Catéchèses Paul VI 10976

1er septembre 1976: L’EGLISE CONSTRUITE AVEC LA CROIX

10976



Chers Fils et Filles,



Cette formule : « Je construirai mon Eglise » (
Mt 16,18), forgée par le Seigneur pour indiquer, sous forme de métaphore le programme de son oeuvre de salut dans le monde et dans l’histoire, suscite encore notre réflexion pour comprendre, autant que nous le pouvons, l’actualité du Christ à notre époque. Elle nous révèle d’abord et avant tout la présence permanente du Seigneur Jésus parmi nous. Saint Ambroise a écrit : Ubi Petrus, ibi Ecclesia, — Où est Pierre, là se trouve l’Eglise — ; et cette sentence célèbre, pleine de signification théologique et mystique, en suppose une autre qui valorise notre étude de la parole évangélique. La voici : « où est l’Eglise, moyennant Pierre, là est le Christ » ; ainsi se dessine la trilogie doctrinale : le Christ, Pierre, l’Eglise, comme synthèse du dessein rédempteur divin. Et se révèle l’association que le Christ a voulu établir avec celui qu’il a décidé de choisir pour être son Vicaire, Simon fils de Jean, lui imposant le nom de Pierre: une association qui conduira à une conséquence extrême, celle du martyre par lequel l’Apôtre aurait un jour « glorifié Dieu » (Jn 21,19). Ceci était une prophétie tragique et glorieuse qui consumait le destin de Pierre en reflétant dans sa personne le sacrifice du Christ crucifié. Ceci est l’histoire de l’Evangile en construction : il ne suffit pas d’offrir au divin architecte sa propre collaboration (cf. 1Co 3,10 et ss.) ; il faut offrir sa propre vie. Saint Paul nous le rappelle en ce qui le concerne : « En ce moment, je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous — écrivait-il aux Colossiens — et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise » (Col 1,24). Paroles bien connues qui signifient, non pas qu’il manque quelque chose à l’efficacité rédemptrice de la Passion du Christ, mais que celle-ci comporte des conditions pour que sa vertu salutaire soit appliquée à l’Eglise : conditions qui consistent à honorer, à imiter, à partager les souffrances du Christ crucifié, et qui nous laissent entrevoir quelque chose du mystère de la douleur chrétienne intégrée dans celle de la souffrance du Seigneur.

Cette extension aux disciples de la souffrance rédemptrice et vivifiante du Christ, le Seigneur lui-même l’avait déjà annoncée à plusieurs reprises. Par exemple, au cours de la dernière Cène, Jésus les avertit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous allez pleurer et vous lamenter; le monde, lui, se réjouira ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie » (Jn 16,20). La douleur, ou disons le terme qui la résume et la transfigure, la croix, pénètre profondément dans l’office apostolique ; c’est-à-dire dans la construction de l’Eglise. On ne saurait être apôtre sans porter la croix. Et si, aujourd’hui, l’honneur et le devoir de l’apostolat sont offerts à tous les chrétiens indistinctement, c’est parce qu’aujourd’hui la vie chrétienne se révèle avec une clarté nouvelle telle qu’elle est et doit être, distributrice du trésor de vérité et de grâces dont elle est porteuse ; signe que l’heure de la croix, vient sur le Peuple de Dieu : nous devons tous être apôtres ; nous devons tous porter la croix (cf. Jn 12,14 et ss.). Pour construire l’Eglise, il faut peiner, il faut souffrir.

Cette conclusion bouscule certaines conceptions erronées de la vie chrétienne quand elle est présentée sous l’aspect de la facilité ou plutôt de la commodité et de l’intérêt temporel et personnel alors qu’elle doit toujours imprimer sur sa propre face, le signe de la Croix. Le signe du sacrifice accepté, ou mieux, accompli par amour; par amour du Christ et de Dieu et par amour du prochain, qu’il soit voisin ou éloigné. Ce n’est pas là une vision pessimiste du christianisme ; c’est une vision réaliste, spécialement en ce qui concerne son édification, son affirmation comme Eglise. L’Eglise doit être un Peuple de forts, un peuple de témoins courageux, un peuple qui sait souffrir pour sa propre foi et pour sa diffusion dans le monde. En silence, gratuitement, et toujours par amour.

