Catéchèses Paul VI 50576

5 mai 1976: SOYONS FIDÈLES AUX PROMESSES DE NOTRE BAPTÊME

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Chers Fils et Filles,



Nous nous tournons encore, par la pensée et par le coeur, vers cette grande fête que nous avons récemment célébrée : Pâques. Nous vivons spirituellement, c’est-à-dire de toute notre âme, avec le souvenir, avec les intentions réalisées, avec notre façon de vivre et de penser, notre « après-Pâques », ce qui signifie « notre après-baptême ». Pâques et baptême — ce fut déjà l’objet de nos méditations — coïncident pour nous : le baptême nous fait vivre le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ (cf.
Rm 6,3 Saint. augustin, de baptismo, P.L. 4,108 et ss.). Et, comme nous le savons par le catéchisme, de cette assimilation du baptême à la mort et à la résurrection du Christ, c’est-à-dire à son oeuvre rédemptrice communiquée à chacun de nous par la voie du baptême, découlent deux effets : le premier est que nous avons été faits « chrétiens », c’est-à-dire que, participant à la vie même du Christ, en Lui nous sommes nés à nouveau, régénérés, sanctifiés et, si nous sommes bons, promis à la félicité éternelle ? nous sommes « dans la grâce » de Dieu; et ceci devrait toujours nous remplir de reconnaissance envers le Seigneur, d’émerveillement, de joie, de bonne volonté, d’espérance et d’amour; ceci devrait donc alimenter notre conscience de cette merveilleuse nouveauté, celle d’être et de se savoir « chrétiens », personnes nouvelles, en communion avec Dieu, élevés à une supérieure dignité de vie et à un immortel destin (cf. 1P 2,9) : et, second effet, nous sommes marqués intérieurement, dans notre âme, dans notre être, d’une empreinte sacrée, d’un « caractère », d’une ressemblance au Christ, qui ne s’effacera jamais. Nous pouvons par suprême malheur perdre la grâce, c’est-à-dire la vie divine du baptême, mais nous ne pourrons jamais perdre ce sceau, ce caractère, qui impriment en nous une particulière image du Christ, par la vertu de laquelle nous serons toujours chrétiens, toujours en mesure d’être favorisés de l’amitié du Seigneur, mais aussi toujours responsables de ce rapport nouveau et indélébile de notre vie avec celle, infinie, de Dieu : nous sommes les siens, nous sommes chrétiens pour toujours (cf. Denz-Sch. DS 1609 DS 1767, etc.). Ceci est un grand bonheur ; ceci est un devoir.

Sur ce bonheur, sur ce devoir, c’est-à-dire sur le fait d’être chrétiens, nous devrions méditer bien plus, tant parce que nous sommes l’objet d’un immense amour de Dieu, la grâce, que parce que nous sommes liés à Lui par un lien de parenté sacrée, le caractère. Malheureusement il faut constater que les chrétiens ne se sentent pas chrétiens, qu’ils ne dégagent pas toujours de cette réalité qui les définit la ligne qui doit inspirer leur vie. Pensez avant tout combien modestement et faiblement un adolescent a conscience de cette élection : à l’ordre religieux surnaturel : la pédagogie catholique devrait sans tarder prendre sur soi de créer chez l’enfant, chez l’adolescent, chez le jeune, cette particulière prise de conscience spirituelle propre au chrétien. Un adolescent peut en avoir conscience, tout comme il a conscience d’être membre d’une classe sociale, de la classe ouvrière, de l’aristocratie,... c’est-à-dire d’être membre d’un clan plutôt que d’un autre, ou bien encore d’être fils d’un peuple, d’une nation, d’une race. On devrait d’autant plus cultiver dans l’adolescent la conscience de sa religion et spécialement de la religion catholique qui confère à la conscience juvénile même un sentiment de communion avec Dieu, avec le Christ, avec l’Eglise vivante, faisant découler immédiatement de cette mentalité une décisive orientation morale et sociale.

