Catéchèses Paul VI 40276

4 février 1976: « SOYONS FORTS »

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(
1P 5,9)


Chers Fils et Filles,



Nous nous sentons toujours incité à penser aux fruits de l’Année Sainte, persuadé, comme nous le sommes, qu’une telle expérience religieuse et morale ne peut pas, ne doit pas demeurer sans conséquences opérantes encore au-delà de la durée même de l’Année Sainte ; et sous certains aspects, il est nécessaire que quelques unes des conséquences de cette période de révision et de renouvellement de notre manière d’être chrétiens soient permanentes.

Or, il est indéniable qu’un des résultats visés par l’Année Sainte est celui de réaliser un christianisme fort. La commune accoutumance à la manière de vivre que nous avons, par habitude, qualifiée de chrétienne a souvent, trop souvent, entraîné, chez certaines personnes qui se veulent fidèles à cette très humaine et toujours sublime définition du véritable et authentique art de vivre, un affaiblissement de son exigence intrinsèque, celle de la fermeté, du courage, celle de l’activité intense. Nous avons pris l’habitude d’un christianisme purement nominal, — une simple étiquette, en somme ; et nous nous sommes laissés séduire par la douceur que comporte l’appartenance au Christ et l’avons confondue avec la faiblesse ; nous avons profité de la liberté chrétienne et de l’indulgence due aux opinions d’autrui pour nous permettre d’être indifférents à l’égard de n’importe quel agnosticisme théorique et pratique ; nous avons donné au pluralisme et à la nouveauté des idées et des actions une interprétation laxiste et permissive tendant à ruiner toute norme logique et morale ; nous avons souvent estimé que l’éducation religieuse était débilitante, et peu stimulante en comparaison d’autres pédagogies énergiques et coercitives. Disons-le également : il nous est arrivé, à nous aussi, de nous demander si l’opportunisme à la mode, la soumission aux idéologies courantes, ne pouvait recevoir, comme si c’était un acte de courage personnel, notre commode et passive adhésion. Analysant quelque peu cette attitude assez répandue, nous nous sommes probablement rendus compte qu’elle équivalait, intérieurement, à éviter des ennuis et à nous procurer des avantages ; nous n’avons pas manqué de nous accuser nous-mêmes de lâcheté, et ainsi nous avons évité le témoignage, le sacrifice, la croix. Nous nous sommes résignés au découragement, au caractère fatal des événements, couvrant du masque d’un sens intelligent de l’opportunité notre tardive soumission au triomphe de la mode et de la passivité environnante ; sans plus nous attacher à nos principes, à nos devoirs, à notre conscience chrétienne.

Eh bien, si nous voulons être cohérents et fidèles nous devrions nous rappeler qu’il nous faut être forts même si cette vertu de force morale chrétienne nous expose à pas mal de dangers, à pas mal de difficultés (cf. Saint Thomas II-II 123,1). Notre profession chrétienne ne doit pas être conditionnée par la peur. Le Christ nous l’a répété bien souvent (cf. Mt 10,28). Le royaume des deux souffre violence, et les violents (c’est-à-dire les forts) pourront y accéder (cf. Mt 11,12). Le chrétien ne doit pas être un médiocre, mais un fort (cf. Saint ambroise, De off. 1, 39).

Si notre éducation chrétienne a été faible et réticente, spécialement au sujet du sens du devoir, de l’obligation du témoignage et de l’apostolat, de la nécessité de risquer l’impopularité, la fortune contraire (cf. Jn 16,20) et même la vie (cf. Jn 12,24-25), nous devons l’étayer de vertus, religieuses de nature, comme la foi, l’espérance, l’amour, mais éminemment pratiques également dans l’ordre temporel (cf. Ga 3,11 Rm 5,5 2Co 1,7 etc.) ; et restituer à notre vie chrétienne la vertu cardinale de la force.

Nous répéterons avec Saint Pierre : « Soyons forts » (1P 5,9) ; c’est à cela que nous invite l’intégrité de notre vocation chrétienne ; à cela nous contraint l’histoire des temps que nous sommes en train de vivre.

Avec notre Bénédiction Apostolique.






