Catéchèses Paul VI 17173

17 janvier 1973: L’ABSENCE DE DIEU DANS LA CONSCIENCE DE NOTRE TEMPS

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Chers Fils et Filles,



Pourquoi venez vous à cette rencontre ? Que venez-vous chercher chez celui qui est heureux de vous recevoir, de vous connaître, de vous parler, de se sentir avec vous ? Un homme exceptionnel ? un phénomène historique ? un témoin qui crie dans le désert ?

Nous savons que vous venez ici, non tellement pour chercher, mais plutôt pour trouver. Pour trouver quelqu’un qui, bien que vous ne l’ayez jamais vu, jamais approché, vous connaît très bien, comme un père, un frère de tous, un ami, un maître, un représentant de ce Christ auquel vous-mêmes vous appartenez et dont, comme chrétiens, vous portez le nom et devez être l’image; ce représentant du Christ est son ministre, un successeur de celui à qui le Christ a remis les clés, c’est-à-dire les pouvoirs de ce royaume des cieux, de cette religion qu’il est venu Lui-même instaurer et fonder comme une société nouvelle, visible, spirituelle et universelle, l’Eglise, qu’il a bâtie précisément sur cet homme humble qui depuis lors porte le nom de Pierre, la base, le centre, le principe constitutif de l’édifice, le serviteur, le pasteur de l’humanité authentiquement liée au Christ Lui-même. Oui, vous venez à nous parce que vous croyez et que vous savez qu’ici se trouve l’Eglise, dans son expression la plus naturelle, la plus caractéristique, comme disait Saint Ambroise : ubi Petrus, ibi Ecclesia, où est Pierre, là est l’Eglise (in Ps. 40,30 PL XIV, 1082). Ceci, bien entendu, indépendamment de la petitesse et de l’indignité de la personne physique qui vous parle maintenant ; et, précisément pour le sens religieux qui vous guide, c’est même d’autant plus beau et plus consolant.

Pourquoi est-ce beau et consolant ? Parce que cela contraste avec un comportement, lui aussi caractéristique et, dans certains cas, diffusé dans le monde moderne ; le comportement négatif à l’égard de tout ce qui touche à la religion, à la foi, à l’Eglise, au Christ, à Dieu. Nous aimerions qu’en ce moment de confiante conversation vous puissiez lire dans notre coeur une des pensées les plus constantes et les plus amères qui nous vient, d’une part, de notre mission apostolique et prophétique de défenseur et de promoteur du règne de Dieu et, de l’autre, de la constatation de l’absence de Dieu en tant d’éléments de la mentalité et de la vie de l’homme contemporain.

Eh bien, réfléchissez un instant avec nous à ce fait qui semble qualifier l’histoire et la civilisation de notre temps : l’absence de Dieu. On a tellement parlé, et tellement écrit à propos de ce fait : l’athéisme sous tant de ses aspects, le sécularisme, c’est-à-dire le rejet de toute référence religieuse de la vie vécue par l’homme et par la société, la négation voulue et pratiquement radicale du nom même de Dieu dans les manifestations de la culture, de la conception scientifique du monde et de l’existence humaine. Une célèbre revue française, par exemple, nous informait récemment qu’un certain pays, de grande tradition religieuse cependant, venait de défendre l’emploi de la lettre majuscule pour écrire le nom de Dieu (Revue des Deux Mondes, janvier 1973, W. d’ormesson, p. 124). Voilà à quoi on en arrive aujourd’hui !

Certains représentants de l’homme moderne seraient-ils devenus hostiles même au saint et ineffable nom de Dieu ? Ceci n’est que l’aspect extrême et extérieur de l’athéisme moderne. Mais il y a d’autres aspects qui méritent-notre réflexion. L’homme moderne, dit-on, est allergique à la religion. Il ne possède plus l’aptitude à penser, à chercher, à prier Dieu. Il est indifférent et insensible. Au fond, il y a une objection plus grave et, tacitement mais fortement, opérante : nous, hommes d’aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de Dieu ; la religion est inutile, elle ne sert à rien ; au contraire, elle constitue un frein, un embarras, un problème superflu et paralysant ; aujourd’hui l’homme s’est affranchi des vieilles idéologies théologiques, mythiques ; et, convaincu de conquérir une liberté supérieure il a éteint la lampe à huile de la religion : ceci manifeste plutôt l’obscurité de l’incrédulité que la mystification des spéculations superstitieuses.

