Premières Catéchèses S. J-Paul II 1978-79 20879

1er août 1979 RENOUVELLEMENT DE L'EGLISE DANS L'ESPRIT DU CONCILE

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C'est bientôt le premier anniversaire de la mort du pape Paul VI. Dieu l'a rappelé à lui le 6 août de l'année dernière, le jour de la fête de la Transfiguration du Seigneur. Cette fête, riche en beauté et en contenu, a marqué le dernier jour de Paul VI sur la terre, le jour de sa mort, le jour de son passage de la vie ici-bas à l'éternité. « La vie n'est pas détruite mais transformée », comme dit la préface de la messe pour les défunts. En effet, le jour de la mort de ce grand pape, jour de la fête de la Transfiguration, est devenu le signe éloquent de cette vérité. Réfléchissons sur la signification du jour choisi par Dieu pour mettre fin à une vie si laborieuse, faite de dévouement et de sacrifice pour la cause du Christ, de l'Evangile et de l'Eglise. Le pontificat de Paul VI n'a-t-il pas été un temps de transformation profonde que l'Esprit Saint a soutenue tout au long du Concile convoqué par son prédécesseur ? Paul VI qui avait hérité de Jean XXIII des travaux du Concile dès la fin de la première session de 1963, n’a-t-il pas été au centre de cette transformation, d'abord comme le pape de Vatican II, puis comme le pape de la réalisation de Vatican II dans la période la plus difficile, celle qui en a suivi la clôture ?

Le sens du jour choisi par Dieu pour mettre fin au ministère pontifical de Paul VI peut être interprété de plusieurs façons. « Lorsqu'on pense à la fête de la Transfiguration, ce jour par lequel Dieu a voulu que Paul VI achève sa vie de foi, on peut dire que ce jour a manifesté en quelque sorte le charisme particulier de Paul VI et le grand travail de sa vie. Charisme de transformation et travail de transformation. En développant cette pensée, on peut dire qu'en rappelant à lui le pape Paul VI de jour de Sa transfiguration, le Seigneur a permis au pape et à nous tous de reconnaître Sa présence dans toute l'oeuvre de transformation et de renouveau de l'Eglise selon l'esprit de Vatican II. Le Seigneur y était présent tout comme dans l’événement merveilleux du Mont Tabor qui prépara les apôtres au départ du Christ de cette terre, d'abord par la Croix, puis par la Résurrection.

2. Le pape de Vatican II ! Le pape de cette transformation profonde qui n'était autre qu'une révélation du visage de l'Eglise, attendue par l'homme et par le monde d'aujourd'hui ! Il y a ici aussi une analogie avec le mystère de la Transfiguration du Seigneur. En effet, ce même Christ que les apôtres ont vu sur le Mont Tabor n'était autre que celui qu'ils avaient connu chaque jour, celui dont ils avaient écouté les paroles et vu les actes.

Sur le Mont Tabor, c'est le même Seigneur qui s'est révélé à eux, mais « transfiguré ».

Et dans cette transfiguration s'est manifestée et réalisée une image de leur Maître qui leur était auparavant inconnue et qui se présentait à eux voilée.

Jean XXIII et après lui, Paul VI, ont reçu de l'Esprit Saint le charisme de la transformation grâce auquel le visage de l'Eglise, connu de tous, s'est manifesté : toujours le même et à la fois différent. Cette « diversité » ne signifie pas séparation de sa propre nature mais pénétration plus profonde dans cette nature même. Elle est la révélation de ce visage de l'Eglise qui était jusqu'alors caché. Il était nécessaire qu'à travers les « signes des temps » reconnus par le Concile, ce visage devienne manifeste et visible, qu'il devienne un principe de vie et d'action pour aujourd'hui et pour l'avenir. Le pape qui nous a quittés l'an dernier, le jour de la fête de la Transfiguration du Seigneur a reçu de l'Esprit Saint le charisme de son temps. En effet, si la transformation de l’Eglise doit servir à son renouveau, il faut que celui qui l'entreprend ait une conscience très forte de l'identité de l'Eglise. Et Paul VI a manifesté cette conscience notamment dans sa première encyclique Ecclesiam suam, puis tout au long de son pontificat : en proclamant le Credo du peuple de Dieu et en publiant une série de normes d'application des délibérations de Vatican II, en inaugurant l'activité du Synode des évoques, en faisant des pas de pionnier vers l'unité des chrétiens, en réformant la Curie Romaine, en internationalisant te Collège des cardinaux, etc.

