Catéchèses S. J-Paul II 30179

3 janvier 1979 LA FAMILLE AU CENTRE DU BIEN COMMUN

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1. La dernière nuit d’attente de l’humanité, que la liturgie de l’Église nous rappelle chaque année avec la vigile et la fête de la Nativité, est en même temps la nuit où la promesse a été accomplie. Cette nuit-là est né Celui qui était attendu, Celui qui était la finalité de l’Avent et ne cesse de l’être. Le Christ est né. Cela est arrivé une fois, dans la nuit de Bethléem, mais dans la liturgie, cela se reproduit chaque année. En un certain sens, cela « se réalise » chaque année. Et aussi chaque année apporte ses mêmes richesses, divines et humaines, des richesses si abondantes que l’homme n’est pas capable de les embrasser toutes d’un seul regard ; et il est difficile de trouver des mots pour les exprimer toutes. Le temps liturgique de Noël nous semble même trop bref pour nous arrêter sur cet événement qui évoque plus le « mystère merveilleux » que le « mystère redoutable » ; trop bref pour « jouir » pleinement de la venue du Christ, de la naissance de Dieu dans la nature humaine ; trop bref pour dénouer chacun des fils de cet événement et de ce mystère.

2. La liturgie concentre notre attention sur l’un de ces fils et elle le met particulièrement en relief. La naissance de l’Enfant dans la nuit de Bethléem a été aussi la naissance de la Sainte Famille. C’est pourquoi le dimanche dans l’octave de Noël est la fête de la Famille de Nazareth. On l’appelle la Sainte Famille parce qu’elle a été formée par la naissance de Celui que même son « Adversaire » sera un jour contraint de proclamer le « saint de Dieu » (
Mc 1,24) ; parce que la sainteté de Celui qui est né est devenue la source d’une singulière sanctification et pour la Vierge Mère et pour son époux qui, étant son conjoint légitime devant les hommes a été considéré comme le père de l’Enfant né pendant le recensement à Bethléem.

Cette Famille est en même temps une famille humaine, et c’est pourquoi, dans le temps de Noël, à travers la Sainte Famille, l’Église s’adresse à toutes les familles humaines. À cette famille, dans laquelle le Fils de Dieu est venu au monde, la sainteté imprime un caractère unique, exceptionnel, singulier, surnaturel. Et en même temps, tout ce que nous pouvons dire de toute famille humaine, de sa nature, de ses devoirs, de ses difficultés nous pouvons le dire aussi de la Sainte Famille. Elle est, en effet, vraiment pauvre. Lorsque Jésus naît, elle n’a pas de toit. Elle devra ensuite s’exiler, puis, lorsque le danger sera passé, elle restera une famille qui vit modestement, dans la pauvreté, du travail de ses mains.

Sa condition est semblable à celle de tant d’autres familles humaines. Elle est le lieu de rencontre de notre solidarité avec toute famille, avec toute communauté d’un homme et d’une femme dans laquelle naît un nouvel être humain. C’est une Famille qui ne demeure pas seulement sur les autels comme un objet de louange et de vénération mais, par tous les épisodes que nous connaissons grâce aux Évangiles de saint Luc et de saint Matthieu, elle est, d’une certaine manière, proche de toute famille humaine. Elle assume les problèmes, à la fois profonds, beaux et difficiles que comporte la vie conjugale et familiale. Lorsque nous lisons attentivement ce que les évangélistes ( surtout saint Matthieu) ont dit de ce qu’ont vécu Joseph et Marie avant la naissance de Jésus, les problèmes que j’ai évoqués plus haut deviennent encore plus évidents.

3. La fête de Noël et, dans son contexte, la fête de la Sainte Famille nous sont particulièrement proches et chères précisément parce qu’en elles se rencontrent la dimension fondamentale de notre foi, c’est-à-dire le mystère de l’Incarnation, et la dimension non moins fondamentale des vicissitudes de l’homme. Chacun doit reconnaître que cette dimension essentielle des vicissitudes de l’homme, c’est précisément la famille. Et dans la famille, c’est la procréation : un nouvel homme est conçu et né et, par cette conception et cette naissance, l’homme et la femme, en leurs qualités d’époux et d’épouse, deviennent père et mère, parents, accèdent à une nouvelle dignité et assument de nouveaux devoirs.