Combien y a-t-il de gens qui pensent ainsi ? Serait-il vrai — nous ne voulons pas le croire — que la jeunesse, la nouvelle génération s’oriente vers cette facile et victorieuse irréligiosité ? Aujourd’hui, l’esprit des gens est saturé de connaissances concrètes, aussi bien empiriques que scientifiques, et tout engagé dans le domaine des choses utiles, les machines par exemple, ou tout occupé par des choses futiles, comme le divertissement ; on dirait qu’il ne lui manque rien. Le monde de l’économie et de la jouissance, le monde expérimental et sensible, le monde des prétendues vraies réalités, tangibles et commensurables, le monde de l’expérience, lui suffit, et il n’a ni l’envie ni le besoin de chercher dans la sphère de l’invisible, du transcendant, du mystère, de quoi compléter, de quoi combler le vide intérieur — qui n’existe d’ailleurs plus, à ce qu’on prétend.

Cette absence de Dieu nous afflige profondément, et nous donne, à nous-mêmes, la désolante impression d’une anachronique solitude.

Voilà, chers frères et fils, un des motifs qui nous fait tant apprécier votre visite ; elle nous apporte le réconfort, non seulement de votre présence auprès de notre ministère qui a survécu aux siècles et aux vicissitudes humaines modernes, mais aussi le réconfort de la présence de Dieu dans le quotidien de la vie.

Et voilà que le dialogue avec vous, forcément contingent et bref, nous confirme la nécessité suprême et harmonique de la religion, de la foi, de la prière, d’une part, et nous instruit, d’autre part, sur l’origine et sur la nature de certains phénomènes effrayants de la mentalité moderne : l’inquiétude, la confusion, la rébellion, le manque de bonheur d’une partie des hommes contemporains. Ces hommes ont perdu le sens profond, métaphysique, des choses, la signification de leur propre vie, l’espérance d’un destin, quel qu’il soit. Oui, elle s’est éteinte, la lumière qui éclairait tout l’environnement, et les gens marchent comme des aveugles à la recherche d’un point d’orientation et d’appui, se heurtant l’un l’autre, et s’embrassant au hasard. Est-ce le retour de Babel ? ou bien, s’est-il mis à souffler dans les âmes des gens cet « esprit de vertige », d’étourdissement, dont parle le prophète Isaïe ? (
Is 19,14). Ou serait-ce que, dans cette négation du nom de Dieu, se cache une intention iconoclaste, oui, mais contre les fausses conceptions de la divinité, contre les religions imparfaites ou corrompues, et qui peut se résoudre dans la recherche, peut-être inconsciente, du Dieu-inconnu ? (cf. Ac 17,23), d’un Dieu-Vérité ? d’un Dieu-Bonté ? du Dieu-Vie ? C’est-à-dire, l’actuelle absence de Dieu ne serait-elle qu’une aspiration obscure et tourmentée vers une présence d’un Dieu-Sauveur ? C’est-à-dire, enfin, une aspiration vers un Messie, vers un Christ, lumière du monde, en qui l’homme d’aujourd’hui puisse simultanément se retrouver lui-même et retrouver Dieu le Père, son commencement et sa fin ? son espérance et sa joie ? Pensons-y : c’est le grand problème de notre temps. Quant à nous, nous avons cette confiance ; et dans cette pénible absence nous demeurons fermés et droits, tendant encore les bras à l’humanité souffrante et répétant les paroles du Christ « Venez à moi, vous tous qui peinez et portez un fardeau accablant : je vous soulagerai » (Mt 11,28). Avec notre Bénédiction Apostolique.





