Irénée adv. Hérésies Liv.2 ch.34

234 34 1 Le Seigneur a parfaitement enseigné que les âmes demeurent sans passer dans d'autres corps; elles gardent même telle quelle la caractéristique du corps auquel elles sont adaptées, et elles se souviennent des actes qu'elles ont posés ici-bas et qu'elles ont cessé de poser. C'est ce qui apparaît dans l'histoire du riche et de ce Lazare qui reposait dans le sein d'Abraham Lc 16,19-31. D'après ce récit, le riche connaissait Lazare après sa mort et connaissait pareillement Abraham; chacun d'entre eux demeurait à la place qui lui était assignée; le riche demandait que fût envoyé pour lui porter secours ce Lazare auquel il avait refusé jusqu'aux miettes de sa table; par sa réponse, Abraham montrait qu'il était au courant de ce qui concernait non seulement la personne de Lazare, mais aussi celle du riche; et il enjoignait, à ceux qui ne voulaient pas venir en ce lieu de tourments, d'écouter Moïse et les prophètes et de recevoir le message de Celui qui allait ressusciter d'entre les morts. Tout cela suppose manifestement que les âmes demeurent, qu'elles ne passent point en d'autres corps, qu'elles possèdent les traits de l'être humain, de façon à pouvoir être également reconnues, et qu'elles se souviennent des choses d'ici-bas; on voit aussi qu'Abraham possédait le don de prophétie et que chaque âme se voit assigner, avant même le jugement, le séjour qu'elle a mérité.


Prétendue mortalité des âmes

2 Peut-être, à cet endroit, objectera-t-on que des âmes ayant commencé d'exister peu auparavant ne sauraient durer indéfiniment, mais que, de deux choses l'une: ou il est nécessaire qu'elles soient incréées pour être immortelles; ou, si elles ont reçu le commencement de leur existence Sg 7,5, elles meurent nécessairement avec le corps lui-même. Qu'on sache donc qu'il n'y a que Dieu, le Seigneur de toutes choses, à être sans commencement ni fin et à demeurer véritablement et toujours identique à lui-même. Quant à tous les êtres issus de lui et qui, quels qu'ils soient, ont été faits et sont faits, ils reçoivent bien le commencement de leur existence et ils sont inférieurs à leur Auteur en cela même qu'ils ne sont pas incréés; ils durent néanmoins et prolongent leur existence dans la longueur des siècles Ps 21,5, selon la volonté de Dieu leur Créateur. C'est ainsi que Dieu leur donne, initialement, de devenir, ensuite, d'être.

3 Car, de même que le ciel situé au-dessus de nous, le firmament, le soleil, la lune, toutes les étoiles et toute leur splendeur Gn 2,7 ont été faits alors qu'ils n'existaient pas auparavant et durent indéfiniment selon la volonté de Dieu, on ne s'égarera pas en pensant qu'il en va de même des âmes, des esprits et de tous les êtres créés sans exception: tous les êtres créés reçoivent le commencement de leur existence, mais ils durent aussi longtemps que Dieu veut qu'ils existent et qu'ils durent. L'Esprit prophétique témoigne, lui aussi, en faveur de cette doctrine, en disant: "Car il a dit et ils ont été faits, il a commandé et ils ont été créés; il les a établis pour les siècles et les siècles des siècles Ps 148,5-6 Ps 33,9". Il dit encore à propos de l'homme destiné à être sauvé: "Il t'a demandé la vie, et tu lui as donné la longueur des jours pour les siècles des siècles Ps 20,5." Le Père de toutes choses donne donc aussi la durée pour les siècles des siècles à ceux qui sont sauvés: car ce n'est pas de nous ni de notre nature que vient la vie, mais elle nous est donnée selon la grâce de Dieu 1Co 3,10. Et c'est pourquoi celui qui garde le don de la vie et rend grâces à Celui qui le lui a donné recevra aussi "la longueur des jours pour les siècles des siècles"; mais celui qui rejette ce don, qui ne témoigne qu'ingratitude à son Créateur pour l'existence reçue et qui refuse de reconnaître le Donateur, celui-là se prive lui-même de la durée pour les siècles des siècles. C'est aussi pourquoi le Seigneur disait à ceux qui se montraient ingrats envers lui: "Si vous n'êtes pas fidèles dans les petites choses, qui vous donnera les grandes Lc 16,11 ?" Il voulait dire que, s'ils se montraient ingrats, durant la courte vie temporelle, à l'égard de Celui qui la leur avait donnée, c'est en toute justice qu'ils ne recevraient pas de lui "la longueur des jours pour les siècles des siècles" .

