Catéchèses Paul VI 10971

1° septembre - LE PEUPLE DE DIEU

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Chers Fils et Filles,

Parmi les multiples expressions qui définissent cette société mystérieuse et complexe qu’est l’Eglise, il en est une à laquelle le Concile tient particulièrement : « Peuple de Dieu ».

Nous connaissons tous quelques-uns, au moins, des titres que le langage biblique et la théologie confèrent à l’Eglise. Un rappel à ce sujet permettra de mieux comprendre l’importance et le sens de celui que nous avons choisi, aujourd’hui, comme sujet de réflexion : « Eglise-Peuple de Dieu ».



Je serai leur Dieu et eux seront mon peuple


L’Eglise est « in Christo », un sacrement, un signe, le moyen par lequel les hommes peuvent communiquer intimement avec Dieu pour leur propre Salut. Elle est l’instrument qui leur permet de s’unir tous dans la création d’une société et même plus, d’une communion. L’Eglise est « la semence et le commencement » du Royaume du Christ et de Dieu. C’est le bercail dont le Christ est le Pasteur. Elle est la maison, la famille de Dieu, la Jérusalem messianique, la cité de Dieu. Epouse du Christ, l’Eglise est l’humanité unie à Lui par un lien d’amour suprême. Elle est pilier et fondement de vérité. Elle est surtout le Corps Mystique dont le Christ est le Chef et dont nous sommes les membres, différemment constitués, mais animés d’un seul Esprit (cf.
1Co 12,12 Col 1,18 Ep 1,22-23 Ep 4,15-16). Ces expressions font chacune l’objet d’une profonde méditation, mais reprenons celle que le Concile estime davantage. Lisons l’une des très belles pages de la Constitution dogmatique sur l’Eglise (Lumen Gentium, LG 9) : « A toute époque et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice (cf. Ac 10,35). Cependant, le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le Salut séparément, hors de tout lien naturel. Il a voulu, au contraire, en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C’est pourquoi, il s’est choisi Israël pour être son peuple avec qui Il a fait alliance et qu’il a progressivement instruit, se manifestant lui-même et son dessein, dans l’histoire de ce peuple et se l’attachant dans la sainteté. Tout cela, cependant n’était que pour préparer et figurer l’alliance nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ, et la révélation plus totale qui serait apportée par le Verbe de Dieu lui-même, fait chair. « Voici venir des jours, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Judas, une alliance nouvelle... Je mettrai ma foi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur coeur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple... Tous méconnaîtront, du plus petit jusqu’au plus grand, dit le Seigneur (Jc 31,31-34). Cette alliance nouvelle, le Christ l’a instituée : c’est la nouvelle alliance dans son sang (cf. 1Co 11,25) ; Il appelle la foule des hommes de parmi les juifs et de parmi les gentils, pour former un tout, non selon la chair, mais dans l’Esprit et devenir le nouveau Peuple de Dieu ». C’est, là, une magnifique synthèse historique et théologique des rapports entre Dieu et l’humanité, selon la Révélation.


Pas d’antagonisme Peuple-Hiérarchie


D’aucuns ont attribué « une grande importance doctrinale et pratique à la priorité donnée par Lumen Gentium au chapitre II : « peuple de Dieu », sur le chapitre III : « Constitution hiérarchique de l’Eglise », comme si cela devait entraîner une modification profonde du contexte de l’Eglise et l’obliger ainsi à reformer les règles constitutionnelles, établies par le Christ, interprétées et appliquées par la tradition ; changement qui s’effectuerait aux dépens des doctrines dogmatiques du Concile de Trente, de Vatican I, de l’enseignement théologique et catéchétique, et dont l’idéologie démocratique de notre temps tirerait profit. Mais il n’en est pas ainsi.

Cette priorité revêt une extrême importance de par la vision globale et organique qu’elle nous oblige à contempler. La réalité humaine dont est enveloppé le corps mystique et social de l’Eglise, ainsi que la raison finale de l’Eglise elle-même, c’est-à-dire le Salut de l’humanité, du Peuple, sont placées au premier plan Priores intentiones ; mais la cause instrumentale efficiente, c’est-à-dire le mandat hiérarchique — avec les pouvoirs relatifs à la génération du Peuple de Dieu —, conféré par le Christ aux Apôtres, garde toute sa valeur prior executione. Ce n’est pas sous cet aspect pseudo-antagoniste du Peuple et de la Hiérarchie que nous devons considérer ce titre de « Peuple de Dieu » reconnu à l’Eglise tout entière, fidèles, évêques et Pape ensemble.