24 janvier 1973: EGLISES LOCALES ET DEVELOPPEMENT DU MOUVEMENT OECUMENIQUE

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Chers Fils et Filles,



Aujourd’hui, une pensée — une idée, une Vérité, une Réalité — s’impose à nous, réclame notre attention, engage nos âmes, les remplit simultanément d’enthousiasme et d’anxiété, comme il en est des choses qui impliquent l’amour. Quelle est cette pensée ? C’est celle de l’unité de l’Eglise. Dès le moment où nous en saisissons la signification générale, elle s’empare de nous, elle nous domine. L’unité : elle s’impose aussitôt par sa force logique et métaphysique; elle s’impose à l’Eglise, c’est-à-dire à l’humanité que le Christ a appelée à être une seule chose en lui et avec elle-même ; elle nous enchante par sa profondeur théologique ; elle nous tourmente aussi, par son visage historique qui est, aujourd’hui comme hier, ensanglanté et souffrant comme celui du Christ crucifié ; elle nous blâme, elle nous réveille comme au son d’une trompette qui nous appelle à suivre d’urgence une vocation devenue actuelle, une vocation qui caractérise notre époque ; cette pensée de l’unité s’irradie sur la scène du monde jonchée des membres arrachés, magnifiques, et des ruines de tant d’Eglises, isolées, quelques-unes, parce que autosuffisantes ; les autres, fragmentées, en centaines de groupes; toutes, maintenant, écartelées, en une émouvante tension, par deux forces opposées, l’une, centrifuge, fuyante, autonome, lancée sur la voie du schisme et de l’hérésie ; l’autre, centripète, qui, prise de nostalgie, exige que soit refaite l’unité ; et Rome, certes non exempte de fautes et de grande responsabilité, considère cette unité, comme un devoir qui lui incombe en vertu de son témoignage et de son martyre ; et elle s’acharne, maternelle et intrépide, à affirmer et à faire triompher la force oecuménique et unitaire qui est à la recherche de son principe et de son centre, de la base que le Christ, véritable pierre angulaire de l’édifice ecclésial, a choisie et fixée, en son nom, pour qu’elle soit, à tout jamais, le pivot de son royaume... ; et cette pensée de l’unité se réfléchit dans le for intérieur de beaucoup d’âmes religieuses et préoccupées, les mettant aux prises avec un problème spirituel : comment dois-je répondre, moi, à cet impératif de l’unité ?

« Je crois en l’Eglise, Une, Sainte, Catholique et Apostolique ». Combien de fois, ces paroles du Credo ne montent-elles pas à nos lèvres durant nos prières publiques ou privées ; combien de fois ne devons-nous pas les considérer et les méditer, parce qu’elles expriment la grande vérité que « le Christ a établi sur cette terre son Eglise sainte, communauté de foi, d’espérance et de charité, et qu’il continue à la soutenir » (Lumen gentium,
LG 8) ; et, envoyant son Esprit pour elle, il travaille en nous et avec nous dans le monde pour son salut.

« L’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, LG 1).

Si chacun des mots de notre profession de foi mérite d’être médité, les circonstances particulières du moment, nous suggèrent de ne considérer ensemble aujourd’hui qu’une partie de ce Credo : Je crois en l’Eglise Une. En effet, nous nous trouvons engagés aujourd’hui dans la célébration de la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens et, en cette période particulière, les chrétiens du monde entier prient le Seigneur Notre Père afin que l’unité ecclésiale que nous professons dans le Credo se réalise de manière concrète et visible dans notre vie.

Fréquemment, nous avons lu et entendu les paroles de l’Apôtre Paul : « Un seul corps et un seul esprit, de même que, par votre vocation, vous avez la même espérance. Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père Universel, qui est au-dessus de tout, agit en tout et est en tout » (Ep 4,4-6) ; « Vous êtes tous une seule personne dans le Christ » (Ga 4,28) ; « Il y a, il est vrai, diversité de ministères, mais il n’y a qu’un même Seigneur; il y a diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en nous » (1Co 12,4-6) ; « Faites régner dans vos coeurs la paix du Christ à laquelle vous êtes appelés dans l’unité de son corps » (Col 3,15). Mais ce sont surtout les sublimes paroles du Christ qui nous sollicitent irrésistiblement : «... afin que tous soient un, comme vous, Père, êtes en moi et moi en vous ; et qu’ils soient, eux aussi, un en nous, pour que le monde croie que vous m’avez envoyé » (Jn 17,21).

Ces paroles de Notre Seigneur et de son grand Apôtre ont une valeur universelle. Elles sont destinées à toucher les esprits et les coeurs de tous les Chrétiens, à être source d’inspiration et à guider les actions de tous ceux qui portent le nom du Christ. Elles nous rappellent le don divin de l’unité, mais, en même temps et aussi, l’obligation qui incombe aux hommes, celle de l’unité. Le Concile Vatican II, résumant en quelque sorte sa propre doctrine sur le mystère de l’Eglise affirme « C’est là l’unique Eglise du Christ, que nous confessons dans le Symbole, une, sainte, catholique et apostolique, que Notre Sauveur, après sa Résurrection, a remise à Pierre pour qu’il la paisse (Jn 21,17), et qu’il a confiée à Pierre et aux autres Apôtres pour qu’ils la portent au loin et la gouvernent (cf. Mt 28,18 etc.) et qu’il a dressée pour toujours comme la « colonne et le fondement de la vérité (1Tm 3,15) » (Lumen gentium, LG 8).

