Premières Catéchèses S. J-Paul II 1978-79 61278

6 décembre 1978 L'HOMME RESSEMBLE PLUS A DIEU QU'A LA NATURE

61278

Soeurs et Frères très chers,



Je reprends le thème de mercredi dernier.



1. Pour pénétrer, dans sa plénitude biblique et liturgique, la signification de l’Avent, il est nécessaire de suivre deux directions. Il faut « remonter » aux origines et, en même temps, « descendre » en profondeur. Déjà, mercredi dernier, nous l'avons fait une première fois en choisissant comme sujet de notre méditation les premiers mots du livre de la Genèse : « Au commencement Dieu créa » (Beresit bara Elohim). Vers la fin du thème traité l'autre semaine nous avons relevé notamment que pour comprendre. l'Avent dans sa pleine signification il importait de pénétrer également le thème de l’« homme ». La pleine signification de l'Avent jaillit de la méditation sur la Réalité de Dieu qui crée — et qui, en créant, se révèle Lui-même (ceci est la première et fondamentale révélation et, également, la première et fondamentale vérité de notre « Credo »). La pleine signification de l'Avent émerge également de la réflexion profonde sur la réalité de l'homme. C'est de cette seconde réalité qu'est l'homme que nous allons nous rapprocher un peu plus durant la méditation de ce jour.



2. Il y a une semaine notre entretien a porté sur les paroles du livre de la Genèse qui définissent l'homme « image et ressemblance de Dieu ». Il est nécessaire de réfléchir de manière plus intense sur les textes qui en parlent. Ils font partie du premier chapitre du livre de la Genèse où la création du monde est décrite en une succession de sept jours. La description de la création de l'homme, le sixième jour, diffère quelque peu des descriptions précédentes. Avec celles-ci, nous sommes témoins seulement de l'acte de création, exprimé par la phrase : « Dieu dit — soit... » ; par contre, pour la création de l'homme l'auteur inspiré veut mettre d'abord en évidence l'intention et le dessein du Créateur (de Dieu-Elohim) ; nous y lisons, en effet : « Et Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » (
Gn 1,26). Comme si le Seigneur entrait en Lui-même ; non seulement comme si, en créant, il appelait du néant à l'existence avec le mot : « soit », mais, comme si, de manière particulière, il tirait l'homme du mystère de son propre être. Ceci est compréhensible, car il ne s'agit pas seulement de l'Être, mais de l'Image. L'image doit refléter, doit, d'une certaine façon, presque reproduire « la substance » de son Prototype. Le Créateur dit en outre : « à notre ressemblance ». Il est évident qu'il ne s'agit pas d'entendre cela comme un « portrait », mais comme un être vivant, qui vit la vie ressemblant à celle de Dieu.

Ce n'est qu'après ces mots qui témoignent, pour ainsi dire, du dessein du Dieu-Créateur, que la Bible parle de l'acte même de la création de l'homme :

« Dieu créa l'homme à son image ; à l'image de Dieu, Il le créa ; homme et femme Il les créa » (Gn 1,27).

Cette description est complétée par la bénédiction. Il y a donc : le dessein, l'acte même de la création et la bénédiction : « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre ; soumettez-la et régnez sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur la terre » (Gn 1,28).

Les derniers mots de la description : « Dieu vit ce qu'il avait fait, et voilà, c'était chose très bonne » (Gn 1,31) —  semblent être l'écho de cette bénédiction.



3. Il est certain que le texte de la Genèse est des plus anciens ; d'après les spécialistes de la Bible, il a été rédigé vers le IXe siècle avant Jésus-Christ. Ce texte contient la vérité fondamentale de notre foi, le premier article du Credo apostolique. La partie du texte qui présente la création de l'homme est admirable pour sa simplicité et, en même temps, pour sa profondeur. Les affirmations qu'elle contient correspondent à notre expérience et à notre connaissance de l'homme. Il est clair pour chacun, peu importe la manière idéologique de concevoir le monde, que l'homme, tout en appartenant au monde visible, à la nature, se différencie de quelque manière de cette nature même. En effet, le monde visible existe « pour lui », et lui, il y exerce l'autorité ; et même si, de diverses façons, il est « conditionné » par la nature, il la « domine ». Il la domine, fort de ce qu'il est ; fort de ses capacités et de ses facultés d'ordre spirituel qui le rendent différent du monde naturel. Ce sont proprement ces facultés-là qui constituent l'homme. Le livre de la Genèse est extrêmement précis sur ce point. En définissant l'homme «image de Dieu» il met en évidence la raison pour laquelle l'homme est un homme ; la raison pour laquelle il est un être distinct de toutes les autres créations du monde visible.

