Catéchèses Paul VI 8873

8 août 1973: OPPOSER LA LOI MORALE A LA PERMISSIVITE

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Chers Fils et Filles,



Il est un idéal qui anime et animera toujours l’Eglise de Dieu : celui d’accomplir en elle-même et d’annoncer autour d’elle, au monde qui l’environne et dans lequel elle se trouve pratiquement plongée, le message chrétien, la vie chrétienne authentique, telle qu’elle découle de l’Evangile et de la tradition fidèlement puisée dans l’Evangile comme à une source de vie. Depuis le Concile, cet idéal nous impose des devoirs urgents, car il faut surmonter la situation que provoquent de multiples manifestations souvent incohérentes, qui se créent au sein de l’Eglise depuis quelques années et qui, depuis longtemps déjà, couvaient dans certains cénacles sensibles aux courants culturels extérieurs et dégradants d’un christianisme simplifié et réduit à des expressions sécularisées plutôt qu’aux impulsions toujours vives et pressantes de ses propres sources intérieures. Cet idéal impose un engagement tout spécial, un engagement particulièrement urgent à la veille de l’Année Sainte, qui devrait, selon nos voeux, rendre au Peuple de Dieu le sens de la plénitude et de la joie, dans sa conscience et dans la profession de sa vocation naturelle. Mais ces aspirations ne manquent pas de réveiller en nous le sentiment — et pour ainsi dire l’expérience — des difficultés que cette authentique et heureuse vie chrétienne rencontre au cours de cette période spirituelle historique dans laquelle la Providence a inscrit notre existence actuelle. Le christianisme, avons-nous déjà dit, n’est pas facile, surtout en ce moment. Il y a en cours tout un mouvement de pensées et d’actions, un mouvement plus risqué que vraiment sage, qui tend à présenter à l’opinion publique des formules chrétiennes de facile application, vidées de leurs exigences historico-sociologiques et qui s’alignent peu à peu sur les formules socio-historiques qui dominent le monde.

C’est ce que nous disions à propos de la foi. Nous devons dire la même chose à propos de la morale.

La vie morale chrétienne, aujourd’hui, est-elle facile ?

Non, chers frères et fils bien-aimés, elle n’est pas facile. Observer les lois morales, celles dont nous pouvons dire qu’elles sont chrétiennes, cela constitue une des principales difficultés de cette forte et pure affirmation de vie éthico-religieuse moderne que nous souhaitons. Elle n’est pas facile, disons-nous ; mais ce n’est pas pour vous effrayer que nous le disons, ni pour vous enlever l’espoir de vaincre en ce domaine, cet espoir que nous partageons avec tant et tant de membres de l’Eglise renaissante ; nous vous parlons ainsi par devoir de sincérité et pour donner courage à vos consciences dans les circonstances actuelles.

Et avant tout, parce que depuis toujours les disciples du Christ ont réclamé cette vision réaliste et ce courage immanent. « Ce n’est pas celui qui m’aura dit: Seigneur, Seigneur, qui entrera au royaume des cieux, mais celui qui aura accompli la volonté de mon Père céleste » (
Mt 7,21 Rm 2,13 Jc 1,25) ; « Entrez par la porte étroite... elle est étroite, la porte, et resserrée la voie qui mène à la vie... » (Mt 7,13-14). « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive. Qui veut sauver son âme (c’est-à-dire sa propre vie) la perdra, et qui perdra son âme à cause de moi la retrouvera » (Mt 16,24-25). Ce sont là des paroles de Jésus. Et il n’y a pas de doute, les Apôtres, et avec eux la première génération chrétienne, ont immédiatement interprété la forme pratique de leur nouvelle religion comme une observance rigoureuse et ascétique de la nouvelle loi morale chrétienne (cf. Ep. ad Diognetum, V ; A. Ignatii Ant, Rom. VII ; etc.). Cette invitation répétée à se détacher des valeurs extérieures et temporelles, cette célébration de pauvreté d’esprit, cette séquence des béatitudes qui exhalent l’enivrant parfum des amertumes et des vertus héroïques de notre morne existence, ce pardon des offenses qui va jusqu’à tendre la joue gauche à celui qui a frappé la droite, cette pureté de coeur qui repousse tout regard déshonnête, c’est de tout cela et d’autres choses encore qu’est tissé l’Evangile qui, d’une morale légale et extérieure, recrée dans l’intimité du coeur, la vérité humaine du bien et du mal (cf. Mt 15,11) ; certes, il n’est pas facile ainsi d’atteindre la perfection de la vertu chrétienne ; mais nous savons que l’on trouve une compensation à ce genre de difficultés dans la synthèse de nos devoirs chrétiens en ce suprême devoir de l’amour de Dieu et en celui qui suit immédiatement, c’est-à-dire l’amour de notre prochain (Mt 22,38) ; nous la trouvons ensuite dans la libération du péché autant que dans l’observance des prescriptions légales de la loi antique, aujourd’hui dépassée, comme nous le savons ; dans l’économie de la foi et dans l’aide de la grâce toujours disponible en faveur de celui qui la demande humblement et avec confiance (1Co 10,13).