Tout cela révélait toujours la même conscience de l'Eglise qui affermit plus profondément sa propre identité dans sa capacité de renouveau et dans sa capacité d'accueillir les transformations qui naissent de sa vitalité et de l'authenticité de la Tradition.

3. Permettez-moi dans ce contexte de rappeler au moins quelques phrases de nombreux documents du pape mort il y a un an. Dans sa première encyclique Ecclesiam suam qui porte la date du 6 août 1964, il écrivait : « D'une part la vie chrétienne, que l'Eglise sauvegarde et développe, doit sans cesse et courageusement se défendre de toute déviation, profanation ou étouffement ; il lui faut comme s'immuniser contre la contagion de l'erreur et du mal. Mais d'autre part, la vie chrétienne ne doit pas simplement s'accommoder des manières dépenser et d'agir présentées et imposées par le milieu temporel, tant qu'elles sont compatibles avec les impératifs essentiels de son programme religieux et moral ; elle doit de plus tâcher de les rejoindre, de les purifier, de les ennoblir, de les animer et de les sanctifier... L'expression popularisée par notre vénéré prédécesseur Jean XXIII, aggiornamento, nous restera toujours présente pour exprimer l'idée maîtresse de notre programme ; nous avons confirmé que telle était la ligne directrice du Concile et nous le rappellerons pour stimuler dans l'Eglise la vitalité toujours renaissante, l'attention constamment éveillée aux signes des temps et l'ouverture indéfiniment jeune qui sache vérifier toute chose et retenir ce qui est bon (
1Th 5,21), en tout temps et en toute circonstance » (n° 44 et 52).

Et quelques années plus tard, il disait dans l'un de ses discours : Celui qui a compris quelque chose de la vie chrétienne ne peut plus faire abstraction de sa constante aspiration de renouvellement. Ceux qui attribuent à la vie chrétienne un caractère de stabilité, de fidélité, d'immobilisme voient juste mais ils ne voient pas tout. Il est certain que la vie chrétienne est ancrée sur des faits et des engagements qui n'admettent pas de changements, comme la régénération baptismale, la Foi, l'appartenance à l'Eglise, l'animation de la charité. C'est par sa nature une acquisition permanente et qu'il ne faut jamais compromettre, mais c'est comme nous le disons, une vie, et par conséquent, un principe, une semence qui doit se développer, qui exige une croissance, un perfectionnement et, étant donné notre caducité et en raison de certaines conséquences inguérissables du péché originel, qui exige réparation, réfection, renouvellement. (Aud. gén. Gn 21 avril 1971).



Paul VI, maître et pasteur

4. Le pape Paul VI a été un semeur généreux de la Parole de Dieu. Il a enseigné par les documents solennels de son pontificat. Il a enseigné par les homélies qu'il prononçait en différentes circonstances. Enfin, il a enseigné par sa catéchèse du mercredi qui, depuis son pontificat, fait partie du programme normal de l'année. Grâce à cela, il a pu « proclamer » sans cesse « l'Evangile» (Evangelii nuntiandi). L'annonce de l'Evangile, il la considérait, en suivant l'exemple de saint Paul, comme son premier devoir et comme sa plus grande joie. Cette catéchèse pontificale est devenue nourriture pour toute l'Eglise, à une époque qui en avait particulièrement besoin.

Face aux inquiétudes de l’après-concile, ce « charisme particulier de la Transfiguration » a été une bénédiction et un don pour l'Eglise. Ainsi Paul VI est devenu maître et pasteur des esprits et des consciences sur des questions qui exigeaient la décision de son autorité suprême. Il a servi le Christ et l'Eglise avec une fermeté et une humilité admirables qui lui ont permis de regarder, avec les yeux de la foi et de l'espérance, l'avenir de l'oeuvre qu'il accomplissait.