On connaît les innombrables tentatives que la science a faites — et continue à faire — dans ses différentes disciplines pour établir les liens de l'homme avec le monde naturel et démontrer sa dépendance de ce monde, allant jusqu'à l'insérer dans l'histoire de l'évolution des différentes espèces. Tout en respectant de telles recherches, nous ne saurions nous limiter à celles-ci. Si nous analysons l'homme au plus profond de son être, nous constatons qu'il se différencie du monde de la nature plus qu'il n'y ressemble. C'est dans ce sens que procèdent également l'anthropologie et la philosophie quand elles cherchent à analyser et comprendre l'intelligence, la liberté, la conscience et la spiritualité de l'homme. Le livre de la Genèse semble devancer toutes ces expériences de la science et, parlant de l'homme comme « image de Dieu », il fait entendre que la réponse au mystère de sa nature humaine ne se trouve pas sur la voie de la ressemblance avec le monde de la nature. L'homme ressemble plus à Dieu qu'à la nature. C'est dans ce sens que le Psaume 82, 6 dit : « Vous êtes des dieux », les termes que Jésus reprendra ensuite (cf. Jn Jn 10,34).



4. Cette affirmation est audacieuse. Il faut avoir la foi pour l'accepter. Toutefois la raison, sans préjugés, ne s'oppose pas à une semblable vérité sur l'homme ; au contraire elle y voit un complément à ce qui ressort de l'analyse de la réalité humaine, et surtout de l'esprit humain.

Il est extrêmement significatif que, dans la longue description de la création de l'homme, déjà le livre de la Genèse lui-même oblige l'homme — le premier homme créé, Adam — à faire une semblable analyse. Ce que nous lisons peut scandaliser certains, à cause de l'archaïque manière de s'exprimer, mais, -en même temps, lorsqu'on prend en considération le noeud du problème, il est impossible de ne pas être émerveillé devant l'actualité de ce récit.

Et voici le texte :

« Alors le Seigneur Dieu forma l'homme avec le limon de la terre et insuffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. Puis le Seigneur Dieu implanta un jardin dans l'Eden, à l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait formé. Le Seigneur fit sortir du sol toutes espèces d'arbres agréables à la vue et bons à manger, parmi lesquels l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve jaillissait de l'Eden pour irriguer le jardin, puis de là il se divisait et formait quatre cours d'eau...

Le Seigneur prit l'homme et le mit dans le jardin d'Eden pour qu'il le cultivât et le gardât... Puis le Seigneur Dieu dit : II n'est pas bon que l'homme soit seul : je veux lui donner une aide qui lui soit semblable. Alors le Seigneur Dieu forma du limon toute espèce d'animaux sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les mena à l'homme pour voir comment il les aurait nommés : de la manière dont l'homme aurait appelé chacun de êtres vivants, ce nom devait être le sien. Ainsi l'homme imposa un nom à tout le bétail, à tous les oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais l'homme ne trouva pas une aide qui lui fût semblable » (Gn 2,7-20).

De quoi sommes-nous témoins ? Voilà, le premier « homme » accomplit le premier et fondamental acte de connaissance du monde: En même temps cet acte lui permet de se connaître, de se distinguer lui-même « l'homme » de toutes les autres créatures et surtout de celles qui, comme « êtres vivants » — doués de vie végétative et sensitive — démontrent proportionnellement la plus grande ressemblance avec lui, « avec l'homme », lui aussi doué de vie végétative et sensitive. On pourrait dire que ce premier homme fait ce que normalement fait tout homme de n'importe quelle époque : c'est-à-dire qu'il réfléchit sur son propre être et se demande qui il est.

Le résultat du processus de cette recherche est de se rendre compte de la différence totale et essentielle : je suis différent. Je suis plus différent que semblable. La description biblique conclut : « l'homme ne trouva aucune compagnie qui lui ressemblât » (Gn 2,20).