4 Car, de même que le corps animé par l'âme n'est pas lui-même l'âme, mais participe à l'âme aussi longtemps que Dieu le veut, de même l'âme n'est pas elle-même la vie, mais participe à la vie que Dieu lui donne. C'est pourquoi la parole prophétique dit du premier homme: "Il fut fait âme vivante Gn 2,7": elle nous enseigne que c'est par une participation à la vie que l'âme a été faite vivante, de telle sorte qu'autre chose est l'âme et autre chose la vie qui est en elle. Si donc Dieu donne et la vie et la durée perpétuelle de cette vie, il n'y a nulle impossibilité à ce que les âmes, quoique n'ayant pas existé d'abord, durent ensuite, puisque c'est Dieu qui veut et qu'elles existent et qu'elles se maintiennent dans cette existence. Car ce qui doit commander et dominer en tout, c'est la volonté de Dieu; tout le reste doit céder devant elle, se subordonner à elle, se mettre à son service. Mais en voilà assez sur la production de l'âme et sa permanence dans l'existence.




III. THÈSE DE BASILIDE SUR LE GRAND NOMBRE DES CIEUX



235 35 1 En ce qui concerne Basilide, on peut ajouter à ce qui a déjà été dit la considération suivante: d'après son propre système, il sera contraint de dire que non seulement 365 cieux ont été faits successivement les uns par les autres, mais qu'une multitude innombrable de cieux a depuis toujours été faite, est faite et sera faite, et que cette fabrication de cieux ne cessera jamais. Si, en effet, par dérivation du premier ciel, un second a été fait à son image, puis un troisième à l'image du second, et ainsi de suite, il faut nécessairement que de notre ciel, qu'il appelle le dernier, soit dérivé aussi un autre ciel semblable à lui, puis, de celui-ci, un autre encore. Jamais, par conséquent, ne cessera ni la dérivation à partir des cieux déjà faits ni la fabrication des nouveaux, et l'on devra poser, non un nombre défini, mais un nombre illimité de cieux.



IV. THÈSE DES "GNOSTIQUES" SUR LA PLURALITÉ DES DIEUX



2 Quant à tous ceux qu'on appelle abusivement "Gnostiques" et qui disent que les prophètes ont prophétisé de la part de différents Dieux, on les réfutera sans peine à partir du fait que tous les prophètes ont prêché un seul Dieu et Seigneur, Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils contiennent Ex 20,11 Ps 146,6 Ac 4,24 Ac 14,15, et ont annoncé la venue de son Fils, comme nous le prouverons à partir des Écritures elles-mêmes dans les livres suivants.

3 Peut-être nous opposera-t-on les différents vocables hébraïques figurant dans les Écritures, tels que Sabaoth, Éloé, Adonaï, etc., et s'efforcera-t-on de démontrer par eux l'existence de Puissances et de Dieux différents. Qu'on sache donc que tous les vocables de ce genre sont des désignations et des appellations d'un seul et même être. En effet, le mot Éloé, en hébreu, signifie "le vrai Dieu", Elloeuth, en hébreu, signifie "Ce qui contient toutes choses". Le mot Adonaï désigne "l'Innommable et l'Admirable"; avec un double delta et une aspiration, c'est-à-dire sous la forme Haddonaï, il désigne "Celui qui sépare la terre d'avec les eaux pour que celles-ci ne puissent plus envahir la terre". De même Sabaôth, avec un o long dans la dernière syllabe, signifie "Celui qui veut"; avec un o bref, c'est-à-dire sous la forme Sabaoth, il désigne "le premier ciel". De même encore, le mot Jaôth signifie "la mesure fixée d'avance", tandis que le mot Jaoth signifie "Celui qui fait fuir les maux". Tous les autres noms sont pareillement des appellations d'un seul et même être: ainsi, par exemple, Seigneur des Puissances, Père de toutes choses, Dieu tout-puissant, Très-Haut, Seigneur des cieux, Créateur, Ordonnateur, etc. Tous ces noms appartiennent, non à des êtres différents, mais à un seul et au même: ils désignent un seul Dieu et Père, qui contient toutes choses et donne à toutes l'existence.


