Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.6

306

Témoignage de l'Esprit prophétique

6 1 Donc ni le Seigneur ni l'Esprit Saint ni les apôtres n'ont jamais appelé Dieu, au sens propre du terme, qui que ce fût qui n'eût pas été le vrai Dieu; jamais non plus ils n'ont appelé Seigneur, de façon absolue, personne d'autre que Dieu le Père, qui domine sur toutes choses, et son Fils, qui a reçu de son Père la souveraineté sur toute la création. Comme le dit ce texte de l'Écriture: "Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite, jusqu'à ce que je mette tes ennemis comme escabeau sous tes pieds Ps 110,1." Le Père y est montré parlant au Fils: il lui donne l'héritage des nations Ps 2,8 et lui soumet tous ses ennemis. Puisque le Père est vraiment Seigneur et le Fils vraiment Seigneur, c'est à bon droit que l'Esprit Saint les a désignés par l'appellation de "Seigneur". L'Écriture dit de même dans le récit de la destruction de Sodome: "Le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du feu et du soufre venant du Seigneur du ciel Gn 19,24." Cette phrase doit s'entendre en ce sens que le Fils, qui vient de s'entretenir avec Abraham Gn 18,17-32, a reçu du Père le pouvoir de condamner les habitants de Sodome à cause de leur iniquité. Il en va pareillement du texte suivant: "Ton trône, ô Dieu, est pour toujours; c'est un sceptre de droiture que le sceptre de ta royauté. Tu as aimé la justice et haï l'iniquité; c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t'a consacré par l'Onction Ps 45,7-8." L'Esprit les a désignés tous les deux par l'appellation de " Dieu", tant celui qui reçoit l'Onction, c'est-à-dire le Fils, que celui qui la confère, c'est-à-dire le Père. De même encore: "Dieu s'est tenu dans l'assemblée de Dieu, au milieu de celle-ci il juge les dieux Ps 82,1." Ce texte parle du Père, du Fils et de ceux qui ont reçu la filiation adoptive Rm 8,15 Ga 4,5. Ces derniers sont l'Eglise: car elle est "l'assemblée de Dieu", que "Dieu", c'est-à-dire le Fils, a lui-même et par lui-même réunie. C'est encore de ce même Fils qu'il est dit: "Le Dieu des dieux, le Seigneur, a parlé et il a appelé la terre Ps 50,1." Quel est ce "Dieu"? Celui dont il est dit: "Dieu viendra d'une manière manifeste, oui, notre Dieu viendra, et il ne gardera pas le silence Ps 50,2-3." Il s'agit du Fils, venu vers les hommes dans une manifestation de lui-même, lui qui dit: "Je me suis manifesté à ceux qui ne me cherchaient pas Is 65,1." Et quels sont ces "dieux"? Ceux à qui il dit: "J'ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut Ps 82,6." Il s'agit de ceux qui ont reçu la grâce de la filiation adoptive par laquelle "nous crions: Abba, Père Rm 8,15 Ga 4,5-6".

2 Ainsi personne d'autre, comme je viens de le dire, n'est appelé Dieu ou Seigneur, sinon Celui qui est Dieu et Seigneur de toutes choses - lui qui a dit à Moïse: "Je suis Celui qui suis", et: "Tu parleras ainsi aux enfants d'Israël: Celui qui est m'a envoyé vers vous Ex 3,14" - et son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur, qui rend fils de Dieu ceux qui croient en son nom Jn 1,12. Il en va encore de même lorsque le Fils dit à Moïse: "Je suis descendu pour délivrer ce peuple Ex 3,8." C'est bien lui, en effet, qui est descendu et qui est remonté Ep 4,9-10 Jn 3,13 pour le salut des hommes. Ainsi donc, par le Fils, qui est dans le Père et qui a en lui le Père Jn 14,10-11, le Dieu "qui est" s'est manifesté, le Père rendant témoignage au Fils Jn 5,37 et le Fils annonçant le Père Jn 17,26, selon ce que dit aussi Isaïe: "Je suis témoin, dit le Seigneur Dieu, ainsi que l'Enfant que j'ai choisi, pour que vous sachiez et que vous croyiez et que vous compreniez que je suis Is 43,10."