5. Pourquoi parlons-nous aujourd'hui de tout cela ? — Nous le faisons pour mieux comprendre le mystère de l'A vent, pour le saisir, dès les fondements mêmes — et pénétrer ainsi le plus profondément possible dans notre christianisme.

L'Avent signifie « la Venue ».

Si Dieu « vient » à l'homme, II le fait parce qu'il a préparé dans son être humain une « dimension d'attente » qui permet à l'homme d'« accueillir » Dieu, qui le rend capable de le faire.,

Le livre de la Genèse — surtout ce chapitre — l'explique déjà quand, parlant de l'homme, il affirme que Dieu créa l'homme « à son image» (Gn 1,27).

Avec ma bénédiction apostolique.





13 décembre 1978 AVENT: LE DON QUE DIEU FAIT A L'HOMME

13128

1. Pour la troisième fois dans nos rencontres du mercredi je reprends le thème de l'Avent en suivant le rythme de la liturgie qui, de la manière la plus simple, et en même temps la plus profonde, nous introduit dans la vie de l'Eglise. Le Concile Vatican H qui nous a donné une doctrine riche et universelle sur l'Église, a également attiré notre attention sur la liturgie. Grâce à elle non seulement nous savons ce qu'est l'Eglise, mais nous faisons aussi, jour après jour, l'expérience de ce dont elle vit. Nous aussi nous en vivons parce que nous sommes l'Eglise : « La liturgie... contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Eglise. Car il appartient en propre à celle-ci d'être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l'action et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant étrangère (Constitution Sacrosanctum Concilium, n.
SC 2).

Maintenant, l'Eglise vit l'Avent. C'est pourquoi nos rencontres du mercredi se concentrent sur cette période liturgique. L'Avent signifie « Venue ». Pour pénétrer la réalité de l'Avent, nous avons voulu regarder dans la direction de « qui vient et pour qui il vient ». Nous avons donc parlé d'un Dieu qui, en créant le monde, se révèle lui-même : d'un Dieu-Créateur. Et mercredi dernier nous avons parlé de l'homme. Nous allons poursuivre aujourd'hui pour trouver une réponse plus complète à la demande : pourquoi « l'Avent » ? Pourquoi Dieu vient-il ? Pourquoi veut-il venir à l'homme ?

La liturgie de l'Avent est fondée principalement sur les textes des Prophètes de l'Ancien Testament. Jour après jour y parle le Prophète Isaïe. Dans l'histoire du Peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, il était un « interprète » tout particulier de la promesse que ce Peuple avait depuis longtemps reçue de Dieu en la personne de leur souche : Abraham. Comme tous les autres prophètes, et peut-être même plus qu'eux, Isaïe, renforçait chez ses contemporains la foi dans les promesses de Dieu, confirmées par l'Alliance au pied du Mont Sinaï. Il enseignait surtout la persévérance dans l'attente et la fidélité : « Peuple de Sion, le Seigneur viendra sauver les peuples et il fera entendre sa voix puissante pour la joie de votre coeur » (cf. Is 30,19-30). Lorsqu'il était sur la terre le Christ s'est référé plusieurs fois aux paroles d'Isaïe. Il a dit clairement : « Aujourd'hui s'accomplit ce passagère l'Ecriture que vous avez entendu de vos oreilles » (Lc 4,21).



2. La liturgie de l'Avent est de caractère historique. L'attente de la venue du « Oint » (Messie) fut un processus historique. Elle a imprégné, en effet, toute l'histoire d'Israël qui fut élu précisément pour préparer la venue du Sauveur.

Toutefois nos considérations dépassent d'une certaine manière la liturgie quotidienne de l'Avent. Revenons-en donc à la demande fondamentale : pourquoi Dieu vient-il ? Pourquoi veut-il venir à l'homme, à l'humanité ? A cette demande nous cherchons des réponses adéquates et nous les cherchons aux origines mêmes, c'est-à-dire encore avant que commence l'histoire du Peuple Elu. Cette année, nous voulons fixer l'attention sur les premiers chapitres du livre de la Genèse. L'événement historique ne serait pas compréhensible sans une lecture et une analyse approfondies de ces chapitres.