11 février 1976: VIE CHRÉTIENNE, VIE DIFFICILE

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Chers Fils et Filles,



La rencontre d’aujourd’hui coïncide avec une commémoration toute particulière : l’anniversaire des Pactes du Latran. Pourquoi voulons-nous les rappeler ? Et pourquoi le faisons nous avec des sentiments de joie et d’espérance ? Parce qu’ils ont rétabli la paix, dans le respect d’une mutuelle indépendance, et des rapports clairs entre l’Etat et l’Eglise catholique, entre la nation italienne et le Saint-Siège.

Nous savons parfaitement que, les conditions historiques ayant changé, ces relations officielles doivent être soumises à une équitable et moderne révision ; et le Saint-Siège est prêt à lui réserver toute son attention souhaitant seulement que les points essentiels de ces Pactes, relatifs à la sauvegarde de la tradition catholique du Peuple italien et à la propre mission religieuse de l’Eglise Romaine y trouvent leur loyale et amicale confirmation.

Oui, mes Frères et Fils bien-aimés, après la célébration de l’Année Sainte nous devons avoir dans l’âme le sens — qui correspond proprement au mystère de la grâce — du nouveau rapport établi, ou plus exactement, pour nous, chrétiens, rétabli, restauré, opérant du Dieu-Amour dans le coeur de notre existence : le sens de la nouveauté, de la nouveauté chrétienne. Le chrétien est toujours un homme nouveau. Il est toujours un homme jeune. Il doit ressentir qu’il est nouvellement né, qu’il renaît continuellement; qu’il « re-naît » continuellement dans une phase de dépassement de la condition caduque et déprimée de la vie purement naturelle ; il doit se sentir renaître continuellement dans l’acte de recherche, ou mieux, d’atteindre, d’une certaine manière, un état de vie surnaturelle, grâce à quelque correspondante, suggestive expérience intérieure — extérieure, également, dans l’Eglise — du climat d’amour, de charité auquel il a, lui chrétien, été admis.

Celui qui se sait parvenu à ce stade d’animation nouvelle, et ressent la paix et la joie dans l’Esprit Saint (Cf.
Rm 14,17 Ga 5,22) d’être, comme on dit, dans la grâce de Dieu, devrait nourrir en lui-même cette conscience de l’inestimable fortune obtenue et donner à son style d’existence cette note de nouveauté et de bonheur. Saint Paul nous en parle sans cesse, nous exhortant « à vivre dans une vie nouvelle » (Rm 6,4 Rm 7,6 Rm 12,2). C’est lui qui nous parle du « vieil homme » que nous sommes, quand le Christ ne vit pas en nous (Rm 6,6 et ss.) et qui nous introduit dans la doctrine mystique accessible à tout chrétien, de la vie du Christ qui se réalise en nous, en affirmant : « et si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Cette psychologie du devenir « chrétiens » dans le sens mystérieux, mais réaliste de la parole, est le propre des « saints » comme les chrétiens se qualifiaient, dès les premiers jours de l’Eglise ; le propre des fils de Dieu qui, promis à une ultérieure plénitude de vie divine, y participent déjà dans une certaine mesure (cf. 2P 1,4) elle s’exprime dans un joyeux optimisme qui envahit dans sa condition toute entière notre vie nouvelle (nous en avons parlé l’an dernier dans notre Exhortation Apostolique Gaudete in Domino) et elle nous assure, dans la foi et dans l’espérance, la plénitude victorieuse de la charité d’outre-tombe (1Co 13,8),

Ineffable, extrêmement belle et déjà sanctifiante vision de la vie présente à la lumière eschatologique de la vie future. Qu’y a-t-il de changé dans la philosophie de l’existence quand l’ordre surnaturel de la grâce s’y trouve infusé ? rien, dirait-on si l’on ne jugeait les choses qu’avec le critère de l’expérience sensible et de l’ordre rationnel même ; toutefois, de même que dans un milieu obscur rien ne se trouve changé en soi lorsqu’une lumière s’allume mais tout acquiert de l’ordre, de la mesure et du sens, dans notre existence terrestre également rien ne semble changé quand y pénètre le mystère vivant du Christ, alors qu’au contraire tout est, en fait, défini dans sa véritable réalité qui est, de plus, une réalité progressive, changeante et éphémère comme le sont les choses de ce monde mais enrichie d’un potentiel de revivification de résurrection prodigieuse (cf. Rm 6,5 Ph 3,10-11).