Cette pédagogie de la conscience chrétienne devra s’aiguiser et s’affirmer d’autant plus que l’enfant passe de l’adolescence à la jeunesse : un passage qui trouble la conscience première et semble devoir l’affranchir, d’un côté, de l’ingénue mentalité puérile et de l’autorité du milieu, tant familial que scolaire ou social, pour faire du jeune un sujet libre qui, d’un autre côté, est inconsciemment et passionnément absorbé par l’esprit servile du milieu extérieur et social auquel il se livre : ce moment est souvent celui de la « crise de jeunesse » — comme on dit —et si elle n’est pas soutenue justement par un art pédagogique sage, nouveau et exigeant, et par un milieu en saine syntonie avec l’exubérante vivacité, juvénile, la conscience religieuse, même la conscience chrétienne s’obscurcit, se remplit de doutes et de rébellion, s’éteint au moins dans le sentiment et dans les pratiques du premier âge, et reste désarmée, incapable de réagir aux tentations de la première maturité et aux séductions d’un milieu profane et irréligieux. Ce possible naufrage du christianisme, de l’intégrité et de la beauté baptismale, devrait former l’objet principal, décisif, de l’éducation chrétienne, Ce naufrage n’a nulle raison d’exister et il n’a certainement pas cette puissance fatale qu’on lui attribue ; un jeune doit être préparé et capable de naviguer, non seulement sans perdre le trésor d’idées et de forces dont sa première éducation chrétienne l’a doté, mais encore et surtout d’accroître ce trésor et sachant, dans la lutte et dans la joie, en expérimenter la supériorité, l’originalité, le bonheur. Le baptême peut être la bouée insubmersible et infaillible de ces jeunes tempêtes.

Puis vient la maturité, c’est-à-dire la plénitude de la conscience, dans la découverte de l’amour et du devoir, dans l’expérience de la vie sociale et de sa combattive pluralité. Alors, un baptême, cultivé par l’instruction et soutenu par la richesse de la communauté ecclésiale, révèle magnifiquement sa puissante vitalité: il donne le sens de la vraie dignité de la vie, étend sous le regard de l’homme l’échelle des valeurs authentiques et, tout au moins dans la véritable espérance, il ne laisse sans réponse aucun problème de la vie.

Tout ceci exigerait un discours sans fin. Nous, nous le concluons ici par un seul mot qui synthétise, sous ses aspects à peine effleurés, notre « après-baptême » : ce mot est « fidélité ». Dans la fidélité, le baptême se prolonge et s’étend tout au long de la vie à la grâce dont il est la source, aux promesses dont il est le principe. Comme le dit le Seigneur dans l’Apocalypse: « Sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de la vie » (Ap 2,10).

Avec notre Bénédiction Apostolique.




12 mai 1976: LE DRAME CHRÉTIEN

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Chers Fils et Filles,



Nous restons encore et toujours sous l’influence de la pensée dominante du mystère pascal, le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, le mystère de la Rédemption, qui se reflète en nous, qui se répète en nous comme mystère du salut, grâce au sacrement du baptême. Nous ne pouvons et ne devons jamais plus l’oublier.

Le baptême est pour nous une régénération, une renaissance, une conception neuve de la vie, une mentalité nouvelle, une philosophie originale au sujet des grands problèmes de notre existence, ordonnés et éclairés par cette sagesse qui est le propre du chrétien. « Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements — enseigne Saint Paul — et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur » (
Col 3,9-10). Puis, encore : « Je vous dis donc, et vous adjure dans le Seigneur de ne plus vous conduire comme le font les païens, avec leur vain jugement et leurs pensées enténébrées : ils sont devenus étrangers à la vie de Dieu (...) Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris le Christ (...) suivant la vérité qui est en Jésus et en vertu de laquelle il vous faut abandonner votre premier genre de vie et dépouiller le vieil homme (...) Vous devez vous renouveler par une transformation de votre jugement et revêtir l’Homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ep 4,17-24).

Il y a encore tant et tant à dire, à penser, à faire en vue de cette régénération interne et externe du chrétien. Et ne croyez pas que par le fait du caractère surnaturel de cette mentalité, imprégnée de mystère (c’est-à-dire de réalité qui transcende notre expérience naturelle), nous perdons le sens de la réalité concrète de la vie vécue ; non, nous l’augmentons comme augmente la clarté d’une pièce où s’allume une lumière nouvelle qui lui manquait : et dès que paraît cette lumière supérieure, tout prend forme, couleur, dimensions, position, définition... C’est ainsi qu’est la foi baptismale, le « lumen Christi » allumé dans la nuit de notre vie terrestre. Le chrétien sait tout ce qu’il doit nécessairement savoir pour avoir une vision suffisante (bien qu’encore limitée et provisoire) sur le monde, sur la vie, sur le destin de l’homme et, en pratique, sur ce qui est bien et ce qui est mal.