Les Epîtres de Saint Paul que nous venons de citer contiennent une théologie profonde, mais ne constituent pas un traité théorique. Elles avaient trait à des situations concrètes dans les Eglises d’Ephèse, de Corinthe, de Colosses. Dans la prière sacerdotale pour l’unité, Jésus parlait dans l’intimité d’une réunion avec ses Apôtres, en appelant à tous ceux qui, écoutant la parole des Apôtres, croiront en Lui (cf. Jn 17,20).

C’est pourquoi, si les principes énoncés par Jésus et par l’Apôtre ont une valeur universelle pour tous les chrétiens de tous les temps, ils trouvent leur réalisation concrète dans les communautés particulières et à travers ces communautés.

L’unité qui est un véritable don du Christ, se développe et se renforce dans la situation concrète représentée par la vie des communautés chrétiennes. La compréhension du rôle important des communautés particulières, des Eglises particulières a été formulée clairement par le Concile : « Les Evêques, pris isolément, sont le principe visible et le fondement de l’unité dans leurs Eglises particulières, formées à l’image de l’Eglise Universelle, dans lesquelles et à partir desquelles existe, une et unique, l’Eglise catholique (Lumen gentium, LG 23 cf. bossuet, OEuvres, vol. XI, lettre IV, pp. 114 et ss.).

En effet, l’unité de l’Eglise qui, comme nous l’avons dit, est déjà réalité dans la charisme historique de l’Eglise catholique tout entière et romaine en l’espèce, malgré les insuffisances des hommes qui la composent; toutefois elle n’est pas complète, elle n’est pas parfaite dans le cadre statistique et social du monde, elle n’est pas universelle. Unité et catholicité ne sont pas égalité, pas plus dans le groupe qui requiert le plus impérieusement un tel équilibre, le groupe de ceux qui sont baptisés et qui croient dans le Christ, que dans celui de toute l’humanité présente sur la terre, dont la plus grande part n’adhère pas encore à l’Evangile. Ce sont là deux grands problèmes de l’Eglise : le problème oecuménique, le problème missionnaire ; ils sont dramatiques, tous les deux.

Aujourd’hui, nous parlerons du premier, le problème de l’union des chrétiens en une seule Eglise.

Et nous voudrions signaler comme une des voies vers la solution — bien qu’elle soit déjà connue, longue, délicate et difficile — celle qui doit et qui peut intéresser les Eglises locales à la question oecuménique ; il est bien entendu, toutefois, que si nous ne voulons pas dégrader la situation, au lieu de l’améliorer, cette action ne peut s’accomplir qu’en harmonie avec l’Eglise universelle et centrale.

Nous nous rendons compte de l’importance que doit avoir le fait que les Eglises particulières de la communion catholique prennent la mesure de leurs devoirs et de leurs responsabilités oecuméniques caractéristiques.

Grâce aux Eglises particulières, l’Eglise catholique se trouve présente dans les milieux locaux où vivent et opèrent également d’autres Eglises et communautés chrétiennes. Souvent, l’établissement de contacts et de relations fraternelles entre elles se révèle plus facile dans ce contexte.

Aussi, est-ce de tout coeur que nous exhortons nos Frères et Fils à faire en sorte que l’engagement en faveur de l’unité des chrétiens deviennent également partie intégrante de la vie des Eglises particulières.

« Le dialogue d’amour, selon l’expression si chère à notre vénéré et regretté frère, le Patriarche oecuménique de Constantinople Athénagoras, peut se réaliser pleinement entre personnes et communautés qui ont de fréquents contacts entre elles, qui partagent les mêmes souffrances et les mêmes espérances, qui s’ouvrent l’une à l’autre et, ensemble, s’ouvrent au Saint-Esprit qui opère en eux, au cours des expériences concrètes de leur vie ».

La catholicité et l’unité de l’Eglise se manifestent dans la capacité des Eglises locales, en particulier et toutes ensemble, à s’enraciner dans des mondes, des temps et des lieux différents, de se retrouver dans chaque monde, temps et lieu en communion les unes avec les autres.

L’unité au niveau local est toujours un signe et une manifestation du mystère de l’unité qui est un don du Seigneur à l’Eglise. Avec leurs expériences, les Eglises particulières peuvent être une source d’enrichissement pour le mouvement oecuménique dans son ensemble, elles peuvent lui apporter une contribution féconde pour toute l’Eglise. En même temps elles recevront des suggestions et des directives de la part du Centre de l’unité, c’est-à-dire du Siège Apostolique, « universo caritatis coetui praesidens » (Ign. ad Rom., Inscr.), pour être assistées dans leurs problèmes et rendues capables de juger de la validité et de la fécondité de leurs propres expériences.