Et maintenant nous pourrions montrer comment aujourd’hui encore existe ce Peuple d’élite, constructeur de l’Eglise vivante et vraie, tendu dans l’effort évangélique de l’amour crucifié. Oui, il existe des populations entières qui, malgré les embûches, font de leur héroïque et silencieuse fidélité au Seigneur, le principe constructeur de la Sainte Eglise de Dieu, d’aujourd’hui et de demain. Oui, il existe des familles exemplaires de Religieux et de Religieuses qui, dans leur recherche de la perfection, abandonnent tout et donnent tout « dans le but d’édifier le Corps du Christ » (Ep 4,12) : que Dieu les bénisse ! Et que soient bénis également ceux qui infusent dans leur expérience humaine l’Esprit vivifiant des béatitudes évangéliques : vous, qui êtes pauvres ; vous, qui êtes doux ; vous qui pleurez ; vous qui êtes miséricordieux ; vous, qui avez le coeur pur ; vous, qui avez faim et soif de justice ; vous, les artisans de la paix ; vous, les persécutés pour la cause de la justice ! Vous êtes les constructeurs et les citoyens du Royaume du Christ, ici, durant ces jours éphémères de la vie terrestre, pour être ensuite les fils du Royaume éternel de Dieu.

Avec la vertu, avec la force, avec la douleur, avec la patience, avec le sacrifice, avec la Croix se construit, avec Lui et pour Lui, l’Eglise du Christ. Et avec notre Bénédiction Apostolique, celle, précisément, de Pierre.






8 septembre 1976: CONSTRUIRE L’EGLISE PAR LA PRIERE ET L’ACTION

8976

Chers Fils et Filles,



Nous allons parler encore de ce thème qui a occupé notre attention au cours de ces dernières rencontres hebdomadaires. C’est celui de la construction de l’Eglise, c’est-à-dire de l’action efficiente qu’il faut promouvoir dans cette partie d’humanité qui se range à la suite du Christ : en quoi cela consiste-t-il ? Est-ce un simple courant de pensée, sans structure sociale ? une Eglise invisible ? (cf. de Lubac, Méd. sur l’Eglise, III). Cette opinion a eu du succès, mais elle est contraire à l’authentique pensée du Christ qui a voulu que l’Eglise soit son Corps, mystique certes, par l’animation du Saint-Esprit (cf.
1Co 12,3) qui la fait vivre, mais humaine, visible, sociale, organisée également, et qu’elle prenne sa place dans la société humaine et dans l’histoire effective du monde. Et ce deuxième aspect, celui de « société parfaite » — même si elle est modelée seulement suivant des structures temporelles — possède lui aussi son cadre de vérité. Mais il peut entraîner une conception inexacte et incomplète de l’Eglise, par conséquent fallacieuse, et constituer alors une tentation pour beaucoup qui, influencés par la mentalité rationaliste de notre temps, voudraient trouver dans l’Eglise une capacité d’action déterminante également sur le plan horizontal — comme on dit aujourd’hui — de la vie sociale. Il est vrai, sans aucun doute, et nous le répéterons, que l’Eglise a le besoin et le devoir de l’action, aujourd’hui plus que jamais; il est vrai que dans l’élévation même de l’homme au niveau de la vie chrétienne est comprise une vocation à l’apostolat. Il est vrai que la construction de l’Eglise s’accomplit dans la réalité du phénomène historique moyennant l’activité sage et patiente, dévouée et tenace jusqu’au sacrifice, de ministres fidèles. Il est vrai, que la charité du Christ doit, dans le monde moderne, se répandre et se dilater, par des initiatives sociales conformément à une programmation ample et organique, attentive spécialement à remédier aux carences des classes les moins favorisées. Il est vrai que la stimulante interrogation évangélique « Pourquoi restez-vous ici, tout le jour, sans rien faire ? » s’adresse aussi à tant de chrétiens qui se sont habitués à bénéficier ou à souffrir de situations statiques de la communauté sociale, sans se soucier de promouvoir des conditions de coexistence, plus justes et plus humaines. Oui, tout cela est vrai.

Mais cette activité extérieure suffit-elle pour rendre l’humanité meilleure, plus heureuse ? Et, en ce qui nous concerne, la recherche — obligatoire d’ailleurs — des moyens temporels, est-elle suffisante pour construire l’Eglise ? c’est-à-dire cette humanité élevée à une forme de vie participant à la vie divine elle-même, dans le temps et pour l’éternité ? La causalité humaine suffit-elle à elle seule à l’Eglise pour garantir la réalisation des véritables, des nécessaires, des supérieurs destins de la vie humaine ?