Tous voués à un même destin


Dans la pensée divine, les hommes sont tous égaux, voués à un même destin ; l’humanité constitue un peuple auquel tous peuvent s’unir. C’était un peuple choisi et pour des raisons ethniques et religieuses, selon l’Ancienne Alliance et l’Ancien Testament, c’était un peuple privilégié. Mais avec la venue du Messie, du Christ fondateur d’une « nouvelle et éternelle alliance », un nouveau peuple est né, non pas déterminé par le sang et par la terre, mais comme Pierre l’écrit dans sa première lettre: «race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple acquis », par la Rédemption du Christ offerte à toute l’humanité, à un peuple de fils de Dieu (cf. Jn 1,12), à vous tous « appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui, jadis, n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu » (1P 2,9-10). Tel est le dessein religieux, le vrai plan du Salut, jailli de la miséricorde divine, de l’amour éternel. Le Concile nous le présente admirablement dans toute sa réalité historique, essentielle, dans les siècles des siècles.


Le peuple des croyants


Mais, attention ! Conformément aux inscrutables pensées de Dieu (cf. Mt 24,40) et en hommage à la liberté humaine inviolable (cf. Rm 10-16 Jn 12,37), ce plan divin, volontairement et essentiellement universel, c’est-à-dire catholique, maintient cependant une ligne de séparation, la foi, avec tout ce qu’elle comporte sur le plan humain et spirituel (cf. Mc 16,16 He 11,16) ; cette ligne est la marque du Peuple de Dieu : ce dernier est, en effet, la communauté des croyants, de tous ceux qui ont accueilli l’Evangile, la Bonne Nouvelle, de tous ceux qui ont lié avec le Dieu vivant, un rapport nouveau et ineffable et ont établi avec Lui cette alliance surnaturelle que nous appelons le Nouveau Testament (cf. 1Co 1,21).

L’appartenance au Peuple de Dieu revêt une importance décisive : c’est le commencement et le gage du Salut. Elle découle d’un mystère de grâce, de miséricorde, d’amour de la part de Dieu et d’un mystère de liberté humaine de notre part. Elle se greffe sur le drame de notre éternel destin (cf. Jn 3,18 Ap 7,3 Ap 9,4 Ap 14,1), et d’autres immenses problèmes s’y rattachent, tels que les missions (cf. Ad Gentes, AGD 2-5) et l’oecuménisme (cf. Unitatis redintegratio, UR 2). Si le Peuple de Dieu est l’Eglise du Christ, appartenir à l’Eglise du Christ devient alors un fait capital.


Ceux qui rompent la Communion


Ceux qui entrevoient dans l’idée et dans la réalité du terme « Peuple », l’expression suprême de la coexistence humaine, mais qui veulent rester du plan humain, renoncent à l’élévation de cette multitude d’êtres mortels et toujours insatisfaits, au rang supérieur du Peuple de Dieu, du Peuple messianique, voué au destin présent et futur de l’Eglise, Corps du Christ ressuscité et ressuscitant ; c’est un risque dangereux qui peut conduire à de graves erreurs.

Ceux qui croient demeurer chrétiens en désertant les milieux institutionnels de l’Eglise visible et hiérarchique ou rester fidèles à la pensée du Christ en construisant une Eglise qui ne sied qu’à leur propre personne, sont hors du chemin, rompent et font rompre aux autres la vraie communion avec le Peuple de Dieu; ils perdent ainsi le gage de Ses promesses.


Le salut par l’Eglise


Il y a lieu de rappeler, ici, le vieil adage : « Hors de l’Eglise, pas de Salut » (cf. DENZ.-SCHON, DS 2865 ; dublanchy, Dict. Théol. Cath., art. « Eglise », COL 2155) ; ce n’est pas le moment d’en expliquer le sens. Dieu peut sauver quiconque selon sa volonté et nous connaissons tous la grandeur de sa sagesse et de sa miséricorde; mais en révélant son amour, Il a établi le Christ avec son Eglise, pont que nous sommes obligés de franchir pour atteindre son Salut et sa Béatitude.

Nous devrions alimenter sans cesse et examiner attentivement cette conscience d’appartenir au Peuple de Dieu, à l’Eglise, unis filialement dans la foi, la charité, la communion visible, telle qu’elle est légitimement constituée ; cette conscience devrait représenter la source spirituelle de sécurité et de joie, propre au Peuple de Dieu. Que de notre coeur jaillisse toujours l’hymne de l’Eglise en marche :

« Que tes demeures sont agréables, ô Seigneur, Dieu des Armées ! — Mon âme soupire et languit — Après les parvis du Seigneur ! — Mon coeur et ma chair crient de joie — Vers le Dieu vivant » (Ps 83).