« Je crois en l’Eglise, Une... » — cette profession de foi nous entraîne alors à nous consacrer nous-mêmes à la cause de l’unité des chrétiens, de nous y consacrer avec toute l’ardeur dont nous sommes capables et avec toutes les possibilités que l’Eglise nous offre sur de nombreux plans.

Chers Fils, en cette semaine de prière pour l’unité à laquelle participent tous les Chrétiens, nous demandons tous pardon pour les fautes qui ont été commises contre ce don immense, tellement plus grand que nos mérites. Unissons-nous de tout coeur en la prière que Jésus, Prêtre et Victime, adressa au Père pour son Eglise : « afin que tous soient un, comme vous, Père, êtes en moi et moi en vous ; — dit-il — et qu’ils soient, eux aussi, un en nous, pour que le monde croie que vous m’avez envoyé » (Jn 17,21).

Certain que cette voix divine aura trouvé un écho dans vos âmes, Nous adressons aujourd’hui à nos Frères séparés, un salut affectueux, respectueux.

Et de coeur, à vous tous, Nous donnons notre Bénédiction.





31 janvier 1973: LA RECHERCHE DE DIEU

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Chers Fils et Filles,


Reprenons le fil d’une méditation qui ne peut et ne doit jamais prendre fin : la méditation au sujet de notre attitude devant la question de Dieu, la question religieuse.

Voici où nous en sommes: l’audace, téméraire ou inconsciente, avec laquelle on tend aujourd’hui à nier Dieu, nous force à nous attacher à cet oppressant problème sans plus tarder. Nous l’avons déjà dît, Dieu est absent de la vie moderne parce qu’on l’oublie, parce qu’on le rejette ; et, de ce fait n’arrive-t-il rien dans le monde ? ne se passet-t-il rien dans la culture humaine ? ne se produit-il rien dans le for intérieur de la personne qui vit et qui pense ? Pour l’instant nous n’essaierons même pas de rendre explicites ces interrogations ; nous nous contentons de les soumettre à votre raison, pour vous inciter à entreprendre une recherche qui pourra s’engager sur l’une quelconque des douzaines de voies qui s’ouvrent à elle, précisément à cause du vide immense et indéfini que produit l’absence de Dieu. Il nous suffit de faire accepter cette parole explosive : la recherche. Que mettrons-nous à la place de Dieu ?

Ou plutôt : à l’absence de Dieu qui, sous certains aspects macroscopiques, caractérise la vie moderne, succède, qu’on le veuille ou non, la recherche de Dieu. Simplifions ce phénomène en le classant dans quelques-unes de ses catégories élémentaires, et en commençant par celle qui semble la plus évidente et la plus commode.

La première recherche retourne aussitôt à son point de départ, à la négation initiale, c’est-à-dire que la recherche se bloque d’elle-même, quand elle tend à la conviction que la question religieuse est une pseudo-question, qu’elle est inutile, qu’elle est dangereuse. Même si, de cette manière, l’esprit humain se trouve plongé dans d’épaisses zones d’ombre, et s’il n’est plus personne

désormais qui ose encore prétendre que la science peut satisfaire aux suprêmes abstractions de l’intelligence humaine, on se résigne à vivre entre ses horizons toujours plus élargis mais sans se rendre compte que plus s’étend le merveilleux champ des connaissances scientifiques, croît également et d’autant plus l’énigme de l’être qui l’envahit de toutes parts et tend, de par sa nature même, à s’élever d’urgence dans une sphère supérieure, qu’il est aussi nécessaire d’atteindre, la sphère, précisément du nécessaire, de l’absolu, la sphère de la causalité créatrice, la sphère de Dieu.

Nous savons bien que l’effort logique pour parvenir à cette première et modeste connaissance du principe premier ne suffit pas toujours à établir ce rapport vital entre l’homme et Dieu que nous appelons religion, mais elle en est la première condition : la prémisse subjective, parce qu’elle se trouve bien en évidence devant la pensée humaine rendue humble et exaltée, la fenêtre de la réalité transcendante ; la prémisse objective également, parce qu’au mystère des choses finies qu’il est toujours possible de sonder, vient se superposer, ineffable et inépuisable, le mystère de l’Etre infini, permettant cette découverte incomparable, fondement de tout l’ordre religieux : à savoir que notre intelligence est faite pour atteindre la cime de la divinité. Découverte merveilleuse : nous sommes, essentiellement, destinés au rapport personnel avec Dieu. Rappelons ces paroles toujours citées de Saint Augustin : « Toi, ô Dieu, tu nous as créés pour Toi, et jamais notre coeur ne sera rassasié tant qu’il ne reposera en Toi (Confess., I, 1). Enlever cet objectif à l’homme signifierait couper les ailes à son esprit, ramener sa stature à celle des êtres privés de l’âme spirituelle, tromper ses aspirations suprêmes avec des objets de dimension insuffisante, alimenter sa faim religieuse avec une nourriture profitable, mais qui ne peut la satisfaire (cf. St. TH., Contra Gentes,
SCG 3,25).