A l'approche du premier anniversaire de sa mort, nous recommandons à nouveau son âme au Christ du Mont de la Transfiguration, afin qu'il l'accueille dans la Gloire de l'éternel Tabor.






8 août 1979 PAUL VI, APOTRE DE LA PAIX

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Je voudrais encore aujourd'hui consacrer notre rencontre au souvenir du grand pape Paul VI que le Père Céleste a rappelé à Lui, voici un an, le jour de la fête de la Transfiguration du Seigneur. Il est évident que mes paroles d'aujourd'hui, pas plus que celles de mercredi dernier, ne peuvent épuiser l'immense richesse du pontificat ni de la personnalité de Paul VI. Ce que nous voulons mettre en évidence c'est la merveilleuse convergence entre le jour de sa mort et le charisme de sa vie. J'ai essayé de développer cette pensée la semaine dernière en insistant notamment sur la transformation de l'Eglise — une transformation réalisée par le Concile à travers une relecture des signes des temps. Jean XXIII appelait cette transformation aggiornamento. Et c'est à ce processus de renouveau, commencé par le « pape de la Bonté » que le pape Paul VI consacra ses quinze années de pontificat.

Cet aggiornamento, ce renouveau ou transformation a été dicté par la profonde connaissance de la nature de l'Eglise et par l'amour pour sa mission de salut. A l'initiative du pape Jean XXIII, puis sous la direction de Paul VI, l'Eglise s'est adaptée aux tâches inhérentes à sa mission devant l'homme de notre temps, devant la famille humaine. Le sens le plus profond de l’aggiornamento est essentiellement évangélique : il naît de la volonté de servir, à la suite du Christ, de la volonté de servir Dieu en l'homme, de la volonté de servir l'homme. Le service s'identifie avec la mission, redécouverte dans la mission de salut du Christ lui-même.



La véritable paix


2. La mission de servir l'homme a toujours eu, dans le ministère pontifical de Paul VI, une dimension concrète et en même temps universelle. On sert, en effet, chaque homme en servant les causes dont dépend la juste direction de sa vie dans les différents domaines : historique, social, économique, politique et culturel. Dans sa mission en faveur de la transformation de la destinée de l'homme sur la terre, Paul VI a toujours mis au premier rang la grande cause de la paix entre les nations. Il a consacré à cette cause la plus grande attention, la plus grande sollicitude et le plus grand soin. Il suffit de rappeler ses messages annuels pour la Journée Mondiale de la Paix, qui lui ont permis de développer sous plusieurs points de vue cette grande thématique morale de notre époque.

« La véritable paix, rappelait-il pour la Journée de la Paix 1971, doit être fondée sur la justice, sur le sentiment d'une intangible dignité humaine, sur la reconnaissance d'une ineffaçable et heureuse égalité entre les hommes, sur le dogme fondamental de la fraternité humaine. C'est-à-dire du respect et de l'amour dus à tout homme en sa qualité d'homme. Explose le mot victorieux : en sa qualité de frère. Mon frère, notre frère » (Journée de la Paix, 1971).

« Si tu veux la paix, travaille pour la justice ». C'était l’engagement que proposait Paul VI l'année suivante. Et Il écrivait : « C'est une invitation qui n'ignore pas la difficulté de pratiquer la Justice, et tout d'abord de la définir, puis de l'actualiser ; et ce n'est jamais sans quelque sacrifice de son propre prestige ou de son propre intérêt. Il faut peut-être une plus grande magnanimité pour obtempérer aux raisons de la Justice et de la Paix que pour lutter et imposer son propre droit, authentique ou présumé, à l'adversaire ». (Message de la Paix, 1972).

Et encore : « Rendons-la possible, cette paix, en prêchant l'amitié et en pratiquant l'amour du prochain, la justice, le pardon chrétien. Ouvrons-lui les portes, là où elle est écartée, par des négociations loyales et orientées, vers des conclusions sincèrement positives ; ne refusons pas tout sacrifice qui, sans porter atteinte à la dignité de celui qui se montre généreux, rendrait la paix plus rapide, plus cordiale et plus durable ». (Journée de la Paix, 1973).