3 Par contre, lorsqu'elle veut désigner des dieux qui ne le sont pas, l'Écriture, ainsi que je l'ai déjà dit, ne les présente pas comme des dieux d'une façon absolue, mais avec quelque indication supplémentaire par laquelle elle fait bien voir qu'ils ne sont pas des dieux. Ainsi dans David: "Les dieux des nations, idoles de démons Ps 96,5"; et encore: "Vous ne suivrez pas des dieux étrangers Ps 81,10 Jr 35,15." Par là même qu'il les dit "dieux des nations" - les nations, on le sait, ignorent le vrai Dieu Ps 79,6 Jr 10,25 1Th 4,5 - et qu'il les nomme "dieux étrangers", il exclut qu'ils soient des dieux; d'autre part, parlant absolument, il dit ce qu'il en est de ces prétendus dieux: ce ne sont, dit-il, qu'"idoles de démons". Isaïe dit aussi: "Qu'ils soient couverts de confusion, tous ceux qui modèlent Dieu et sculptent des oeuvres vaines Is 44,9-10 !" Il exclut que ce soient là des dieux; s'il se sert du mot "Dieu", c'est seulement pour que nous sachions de quoi il parle. Jérémie dit de même: "Ces dieux qui n'ont pas fait le ciel et la terre, qu'ils disparaissent de la terre qui est sous le ciel Jr 10,11 !" Par là même qu'il évoque la perspective de leur disparition, il fait bien voir qu'ils ne sont pas des dieux. Élie lui aussi, ayant convoqué tout le peuple d'Israël sur le mont Carmel et voulant le détourner de l'idolâtrie, lui dit: "Jusques à quand clocherez-vous sur les deux jarrets? Il n'y a qu'un unique Seigneur Dieu, venez à sa suite 1R 18,21." Et une seconde fois, devant l'holocauste, il parla ainsi aux prêtres des idoles: "Vous invoquerez le nom de vos dieux, et moi j'invoquerai le nom du Seigneur mon Dieu: le Dieu qui nous exaucera aujourd'hui, c'est lui qui est Dieu 1R 18,24." En s'exprimant de la sorte, le prophète montrait que ceux qu'ils prenaient pour des dieux n'en étaient pas, et il les tournait vers le Dieu en qui il croyait lui-même et qui était vraiment Dieu, celui qu'il invoquait par ce cri: "Seigneur, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, exauce-moi aujourd'hui, et que tout ce peuple comprenne que c'est toi le Dieu d'Israël 1R 18,36 !"

4 Je T'invoque donc, moi aussi, Seigneur, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob et d'Israël 1R 18,36, Toi qui es le Père de notre Seigneur Jésus-Christ 2Co 1,3 2Co 11,31 Ep 1,3 Ep 3,14 Col 1,3 1P 1,3, Dieu qui dans l'abondance de ta miséricorde Ps 69,14 Ps 106,7 Ps 106,45, T'es complu en nous Ps 44,4 en sorte que nous Te connaissions Jn 17,3 1Jn 5,20, Toi qui as fait le ciel et la terre Is 37,16, qui domines sur toutes choses 1Ch 29,12 et qui es le seul vrai Dieu Jn 17,3 au-dessus duquel il n'est point d'autre Dieu: Toi qui, par notre Seigneur Jésus-Christ, vas jusqu'à octroyer le don de l'Esprit Saint Ac 2,38 Ac 10,45, donne à quiconque lira cet écrit de reconnaître que Tu es le seul Dieu Ps 86,10 Is 37,16 Da 3,45 2R 19,15 2R 19,19, d'être affermi en Toi Ps 71,6 et de se séparer de toute doctrine hérétique, négatrice de Dieu et sacrilège !


Témoignage de Paul

5 De son côté, l'apôtre Paul dit lui aussi: "Vous avez servi des dieux qui ne l'étaient pas, mais maintenant que vous avez connu Dieu, bien plus, que vous avez été connus de Dieu Ga 4,8-9..." Il sépare de la sorte les dieux qui ne le sont pas de Celui qui est Dieu. Il dit encore à propos de l'Antéchrist: "... l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui est appelé dieu ou est objet de culte 2Th 2,4." Il désigne ainsi les dieux qui sont appelés tels par ceux qui ignorent Dieu, c'est-à-dire les idoles: car le Père de toutes choses est appelé Dieu et il l'est, et ce n'est pas au-dessus de lui que s'élèvera l'Antéchrist, mais au-dessus des dieux qui sont appelés tels et ne le sont pas. Que telle soit bien la vérité, Paul lui-même l'assure: "Nous savons qu'une idole n'est rien et qu'il n'y a de Dieu que le Dieu unique. En effet, s'il y a des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, pour nous il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et vers qui nous allons, et qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui viennent toutes choses et par qui nous allons 1Co 8,4-6." Par là il distingue et sépare les êtres qui sont appelés dieux, mais qui ne le sont pas, du seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et, parlant absolument, il confesse de la façon la plus catégorique un seul Seigneur Jésus-Christ. Les mots "soit dans le ciel, soit sur la terre" ne sont pas, comme l'expliquent les hérétiques, une allusion à de prétendus Auteurs du monde, mais sont à rapprocher de cette parole de Moïse: "Tu ne te feras d'aucun des êtres une représentation de Dieu, qu'il s'agisse de ceux qui sont en haut dans le ciel ou de ceux qui sont en bas sur la terre ou de ceux qui sont dans les eaux au-dessous de la terre Dt 5,8." Lui-même explique quelles sont ces choses qui sont dans le ciel: "... de peur, dit-il, que, levant les yeux vers le ciel et voyant le soleil, la lune, les étoiles et toute la parure du ciel, tu ne te fourvoies en les adorant et en leur rendant un culte Dt 4,19." Moïse lui aussi, parce qu'il était un homme de Dieu, fut constitué "dieu" devant le Pharaon Ex 7,1; cependant les prophètes ne le nomment ni Seigneur ni Dieu au sens vrai de ces termes, mais l'Esprit l'appelle le fidèle Moïse, le serviteur et le familier de Dieu Nb 12,7 He 3,5, ce qu'il était effectivement.