Cette dernière découverte, sur le bien et sur le mal, mérite à elle seule une réflexion toute personnelle du chrétien, à commencer par l’admiration, stimulant et couronne de la connaissance scientifique qui oblige l’esprit humain chrétiennement illuminé, à chanter et à louer le Dieu Créateur. Pensez à Saint François. Pensez aux sources intérieures et intarissables de l’art chrétien qui voit — un peu comme s’il faisait sien l’oeil de Dieu — que toute chose est bonne, est belle (cf. Gn 1,12 Gn 1,35). Mais l’admiration, à certain moment, devient stupeur, devient terreur (cf. Qo 1,18, « qui accroît le savoir, accroît la douleur »). Ce qui veut dire : l’instauration de l’ordre nouveau surnaturel, évangélique ne supprime pas le mal qui est dans le monde, qui est dans l’homme.

Ceci est un des écueils les plus périlleux et les plus fréquents pour le chrétien admis aux premières visions du Royaume des cieux. Le mal existe encore. Le chrétien est, plus que le païen, plus que le laïc, sensible à la perception du mal. Rappelons-nous la célèbre parabole de l’ivraie semée dans le champ privilégié du Royaume des cieux (Mt 13,24-30). Le chrétien rencontrera encore sur les sentiers de la pensée, l’obscurité du vrai et la facilité de l’erreur ; sur les sentiers de l’expérience psychologique, la tentation, la propension au péché, la faiblesse des passions et de la chair. Et même, il rencontrera également dans le monde l’opposition, la persécution, l’injustice. Parmi ses frères dans la foi eux-mêmes, il rencontrera la discorde, l’aversion et même la trahison : « on aura pour ennemis, a dit Jésus, les gens de sa maison » (Mt 10,36).

Comme est commune, aujourd’hui, et si voisine, cette soufFrance ! Parfois les amis les plus chers, les collègues qui avaient toute notre confiance, les confrères assis à notre table, sont précisément ceux qui se sont retournés contre nous! (cf Ps 54,13-15).

La contestation est devenue habitude, l’infidélité presque une affirmation de liberté.

Et les disgrâces naturelles ? les maladies inévitables ? les souffrances qui semblent presque un don de Dieu pour les chrétiens ? Oh ! quel champ de méditation et quelle expérience de l’Evangile, toujours dramatique ! Le message suave et effrayant des béatitudes souffle encore comme un vent prophétique sur le champ chrétien !

Le mystère pascal, notre baptême, est toujours présent avec sa croix : la mort et la vie sont encore toujours en duel. Bienheureux si nous avons appris à rechercher l’utilité profonde de la valeur (cf. saint augustin, De Civ. Dei, 1, 33 ; PL 41, 45), à nous confier finalement à l’amour du Christ pour nous (Rm 8,35), dans cet éternel conflit ! si nous avons appris à rechercher l’ami, le sauveur Jésus-Christ, le triomphe de sa charité et la conquête de notre salut (Ep 5,2) !

Avec notre Bénédiction Apostolique.





19 mai 1976: L’HÉRITAGE PASCAL

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Chers Fils et Filles,



Pâques est une telle fête, un événement tel qu’il nous oblige, qu’il nous invite à en prolonger la méditation et à insérer cette méditation pascale dans l’esprit qui doit caractériser la vie chrétienne. Nous ne devons plus oublier jamais le mystère pascal ! Allons plus avant dans la méditation : la fête de Pâques célébrée, que nous reste-t-il ? Le souvenir, un très grand souvenir ? Oui, certes, mais pas seulement un souvenir. Il nous reste, nous l’avons déjà dit, le baptême qui est l’extension du mystère pascal à la vie personnelle de chacun de nous ; une extension effective, régénératrice. Nous né sommes plus seulement des êtres humains et mortels : nous sommes des chrétiens. Dans sa deuxième épître, Saint Pierre a écrit que Jésus-Christ « par sa divine puissance... nous a donné les biens les plus grands et les plus précieux qui ont été promis afin que vous deveniez... participants de la divine nature... » (
2P 1,3-4).

Nous devons aussi méditer toujours l’héritage pascal, c’est-à-dire l’héritage chrétien, ce patrimoine, inattendu et immérité, inestimable, de biens qui nous a été légué parce que nous sommes devenus chrétiens par le baptême ; ce patrimoine nous a communiqué, de manière surnaturelle, mais réelle, la symbiose, nous voulons dire la participation vitale au drame de la Rédemption, c’est-à-dire, à celui de la mort et de la rédemption du Christ. Répétons-le : nous sommes devenus des chrétiens, des créatures nouvelles, des êtres divinisés (cf. Rm 8,19 Jc 1,18), qui, sans rien perdre de la perfection naturelle propre à l’homme et même en la possédant dans sa plus grande plénitude, sainte et immaculée (cf. Ep 1,4 Col 1,22 Jc 1,27), font de la religion le nouveau pivot de leur vie, également de leur vie naturelle présente ; la religion, c’est-à-dire le rapport avec Dieu, ce rapport instauré par le Christ et grâce auquel nous sommes devenus fils adoptifs de Dieu avec, tout ce qui en résulte de biens, d’espérances, de dignité, de conception de la vie et du monde et qui découle d’une semblable nouveauté (cf. Rm 9,4 Rm 8,15-23 Ga 4,5 Ep 1,5 etc.).