Conclusion

4 Qu'avec nos paroles s'accordent la prédication des apôtres, l'enseignement du Seigneur, l'annonce des prophètes et le ministère de la Loi, tous louant un seul et même Dieu Père, et non tel Dieu et tel autre; que toutes choses tirent leur origine, non de différents Dieux ou Puissances, mais d'un seul et même Père, qui n'en règle pas moins la disposition des êtres selon leurs natures respectives; que les choses visibles et invisibles et tous les êtres sans exception aient été faits Jn 1,3, non par des Anges ni par quelque autre Puissance, mais par le seul Dieu et Père: tout cela, je pense, a été prouvé suffisamment par les nombreuses pages en lesquelles il a déjà été montré qu'il n'y a qu'un seul Dieu et Père, Créateur de toutes choses. Cependant, pour ne pas paraître esquiver la preuve tirée des Écritures du Seigneur - car les Écritures elles-mêmes proclament cette doctrine d'une manière encore bien plus manifeste et plus claire, du moins pour ceux qui ne s'y appliquent pas dans des dispositions perverses -, nous allons, dans le livre suivant, exposer ces Écritures, et ce sont des preuves tirées des Écritures divines que, de la sorte, nous mettrons sous les yeux de tous ceux qui aiment la vérité.





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LIVRE III


PRÉFACE



Pr Tu nous avais prescrit, cher ami, de produire au grand jour les doctrines soi-disant " secrètes" des disciples de Valentin, d'en montrer la diversité et d'y joindre une réfutation. Nous avons donc entrepris, en les démasquant à partir de Simon, le père de tous les hérétiques, de faire connaître leurs écoles et leurs filiations et de nous opposer à eux tous. Mais, s'il suffit d'un ouvrage pour les démasquer, il en faut plusieurs pour les réfuter. D'où les livres que nous t'avons envoyés: le premier contient leurs doctrines à tous, révèle leurs usages et les particularités de leur comportement; le second réfute leurs enseignements pervers, les met à nu, les fait apparaître tels qu'ils sont. Dans ce troisième livre, nous ajouterons des preuves tirées des Écritures: de la sorte, tu ne seras frustré d'aucune des choses que tu nous avais prescrites, et même, par delà ton attente, tu recevras de nous les moyens de démasquer et de réfuter tous ceux qui, de quelque façon que ce soit, enseignent l'erreur. Car la charité qui est enracinée en Dieu est riche et généreuse: elle donne plus qu'on ne lui demande. Rappelle-toi donc ce que nous avons dit dans les deux premiers livres; en y joignant le présent ouvrage, tu disposeras d'une argumentation très complète contre tous les hérétiques, et tu lutteras contre eux avec assurance et détermination pour la seule foi vraie et vivifiante, que l'Église a reçue des apôtres et qu'elle transmet à ses enfants.




PRELIMINAIRE



LA VERITE DES ECRITURES



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Comment, par les apôtres, l'Eglise a reçu l'Evangile

Le Seigneur de toutes choses a en effet donné à ses apôtres le pouvoir d'annoncer l'Evangile Mt 28,18-19 Mc 16,15, et c'est par eux que nous avons connu la vérité, c'est-à-dire l'enseignement du Fils de Dieu. C'est aussi à eux que le Seigneur a dit: "Qui vous écoute m'écoute, et qui vous méprise me méprise et méprise Celui qui m'a envoyé Lc 10,16." 1 1 Car ce n'est pas par d'autres que nous avons connu l' "économie" de notre salut, mais bien par ceux par qui l'Evangile nous est parvenu. Cet Évangile, ils l'ont d'abord prêché; ensuite, par la volonté de Dieu, ils nous l'ont transmis dans des Écritures, pour qu'il soit le fondement et la colonne de notre foi.