307 7 1 Mais, objectent-ils, Paul dit ouvertement dans sa seconde épître aux Corinthiens: "... chez qui le Dieu de ce siècle a aveuglé l'esprit des incrédules 2Co 4,4", et ils en infèrent qu'autre est le "Dieu de ce siècle" et autre celui qui est au-dessus de toute Principauté et Puissance Ep 1,27 Col 1,16. Ce n'est pas notre faute, répondrons-nous, si des gens qui prétendent connaître les mystères qui sont au-dessus de Dieu ne savent même pas lire Paul ! Car, comme nous allons le montrer par plusieurs autres exemples, Paul use volontiers d'inversions de mots. Si donc, en se conformant à cette habitude de Paul, on commence par lire: ".., chez qui Dieu", puis qu'après un arrêt et un bref intervalle on lise d'une traite le reste: "de ce siècle a aveuglé l'esprit des incrédules", on obtiendra le vrai sens, qui est celui-ci: "Dieu a aveuglé l'esprit des incrédules de ce siècle." Et ce sens est indiqué par l'arrêt que l'on fait. Car Paul ne parle pas d'un "Dieu de ce siècle", comme s'il en connaissait un autre qui serait au-dessus de lui, mais il reconnaît d'abord Dieu pour "Dieu" et il parle ensuite des "incrédules de ce siècle", ainsi nommés parce qu'ils n'hériteront pas du siècle à venir Mt 12,32 Ep 7,27 He 6,5, qui est celui de l'incorruptibilité 1Co 15,50. Comment Dieu a-t-il aveuglé l'esprit des incrédules? C'est ce que nous montrerons d'après Paul lui-même dans la suite du traité, pour ne pas trop nous écarter maintenant de notre propos.

2 Que l'Apôtre use fréquemment d'inversions de mots à cause de la rapidité de ses paroles et de l'impétuosité de l'Esprit qui est en lui, on peut le constater en bien d'autres endroits. C'est ainsi qu'il dit dans l'épître aux Galates: "Qu'est-ce donc que la Loi des oeuvres? Elle a été établie jusqu'à ce que vienne la postérité à laquelle avait été faite la promesse, édictée par le ministère des anges avec le concours d'un médiateur Ga 3,19." L'ordonnance de la pensée est la suivante: "Qu'est-ce donc que la Loi des oeuvres? Édictée par le ministère des anges avec le concours d'un médiateur, elle a été établie jusqu'à ce que vienne la postérité à laquelle avait été faite la promesse." C'est bien l'homme qui interroge, et l'Esprit qui répond. Paul dit encore dans la seconde épître aux Thessaloniciens, parlant de l'Antéchrist: " Et alors se révélera l'Impie, que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa bouche et anéantira par l'éclat de sa venue, lui dont la venue s'accomplira, grâce à l'intervention de Satan, parmi toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers 2Th 2,8-9." L'ordonnance de la pensée est celle-ci: "Et alors se révélera l'Impie, dont la venue s'accomplira, grâce à l'intervention de Satan, parmi toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers, lui que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa bouche et anéantira par l'éclat de sa venue." Car ce n'est pas la venue du Seigneur que Paul dit devoir s'accomplir grâce à l'intervention de Satan, mais bien la venue de l'Impie, que nous appelons aussi l'Antéchrist. Si donc on ne fait pas attention à la manière dont on lit et si l'on néglige d'indiquer par des pauses de quelle personne Paul veut parler, on énoncera non seulement une incohérence, mais un blasphème, en donnant à entendre que la venue du Seigneur s'accomplira grâce à l'intervention de Satan ! De même donc que, dans des textes de ce genre, il faut faire sentir l'inversion des mots par la manière de lire et sauvegarder ainsi la suite de la pensée de l'Apôtre, de même, dans le cas vu plus haut, nous ne lirons pas: "le Dieu de ce siècle", niais nous commencerons à bon droit par appeler " Dieu" celui qui est Dieu; puis nous entendrons: "les incrédules et les aveugles de ce siècle", ainsi nommés parce qu'ils n'hériteront pas du siècle à venir, qui est celui de la vie.


308

Témoignage du Christ

8 1 Avec la réfutation de cette calomnie des hérétiques, la preuve est faite avec évidence que jamais les prophètes ni les apôtres n'ont appelé Dieu ou Seigneur un autre que le seul vrai Dieu. Cela est encore bien plus vrai du Seigneur lui-même, qui ordonne de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu Mt 22,21: il appelle César César et reconnaît Dieu pour Dieu. De même la parole "Vous ne pouvez servir deux Seigneurs Mt 6,24" est expliquée par le Seigneur lui-même lorsqu'il dit: "Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon Mt 6,24." Il reconnaît Dieu pour Dieu et nomme Mammon pour ce qu'il est. Il n'appelle donc pas Mammon Seigneur lorsqu'il dit: "Vous ne pouvez servir deux Seigneurs", mais il enseigne à ses disciples à servir Dieu et, par là même, à ne pas s'assujettir à Mammon et à ne pas se ranger sous sa domination, "car, dit-il, celui qui commet le péché est esclave du péché Jn 8,34". De même donc qu'il appelle esclaves du péché ceux qui servent le péché, sans pour autant appeler Seigneur le péché lui-même, de même il appelle esclaves de Mammon ceux qui servent Mammon, sans pour autant appeler Seigneur ce Mammon. Le mot "Mammon", dans le dialecte juif dont se servent les Samaritains, signifie "cupide". En hébreu, sous forme d'adjectif, ce mot se dit "Mamuel" et signifie "glouton". Tant selon l'une que selon l'autre de ces acceptions, nous ne pouvons servir Dieu et Mammon.