Avec notre Bénédiction Apostolique.


* * *

Chers fils et filles,

De divers pays d’Europe, et hors d’Europe, Nous a-t-on dit, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, vous êtes venus suivre à Rocca di Papa un Cours de spiritualité post-conciliaire. Nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue. De tout coeur Nous vous félicitons d’avoir su prendre sur votre temps pour venir vous ressourcer spirituellement.

N’est-ce pas, à l’heure actuelle de l’Eglise, l’exigence la plus nécessaire? Certes, des réformes, il en faut, et Nous sommes le premier à les promouvoir. Des recherches et des études sur les problèmes d’aujourd’hui, aussi, et le prochain Synode d’évêques aura à cet égard une particulière importance, tout consacré qu’il est au ministère des prêtres et à la justice dans le monde.

Mais tout cela serait vain s’il n’était animé de l’intérieur par une profonde vie de foi et de prière, par une contemplation aimante du mystère de Jésus, par une volonté généreuse de servir l’Eglise du Christ, par un engagement missionnaire de toutes les communautés chrétiennes. Nul doute que la lecture et la méditation des textes du Concile ne soient pour vous y aider un moyen irremplaçable. C’est comme un grand catéchisme providentiel pour notre temps que l’Esprit Saint nous a donné là. Nous sommes sûrs d’y puiser ce dont nous avons besoin pour alimenter notre réflexion et la ressourcer aux sources très pures de notre foi. Non, Vatican II n’est pas dépassé, comme on l’a dit parfois trop légèrement. Tout simplement il n’est pas encore assez vécu. Si tous, prêtres, religieux et religieuses et fidèles, avaient à coeur d’entrer généreusement dans les perspectives qu’il a ouvertes, alors, oui, ce serait vraiment un nouveau printemps d’Eglise qui infuserait au monde les énergies spirituelles dont il a aujourd’hui un immense besoin.

Chers fils et filles, partagez maintenant largement autour de vous ces richesses que vous venez d’acquérir et vivez-les de toute l’ardeur de votre amour pour le Christ Sauveur. En son nom, de tout coeur, Nous vous bénissons, ainsi que votre fervent apostolat.




8 septembre 1971: LORSQUE VIENDRA LE TEMPS DE LA RESTAURATION UNIVERSELLE

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Chers Fils et Filles,



Toujours fidèles à Vatican II, Nous estimons que pour en comprendre la doctrine générale, il est utile de méditer sur un terme qui revient fréquemment dans les documents conciliaires : Eschatologie. D’origine grecque, ce mot résonne mal à l’oreille d’un profane, peu accoutumé au langage biblique et théologique. Il signifie : science des fins dernières ; en effet, « escatos » veut dire dernier. Toute la conception de la vie chrétienne en est imprégnée ; son influence est grande sur l’histoire et le temps. Il embrasse la destinée humaine au-delà ; de la mort, ce que le catéchisme appelle novissimi, les fins dernières, c’est-à-dire la mort, le jugement, l’Enfer et le Paradis. Mais l’eschatologie domine surtout la conception du dessein de Dieu sur l’humanité, sur le monde, sur l’épilogue glorieux et éternel de la mission du Christ ; cette conception nous rappelle une Eglise en marche vers une autre vie, non pas établie définitivement sur la terre, mais provisoire et tendue dans un messianisme qui se réalisera au-delà du temps.


Tendus vers l’au-delà


La vision de l’au-delà est d’une importance considérable: existe-t-il un au-delà ? Lequel ? Comment pouvons-nous le connaître ? Quelle influence les réponses à ces questions auront-elles sur l’existence terrestre ? Notre vie, s’achève-t-elle ici, sur la terre ou continue-t-elle, en quelque sorte, dans un autre monde ? L’évaluation des valeurs humaines et temporelles, c’est-à-dire la philosophie de la vie, dépend de la certitude ou même de la supposition de l’existence d’une vie future (cf. pascal), elle dépend de l’immortalité de l’âme et de sa responsabilité face à un Dieu qui juge. De plus, le sort de chaque vie humaine n’échappe pas au dessein général de l’humanité. Et, si Dieu en a pressenti le but, la réalisation de ce but, c’est-à-dire la fin de la scène humaine dans le temps, devient, de par la curiosité légitime et implacable qu’elle éveille, extrêmement intéressante.