Mais ce n’est pas au sujet de cette dure mais heureuse tension vers la vertu chrétienne que nous voulons discourir, si digne d’intérêt soit-elle (cf. Ep 6,17 1Th 5,8), mais plutôt sur cette décadence morale qui caractérise notre époque. Mais pas exactement discourir : le sujet est trop vaste ; qu’il nous suffise d’y faire allusion au moyen de quelques observations.

Par exemple, pouvons-nous exclure de nos esprits le sens du péché ? Non, nous ne le pouvons pas à cause de l’incidence du péché sur nos rapports avec Dieu. C’est là, une des vérités fondamentales de nos conceptions éthico-religieuses : chacune de nos actions se conclut, positivement ou négativement, dans l’ordre voulu par Dieu en ce qui nous concerne. Or la mentalité radicalement laïque de notre époque annihile la responsabilité morale, la première et la plus génétique, en niant ou en négligeant l’aspect qu’ont nos actions au regard de Dieu, l’aspect négatif en particulier, c’est-à-dire l’offense faite à Dieu qu’est avant tout le péché. Le chrétien ne peut évidemment pas se résigner à ce fléchissement capital du système moral. Toute l’économie de la Rédemption s’y trouve impliquée.

Se retenir coupable devant sa propre conscience, est-ce suffisant ? Certes, la conscience morale est le critère immédiat et nécessaire qui détermine l’honnêteté de nos actions, et Dieu veuille qu’elle soit toujours tenue à l’honneur dans l’éducation de la personnalité humaine ; mais la conscience a besoin d’être instruite, informée, guidée pour juger de la bonté objective de l’action à accomplir ; juger de manière instinctive, intuitive ne suffit pas: il faut une norme, il faut une loi ; faute de quoi un tel jugement risque d’être faussé sous l’influence des passions, des intérêts, de l’exemple d’autrui. Sans quoi, la vie morale se nourrit d’utopies, ou d’instincts et elle devient, comme cela se passe aujourd’hui, une vie morale tributaire des contingences extérieures, des situations ambiantes avec toutes les conséquences de relativité et de servilisme qui en découlent, au point de compromettre cette rectitude de la conscience que nous appelons caractère et de transformer les hommes en « roseaux secoués par le vent » (Mt 7,11).

Vous entendrez dire qu’il faut donner à sa propre vie un caractère de sincérité; mais en l’occurrence, cette sincérité signifie la concession d’une liberté personnelle, autonome, aux impulsions de l’animalité propre, de la manie de jouir sans inhibitions supérieures, logiques, du repoussant égoïsme propre. Vous entendrez affirmer également qu’aujourd’hui la forteresse de la moralité traditionnelle est en train de s’écrouler à cause des transformations de la vie moderne et que le critère d’orientation de notre conduite doit être d’ordre anthropologico-social, c’est-à-dire qu’il doit être conforme aux coutumes dominantes, tandis que celles-ci n’ont nullement à correspondre à des critères supérieurs de bien et de mal. Et il se peut que même dans les milieux chrétiens, vous entendiez des polémiques sur la fidélité traditionnelle tant à la « loi naturelle » — dont on arrive à contester l’existence — qu’au magistère de l’Eglise, lorsque celle-ci se prononce pour défendre les droits fondamentaux et sacrés de la vie et des moeurs qui méritent encore d’être appelées humaines et chrétiennes.

Vous comprenez alors à quels phénomènes éthiques, sociaux, politiques peut aboutir le contraste entre la vigoureuse moralité chrétienne et la permissivité amorale ou le caractère passager de l’éthique à la mode aujourd’hui. Quel naufrage de la civilisation ne peut-on craindre, en présence de cette tempête qui se développe sur le monde !

Et vous comprenez combien il faut, alors, que l’imitation de Jésus-Christ, plus intelligente et pénétrante que celle habituelle et déficiente de tant de gens qui se disent chrétiens, serve de guide à notre conscience et nous fasse tirer du baptême, qui nous a régénérés comme fils du Dieu vivant, son statut original et son énergie surnaturelle en vue de cette vie nouvelle à laquelle nous sommes appelés et dans laquelle nous sommes engagés.

Qu’il en soit ainsi, avec notre Bénédiction Apostolique.