2 De même, le Seigneur appelle le diable le "fort", non de façon absolue, mais par comparaison avec nous, tandis qu'il se présente lui-même comme le "fort" au sens absolu du terme et en toute vérité, lorsqu'il dit que nul ne peut s'emparer des meubles du "fort" s'il n'a d'abord enchaîné ce "fort", et qu'alors il pillera sa maison Mt 12,29. Les meubles et la maison du diable, c'était nous-mêmes quand nous étions dans l'apostasie: car il se servait de nous comme il voulait, et l'esprit impur habitait en nous Mt 12,43-45. Ce n'est pas en effet contre celui qui l'enchaînait et pillait sa maison qu'il était fort, mais bien contre les hommes, dont il disposait à son gré pour avoir fait apostasier leurs pensées à l'égard de Dieu. Ces hommes, le Seigneur les a délivrés, selon ce que dit Jérémie: "Le Seigneur a racheté Jacob, il l'a délivré de la main d'un plus fort que lui Jr 31,11." Si donc le Seigneur n'avait pas signalé celui qui enchaînait le "fort" et s'emparait de ses meubles et s'il s'était borné à l'appeler le "fort", celui-ci serait invincible. Mais le Seigneur a mentionné en outre celui qui triomphait du "fort": car celui qui enchaîne est vainqueur, tandis que celui qui est enchaîné est vaincu. Et il l'a fait sans instituer de comparaison, pour qu'on ne compare pas au Seigneur un esclave apostat: car non seulement ce dernier, mais rien absolument de ce qui a été créé et se trouve dans une condition de dépendance ne peut se comparer au Verbe de Dieu par l'entremise de qui tout a été fait Jn 1,3 - ce Verbe qui est notre Seigneur Jésus-Christ.


Créateur et créatures

3 Qu'il s'agisse en effet des Anges, des Archanges, des Trônes ou des Dominations Col 1,16 le Dieu qui est au-dessus de toutes choses les a tous créés et faits par l'entremise de son Verbe. C'est ce que Jean indique expressément, car, après avoir dit du Verbe de Dieu qu'il était dans le Père Jn 1,1-2, il ajoute: "Tout a été fait par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait Jn 1,3." David lui aussi, après avoir détaillé les louanges des créatures en nommant tous les êtres que nous venons de dire ainsi que les cieux et toutes leurs puissances Ps 148,1-4, ajoute: "Car il a commandé, et ils ont été créés; il a dit, et ils ont été faits Ps 148,5 Ps 33,9." A qui donc a-t-il commandé? Au Verbe, "car c'est par son entremise, dit-il, que les cieux ont été affermis, et c'est par le Souffle de sa bouche qu'existe toute leur puissance Ps 33,6." Et qu'il ait fait toutes choses librement et comme il l'a voulu, c'est ce que dit encore David: "Notre Dieu, dans les cieux là-haut et sur la terre, tout ce qu'il a voulu, il l'a fait Ps 114,11." Or ce qui a été créé est autre que Celui qui l'a créé, et ce qui a été fait, autre que Celui qui l'a fait. Car ce dernier est incréé, est sans commencement ni fin, n'a besoin de rien, se suffit à lui-même et, de surcroît, donne à tout le reste jusqu'à l'existence même. Au contraire, tout ce qui a été fait par lui a reçu un commencement, et tout ce qui a reçu un commencement peut aussi connaître la dissolution, se trouve dans une condition de dépendance et a besoin de Celui qui l'a fait. Il est donc nécessaire que ces êtres aient une appellation différente, même chez ceux qui n'ont qu'un sens rudimentaire de ces distinctions, en sorte que Celui qui a fait toutes choses soit seul, avec son Verbe, à être légitimement appelé Dieu et Seigneur, tandis que ce qui a été fait ne pourra recevoir cette dénomination ni s'attribuer légitimement ce titre, qui appartient au Créateur.





II. EXAMEN APPROFONDI DU TÉMOIGNAGE DES ÉVANGÉLISTES SUR L'UNIQUE VRAI DIEU



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Témoignage de Matthieu

9 1 Il a donc été montré clairement - et cela sera montré avec plus d'évidence encore - que ni les prophètes ni les apôtres ni le Seigneur Christ, parlant absolument, n'ont reconnu pour Seigneur et Dieu personne d'autre que Celui qui est de façon exclusive Dieu et Seigneur: car les prophètes et les apôtres ont confessé le Père et le Fils et n'ont appelé Dieu ou Seigneur personne d'autre, et, de son côté, le Seigneur lui-même n'a pas enseigné à ses disciples d'autre Dieu et Seigneur que son Père, qui est le seul Dieu et qui domine sur toutes choses. En conséquence il nous faut, si du moins nous sommes leurs disciples, suivre leurs témoignages, qui se présentent de la manière que voici.