Car il n'est pas non plus permis de dire qu'ils ont prêché avant d'avoir reçu la connaissance parfaite, comme osent le prétendre certains, qui se targuent d'être les correcteurs des apôtres. En effet, après que notre Seigneur fut ressuscité d'entre les morts et que les apôtres eurent été, par la venue de l'Esprit Saint Ac 1,8, revêtus de la force d'en haut Lc 24,49, ils furent remplis de certitude au sujet de tout et ils possédèrent la connaissance parfaite-, et c'est alors qu'ils s'en allèrent jusqu'aux extrémités de la terre Ps 19,5 Rm 10,18 Ac 1,8, proclamant la bonne nouvelle des biens Is 52,7 Rm 10,15 qui nous viennent de Dieu et annonçant aux hommes la paix céleste Lc 2,13-14: ils avaient, tous ensemble et chacun pour son compte, l'" Évangile de Dieu Rm 1,1 Rm 15,16 2Co 11,7 1Th 2,3 1Th 2,8 1Th 2,9 1P 4,17".

Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d'Évangile, à l'époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Église. Après la mort de ces derniers, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Evangile que prêchait celui-ci Ga 2,2 1Th 2,9. Puis Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine Jn 13,23 Jn 21,20, publia lui aussi l'Évangile, tandis qu'il séjournait à Ephèse en Asie.

2 Et tous ceux-là nous ont transmis l'enseignement suivant: un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre, qui fut prêché par la Loi et les prophètes, et un seul Christ, Fils de Dieu. Si donc quelqu'un leur refuse son assentiment, il méprise ceux qui ont eu part au Seigneur He 3,14, méprise aussi le Seigneur lui-même, méprise enfin le Père Lc 10,16; il se condamne lui-même Tt 3,11, parce qu'il résiste 2Tm 2,25 et s'oppose à son salut, - ce que font précisément tous les hérétiques.


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Les hérétiques n'admettent ni les Écritures ni la Tradition

2 1 En effet, lorsqu'ils se voient convaincus à partir des Écritures, ils se mettent à accuser les Ecritures elles-mêmes: elles ne sont ni correctes ni propres à faire autorité, leur langage est équivoque, et l'on ne peut trouver la vérité à partir d'elles si l'on ignore la Tradition. Car, disent-ils, ce n'est pas par des écrits que cette vérité a été transmise, mais de vive voix, ce qui a fait dire à Paul: "Nous "parlons" sagesse parmi les parfaits, mais sagesse qui n'est pas celle de ce siècle 1Co 2,6." Et cette sagesse, chacun d'eux veut qu'elle soit celle qu'il a découverte par lui-même, autrement dit une fiction de son imagination. Aussi est-il normal que, d'après eux, la vérité soit tantôt chez Valentin, tantôt chez Marcion, tantôt chez Cérinthe, puis chez Basilide, ou encore chez quelque autre disputeur n'ayant jamais pu prononcer une parole salutaire. Car chacun d'eux est si foncièrement perverti que, corrompant la règle de vérité, il ne rougit pas de se prêcher lui-même 2Co 4,5.

2 Mais lorsqu'à notre tour nous en appelons à la Tradition qui vient des apôtres et qui, grâce aux successions des presbytres, se garde dans les Églises, ils s'opposent à cette Tradition: plus sages que les presbytres et même que les apôtres, ils ont, assurent-ils, trouvé la vérité pure, car les apôtres ont mêlé des prescriptions de la Loi aux paroles du Sauveur; et non seulement les apôtres, mais le Seigneur lui-même a prononcé des paroles venant tantôt du Démiurge, tantôt de l'Intermédiaire, tantôt de la Suprême Puissance, quant à eux, c'est sans le moindre doute, sans contamination aucune et à l'état pur qu'ils connaissent le mystère secret Ep 3,9 Col 1,26. Et voilà bien le plus impudent des blasphèmes à l'endroit de leur Créateur ! Il se trouve donc qu'ils ne s'accordent plus ni avec les Ecritures ni avec la Tradition.

3 Tels sont les gens qu'il nous faut combattre, mon cher ami. Glissant comme des serpents, ils cherchent à s'échapper de tous côtés: aussi est-ce de toutes parts qu'il faut leur tenir tête, dans l'espoir que nous pourrons, en les refoulant, amener quelques-uns d'entre eux à se convertir à la vérité. Car, s'il n'est pas facile de faire changer de sentiment une âme possédée par l'erreur, du moins n'est-il pas absolument impossible que l'erreur s'enfuie quand on met en face d'elle la vérité.


303

La Tradition apostolique de l'Église.