Si nous voulons avoir une idée exacte, même purement synthétique, du fait que nous sommes chrétiens, nous ne pouvons négliger une référence — désormais essentielle pour notre mentalité — à cette théologie, à cette « économie » c’est-à-dire à ce plan divino-humain, qui concerne en plein notre salut (cf. Ep 1,3-15 et ss.). Vraiment, ici notre expérience humaine et historique se fait mystère : mystère en soi pour la vérité immense et profonde qu’elle nous offre de connaître et de contempler, comme un regard sur le ciel infini ; mystère pour nous, pour l’ordre nouveau, surnaturel, disons même « sur-réel » qu’il introduit dans notre vie ordinaire, et, comme on le dit réelle.

Nous, nous ne voulons pas passer sous silence cet aspect transcendant et, de ce fait, presque secret, de la vie chrétienne ; mais nous guiderons notre recherche sur les voie planes de l’Evangile : planes, elles paraissent ainsi parce qu’elles nous sont rendues accessibles par la parole simple et sublime du Maître Jésus. Parlant d’« héritage pascal, ou chrétien » il nous est facile de nous référer aux discours testamentaires du Seigneur, ceux de la Dernière Cène : des discours où l’on retrouve précisément l’intention, et l’accent, de Celui qui est sur le point de quitter cette vie et veut laisser à ses fidèles disciples d’ultimes et suprêmes souvenirs. Qu’a dit le Seigneur dans la clairvoyance de son imminent passage dans l’au-delà du temps présent ? Oh ! nous ne finirions jamais cette excursion dans le jardin enchanté des révélations issues du coeur et des lèvres de Jésus au cours de cette nuit pascale. Nous en choisirons deux qui nous semblent maintenant plus faciles à énoncer et qui, en un certain sens, synthétisent la forme éminente de vie que Jésus nous a recommandée à l’heure où il s’est retiré de notre conversation temporelle.

Vous les connaissez bien ces très douces et très graves paroles, vous qui avez l’habitude de lire l’Evangile et qui orientez votre vie spirituelle vers la découverte ineffable du coeur du Seigneur. L’une d’elles concerne le rapport communautaire, ecclésial, social qu’avant son départ de ce monde, Jésus a voulu laisser à ses disciples comme souvenir, comme continuation, comme innovation perpétuelle de son école évangélique ; l’autre concerne le rapport personnel, intérieur, de toute âme fidèle avec ce Jésus qui est sur le point de prendre congé de notre expérimentale intimité.

La première parole résonne comme un commandement : c’est le « commandement nouveau » : très simple, mais sublime comme un sommet, toujours bien au-dessus de notre humble et courageuse ascension : « Mes petits enfants, je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres, comme moi je vous ai aimés » (Jn 13,34). Oh ! ce petit mot « comme » : c’est en lui que consiste la nouveauté du commandement pascal, son inégalable perfection, son inépuisable énergie ! Qui pourra jamais l’atteindre ?

Puis, la seconde parole, parole de vocation, parole de prédilection, parole qui descend dans l’intimité du coeur, parole qui semble une question et qui est un don d’incomparable intériorité : « Demeurez en mon amour » (Jn 15,9). Et ce « demeurez en mon amour », qui le fera sien ? Quelle initiation, quelle constance, quelle félicité se trouvent en ces mots ! Demeurez dans l’amour fort et sincère, extrêmement vivant et extrêmement viril, satisfait en lui-même et capable de l’effusion la plus vertueuse, est-ce cela le trésor, est-ce cela l’engagement pascal ?

Oui, c’est cela l’héritage pascal. Serons-nous prêts, serons-nous fidèles à le faire nôtre ? Dieu le veuille ! Avec notre Bénédiction Apostolique.