Vouloir la paix

3. L'importance de la cause de la paix dans la vie des hommes d'aujourd'hui, il faut aussi la mesurer en tenant compte de la menace de mort que peut représenter la guerre moderne, par l'usage des moyens destructeurs qui conduisent à l'autodestruction. Cependant, nul plus que l'apôtre ou le vicaire du Christ lui-même, véritable Prince de la Paix, ne doit être conscient qu'il est impossible de garantir la paix à la vie internationale en ne comptant que sur les moyens dont peut se servir l'homme. Il faut plutôt compter sur l'homme qui utilise ces moyens. C'est lui, l'homme, qui doit vouloir vraiment la paix et modeler la vie de l'humanité dans toutes ses dimensions, sur une recherche cohérente de la paix. On arrive à la paix par la justice, par une justice totale et universelle : opus iustitiae pax…

Jean XXIII, dans Pacem in terris, avait souligné les quatre droits fondamentaux de la personne humaine qu'il faut respecter dans la vie sociale et internationale, pour le bien de la paix : le droit à la vérité, à la liberté, à la justice, à l'amour. Paul VI a publié à ce sujet l'encyclique sur la promotion du développement des peuples, dans laquelle il a appelé ce juste développement : nouveau nom de la paix.

Nous nous souvenons, tous de ses paroles : « … si le développement est le nouveau nom de la paix, qui ne voudrait y oeuvrer de toutes ses forces ? » (Populorum progressio, n° 87). Et encore : « Combattre la misère et lutter contre l'injustice, c'est promouvoir, avec le mieux-être, le progrès humain et spirituel de tous, et donc le bien commun de l'humanité. La paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l'équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d'un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice-plus parfaite entre les hommes ». (Ib. n° 76).



La civilisation de l'amour

4. Le pape que le Christ a appelé à Lui le jour de la fête de la Transfiguration, a toujours travaillé en faveur de la transformation de l'homme, de la société, des systèmes. Et son oeuvre a porté les fruits tant souhaités par les hommes, par les nations, par toute l'humanité : les fruits de la justice et de la paix. En regardant attentivement, parfois même avec inquiétude mais surtout avec une espérance chrétienne, le développement multiforme des événements du monde contemporain, il a toujours travaillé en faveur de cette civilisation qu'il a appelé « civilisation de l'amour », dans l'esprit du plus grand commandement du Christ

L'Eglise se met au service de cette « civilisation de l'amour » par sa mission, liée à l'annonce et à la réalisation de l'Evangile. L'évangélisation dans le monde contemporain tenait particulièrement à coeur à Paul VI. Et au Synode de 1974, il lui consacrait, à la demande des évoques, une exhortation, Evangelii nuntiandi, une somme de pensées et d'indications apostoliques, nées du magistère du Concile et de l'incessante expérience de l'Eglise.

« L'effort pour annoncer l'Evangile aux hommes de notre temps, exaltés par l'espérance mais en même temps travaillés souvent par la peur et l'angoisse, est sans nul doute un service rendu à la communauté des chrétiens, mais aussi à toute l'humanité » (Evangelii nuntiandi,
EN 1).

Et il expliquait : « Evangéliser, pour l'Eglise, c'est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l'humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l'humanité elle-même : Voici que je fais l'univers nouveau ! Mais il n'y a pas d'humanité nouvelle s'il n'y a pas d'abord d'hommes nouveaux, de la nouveauté du baptême et de la vie selon l'Evangile. Le but de l'évangélisation est donc bien ce changement intérieur et, s'il fallait le traduire d'un mot, le plus juste serait de dire que l'Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu'elle proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l'activité dans laquelle ils s'engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs » (Ib. 18). Quel engagement noble et exaltant !

5. On ne peut donc se souvenir du jour de la mort du grand pape sans repenser, ne serait-ce qu'un instant, à tout l'héritage de son grand esprit.

Le 6 août 1978, les derniers rayons de la fête de la Transfiguration ont frappé le coeur du Pasteur qui, tout au long de sa vie, avait servi la grande cause de la transformation de l'homme, à notre époque difficile et du renouveau de l'Eglise en vue de cette transformation.