Si donc nous cherchons une réponse à la demande : « pourquoi » l'Avent ? nous devons à nouveau relire attentivement tout le récit de la création du monde et tout particulièrement la description de la création de l'homme. Ce qui est significatif — et j'ai déjà eu l'occasion de le signaler — c'est que le récit des divers jours de la création se termine par la constatation : « Et Dieu vit que c'était quelque chose de bon », et celui de la création de l'homme finit ainsi : « Et Dieu vit que c'était quelque chose de très bon ». Cette constatation s'unit, comme je l'ai dit la semaine dernière, à la bénédiction de ce qui a été créé et surtout à une explicite bénédiction de l'homme.

Dans toute cette description, nous avons devant nous un Dieu qui — pour employer l'expression de Saint Paul — met sa joie dans la vérité, dans le bien (cf. 1Co 13,6). Où se trouve la joie qui jaillit du bien, là il y a l'amour. Et c'est seulement là où existe l'amour qu'il y a la joie qui vient du bien. Dès ses premiers chapitres, le livre de la Genèse nous révèle le Dieu qui est Amour (bien que de cette expression Saint Jean ne se servira que plus tard). Il est Amour, parce qu'il se réjouit du bien. La création constitue donc en même temps une authentique donation : là où il y a amour, il y a don.

Le livre de la Genèse nous renseigne sur le début de l'existence du monde et de l'homme. L'interprétant nous devons, sans aucun doute, comme l'a fait Saint Thomas d'Aquin, édifier une philosophie de l'être logiquement appropriée, une philosophie qui exprime l'ordre même de l'existence. Le livre de la Genèse parle toutefois de la création comme don. Dieu qui créa le monde visible est un donateur ; et l'homme est celui qui reçoit le don. Il est celui pour qui Dieu a créé le monde visible, celui que, dès les origines, Dieu a introduit non seulement dans l'ordre de l'existence mais également dans l'ordre de la donation. Le fait que l'homme soit « image et ressemblance » de Dieu signifie notamment qu'il est en mesure de recevoir le don, qu'il est sensible à ce don et qu'il est capable de la réciproque. C'est précisément pour cela que dès les origines Dieu a établi l'alliance avec l'homme et exclusivement avec lui. Le livre de la Genèse nous révèle non seulement l'ordre naturel de l'existence, mais en même temps, dés le début, l'ordre surnaturel de la grâce. De la grâce nous ne pouvons parler que si nous admettons la réalité du don. Rappelons-nous le catéchisme « la grâce est le don surnaturel de Dieu grâce auquel nous devenons fils de Dieu et héritiers du ciel ».



3. Quel rapport tout cela a-t-il avec l'Avent ? pourrait-on se demander à juste titre. Je réponds : L'Avent s'est annoncé pour la première fois à l'horizon de l'histoire lorsque Dieu s'est révélé lui-même comme Celui qui se réjouit du bien, qui aime et qui donne. Dans ce don fait à l'homme, Dieu ne s'est pas limité à « lui donner » le monde visible — ceci est très clair dés le début — mais en donnant à l'homme le monde visible, Dieu a voulu se donner également lui-même à l'homme, comme l'homme est capable de se donner, comme il se donne lui-même à l'autre homme : de personne à personne ; c'est-à-dire, se donner Lui-même à lui, en l'admettant à la participation à ses mystères, mieux, à la participation à sa vie. Ceci se réalise de manière tangible dans les relations familiales : entre mari et femme, entre parents et enfants. Voilà pourquoi les prophètes se réfèrent souvent à de telles relations pour montrer la véritable image de Dieu.

L'ordre de la grâce n'est possible que dans « le monde des personnes ». Il concerne le don qui tend toujours à la formation et à la communion des personnes ; en fait le livre de la Genèse nous présente une pareille donation. La forme de cette « communion de personnes » y est tracée dès le début. L'homme est appelé à la familiarité avec Dieu, à l'intimité et à l'amitié avec Lui. Dieu veut lui être proche. Il veut le faire participer à ses desseins. Il veut le faire participer à sa vie. Il veut le rendre heureux de son propre bonheur (de son Etre lui-même).

Pour tout ceci est nécessaire la Venue de Dieu, et l'attente de l'homme : la disponibilité de l'homme.

Nous savons que le premier homme qui jouissait de l'innocence originelle et d'une particulière proximité avec son Créateur, n'a pas fait preuve de cette disponibilité. Cette première alliance de Dieu avec l'homme a été interrompue, mais la volonté de Dieu de sauver l'homme n'a pas changé. L'ordre de la grâce ne s'est pas brisé et c'est pourquoi l'Avent dure toujours.