26 mai 1976: LA RÉSURRECTION GARANTIE DES PROMESSES DU CHRIST

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Chers Fils et Filles,



Durant cette période qui a suivi la fête de Pâques nous avons médité quelque peu au sujet de la transfusion du mystère de la mort et de la résurrection du Christ dans ses disciples, au moyen de la foi (
Rm 10,9) et au moyen du baptême (Rm 6,3-11). Une vie nouvelle, non seulement morale, mais réelle, surnaturelle, nous est conférée ainsi par notre effective insertion dans le corps mystique du Christ : Lui, il est la Tête, et nous, nous sommes les membres ; Lui il est la Vigne, nous nous sommes les sarments. Nous sommes des créatures nouvelles (2Co 5,17). Nous ne pourrons jamais apprécier suffisamment cette élévation à un nouvel état de vitalité, de dignité, de bonheur, en plus de celui d’engagement moral auquel nous avons été conduits du fait de notre baptême qui, précisément, nous transmet, non seulement le nom mais aussi l’état de « chrétien ».

Ici, la réflexion théologique et ascétique possède un champ assez vaste et intéressant à explorer, en déduisant de ce principe qu’est le baptême, les effets merveilleux de la nouvelle vie que nous avons obtenue, comme la purification du péché originel, (et jusqu’à quel point persistent en nous certaines de ses conséquences comme la douleur, le désordre des passions et l’inconstance dans le bien ? voir st thomas III 69,3) ; puis, et spécialement la grâce et les dons de l’Esprit (ib. III 69,4-5) ; et, donc, le caractère indélébile (cf. 2Co 1,22 st thomas III 63,0) ; et toute la spiritualité et la sainteté qui sont le propre de ceux qui sont véritablement chrétiens. Exploration magnifique, mais qui fait surgir, presque par surprise, une grande objection : même pour le chrétien, associé à la résurrection du Christ, la mort demeure, la mort, la grande ennemie demeure implacablement victorieuse ! notre communication vitale avec la résurrection du Christ n’a pas réussi à la vaincre ? La Vierge a-t-elle eu seule ce privilège de ne pas subir les effets de sa « dormition » et d’être admise immédiatement, également corporellement, à cette nouveauté, à cette plénitude de vie qui est promise à la résurrection des morts ! Oui. Mais la résurrection des morts, si elle n’est pas une réalité actuelle pour les défunts dans le temps, est une réalité promise à tous : différée mais promise, mais assurée, mais garantie par la Parole du Christ, prêchée, dès les premiers jours du christianisme, par l’Eglise pèlerine sur la terre, mais en marche vers une immortalité à laquelle non seulement nos âmes qui en jouiront déjà, mais aussi ces pauvres membres corporels destinés à se corrompre, à se réduire en cendres, seront restitués.

Comment ? Comment ? notre méditation sur le mystère pascal est parvenue à cette difficile ligne d’arrivée. Difficile parce qu’il nous manque même le pouvoir d’imaginer comment une palingénésie de ce genre peut se réaliser; mais non pas infranchissable pour celui qui conclut son acte de foi avec les victorieuses paroles de notre Credo : « je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle ». Ceci n’est pas une idée fantastique et triomphaliste qui se présente à l’esprit, parce que celui-ci rebelle à l’idée du néant dans lequel devrait se dissoudre notre être et parce qu’il est disposé à imaginer une revanche finale sur notre intolérable faiblesse. C’est la Parole du Christ qui s’exprime ainsi, avec un tout puissant accent de défi et de victoire. Elle résonne dans l’Evangile (cf. Mt 22,23-33 Jn 6,39-40 Jn 11,23-25 etc.), elle forme le thème de la première prédication évangélique (Ac 4,2 Ac 17,31-32 Ac 23,6) et elle s’élève à la plénitude d’une leçon dans la première épître de Saint Paul aux Corinthiens ; écoutons à nouveau quelques-unes de ses affirmations : « Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. Car la mort étant venue par un homme, c’est par un homme que viendra également la résurrection des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ (1Co 15,20-23)... On sème de la corruption et il ressuscite de l’incorruption ; on sème de l’ignominie, il ressuscite de la gloire ; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force ; on sème un corps physique, il ressuscite un corps spirituel... » (ibid. 1Co 15,42-44).

La question est si importante et si complexe que dans la littérature chrétienne elle a eu immédiatement son énoncé et son apologie (cf. Athénagoras, Tertullien). Saint Augustin nous offre trois sermons sur ce thème (40-241-242 ; PL 38, 1130 et ss.) et de nombreuses autres références (par ex. Enchir. 34, PL 40, 272 ; etc. ; cf. michel, Diction. Théol. Catholique, XIII, II 2501-2571).

Oui, le mystère pascal aboutit à cette eschatologie, c’est-à-dire à cette doctrine de notre destin final. Ici, nous en célébrons, dans l’histoire évangélique, le moment de la plénitude dans le Christ; nous en réalisons pour nous la première phase d’application dans le temps de notre vie ecclésiale et liturgique ; mais ce n’est pour nous qu’une première période initiale ; son accomplissement se réalisera le jour ultime.