***


Nous tenons à saluer particulièrement les deux groupes qui aujourd’hui représentent le Liban.

Nous nous tournerons d’abord vers les jeunes artistes qui ont participé brillamment au concours sur la Bible. Vous représentez ici les quelque quarante-cinq mille jeunes de votre pays qui ont réfléchi et travaillé pour exprimer de leur mieux le message des Livres Saints. Nous vous félicitons, ansi que tous les jeunes du Liban qui ont pris part à tette belle manifestation. Nous vous encourageons aussi à persévérer dans votre recherche par la letture et la méditation de la Bible et surtout de l’Evangile: vous y trouverez force et lumière pour toute votre vie.

Nous sommes heureux d’adresser aussi notre salut cordial aux autres pèlerins libanais que Nous accueillons au centre de la chrétienté. Puissiez-vous, chers Fils et chères Filles, rapporter de votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres un amour encore plus vif du Seigneur et un sens approfondi de l’unité de son Eglise. A tous, Nous donnons de grand coeur notre Bénédiction Apostolique.




15 août 1973: IMITER MARIE DANS LA PURETE ET DANS LA CHARITE

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Le jour de l’Assomption le Saint-Père a célébré la messe en l’Eglise paroissiale de Castel Gandolfo, comme il le fait chaque année.

Après la lecture de l’Evangile, le Pape a adressé à l’assemblée des fidèles l’homélie dont nous reportons ci-après les pensées principales.

Paul VI a d’abord salué les autorités ecclésiastiques et civiles présentes, soulignant le caractère spirituel particulier de la rencontre, une réunion différente de toutes celles qui, en diverses occasions, ont lieu pendant son séjour à Castel Gandolfo. Il s’est attaché ensuite à décrire la prodigieuse Assomption de Marie, montée au Ciel au terme de sa vie temporelle. La contemplation de ce grand mystère nous confirme qu’il existe un autre monde au-delà et en dehors de notre univers mesurable. Dans ce royaume mystérieux où Elle règne et où le Christ ressuscité est assis à la droite du Père, participant à sa gloire infinie, Dieu a voulu appeler sa Mère près de Lui, sans attendre la fin des temps.

Il y a certains aspects de ce merveilleux événement sur lesquels l’Eglise ne s’est pas prononcée. On s’est demandé si la Vierge était morte réellement ou si Elle était entrée, vivante encore, dans le royaume éternel. D’autres ont supposé que Marie subit le drame de la dissociation de son être, de la séparation de l’âme d’avec le corps. Dans l’Eglise Orientale on célèbre, précisément le jour de l’Assomption, la fête de la Dormitio Virginis, la fête de la dormition de la Vierge. Or, Jésus lui-même a voulu subir la tragédie de la mort ; alors, pourquoi Marie, qui a tout partagé avec le Christ, n’aurait-elle pas partagé également ce moment de séparation de son corps bienheureux et virginal et de l’âme incorruptible et immortelle ? Mais cette séparation, combien de temps a-t-elle duré ? Nous l’ignorons, mais nous devons croire que c’est immédiatement que s’est refaite l’unité, la plénitude de son corps et qu’Elle est montée au Ciel.

Où cela s’est-il passé ? Nous ne le savons pas. A ce propos le Pape, a rappelé sa visite aux ruines d’Ephèse, lors du voyage qu’il fit en 1967 en Turquie pour s’y rencontrer avec le Patriarche Athénagoras. Il semble en effet qu’après que les disciples de Jésus se furent dispersés par toutes les voies du monde, Saint Jean l’Evangéliste alla s’établir à Ephèse où il écrivit son Evangile et d’où il envoya quelques épîtres que nous possédons encore. Saint Jean avait reçu du Seigneur le mandat d’assister Marie comme si Elle était sa propre mère et ainsi, il l’aurait conduite à Ephèse, où s’élève aujourd’hui un Sanctuaire dédié à la Vierge, précisément à l’endroit où Marie aurait vécu ses dernières années ici-bas. D’autres prétendent qu’au contraire la Mère de Jésus vécut à Jérusalem ; et là aussi s’élève un Sanctuaire mariai. Nous ne savons rien d’autre ; mais il est un fait que nous connaissons en tout cas avec certitude, a dit Paul VI, c’est que Marie est montée au Ciel, corps et âme, dans l’intégrité de son corps recomposé, et qu’Elle y jouit de la plénitude de la vie de l’esprit et du rayonnement vital de Dieu qui inonde tous ceux qui ont l’incomparable fortune de se sauver. La Vierge qui vit en cette plénitude, fait la liaison entre le Ciel et la Terre ; Elle sert d’intermédiaire entre notre vie présente et l’autre vie qui est l’étape finale, la vraie demeure dans laquelle nous devrons vivre éternellement.