Mais prenons garde, très chers Frères. Ne pensons pas que tout se limite à ceci ; ne croyons pas que dès à présent tout ne soit que fête pour nous. Si nous voulons inaugurer à nouveau et promouvoir la « civilisation de l’amour », nous ne devrions pas avoir l’illusion de pouvoir transformer dès maintenant les années endiguées dans les limites du temps en un fleuve de parfait bonheur. Certes, le Seigneur nous accorde maintenant la nouveauté de la grâce et par conséquent de sa joie, mais pas encore la gloire, pas encore la parfaite mesure d’expérience de Lui, réservées pour « après le dernier jour », à l’échéance du temps, quand « nous serons semblables à Lui, parce que nous Le verrons comme Il est » (1Jn 3,2). « Aujourd’hui, certes, nous nous voyons dans un miroir, comme écrit Saint Paul, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » (1Co 13,12).

Pourquoi cette allusion au temps et à la vision si éloignés de l’obtention de la véritable et parfaite forme de vie chrétienne qui nous est assignée ? Oh ! le pourquoi, vous le connaissez, et ceci ne doit pas troubler notre sécurité et notre joie anticipée et espérée. Le pourquoi, c’est la Croix, érigée au passage suprême de la vie présente à la vie future. La Croix ne fait pas seulement partie, mais constitue le centre du mystère d’amour que nous avons choisi comme programme véritable et total de notre existence renouvelée. « En vérité, en vérité, je vous le dis, annonce le Christ au cours de la dernière Cène, vous allez pleurer et vous lamenter et le monde, lui se réjouira ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie » (Jn 16,20). Il avait déjà dit : « Qui aime sa propre vie, la perd ; et qui hait sa vie en ce monde, la conservera en vie éternelle » (Jn 12,15).

Ce souvenir fixe nous aidera dans notre aventure terrestre actuelle à ne pas craindre, mais à être forts ; non pas volubiles, mais cohérents ; non pas satisfaits des fallacieuses récompenses de ce monde ; mais désireux du Règne de Dieu. Nous ne devrions pas craindre, un jour, d’être peut-être une minorité, si nous restons fidèles ; nous ne rougirons pas de l’impopularité, si nous sommes cohérents ; nous ne ferons aucun cas du fait d’être vaincus, si nous sommes témoins de la vérité et de la liberté des fils de Dieu (cf. Rm 8,21). Que Dieu veuille ainsi nous assister ; avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous souhaitons une particulière bienvenue au groupe de responsables et de délégués de l’Union Libanaise Culturelle Mondiale dans les différents pays d’émigration.

Nous ne pouvons, chers Messieurs, évoquer le Liban sans penser aux immenses souffrances subies par vos compatriotes ces derniers temps et aux ruines qui se sont accumulées dans votre pays d’origine. II semble que les armes se soient tues. Il faut maintenant reconstruire, se réorganiser, rebâtir une société humaine et fraternelle, faire à nouveau régner l’amour là où la haine s’était infiltrée.

Nous savons que, pour votre part, vous êtes prêts à contribuer et à vous y employer de toutes vos forces, par les conseils et la persuasion, par l’aide matérielle que vous êtes en mesure d’apporter. Nous vous y encourageons de tout coeur, et Nous vous bénissons, en priant Dieu de vous soutenir dans vos efforts.




18 février 1976: VÉRITÉ ET CHARITÉ

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Chers Fils et Filles,



Nous allons poursuivre la grande réflexion à laquelle l’Année Sainte a initié et encouragé nos âmes, décidés à renouveler dans les formes et dans les énergies notre vie chrétienne. A cet égard, il y a aujourd’hui un terme à la mode « authenticité », si nous l’analysons pour en découvrir le sens intérieur rapporté au comportement humain, nous constatons que l’authenticité comporte une parfaite harmonie entre pensée et action; elle exige une simplicité d’âme, une transparence entre l’intérieur et l’extérieur de la conduite, une véracité qui ressort toujours aussi lumineuse de la mentalité, du sentiment, de la parole, des faits et des signes qui, tous ensemble, définissent une personne. Saint Thomas parle d’une vérité vécue (cf.
II-II 109,2 ad 3 ; et II-II 109,3 ad 3) ; et d’habitude, lorsque nous qualifions un homme qui pratique dans sa propre vie cette vertu de la vérité, nous parlons, nous, de caractère, de personnalité authentique ; et si nous voulons cerner d’une expression tirée des Ecritures ce style supérieur de vie et d’action, nous la demanderons à l’inépuisable et sublime sagesse de l’Apôtre Paul qui nous enseigne que nous devons « vivre la vérité dans la charité » : « veritatem facientes in cantate crescamus in Illo per omnia, qui est caput Christus » (vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers celui qui est la Tête le Christ : Ep 4,15).