On demeure stupéfait et heureux mais c’est ainsi, il en sera ainsi ! Rendons gloire au Seigneur.

Avec notre Bénédiction Apostolique !

***

Nous saluons de tout coeur les membres et les consulteurs de notre Conseil Pontifical «Cor Unum» réunis à Rome ces jours-ci pour leur cinquième Assemblée Plénière. Presque cinq ans se sont écoulés depuis que Nous avons institué cet organisme et Nous sommes heureux de constater qu’ils se soit développé de façon si positive et qu’il ait déjà été en mesure de rendre bien des services à l’Eglise. Vous avez été les artisans de tette première étape et aujourd’hui vous vous appliquez à en dresser le bilan en vue d’une coordination encore plus fructueuse dans l’avenir. Nous relevons dans votre Rapport d’activités que tette coordination a progressé sur trois points : entre les églises locales et les Agences dites de financement ou d’aide; au sein des églises locales elles-mêmes; entre les diverses Agences. Partout le même besoin se fait sentir: notre charité, nos efforts pour la justice doivent inspirer, dans la diversité des initiatives et la juste autonomie des uns et des autres, une action cohérente et harmonieuse qui donne au monde le témoignage de notre Unité. Ceux que nos efforts cherchent à promouvoir à une vie plus humaine, à l’obtention d’un développement intégral, seront les premiers bénéficiaires d’une coordination librement mûrie et acceptée au nom même des impératifs de l’Amour qui nous inspire. Restez donc, au tours des travaux de votre Assemblée, mais surtout dans I’exécution des programmes que vous arrêterez, des ouvriers d’unité, pour le plus grand bien de la Cité terrestre et l’annonce prophétique de Celle de l’Au-delà.





2 juin 1976: LA PRIÈRE DANS LA SOCIÉTÉ SÉCULARISÉE

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Chers Fils et Filles,



Notre discours retourne au grand thème de la prière. Un thème grand comme une cathédrale. Nous nous approchons de ce monumental édifice, stimulé par deux raisons pratiques : la saison liturgique et les besoins de notre époque. La fête de Pentecôte, la fête de l’Esprit Saint nous invite à rallumer la lumière de notre âme, ce qu’est précisément la prière. Puis, comment ne pas se rendre compte des péripéties difficiles qui bousculent la normalité, l’ordre, le besoin d’un secours divin que la prière nous encourage à espérer de là-haut, de la Providence ? espérance et prière vivent ensemble. En plus de ces stimulants occasionnels à recourir à la prière, nous savons que prier est une loi qui s’impose de manière plus ou moins urgente à nos esprits, mais qui oblige toujours celui qui veut vivre la vie chrétienne et même nous pouvons dire celui qui veut simplement vivre une vie humaine authentique et pleine ; nous savons que nous devons satisfaire à cet important et suave devoir que Jésus nous enseigne : « Il faut prier toujours, sans jamais se lasser » (
Lc 18,1). Il n’est même pas nécessaire de rappeler tous les livres et discours religieux qui nous appellent à ce devoir fondamental (cf. Saint Thomas, II-II 83,0 ; Cath. Rom. IV ; St Augustin, la célèbre lettre à la veuve Proba, 130, PL 33, 493-507).

Mais aujourd’hui nous nous arrêtons un moment sur le seuil du temple de la prière ; et remarquons que la porte est fermée. Jadis il était ouvert, toujours et à tous ; maintenant il ne l’est plus. Autrefois la dispute portait sur la légalité, sur l’orthodoxie de l’accès au temple de la prière ; et comme ils sont nombreux, les martyrs que l’histoire nous rappelle, martyrs pour avoir professé ou avoir renié la religion ; aujourd’hui la question religieuse (parce qu’au fond, c’est de cela qu’il s’agit) se pose d’une manière radicalement différente : il n’existe plus aucune raison de prier ?