Ces rayons semblaient dire : « C'est bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle... entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,21). Et Paul VI a suivi le Seigneur qui l'appelait du mont de la Transfiguration.






22 août 1979 HOMMAGE A JEAN PAUL Ier

22879 Notre pensée se tourne en ces jours vers les événements qui ont marqué le mois d’août de l'année dernière. En effets le samedi 12 août, l'Église romaine, la ville et le monde entier saluaient pour la dernière fois le grand pape Paul VI dont la dépouille repose près de celle de Jean XXIII. Les cardinaux rassemblés à Rome se préparaient au Conclave qui s'ouvrait le 26 août. C'était également un samedi. Pour la première fois, un collège de cardinaux aussi nombreux et varié s'apprêtait à élire le nouveau successeur de Pierre. Une bonne partie des électeurs — 100 exactement — participaient pour la première fois à l'élection d'un pape, les 11 autres y avaient déjà participé. Et pourtant, une seule journée, le 26 août, a suffi pour que Rome et le monde apprennent la nouvelle de l'élection. « Annuntio vobis gaudium magnum : habemus papam ! » annonçait, vers 18 h, de la loggia de la basilique, le cardinal protodiacre.

Le rtouveau papte choisit deux noms : Jean et Paul: Je me souviens parfaitement de l'instant où dans la Chapelle; Sixtine, il manifesta ce désir : Je veux porter les noms de Jean et de Paul. Cette décision était particulièrement éloquente et, personnellement, elle m'a semblé charismatique. C'est donc ainsi que le samedi 26 août, jour consacré à la Mère de Dieu (en Pologne, on célèbre en ce jour la fête de Notre-Dame de Jasna Gôra), Jean Paul I° s'est présenté à nous. Et il fut accueilli avec une immense joie par Rome et par l'Eglise. Cette joie spontanée était une expression de gratitude à l'égard de l'Esprit-Saint qui, de manière visible, avait dirigé les coeurs des électeurs et, contre tous les calculs et les prévisions humaines montrait celui-là même qu'il avait choisi (cf. Ac
Ac 1,24). Et cette grande joie et cette reconnaissance n'ont même pas été troublées par la mort du pape Jean Paul I°. Il n'a exercé que pendant 33 jours son ministère pastoral sur la chaire romaine à laquelle il avait été montré plutôt que donné ; ostensus magis quam datus : des paroles qui furent prononcées lors de la mort de Léon XI, lui aussi décédé subitement.



Le document sur la catéchèse

2. Le pontificat de Jean Paul I° n'a duré, il est vrai, que moins de cinq semaines, mais il a laissé une empreinte particulière dans l'Eglise de Rome et dans l'Eglise universelle. Cette empreinte n'a sans doute pas encore de contours précis : elle est clairement perçue. Au fil des années, les desseins de la Providence deviennent accessibles aux esprits habitués à ne juger que d'après les catégories de l'histoire humaine. Mais un temps de ce pontificat semble particulièrement éloquent à tous ceux qui ont été attentifs à la personnalité de Jean Paul I° et en ont suivi de près la brève activité. C'était la période où — après la clôture du Synode des évêques consacré à la catéchèse (octobre 1977) — l'Eglise commençait à assimiler les fruits de ce grand travail collégial et, surtout, attendait la publication du document que les participants au Synode avaient demandé à Paul VI. Hélas ! la mort n'a pas permis au grand pape de publier son exhortation sur un thème extrêmement important pour la vie de l'Eglise. Jean Paul I° lui non plus, n'eut pas le temps de le faire. Mais tout en n'ayant pas publié le document sur la catéchèse, il a réussi à manifester et à confirmer par ses actes que la catéchèse est un devoir fondamental et irremplaçable de l'apostolat et de la pastorale auquel tous doivent contribuer et dont tous, dans l'Eglise, doivent se sentir responsables : le pape en premier. Jean Paul I° n'a pas pu signer de son nom le document en question. Cependant, il a eu le temps de démontrer et d'affirmer par son exemple ce qu'est et ce que doit être la catéchèse dans la vie de l'Eglise d'aujourd'hui. Et ses 33 jours de pontificat ont suffi à ce propos.