Cette scène, ce mystère du passage à l’autre vie — a dit le Saint-Père — est une grande leçon pour nous, fils de notre temps, imbus que nous sommes de l’idée qu’il n’y a d’autre vie que celle-ci, la vie présente. Nous faisons mille efforts pour être heureux, pour jouir des plaisirs et des satisfactions que la vie nous concède, comme si nous étions tacitement convaincus que tout finit ici-bas. Mais c’est là une illusion — a dit Paul VI — une illusion purement matérialiste. Il n’est pas vrai que la mort marque la fin et que le tracé de notre vie finisse dans le temps. Il existe une autre vie, il y a un avenir qui nous attend dans l’au-delà. Celui qui a conscience de cette vérité, comprend ce que l’homme est en réalité. Et voilà pourquoi nous nous penchons tous sur la source de la vie ; c’est parce que la vie est tellement sacrée qu’elle est destinée à l’éternité. Il y a ceux qui seront élus et ceux qui seront bannis. Il y a ceux qui seront bienheureux au Paradis et ceux qui seront condamnés à la ruine éternelle. Le Seigneur nous a accordé la vie terrestre pour que nous la remplissions de bonnes actions, de bonnes oeuvres. C’est de cela que dépend notre sort futur. Nous pouvons nous sauver, nous pouvons nous damner. Marie qui est déjà parvenue à la plénitude de la vie éternelle se trouve à la première place de la création. Le fait d’avoir donné au Christ la vie dans le monde lui a valu une gloire indicible. Marie est comblée de biens préternaturels, Elle est la Reine du Ciel, la Mère du Christ, la Mère de l’Eglise ; Elle est notre Mère. La pensée de Marie doit nous induire à modifier, à perfectionner notre mentalité, notre façon de concevoir la vie. Nous devons peiner, nous devons souffrir, et nous devons jouir également des bonnes choses de la vie, mais en tant que pèlerins, comme des voyageurs en transit, des gens qui ne font que passer, qui ne s’enracinent pas. Le temps présent est un moment qui fuit, parce que nous sommes destinés à l’au-delà. Mais cet instant fugace, nous devons le combler de bonnes oeuvres. Que restera-t-il de notre vie, en fin de compte ? Saint Paul nous le dit : il restera uniquement le bien, la charité. La charité ne disparaîtra jamais. Pourraient passer la foi, passer l’espérance, passer toutes les choses de ce monde, les événements, l’histoire, la politique, les conquêtes si grandes soient-elles. Mais restera l’amour de Dieu, l’amour du prochain. Et ce sera notre salut. Voilà, a conclu le Pape, le secret de l’Assomption de Marie. L’amour que la Vierge a eu pour le Christ et pour les hommes avec qui Elle a souffert, avec qui Elle a vécu, voilà la clé qui nous fait comprendre pourquoi Dieu l’a élevée, Elle la première, avant le temps, à la gloire éternelle. Nous devons vivre en imitant Marie dans sa foi, dans son espérance, dans sa pureté surtout, dans son amour. Nous devons témoigner d’une grande confiance à l’égard de la Vierge. « Alors — a conclu le Saint-Père — notre vie sera vraiment chrétienne, et dès à présent elle sera heureuse ».





22 août 1973: RENOUVELLEMENT DE LA PRIÈRE DANS L’AUTHENTIQUE ESPRIT DE LA REFORME LITURGIQUE

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Chers Fils et Filles,


Quand nous nous proposons de promouvoir un renouvellement religieux, c’est à une reprise de la prière, qu’elle soit individuelle ou collective, que nous pensons par la force des choses. Ce n’est pas en vain que la Constitution sur la Liturgie, c’est-à-dire sur la prière officielle de l’Eglise, occupe une place si importante parmi les documents du récent Concile. L’oraison — ou prière — est l’acte caractéristique de la religion (cf. St. TH .,
II-II 83,3) ; c’est pourquoi, si nous voulons imprimer à la vie religieuse une conscience et une expression correspondant aux besoins et aux activités des hommes de notre époque, il faut que nous les invitions et que nous leur apprenions à prier. Quel inépuisable motif! Nous le savons; mais qu’il nous soit permis de limiter notre discours aux observations les plus élémentaires.

Et nous commencerons par une demande : l’homme d’aujourd’hui prie-t-il ?