Fils et Frères bien-aimés ! quelle question formidable ! Même si nous ne sommes pas tous en mesure d’analyser le phénomène antireligieux de notre époque, nous en connaissons tous la manière radicale dont il s’oppose à notre tradition spirituelle chrétienne et catholique tout particulièrement, même dans des pays historiquement imprégnés de religion ; et nous sentons comment, d’une manière ou d’une autre, l’athéisme menace de l’intérieur de l’âme la consistance des motifs qui justifient et réclament la religiosité de notre être rationnel et spirituel. Il fut un temps où l’athéisme était jugé négativement par l’opinion publique qui le tenait pour une absence de la foi commune ; aujourd’hui, par erreur et par malheur, il est jugé positivement, comme un progrès, comme la libération d’une mentalité mythique et primitive, comme la bannière des temps nouveaux. La science suffit. La raison fuit le mystère. Et ce n’est pas vrai ! Au contraire qui aime la science, qui se rend compte de sa profondeur et de sa rigueur ne peut, ne doit pas empêcher la pensée de mener ses explorations métaphysiques et mystiques ; et celui qui se refuse à enfermer la raison dans les limites de ses traits conventionnels ne peut qu’admettre la nécessité de les dépasser pour chercher tout au moins, ou pour expérimenter, avec le plus grand profit possible, la rencontre avec une Sagesse, avec un Verbe qui tout en le pliant à l’adoration religieuse, l’élève aux préludes d’un enivrant dialogue qui va au-delà du rationnel : la prière.

Ce formidable malentendu entre la pensée scientifique et la pensée religieuse (la pensée chrétienne) trouble profondément notre sécurité mentale qui se transforme en incertitude morale et en inquiétude sociale. C’est le grand problème de notre temps. Nous n’avons pas à nous effrayer, non seulement parce que notre esprit religieux n’a aucun préjugé, et qu’il n’est nullement contraire au progrès scientifique tant spéculatif que pratique, au contraire, il le favorise et l’intègre, objectivement autant que subjectivement, en vertu de son culte de la Vérité totale, celle qui est, précisément, recherchée professée et proclamée avec notre Credo.

Puis, évitons de nous contenter d’une formation mentale purement et exclusivement « laïque » — c’est-à-dire d’une qui, en n’importe quel domaine de la pensée et de la vie, fait systématiquement abstraction de toute logique référence religieuse — pour éviter, de tomber, sans nous en rendre compte, dans cet athéisme qu’à juste titre nous craignons parce que, destructeur de tout ordre, il tend à ériger la légitime autonomie des réalités terrestres en seul critère de vérité (cf. Lumen Gentium, LG 36 Gaudium et Spes, GS 36).

Et, de même, tâchons de ne pas nous laisser engourdir par cette apathie religieuse et spirituelle, si répandue aujourd’hui dans notre monde profane et sécularisé et qui semble le résultat inévitable de l’activisme moderne et du fracassant tintamarre des voix publiques. Tâchons de faire nôtre le programme formulé par le Christ « veillez et priez » (Mt 26,41).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous adressons aussi un mot du coeur à tous les membres de la Communauté du Séminaire francais de Rome.

Merci, chers amis, pour votre visite réconfortante! Tous ensemble, persévérez dans la recherche et la construction d’une communauté exemplaire. Comme Nous aimerions relire et méditer avec vous le chapitre douzième de la première Epître aux Corinthiens! Vous le ferez vous-mêmes à l’intérieur de vos groupes de réflexion et de prière. Bientôt, vous aurez la responsabilité de vivifier ou de créer des communautés chrétiennes. N’attendez pas demain. Bâtissez déjà à Santa Chiara une communauté de prière, d’échanges profonds et vrais, de services fraternels. Laissez-Nous insister sur le signe et la source de toute communauté durable et fervente: «Dieu premier servi!». Oh oui, privilégiez les temps de prière personnelle et les célébrations communautaires, sans lesquels vos études, qui doivent être sérieusement conduites, risqueraient d’aboutir à un simple exercice intellectuel. Et votre intimité avec le Seigneur stimulera et purifiera votre intérêt pour les problèmes apostoliques de l’Eglise d’aujourd’hui. Chers amis, qu’il en soit ainsi pour tous et pour chacun d’entre vous! Nous le demandons à Dieu et Nous vous bénissons en son nom.




9 juin 1976: LA PRIÈRE NATURELLE

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Chers Fils et Filles,



Dans le climat actuel de la vie publique notre voix qui invite à la prière, comme pour faire écho dans nos âmes à la célébration, désormais terminée, des grandes fêtes de Pâques et Pentecôte, notre voix, disons-nous, pourrait sembler intempestive, presque un monologue dans le désert. Il est vrai que notre parole, adressée à vous, visiteurs provenant d’endroits et de situations très diverses, et avides d’un discours spirituel plutôt que profane et contingent, fait précisément abstraction de l’actualité de la vie publique, si intéressante et grave qu’elle soit; comme d’habitude, ici nous nous tendons vers le thème religieux ; mais nous pensons que celui-ci, le thème religieux ne nous rend pas — ce qui serait contraire à notre habitude — étranger à cette participation à la vie sociale, la nôtre, c’est-à-dire celle qui regarde la scène du monde sous la lumière qui nous vient de là-haut et qui, même sur un plan différent de celui de l’expérience temporelle, peut faciliter une meilleure vision des choses, indiquer les meilleurs sentiers également pour la prudence terrestre et, grâce à d’impondérables et supérieurs apports, secourir l’humaine lassitude.