L’importance de ces devoirs fondamentaux est très grande sous de multiples aspects, du point de vue non seulement de cette communauté concrète qu’est la famille, mais de toute communauté humaine, de toute société, nation, État, école, profession, milieu. Tout dépend, en principe, de la façon dont les parents et la famille s’acquittent de leurs devoirs primordiaux et fondamentaux, de la mesure et de la façon dont ils apprendront à « être un homme », à cette créature qui, grâce à eux, est devenue un être humain, a accédé à l’ « humanité ».

En cela, la famille est irremplaçable. Il faut tout faire pour qu’on ne la remplace pas. Cela est requis non seulement pour le bien « privé » de toute personne, mais aussi pour le bien commun de toute société, nation, État de tous les continents. La famille est au centre même du bien commun dans ses différentes dimensions, précisément parce qu’en elle l’homme est conçu et naît. Il faut faire tout ce qui est possible pour que dès le début, dès l’instant de la conception, cet être humain soit voulu attendu, considéré comme une valeur particulière, unique et singulière. Celui-ci doit sentir qu’il est important, utile, cher et qu’il a une grande valeur, même s’il est handicapé. Et il doit même n’en être que plus aimé.

C’est ce que nous enseigne le mystère de l’Incarnation. C’est la logique de notre foi. C’est aussi la logique de tout humanisme authentique. Je pense en effet qu’il ne peut pas en être autrement. Nous ne cherchons pas ici des éléments de controverse, mais des points de rencontre qui sont la simple conséquence de la pleine vérité sur l’homme. La foi n’éloigne pas les croyants de cette vérité, mais elle les introduit précisément au coeur de celle-ci.

4. Encore une chose. La nuit de Noël, la Mère qui devait enfanter (« Virgo paritura ») ne trouva pas de toit. Elle ne trouva pas les conditions dans lesquelles s’effectue normalement ce grand mystère à la fois divin et humain qu’est la naissance d’un homme.

Permettez que je recoure à la logique de la foi et à celle d’un humanisme conséquent. Ce fait dont je parle est un grand cri, c’est un défi permanent à tous et à chacun, particulièrement peut-être à notre époque où on demande souvent à la mère qui attend un enfant une grande preuve de cohérence morale. En effet, ce que, par euphémisme, on appelle « interruption de grossesse » (avortement), ne peut être jugé selon d’autres catégories authentiquement humaines que celles de la loi morale, c’est-à-dire de la conscience. On pourrait rapporter beaucoup de choses à ce sujet, sinon les confidences faites dans les confessionnaux, du moins celles entendues dans les consultations pour la maternité responsable.

On ne peut donc laisser seule la mère qui attend un enfant, avec ses doutes, ses difficultés, ses tentations. Nous devons être auprès d’elle pour qu’elle ait assez de courage et de confiance, pour qu’elle ne charge pas sa conscience, pour que ne soit pas détruit le lien le plus fondamental de respect de l’homme pour l’homme. Tel est en effet le lien qui commence à l’instant de la conception et à cause duquel nous devons tous, d’une certaine manière, être avec toute mère qui attend un enfant. Et nous devons lui offrir toute l’aide possible.

Nous l’Église, nous les hommes, regardons vers Marie, la Vierge qui doit enfanter, et cherchons à mieux comprendre quelle responsabilité comporte Noël envers tout être humain qui doit naître sur la terre. Nous nous arrêterons ici pour aujourd’hui et nous interromprons ces considérations. Mais nous devrons certainement y revenir, et pas seulement une fois.


10 janvier 1979 MARIE, MERE DE TOUS LES HOMMES

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. Le temps de Noël est terminé. L’Épiphanie, elle aussi, est passée. Mais les méditations de nos rencontres du mercredi se référeront encore aux vérités fondamentales que le temps de Noël met devant nos yeux chaque année. Celles-ci apparaissent comme particulièrement riches. Il nous faut du temps pour les regarder avec les yeux de l’âme, laquelle a droit et besoin de méditer la vérité, d’en contempler toute la simplicité et la profondeur.

Pendant l’octave de Noël, l’Église attire notre attention sur le mystère de la maternité. Le dernier jour de l’octave, qui est aussi le premier jour de la nouvelle année est célébrée la fête de la maternité de la Mère de Dieu. C’est ainsi qu’est mise en relief « la place » de la Mère, « la dimension » maternelle dans tout le mystère de la naissance de Dieu.