La réalité de l'Avent est exprimée notamment par Saint Paul quand il écrit que «Dieu... veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4).

Ce « Dieu veut » est précisément l'Avent et il se trouve à la base de tout événement.


Un appel du Saint-Père pour la libération des victimes de séquestres



S'adressant au groupe de malades présents



Un salut et une bénédiction particulière aux malades ici présents et à tous ceux qui souffrent. Ma pensée se tourne vers tout endroit du monde où la douleur, physique ou morale, tourmente des êtres humains.

En suivant les nouvelles quotidiennes, on rencontre des drames et des souffrances qui étreignent le coeur. Aujourd'hui je voudrais rappeler tout particulièrement ceux qui se trouvent dans l'affliction à cause d'une forme de violence qui est devenue malheureusement tellement fréquente, ces dernières années : celle des enlèvements de personnes.

C'est une plaie indigne de pays civilisés ; elle est parvenue, hélas, à des formes de cruauté qui font horreur.

Au nom de Dieu je supplie les responsables d'accepter de rendre la liberté à ceux qu'ils tiennent sous séquestre et je leur rappelle que Dieu est vengeur des actions des hommes. Que le Seigneur touche vraiment leur coeur et fasse triompher cette étincelle d'humanité qui ne peut être absente de leur âme donnant ainsi une conclusion plausible à un acte vivement déplorable.




20 décembre 1978 LA DIMENSION ETHIQUE DE L'HOMME

20128

1. Notre rencontre d'aujourd'hui nous offre l'occasion de méditer pour la quatrième et dernière fois sur l'A vent. Le Seigneur est proche, la liturgie de l'Avent nous le rappelle chaque jour. Cette proximité du Seigneur, nous la sentons tous : nous, les prêtres, en récitant chaque jour les admirables « Grandes Antiennes » de l'Avent, comme tous les chrétiens qui s'efforcent de préparer leurs coeurs et leurs consciences à sa venue. Je sais que dans ma patrie, la Pologne, les confessionnaux sont pris d'assaut pendant cette période, non moins que durant le Carême. Je pense qu'il en est certainement de même en Italie et partout où un profond esprit de foi fait éprouver le besoin d'ouvrir son âme au Seigneur qui va venir.

La joie la plus grande de cette attente de l'Avent est celle que vivent les enfants. Je me rappelle que c'est proprement eux qui se hâtaient le plus volontiers dans les paroisses de ma patrie, pour participer à la messe qui se célèbre à l'aurore (appelée « Rorate » du mot par lequel commence la liturgie : « Rorate coeli » — distillez, ô cieux. .., Is
Is 45,8). Ils comptaient encore sur « l'échelle céleste » par laquelle Jésus allait descendre sur la terre, et ce, pour le rencontrer à mi-nuit de Noël dans la crèche de Bethléem.

Le Seigneur est proche !