Nous voici devant une perspective qui semble contradictoire : décevante et exaltante. Décevante parce que l’activité procédant des seules forces humaines ne saurait, même sur le plan temporel, atteindre de manière heureuse, ses pleins résultats humains; et même, les résultats ainsi obtenus, excellents et prévoyants sous tant d’aspects ne font, sous d’autres, qu’aiguiser la faim et la détresse de l’homme et dans une mesure parfois plus grande que les avatars auxquels cette activité prétendait porter remède. (Pensons, par exemple, au développement des armes nucléaires). C’est la tragédie éternelle de Sisyphe qui aboutit finalement à une automutilation, puis à un pessimisme désespéré. Exaltante parce que Quelqu’un est venu, parce que le Christ est venu pour absorber en Lui-même, avec sa Croix, la faillite humaine et rendre à l’homme une espérance vraie, une résurrection, une vie meilleure. Il est venu, Lui, pour édifier un ordre nouveau, surnaturel, plus plein et plus réel que celui, dont l’homme peut jouir dans le temps ; Il est venu fonder ce nouvel édifice, l’Eglise, faisant de l’Eglise elle-même le grand « sacrement », c’est-à-dire, comme l’exprime le Concile, « le signe et l’instrument » (cf. Lumen Gentium, LG 1 LG 48) du salut humain ; Lui, le Fils du Dieu vivant et Fils de l’homme, notre frère et maître, Lui, Jésus le Christ, Il est venu nous dire : « Je bâtirai mon Eglise » (Mt 16,18 cf. De Lubac, op. cit. p. 161). Il se présente comme le vrai, le seul constructeur effectif, nécessaire, l’Alpha et l’Oméga universel. De telle sorte que dans l’opération « Eglise » le causalité « Christ » surpasse ou, mieux, alimente dans l’Eglise tout autre causalité humaine : « sans moi vous ne pouvez rien » (Jn 15,5) nous a-t-il rappelé. « Ce n’est pas celui qui plante, ou celui qui irrigue qui compte, mais Celui qui fait croître » dira à son tour Saint Paul, se référant lui aussi à l’efficience de l’action apostolique, toujours en ce qui concerne l’Eglise en voie de formation et d’action.

Pour nous qui sommes tous appelés à collaborer à l’édification de l’Eglise de notre temps, cette réalité théologique est d’une importance extrême. Elle nous rappelle que nous ne sommes pas seuls de nos forces. Devant nous se profile toute la doctrine de la grâce, c’est-à-dire de l’intervention mystérieuse mais positive de l’influx divin dans le circuit de notre activité, toujours faible et fragile et en tous cas, sans commune mesure avec les effets de salut qu’elle voudrait réaliser: qu’on tente de se rappeler, si possible, la polémique de Saint Augustin contre les Pélagiens au sujet de l’insuffisance des vertus naturelles. De même de nos jours, la discussion au sujet des vertus passives et des vertus actives, comme si cette distinction suffisait pour discréditer les premières et exalter les secondes (cf. Denz.-Schon., DS 3344) ! Et ceci, avec deux conclusions fondamentales pour le thème qui nous intéresse maintenant au sujet de la construction de l’Eglise.

Les voici : la première concerne la nécessité et l’utilité de la prière, comprise comme coefficient indispensable de l’action apostolique. Parfois, avec notre mentalité moderne tendue anxieuse ment vers l’action, sommes nous portés à considérer que l’une, la prière soit un obstacle pour l’autre, l’action, comme si elles se disputaient le temps devenu plus rare et les forces rendues plus précieuses à cause de l’accélération de notre activité multiforme, lorsqu’elles sont et doivent être complémentaires l’une de l’autre, conformément à l’antique sagesse bénédictine : Ora et labora, prie et travaille ; et surtout selon le mandat évangélique : « Il faut prier toujours sans jamais se lasser » (Lc 18,1).

La seconde conclusion fondamentale est la confiance ; la confiance dans notre humble inadéquate activité, dès que, précisément, elle est soutenue par la prière et dirigée vers l’édification de cette Eglise que le Christ a aimée, fondée et rachetée et qu’il a voulu lui-même, édifier avec nous.