2. Cette Mère porte le nom de Marie. L’Église la vénère d’une façon particulière. Le culte qu’elle lui rend dépasse celui de tous les autres saints (culte d’hyperdulie). Elle la vénère ainsi précisément parce qu’elle a été la Mère ; parce qu’elle a été choisie pour être la Mère du Fils de Dieu ; parce qu’à ce Fils, qui est le Verbe éternel, elle a donné dans le temps « le corps », elle a donné en un moment de l’Histoire « l’humanité ». L’Église insère cette vénération particulière de la Mère de Dieu dans tout le cycle de l’année liturgique pendant laquelle, avec la fête de l’Annonciation, le 25 mars, neuf mois avant Noël, est rappelé d’une façon discrète, bien que très solennelle, le moment de la conception humaine du Fils de Dieu. On peut dire que, pendant toute cette période qui va du 25 mars au 25 décembre, l’Église chemine avec Marie qui, comme chaque mère, attend le moment de la naissance, le jour de Noël. Et aussi, pendant ce temps, Marie « chemine » avec l’Église. L’attente de sa maternité est inscrite d’une façon discrète dans la vie de l’Église, chaque année. Tout ce qui est arrivé entre Nazareth, Aïn Karim et Bethléem, constitue pour la vie de l’Église le thème de sa liturgie, de sa prière — spécialement la prière du Rosaire — et de sa contemplation. Aujourd’hui a disparu de l’année liturgique la fête de la « Virgo paritura », la fête de « l’attente maternelle de la Vierge », qui était autrefois célébrée le 18 décembre.

3. En insérant ainsi le mystère de « l’attente maternelle de la Vierge » dans le rythme de sa liturgie, sur la toile de fond du mystère de ces mois qui relient l’instant de la naissance à celui de la conception, l’Église médite toute la dimension spirituelle de la maternité spirituelle de la Mère de Dieu.

Cette maternité « spirituelle » (quoad spiritum) a commencé avec la maternité physique (quoad corpus). Au moment de l’Annonciation, Marie a dit à l’Annonciateur : « Comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge ? » (
Lc 1,34) Et celui-ci répondit: « L’Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre, c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu. » (Lc 1,35) Et en même temps, avec la maternité physique (quoad corpus), a commencé sa maternité spirituelle (quoad spiritum ). Cette maternité a ainsi rempli les neuf mois d’attente de la naissance, elle a rempli les trente années passées entre Bethléem, l’Égypte et Nazareth, comme aussi les années suivantes celles pendant lesquelles Jésus, après avoir quitté sa maison de Nazareth, a enseigné l’Évangile du Royaume et qui se sont terminées avec les événements du calvaire, avec la croix. Ici, la maternité « spirituelle » est arrivée en un certain sens à un point clé. « Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa Mère : « Femme, voici ton Fils ! » (Jn 19,26) C’est ainsi que, d’une nouvelle manière, il a lié sa Mère à l’homme, l’homme auquel il a transmis l’Évangile. Il l’a liée à tout homme. Il l’a liée à l’Église le jour de sa naissance historique, le jour de la Pentecôte. Depuis ce jour, toute l’Église l’a pour Mère ; tous les hommes l’ont pour Mère. Ils entendent les paroles prononcées du haut de la croix comme adressées à chacun. Elle est Mère de tous les hommes. La maternité spirituelle ne connaît pas de limites. Elle s’étend dans le temps et dans l’espace. Elle atteint tant de coeurs humains. Elle atteint les nations tout entières. La maternité constitue un thème de choix — et peut-être le plus fréquent — pour la créativité de l’esprit humain. Elle est un élément constitutif de la vie intérieure de tant d’hommes. Elle est une clé de voûte de la culture humaine. La maternité est une grande réalité humaine, une réalité splendide, fondamentale, portant dès le début le nom même du Créateur. Nous la retrouvons encore dans le mystère de la naissance de Dieu dans le temps, insérée dans ce mystère auquel elle est inséparablement unie.