Vérité et charité, le binôme est simple, mais psychologiquement et socialement il n’est pas facile à réaliser ; de toute manière, cependant il comprend et représente ces vertus fondamentales qui définissent l’homme idéal, c’est-à-dire le chrétien, et au degré le plus parfait, le saint. Ces deux attitudes morales semblent évidemment complémentaires, c’est-à-dire faites pour s’intégrer l’une l’autre dans l’ordre de la coexistence humaine ; et il en est ainsi, selon l’exigence supérieure de l’unité morale, propre de l’homme parfait ; mais dans l’expérience de la vie vécue nous devons relever que souvent la profession sociale d’une vérité particulière porte à l’intransigeance et à l’intolérance (cf. A. vermeersch, S.J., La tolérance, 1912) ; et que la profession agnostique suppose une indifférence idéologique qui, souvent, la rend peu praticable et pas toujours réellement généreuse et fidèle. Il est difficile de professer une opinion que l’on considère comme l’expression de la vérité et de se montrer compréhensif et indulgent à l’égard de ceux qui ne la partagent pas ; tout comme il est difficile de démontrer véritablement son amour du prochain si l’on fait abstraction des principes idéaux qui le rendent digne d’une sincère abnégation et d’un lourd service. En d’autres mots, la foi sans la charité peut devenir égoïste dans les relations humaines ; et la charité sans la foi peut manquer des motifs qui la rendent persévérante et héroïque.

Comme on le voit, la synthèse entre vérité et charité touche des aspects très importants de la vie, des aspects qui peuvent la transformer en antithèse, comme cela se passé souvent dans la réalité historique. Heureux pour nous que le dernier Concile nous ait confirmé dans l’adhésion à l’une et à l’autre de ces vertus : à la vérité qui toujours est telle qu’elle mérite sans cesse que nous lui fassions l’hommage et même, si c’est nécessaire, le sacrifice de notre existence pour la professer, pour la répandre, pour la défendre ; et en même temps, à la charité, maîtresse de liberté, de bonté, de patience, d’abnégation dans toutes nos relations avec les hommes auxquels l’Evangile attribue le nom de frères.

Ce n’est pas un jeu de mots, ce ne sont ni contrastes d’écoles, ni drames fatals de l’histoire ; ce sont des problèmes intrinsèques à la nature et à l’esprit social humains, lesquels trouvent leur humble et triomphante solution dans l’Evangile et, par conséquent, dans cette « civilisation de l’amour » à laquelle nous aspirons comme héritage de l’Année Sainte.

Que nous maintiennent tous attachés à cette école, notre Bénédiction Apostolique (cf. Ad Gentes, AGD 22 Unitatis Redintegratio, UR 4 ; Gravissitnum educationis, GE 10; Gaudium et Spes, GS 61 Unitatis Redintegratio, UR 9-12).





25 février 1976: L’ESPÉRANCE

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Chers Fils et Filles,



L‘espérance ; oui, l’espérance ? Que représente ce mot-là ? Un mot que nous écoutons volontiers au milieu de toutes ces incertitudes, de toutes ces tribulations, où nous nous trouvons. Nous l’écoutons volontiers, comme une réponse aux attentes que la vie moderne rend plus denses et plus urgentes ; comme une promesse qui transfère dans le futur l’objet de nos désirs auquel le présent ne donne aucune satisfaction correspondante ; comme un crédit qui nous promet de manière certaine ce que nous désirons d’autant plus que nous sommes maintenant déçus de ne pas l’avoir. L’espérance de .la vie ne fait qu’augmenter nos désirs ; plus on a et plus on voudrait avoir ; et si ces aspirations ne sont pas une fatale tromperie, nous vivons d’espérance. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas dire : assez ! nous devons tendre à une augmentation, à un progrès, à « encore plus », au moins aussi longtemps que nous sommes certains de l’obtenir demain : C’est cela, l’espérance.

