui crée (Elohim) et en même temps se révèle dans sa création ; l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, « reflète » Dieu dans le monde visible créé. Tels ont été les premiers thèmes — thèmes fondamentaux — de notre méditation pendant l’Avent. Quant au troisième thème, il peut se résumer dans le mot « grâce ». « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1Tm 2,4) Dieu veut que l’homme devienne participant de sa vérité de son amour, de son mystère afin qu’il puisse devenir participant de la vie de Dieu lui-même. « L’arbre de vie » symbolise cette réalité dès les premières pages de la Sainte Écriture. Mais sur ces mêmes pages, il est aussi question d’un autre arbre que le livre de la Genèse appelle « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,16). Pour que l’homme puisse manger le fruit de l’arbre de vie, il ne doit pas toucher au fruit de l’arbre « de la connaissance du bien et du mal ». Peut-être cela peut-il apparaître comme une légende archaïque. Mais plus nous pénétrons « la réalité de l’homme » telle qu’il nous est donné de la comprendre à partir de son histoire terrestre — et aussi pour chacun de nous, à partir de notre expérience humaine intérieure et de notre conscience morale —, plus nous avons conscience de ne pouvoir demeurer indifférents, de nous contenter de hausser les épaules devant ces images bibliques primitives. Quelle richesse de vérité existentielle sur l’homme ne contiennent-elles pas ! Ces vérités, chacun de nous les ressent comme propres. Ovide, ce poète païen de l’Antiquité romaine, n’a-t-il pas dit : « Video meliora proboque, deteriora sequor — Je vois ce qui est le meilleur et je l’approuve, mais je suis ce qui est le plus mauvais. » (Métamorphoses, VII, 20.) Remarque peu différente de celles que fera saint Paul, plus tard : « Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. » (Rm 7,15) Après le péché originel, l’homme oscille entre « le bien et le mal ».

« La réalité de l’homme » la plus profonde semble osciller continuellement entre ce qui, dès le début, a été défini comme « l’arbre de vie » et « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». C’est pourquoi, dans nos méditations sur l’Avent, qui portent sur les lois fondamentales, sur les réalités essentielles, on ne peut exclure un autre thème : celui qui est exprimé par le mot : « péché ».

3. Le catéchisme nous dit d’une façon simple et facile qu’il est une transgression des commandements de Dieu. Il ne fait pas de doute que le péché est la transgression d’un principe moral la violation d’une loi et, sur ce point, tout le monde est d’accord, même ceux qui ne veulent pas entendre parler de « commandements de Dieu ». Même eux sont d’accord pour admettre que les principales règles morales, les principes les plus élémentaires du comportement, sans lesquels la vie et les relations entre les hommes ne sont pas possibles, sont précisément ce que nous connaissons comme étant les « commandements de Dieu » (en particulier les quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième). La vie de l’homme, la vie sociale se déroulent selon une dimension morale. C’est là leur caractéristique essentielle, qui est aussi la dimension essentielle de la culture humaine.

Je voudrais cependant qu’aujourd’hui nous concentrions notre attention sur le « premier péché » qui, malgré ce que l’on pense communément, est décrit dans le livre de la Genèse avec une précision qui fait apparaître toute la profondeur de la « réalité de l’homme » qui est en lui. Ce péché « naît » à la fois du dehors, c’est-à-dire de la tentation, et du dedans. La tentation est exprimée dans les paroles du tentateur : « Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieu, possédant la connaissance du bien et du mal. » (Gn 3,4-5) La tentation porte sur ce que le Créateur lui-même a formé dans l’homme, lequel a en effet été créé à l’image de Dieu, ce qui veut dire : « comme Dieu ». Elle porte aussi sur le désir de connaissance qui est en l’homme et le désir de dignité. Mais l’un et l’autre sont falsifiés, de sorte que le désir de connaissance, comme celui de dignité — c’est-à-dire le désir de ressembler à Dieu — sont utilisés dans la tentation pour opposer l’homme à Dieu. Le tentateur dresse l’homme contre Dieu en lui suggérant que Dieu est son adversaire qui veut le maintenir dans un état d’ignorance, qui veut le « limiter » pour se le soumettre. Le tentateur dit : « Non, vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieu, possédant la connaissance du bien et du mal. » ( Selon l’ancienne traduction: « Vous serez comme des dieux. » (Gn 3,4-5) Il nous faut, et pas seulement une fois méditer sur ce récit « archaïque ». Je ne sais si, même dans la Sainte Écriture, on peut trouver beaucoup d’autres textes où la réalité du péché est décrite non seulement dans son origine, mais dans son essence ; c’est-à-dire où elle est présentée dans des dimensions aussi pleines et aussi profondes, en montrant comment l’homme a utilisé contre Dieu précisément ce qui était de Dieu en lui, c’est-à-dire ce qui devait servir à le rapprocher de Dieu.