3 1 Ainsi donc, la Tradition des apôtres, qui a été manifestée dans le monde entier, c'est en toute Église qu'elle peut être perçue par tous ceux qui veulent voir la vérité. Et nous pourrions énumérer les évêques qui furent établis par les apôtres dans les Églises, et leurs successeurs jusqu'à nous. Or ils n'ont rien enseigné ni connu qui ressemble aux imaginations délirantes de ces gens-là. Si pourtant les apôtres avaient connu des mystères secrets qu'ils auraient enseignés aux "parfaits", à part et à l'insu des autres, c'est bien avant tout à ceux à qui ils confiaient les Églises elles-mêmes qu'ils auraient transmis ces mystères. Car ils voulaient que fussent absolument parfaits et en tout point irréprochables 1Tm 3,2 ceux qu'ils laissaient pour successeurs et à qui ils transmettaient leur propre mission d'enseignement: si ces hommes s'acquittaient correctement de leur charge, ce serait un grand profit, tandis que, s'ils venaient à faillir, ce serait le pire malheur.

2 Mais comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que celui-ci, d'énumérer les successions de toutes les Églises, nous prendrons seulement l'une d'entre elles, l'Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome; en montrant que la Tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle annonce aux hommes Rm 1,8 sont parvenues jusqu'à nous par des successions d'évêques, nous confondrons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des groupements illégitimes: car avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Église, c'est-à-dire les fidèles de partout, - elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres.

3 Donc, après avoir fondé et édifié l'Église, les bienheureux apôtres remirent à Lin la charge de l'épiscopat; c'est de ce Lin que Paul fait mention dans les épîtres à Timothée 2Tm 4,21. Anaclet lui succède. Après lui, en troisième lieu à partir des apôtres, l'épiscopat échoit à Clément. Il avait vu les apôtres eux-mêmes et avait été en relations avec eux: leur prédication résonnait encore à ses oreilles et leur Tradition était encore devant ses yeux. Il n'était d'ailleurs pas le seul, car il restait encore à cette époque beaucoup de gens qui avaient été instruits par les apôtres. Sous ce Clément, donc, un grave dissentiment se produisit chez les frères de Corinthe; l'Église de Rome adressa alors aux Corinthiens une très importante lettre pour les réconcilier dans la paix, renouveler leur foi et leur annoncer la Tradition qu'elle avait naguère reçue des apôtres, à savoir: un seul Dieu tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre , qui a modelé l'homme Gn 3,7, fait venir le déluge Gn 6,17, appelé Abraham Gn 12,1, fait sortir son peuple de la terre d'Égypte Ex 3,10, conversé avec Moïse Ex 3,4, donné la Loi Ex 20-31, envoyé les prophètes Is 6,8 Jr 1,7 Ez 2,3, préparé un feu pour le diable et ses anges Mt 25,41. Que ce Dieu-là même soit annoncé par les Églises comme étant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, tous ceux qui le veulent peuvent l'apprendre par cet écrit, tout comme ils peuvent connaître par lui la Tradition apostolique de l'Église, puisque cette lettre est plus ancienne que les actuels fauteurs d'erreur qui imaginent faussement un autre Dieu au-dessus du Créateur et, de l'Auteur de tout ce qui existe. A ce Clément succède Evariste; à Évariste, Alexandre; puis, lc sixième à partir des apôtres, Xyste est établi; après lui, Télesphore, qui rendit glorieusement témoignage; ensuite Hygin; ensuite Pie; après lui, Anicet; Soter ayant succédé à Anicet, c'est maintenant Éleuthère qui, en douzième lieu à partir des apôtres, détient la fonction de l'épiscopat. Voilà par quelle, suite et quelle succession la Tradition se trouvant dans l'Église à partir des apôtres et la prédication de la vérité sont parvenues jusqu'à nous. Et c'est là une preuve très complète qu'elle est une et identique à elle-même, cette foi vivifiante qui, dans l'Église, depuis les apôtres jusqu'à maintenant, s'est conservée et transmise dans la vérité.

