Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.13

313

Contre ceux qui n'admettent que le témoignage de Paul

13 1 Il en est qui prétendent que seul Paul a connu la vérité, puisque c'est à lui que, "par une révélation, a été manifesté le mystère Ep 3,3". Mais Paul lui-même les convainc d'erreur, lorsqu'il dit qu'un seul et même Dieu a agi en sorte que Pierre fût l'apôtre des circoncis, et lui-même, celui des gentils Ga 2,8. Pierre était donc l'apôtre de ce Dieu même dont Paul était aussi l'apôtre; le Dieu - et le Fils de Dieu - que Pierre annonçait chez les circoncis, Paul l'annonçait aussi chez les gentils. Car ce n'est pas pour sauver Paul seul qu'est venu notre Seigneur, et Dieu n'est pas pauvre au point de n'avoir qu'un seul apôtre pour connaître l' "économie" de son Fils. D'ailleurs, en disant: "Qu'ils sont beaux, les pieds de ceux qui annoncent la bonne nouvelle du bonheur, la bonne nouvelle de la paix Rm 10,15 Is 52,7 !", Paul manifeste qu'il n'y en avait pas un seul, mais plusieurs, à annoncer la bonne nouvelle de la vérité. De même encore, dans l'épître aux Corinthiens, après avoir mentionné tous ceux qui ont vu le Seigneur après sa résurrection, il ajoute: "Qu'il s'agisse donc de moi ou d'eux, voilà ce que nous annonçons et voilà ce que vous avez cru 1Co 15,11", proclamant ainsi qu'il n'y a qu'une seule et même prédication chez tous ceux qui ont vu le Seigneur après sa résurrection d'entre les morts.

2 Le Seigneur aussi répondait à Philippe qui voulait voir le Père: "Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe? Qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire: Montre-nous le Père? Car je suis dans le Père et le Père est en moi. Dès à présent vous le connaissez et vous l'avez vu Jn 14,9-10 Jn 14,7." Ainsi, de ceux-là auxquels le Seigneur rend ce témoignage qu'ils ont connu et qu'ils ont vu en lui le Père - et le Père est Vérité -, on ose dire qu'ils n'ont pas connu la vérité ! Mais c'est là le fait de faux témoins et de gens étrangers à la doctrine du Christ. Car pourquoi le Seigneur envoyait-il les douze apôtres aux brebis perdues de la maison d'Israël Mt 10,5-6, s'ils n'avaient pas connu la vérité? Et comment les soixante-dix disciples Lc 10,1 auraient-ils prêché, s'ils n'avaient préalablement connu la vérité qu'ils allaient avoir à prêcher? Ou comment Pierre aurait-il pu ignorer cette vérité, lui à qui le Seigneur rendit ce témoignage que ce n'était pas la chair ni le sang qui la lui avaient révélée, mais le Père qui est aux cieux ? De même donc que "Paul" < devint > "apôtre, non par le fait des hommes ni par un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père Ga 1,1" < de même Pierre et les autres apôtres connurent-ils eux aussi le Fils et le Père >, le Fils les ayant amenés au Père et le Père leur ayant révélé
le Fils Mt 11,25-27 Lc 10,21-22.

3 Par ailleurs, lorsque certains le citèrent devant les apôtres à propos d'une question controversée Ac 15,2, Paul acquiesça, et il monta avec Barnabé à Jérusalem pour y voir les apôtres Ga 2,1: il ne le fit pas sans raison, mais afin que fût confirmée par eux la liberté des gentils. C'est ce qu'il dit lui-même dans l'épître aux Galates: "Ensuite, au bout de quatorze ans, je montai à Jérusalem avec Barnabé, ayant pris aussi Tite avec moi. J'y montai à la suite d'une révélation, et je leur exposai l'Evangile que je prêche parmi les gentils Ga 2,1-2." Il dit encore: "Sur le moment nous cédâmes aux injonctions, pour que la vérité de l'Évangile fût sauvegardée parmi vous Ga 2,5." Or, si l'on recherche exactement, d'après les Actes des Apôtres, l'époque où se situe cette montée à Jérusalem à cause de la question susdite, on constatera que les années dont Paul vient de faire mention correspondent bien à cette époque-là: ainsi sont concordantes et pour ainsi dire identiques la prédication de Paul et le témoignage de Luc relatif aux apôtres.