4. Pourquoi parlons-nous de tout cela aujourd’hui ? Pour mieux comprendre l’Avent. Avent veut dire : Dieu qui vient parce qu’il veut que « tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4). Il vient parce qu’il a créé le monde et l’homme par amour et qu’il a établi avec l’homme l’ordre de la grâce.

Mais il vient « à cause du péché », il vient « malgré le péché » ; il vient ôter le péché.

Ne nous étonnons donc pas si la nuit de Noël il n’a pas trouvé de place dans les maisons de Bethléem et s’il a dû naître dans une étable (dans une grotte qui servait d’abri aux animaux).

Le fait qu’il vient n’en est que plus important.

Chaque année l’Avent nous rappelle que la grâce, c’est-à-dire la volonté de Dieu de sauver l’homme, est plus forte que le péché.




Mercredi 27 décembre 1978 L'homme est l'être qui cherche Dieu

27128 1. Nous sommes dans le temps liturgique de Noël. Je veux donc que mes paroles, aujourd’hui, correspondent à la joie de cette fête et de cette octave, et aussi à la simplicité tout autant qu’à la profondeur qui irradient de Noël pour tout le monde. Spontanément, des souvenirs me reviennent en mémoire : mes années d’enfance dans la maison de mes parents, les années difficiles de ma jeunesse, celles de la seconde guerre, la guerre mondiale — puisse-t-on ne jamais la revoir dans l’histoire de l’Europe et du monde ! — et pourtant, même dans les pires années, il y avait toujours un petit rayon de Noël. Ce rayon pénétrait même dans les plus dures expériences de mépris de l’homme, d’anéantissement de sa dignité, de cruauté. Il suffit pour s’en rendre compte, de lire les souvenirs de ceux qui sont passés par les prisons, les camps de concentration, les fronts de la guerre, les interrogatoires, les procès.

Ce rayon de la nuit de Noël, rayon de la naissance de Dieu, n’est pas seulement un souvenir des lumières de l’arbre, près de la crèche, de la maison familiale ou de l’église paroissiale. C’est quelque chose de plus. C’est la plus profonde lueur de l’humanité visitée par Dieu, de nouveau accueillie et assumée par Dieu lui-même ; assumée dans le Fils de Marie, en l’unité de la personne divine : le Fils-Verbe. La nature humaine assumée mystiquement par le Fils de Dieu en chacun de nous qui avons été adoptés dans la nouvelle union avec le Père. Ce mystère étend son rayonnement loin, très loin. Il atteint même des domaines, des sphères de la vie des hommes où toute référence à Dieu a été comme effacée, semble être absente, comme si elle avait été brûlée et complétement éteinte. Et voici que dans la nuit de Noël jaillit une lueur. Malgré tout ? Bienheureux « malgré tout »… Il est déjà une lueur de foi et d’espérance.

2. Le jour de Noël, nous lisons que les bergers de Bethléem qui furent les premiers appelés à venir voir le nouveau-né de la crèche, « y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire » (
Lc 2,16).

Arrêtons-nous sur le mot « trouvèrent » qui exprime la recherche. Les bergers de Bethléem, qui se reposaient avec leurs troupeaux, ne savaient pas, en effet, que le temps était arrivé où se réaliserait ce qui depuis des siècles était annoncé par les prophètes de leur peuple, et que cela aurait lieu cette nuit-même, tout près d’eux. Quand ils sont sortis du sommeil où ils étaient plongés, ils ne savaient ni ce qui était arrivé ni où cela était arrivé. S’ils sont parvenus à la grotte, c’est après une recherche. Mais en même temps, ils avaient été conduits. Comme nous le lisons, ils avaient été guidés par une voix et par une lumière. Et si nous remontons plus haut dans le passé, nous voyons qu’ils avaient été guidés par la tradition de leur peuple, par son attente. Nous savons qu’Israël avait obtenu la promesse du Messie.