4 Mais on peut nommer également Polycarpe. Non seulement il fut disciple des apôtres et vécut avec beaucoup de gens qui avaient vu le Seigneur, mais c'est encore par des apôtres qu'il fut établi, pour l'Asie, comme évêque dans l'Église de Smyrne. Nous-même l'avons vu dans notre prime jeunesse - car il vécut longtemps et c'est dans une vieillesse avancée que, après avoir rendu un glorieux et très éclatant témoignage, il sortit de cette vie -. Or il enseigna toujours la doctrine qu'il avait apprise des apôtres, doctrine qui est aussi celle que l'Église transmet et qui est la seule vraie. C'est ce dont témoignent toutes les Églises d'Asie et ceux qui jusqu'à ce jour ont succédé à Polycarpe, qui était un témoin de la vérité autrement digne de foi et sûr que Valentin, Marcion et tous les autres tenants d'opinions fausses. Venu à Rome sous Anicet, il détourna des hérétiques susdits un grand nombre de personnes et les ramena à l'Église de Dieu, en proclamant qu'il n'avait reçu des apôtres qu'une seule et unique vérité, celle-là même qui était transmise par l'Église. Certains l'ont entendu raconter que Jean, le disciple du Seigneur, étant allé aux bains à Ephèse, aperçut Cérinthe à l'intérieur; il bondit alors hors des thermes sans s'être baigné, en s'écriant: "Sauvons-nous, de peur que les thermes ne s'écroulent, car à l'intérieur se trouve Cérinthe, l'ennemi de la vérité !" Et Polycarpe lui-même, à Marcion qui l'abordait un jour et lui disait: "Reconnais-nous", "Je te reconnais, répondit-il, pour le premier-né de Satan." Si grande était la circonspection des apôtres et de leurs disciples, qu'ils allaient jusqu'à refuser de communier, même en paroles, avec l'un de ces hommes qui falsifiaient la vérité. Comme le dit également Paul: "L'hérétique, après un premier et un deuxième avertissement, rejette-le, sachant qu'un tel homme est perverti et qu'en péchant il est lui-même l'auteur de sa condamnation Tt 3,10-11." Il existe aussi une très importante lettre de Polycarpe écrite aux Philippiens, où ceux qui le veulent et qui ont le souci de leur salut peuvent apprendre et le trait distinctif de sa foi et la prédication de la vérité. Ajoutons enfin que l'Église d'Éphèse, fondée par Paul et où Jean demeura jusqu'à l'époque de Trajan, est aussi un témoin véridique de la Tradition des apôtres.

304 4 l Telle étant la force de ces preuves, il ne faut donc plus chercher auprès d'autres la vérité qu'il est facile de recevoir de l'Église, car les apôtres, comme en un riche cellier, ont amassé en elle, de la façon la plus plénière, tout ce qui a trait à la vérité, afin que quiconque le désire y puise le breuvage de la vie Ap 22,17. C'est elle, en effet, qui est la voie d'accès à la vie, "tous" les autres "sont des voleurs et des brigands ". C'est pourquoi il faut les rejeter Tt 3,10, mais aimer par contre avec un zèle extrême ce qui est de l'Eglise et saisir la Tradition de la vérité. Eh quoi ! S'il s'élevait une controverse sur quelque question de minime importance, ne faudrait-il pas recourir aux Églises les plus anciennes, celles où les apôtres ont vécu, pour recevoir d'elles sur la question en cause la doctrine exacte? Et à supposer même que les apôtres ne nous eussent pas laissé d'Ecritures, ne faudrait-il pas alors suivre l'ordre de la Tradition qu'ils ont transmise à ceux à qui ils confiaient ces Églises ?

2 C'est à cet ordre que donnent leur assentiment beaucoup de peuples barbares qui croient au Christ: ils possèdent le salut, écrit sans papier ni encre 2Jn 1,12 par l'Esprit dans leurs cours 2Co 3,3, et ils gardent scrupuleusement l'antique Tradition, croyant en un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils renferment Ex 20,11 Ps 146,6 Ac 4,24 Ac 14,15, et au Christ Jésus, le Fils de Dieu, qui, à cause de son surabondant amour Ep 3,19 pour l'ouvrage par lui modelé, a consenti à être engendré de la Vierge pour unir lui-même par lui-même l'homme à Dieu, qui a souffert sous Ponce Pilate, est ressuscité et a été enlevé dans la gloire 1Tm 3,16, qui viendra dans la gloire Mt 16,27 Mt 24,30 Mt 25,31 comme Sauveur de ceux qui seront sauvés et Juge de ceux qui seront jugés et enverra au feu éternel Mt 25,41 ceux qui défigurent la vérité et qui méprisent son Père et sa propre venue. Ceux qui sans lettres ont embrassé cette foi sont, pour ce qui est du langage, des barbares; mais, pour ce qui est des pensées, des usages, de la manière de vivre, ils sont, grâce à leur foi, suprêmement sages et ils plaisent à Dieu, vivant en toute justice, pureté et sagesse. Et s'il arrivait que quelqu'un leur annonçât les inventions des hérétiques en s'adressant à eux dans leur propre langue, aussitôt ils se boucheraient les oreilles et s'enfuiraient au plus loin, sans même consentir à entendre ces discours blasphématoires. Ainsi, grâce à l'antique Tradition des apôtres, rejettent-ils jusqu'à la pensée de l'une quelconque des inventions mensongères des hérétiques.