Quant à nous, il y a une double raison qui nous encourage à cette projection dans le futur de notre recherche de ce qui nous manque: les conditions externes d’insuffisance, d’instabilité, de désordre et, par conséquent, un besoin de réparation, de renouvellement, de justice où le dynamisme de la vie moderne trouve son aliment ; dans ces conditions complexes et tourmentées nous pouvons trouver la tension, c’est-à-dire l’espérance naturelle propre à notre temps. L’autre raison, qui s’entrecroise souvent avec la première, est intérieure ; elle naît de la souffrance humaine congénitale, propre à la nature de l’homme qui n’est jamais réellement content aussi longtemps qu’il n’aura pas obtenu ce bien, cette plénitude, cette félicité auxquels il est essentiellement destiné ; de même que l’oeil n’est satisfait que lorsqu’il jouit de la lumière. C’est pour cela que l’espérance se tourne vers un objectif transcendant, vers l’Infini, vers Dieu. Une fois de plus se révèle vraie, unique la célèbre parole de Saint Augustin « Toi (ô Seigneur) tu nous as fait pour toi ; et notre coeur est inquiet tant qu’il ne repose pas en toi » (Confess. 1, 1 ; P.L. 32, 661). A ces aspirations fondamentales de vie répond la tentative suprême de l’espérance naturelle, qui demeure ordinairement au stade dramatique et merveilleux, mais incomplet, de désir, d’invocation, de rêve ; et dans cette insuffisance elle s’affaiblit facilement et s’éteint dans le scepticisme et souvent dans le désespoir. Mais il y a une autre réponse à ces aspirations: elle est donnée par l’espérance qui jamais ne déçoit (
Rm 5,5) l’espérance chrétienne, l’espérance fondée sur la foi (He 11,1).

C’est de cette espérance religieuse, qui sous tant d’aspects investit également la vie naturelle, que nous devons parler maintenant, si nous voulons tirer de l’Année Sainte, récemment célébrée, le renouvellement qui doit lui être propre ; nous l’avons dit : la civilisation de l’amour. Elle aussi plonge ses racines dans l’espérance chrétienne. On ne saurait vraiment aimer, aimer d’un amour générateur d’un avenir idéal, sans l’espérance ; sans la véritable espérance, appelée à franchir les limites et les obstacles propres aux horizons temporels.

Une des grandes tentations, et aussi un des maux les plus graves de notre époque est de refuser l’espérance que le Christ a portée au monde : « Ayez confiance, a-t-il dit, j’ai vaincu le monde » (Jn 16,33). Souvent au fond de nos âmes pénètre un sentiment de méfiance au sujet de la capacité du christianisme de renouveler véritablement la vie des hommes, des hommes modernes en particulier, imprégnés d’autres espérances, précaires et souvent fallacieuses, comme le sont celles matérialistes, mais extrêmement suggestives (cf. Jn 16,20, « vous allez pleurer et vous lamenter ; le monde, lui, se réjouira »). Quelle efficacité notre profession chrétienne peut-elle avoir pour affronter et résoudre les problèmes actuels de dimension démesurée, à l’échelle des progrès techniques et sociaux ? Et alors on se replie, avec une résignation peu voilée, sur l’incertitude d’un christianisme vécu sans fermeté intérieure, sans vigueur morale, sans incidence sur la vie publique. Et peut-être, en n’évaluant pas l’erreur du calcul global au sujet du bonheur de la vie, néglige-t-on de considérer le propre poids, même temporel, de l’espérance eschatologique, c’est-à-dire l’espérance de la vie éternelle.

Non, cela ne se peut pas. Nous devrons vivre, en courageuse et sereine plénitude, notre espérance chrétienne. Non seulement par habitude traditionnelle, ce dont les pierres tombales de nos cimetières conservent la mémoire et le témoignage ; non seulement par un engagement historique qui a pénétré si profondément dans notre mentalité et dans notre spiritualité. Et non plus par indolent quiétisme qui pense à un tolérable et heureux résultat du jeu intrinsèque des causes naturelles. Mais pour d’autres motifs !