La recherche de Dieu s’arrête-t-elle ici ? Cette recherche est à ce point enracinée dans notre nature que même ceux qui oublient Dieu ou le nient la pratique fût-ce par des voies déviées vers des interprétations fausses ou incomplètes, ou impersonnelles, ou abstraites de la notion de Dieu. Nous, les hommes modernes, entraînés à l’exercice de la pensée, nous sommes particulièrement prédisposés à cette mystification, à cette idolâtrie : de chaque désir, de chaque abstraction idéale d’unité, de vérité, de bonté, de chaque conception — qui peut être réelle — de bonheur, de puissance, d’art, de beauté ou d’amour, nous faisons un bien suprême, un absolu qui nous domine: et nous retombons dans le milieu humain, bien souvent de manière aussi puérile que les idolâtres antiques s’inclinant devant des choses sensibles ou des phénomènes naturels. Si nous prêtons vraiment l’oreille à ces voix qui montent de ce milieu humaniste nous devons aussitôt tendre l’oreille à cette réponse antique : chercher plus haut, quaere supra nos. Et plus haut, au-dessus de l’homme, en admettant qu’on atteigne le seuil du monde religieux, notre recherche est-elle pour autant terminée ?

Non ! Nous répondons non ! Plutôt, elle ne fait que commencer, sur un nouveau plan, dans un règne nouveau. Et c’est cela que nous voulons faire comprendre à chacun de ceux qui pensent — ou doutent — que livrer son propre esprit à l’expérience religieuse pourrait entamer sa liberté, son autonomie, son énergie ; remplir son esprit de fantasmes et de mythes, de scrupules et de peur. Il nous faut certes admettre que les expressions religieuses ne sont pas toutes valables ; mais nous avons la fortune et le devoir d’affirmer qu’il existe une religion vraie, modelée suggestivement en fonction des dimensions et des besoins de notre esprit, objectivement instituée par ce Dieu que nous sommes en train de chercher ; et nous aurons la surprise de découvrir que bien avant que nous nous soyons mis à la recherche de Dieu, et plus intensément que nous, Dieu est venu à notre recherche (cf. abraham heschel, Dieu en quête de l’homme, Edit, du Seuil, Paris 1968).

Aussi, la recherche continue-t-elle. Et, vous le savez, elle continue dans un océan de vérités et de mystères ; dans un drame où nous avons, chacun de nous, un rôle à tenir. C’est la vie. Pourra-t-elle s’épuiser dans notre existence temporelle ? Non ! Malgré l’éclatante lumière de notre religion catholique, la recherche et l’attente de révélations ultérieures ne se peuvent accomplir : au contraire, elles en sont encore à leurs débuts. La foi n’est pas une connaissance complète, elle est une source d’espérance (cf. He 11,1). Nous voyons maintenant les réalités religieuses, même dans leur réalité incontestable, dans le mystère, dans leur impossibilité à se réduire à la mesure purement rationnelle ; nous connaissons cette réalité « comme dans un miroir et d’une manière obscure » (1Co 13,12). L’étude, la recherche et — pour dire la parole qui renferme tout : — l’amour demeurent actifs et dynamiques.

Est-il possible que l’homme d’aujourd’hui, tendu vers une incessante, une angoissante, une ridicule conquête, soit incapable d’écouter à nouveau cette invitation éternelle et stimulante à chercher Dieu ?

Répétons l’exhortation du Prophète : « Cherchez le Seigneur pendant qu’on peut le trouver, invoquez-le pendant qu’il est proche de vous » (Is 55,6).

Avec notre Bénédiction Apostolique.