2. Il y a une semaine nous avons déjà parlé de cette proche venue du Seigneur. C'était en effet le troisième sujet des considérations du mercredi, choisies pour l'Avent de cette année-ci. Nous reportant aux origines mêmes de l'humanité, c'est-à-dire au livre de la Genèse, nous avons médité successivement les vérités de l'Avent : Dieu qui crée (Elohim) et qui, dans cette création se révèle simultanément Lui-même ; l’homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, qui « reflète » Dieu dans le monde visible créé. Ce furent là les premiers thèmes, fondamentaux, de nos méditations durant l'Avent. Puis, le troisième thème qui peut brièvement se résumer dans le mot « grâce ». « Dieu veut » que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4). Dieu veut que l'homme participe à sa vérité, à son amour, à son mystère, afin qu'il puisse prendre part à la vie de Dieu lui-même. « L'arbre de la vie » symbolise cette réalité dès les premières pages de la Sainte Ecriture. Mais dans les mêmes pages nous rencontrons aussi un autre arbre : le livre de la Genèse l'appelle « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,16). Pour que l'homme puisse manger le fruit de l'arbre de la vie, il devra s'abstenir de toucher au fruit de l'arbre de « la connaissance du bien et du mal ». Cette expression peut avoir le son d'une légende archaïque. Toutefois, plus nous pénétrons « la réalité de l'homme », telle que son histoire terrestre nous a permis de la comprendre — et comme nous en parle, à chacun de nous, notre expérience humaine intime et notre conscience morale — et mieux nous nous rendons compte qu'il est impossible de rester indifférents, haussant les épaules devant ces images bibliques primitives. Combien grande est la charge de vérités essentielles sur l'homme qu'elles contiennent ! Des vérités que chacun de nous ressent comme nous appartenant en propre. Ovide, l'antique poète romain, n'a-t-il pas dit de manière explicite : « Vidéo meliora proboque, détériora sequor » — Je vois ce qu'il y a de meilleur et je l'approuve, mais je suis le pire (Métamorphoses VII, 20). Ses paroles ne s'écartent pas beaucoup de ce qu'écrira plus tard Saint Paul :  « Vraiment, ce que je fais, je ne le comprends pas : car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais » (Rm 7,15). L'homme lui-même, après le péché d'Adam, se trouve entre « le bien et le mal ».  « La réalité de l'homme » — la « réalité » de l'homme la plus profonde — semble se dérouler entre celui qui, dès les origines a été défini comme « l'arbre de la vie » et celui qui a été défini comme           « l'arbre de la connaissance du bien et du mal ». C'est pourquoi, de nos méditations sur l'Avent qui concernent les lois fondamentales, les réalités essentielles, nous ne pouvons exclure un autre thème : celui qu'exprimé le mot «péché».



3. Le péché. Le catéchisme nous dit de manière simple et facile à retenir, que le péché est une transgression du commandement de Dieu. Sans aucun doute, le péché est la transgression d'un principe moral, la violation d'une « norme » — et sur ceci, tout le monde est d'accord, même ceux qui ne veulent pas entendre parler de « commandements de Dieu ». Ceux-ci, également, sont d'accord pour admettre que les principales normes morales, les principes de comportements les plus élémentaires sans lesquels la coexistence entre les hommes serait impossible, sont précisément celles que nous connaissons comme « commandements de Dieu » (en particulier le quatrième, le cinquième, le septième et le huitième). La vie de l'homme, la coexistence entre les hommes, se déroulent dans une dimension éthique ; c'est là leur caractéristique essentielle, et c'est aussi la dimension essentielle de la culture humaine.

J'aimerais toutefois qu'aujourd'hui nous nous concentrions sur ce « premier péché » qui — malgré ce qu'on en pense généralement — est décrit dans le livre de la Genèse avec une précision si grande qu'elle démontre toute la profondeur de la « réalité de l'homme » qui s'y trouve. La tentation est exprimée par les paroles suivantes du tentateur : « Dieu sait que si vous en mangiez, vos yeux s'ouvriraient et vous deviendriez comme Dieu, connaissant le bien et le mal » (Gn 3,5). Le contenu de la tentation touche ce que le Créateur Lui-même a façonné dans l'homme — car, en fait, il a été créé à la « ressemblance de Dieu », ce qui veut dire « comme Dieu ». Il touche également le désir de la connaissance qui est dans l'homme, ainsi que le désir de la dignité. Sauf que l'un et l'autre sont falsifiés, de sorte que le désir de la connaissance comme celui de la dignité — c'est-à-dire de la ressemblance à Dieu — sont utilisés, dans le geste de la tentation, pour opposer l'homme à Dieu. Le tentateur met l'homme contre Dieu en lui suggérant que Dieu est son adversaire, qu'il cherche à le maintenir, lui l'homme, dans un état d'ignorance, qu'il cherche à le « limiter » pour le soumettre. Le tentateur : « Vous ne mourrez pas du tout ! Au contraire Dieu sait que si vous en mangiez, vos yeux s'ouvriraient et vous deviendriez comme Dieu, connaissant le bien et le mal » (selon la traduction antique : « vous seriez comme des dieux ») (Gn 3,4-5).

Cette « archaïque » description, il faut la méditer, et pas seulement une fois. Je ne sais si l'on peut trouver dans la Sainte Ecriture d'autres passages où la réalité du péché est décrite dans sa forme d'origine, mais aussi dans son essence, c'est-à-dire où la réalité du péché est présentée dans des dimensions si pleines et profondes, établissant comment l'homme s'est servi contre Dieu de ce qu'en lui il y avait précisément de Dieu, c'est-à-dire de ce qui devait servir à le rapprocher de Dieu.