L'apôtre Matthieu ne connaît qu'un seul et même Dieu, qui a promis à Abraham de rendre sa postérité pareille aux étoiles du ciel Gn 15,5 et qui, par son Fils, le Christ Jésus, nous a appelés du culte des pierres à sa connaissance, afin que "celui qui n'était pas un peuple devînt un peuple et que celle qui n'était pas aimée devînt aimée Rm 9,25 Os 2,25" (LXX). Il rapporte en effet comment Jean prépara la voie au Christ Mt 3,3 et comment, à ceux qui se glorifiaient d'une parenté charnelle, mais dont l'esprit était tortueux et rempli de toute espèce de malice, il prêcha la pénitence qui les ferait revenir de leur malice: "Race de vipères, leur disait-il, qui vous a appris à fuir la colère à venir? Faites donc un digne fruit de pénitence, et ne dites pas en vous-mêmes: Nous avons Abraham pour père ! Car, je vous le dis, de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des fils à Abraham Mt 3,7-9." Il leur prêchait donc la pénitence qui les retirerait de leur malice, mais il ne leur annonçait pas pour autant un autre Dieu, lui, le Précurseur du Christ, en dehors de Celui qui avait fait la promesse à Abraham.

Matthieu dit encore à son propos, ainsi d'ailleurs que Luc: "C'est de lui que le Seigneur a dit par la bouche du prophète: "Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu; toute vallée sera comblée, et toute montagne et colline sera abaissée; les chemins tortueux deviendront droits, les chemins raboteux seront aplanis, et toute chair verra le Salut de Dieu" Mt 3,3 Lc 3,4-6 Is 40,3-5." Il n'y a donc qu'un seul et même Dieu, le Père de notre Seigneur: c'est lui qui, par les prophètes, a promis d'envoyer le Précurseur, et c'est lui qui a rendu son "Salut", c'est-à-dire son Verbe, visible pour toute chair, en le faisant chair lui-même Jn 1,14, afin qu'à tous les êtres fût manifesté leur Roi; car il fallait que ceux qui seraient jugés vissent leur Juge et connussent Celui par qui ils seraient jugés, et il fallait aussi que ceux qui seraient glorifiés connussent Celui qui leur octroierait le don de la gloire.

2 Matthieu dit encore, en parlant de l'ange: "Un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph Mt 2,13 Mt 1,20." De quel Seigneur? Lui-même l'explique: "C'était afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait dit par le prophète: 'D'Égypte j'ai rappelé mon Fils'." "(C'était afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait dit par le prophète): 'Voici que la Vierge concevra en son sein et enfantera un Fils, et on lui donnera pour nom Emmanuel', ce qui se traduit: Dieu avec nous Mt 2,15 Os 11,1 Mt 1,22-23 Is 7,14." De cet Emmanuel né de la Vierge David avait dit: "Ne détourne pas ta face de ton Christ. Le Seigneur a juré la vérité à David et il ne le reniera point: C'est du fruit de ton sein que je placerai sur mon trône Ps 132,10-11." Et encore: " Dieu est connu en Judée; son lieu s'est établi dans la Paix et sa demeure en Sion Ps 76,2-3." Il n'y a donc qu'un seul et même Dieu, qui a été prêché par les prophètes et est annoncé par l'Evangile, ainsi que son Fils, qui est l'Emmanuel, "fruit du sein" de David, c'est-à-dire de la Vierge issue de David.

De ce même Emmanuel l'étoile avait été prophétisée par Balaam en ces termes: "Une étoile se lèvera de Jacob, et un chef surgira en Israël Nb 24,17." Or, d'après Matthieu, des mages vinrent de l'Orient et dirent: "Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer Mt 2,2." Puis, ayant été guidés par l'étoile vers la maison de Jacob Lc 1,33 jusqu'à l'Emmanuel, ils firent voir, par les présents qu'ils offrirent Mt 2,11, quel était Celui qu'ils adoraient: la myrrhe signifiait que c'était lui qui, pour notre race humaine mortelle, mourrait et serait enseveli; l'or, qu'il était le Roi dont le règne n'aurait pas de fin Lc 1,33; l'encens, enfin, qu'il était le Dieu qui venait de se faire connaître en Judée Ps 76,2, et de se manifester à ceux qui ne le cherchaient point Is 65,1 Rm 10,20.