L’au-delà, la réalité eschatologique, revêt donc trois sens : la condition de notre être personnel après la mort ; le royaume de Dieu et du Christ après sa résurrection et la fin du monde ; en troisième lieu la réalité surnaturelle. Voici tout l’intérêt de l’eschatologie : la fin de l’homme et du temps qui atteint le but ultime de l’humanité et de l’histoire, préétabli par Dieu.

Voyons comment le Concile nous présente les choses. La lumière de la foi éclaire l’immense tableau mystérieux du temps présent et de l’au-delà, où l’Eglise n’est autre que le dessein de Dieu tracé dans le champ de l’univers et où Elle révèle son propre caractère eschatologique.

La Constitution conciliaire qui concerne l’Eglise affirme : « L’Eglise, à laquelle nous sommes tous appelés en Jésus-Christ, et, dans laquelle, par la grâce de Dieu, nous acquerrons la sainteté (notre finalité personnelle), ne s’accomplira que dans la gloire du Ciel, lorsque viendra le temps de la restauration universelle (cf.
Ac 3,21) et lorsque, avec le genre humain, le monde, qui est intimement uni à l’homme et qui, avec lui, atteint son but, sera totalement restauré dans le Christ (cf. Ep 1,10 Col 1,20 2P 3,10-13).


Le temps de l’espérance


Que de vérités avons-nous donc à apprendre ! Une sagesse gouverne le monde et développe en lui un plan providentiel pour l’humanité. Ce plan devient logique et agissant dans le Christ et, par Lui, dans l’Eglise.

L’Eglise est in fieri, en devenir ; elle n’a pas atteint son état complet et parfait, elle est en marche sur terre et dans le temps. Il existe une vie future. Il existe un règne à venir, où la lumière, la vie, le bonheur seront donnés pleinement et sans limites. Même la création dépassera cet état présent, toujours en processus d’évolution et qui subira une métamorphose pour une nouvelle perfection (cf. Rm 8,22). Nous traversons la phase de notre existence, comprise entre un stade initial et un état supérieur, eschatologique. Nous sommes dans le temps de l’espérance (ibid. Rm 8,23-25).

Ainsi, nous sommes à même de répondre à ceux qui, dans leur interprétation des événements eschatologiques du Nouveau Testament, soutiennent, qu’avec la venue du Messie, ces derniers sont déjà réalisés et qu’il n’y a rien d’autre à attendre. Le Christianisme, disent-ils, concerne le présent, non l’avenir. Nous nous en tenons aux paroles du Seigneur qui nous assurent qu’avec sa venue dans le monde, le Royaume de Dieu est déjà parmi nous (cf. Lc 17-21). Au sein de l’Eglise, animée par le Saint-Esprit, nous possédons les immenses richesses de la vie nouvelle. Mais, ensuite, par l’inspiration prophétique qui anime tout l’Evangile, le Christ nous avertit que sa venue dans l’histoire n’est pas la dernière. La dernière, la venue eschatologique, que nous appelons aussi Parousie, c’est-à-dire présence, avènement, apparition, aura lieu « au jour du Seigneur » (cf. Is 2,12 Is 13,6 etc.), lorsque le Christ reviendra pour juger les vivants et les morts, pour inaugurer la théophanie finale, la vision béatifique de l’éternité.

Sur ce thème apocalyptique, nous nous souvenons tous des grands discours du Seigneur dans lesquels les prévisions se superposent mystérieusement et sur lesquels un examen attentif et conforme aux interprétations de l’Eglise s’impose.

Nous avons la certitude des catastrophes eschatologiques, mais nous ignorons quand et comment (cf. Mt 24,36-44 Ap 3,3 etc.).


Par un châtiment éternel possible


Nous ne pourrons jamais nous faire une image, fût-elle fantastique, du monde eschatologique ; les prophéties de l’Apocalypse s’expriment dans un langage figuré, difficile à interpréter. Les artistes et les poètes, dans leurs tentatives les plus véhémentes, en restent à des représentations arbitraires (Divine Comédie de Dante et Paradis Perdu de Milton). Cette ombre de mystère, qui cache la vision du monde futur, est à l’origine de théories inacceptables sur le messianisme de Jésus, comme s’il était, selon Weiss et Loisy, purement eschatologique et imminent. Cette ombre a donné lieu à des critiques très négatives sur l’interprétation de l’Evangile et sur la mentalité des premiers chrétiens. Le monde moderne y trouve prétexte à éluder le problème du destin de l’homme ; on parle peu des fins dernières et peu sont ceux qui osent en parler. Mais le Concile nous rappelle les vérités eschatologiques nous concernant, y compris cette vérité terrible d’un châtiment éternel possible, l’Enfer, dont le Christ a parlé sans réticences (cf. Mt 22,13 Mt 25,41). Le chapitre VII de Lumen Gentium résume clairement la doctrine eschatologique de l’Eglise, doctrine qui revient également, dans d’autres textes conciliaires (Ad Gentes, Gaudium et Spes, Lumen Gentium) pour nous, expliquer le dessein divin de notre Salut, dont tout l’enseignement du Concile veut être l’expression.