L’Évangile nous parle des simples, des modestes, des pauvres d’Israël, de ces pasteurs qui ont été les premiers à le trouver. Il en parle du reste en toute simplicité, comme s’il s’agissait d’un événement « extérieur » : ils ont cherché où il pouvait être et finalement ils l’ont trouvé. Et en même temps, chez saint Luc, le mot « trouver » exprime la dimension intérieure de ce qui s’est passé chez ces simples bergers de Bethléem la nuit de Noël. « Ils trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire », et puis, « … ils s’en retournèrent chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé » (Lc 2,16-20).

3. Le mot « trouver » exprime une recherche. L’homme est un être qui cherche. Toute son histoire le confirme. La vie de chacun de nous en témoigne aussi. Nombreux sont les domaines où l’homme cherche et recherche encore, puis trouve, et parfois, après avoir trouvé, recommence encore à chercher. Parmi tous les domaines où l’homme se révèle comme un être qui cherche, il en est un, plus profond, qui pénètre plus intimement dans l’humanité même de l’être humain et qui correspond le mieux au sens de toute la vie humaine.

L’homme est l’être qui cherche Dieu.

Diverses sont les voies de cette recherche. Multiples sont les itinéraires que suivent les âmes sur ces voies. Celles-ci semblent parfois très simples, très proches, parfois difficiles, compliquées lointaines. Parfois l’homme arrive facilement à pouvoir dire : « eureka », j’ai trouvé. Parfois il se heurte à des difficultés, comme s’il ne pouvait se comprendre lui-même, comprendre le monde et surtout le mal qui est dans le monde. On sait que même dans le contexte de la Nativité, ce mal a montré son visage menaçant.

Nombreux sont les hommes qui ont décrit leur recherche de Dieu sur les chemins de leur vie. Plus nombreux encore sont ceux qui n’en disent rien, considérant comme leur mystère le plus profond et le plus intime ce qu’ils ont vécu sur ces chemins, ce qu’ils ont expérimenté, comment ils ont cherché, comment ils ont perdu le fil de leur recherche et comment ils l’ont retrouvé.

L’homme est l’être qui cherche Dieu.

Et même après l’avoir trouvé, il continue à le chercher. Et s’il le cherche avec sincérité, il l’a déjà trouvé. Dans un célèbre texte de Pascal, Jésus dit à l’homme : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé. » (B. Pascal, Pensées, p. 553 : « Le mystère de Jésus ».)

Telle est la vérité sur l’homme.

On ne peut la falsifier. On ne peut non plus la détruire. On doit la laisser à l’homme parce qu’elle le définit.

Que dire de l’athéisme devant cette vérité ? Beaucoup de choses, plus qu’il n’est possible d’en dire dans le cadre de ce bref discours. Une chose, cependant, est nécessaire à dire : il est un critère qu’il est indispensable d’appliquer, celui de la liberté de l’esprit humain. L’athéisme ne correspond pas à ce critère fondamental lorsqu’il nie a priori que l’homme est l’être qui cherche Dieu ou lorsque, de différentes manières, il mutile cette recherche dans la vie sociale, publique et culturelle. Cette attitude est contraire aux droits fondamentaux de l’homme.

4. Mais je ne veux pas m’arrêter sur ce point. Si je l’ai évoqué, c’est pour montrer toute la beauté et la dignité de la recherche de Dieu.

Cette pensée m’a été suggérée par la fête de Noël.

Comment le Christ est-il né ? Comment et pourquoi est-il venu au monde ?

Il est venu au monde pour que les hommes qui le cherchent puissent le trouver, comme l’ont trouvé les bergers dans la grotte de Bethléem.

Je dirai plus : Jésus est venu au monde pour révéler toute la dignité et la recherche de Dieu — qui est le besoin le plus profond de l’âme humaine — et pour répondre à cette recherche.







Catéchèses S. J-Paul II 61278