Nous n’y ferons qu’une brève allusion. L’espérance doit être fondée, avant tout, sur la solidité de nos idées, de notre philosophie, de notre conception de l’histoire et de la vie ; en d’autres mots, sur la vérité de notre foi. Celui qui croit, espère. Puis, nous savons que l’optimisme de notre espérance peut se fonder également sur des événements qui, en apparence, lui sont humainement contraires, parce que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, et ils sont appelés selon son dessein » (Rm 8,28). Et ensuite parce qu’un guide vigilant et paternel, la Providence, dirige notre démarche personnelle et l’histoire toute entière (cf. la conclusion des Promessi Sposi, les « Fiancés » de Manzoni).

Donc, Fils et Frères, espérance et courage ! Avec notre Bénédiction Apostolique !





3 mars 1976: UN VRAI CHRÉTIEN DOIT ÊTRE FORT

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Chers Fils et Filles,



Pour donner quelqu’application pratique à notre résolution de renouveler effectivement notre vie chrétienne — résolution que nous tenons dans l’âme comme souvenir opérant de l’Année Sainte — il est un autre principe, en plus de ceux déjà contemplés, que nous avons à établir ou, mieux, à rétablir comme base du nouvel édifice spirituel où la « civilisation doit trouver son siège » ou, plus exactement, son « laboratoire » : il s’agit d’un effort d’ascétisme.

Nous savons tous en quoi il consiste. Il s’agit d’un effort habituel de la bonne volonté, une tension morale attentive et persévérante de la conscience vers la maîtrise de nos propres actions, une attitude normale d’« auto-gouvernement », de maîtrise de soi, dans l’intention d’unifier le complexe mécanisme psychologique de nos propres instincts, de nos propres sentiments, de nos propres réactions intérieures et extérieures, de l’unifier, disons-nous sous un unique commandement directeur l’amour de Dieu et du prochain, règle suprême et vitale de la personnalité chrétienne. Rappelons deux situations de fait : nous sommes, nous les hommes, des êtres complexes, polyvalents, « poly-opérants » ; et c’est un des principes de la sagesse naturelle et chrétienne de tenter sans cesse de composer en un ordre logique et moral cet être compliqué que nous sommes, un être capable de formes variées d’action et de comportement. La sagesse naturelle — même païenne — avait déjà relevé ce besoin d’animi concordia, comme le dit Sénèque (cf. de vita beata, 8, 6) ; et de même Epictète, l’humble et grand philosophe qui enseigna l’harmonie entre la liberté et la vertu (cf. ses diatribes, ou dissertations qui plurent tant à Léonard et dont celui-ci fit une élégante traduction : Opere, I, pp. 539-566). Puis, le second fait capital, mystérieux et très réel (cf. Pascal), le péché originel qui a provoqué un désordre congénital dans l’homme (cf. Denz.-Sch.,
DS 1512), qui porte en lui une sorte de tendance centrifuge de ses facultés ; et celles-ci, sans une action sévère et réfléchie de coordination et sans une aide divine ne recomposent plus le profil idéal, c’est-à-dire la sainteté, la perfection, à laquelle l’homme est cependant appelé.

Aussi devons-nous fixer comme point important de notre programme de renouvellement la nécessité, avons-nous dit, d’un effort ascétique. Nous savons parfaitement tous que ce chapitre du programme rénovateur de la vie chrétienne ne jouit pas des faveurs de l’opinion publique et, souvent, même pas du respect de certains maîtres qui cependant se qualifient de moralistes et plus encore, chrétiens. (Quelques réactions imprévisibles et injustifiées contre la récente Déclaration de notre S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi au sujet de « quelques aspects de l’éthique sexuelle » nous en donnent une bien triste démonstration).

Aujourd’hui l’autorité, aujourd’hui la loi, qui nous proposent une norme extérieure parfaitement conforme aux exigences intérieures de notre être, ne sont plus appréciées et bien souvent elles ne sont plus écoutées. C’est la spontanéité qui semble devenue le droit fondamental de l’action humaine. Rousseau triomphe. Elle se revêt d’abord des exigences de la conscience personnelle, souvent sans se préoccuper du fait que c’était donner le pas à la conscience psychologique sur la conscience morale, la privant de cette vision de l’obligation intrinsèque et extrinsèque qui doit la guider; il en résulte l’explosion d’une liberté aveugle, d’un instinct passionnel, d’une délinquance sans frein, en somme, l’abdication de la volonté intelligente et véritablement responsable.