La nouveauté des hérésies

Inventions mensongères, certes, car il n'y eut chez ces derniers ni groupement ni enseignement dûment institués: 3 avant Valentin il n'y eut pas de disciples de Valentin, avant Marcion il n'y eut pas de disciples de Marcion, et aucun des autres tenants d'opinions fausses que nous avons catalogués précédemment n'exista avant que n'apparussent les mystagogues et les inventeurs de leurs perversités. Valentin vint en effet à Rome sous Hygin; il atteignit son apogée sous Pie et se maintint jusqu'à Anicet. Cerdon, le prédécesseur de Marcion, vécut lui aussi sous Hygin, qui fut le huitième évêque; il vint dans l'Église et y fit même publiquement pénitence; mais il n'en persévéra pas moins dans l'hérésie, tantôt enseignant en secret, tantôt faisant à nouveau pénitence, tantôt enfin convaincu d'enseigner l'erreur et retranché de la communauté des frères. Marcion, qui lui succéda, atteignit son apogée sous Anicet, qui détint en dixième lieu l'épiscopat. Quant à tous ceux que l'on appelle "Gnostiques", ils tirent leur origine, comme nous l'avons montré, de Ménandre, disciple de Simon: chacun d'eux, suivant l'opinion qu'il a adoptée, est apparu comme le père et le mystagogue de cette opinion. C'est à une époque fort tardive, au moment où les temps de l'Eglise atteignaient déjà leur milieu, que tous ces gens-là se sont dressés dans leur apostasie.


305

Le Christ et les apôtres ont prêché selon la vérité, non selon les idées préconçues de leurs auditeurs.

5 1 Telle étant donc la manière dont la Tradition issue des apôtres se présente dans l'Eglise et subsiste parmi nous, revenons à la preuve tirée des Ecritures de ceux d'entre les apôtres qui ont mis par écrit l'Evangile, Ecritures dans lesquelles ils ont consigné leur pensée sur Dieu, non sans montrer que notre Seigneur Jésus-Christ était la Vérité Jn 14,6 et qu'il n'y avait pas de mensonge en lui. Ce que David, prophétisant sa naissance d'une Vierge et sa résurrection d'entre les morts, avait dit en ces termes: "La Vérité s'est levée de la terre Ps 84,12." Les apôtres aussi, dès lors, étant les disciples de la Vérité, sont en dehors de tout mensonge, car il n'y a pas de communion entre le mensonge et la vérité, non plus qu'entre les ténèbres et la lumière 2Co 6,14: la présence de l'un exclut l'autre. Etant donc la Vérité, notre Seigneur ne mentait pas. Partant, un être dont il aurait su qu'il était le "fruit de la déchéance", jamais assurément il ne l'aurait reconnu pour Dieu, pour Seigneur de toutes choses, pour grand Roi et pour son propre Père Mt 5,34-35 Mt 11,25: jamais il n'aurait décerné de tels titres, lui, le parfait, à l'imparfait; lui, le spirituel, au psychique, lui, qui est dans le Plérôme, à celui qui eût été hors du Plérôme. Ses disciples non plus n'auraient pas donné le nom de Dieu ou de Seigneur à un autre que celui qui est vraiment le Dieu et le Seigneur de toutes choses. C'est pourtant ce que prétendent ces vains sophistes: selon eux, les apôtres, avec hypocrisie, ont composé leur enseignement suivant la capacité de leurs auditeurs et leurs réponses selon les préjugés de ceux qui les interrogeaient; aux aveugles ils parlaient dans le sens de leur aveuglement, aux malades, dans le sens de leur maladie, aux égarés, dans le sens de leur égarement; à ceux qui croyaient que le "Démiurge" est le seul Dieu, c'est celui-ci qu'ils annonçaient, tandis que, à ceux qui saisissaient le "Père" innommable, ils exprimaient à l'aide de paraboles et d'énigmes le mystère inexprimable. Ainsi, ce n'est pas selon les exigences de la vérité, mais avec hypocrisie et en se conformant à la capacité de chacun, que le Seigneur et les apôtres auraient livré leur enseignement.