4. Dans les premiers jours de mon ministère sur le Siège romain de Saint-Pierre, j’ai eu le plaisir de rencontrer un homme qui, depuis cette première rencontre, m’est devenu particulièrement proche. Permettez-moi de ne pas prononcer ici le nom de cet homme dont l’autorité dans la vie de la nation italienne est très grande, et que j’ai écouté moi aussi le dernier jour de l’année avec attention et gratitude. Ses paroles étaient simples, profondes et très soucieuses du bien de l’homme, de la patrie, de l’humanité tout entière et de la jeunesse en particulier. Mon illustre interlocuteur me pardonnera si, sans dire son nom, je me permets de me référer, d’une certaine manière, à ce qu’il m’a dit dans cette première rencontre. Il m’a parlé de la mère, de sa mère. Après tant d’années de vie, d’expérience, de luttes politiques et sociales, il se souvenait de sa mère comme de celle à qui il devait, avec la vie, tout ce qui constitue la genèse et l’ossature de l’histoire de sa pensée. J’ai écouté ces paroles avec une émotion sincère, je les ai conservées et je ne les oublierai jamais. Elles étaient pour moi comme une annonce et en même temps comme un appel.

Je ne parle pas ici de ma mère, parce que je l’ai perdue trop tôt. Mais je sais que je lui dois les mêmes choses que mon illustre interlocuteur a exprimées d’une façon si simple. C’est pourquoi je me permets de me référer à ce qu’il m’a dit.

5. Si je parle de cette question aujourd’hui, c’est pour tenir la promesse que j’avais faite la semaine dernière. J’avais alors dit qu’il nous faut être au côté de toute mère qui attend un enfant ; que nous devons apporter une assistance particulière à la maternité, à ce grand événement qu’est la conception et la naissance d’un homme, et sur lequel repose toujours l’éducation humaine. L’éducation a pour base la confiance en celle qui a donné la vie. Cette confiance ne peut jamais être mise en danger. Au temps de Noël, le premier jour de l’année, l’Église met devant nos yeux la maternité de Marie. Elle veut aussi par là mettre en évidence la dignité de toute mère, pour définir et rappeler le sens de la maternité, non seulement dans la vie de tout homme, mais aussi dans toute la culture humaine. La maternité est la vocation de la femme. C’est une vocation à la fois éternelle et actuelle. « La Mère qui comprend tout et serre chacun de nous sur son coeur. » Ce chant polonais qui remonte à mes années de jeunesse me vient à l’esprit en ce moment. Il poursuit en disant qu’aujourd’hui le monde a particulièrement « faim et soif » de cette maternité qui, « physiquement » et « spirituellement », est la vocation de la femme comme elle est celle de Marie.

Il faut tout faire pour que la dignité de cette splendide vocation ne soit pas brisée dans la vie intérieure des nouvelles générations, pour que ne soit pas diminuée l’autorité de la femme-mère dans la vie familiale, sociale et publique et dans toute notre civilisation, dans toute la législation d’aujourd’hui, dans l’organisation du travail, dans les publications, dans la culture, dans la vie quotidienne, dans l’éducation et les études, dans tous les domaines de la vie.

C’est là un critère fondamental.

Nous devons tout faire pour que la femme mérite amour et vénération ; pour que les enfants, la famille, la société voient en elle la dignité qu’y a vue le Christ.

« Mater genitrix, spes nostra ! »




17 janvier 1979 PRIER POUR L'UNITE

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Demain s’ouvre la Semaine mondiale de prière pour l’Unité des chrétiens. Aussi, aujourd’hui, voudrions-nous réfléchir avec vous sur cette importante question qui concerne tout baptisé, pasteurs et fidèles (cf. Unitatis redintegratio
UR 5), chacun selon ses possibilités, ses fonctions et la place qui est la sienne dans l’Église.

1. Ce problème concerne d’une façon spéciale l’évêque de cette ancienne Église de Rome, fondée sur la prédication et le témoignage du martyre de saint Pierre et de saint Paul. Le service de l’unité est un devoir primordial pour le ministère de l’évêque de Rome.

C’est pourquoi je me réjouis de savoir que dans notre diocèse de Rome, comme dans tant d’autres diocèses du monde, cette Semaine a été organisée avec soin, en se proposant d’y faire participer tout le monde : les paroisses, les communautés religieuses, les organisations catholiques, les écoles, les groupements de jeunes, et même les malades des hôpitaux. Je suis heureux de savoir que, là où c’est possible, on s’efforce aussi d’organiser des prières communes avec nos autres frères chrétiens, en harmonie de sentiments, afin que, dans l’obéissance à la volonté du Seigneur, nous puissions croître dans la foi vers la pleine unité, pour l’édification du Corps du Christ. Comme l’écrit saint Paul aux premiers chrétiens d’Éphèse : « … jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes à la taille du Christ dans sa plénitude » (Ep 4,13).