« Viens, Seigneur Jésus »


Aujourd’hui, la sécularisation tend à nous faire oublier la peur du risque où se joue notre destin. Un recours facile aux attitudes charismatiques et prophétiques donne à certains l’illusion ambitieuse de pouvoir légiférer à leur gré sur toute la morale chrétienne et la destinée de l’homme. Mais, les enseignements du Concile sur les buts eschatologiques de notre existence, dont la réalité nous est garantie par la Parole de Dieu et le Magistère de l’Eglise, guident notre marche dans le temps, tandis que notre coeur soupire : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 27,20). Répétons, nous aussi, la conclusion eschatologique du Nouveau Testament : « Viens, Seigneur Jésus ».

Avec notre Bénédiction Apostolique.





15 septembre 1971: LE MYSTÈRE DE LA CROIX

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Chers Fils et Filles,



L’Eglise a célébré hier l’Exaltation de la Sainte Croix. D’origine très ancienne, cette fête a été instituée, selon les historiens, à Jérusalem, où l’empereur Constantin avait fait construire deux basiliques, l’anastasis et le martyrion qui chaque année accueillaient évêques, ecclésiastiques et fidèles venus de toute part vénérer les reliques de la Croix du Seigneur. Cette cérémonie a prévalu sur celle de la consécration et a donné le nom à la fête que nous célébrons encore aujourd’hui. De la Palestine, elle est arrivée jusqu’en Occident et a été célébrée à Rome en la Basilique du Sauveur au Latran et à Ste Croix en Jérusalem. L’autre solennité (3 mai), celle de la découverte de la Croix, Inventio, plus récente, d’origine gallicane, a été effacée du Calendrier, réformé après le Concile, réalisant ainsi un projet proposé en vain, voici près de deux siècles, par le Pape Benoît XIV.

Après cet aperçu liturgique, nous voulons faire deux considérations conformes au style de nos audiences générales. Sur ce thème aussi, interrogeons le Concile. Que nous dit-il sur la Croix du Christ ? Par cette question même, nous passons du culte de la Croix, instrument de la Passion du Christ, au mystère de la Croix, symbole de la Rédemption, marque de honte pour Jésus crucifié et signe de l’unique et suprême Salut pour nous et pour le monde (cf. st. thomas,
III 25,4 ad 1).

Les documents conciliaires ne parlent pas de la crucifixion et n’énoncent pas les dogmes de la Rédemption ; ils ne constituent pas une histoire et encore moins un catéchisme ou un traité de théologie ; ils sont imprégnés de la doctrine du Salut, d’où leur référence continue à la Croix qui a vu s’accomplir le sacrifice rédempteur, et de laquelle, comme d’un symbole des plus expressifs, rayonnent l’histoire, la mémoire, l’efficacité et le mystère du Christ Sauveur. La Croix est le signe de notre religion, l’image sensible de notre foi.


Mystère pascal


Le Concile dit que, sur la Croix, s’est accompli un vrai sacrifice religieux de Jésus, Prêtre et Victime à la fois (c’est, là, un aspect théologique profond), Saint Sacrifice qui, dans la Messe, se reflète et se renouvelle pour nous (cf. Sacrosanctum Concilium, SC 5 SC 7 SC 47 ; Lumen Gentium, LG 3) ; il répétera, plusieurs fois (Lumen Gentium, ibid. LG 3; Dignitatis Humanae, DH 11), les Paroles du Seigneur : « Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32-33), qui voulaient signifier, par là, de quelle mort il allait mourir. Nous pourrions trouver, dans les textes du Concile, d’autres passages se référant à là Croix, tirés de citations bibliques ; Croix, instrument de réconciliation et de paix entre Juifs et Gentils (cf. Ep 2,16 Nostra Aetate, NAE 4), instrument de libération de l’esclavage du péché (Gaudium et Spes, GS 2) et de purification des activités humaines (Gaudium et Spes, GS 37).