3 Matthieu dit encore, à propos du baptême du Seigneur: "Les cieux s'ouvrirent, et il vit l'Esprit de Dieu qui descendait comme une colombe et venait sur lui. Et voici qu'une voix se fit entendre du ciel, disant: Tu es mon Fils bien aimé en qui j'ai mis mes complaisances Mt 3,16-17." Car il n'y eut pas alors une descente d'un prétendu Christ sur Jésus, et l'on ne peut prétendre qu'autre ait été le Christ et autre Jésus; mais le Verbe de Dieu, le Sauveur de tous et le Seigneur du ciel et de la terre - ce Verbe qui n'est autre que Jésus, ainsi que nous l'avons montré déjà -, pour avoir assumé une chair et avoir été oint de l'Esprit par le Père, est devenu Jésus-Christ. Comme l'avait dit Isaïe: "Une tige sortira de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine. Sur lui reposera l'Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, et il sera rempli de l'Esprit de la crainte de Dieu. Il ne jugera pas selon l'apparence et ne condamnera pas d'après un ouï-dire, mais il rendra justice à l'humble et condamnera les grands de la terre Is 11,1-4." Ailleurs encore Isaïe avait annoncé par avance son onction et la raison de celle-ci: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint pour porter la bonne nouvelle aux humbles; il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles la vue, proclamer une aimée de grâce du Seigneur et un jour de rétribution, consoler tous ceux qui se lamentent ." D'une part, en effet, en tant que le Verbe de Dieu était homme, issu de la racine de Jessé et fils d'Abraham Mt 1,1, l'Esprit de Dieu reposait sur lui et il était oint pour porter la bonne nouvelle aux humbles, d'autre part, en tant qu'il était Dieu, il ne jugeait pas selon l'apparence et ne condamnait pas d'après un ouï-dire - "il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage sur l'homme, parce qu'il savait ce qu'il y a dans l'homme Jn 2,25" -, mais il consolait tous ceux qui se lamentaient, et, en accordant la délivrance à ceux que leurs péchés avaient rendus captifs, il les dégageait de ces liens dont Salomon avait dit: "Chacun est enserré par les liens de ses péchés Pr 5,22." C'est donc bien l'Esprit de Dieu qui est descendu sur lui - l'Esprit de ce Dieu même qui, par les prophètes, avait promis de lui conférer l'Onction -, afin que, recevant nous-mêmes de la surabondance de cette Onction, nous soyons sauvés. Tel est le témoignage de Matthieu.


310

Témoignage de Luc

10 1 Luc, compagnon et disciple des apôtres, parlant de Zacharie et d'Élisabeth, de qui Jean est né conformément à la promesse de Dieu, s'exprime ainsi: "Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur d'une manière irréprochable Lc 1,6." Il dit encore au sujet de Zacharie: "Or il arriva, comme il s'acquittait de son office sacerdotal devant Dieu, au tour de sa classe, qu'il fut désigné par le sort, selon la coutume du sacerdoce, pour faire brûler l'encens Lc 1,8-9"; il vint pour offrir le sacrifice, et "Il entra dans le Temple du Seigneur ". Il remplissait donc sa fonction de présidence "devant Dieu", reconnaissant simplement, proprement et absolument pour Seigneur et Dieu Celui qui avait choisi Jérusalem et établi la loi du sacerdoce et dont Gabriel était l'ange Lc 1,11 Lc 1,19. I1 n'en connaissait point d'autre au-dessus de celui-là: s'il avait eu connaissance de quelque Dieu et Seigneur plus parfait en dehors de celui-là, il n'eût pas reconnu pour Dieu et Seigneur, au sens propre et absolu de ces termes, quelqu'un qu'il aurait su n'être que le "fruit d'une déchéance", ainsi que nous l'avons déjà montré.

De même, à propos de Jean, nous lisons chez Luc: "Il sera grand devant le Seigneur, et il ramènera beaucoup des fils d'Israël au Seigneur leur Dieu, et lui-même marchera devant lui dans l'Esprit et la puissance d'Élie, afin de préparer pour le Seigneur un Peuple bien disposé Lc 1,15-17." four qui donc a-t-il préparé un peuple, et devant quel Seigneur a-t-il été grand? Sans aucun doute devant Celui qui a dit que Jean avait quelque chose de "plus qu'un prophète Mt 11,9 Lc 7,26" et que "personne d'entre les enfants des femmes n'était plus grand que Jean-Baptiste Mt 11,11 Lc 7,28". Car il préparait un peuple en annonçant d'avance à ses compagnons de servitude la venue du Seigneur et en leur prêchant la pénitence, afin que, lorsque le Seigneur serait présent, ils fussent en état de recevoir son pardon, pour être revenus à Celui auquel ils s'étaient rendus étrangers par leurs péchés et leurs transgressions, selon ce que dit David: "Les pécheurs se sont rendus étrangers dès le sein maternel, ils se sont égarés dès leur conception Ps 57,4." C'est pourquoi, en les ramenant à leur Seigneur, il préparait au Seigneur un peuple bien disposé, dans l'Esprit et la puissance d'Élie.

2 Luc dit encore, en parlant de l'ange: "Or, à cette même époque, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu, et il dit à la Vierge: Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu Lc 1,26 Lc 1,30." Et l'ange dit au sujet du Seigneur: "Il sera grand et il sera appelé Fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera a jamais sur la maison de Jacob, et son règne n'aura pas de fin Lc 1,32-33." Quel autre doit régner sans interruption et à jamais sur la maison de Jacob, sinon le Christ Jésus notre Seigneur, le Fils du Dieu Très-Haut, de Celui qui, par la Loi et les prophètes, avait promis de rendre son "Salut" visible pour toute chair Is 40,5 Lc 3,6, de sorte que ce Fils de Dieu deviendrait Fils de l'homme pour qu'à son tour l'homme devînt fils de Dieu Jn 1,12 ?