2 Ce n'est pas là, répondrons-nous, le fait de gens qui guérissent et qui vivifient, mais bien plutôt de gens qui aggravent et augmentent l'ignorance de leurs auditeurs, et la Loi se trouvera être beaucoup plus vraie qu'eux, elle qui déclare maudit quiconque égare l'aveugle en son chemin Dt 27,18. En fait, les apôtres, envoyés pour retrouver les égarés, éclairer les aveugles et guérir les malades, ne leur parlaient certainement pas selon leurs opinions du moment, mais selon ce qu'exigeait la manifestation de la vérité. Car personne n'agirait bien, si, alors que des aveugles seraient sur le point de tomber dans un précipice, il les engageait à poursuivre une voie aussi périlleuse, comme si c'était réellement le droit chemin qui dût les conduire au terme. Et quel médecin, voulant guérir un malade, se conformerait aux caprices du malade plutôt qu'aux règles de la médecine? Or, que le Seigneur soit venu comme médecin des mal portants, lui-même l'atteste, lorsqu'il dit: "Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les mal portants. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence Lc 5,31-32." Comment donc les mal portants se rétabliront-ils? Et comment les pécheurs feront-ils pénitence? Est-ce en persévérant dans les mêmes dispositions? N'est-ce pas au contraire en acceptant un profond changement et retournement de leur ancienne manière de vivre, par laquelle ils ont amené sur eux une maladie peu banale et de nombreux péchés? Or l'ignorance, mère de tous ces maux, n'est détruite que par la connaissance. C'est donc bien la connaissance que le Seigneur produisait en ses disciples, et c'est par elle qu'il guérissait les malades et détournait les pécheurs de leur péché. Ce n'est donc pas dans le sens de leurs opinions antérieures qu'il leur parlait, ni selon les préjugés de ses interrogateurs qu'il répondait, mais selon la doctrine de salut, sans hypocrisie ni acception de personnes 1P 1,17.

3 Cela ressort également des paroles du Seigneur, qui, parlant à des circoncis, leur montrait que le Christ qu'avaient annoncé les prophètes était le Fils de Dieu; autrement dit, il se manifestait lui-même comme étant Celui qui rend aux hommes la liberté et leur procure l'héritage de l'incorruptibilité. De leur côté, s'adressant à des païens, les apôtres leur enseignaient à abandonner les vaines idoles Ac 14,15 de bois et de pierre Is 37,19 Sg 14,21 qu'ils prenaient pour des dieux, à honorer le vrai Dieu qui a constitué et fait toute la race humaine et qui par sa création la nourrit, l'accroît, l'affermit et lui donne de subsister, et à attendre son Fils 1Th 1,10 Jésus-Christ, qui nous a rachetés à l'Apostasie par son sang Ap 5,9 1P 1,18 afin que nous soyons, nous aussi, un peuple sanctifié He 13,12 1P 2,9, - lui qui descendra des cieux 1Th 4,16 dans la puissance Mt 24,30 de son Père, fera le jugement de tous les hommes et donnera les biens venant de Dieu à ceux qui auront gardé ses préceptes Jn 15,10. C'est lui qui, étant apparu aux derniers temps comme la pierre du sommet de l'angle 1P 2,6 Ep 2,20, a rassemblé en un et réuni ceux qui étaient loin et ceux qui étaient près Ep 2,17, c'est-à-dire les circoncis et les incirconcis, donnant de l'espace à Japhet et le faisant habiter dans la maison de Sem Gn 9,27.





PREMIÈRE PARTIE



UN SEUL DIEU, CRÉATEUR DE TOUTES CHOSES


I. TÉMOIGNAGE GLOBAL DES ECRITURES SUR L'UNIQUE VRAI DIEU



Irénée adv. Hérésies Liv.2 ch.34