Là où vit l’Eglise, oui ! La prière est le souffle du Corps mystique, elle est sa conversation avec Dieu, l’expression de son amour; elle est la démarche pour arriver au Père, la reconnaissance de sa Providence dans la dynamique des événements du monde ; elle est un appel à l’aide pour qu’il soutienne nos forces défaillantes ; elle est la confession de sa nécessité et de sa gloire ; elle est la joie du Peuple de Dieu de pouvoir chanter ses louanges à Dieu et à tout ce qui nous vient de Lui ; la prière est l’école de la vie chrétienne. En somme, la prière est une fleur qui s’épanouit sur une plante à la double racine vive et profonde : le sens religieux (la racine naturelle) et la grâce de l’Esprit (la racine surnaturelle) que la prière anime en nous (cf. Rm 8,26 H. brémond, Introduction à la Philosophie de la Prière, p. 224 etc.). On peut même dire que la prière est l’expression majeure de l’Eglise, mais qu’elle en est également l’aliment, le principe ; elle est le moment classique où la vie divine commence à circuler dans l’Eglise ; aussi devons-nous en avoir le plus grand soin, la tenir en la plus haute estime, en ayant toutefois conscience, comme le dit le Concile, que « la liturgie ne remplit pas toute l’activité de l’Eglise ; (qu’il) est en effet nécessaire... que d’abord les hommes soient appelés à la foi et à la conversion » (Sacrosanctum Concilium, SC 9).

Et voici alors un autre obstacle colossal auquel se heurte le renouvellement religieux souhaité par le Concile Vatican II et programmé pour l’Année Sainte : comment réussir aujourd’hui à faire prier les hommes ?

Car il faut reconnaître que l’irréligiosité de tant de gens de notre époque rend bien difficile le jaillissement de la prière facile, spontanée, joyeuse de l’âme de nos contemporains. Pour simplifier, nous relèverons deux ordres d’objections : celui qui conteste radicalement la raison d’être d’une prière, comme si elle était privée de l’Interlocuteur divin à qui elle est adressée et, par conséquent, superflue, inutile et même nuisible à la capacité humaine de se suffire à soi-même et donc à la personnalité de l’homme moderne ; l’autre est celui qui néglige pratiquement de se mesurer avec cette expérience, qui tient fermés les lèvres et le coeur, comme quelqu’un qui a peur de se prononcer en une langue étrangère inconnue et s’est habitué à concevoir la vie sans aucun rapport avec Dieu (« style Françoise Sagan, qui disait un jour à un reporter : ‘Dieu ! Je n’y pense jamais !’ » : Ch. moeller, L’homme moderne devant le salut, p. 18).

Obstacle colossal, disions-nous ; mais nullement insurmontable. Pour une raison extrêmement simple : parce que, qu’on le veuille ou non, le besoin de Dieu est inhérent au coeur de l’homme. Et il arrive souvent que celui-ci souffre, ou se confond en un scepticisme illogique, parce qu’il a étouffé en lui la voix qui, animée par mille stimulants, voudrait s’élever jusqu’au ciel, s’exprimer, non pas comme dans un cosmos vide et terriblement mystérieux, mais devant l’Etre primordial, absolu, créateur, le Dieu vivant (cf. R. guardini, Dieu vivant ; P. C. landucci, Il Dio in cui crediamo, « le Dieu en qui nous croyons » ; simone weil, Attente de Dieu ; S. Weil, décédée à Ashford le 24 août 1943, il y a exactement trente ans). En effet, tout au moins en ce qui a valeur de phénomènes psycho-sociaux, on relève dans la génération des jeunes d’aujourd’hui d’étranges expressions de mysticisme collectif, qui ne sont pas toujours d’artificielles mystifications et semblent bien au contraire être soif de Dieu, ignorant peut-être encore la vraie source à laquelle se désaltérer, mais sincère en se montrant silencieusement telle qu’elle est : soif, très grande soif.

Quoi qu’il en soit, au problème de la prière, soit personnelle (et par conséquent en harmonie avec les exigences de l’époque et du milieu), soit communautaire (et par conséquent proportionnée à la vie collective), nous accorderons une attention toute particulière en vue de la renaissance spirituelle que nous espérons et que nous préparons.

Nous pouvons constituer empiriquement une sorte de décalogue avec toutes les suggestions qui nous viennent de tant de valables ouvriers du royaume de Dieu. Le voici, à titre de simple, mais probablement pas inutile, information :

1. Il importe d’appliquer de façon fidèle, intelligente et diligente, la réforme liturgique demandée par le Concile et définie par les autorités compétentes de l’Eglise. Quiconque y fait obstacle ou la freine sans la juger, perd le moment providentiel d’une véritable reviviscence et d’une heureuse diffusion de la religion catholique à notre époque. Et celui qui profite de la réforme pour se livrer à d’arbitraires expériences, dilapide des énergies et offense le sens ecclésial.