Construire l’Eglise : tel est le dessein du Christ ; pour nous que ce soit notre programme. Que chacun s’en souvienne, avec notre Bénédiction Apostolique.






15 septembre 1976: FORMER LA CONSCIENCE CHRETIENNE

15976



Chers Fils et Filles



Votre présence, aussi nombreuse, aussi affectueuse, nous rappelle une parole qui revient souvent dans l’Evangile (
Mt 5,1 Mt 9,36 Mt 14,14), et nous laisse entrevoir le coeur de Jésus devant les foules. Devant les foules, devant les multitudes, devant la masse anonyme, inconnue, devant le peuple, Jésus est pris d’un sentiment de sympathie, de compassion. Ce sentiment se traduit en lui par un désir de faire du bien à tous, mieux encore, d’atteindre, grâce à une éclatante effusion de sa bonté, chacun des membres du troupeau humain ; ce fut ainsi qu’il opéra la multiplication des pains pour tous et pour chacun, préludant par ce geste prophétique à l’institution du mystère eucharistique, symbole et source du mystère de l’« omnes unum » (cf. Jn 17,21 1Co 10,17), dans lequel l’humanité élue ne fait qu’un seul corps en Lui, chef de cette assemblée universelle qui s’appelle l’Eglise (Ep 1,22).

Oui, c’est cela l’Eglise, édifiée par le Christ, dans laquelle chacun des êtres humains est une personne, dans une certaine mesure divinisée, c’est-à-dire exaltée, à un niveau de participation ineffable, à la plénitude de la Vie divine (cf. 2P 1,4) et, tout en même temps, insérée dans l’unité du Corps mystique et social moyennant l’animation de l’Esprit du Christ (cf. 1Co 12,3). Ceci est merveilleux, Frères et Fils, et nous n’avons pas de mots pour l’exprimer comme il se doit. C’est une réalité religieuse que nous devons qualifier de surnaturelle pour assigner à notre langage la dimension transcendante qu’elle tend à rejoindre. Et c’est merveilleux parce que cela ne se réfère pas à une condition exceptionnelle du chrétien, mais regarde le chrétien à son niveau commun, celui que Saint Pierre appelait « le sacerdoce royal » (cf. 1P 2,9), et que le récent Concile détermina comme une prérogative de chaque citoyen du Royaume du Christ. Ce sont des pages magnifiques que nous ferions bien, nous tous de méditer — et tout spécialement, vous, les laïcs parce que vous y êtes tout spécialement considérés —. Ainsi nos âmes s’enrichissent de deux conceptions décisives : pour une authentique mentalité chrétienne : d’une part la conception de la superlative dignité humaine, élevée à la vocation chrétienne et d’autre part la conception de la naturelle et coercitive expansivité de notre propre foi, c’est-à-dire de la nécessité logique pour tous de faire de l’apostolat (cf. Lumen Gentium, ch. IV, LG 30 et ss.). Saint Paul écrivait : « ...car vous êtes tous fils de Dieu par la foi au Christ Jésus... : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,26 Ga 3,28).

Il vous arrive si souvent à chacun de vous, et parfois même plusieurs fois par jour de vous trouver au milieu de la foule humaine, d’habiter dans un même gratte-ciel, d’être insérés dans les milieux de travail humain, grands magasins, usines, bureaux, casernes, hôpitaux etc. et cependant de vous sentir seuls, isolés, entourés, certes, de gens de même langue, de même organisation... mais toutefois indifférents l’un à l’autre, intérieurement différents, étrangers les uns pour les autres; le lieu social, aujourd’hui si fragmenté, certes demeure, mais l’individualité propre de chaque homme est noyée dans la multitude, dans la masse de gens qui ne communient pas toujours dans une identité de pensée, d’éducation, d’intérêts, de goûts, etc. le propre ego demeure comme un orphelin, et seul au milieu de tant de gens, ignorant du destin et de l’être même de sa propre vie.