C'est pourquoi, dans son exultation, Marie s'écriait, prophétisant au nom de l'Église: "Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit a exulté en Dieu mon Sauveur; car il est venu en aide à Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, selon qu'il avait parlé à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa descendance à jamais ." Par ces paroles combien significatives, l'Évangile montre que le Dieu qui a parlé aux pères - c'est-à-dire Celui qui a donné la Loi par l'entremise de Moïse, car c'est par cette Loi que nous savons qu'il a parlé aux pères - ce même Dieu, selon sa grande bonté, a répandu sur nous sa miséricorde.

Dans cette miséricorde même, en effet, "il nous a visités, Soleil levant venu d'en haut, et il a brillé pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort, et il a dirigé nos pas sur le chemin de la paix Lc 1,78-79." C'est en ces termes que Zacharie, délivré du mutisme qu'il s'était attiré par son incrédulité et rempli d'un Esprit nouveau, bénissait Dieu d'une manière nouvelle Lc 1,64 Lc 1,67. Car tout était dorénavant nouveau, du fait que le Verbe venait, par un processus nouveau, d'accomplir l'"économie" de sa venue dans la chair, afin que l'homme, qui s'en était allé hors de Dieu, fût réintégré par lui dans l'amitié de Dieu. Et c'est pourquoi cet homme apprenait à honorer Dieu d'une manière nouvelle, mais nullement à honorer un autre Dieu pour autant, "car il n'y a qu'un seul Dieu, qui justifie les circoncis en suite de la foi et les incirconcis au moyen de la foi Rm 3,30". 3 Zacharie prophétisait donc en ces termes: "Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et racheté son peuple et qu'il a dressé pour nous une Corne de salut dans la maison de David son serviteur, comme il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois, pour nous sauver de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent, afin d'exercer sa miséricorde envers nos pères et de se souvenir de son alliance sainte, du serment qu'il avait fait à Abraham, notre père, de nous accorder que sans plus craindre, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions dans la sainteté et la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie Lc 1,68-75."

Ensuite il dit à Jean: "Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies, pour donner la connaissance du Salut à son peuple en vue de la rémission de ses péchés Lc 1,76-77." C'était bien là, en effet, la "connaissance du Salut" qui leur manquait, à savoir celle du Fils de Dieu. Cette connaissance, Jean allait la leur procurer, en disant: "Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. C'est de lui que j'ai dit: Après moi vient un homme qui est passé devant moi parce qu'il était avant moi, et nous avons tous reçu de sa plénitude Jn 1,29-30 Jn 1,15-16." Telle était la "connaissance du Salut". Il ne s'agissait donc ni d'un autre Dieu, ni d'un autre Père, ni d'un Abîme, ni d'un Plérôme de trente Éons, ni d'une Mère décorée du nom d'Ogdoade ! Mais la "connaissance du Salut", c'était la connaissance du Fils de Dieu, qui est appelé et est en toute vérité Salut, Sauveur et Vertu salvatrice: - Salut, dans ce texte: "En vue de ton Salut je t'ai attendu, Seigneur Gn 49,18; Sauveur, dans cet autre: "Voici mon Dieu, mon Sauveur, je me confierai en lui Is 12,2"; Vertu salvatrice, enfin, dans ce troisième: "Dieu a fait connaître sa Vertu salvatrice à la face des nations Ps 98,2." Il est en effet Sauveur parce que Fils et Verbe de Dieu; il est Vertu salvatrice parce qu'Esprit, "car, est-il dit, l'Esprit de notre face, c'est le Christ Seigneur Lm 4,20; enfin il est Salut, parce que chair, car "le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous Jn 1,14". Telle était la "connaissance du Salut" que Jean procurait à ceux qui faisaient pénitence et croyaient en l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde Jn 1,29.