4. Pourquoi parlons-nous aujourd'hui de tout cela ? Pour mieux comprendre l’Avent. Avent veut  dire : Dieu qui vient, parce qu'il veut « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (l Tm 2, 4). Il vient parce qu'il a créé le monde et l'homme par amour et qu'il a établi avec lui l'ordre de la grâce.

Toutefois, il vient « à cause du péché » ;

il vient malgré le péché ;

il vient pour effacer le péché.

Ne nous étonnons donc pas si, la nuit de Noël, Jésus ne trouve pas place dans une maison de Bethléem et doive naître dans une étable (dans la grotte qui servait d'abri aux animaux).

Et donc le fait qu'il vient est d'autant plus important.

L'A vent de chaque année nous rappelle chaque année que la grâce, c'est-à-dire la volonté de Dieu de sauver l'homme, est plus puissante que le péché.

Avec ma bénédiction apostolique.





27 décembre 1978 L'HOMME EST L'ÊTRE QUI CHERCHE DIEU

27128

1. Nous nous rencontrons durant la période liturgique de Noël. Je désire donc que les paroles que je vais vous adresser aujourd'hui s'accordent avec la joie de cette fête et de cette octave. Je désire, en outre, qu'elles correspondent à cette simplicité et profondeur qui de Noël rayonne sur nous tous. Spontanément me revient à l'esprit le souvenir de mes sentiments et de mes vicissitudes, à partir des années de mon enfance, en passant par les années difficiles de ma jeunesse, la période de la seconde guerre, la guerre mondiale. Puisse celle-ci ne plus jamais se répéter dans l'histoire de l'Europe et du monde ! Et pourtant, même durant les pires années, Noël a toujours porté avec soi quelque rayon. Et ce rayon pénétrait également dans les plus rudes expériences de mépris de l'homme, d'anéantissement de sa dignité, de cruauté. Il suffit, pour s'en rendre compte, de prendre en main les « mémoires » des hommes qui sont passés par les prisons ou les camps de concentration, par les fronts de la guerre, et par les interrogatoires et les procès.

Ce rayon de la nuit de Noël, rayon de la naissance de Dieu, n'est pas seulement un souvenir des lumières de l'arbre de Noël, à côté de la crèche à la maison, dans la famille ou à l'église paroissiale, mais il est quelque chose de plus. Il est la lueur la plus profonde de l'humanité qui a reçu la visite de Dieu, l'humanité de nouveau accueillie et assumée par Dieu lui-même ; assumée en le Fils de Marie dans l'unité de la Personne Divine : le Fils-Verbe. La nature humaine assumée par le Fils de Dieu en chacun de nous qui avons été adoptés dans la nouvelle union avec le Père. Le rayonnement de ce mystère s'étend loin, très loin ; il atteint également ces parties et ces milieux de l'existence de l'homme où toute pensée sur Dieu a été quasi étouffée et semble absente comme si elle avait été brûlée et totalement éteinte. Et voilà qu'avec la nuit de Noël point une lueur : peut-être, malgré tout ?... Heureux ce « peut-être malgré tout »... il est déjà une lueur de foi et d'espérance.



2. Lors de la fête de Noël, nous lisons à propos des bergers de Bethléem qui, les premiers, furent appelés à la crèche pour voir le Nouveau-né : « Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le Nouveau-né couché dans la crèche » (
Lc 2,16).

Arrêtons-nous à ce « trouvèrent ». Ce mot indique la recherche. En effet, les bergers de Bethléem, en commençant à se reposer au milieu de leur troupeau, ne savaient pas que le temps était venu où allait s'accomplir ce que depuis des siècles avaient annoncé les prophètes de ce peuple auquel ils appartenaient eux-mêmes ; et que ce serait arrivé précisément cette nuit-là, et dans les environs du lieu où ils faisaient halte. Même après qu'ils se furent réveillés du sommeil dans lequel ils étaient plongés, ils ne savaient pas ce qui était arrivé, ni c'était advenu. Leur arrivée à la grotte de la Nativité était le résultat d'une recherche. Mais en même temps ils avaient été conduits, ils étaient — comme on lit — guidés par la voix et par la lumière. Et si nous remontons plus loin dans le passé, nous les voyons guidés par la tradition de leur peuple, par son attente. Nous savons en effet qu'Israël avait eu la promesse du Messie.