Pensez maintenant au destin chrétien, tout lumière, tout communion qui se superpose au labyrinthe de la vie naturelle. Essayons de trouver la ligne de ce dessein. Elle part d’un mystère, plus vaste et profond qu’un océan ; mais un mystère vivant d’infinie Bonté. D’où vient notre existence ? Elle vient de Dieu, elle vient du Père, elle vient d’une Pensée créatrice qui nous précède métaphysique-ment, réellement, et nous aime, nous prédestine « à être conformes à l’image de Son Fils » (Rm 8,29). Et puis ? voici la première station : le baptême qui régénère notre vie dérivée de la souche souillée d’Adam et nous insère dans le dessein de la rédemption : Christ, l’Eglise. Le dessein procède sur le plan humain : Parents, éveillez la conscience des petits à la recherche de ce qui est Primordial dans notre vie et faites leur connaître tout de suite le secret pour l’interpréter et la rendre heureuse ; le bambin, lui aussi, est un fidèle, un membre vivant de l’Eglise qui est la super-famille de la société domestique et sociale. Que l’enfant qui grandit sache alors sans tarder ce qui qualifie sa noblesse : tu es chrétien, le sait-tu ? ; c’est ton bonheur, c’est ton sort ; tu ne devras jamais rougir d’être dans le royaume du Christ ; un sacrement nouveau, la confirmation, te donnera la force, à toi chrétien, d’être ainsi sincère, devant toi-même et devant les autres qui désormais t’entourent et font pression sur ton manque d’expérience ; « connais, ô chrétien, ta dignité » (St Léon). Sois fort, sois sûr, sois bon nom seulement pour toi-même mais aussi pour les autres. Dans la jeune existence, le sens social se confond avec un concept élevé du Peuple civil et religieux, le concept temporel, la cité, la nation, le monde ; et le concept spirituel, l’Eglise, ô éducateurs, suscitez dans le jeune être qui grandit la conviction de la fraternité humaine, de la coexistence en parfaite entente, de la civilisation de l’amour. Et toi, vie nouvelle, garçons ou fille que tu sois, que feras-tu ? Quel sera ton choix ? Quoi que tu choisisses, il est une erreur qu’il te faut éviter : un choix égoïste et seulement égoïste ; ne vois-tu pas, d’abord, combien tu es en mesure de donner, de te prodiguer, d’étendre la sphère de ton esprit à la maison, à la société, au monde qui t’entoure, pour les servir, les rendre bons et heureux ? Vois aussi, combien de mains vides, fiévreuses à cause de l’excès des besoins, se tendent vers toi, vas-tu passer outre indifférent, peut-être même cruel ?

Il y a un monde temporel meilleur à reconstruire.

Il y a un monde spirituel, aussi bon que nécessaire pour la vie présente et future qui demande lui aussi, sous tant de formes, des constructeurs. Tout spécialement vous, les jeunes, entendez-vous l’exaltant appel ?

Nous, les vieux ouvriers, nous vous lançons un cri et nous attendons : il est temps de construire ! mieux, de construire les constructeurs, les apôtres de la cité de Dieu !

Avec notre Bénédiction Apostolique !






22 septembre 1976: EVANGELISATION ET PROMOTION HUMAINE

22976



Chers Fils et Filles,



On parle beaucoup d’un congrès prochain, à caractère national italien, mais d’un intérêt général pour l’Eglise et consacré au thème, si discuté aujourd’hui, de « Evangélisation et promotion humaine ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit de la confrontation de deux éléments fondamentaux : l’activité de l’Eglise d’une part ; l’amélioration des conditions dans la société humaine d’autre part. C’est la confrontation dont parle le Concile dans son ample Constitution Pastorale, connu désormais comme « Gaudium et Spes », selon les premiers mots de ce texte, et qui traite de l’annonce du message évangélique dans le monde contemporain ; c’est une confrontation si radicale (son énoncé même révèle immédiatement un dualisme aujourd’hui très accentué), si étendue, si grave et si pressante, qu’elle met tout de suite en évidence une immense quantité de problèmes qui engagent toute la vie de l’Eglise qui seule nous occupe en ce moment, même si elle n’est pas considérée directement en elle-même, mais dans sa manière de s’adresser à l’humanité au milieu de laquelle et pour laquelle, digne et instrument de salut, elle est appelée à vivre. Parmi les quatre notes qui caractérisent l’Eglise et en laissent entrevoir les propriétés essentielles : unité, sainteté, catholicité, apostolicité, nous prendrons particulièrement cette dernière en examen : l’apostolicité ; et considérant celle-ci plus dans sa structure, dans sa fonction pratique et dynamique : celle d’annoncer et diffuser l’Evangile, descendu du ciel et introduit par Jésus Christ dans l’histoire humaine ; c’est-à-dire celle de l’« évangélisation » ; et d’une manière générale on peut dire, celle de la diffusion de la foi.