4 Luc dit encore qu'un ange du Seigneur apparut aux bergers Lc 2,9, leur annonçant la bonne nouvelle de la joie Lc 2,10: "Il est né, leur disait-il, dans la maison de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur Lc 2,11." C'était ensuite "une troupe nombreuse de l'armée céleste qui louait Dieu et disait: Gloire à Dieu dans les hauteurs, et sur la terre paix aux hommes en qui il se complaît Lc 2,13-14." Il s'agirait, au dire des "Gnostiques" au nom menteur, d'Anges venus de l'Ogdoade et annonçant la descente du Christ d'en haut. Mais ces "Gnostiques" ruinent leur propre thèse, lorsqu'à l'opposé ils affirment que le Christ et Sauveur d'en haut n'est pas né, mais qu'après le baptême du Jésus de l'économie il est descendu sur celui-ci sous la forme d'une colombe. Ils mentent donc, d'après eux, les Anges de l'Ogdoade, lorsqu'ils disent: "I1 vous est né aujourd'hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David Lc 2,11." Car ni le Christ ni le Sauveur ne sont nés à ce moment-là, s'il faut en croire les hérétiques, mais bien le Jésus de l'économie, qui relève de l'Auteur du monde et en qui, après son baptême, c'est-à-dire trente ans plus tard, serait descendu le Sauveur d'en haut. Et pourquoi les anges ont-ils ajouté "dans la ville de David", sinon pour annoncer cette bonne nouvelle que la promesse faite par Dieu à David - à savoir qu'il y aurait un Roi éternel qui serait le "fruit de son sein Ps 132,11" - était maintenant un fait accompli? C'est bien en effet le Créateur de cet univers qui avait fait cette promesse à David, comme le dit David lui-même: "Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre Ps 121,2" et encore: "En sa main sont les extrémités de la terre, et les cimes des montagnes sont à lui: car c'est à lui qu'appartient la mer, et c'est lui qui l'a faite, et ce sont ses mains aussi qui ont modelé la terre ferme. Venez, adorons-le et prosternons-nous devant lui, et pleurons en présence du Seigneur qui nous a faits, car c'est lui notre Dieu Ps 95,4-7." De toute évidence, l'Esprit Saint annonçait ainsi d'avance par la bouche de David, à l'intention de ceux qui l'écoutent Ps 95,8, qu'il s'en trouverait pour mépriser Celui qui nous a modelés et qui est aussi le seul Dieu: d'où les paroles que nous venons de citer. Il voulait dire ceci: "Ne vous laissez pas induire en erreur Ps 95,10, car en dehors ou au-dessus de lui il n'existe pas d'autre Dieu vers lequel il faille plutôt vous tourner." Il nous disposait de la sorte à la piété et à la reconnaissance envers Celui qui nous a faits, nous a créés et nous nourrit. Qu'adviendra-t-il, dès lors, de ceux qui ont imaginé un blasphème aussi énorme contre leur Créateur? Le même avertissement nous est donné aussi par les anges, car, en disant: "Gloire à Dieu dans les hauteurs, et paix sur la terre Lc 2,14", ils ont, par ces paroles mêmes, glorifié Celui qui a fait les "hauteurs", c'est-à-dire les régions supracélestes, et créé tout ce qui se rencontre sur la terre, et qui a envoyé du ciel à l'ouvrage par lui modelé, c'est-à-dire "aux hommes Lc 2,14", sa bonté salvatrice. Et c'est pourquoi "les bergers, est-il dit, s'en retournèrent, glorifiant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, comme il leur avait été annoncé Lc 2,20". Car ce n'est pas un autre Dieu que glorifiaient les bergers israélites, mais Celui qui avait été annoncé par la Loi et les prophètes, l'Auteur de toutes choses, Celui-là même que glorifiaient aussi les anges. Si, au contraire, les Anges prétendument venus de l'Ogdoade avaient glorifié un Dieu et les bergers un autre, c'est l'erreur, et non la vérité, que leur eussent apportée ces Anges venus de l'Ogdoade.

5 Luc dit encore au sujet du Seigneur: "Lorsque furent accomplis les jours de la purification, ils le conduisirent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, conformément à ce qui est écrit dans la Loi du Seigneur: "Tout mâle premier-né sera proclamé consacré au Seigneur", et pour donner en sacrifice, ainsi qu'il est dit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits de colombes Lc 2,22-24 Luc donne manifestement ici l'appellation de "Seigneur", au sens absolu de ce terme, à Celui qui a établi la Loi. Et Siméon lui aussi, poursuit-il, "bénit Dieu et dit: Maintenant tu libères ton esclave, ô Maître, dans la Paix, car mes yeux ont vu ton Salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, Lumière pour éclairer les nations et Gloire de ton peuple Israël Lc 2,28-32. Et Anne, la prophétesse, est-il dit, glorifiait pareillement Dieu à la vue du Christ, "et elle parlait de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem Lc 2,38". Tous ces textes montrent qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui a ouvert aux hommes le Testament nouveau de la liberté par l' "économie" nouvelle de la venue de son Fils.


Témoignage de Marc

6 C'est pourquoi aussi Marc, interprète et compagnon de Pierre, commence ainsi sa rédaction de l'Évangile: "Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, selon qu'il est écrit dans les prophètes: "Voici que j'envoie mon messager devant ta face pour te préparer le chemin. Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers devant notre Dieu" Mc 1,1-3 Ml 3,1 Is 40,3". De toute évidence, il situe le commencement de l'Évangile dans les paroles des saints prophètes, et il montre d'emblée que Celui qu'ils ont reconnu pour Seigneur et Dieu, c'est lui le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. C'est lui qui avait promis à celui-ci d'envoyer son messager devant sa face, et ce messager était Jean, qui, "dans l'Esprit et la puissance d'Élie ", criait dans le désert: "Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers devant notre Dieu." Car les prophètes n'annonçaient pas tantôt un Dieu et tantôt un autre, mais un seul et le même, encore qu'au moyen de désignations diverses et d'appellations multiples. Car multiple et riche est le Père, ainsi que nous l'avons montré dans le livre précédent et que nous le montrerons, par les textes des prophètes eux-mêmes, dans la suite de notre ouvrage. Marc dit, d'autre part, à la fin de son Evangile: "Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut enlevé dans les cieux et s'assit à la droite de Dieu Mc 16,19." C'est la confirmation de ce qu'avait dit le prophète: "Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds Ps 110,1." Ainsi donc il n'y a qu'un seul et même Dieu et Père, qui a été prêché par les prophètes et transmis par l'Évangile, Celui-là même que nous, chrétiens, nous honorons et aimons de tout notre coeur Dt 6,5 Mt 22,37 Mc 12,30 Lc 10,27, à savoir le Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils renferment Ex 20,11 Ps 146,6 Ac 4,24 Ac 14,15.



Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.6