Mais l’oeuvre de Rédemption de Jésus, accomplie sur la Croix, devient une idée-force, englobant théologie et spiritualité, dans l’expression « Mystère Pascal » qui synthétise tous les faits composant l’oeuvre de Salut du Christ : Sa Passion et Sa Mort, la Résurrection et l’Ascension au Ciel ; faits accomplis non seulement dans la Sainte Humanité du Seigneur Jésus, mais dans sa vertu de communiquer avec tous ceux qui croient en Lui (cf. Sacrosanctum Concilium, SC 5 Rm 3,23-25). Mystère Pascal veut donc dire : passage (Pâques, en effet, signifie « Phase », transit, passage du Seigneur; cf. Ex 12,11) de la mort à la vie, de l’état présent à l’état surnaturel, eschatologique, passage effectué par le Christ à travers Sa Passion et Sa Mort et célébré, ensuite, par Sa Résurrection et Son Ascension à la Droite du Père. Nous aussi, nous pouvons franchir ce passage par notre foi, par les sacrements, en suivant le Christ.


La Croix et la Gloire


La Croix ne décrit pas toute la réalité du Salut ; cette dernière comprend aussi cette nouvelle vie qui suit la tragédie du Calvaire et constitue la Gloire du Christ. Cette nouvelle vie nous est donnée par la grâce, avec la promesse de nous faire participer à la même Gloire de Notre Seigneur.

C’est le Mystère Pascal, mentionné désormais dans tous les discours religieux. La Croix y occupe une place visible et décisive que nous pouvons mieux connaître : c’est l’union de la faute avec l’innocence, la rencontre entre la cruauté et la bonté ; c’est le duel entre la mort et la vie ; c’est aussi la composition de la justice avec la miséricorde ; c’est la rançon de la douleur dans l’espérance ; c’est le triomphe de l’amour dans le sacrifice. Le peuple fidèle comprend toutes ces réalités et d’autres encore, le Vendredi Saint, lorsqu’il suit pieusement le Chemin de la Croix auquel il ne manque qu’une seule station pour compléter le Mystère Pascal : la Station de la Résurrection.


La Croix nous parle en silence


Un examen de conscience s’impose ici : Voyons-nous le reflet de la Croix du Christ sur l’écran de notre vie moderne et le vivons-nous dans la pensée et dans l’action ? La Croix est toujours présente dans les esquisses de nos paysages ruraux ; elle n’a pas disparu et orne encore dignement de nombreux établissements civils et les murs de nos maisons. Le Christ est là, présent, mourant, et nous parle en Silence, avec son langage de souffrance rédemptrice, d’espérance qui ne s’éteint pas, d’amour qui gagne et qui vit. Ceci est beau, fort. Au moins, par ce signe encore, nous sommes chrétiens.


On tente d’abattre la Croix


Mais cet arbre tragique et lumineux de la Croix, domine-t-il encore nos consciences ? Le Christ crucifié n’est-il pas devenu, pour nous aussi, « scandale et folie » comme pour les Juifs et les Grecs ? (cf. 1Co 1,23-25 Ga 5,11 Ep 2,14-16).

Nous savons, tous, que si nous sommes vraiment chrétiens, nous devons participer à la Passion du Seigneur (cf. Col 1,24) et porter notre Croix, chaque jour, comme Jésus (cf. Lc 9,23). Le Christ Crucifié donne l'exemple (Ga 6,14). Hélas ! aujourd’hui, nous constatons que partout et même dans les milieux chrétiens, on tente d’abattre la Croix, là où elle est nécessaire, dans la conscience du péché auquel, elle seule, peut porter remède. Mais, de nos jours, le remède n’est qu’indifférence morale, absence de préjugés ; le péché n’existe pas, il est « tabou », fruit de la fantaisie des faibles ; il s’annule, ôtant toute sensibilité morale, abolissant tout scrupule, étouffant tout remords. Que reste-t-il alors à l’homme, s’il trompe et dégrade ainsi sa propre personne ? Et tout notre effort de réconcilier l’homme avec le monde imprégné de mal ? (cf. Jn 5,19). N’est-ce pas, là, une manière hypocrite de faire disparaître la Croix pour rétablir maladroitement la barrière qu’elle avait dressée aux confins des deux royaumes, de Dieu et du Démon ? Pour nous sentir hommes, nous glissons sur les sentiers équivoques de la sécularisation et croyons sauver le monde en nous confondant avec ses goûts, ses coutumes. Ne risque-t-on pas, ainsi, de réduire à néant la Croix du Christ ?