La foi, entendue dans le sens de religion catholique, comment se communique-t-elle à l’humanité ? Imbus d’anthropocentrisme comme nous le sommes, c’est-à-dire portés à donner la première place à l’homme — et, pour beaucoup, à lui donner la seule place dans la gamme de nos intérêts ; nous nous demandons aussitôt : à quoi sert la foi ? la religion ? avantagent-elles l’homme ? et dans quelle mesure ? l’homme a encore d’immenses besoins, d’immenses droits : la foi, la religion, est-ce utile ou non ? La « promotion humaine », comme on dit aujourd’hui, tire-t-elle profit de l’évangélisation ? et lequel ? comment ? Légitime, et même juste, ce souci utilitaire qui domine pratiquement la philosophie et la politique contemporaine ; l’homme est au centre de nos pensées ; mais considéré comment ? seulement dans les besoins de sa vie temporelle, ou bien dans la vision globale et supérieure de ses aspirations profondes, spécifiques ? quel est le véritable salut de l’homme ? son vrai bonheur ? son destin prédominant ? La science de l’homme, la vraie science de la vie côtoie ainsi le message de l’Evangile et l’interpelle : qu’as-tu à me donner ? l’économie, la science du bien-être qui se trouve en vedette dans la maison humaine, plus spécialement dans la cuisine, demande : donne-moi du pain ; j’ai faim !

Quelle puissance de persuasion dans cette simple et universelle question ! Le Christ lui-même l’a bien compris quand il a, par deux fois, opéré la multiplication des pains pour la foule à jeun. Il a eu l’intelligence des besoins de l’homme : « celui qui aura donné ne serait-ce qu’un verre d’eau à mes petits... en vérité, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense » (
Mt 10,42). Et le jugement final annoncé par le Christ ne portera-t-il pas sur la réponse que nous aurons donnée aux exigences des misères humaines (Mt 25,21 et ss.) ? Et la Vierge elle-même, n’a-t-elle pas à Cana provoqué le premier miracle de son divin Fils en lui faisant une implorante observation de nécessité domestique ? : « ils n’ont plus de vin » (Jn 2,3).

Mais faisons attention : pour Notre Seigneur qui, au-dessus de l’horizon temporel, déploie le royaume des deux, les besoins de l’homme ne sont pas uniquement économiques, terrestres. Celui qui méconnaît cette destination supérieure de l’homme à un aliment transcendant, la Parole de Dieu, à un royaume de Dieu, méconnaît sa vraie nature, la rabaisse au niveau temporel et matériel et porte finalement préjudice à son véritable salut : « L’homme ne vit pas seulement de pain... » (Mt 4,4) ; « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice... » (Mt 6,33), a dit le Seigneur.

Et à ce point les deux finalités de l’homme, celle spirituelle et chrétienne et celle temporelle et a-religieuse semblent s’attester sur des positions en contraste qui souvent, dans l’histoire, ont motivé de graves oppositions, s’exprimant parfois par l’oppression, par la persécution exercées par ceux qui disposaient du pouvoir et de la force contre ceux que défendaient seulement leurs positions spirituelles et leurs raisons surnaturelles. Dans la coexistence d’une même société (cf. lettre à Diognète, V) deux conceptions de vie sont définies, irréductibles sous certains aspects, mais providentiellement distinctes (voir le « rendez à César... rendez à Dieu. .., Mt 22,21), mais difficiles à équilibrer et à harmoniser. Une discussion séculaire est née de ce dualisme qui, en soi, libère l’une et l’autre thèse (cf. Fornari, Vita di Gesù Cristo, vol. II, C. X. pp. 501 et ss.), mais dont il est peu facile de respecter les nécessaires limites. En faisant l’histoire de cet équilibre instable entre Evangile et monde, entre Eglise et Etat, il faudra probablement en reparler (cf. la lettre « Famuli nostrae pietatis » du Pape Gélase à l’Empereur Anasthase, a. 494 Denz.-Schon., DS 347 ; St Augustin, De Civit. Dei, 19, ch. 7 ; Léon XIII Immortale Dei, Denz.-Schon. DS 3168 et ss. ; etc.).