Et lorsque le document sur la catéchèse paraîtra — il sera publié bientôt — il faudra se souvenir que tout le pontificat de Jean Paul I° ostensus magis quam datus, a été un vivant commentaire de ce document. On peut dire que le testament du pape est ce document sur la catéchèse. Il n'a pas laissé d'autre testament.



Viens, Seigneur Jésus !

3. Le dimanche 26 août, à l'occasion du premier anniversaire de l'élection de Jean Paul I° à la chaire de saint Pierre, je me rendrai dans son village natal, Canale d'Agordo, dans le diocèse de Belluno. Je réponds ainsi à un désir de mon coeur.

J'y vais aussi pour rendre hommage à mon prédécesseur (dont j'ai hérité le nom) et à ce pontificat à travers lequel nous parle une vérité plus grande que la vérité humaine. L'Eglise d'ici-bas, à Rome et dans le monde, a été éclairée par cette vérité qui dépasse la vérité humaine et qu'aucune histoire ne saurait exprimer ; une vérité qui a cependant été exprimée avec force dans l'Evangile du Seigneur : Le temps se fait court (1Co 7,29). Oui, mon retour est proche (Ap 22,20).

Le pontificat de Jean Paul I° peut se résumer en une seule phrase : Viens Seigneur Jésus. Marana tha (Ap 22,20). Le Père éternel l'a estimée la plus nécessaire à l'Eglise et au monde : pour chacun de nous et pour tous, sans exception. Et c'est sur cette phrase qu'il nous faut réfléchir à l'approche de l'anniversaire de l'élection et de la mort du pape Jean Paul I°, serviteur des serviteurs de Dieu.






29 août 1979 « LAISSEZ VENIR A MOI LES PETITS ENFANTS »

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1. Je commencerai cette allocution par deux phrases prononcées par le Christ et qui se rapportent à l'enfance. Il s'agit de deux phrases complémentaires et qui constituent, pourrait-on dire, un programme évangélique consacré à l'enfance. Un programme sur lequel il nous faut réfléchir notamment en cette année que l'Organisation des Nations Unies a proclamée : Année Internationale de l'enfant.

Le Christ a prononcé une phrase que nous connaissons bien : Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des deux est à ceux qui sont comme eux (
Mt 19,14). Le Christ a adressé ces paroles aux Apôtres qui, connaissant la fatigue du Maître, auraient voulu agir autrement, empêcher les enfants de s'approcher du Christ. Ils voulaient les éloigner pour qu'ils ne lui prennent pas de son temps. Le Christ, au contraire, a revendiqué ses droits sur les enfants et en a expliqué la raison. La seconde phrase qui me vient à l'esprit en ce moment est beaucoup plus sévère. Le Christ l'a prononcée pour défendre l'enfant devant ceux qui le scandalisent : Si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être englouti en pleine mer (Mt 18,6). L'avertissement est très sévère, mais c'est très mal de scandaliser un être innocent, de greffer le mal là où doivent se développer la grâce et la vérité, la confiance et l'amour. Seul, celui qui a beaucoup aimé l'âme innocente des enfants et l'âme des jeunes pouvait s'exprimer ainsi ; seul le Christ pouvait menacer par des paroles si dures ceux qui causent le scandale.