Réfléchissons, si nous voulons être authentiques. Ne craignons pas que la Croix affaiblisse ou attriste notre vie, si elle porte avec amour les stigmates douloureux et glorieux : « Le Christ crucifié est la vertu de Dieu, la Sagesse de Dieu ».

A vous, par le signe de la Croix, notre Bénédiction Apostolique.





22 septembre 1971: LA CATECHESE : TRANSMISSION DE LA FOI

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Chers Fils et Filles,



Vous avez certainement entendu parler ces jours-ci du Congrès International de Catéchèse qui a lieu à Rome. Il s’agit d’un événement très important de par le thème qu’il se propose d’étudier : l’instruction religieuse, c’est-à-dire le ministère didactique et pédagogique de la Parole de Dieu, dans son expression première et élémentaire, absolument claire : la transmission de l’annonce du Salut, ce que les théologiens modernes appellent kerygma, c’est-à-dire proclamation du Royaume de Dieu, de la vérité révélée par le Christ Sauveur dans l’Esprit Saint qui illumine et sanctifie, vérité révélée selon le dessein de Dieu, relatif au mystère des nouveaux rapports entre Dieu le Père et l’humanité (cf.
Mt 4,23 Ac 8,5 1Co 1,23 etc.). C’est la « catéchèse », l’enseignement indispensable qui, précédant l’orientation de l’homme, la metanoia, la pénitence, permet d’accéder à la foi et à la communion ecclésiale. C’est un premier pas vers la connaissance objective de la vie chrétienne. Or, nous savons tous que la vie chrétienne est une manière de concevoir et de vivre la vie selon la foi (Rm 1,17 Ga 3,11 He 10,38). La foi est fondée sur deux principes : l’un intérieur et agissant, c’est-à-dire la vertu de la foi, l’aptitude à croire ce qui vient de l’Esprit-Saint et qui nous est donnée par le Baptême ; l’autre, extérieur et déterminant, c’est-à-dire les vérités auxquelles il faut croire, enseignées par l’Eglise avec le « Credo », « le symbole » (synthèse, résumé des vérités : le catéchisme) (cf. st. thomas, IV, Sent. 4, 2 ; Sol. 3 à 1). Ce Congrès revêt une importance spéciale, car il étudie et examine l’aspect primordial de la vie religieuse aussi bien dans sa phase d’enseignement que dans celle d’étude, toutes deux fondamentales pour tout chrétien fidèle.

Le Congrès de la Catéchèse a lieu après le Concile, illustration d’un document destiné à renouveler l’enseignement de la doctrine chrétienne : le « Directoire général Catéchétique », publié en avril dernier et précédé d’un autre document analogue, de la Conférence Episcopale italienne sur le « renouveau de la catéchèse » (2 février 1970).

Nous voulons plutôt attirer votre attention sur l’aspect personnel du problème de la catéchèse.


OEuvre de toute la Communauté


La catéchèse est un enseignement qui, plus que tout autre, nécessite l’intervention des personnes qui y sont intéressées. Elle exige la participation vivante et directe de toute la communauté de l’Eglise. Elle est un témoignage de la foi que tout croyant doit porter par les actes, l’exemple et la parole. On a coutume de dire désormais que tous les membres de l’Eglise doivent être des apôtres, des missionnaires. En tant que participants à la vie de l’Eglise, ils doivent en être les promoteurs, les « Fils de la Lumière » (cf. Mt 5,16 1P 2,12 Ep 5,8). Ceci engendre un devoir fondamental : connaître sa propre foi et les vérités de la religion. Cette nécessité est l’une des exigences les plus constantes dans l’histoire du christianisme. C’est d’elle qu’est née la catéchèse systématique, l’apologétique. (Rappelons ici la phrase célèbre de Tertullien sur la religion chrétienne qui a fait l’objet de divergences et de persécutions dans la société païenne : ne ignarata damnetur, qu’elle ne soit pas condamnée par ignorance ; cf. Apologeticum, c. 1). Que de conséquences peut entraîner l’ignorance religieuse ! A ce sujet rappelons l’Encyclique de St. Pie X sur le catéchisme : Acerbo nimis de 1905. Son sujet est encore valable aujourd’hui, en cette époque où la diffusion de la culture, la confusion des systèmes philosophiques et idéologiques obligent à donner à la profession religieuse, tant personnelle que communautaire, un fondement culturel plus solide et moins ancré dans les coutumes et l’habitude.