Ce qu’il importe de relever dans ces notes rapides, c’est la thèse de base de la Constitution Pastorale Gaudium et Spes concernant le sujet qui nous occupe en ce moment, c’est-à-dire le rapport entre l’Evangélisation et la promotion humaine; cette thèse regarde non pas l’opposition radicale, mais plutôt le caractère complémentaire de ces deux formes fondamentales de notre activité, c’est-à-dire la fonction civilisatrice de l’évangélisation qui peut également être favorisée par la promotion civile sans que l’une ni l’autre devienne un instrument pour faire prévaloir son propre avantage.

De grandes questions, des questions vivantes. Essayons de mieux les connaître pour être capables d’y trouver la lumière et de résoudre les problèmes de notre vie chrétienne. Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous saluons avec joie les membres de l’«Union internationale des Services médicaux des Chemins de fer» réunis en Congrès à Rome. Le thème de vos réflexions, chers amis, «les handicapés et l’industrie ferroviaire», est un bon exemple du souci de l’humain qui devrait imprégner toutes les activités, même les plus techniques. Jamais, en effet, on ne peut sacrifier l’homme au rendement, à la productivité. Nous vous félicitons d’avoir le souci de ceux qui seraient facilement, laissés de côté, Nous souhaitons que vous trouviez dans cette ville de Rome qui abrite votre Congrès, en même temps une merveilleuse leçon de véritable humanisme, et aussi un approfondissement de votre foi, en réalisant mieux ce que les apôtres ont apporté au monde en lui donnant l’Evangile. De grand coeur, Nous vous encourageons, et Nous vous bénissons, vous et vos familles.

***

Nous voulons adresser aussi un salut tout particulier aux pèlerins des diocèses de Rouen et du Havre, qui sont venus à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’oeuvre diocésaine du «Blé Eucharistique». Rappelez-vous, chers Fils et Filles, que, selon la parole de l’Evangile, «l’homme ne vit pas seulement de pain». Lorsque le fruit de votre travail devient le Corps du Christ, présent dans l’Eucharistie, demandez au Seigneur de vous donner le pain de l’âme, celui qui nourrit en nous la vie éternelle. De grand coeur Nous vous donnons, ainsi qu’à vos familles la Bénédiction Apostolique.





29 septembre 1976: FOI ET HISTOIRE

29976



Chers Fils et Filles,



On commence à s’intéresser vivement au rendez-vous ecclésial italien d’octobre prochain au cours duquel sera examiné le thème bicéphale de « Evangélisation et Promotion humaine » ; et il nous a été posé à nous-même une question qui, en soi, est d’une extraordinaire dimension, celle du rapport historique entre les deux termes de ce thème ; c’est-à-dire quel aspect, considéré dans la succession des temps, ce rapport entre l’Evangélisation et la Promotion humaine, assume-t-il ? C’est là une question insidieuse, dont la solution semble la réponse à un conflit. Cette réponse est déjà reçue par l’opinion publique, comme si l’Evangélisation disons même la Foi, représentait l’immobilisme hostile à toute adaptation au progrès de la vie toujours mobile dans son déroulement dans le temps. En effet le temps, disons plutôt l’histoire, est en vertu de sa nature même, changeant et elle doit l’être et c’est dans la succession de ses mutations que nous mettons l’espoir de cette promotion humaine que nous sommes, aujourd’hui, entrain de chercher avec une haletante ou plus exactement une victorieuse aspiration.

Le thème peut se traduire en termes plus connus, plus synthétiques, de « Foi et Progrès », considérés l’un et l’autre dans l’expérience de l’histoire. Le thème de la prochaine réunion devient alors scientifique, documentaire et, en un certain sens, encyclopédique ; et il n’est certes personne qui osera prétendre qu’il peut être prospecté de manière adéquate, et encore moins résolu entièrement en quelques leçons de vulgarisation lors de ce prochain congrès. Il est utile, cependant, de rappeler, durant cette période d’orientation que le thème : « Foi et histoire », s’il est toujours actuel en vertu de ses termes et des problèmes qu’il comporte n’est pas nouveau dans le répertoire de notre culture: innombrables sont les auteurs de diverses tendances que nous pourrions citer à ce propos si nous parcourrions la liste de toutes les célébrités qui en ont traité, à commencer par les apologistes des premiers siècles du christianisme (cf. par exemple la lettre à Diognète et l’Apologétique de Tertullien), jusqu’à nos jours. Considérons même un moment les citations de Saint Augustin avec son oeuvre célèbre « De civitate Dei » et de Bossuet, avec son non moins célèbre Discours sur l’histoire universelle ; mais l’histoire moderne, elle aussi, peut nous valoir une bibliographie extrêmement riche, avec des oeuvres de caractère différent, parmi lesquelles quelques-unes de grande et incontestable valeur (cf. Godefroid Kurth, Les origines de la civilisation moderne et L’Eglise aux tournants de l’histoire ; P. Charles, Les dossiers de l’action missionnaire ; etc.). La philosophie moderne, théorisant sur le concept de l’histoire, en dit beaucoup à ce sujet ; mais l’économie de notre bref entretien ne nous permet pas de nous engager sur l’océan d’études aussi vastes et, pour nous, pas toujours utiles.