L’heure est venue d’une observance géniale et concordante de cette solennelle lex orandi dans l’Eglise de Dieu : la réforme liturgique.

2. Sera toujours opportune une catéchèse philosophique, scripturaire, théologique, pastorale, au sujet du culte divin tel que l’Eglise, le professe aujourd’hui : la prière n’est pas un sentiment aveugle, elle est une projection de l’âme illuminée par la vérité et mue par l’amour (cf. St TH ., II-II 83,1 ad 2).

3. Des voix autorisées nous conseillent d’être très prudents dans le processus de réforme des traditionnelles coutumes religieuses populaires, et de veiller à ne pas étouffer le sentiment religieux de l’acte en le revêtant d’expressions spirituelles neuves et plus authentiques : le goût du vrai, du beau, du simple, du communautaire et également du traditionnel (là où il est digne d’être honoré) doit présider aux manifestations extérieures du culte, s’efforçant de leur conserver l’affection du peuple.

4. La famille doit être une grande école de piété, de spiritualité, de fidélité religieuse. L’Eglise a une grande confiance dans la délicate, compétente, irremplaçable action pédagogico-religieuse des Parents !

5. L’observance du précepte dominical conserve plus que jamais sa gravité et son importance fondamentale. L’Eglise a concédé de grandes facilités pour la rendre possible. Quiconque a conscience du contenu et du caractère fonctionnel de ce précepte devrait le considérer non seulement comme un devoir capital mais tout autant comme un droit, comme un besoin, un honneur, une fortune, à l’accomplissement duquel un chrétien vif et intelligent ne peut renoncer sans raison grave.

6. La communauté constituée atteste la prérogative de pouvoir compter sur la participation de tous ses fidèles ; et si une certaine autonomie dans la pratique religieuse en groupes distincts, homogènes est concédée à certains d’entre eux, ceux-ci ne sauraient toutefois manquer de compréhension à l’égard du génie ecclésial qui est le fait d’être un seul peuple, avec un seul coeur et une seule âme, de constituer, également au point de vue social, une unité, et donc d’être Eglise.

7. Le déroulement des célébrations du culte divin — de la Sainte Messe spécialement — est toujours un acte sérieux. Aussi doit-on les préparer et les accomplir avec le plus grand soin, sous tout aspect, même extérieur (gravité, dignité, horaire, durée, déroulement, etc. ; que la parole y soit toujours simple et sacrée). En ce domaine, les ministres du culte ont une grande responsabilité, dans l’exécution et dans la perfection exemplaire.

8. L’assistance des fidèles doit également collaborer au digne accomplissement du culte sacré ; ponctualité, tenue correcte, silence, et surtout participation ; c’est là le point capital de la réforme liturgique ; tout a été dit, mais que ne reste-t-il pas à faire encore !

9. Que la prière ait ses deux moments de plénitude : personnelle et collective, comme le prescrivent les normes liturgiques.

10. Le chant ! Quel problème ! Courage ! Il n’est pas insoluble. Il se prépare une nouvelle époque pour la Musique Sacrée.

De toutes parts on insiste pour que soit maintenu dans tous les Pays le chant latin et grégorien du Gloria, du Credo, du Sanctus, de l’Agnus Dei : Dieu veuille qu’il en soit ainsi. On pourra réexaminer comment. Que de choses ! Mais comme elles sont belles, comme elles sont simples, au fond ! Et si elles sont observées, quelle ne sera pas la puissance du nouvel afflux spirituel dans la communauté de nos fidèles pour apporter à l’Eglise et au monde le renouvellement religieux si ardemment désiré.





29 août 1973: RECOMPOSER L’UNITE SPIRITUELLE ET RÉELLE

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Chers Fils et Filles,



Comment allons-nous faire, Frères et Fils bien-aimés, comment allons-nous faire pour vaincre les immenses difficultés que soulève le programme que l’Eglise s’est fixé pour l’Année Sainte ? L’Année Sainte, en effet — répétons-le — doit avoir ce caractère de réconciliation générale et de renouvellement sincère de la vie chrétienne que nous impose l’héritage du récent Concile, et dont nous vous avons déjà parlé maintes fois. Nous voulons imprimer à cet événement, ou plutôt à ce mouvement de l’Année Sainte, une marque de sérieux et d’efficacité ; et déjà, à plusieurs reprises, nous avons fait allusion aux grosses difficultés que rencontre notre intention, partagée, comme nous l’espérons, par l’Eglise tout entière ; et au fur et à mesure que nous côtoyons de plus près la réalité morale, sociologique et historique de notre époque, à laquelle il faut que nous apportions la preuve que notre projet est valable, nous nous heurtons à de nouveaux problèmes, à de nouveaux obstacles.