C’est donc encore de la prière que nous voulons vous entretenir avec une brièveté et une simplicité qui ne prétendent pas en pénétrer les merveilleux sentiers, mais simplement mettre l’accent sur l’aptitude que l’homme moderne conserve encore pour la prière elle-même. Dans un précédent sermon nous avons fait allusion à la porte close que l’homme moderne trouve devant lui quand il s’approche du temple de la prière ; fermée parce qu’a été décrétée la démolition du séculaire et monumental édifice, fermée pour transformation en musée archéologique, en salle de divertissements profanes, en arène sportive. Nous voulons dire que de nos jours, d’après quelques-uns, la prière, et toute la psychologie et la pédagogie, toute la moralité, la vie sociale, la vision de la vie qu’elle suppose et encourage, devraient être remplacées par une autre mentalité et d’autres activités, c’est-à-dire par l’athéisme et par le sécularisme, par le laïcisme dans leurs expressions radicales et exclusives.

Et nous, cette fois nous avoisinant encore au métaphorique édifice, nous découvrons que la porte est ouverte. La porte de la prière est ouverte à l’homme moderne ? Oui, elle est ouverte mieux encore, après certains événements contemporains comme le Concile et l’Année Sainte, elle est grande ouverte.

Observons les faits. Certains dérivent précisément de ce monde rationnel, scientifique et technique qui a fourni à de nombreux hommes de talent et à de très nombreuses personnes de moyenne ou modeste culture des arguments pour leur irréligiosité. Il faudrait faire ici à rebours le chemin philosophique de tels arguments pour retrouver l’éternelle et invincible validité de la religion naturelle, celle qui découle de la pensée humaine guidée par l’honnêteté de la recherche et du désir de la vérité. Par bonheur, l’esprit humain n’a pas perdu sa vertu spéculative et même après les drames — parce que c’est cela qu’ils sont — de la pensée contemporaine, la conclusion de son effort vers la vérité où se perd dans un désespérant scepticisme ou bien s’oriente, soit par propre nécessité intrinsèque, soit par exigence objective, vers une « théodicée » une science de Dieu qui ne peut rester simplement inerte et passive, et fait l’expérience de la logique, de la vitale poussée vers l’expression d’une parole une parole adressée à Dieu : un appel ? une louange ? une tentative de dialogue ? de toute manière, une prière.

Nous avons observé avec admiration la transmission télévisée du retour des astronautes de leur stupéfiante excursion sur la lune: pendant un instant, qui vaut une heure, qui vaut une vie, tous ceux qui étaient présents : les astronautes, les techniciens, les savants, les autorités se sont plongés dans une pensée religieuse, qui vaut un cri, qui vaut une hymne, qui vaut un choeur de la terre entière, pour reconnaître, oui, adorer et invoquer le « mystère », le mystère transcendant et immanent de Dieu.

La prière invite encore notre génération, notre civilisation (si elle est vraiment telle et consciente), à une vivante expression. Ouvrons, au hasard dirions-nous, les documents de l’humanité contemporaine écoutez aussi une seule remarque du clairvoyant et malheureux écrivain juif, Simone Weil († 1943) : « la condition des travailleurs est celle dans laquelle la faim de finalité, qui constitue l’être même de tout homme, ne peut être rassasiée sinon de Dieu... Ce n’est pas pur hasard si l’on appelle attention religieuse le degré le plus élevé de l’attention. La plénitude de l’attention n’est autre que la prière » (cf. domenico porzio, Incontri e scontri con Cristo, PP 665-667).

Et, au fond de l’amertume contestatrice d’une grande partie de la jeunesse actuelle, n’y a-t-il pas un état d’âme de plainte, de poésie, d’invocation qu’il ne semble pas abusif de classer à l’enseigne, qui a survécu aux ouragans des désillusions modernes, à l’enseigne, donc, de la prière?

Oui, le temple de la prière ouvre ses portes aux hommes de notre temps et ceux-ci, certainement nombreux, se rendent compte qu’il serait beau d’y entrer mais ils sont hésitants : « comment oser ? et comment prier ? » se disent-ils. Cela valait la peine que nous les soutenions, que nous les invitions encore à prier avec nous.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





Catéchèses Paul VI 50576