Notre effort ascétique, tendu vers le perfectionnement de la conduite morale aura deux moments: l’un, négatif, que les maîtres de l’esprit appellent mortification, jeûne, renoncement, combat spirituel, pénitence, et coetera. Il faut que tous nous nous rappelions combien cet exercice de reconquête de la maîtrise de soi, nécessaire pour acquérir une aptitude à la vie chrétienne, a dans l’Evangile d’expressions vigoureuses qui devraient être interprétées sagement, celle-ci par exemple : « Si ton oeil droit est pour toi une occasion de pécher, arrache-le et jette-le loin de toi... » (Mt 5,29 de même pour la main, ibid. Mt 5,30). Et Saint Paul y fait écho lorsqu’il écrit: « Je meurtris mon corps et le traîne en esclavage... » (1Co 9,27). Et coetera.

L’autre moment de l’ascétisme chrétien est positif, destiné donc à rendre plus vigoureuse la vertu qui caractérise un disciple du Christ. Ce moment s’appelle « milice » (cf. Jb 7,1 2Co 10,4 Rm 13,14 Ga 5,16) et Saint Paul en fait une métaphorique et expressive description, la comparant à une armure romaine : « Endossez l’armure de Dieu... avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse... etc. » (Ep 6,13-17). On ne saurait être un véritable chrétien si l’on n’est pas fort, spirituellement aussi ; si l’on n’est pas un athlète, c’est-à-dire sans rudes et longs exercices (1Th 5,8). Et tout cela pour posséder cet invincible amour que nous recherchons par-dessus toute chose : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? » (Rm 8,35).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous saluons aussi et Nous remercions les étudiants canadiens et leurs professeurs. Votre visite nous est agréable et réconfortante. Nous savons que vous accomplissez un voyage culturel à travers l’Italie. Nous partageons votre émerveillement face aux trésors artistiques de ce pays. Ils sont la gloire de la foi aussi bien que la gloire de l’homme! Vous aussi, chers amis, ayez à coeur de faire de vos existences des chefs-d’oeuvre qui proclament la gloire de Dieu! Gloria Dei, vivens homo, aimait répéter l’Evêque Saint Irénée. Construisez harmonieusement vos personnalités. Gardez fermement ou retrouvez humblement la place exacte des valeurs du corps, des valeurs de l’esprit, des valeurs du coeur, de l’engagement libre et fidèle. La Période du Carême qui s’ouvre aujourd’hui est un temps fort de conversion aux valeurs qui donnent a l’homme sa véritable stature, lorsqu’il prend la décision de les développer et d’en User, non seulement en reference au Christ Sauveur, mais en Union intime avec Lui.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





17 mars 1976: LA PRIÈRE, LANGAGE DE LA CIVILISATION DE L’AMOUR

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Chers Fils et Filles,



Nous sommes à un moment de l’histoire qui exige la prière forte. Par « prière forte » nous entendons une invocation à Dieu, exprimée avec un intense sentiment religieux, avec une confiance filiale qui, au-delà des circonstances difficiles et défavorables, implore un secours que le jeu des causes naturelles ne laisserait pas supposer ; et même si elle n’est pas exaucée sous la forme et dans la mesure envisagées par la mentalité humaine, elle sait que tout tourne en bien pour celui qui vit dans le cercle de la foi en Dieu et de son immense et mystérieux amour pour nous, de notre amour humble et filial pour lui.

Ici, toute la doctrine concernant la prière, aussi complexe que controversée, exigerait un exposé clair, capable de résister à la marée des objections qui assaillent ses bases, soit en niant l’existence d’un Dieu prévoyant et bon, soit en supposant que le mécanisme des forces dans lesquelles la vie humaine est engagée est fatalement déterminée, ou qu’il ne convient pas à l’homme, même religieux et pieux, de sortir de ce quiétisme résigné aux bouleversants et insondables desseins divins, arbitres adorables des destinées humaines : il ne resterait plus à l’homme qu’à courber humblement la tête en disant sans trop de sagesse : « fiat voluntas tua ». Face à de telles objections la prière n’aurait aucun sens (cf. St Thomas
II-II 83,2). Eh bien, non : nous, nous savons deux choses : que Dieu existe, qu’il est bon, prévoyant, puissant, proche de nous, en un mot, qu’il est un Père Tout-puissant ; et nous savons que l’homme est libre, et que, dans le gouvernement de Dieu sur le monde, est admis, et même voulu, le concours de la libre collaboration de l’homme ; c’est en ce sens, qu’il prie pour que s’accomplisse, lui docile et solidaire, la volonté de Dieu.