Contentons-nous de mettre en évidence quelques-unes des propositions qui peuvent servir de pivot aux discussions à prévoir. La première concerne, comme nous l’avons déjà dit, le caractère complémentaire des deux termes : foi et histoire entendus comme promotion humaine, même si des hérauts de l’Evangile, comme nous le sommes et devons l’être, sont obligés de reconnaître dans le binôme « Foi et histoire » le caractère prioritaire de la Foi, pour sa dignité, pour sa nécessité, et nous pouvons ajouter, comme l’a dit le Seigneur, pour son utilité ; nous répétons : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste (c’est-à-dire ce qui est nécessaire à la vie temporelle) vous sera donné par surcroît » (
Mt 6,33).

Seconde proposition, aujourd’hui la moins facile, mais, pour autant, non moins vraie et nécessaire : la vérité de la foi, dans son expression authentique et digne de foi, ne change pas avec le temps, ne s’use pas le long de l’histoire. Elle pourra admettre, et même exiger, qu’on lui garde sa vitalité pédagogique et pastorale de langage et qu’ainsi on lui trace une ligne de développement. Mais il faut que ce soit suivant la célèbre sentence traditionnelle de Saint Vincent de Lérins (la petite île au large de Cannes, en Gaule méridionale), un moine du Veme siècle qui dans son oeuvre, brève mais bien connue, le Commonitorium, défendit la tradition doctrinale de l’Eglise par la formule : « quod ubique, quod semper, quod ab omnibus » (ce qui partout, toujours et par tous) a été cru doit être considéré comme faisant partie du dépôt de la foi. Pas de libre invention, rien de « modernité », rien qui puisse faire interpréter la foi de manière différente de celle du magistère de l’Eglise. Cette fixité dogmatique défend et protège le patrimoine authentique de la Révélation, c’est-à-dire de la religion catholique. Le « Credo » ne change pas ,ne vieillit pas, ne se dissout pas (cf. Denz.-Schon., DS 3020).

Mais voici une troisième proposition : si la foi est vérité, elle peut être pensée (cf. Lc 2,19 et Lc 2,51) et avoir un développement intrinsèque et cohérent comme le scribe érudit de l’Evangile, qui, avec paternelle autorité « tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt 13,52). C’est-à-dire que la doctrine révélée, fixe dans son contenu, dépourvue de toute ambiguïté, peut recevoir quelque explication que seul celui à qui le Christ a donné l’autorité de magistère peut authentifier. C’est la thèse de Newman : d’une même vérité on peut tirer quelque conclusion qui rende explicite une doctrine déjà implicite dans le trésor de la foi cf. An essay on the development of Christian doctrine, écrit par Newman avant sa conversion et retouché ensuite par lui-même, mais sans altération du thème central. Cela, c’est la mission de l’Eglise enseignante, celle de défendre la doctrine révélée, de répondre aux difficultés et aux erreurs que l’histoire dresse devant la foi et de découvrir dans son trésor des vérités cachées qui, dans le processus de son expérience spirituelle et dans la casuistique des temps, réclament un témoignage nouveau. Ici, dans sa discussion avec des expressions douteuses et erronées de la pensée moderne, l’Eglise a eu des expressions très claires et vigoureuses qui, si elles ont endigué la doctrine catholique (cf. Denz.-Schon. DS 3475-3500) ne l’ont pas rendue inapte à parler de la vérité chrétienne. Au contraire, elle l’a stimulée : non nova sed noviter. Thème de très grande ampleur ; préparons nos âmes à en accueillir les enseignements, à jouir de sa lumière, à en vivre le salut.

Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 10976