Comment faire, par exemple, pour surmonter la difficulté de la division, du détachement que, malheureusement, l’on rencontre dans pas mal de secteurs de l’Eglise ? Ce n’est pas, en vérité, que l’Eglise soit déchirée par des divisions internes ; au contraire même, car ceux-là qui lui infligent les inconvénients et parfois aussi les tourments intérieurs de la désapprobation ou des jugements arbitraires inconciliables, ceux-là mêmes, disons-nous, affirment plus vigoureusement que jamais qu’ils se veulent dans l’Eglise, mieux encore, qu’ils veulent être « Eglise », si impérieux est le besoin, né de la vocation chrétienne, de l’unité organique et visible du Corps mystique. On n’a jamais autant qu’aujourd’hui entendu parler de communion, et souvent par ceux qui encouragent précisément des formes d’association qui sont à l’opposé de la véritable communion ; des gens, en somme, qui tentent de se distinguer, de se séparer de l’authentique société de leurs frères, de la famille ecclésiale univoque. Il semble qu’après avoir tenté de discréditer l’aspect canonique, c’est-à-dire juridique, institutionnel de l’Eglise, ils voudraient légaliser, sous prétexte de tolérance, leur propre appartenance officielle à l’Eglise, en écartant tout soupçon de schisme ou toute hypothèse d’auto-excommunication. En réalité, la division dont l’Eglise souffre aujourd’hui réside moins dans sa connexion structurelle que dans l’intimité des âmes, dans les idées, dans le comportement de nombreuses individualités qui continuent — et souvent avec une conviction obstinée de supériorité — à se proclamer catholiques, mais à leur manière, faisant montre d’une libre et subjective émancipation de pensée et de comportement et, en même temps, avec la fière ambition d’une intangible authenticité.

Oh ! Vous connaissez sans aucun doute les phénomènes, quelques-uns tout au moins, de cette situation, et vous pouvez comprendre combien tout cela nous remplit le coeur d’affectueuse douleur. La recomposition de l’unité, spirituelle et réelle, à l’intérieur même de l’Eglise, est aujourd’hui, pour l’Eglise, un des problèmes les plus graves, les plus urgents. Nous ne voudrions pas troubler vos âmes en évoquant d’effrayants fantasmes ; nous aimerions plutôt inviter, chacun de vous, à participer, à l’occasion de l’Année Sainte à la restauration dans l’Eglise du sens effectif de son unité constitutionnelle, de l’amour et de l’esprit de sacrifice pour sa paix intérieure, du goût et de la passion de son harmonie sincère de foi et de charité.

Le caractère élémentaire de cette allocution nous oblige à réduire à deux points — que nous croyons essentiels — le diagnostic négatif du déplorable état de choses actuel.

Quant au premier point, il s’agit de cet esprit de contradiction qui est de mode aujourd’hui et dont se targuent, le plus souvent avec une désinvolture irresponsable, tous ceux qui, sur le plan ecclésial, ambitionnent d’être modernes, populaires, personnels. En soi, la contestation devrait viser à circonscrire et à corriger des défauts répréhensibles, et par conséquent, tendre à une conversion, à une réforme, à un accroissement de bonne volonté ; et nous, nous ne repousserons certes pas une contestation positive, si elle demeure telle. Mais, hélas ! la contestation est devenue une forme de masochisme ; elle est trop souvent dépourvue de sagesse et d’amour; elle est devenue une coutume facile, qui fait détourner le regard de ses propres défauts pour le fixer au contraire sur ceux d’autrui ; la contestation s’habitue à juger, souvent de manière téméraire, les imperfections de l’Eglise et à se montrer indulgente envers les erreurs des adversaires de l’Eglise, des négateurs du nom de Dieu, des destructeurs de l’ordre social, témoignant souvent d’une sympathie qui frise la connivence ; cette contestation prend nettement position en faveur des réformes les plus audacieuses, les plus périlleuses, mais refuse ensuite d’adhérer, de manière humble et filiale, aux efforts rénovateurs que le catholicisme tente d’exercer à tous les niveaux de l’existence et de l’activité humaines. Un tel esprit négatif provoque fatalement une tendance instinctive à se détacher de la communauté, à préférer égoïstement son propre groupe, à refuser de se solidariser avec les grandes causes de l’apostolat pour l’établissement du royaume de Dieu ; ces gens qui parlent de libération sont en route, peut-être même sans le vouloir, amers et sans joie, vers un « libre examen », c’est-à-dire vers une affirmation subjective qui n’est certes pas conforme au génie de la charité.