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Et maintenant, Nous saluons avec une affection particulière nos chers fils et filles de la grande famille montfortaine. Voici trois siècles aujourd’hui même, la petite cité bretonne de Montfortsur- Meu voyait naître le plus illustre de ses enfants, celui que les populations de Bretagne, du Poitou et de Vendée appelleraient dès son vivant «le saint Père Grignion», celui qui entrainerait à sa suite une légion d’apôtres du Christ crucifié et de vrais serviteurs de Marie. Pères Montfortains, Soeurs de la Sagesse, Frères de Saint-Gabriel, ici présents ou dispersés à travers le monde, soyez assurés que Nous participons profondément à votre allégresse et à votre espérance d’un souffle neuf en cette année tricentenaire!

Fils et filles spirituels de saint Louis Marie, vous avez à découvrir toujours davantage les secrets de votre Père: vivre et annoncer Jésus-Christ, Sagesse éternelle, faire connaître et aimer Marie qui conduit sûrement à Jésus. Laissez-vous habiter par sa ténacité, qui évoque le chêne et le granit de son pays, pour affronter dans le monde présent ce qu’il affronta en son temps: l’ignorance religieuse, l’indifférence, le conformisme, la superstition, les divertissements qui avilissent l’homme. Laissez-vous imprégner par son amour inconditionnel de l’Eglise, son sens de la communion au Successeur de Pierre. Vous ne pouvez oublier qu’il vint chercher près du Pape Clément XI des lumières décisives! Avec lui et par lui, réveillez toujours l’authentique piété mariale: ce serait un grave dommage si elle s’affaiblissait dans le peuple de Dieu.

Suivez également cet apôtre dans son souci, comme on dirait aujourd’hui, de promouvoir le bien des personnes, en les appelant vigoureusement à la conversion. Son amour concret l’amenait à susciter de nombreuses initiatives sociales et éducatives; il avait l’intuition que les carences des structures de la société avaient leur source, avant tout, dans le coeur des hommes. C’est pourquoi, il s’est usé prématurément à révéler aux pécheurs l’Amour de Dieu. Chers Fils et chères Filles, Nous formons des voeux ardents pour que les grâces de ce joyeux tricentenaire renouvellent la grande famille montfortaine, dans le sillage d’un tel saint! Et de tout coeur, Nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous Nous adressons maintenant au groupe des délégués à la Cinquième Réunion régionale de Navigation aérienne pour l’Afrique et l’Océan Indien, et aux secrétaires de cette importante rencontre romaine.

En vous consacrant plus spécialement un moment de cette Audience, Nous entendons vous montrer d’abord que Nous sommes attentif à votre souci de mieux organiser les conditions d’exploitation des Compagnies aériennes. Une meilleure coopération, tout en allégeant les charges considérables auxquelles doivent faire face les jeunes Etats, contribuera à instaurer un climat d’entente et d’amitié bénéfique pour tous.

Nos préoccupations vous rejoignent encore, lorsque vous vous employez à promouvoir la sécurité des passagers et des équipages, face aux risques techniques d’une part, et aux actes de piraterie d’autre part. En ce qui concerne le deuxième point, la violence n’est jamais une solution pour parvenir à une fin. Nous l’avons souvent rappelé. Aux responsables d’examiner ses causes, mais que les innocents ne soient point frappés injustement!

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs, d’avoir interrompu vos travaux pour venir Nous saluer, et Nous prions le Seigneur de vous assister.



7 février 1973: L’INTERVENTION DE LA PROVIDENCE DANS L’HISTOIRE ET DANS LA VIE DES HOMMES

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Chers Fils et Filles,



Dans l’observation simple et élémentaire, mais sincère, du monde tel que nous le connaissons et le comprenons, le problème de Dieu — en dépit des controverses qu’il entraîne (indifférence, doute, négation, substitution, affirmation...) — place l’homme d’aujourd’hui devant une alternative dont l’un et l’autre terme sont également redoutables : si nous n’admettons pas l’existence de Dieu, nous sommes contraints à supprimer la raison d’être originelle et suffisante des choses, la cause première, le principe de la rationalité et de la science ; à faire abstraction de la logique suprême de la pensée et de l’exigence, également suprême, de l’existence des choses ; à vivre et à penser dans l’obscurité, ou bien dans la pénombre de principes hypothétiques et peu propres à donner l’explication finale à laquelle tend notre recherche haletante de la vérité ; l’esprit, c’est-à-dire, en fait, la vie, se fourvoie dans le doute, dans l’hypothèse, dans le factice pour sombrer finalement dans l’absurde, dans le scepticisme, dans la pseudo-sagesse désespérée du nihilisme. Ou bien : si nous admettons qu’il existe un Dieu personnel et créateur, nous devons conclure qu’il doit y avoir dans le monde créé un gouvernement, une pensée qui dirige, un pourquoi conscient et dominateur, c’est-à-dire une Providence.