N'empêchez pas les enfants de venir à moi

2. Pour bien comprendre et apprécier le travail de la dernière assemblée ordinaire du Synode des évêques de 1977, il nous faut tenir compte de toute la vérité concernant l'enfant, une vérité qui ressort de ces deux phrases de l'Evangile. Le thème du Synode était, vous le savez : La catéchèse, avec une référence particulière à la catéchèse des enfants et des jeunes. Le Synode avait rassemblé les représentants des conférences épiscopales du monde. L'échange enrichissant de leurs expériences ressort, du moins en partie, dans le document final et dans le message adressé par le Synode à toute l'Eglise. En même temps, les participants avaient demandé à Paul VI de rédiger et de publier un document personnel comme il l'avait fait après le Synode sur l'évangélisation. La mort de Paul VI d'abord, puis celle de Jean Paul I° ont retardé la publication du document. Par ailleurs, le problème de la catéchèse est un problème urgent. La catéchèse est, pour ainsi dire, le signe infaillible de la vie de l'Eglise et la source intarissable de sa vitalité ; tout cela a été mis en évidence pendant travaux du Synode et apparaît surtout dans la vie quotidienne de l'Eglise : des paroisses, des familles, des communautés. Je ne voudrais pas redire ici ce qui a été déjà dit, écrit et publié avec une grande compétence sur ce thème. Je veux seulement souligner que c'est par la Catéchèse des enfants et des jeunes que se réalise sans cesse l'appel si éloquent du Christ : Laissez faire ces enfants. Ne les empêchez pas de venir à moi... (Mt 10,14). Tous les successeurs des apôtres, toute l'Eglise consciente de sa "mission" évangélisatrice, doivent agir et agir partout afin que ce désir et cet appel du Christ se réalise selon les exigences de notre temps.

Cet appel du Seigneur va de pair avec la mise en garde contre le scandale. La catéchèse des enfants et des jeunes a pour but de développer, toujours et partout, dans l'âme des jeunes, ce qui est bon, noble, digne.

Elle éduque au respect et à l'amour pour l’homme, un respect et un amour qui grandissent au contact du Christ. Il n'est pas en effet de moyen plus efficace pour protéger contre le scandale, l'enracinement du mal, le désespoir, le sens de l'inutilité de la vie, la frustration, que de greffer le bien en profondeur dans l'âme des jeunes. Et le rôle de la catéchèse, c'est de veiller à ce que ce bien naisse et mûrisse.



Le développement de la catéchèse

3. L'un des résultats les plus évidents des différentes expériences pastorales présentées au Synode des évoques, a été la constatation du développement organique de la catéchèse. Celle-ci n'a pas seulement pour but de communiquer des informations religieuses ; elle doit aider à allumer dans les âmes la lumière qu'est le Christ. Cette lumière doit éclairer toute la vie de l'homme. La catéchèse doit donc être objet d'un travail systématique et d'une collaboration. Et bien qu'elle doive s'adresser en priorité aux enfants et aux jeunes, elle ne peut cependant ignorer les autres. La condition d'une catéchèse efficace des enfants et des jeunes, c'est la catéchèse des adultes, sous différentes formes, à différents niveaux et en différentes circonstances. Cela est très important surtout si l'on tient compte du rôle de catéchiste de la famille et du développement de la problématique de la foi et de la morale. Celle-ci en effet, doit être abordée surtout par les adultes qui sont des chrétiens vrais et mûrs.



Amour de la catéchèse

4. Le Synode des évêques de 1977 est toujours lié pour moi au souvenir du cardinal Albino Luciani qui, dans la salle du Synode, était assis à mes côtés. J'espère que le document qui sera publié prochainement pourra transmettre à toute l'Eglise cet esprit d'amour pour la catéchèse qui animait le patriarche de Venise, devenu par la suite le pape Jean Paul I°.






5 septembre 1979 A L’ECOUTE DU CHRIST SUR « L'ORIGINE » DE LA FAMILLE

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1. L'assemblée ordinaire du Synode des évêques qui aura lieu à Rome l'année prochaine, est déjà en préparation. Le thème du Synode De muneribus familiae christianae (Les devoirs de la famille chrétienne) attire notre attention sur la vie fondamentale de communauté humaine et chrétienne, fondamentale dès le commencement. Et c'est précisément cette expression dès le commencement qu'a employée le Seigneur dans son discours sur le mariage, rapporté dans l'Evangile de saint Matthieu et de saint Marc. Nous voulons nous interroger sur le sens du mot commencement. Nous voulons d'autre part expliquer la raison pour laquelle le Christ fait allusion au commencement en cette circonstance précise ; nous ferons donc une analyse plus approfondie de ce texte de l'Ecriture sainte.