Et voici l’Evangéliste qui parle des simples, des modestes, des pauvres d'Israël : des bergers qui, les premiers, l'ont trouvé. Du reste, il en parle en toute simplicité, comme s'il s'agissait d'un événement      « extérieur » : ils ont cherché où il pouvait être, et, finalement, ils ont trouvé. Ce « trouvèrent » de Luc indique en même temps une dimension intérieure : c'est-à-dire ce qui, en ces hommes, en ces simples bergers de Bethléem, s'est accompli la nuit de Noël. « Ils trouvèrent Marie, Joseph et le Nouveau-né couché dans la crèche », et puis : « les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient vu et entendu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé » (Lc 2,16-20).



3. « Trouvèrent » indique « la recherche ».

L'homme est un être qui cherche. Toute son histoire le confirme. Même la vie de chacun de nous en témoigne. Nombreux sont les champs où l'homme cherche et recherche et puis trouve ; et parfois, après avoir trouvé, il recommence à chercher. Parmi tous ces champs dans lesquels l'homme se révèle comme un être qui cherche, il en est un, plus profond. C'est celui qui pénètre le plus intimement dans l'humanité même de l'être humain. Et c'est le plus lié au sens de toute la vie humaine.

L'homme est l'être qui cherche Dieu.

Diverses sont les voies de cette recherche et multiples les histoires des âmes humaines proprement sur ces voies. Celles-ci semblent parfois très simples et proches. D'autres fois elles sont difficiles, compliquées, lointaines. Parfois l'homme parvient facilement à son « eurêka » : « j'ai trouvé ! ». Parfois il est en lutte avec les difficultés comme s'il ne pouvait comprendre ni soi-même ni le monde, et surtout comme s'il ne pouvait comprendre le mal qu'il y a dans le monde. On sait que même dans le contexte de la Nativité ce mal a montré sa face menaçante.

De nombreux hommes ont décrit leur recherche de Dieu sur le chemin de leur propre vie. Plus nombreux sont ceux qui se taisent, considérant comme leur propre secret, le plus profond, le plus intime, tout ce qu'ils ont vécu le long de cette voie : l'expérience qu'ils ont faite, comment ils ont cherché, comment ils ont perdu la bonne direction et comment ils l'ont retrouvée.

L'homme est l'être qui cherche Dieu.

Et même après l'avoir trouvé, il continue à le chercher. Et s'il le cherche avec sincérité, il l'a déjà trouvé ; comme dans une célèbre pensée de Pascal, Jésus dit à l'homme : « Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais déjà trouvé » (Pascal, Pensées, 553 : Le mystère de Jésus).

C'est cela la vérité sur. l'homme.

On ne saurait la falsifier . On ne peut même pas la détruire. Il faut la laisser à l'homme parce qu'elle le définit.

Que dire de l'athéisme, face à cette vérité ? Il est nécessaire de dire énormément de choses, bien plus que ce qu'il est possible d'insérer dans le cadre de mon bref discours. Mais il est au moins une chose qu'il faut dire : il est indispensable d'appliquer un critère, c'est-à-dire le critère de la liberté de l'esprit humain. L'athéisme est en désaccord avec ce critère — un critère fondamental — aussi bien lorsqu'il nie à priori que l'homme est l'être qui cherche Dieu, que lorsque, de diverses manières, il mutile cette recherche dans la vie sociale, publique et culturelle. Une telle attitude est contraire aux droits fondamentaux de l'homme.



4. Mais je ne veux pas m'attarder sur ceci. Si je vous en parle c'est pour vous montrer toute la beauté et la dignité de la recherche de Dieu.

Cette pensée m'a été suggérée par la fête de Noël.

Comment le Christ est-il né ? Comment est-il venu au monde ? Pourquoi est-il venu au monde ?

Il est venu au monde pour que les hommes puissent le trouver : ceux qui le cherchent. De même que les bergers l'ont trouvé dans la grotte de Bethléem.

Je dirais plus encore : Jésus est venu au monde pour révéler toute la dignité, toute la noblesse de la recherche de Dieu qui est le besoin le plus profond de l'âme humaine, et pour venir au-devant de cette recherche.







Premières Catéchèses S. J-Paul II 1978-79 61278