La recherche de l’unité doit atteindre tous les niveaux de la vie de l’Église, impliquer le Peuple de Dieu tout entier, afin de parvenir finalement à une profession de foi unanime, dans un même coeur.

2. La prière est un moyen privilégié de participation à la recherche en vue de l’unité de tous les chrétiens. Jésus-Christ lui-même nous a laissé son désir suprême d’unité dans cette prière adressée à son Père : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21)

Le IIe Concile du Vatican, lui aussi, nous a fortement recommandé la prière pour l’Unité des chrétiens, qui est « l’âme de tout le mouvement oecuménique » (Unitatis redintegratio UR 8).

La prière est pour le mouvement oecuménique ce qu’est l’âme pour le corps. C’est elle qui lui donne sa vie, sa cohésion, son esprit, sa finalité. La prière nous met avant tout devant le Seigneur. Elle purifie nos intentions, nos sentiments, notre coeur, et elle produit cette « conversion intérieure » sans laquelle il n’y a pas de vrai oecuménisme (cf. Unitatis redintegratio UR 7).

Et puis la prière nous rappelle que l’unité est en définitive un don de Dieu que nous devons demander et auquel nous devons nous préparer pour qu’il nous soit donné. Comme tout don, comme toute grâce, l’unité dépend de « la miséricorde de Dieu » (Rm 9,16). Parce que la réconciliation de tous les chrétiens « dépasse les forces et les capacités humaines » (Unitatis redintegratio UR 24), la prière continuelle et fervente exprime notre espérance qui ne trompe pas et notre confiance dans le Seigneur qui fera toutes choses nouvelles (cf. Rm Rm 5,5 Ap 21,5).

3. Mais l’action de Dieu — également et surtout pour la construction de l’unité de tous les chrétiens — requiert de notre part une réponse toujours plus fidèle, toujours plus complète.

Cette année, le thème de la Semaine de prière attire précisément notre attention sur la pratique de certaines vertus fondamentales de la vie chrétienne : « Au service les uns des autres pour la gloire de Dieu. » Ce thème est extrait de la première lettre de saint Pierre (1P 4,7-11), lequel s’adresse à certaines communautés dé la diaspora du Pont, de Galicie, de Cappadoce, de Bithynie, d’Asie, qui traversaient des temps particulièrement difficiles. Il les exhorte à la foi chrétienne et il leur dit que « la fin de toutes choses est proche » (1P 4,7). Les temps que nous vivons — ceux qui vont de la rédemption par le Christ à son retour glorieux — sont des temps eschatologiques. Il faut donc vivre dans l’attente active. C’est dans ce contexte que saint Pierre demande d’être sobre afin de se consacrer à la prière ; de garder la charité, « une grande charité », de pratiquer l’hospitalité, c’est-à-dire l’ouverture et le don généreux aux frères, en particulier les marginaux, les émigrés. Il demande que l’on vive selon la grâce que l’on a reçue et que l’on mette cette grâce au service des autres, comme de bons administrateurs de la grâce multiforme de Dieu.

D’une part, l’attention fidèle à ces conseils et leur mise en pratique purifie les rapports entre les personnes parce que « l’amour couvre une multitude de péchés » (1P 4,8), d’autre part elle resserre les liens de la communauté, elle l’affermit et elle la fait croître. Il s’agit d’un véritable exercice de la recherche de l’unité. Ce thème de prière nous propose de vivre ensemble le plus possible l’héritage commun aux chrétiens. Les contacts, la coopération, l’amour mutuel, le service réciproque font que nous nous connaissons mieux les uns les autres, que nous redécouvrons ce que nous avons en commun, et aussi ce en quoi nous divergeons encore. Ces contacts nous incitent aussi à trouver les voies permettant de surmonter ces divergences.

Le IIe Concile du Vatican avait fait remarquer que la coopération peut facilement nous apprendre « comment on prépare la voie à l’unité des chrétiens » (Unitatis redintegratio UR 12). En effet, la prière, la charité mutuelle, le service réciproque constituent la communion entre les chrétiens et les acheminent vers la pleine unité.

4. En cette Semaine, notre prière pour l’Unité des chrétiens doit être surtout une prière d’action de grâce et de demande. Oui, nous devons remercier le Seigneur d’avoir suscité chez tous les chrétiens le désir de l’unité (cf. Unitatis redintegratio UR 1), et d’avoir béni cette recherche qui s’étend et s’approfondit toujours davantage.