Une connaissance qui doit progresser


L’instruction religieuse ne doit pas s’arrêter au plus jeune âge, elle doit progresser avec la vie, jusqu’à l’âge mûr (cf. Christus Dominus, CD 14), jusqu’au dernier âge. Dans cet acte vital et mystérieux qu’est la transmission de la foi, les lectures personnelles et la religiosité privée ne suffisent pas. Il faut savoir écouter la Parole de Dieu.

Cette référence à l’aspect personnel de la catéchèse nous invite à rendre hommage au ministère de la Parole de Dieu.


À tous ceux qui sèment la Parole de Dieu


Rendons-le d’abord au ministère de l’Evêque. C’est sa première tâche dans la causalité du Salut, son charisme apostolique.

Rendons-lui hommage dans l’exercice de sa prédication écrite (Lettres Pastorales) et parlée (Homélies dans les Messes Pontificales), dans la parole la plus belle et la plus sage qu’il adresse aux enfants le jour de leur communion solennelle, de leur confirmation. Existe-t-il catéchisme plus vivant ? (cf. st. ambroise, De Sacramentis, De Mysteriis).

Honneur à vous ! Pasteurs d’âmes, Curés, enseignants de religion, à vous qui savez traduire le Verbe de Dieu et le diffuser parmi des auditeurs qui doivent non seulement l’écouter mais le vivre ! Quelle grandeur revêt cette tâche et quelle importance encore le devoir de l’accomplir dignement ! Ecoutons St. Augustin : « Quidquid narras ita narra ut ille cui loqueris audiendo credat, credendo speret, sperando amet » (De Catechizandis rudibus, c. IV ; PL 40, 316).

Honneur à vous ! Promoteurs de l’enseignement religieux et de la culture catholique, qui donnez à cette tâche la valeur de la charité première, celle de la vérité (cf. Ep 4,15), offrant à la pensée, aux coutumes, à la vie, la lumière qui guide, soutient, béatifie et sauve.

Des paroles de louange aussi à ces mamans, à ces parents qui, avec amour, enseignent à leurs enfants les premières prières et les premières notions de Dieu.

Honneur à vous ! Religieux, Religieuses, à vous, Laïcs qui, par cet engagement à l’enseignement catéchétique, préparez vous-mêmes aux vertus chrétiennes les plus précieuses et apportez à l’Eglise une contribution de fidélité et de vitalité sans prix.

Catéchistes, dans les Paroisses, dans les Missions, Hommes et Femmes, premiers semeurs de la Parole du Seigneur, c’est à vous que les communautés ecclésiales doivent leur fécondité naissante, à vous qu’a été confié ce ministère de promotion humaine. Honneur à vous ! donc, et avec la reconnaissance de l’Eglise Catholique tout entière, nous vous donnons notre Bénédiction.

Et à tous les présents, à tous ceux qui travaillent à la cause de l’enseignement religieux : la Parole de Dieu.


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C'est pour Nous une grande joie de saluer ce matin le groupe des Abbesses de Ordre des Cisterciens de la stricte Observance, qui participent à cette audience. C’est la première fois que vous vous réunissez en assemblée législative, et vous le faites selon les directives que Nous vous avons données par la Congrégation des Religieux. De tout coeur Nous vous encourageons dans vos travaux. Vous avez, pour vous guider, le textes conciliaires, l’Instruction Venite seorsum, et Notre récente Exhortation Apostolique sur le renouveau de la vie religieuse selon l’enseignement du Concile. C’est pour Nous une occasion de réaffirmer la valuer de votre spiritualité trappistine, et le témoignage spirituel que vous donnez à l’Eglise et au monde, qui en ont plus que jamais un immense besoin, qu’il séagisse des pays de vieille chrétienté ou des pays de mission. Pour ceux-ci en particulier, vous apportez le souffle spirituel le plus pur, la prière d’intercession, et l’exemple de la contemplation. Nous prions le Seigneur que ce témoignage Porte de nombreux fruits. Nul doute que votre rencontre romaine n’y contribue pour sa Part, en vous aidant, au coeur de l’Eglise, a prendre une plus vive conscience de ses dimensions catholiques et de la place irremplaçable que vous y tenez pour la plus grande gloire de Dieu et le Salut du monde. Aussi est-ce de grand coeur que Nous vous donnons, en gage de votre «mystérieuse fécondité apostolique» (Evangelica testificatio, 8), Notre paternelle Bénédiction.




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