Deux en une seule chair

2. Au cours de son dialogue avec les Pharisiens qui l'interrogeaient sur l'indissolubilité du mariage, Jésus Christ a parlé deux fois du commencement. Le dialogue s'est déroulé ainsi : Des Pharisiens s'avancèrent vers lui et lui dirent pour lui tendre un piège : « Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif ? » Il répondit : N'avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle et qu'il a dit : c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair ». Ainsi, ils ne sont plus deux mais une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » Ils lui dirent : « Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de délivrer un certificat de répudiation quand on répudie ? » Il leur dit : « C'est à cause de la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais au commencement, il n'en était pas ainsi » (
Mt 19,3 ss. ; cf. aussi Mc 10,2 ss.).

Le Christ n'accepte pas le plan sur lequel ses interlocuteurs veulent situer la discussion ; dans un certain sens, il n'approuve pas la dimension qu'ils essayent de donner au problème. Il évite de se mêler à des controverses juridiques et casuistiques ; il fait par contre allusion par deux fois au commencement. En agissant ainsi, il se réfère aux paroles du livre de la Genèse que ses interlocuteurs connaissent par coeur. Le Christ tire la conclusion de ces paroles de l'Ancienne révélation achevant ainsi la discussion.



Homme et femme

2. Le commencement c'est ce dont parle le livre de la Genèse. C'est donc le verset 27 du premier chapitre de la Genèse que le Christ cite en le résumant : Au commencement, le Créateur les créa homme et femme, tandis que le passage originel complet dit ainsi : Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu Il le créa, homme et femme, il les créa. Puis, le Maître fait allusion au verset 24, chapitre II : C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

En citant ce passage in extenso, le Christ lui donne une valeur de loi plus explicite (car ce passage du livre de la Genèse pourrait n'apparaître que comme une simple constatation : Il quittera... Il s'attachera... Ils deviendront une seule chair. Cette valeur de loi est justifiée, car le Christ ne se contente pas de la citation, mais il ajoute : Ils ne seront plus deux mais une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. Ce ne sépare pas est déterminant. A la lumière de ces paroles du Christ, le verset 24 du deuxième chapitre énonce le principe de l'unité et de l'indissolubilité du mariage, contenu même de la parole de Dieu exprimée dans la Révélation la plus ancienne.



Dès le commencement

4. On pourrait donc considérer le problème comme épuisé et affirmer que les paroles de Jésus-Christ notifient la loi éternelle formulée et instituée par Dieu dès le commencement, comme la création de l'homme. Il peut sembler aussi que le Maître, en confirmant cette loi primordiale du Créateur, lui confère toute sa valeur fondée sur l'autorité même du premier législateur. Cependant, l'expression au commencement répétée deux fois porte clairement les interlocuteurs à réfléchir sur la manière dont l'homme a été modelé, dans le mystère de la création, homme et femme, pour saisir correctement la valeur de loi des paroles de la Genèse. Et cela n'est pas moins valable pour les interlocuteurs d'aujourd'hui que ce ne l'était pour les interlocuteurs de l'époque.



Prochain Synode

Au cours des prochaines audiences du mercredi, nous essaierons, en interlocuteurs actuels du Christ, de nous arrêter plus longuement sur les paroles de saint Matthieu (19, 3 ss.). Pour répondre à l'indication que le Christ y a renfermée, nous essaierons d'approfondir ce commencement auquel le Christ a fait allusion. Ainsi nous suivrons de loin le grand travail qu'effectuent actuellement sur ce thème les participants au prochain synode des évêques, travail auquel participent également de nombreux groupes de pasteurs et de laïcs qui se sentent particulièrement responsables vis-à-vis des devoirs que le Christ impose au mariage et à la famille chrétienne : les devoirs qu'il a toujours imposés et qu'il continue d'imposer aujourd'hui au monde contemporain.

Cette série de réflexions que nous commençons aujourd'hui et que nous poursuivrons lors de nos rencontres du mercredi, a également pour but d'accompagner, de loin, les travaux de préparation du Synode, nous n'en aborderons pas directement le thème, mais nous étudierons les racines profondes dont il est issu.







Premières Catéchèses S. J-Paul II 1978-79 20879