La Providence, qu’est-elle ? C’est la raison de l’ordre (cf. St. TH.,
I 22,3 ss. ; I 103,1 ss. ; Sg 14,3 Pr 8 etc.). C’est le reflet de la pensée de Dieu dans les choses et dans l’histoire ; c’est la rationalité, pleine de sagesse et bonne, manifeste ou occulte, dont toute chose est imprégnée. Tout dépend d’un Verbe créateur (Jn 1,3 Col 1,16) ; et en dépend ontologiquement, c’est-à-dire dans son entité, dans sa raison d’être ; en dépend dans son intelligibilité et dans sa finalité dans les lois qui traversent et dirigent son dynamisme et son devenir; tout dépend non seulement d’une Pensée, mais aussi d’une Volonté transcendante, d’un Unique, qui prévoit et pourvoit. Cet aspect de la réalité intrinsèque et mystérieuse des choses exigerait une analyse longue et précise (voir pierre charles landucci, Le Dieu en qui nous croyons). Mais il nous suffit pour l’instant de retenir qu’il existe un gouvernement du monde, un esprit qui commande dans l’univers et règne aussi sur nos destins particuliers. L’essence des choses ne s’explique pas elle-même ; le mouvement des choses ne naît pas de la chose même. Et c’est ici, quand notre humble esprit, tendu dans son extrême effort de connaissance, estime avoir atteint son objectif final, que surgit une difficulté qui semble annuler le meilleur résultat de son étude: l’esprit se heurte à cette difficulté quand il constate que l’ordre auquel il prétendait être parvenu n’est autre que l’état nécessaire et inexorable du mouvement naturel des choses ; qu’il est un fait, un déterminisme, qui semble privé, — tout au moins pour ce qui nous regarde, nous, êtres terrestres, capables toutefois d’aimer, de souffrir, — semble privé disions-nous, d’oeil et de coeur, et qui nous assaille et nous malmène sans pitié... Et où est la Providence ? Et le Dieu sage et bon que nous pensions avoir trouvé, où donc est-il ? Et comment expliquer la douleur, la mort, le mal ?

Quels problèmes ! Quels grands problèmes ! Et quel immense effort ne faut-il pas faire par la suite pour y donner quelque réponse ! Il serait trop difficile de la formuler en ce lieu. Mais la réponse existe et, si elle ne change pas la réalité de tels obstacles, elle réussit tout au moins à nous révéler comment ils trouvent leur place dans une perspective d’ordre supérieur, si l’on réfléchit que la finalité de la Providence est Dieu lui-même (cf. Pr 16,4 St. TH., I 103,2) ; elle nous révèle cette réponse, que Dieu a voulu donner existence et communiquer une participation de sa causalité, à titre exécutif, à d’autres êtres, et, parmi ceux-ci, à quelques êtres faibles et passagers, ou plutôt à quelques êtres libres, c’est-à-dire sous certains aspects, autonomes et capables de choisir entre le bien et le mal ; cette réponse nous révèle aussi que Dieu, par un prodige de sa Providence, a conféré à la douleur elle-même sa propre utilité, une utilité suprême dans l’économie de la Croix et de la Rédemption ; que Dieu a concédé à l’homme de retrouver le bien — et souvent un bien de nature supérieure — dans notre condition bien que celle-ci soit touchée par la misère et l’adversité : « tout coopère au bien de celui qui aime Dieu » disait Saint Paul (Rm 8,28) ; cette réponse nous révèle enfin que dans le Christ, Dieu-Providence, Dieu-Amour a vaincu la mort.

Très chers Fils, ce sont là, comme vous le voyez, des enseignements très communs et que, généralement vous connaissez tous plus ou moins ; mais il s’agit cependant de vérités formidables, extrêmement élevées ; de vérités telles qu’elles doivent confirmer en nous une conviction fondamentale, celle de l’existence d’une Providence ineffable, mais authentique et personnelle, qui préside à tout, pense à tout, qui nous écoute tous et nous aime tous ; cette Providence, elle s’appelle Dieu, Celui sur qui est fondée notre religion et qui la rend facile et heureuse ; cette Providence, nous l’appelons « Notre Père qui êtes dans les cieux », et elle attend nos prières.

Que vous stimule et vous aide à réfléchir sur cette conception générale de notre sort, la Bénédiction Apostolique que nous vous donnons.






Catéchèses Paul VI 17173