314

Contre ceux qui rejettent le témoignage de Luc

14 1 Que ce Luc ait été inséparable de Paul et son collaborateur dans la prédication de l'Évangile, c'est ce que Luc lui-même fait connaître, non pour se glorifier, mais mis en avant par la vérité elle-même. En effet, lorsque Barnabé et Jean appelé Marc se séparèrent de Paul et s'embarquèrent pour Chypre Ac 15,39, "nous vînmes, dit-il, à Troas Ac 16,8". Et après que Paul eut vu en songe un Macédonien qui lui disait: "Paul, passe en Macédoine et viens à notre aide Ac 16,9", "aussitôt, dit Luc, nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, comprenant que le Seigneur nous appelait à y prêcher l'Evangile. Nous étant donc embarqués à Troas, nous cinglâmes droit vers Samothrace Ac 16,10-11." Puis il indique de façon précise tout le reste de leur traversée jusqu'à Philippes et comment ils y annoncèrent pour la première fois la parole: "Nous étant assis, dit-il, nous parlâmes aux femmes qui s'étaient assemblées là Ac 16,13." Et il rapporte quels sont ceux qui crurent et leur nombre. Il dit encore ailleurs: "Pour nous, nous nous embarquâmes à Philippes après les jours des azymes, et nous arrivâmes à Troas, où nous passâmes sept jours Ac 20,6." Et ainsi de tout le reste de son voyage avec Paul, que Luc relate dans l'ordre, signalant avec toute la précision possible les lieux, les cités, le nombre de jours, jusqu'à ce qu'ils fussent montés à Jérusalem Ac 20,7-21 Ac 20,16; ce qui y arriva à Paul Ac 21,17-23 Ac 21,35 et comment, chargé de chaînes, il fut envoyé à Rome Ac 25-26; le nom du centurion qui le prit en charge Ac 27,1; les enseignes des navires Ac 28,11; comment ils firent naufrage et dans quelle île ils furent sauvés Ac 27,27-44 Ac 28,1; comment ils y furent reçus avec humanité Ac 28,2, tandis que Paul guérissait le premier magistrat de l'île Ac 28,7-8; comment ils s'embarquèrent pour Pouzzoles Ac 28,11-13 et, de là, parvinrent à Rome Ac 28,14-16; enfin, combien de temps ils restèrent à Rome Ac 28,30. Ayant été présent à tous ces événements, Luc les a consignés de façon précise. On ne peut surprendre chez lui ni mensonge ni vantardise, car tous ces faits étaient patents; il vivait d'ailleurs bien avant tous ceux qui enseignent présentement l'erreur et il n'ignorait pas la vérité. Qu'il ait été non seulement le compagnon, mais encore le collaborateur des apôtres, et surtout de Paul, c'est ce que Paul lui-même manifeste dans ses épîtres, lorsqu'il dit: "Démas m'a abandonné et il est parti pour Thessalonique, Crescens pour la Galatie, Tite pour la Dalmatie; Luc seul est avec moi 2Tm 4,10-11." Ce qui montre bien que Luc a toujours été uni à Paul et ne s'est jamais séparé de lui. Il dit encore dans l'épître aux Colossiens: "Luc, le médecin bien-aimé, vous salue Col 4,14." Si donc Luc, qui a toujours prêché avec Paul, qui a été appelé par lui "bien-aimé", qui a annoncé avec lui l'Évangile et s'est vu confier la mission de nous rapporter cet Evangile, n'a appris de lui rien d'autre, comme nous l'avons montré par ses paroles, comment ces gens-là, qui n'ont jamais été adjoints à Paul, peuvent-ils se vanter d'avoir appris des "mystères cachés et inexprimables" ?