Qu’il nous suffise en ce moment, pour appuyer notre affirmation que la prière est absolument nécessaire, de rappeler les paroles que le Christ Seigneur a si souvent répétées : « demandez et l’on vous donnera ; frappez et l’on vous ouvrira. Qui d’entre vous, quand son fils lui demande du pain, lui remettra une pierre ?... Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l’en prient ! » (Mt 7,7-10). « Jusqu’à présent, dit Jésus dans un autre discours, vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez et votre joie sera parfaite » (Jn 16,24). L’efficacité de la prière, même de celle qui concerne notre propre bien, la petitio (et pas seulement celle qui s’élève pour glorifier Dieu, le chercher et s’unir mystiquement à lui, la elevatio mentis ; voir Sainte Thérèse, chemin de perfection, Château intérieur)a valablement cours dans le royaume de Dieu, dans l’économie religieuse de l’Eglise, dans le gouvernement spirituel du monde,

Nous devons donc prier, et prier d’une prière forte. Ce doit être, pensons-nous, une conséquence de la célébration de l’Année Sainte qui a tant fait — et avec fruit — pour dessouder les lèvres muettes et closes de l’homme moderne et pour rendre à sa capacité expressive le balbutiement, le colloque, l’invocation, le cantique du rapport renouvelé de l’homme avec Dieu. La prière, même celle qui demande le pain et la santé, la paix et la joie et la charité pour l’homme fatigué, pèlerin sur les sentiers stériles de l’expérience contemporaine, est non seulement licite, mais elle est souhaitée, elle est ordonnée par l’Evangile. Elle peut être, certes, le langage supérieur de la civilisation de l’amour que l’Année Sainte a voulu nouvellement inaugurer. De plus, prier fort parce que les tempêtes de l’histoire se font chaque jour plus menaçantes. Il y a tant de choses belles, neuves et bonnes dans le monde ; soutenons-les ; mais combien d’autres, nouvelles et lourdes, pèsent sur les Peuples inquiets, jouissant et souffrant. Les dangers ne manquent pas qu’ils soient un stimulant à une prière plus assidue, plus consciente et plus fervente.

Oui, priez, Frères, maintenant que l’Eglise a réformé sa prière officielle, la liturgie, qu’elle en a renouvelé et fait émerger les textes les meilleurs, facilitant leur compréhension par l’emploi dans le culte divin des langues courantes et favorisant la participation des fidèles (qui veulent être véritablement tels) avec tant de sollicitude et tant de dignité. L’heure est venue pour le Peuple de Dieu de faire preuve d’intelligence et d’obéissance. Nous devons faire chorus. Des nostalgies obstinées et irrévérencieuses pour des formes de culte des temps passés, si dignes soient-elles pas plus que des initiatives arbitraires tout aussi irrévérencieuses — celles que l’on dit « créativité » — dans l’action sacrée, sanctionnée, de l’Eglise ne favoriseront d’aucune manière ni l’authentique spiritualité des nouvelles générations ni la fondamentale unité d’esprit et d’action, voulue par le Christ, pour son Eglise, spécialement dans l’acte du culte (Mt 18,20), une unité aujourd’hui d’autant plus nécessaire que moins est contenu, malgré l’oecuménisme, l’instinct centrifuge dont souffrent certains secteurs de la vie religieuse.

Et nous dirons également de prier à ces esprit, pas toujours présents à l’assemblée liturgique, mais sincèrement avides de quelque certitude religieuse personnelle, spécialement les jeunes.

Dieu n’est pas loin. Le Christ est vraisemblablement avec eux, pèlerins mystérieux sur le sentier crépusculaire de leur expérience déçue, de la séduction d’un monde matérialiste et sensuel ; avec eux pour leur révéler où, au mieux, Qui est la Vérité. Vous devez donc prier, vous aussi, amis lointains, dans le silence ou dans le sanglot du coeur, dans une solitude qui semble une vocation. Ecoutez la voix du Prophète : « cherchez le Seigneur pendant qu’il se fait trouver, invoquez-le pendant qu’il est proche » (Is 55,6).

Que soit le stimulant de votre prière, Fils et Frères, notre Bénédiction Apostolique !






Catéchèses Paul VI 40276