Ces derniers temps, l’Église catholique a établi avec toutes les Églises et communautés ecclésiales des rapports fraternels que nous voulons poursuivre et approfondir avec confiance et espérance. Avec les Églises orthodoxes d’Orient, le dialogue de la charité nous a fait redécouvrir une communion quasi-complète, bien qu’encore imparfaite. C’est un motif de réconfort de voir que cette nouvelle attitude de compréhension ne se limite pas aux plus hauts responsables des Églises, mais pénètre progressivement dans les Églises locales, car le changement des rapports sur le plan local est indispensable pour tout nouveau progrès.

La pratique des vertus à laquelle nous appelle cette Semaine de prière peut en outre susciter de nouvelles expériences créatrices d’unité.

À ce propos, je voudrais rappeler qu’est sur le point de s’ouvrir un dialogue théologique entre l’Église catholique et les Églises d’Orient de tradition byzantine afin d’éliminer les difficultés qui empêchent encore la concélébration de l’Eucharistie et la pleine unité. C’est un moment important pour lequel nous implorons l’aide de Dieu.

Depuis longtemps sont en cours des dialogues également avec nos frères d’Occident : anglicans luthériens, méthodistes, réformés. Sur des thèmes qui, dans le passé, faisaient l’objet de profondes divergences, de consolantes convergences sont apparues. Des rapports utiles ont également été établis avec le Conseil oecuménique des Églises et avec d’autres organisations chrétiennes confessionnelles et internationales. Mais nous ne sommes pas au bout du chemin et nous devons le continuer pour arriver au but. Nous renouvelons donc notre prière au Seigneur pour qu’il donne à tous les chrétiens la lumière et la force permettant de faire tout ce qui est possible pour parvenir au plus tôt à la pleine unité dans la vérité, de sorte que, « confessant la vérité dans l’amour, nous grandissions à tous égards vers Celui qui est la tête, le Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa pleine croissance pour se construire lui-même, dans l’amour. » (Ep 4,15-16)

5. Et maintenant, chers frères et soeurs unissons-nous dans la prière et faisons nôtres les intentions que nous avons exposées, avec ces invocations auxquelles nous sommes tous invités à répondre : « Seigneur, écoute-nous. »

— Dans l’esprit du Christ, Notre-Seigneur, prions pour l’Église catholique, pour les autres Églises, pour toute l’humanité.

R. Seigneur, écoute-nous.

— Prions pour tous ceux qui sont persécutés à cause de la justice et pour tous ceux qui travaillent au service de la liberté et de la paix

R. Seigneur, écoute-nous.

— Prions pour ceux qui exercent un ministère dans l’Église, pour ceux qui ont des responsabilités particulières dans la vie sociale, pour tous ceux qui sont au service des petits et des faibles.

R. Seigneur, écoute-nous.

— Demandons à Dieu pour nous-mêmes le courage de persévérer dans notre engagement pour la réalisation de l’unité de tous les chrétiens.

R. Seigneur, écoute-nous.

Seigneur Dieu, nous avons confiance en toi. Donne-nous d’agir comme il te plaît. Donne-nous d’être de fidèles serviteurs de ta gloire. Amen.

En espérant que pendant la Semaine de l’Unité vous continuerez à prier pour ces intentions, de tout coeur nous vous donnons la bénédiction apostolique.




24 janvier 1979 LES DONS DE DIEU ET LE SENS DU VOYAGE EN AMERIQUE LATINE

24179 1. Le jour de l’Épiphanie, nous avons lu le passage de l’Évangile de saint Matthieu qui décrit l’arrivée à Bethléem des mages venus d’Orient : « En entrant dans la maison, ils virent l’Enfant avec Marie sa Mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » (Mt 2,11-12)

Nous avons déjà parlé ici des bergers qui ont trouvé l’Enfant, le Fils de Dieu nouveau-né couché dans la mangeoire (Lc 2,16).