C’est cette charité-là, précisément, qui doit guérir l’Eglise de la contagion de cette critique contestatrice et corrosive qui a pénétré ci-et-là dans le tissu du Corps mystique : le charisme de la charité doit retrouver sa vraie place, la première : « La charité est patiente, serviable, sans envie ; la charité n’a ni jactance ni enflure ; elle n’est ni légère ni égoïste ; elle ne s’emporte pas, ne pense pas à mal, elle se réjouit non du mal, mais de la vérité, elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (
1Co 13,4-7). Et ainsi de suite. Souvenez-vous de cet hymne de Saint Paul à la charité ; elle, la charité, doit purifier la contestation légitime et parfois même obligatoire ; elle doit réhabituer l’Eglise à retrouver en elle-même son propre coeur, au plus profond duquel bat le coeur divin, doux et fort, de Jésus : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur » (Mt 11,29).

Et le second point ? Celui-ci regarde une distinction qui passe, facilement mais abusivement, de l’ordre logique à l’ordre vécu : distinction, disons-nous, entre l’Eglise institutionnelle et l’Eglise charismatique ; distinction entre l’Eglise de Jésus-Christ et celle du Peuple guidé par l’Esprit-Saint ; entre l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique et une Eglise conçue selon ses propres lumières personnelles, ou encore selon ses propres goûts spirituels subjectifs. Ce second point mérite également notre réflexion, principalement en raison des conséquences négatives qui résultent de la préférence personnelle qu’aujourd’hui beaucoup voudraient donner à une Eglise soi-disant charismatique plutôt qu’à la traditionnelle Eglise institutionnelle. Les conséquences négatives de cette distinction sont deux : la désobéissance et un pluralisme qui franchit ses limites légitimes ; mais ce sont là des thèmes qui exigent d’amples et sérieux développements. Ce sera, si Dieu le veut, pour une autre fois.

Limitons-nous, pour l’instant à nier la distinction substantielle entre l’Eglise institutionnelle et une prétendue Eglise purement charismatique. Jésus, quelle Eglise a-t-il fondée ? Jésus a fondé son Eglise, sur Pierre, sur les Apôtres, sur personne d’autre. Il n’existe pas différentes Eglises : pleine et parfaite dans sa conception il n’y en a qu’une seule. Et c’est à cette Eglise-là que Jésus a envoyé l’Esprit-Saint, afin que l’Eglise institutionnelle vive de l’animation de l’Esprit-Saint, et qu’elle soit, de l’Esprit-Saint, gardienne et ministre. Les charismes, c’est-à-dire les dons spéciaux que l’Esprit-Saint accorde également aux fidèles, sont destinés à l’unique Eglise existante et à son développement dans le monde ; comme on le sait (cf. 1Co 12).

Voilà pourquoi nous devrons rétablir ce « sens de l’Eglise » qui répond aux intentions divines et qui confère à l’Eglise cette unité intérieure, cette vitalité, cette joie d’être et d’oeuvrer, qui rendent témoignage à nous, à notre époque de la présence et du salut du Christ (cf. Jn 17).

Veuille le Christ nous assister avec sa Bénédiction et, à présent, la nôtre !

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Avec joie Nous accueillons ce matin une nombreuse délégation du diocèse de Strasbourg, dont la fidélité à nous rendre visite mérite nos félicitations. Chers Fils et chères Filles d’Alsace, soyez les bienvenus! Dans la démarche présente, Nous reconnaissons le solide attachement que vous témoignez à notre personne, et aussi votre volonté de prier et d’oeuvrer généreusement pour les grands objectifs que Nous proposons à toute l’Eglise: préparer le ressourcernent spirituel de l’Année Sainte, entrer davantage dans les desseins de Dieu qui nous appelle à la réconciliation, servir la justice et la paix autant qu’il dépend de vous sous l’égide de «Pax Christi», réaliser une véritable fraternité partout où Dieu vous a placés. Le programme tracé par notre prédécesseur Jean XXIII dans «Pacem in terris» vous indique le chemin. Comme de perpétuels pèlerins, nous sommes tous en marche vers la Cité de Dieu dont saint Augustin a si bien parlé: il nous faut y travailler avec ardeur, durant son étape temporelle, dans l’esprit de l’évangile, sans perdre de vue sa fin éternelle. Que l’espérance chrétienne ravive vos forces, avec la grâce de l’Esprit- Saint. Considérez toujours l’Eglise comme une Mère; aimez-la. Portez les fardeaux les uns des autres, particulièrement de ceux qui sont marqués par quelque infirmité: ils ont leur place de choix pour les disciples du Christ. Priez aussi pour notre ministère. De grand coeur, en recommandant à Dieu tous ceux qui vous sont chers, Nous vous donnons notre paternelle Bénédiction Apostolique.





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