Nous reviendrons encore aujourd’hui sur ces personnages qui, comme le veut la tradition, étaient trois : les rois mages. Le texte concis de saint Matthieu exprime bien ce qui fait partie de la substance de la rencontre de l’homme avec Dieu : « Tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. » L’homme rencontre Dieu dans un acte de vénération, d’adoration, de culte. Il convient de faire remarquer l’étroite relation qui existe entre le mot « culte » (« cultus ») et le mot « culture ». L’admiration, la vénération de ce qui est divin, de ce qui élève l’homme, fait partie de la substance même de la culture humaine, des différentes cultures. En disant : « Ils ouvrirent leurs coffrets et lui offrirent leurs présents… », l’Evangile nous apporte un second élément de la rencontre de l’homme avec Dieu Par ces mots, saint Matthieu exprime un élément qui caractérise profondément la substance même de la religion, entendue à la fois comme connaissance et comme rencontre. Une notion de Dieu uniquement abstraite ne donne pas encore cette substance.

L’homme connaît Dieu dans la rencontre avec lui et, vice-versa, il le rencontre en le connaissant. Il rencontre Dieu en s’ouvrant à lui, en lui faisant intérieurement le don de son « moi » humain, et en acceptant en échange le don de Dieu.

Au moment où ils se présentent devant l’Enfant qui est dans les bras de sa Mère, les rois mages, dans la lumière de l’Épiphanie, acceptent le don de Dieu incarné, son inexprimable abandon. En même temps, « ils ouvrent leurs coffrets et ils lui offrent leurs présents ». Il s’agit des présents concrets dont parle l’évangéliste, mais surtout ils s’ouvrent eux-mêmes à lui en lui faisant intérieurement le don de leur coeur. C’est là le vrai trésor qu’ils lui offrent. L’or, l’encens et la myrrhe n’en sont que l’expression extérieure. C’est ce don qui est le fruit de l’Épiphanie : ils reconnaissent Dieu et ils le rencontrent.

2. En méditant avec vous sur ces paroles de l’Évangile de saint Matthieu, me viennent à l’esprit les textes de la Constitution Lumen gentium qui parlent de l’universalité de l’Église. L’Épiphanie est la fête de l’universalité de l’Église, de sa mission universelle. Et nous lisons dans le texte du Concile : « L’unique Peuple de Dieu est présent à tous les peuples de la terre, empruntant à tous les peuples ses propres citoyens, citoyens d’un Royaume dont le caractère n’est pas terrestre, mais céleste. Tous les fidèles, en effet, dispersés à travers le monde, sont, dans l’Esprit-Saint, en communion avec les autres et, de la sorte, « celui qui réside à Rome sait que ceux des Indes sont pour lui un membre ». Mais comme le Royaume du Christ n’est pas de ce monde (cf. Jn Jn 18,36), l’Église ou Peuple de Dieu, par qui ce Royaume prend corps, ne retire rien aux richesses temporelles de quelque peuple que ce soit ; au contraire, elle sert et assume toutes les richesses, les ressources et les formes de vie des peuples en ce qu’elles ont de bon ;en les assumant, elle les purifie, elle les renforce, elle les élève. Elle se souvient, en effet, qu’il lui faut faire office de rassembleur avec ce Roi à qui les nations ont été données en héritage (cf. Ps Ps 2,8) et dans la cité duquel on apporte dons et présents (cf. Ps Ps 71,10 Is 60,47 Ap 21,24). Ce caractère d’universalité qui brille sur le Peuple de Dieu est un don du Seigneur lui-même, grâce auquel l’Église catholique, efficacement et perpétuellement, tend à récapituler l’humanité entière, avec tout ce qu’elle comporte de biens, sous le Christ chef, dans l’unité de son Esprit. En vertu de cette catholicité, chacune des parties apporte aux autres et à l’Église tout entière le bénéfice de ses propres dons, en sorte que le tout et chacune des parties s’accroissent par un échange mutuel universel et par un effort commun vers une plénitude dans l’unité. Ainsi donc, le Peuple de Dieu… naît du rassemblement de divers peuples. » (Lumen gentium LG 13 Lumen gentium )

Nous avons ici devant les yeux, en plus développée, l’image même qui nous est donnée dans l’Évangile de saint Matthieu qu’on lit le jour de l’Épiphanie. Le Christ enfant qui, à Bethléem, reçoit les dons des rois mages, est aussi Celui devant qui les hommes et les peuples entiers « ouvrent leurs trésors ». Dans cette ouverture devant Dieu incarné les dons de l’esprit humain prennent une valeur particulière. Ils deviennent les trésors des différentes cultures, la richesse spirituelle des peuples et des nations, le patrimoine commun de toute l’humanité. Ce patrimoine se constitue et s’étend toujours par cet « échange de dons » dont parle la Constitution Lumen gentium. Au centre de cet échange est le même Christ qui a accepté les dons des rois mages. Lui qui est le don visible et incarné, produit cette ouverture des coeurs et cet échange de présents dont vivent non seulement les individus mais les peuples, les nations, l’humanité tout entière.

3. Toute la méditation que nous venons de faire est d’une certaine manière une introduction et une préface à ce que je voudrais dire maintenant.

Demain, en effet, avec la grâce de Dieu, je dois partir pour le Mexique. Ce sera le premier voyage de mon pontificat. Je veux en cela suivre le grand Pape Paul et continuer la tradition inaugurée par lui. Je vais à Puebla, au Mexique, à l’occasion de l’Assemblée de la Conférence épiscopale d’Amérique latine qui ouvre ses travaux samedi prochain par une concélébration eucharistique au sanctuaire de Notre-Dame-de-Guadalupe. Dès aujourd’hui, j’exprime ma gratitude, et aux représentants de l’Épiscopat pour l’invitation qu’ils m’ont faite, et aux représentants des autorités mexicaines, en particulier au président de la République, pour leur attitude bienveillante à l’égard de ce voyage qui me permet de m’acquitter d’un devoir pastoral si important.

La liturgie de l’Épiphanie et les paroles de la Constitution Lumen gentium, auxquelles je me suis référé, nous amènent à considérer les dons particuliers que l’Église et le peuple du Mexique ont apportés et continuent d’apporter dans le trésor commun de l’humanité et de l’Église.

Qui n’a au moins entendu parler des splendeurs du vieux Mexique, de son art, de ses connaissances en matière d’astronomie, de ses pyramides, de ses temples dans lesquels s’exprimait une aspiration — encore imparfaite, obscure — vers le divin ?

Et que dire des cathédrales, des églises, des palais, des cités construits au Mexique par des artisans mexicains après la christianisation ? Ces constructions expriment éloquemment la merveilleuse symbiose que le peuple mexicain a su opérer entre les meilleurs éléments de son passé et ceux de son avenir chrétien dans lequel il entrait.

Mais le Mexique a fait de grands progrès également en des temps plus récents. A côté des fameuses constructions en style dit colonial, il y a aujourd'hui les gratte-ciel, les grandes routes, les impressionnants édifices publics, les établissements industriels du Mexique moderne. Mais — et c’est là un autre de ses mérites — au milieu du progrès politique, technique et civil moderne, l’âme mexicaine montre clairement qu’elle veut être et demeurer chrétienne. Même dans sa typique musique populaire, le Mexicain chante aussi son éternelle nostalgie de Dieu et sa dévotion à la Sainte Vierge. En des temps difficiles du passé, maintenant heureusement révolus, le Mexicain a manifesté non seulement de bons sentiments religieux mais un courage et une fermeté dans la foi peu ordinaires, parfois même héroïques, comme beaucoup s’en souviennent encore.

Je suis convaincu que peuvent se faire de nouveau, devant le Christ et sa Mère, cette « ouverture et cet échange de dons » dans lesquels l’Épiscopat d’Amérique latine moi-même et toute l’Église mettons tant d’espoir pour l’avenir.

4. Revenons encore une fois au récit de saint Matthieu. L’Évangile nous dit qu’à Bethléem les rois mages ont présenté leurs dons devant l’Enfant-Jésus et sa Mère.

Nous ajouterons qu’il continue à en être ainsi. N’est-ce pas ce que nous montrent l’histoire du Mexique et l’histoire de l’Église dans ce pays ? En allant là-bas, je me réjouis particulièrement de savoir que je marcherai sur les pas de tant de pèlerins qui, de toute l’Amérique, spécialement de l’Amérique latine, vont au sanctuaire de la Mère de Dieu à Guadalupe.

Moi-même, je viens d’une terre et d’une nation dont le coeur bat — et aussi le coeur des pays voisins —dans les grands sanctuaires mariaux, surtout celui de Jasna Gora. Je voudrais encore une fois, comme le jour de l’inauguration de mon pontificat, redire avec le plus grand poète polonais : « Vierge sainte, qui défends Czestochowa la claire et brilles sur la « Porta acuta… »

Cela me permet de comprendre le peuple, les peuples, l’Église, le continent dont le coeur bat au sanctuaire de Notre-Dame-de-Guadalupe.

J’espère aussi que cela m’ouvrira le coeur de cette Église, de ce peuple, de ce continent.





Catéchèses S. J-Paul II 30179