2 Que Paul ait enseigné simplement ce qu'il savait, non seulement à ses compagnons, mais à tous ceux qui l'écoutaient, c'est ce que lui-même fait clairement connaître. Ayant convoqué à Milet les évêques et les presbytres d'Ephèse et des autres villes voisines Ac 20,17 - car il se hâtait afin de célébrer la Pentecôte à Jérusalem Ac 20,16 -, après leur avoir attesté nombre de choses et leur avoir dit ce qui devait lui arriver à Jérusalem Ac 20,18-24, il ajouta: "Je sais que vous ne verrez plus mon visage. J'atteste donc aujourd'hui devant vous que je suis pur de votre sang à tous. Car je ne me suis pas dérobé à la mission qui m'incombait de vous annoncer tout le dessein de Dieu. Veillez donc sur vous-mêmes et sur tout le troupeau dont l'Esprit Saint vous a constitués évêques pour paître l'Eglise du Seigneur, qu'il s'est acquise par son propre sang Ac 20,224." Puis, dénonçant les faux docteurs qui allaient venir, il dit: "Pour moi, je sais qu'après mon départ s'introduiront chez vous des loups cruels qui n'épargneront pas le troupeau, et que du milieu de vous se lèveront des hommes aux discours pervers, qui tenteront d'entraîner les disciples à leur suite Ac 20,29-30." - "Je ne me suis pas dérobé, dit-il, à la mission qui m'incombait de vous annoncer tout le dessein de Dieu": c'est ainsi que les apôtres transmettaient à tous, simplement et sans le refuser à personne, ce qu'eux-mêmes avaient appris du Seigneur. C'est donc ainsi que Luc également, sans le refuser à personne, nous a transmis ce qu'il avait appris des apôtres, ainsi qu'il l'atteste lui-même en disant: "... comme nous l'ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent les témoins oculaires et les serviteurs du Verbe Lc 1,2."

3 Or, si l'on rejette Luc, sous prétexte, qu'il n'a pas connu la vérité, on rejettera manifestement l'Evangile dont on prétend être le disciple. Car il est un grand nombre d'événements de l'Évangile - et des plus essentiels - que nous connaissons précisément par Luc: ainsi, la génération de Jean et l'histoire de Zacharie Lc 1,5-25; la venue de l'ange vers Marie Lc 1,26-38; l'exclamation d'Élisabeth Lc 1,42-45, la descente des anges vers les bergers et les paroles qu'ils leur adressèrent Lc 2,8-14; le témoignage d'Anne et de Siméon au sujet du Christ Lc 2,25-38; l'épisode du Christ demeuré à Jérusalem à l'âge de douze ans Lc 2,41-50; le baptême de Jean, avec la mention de l'âge auquel le Seigneur fut baptisé Lc 3,23 et celle de la quinzième année de Tibère César Lc 3,1. De même, dans l'enseignement du Seigneur, ces paroles à l'adresse des riches: "Malheur à vous, riches, car vous recevez votre consolation Lc 6,24 !" Et: "Malheur à vous, qui êtes rassasiés, car vous aurez faim, et à vous, qui riez maintenant, car vous pleurerez Lc 6,25 !" Et: "Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous, car c'est de cette manière que vos pères agissaient avec les faux prophètes Lc 6,26." Tout cela, nous ne le savons que par le seul Luc. Il est encore un grand nombre d'actes du Seigneur que nous connaissons par ce même Luc et dont tous les hérétiques font état: ainsi la multitude de poissons que prirent ceux qui se trouvaient avec Pierre, lorsque le Seigneur leur donna l'ordre de jeter le filet Lc 5,1-11; la femme qui souffrait depuis dix-huit ans et qui fut guérie un jour de sabbat Lc 13,10-17; l'hydropique que le Seigneur guérit un jour de sabbat, et comment le Seigneur se justifia de l'avoir guéri ce jour-là Lc 14,1-6, comment il enseigna à ses disciples à ne pas rechercher les premières places Lc 14,7-11; qu'il faut inviter les pauvres et les estropiés, qui n'ont pas de quoi le rendre Lc 14,12-14; l'homme qui vient frapper durant la nuit pour avoir des pains et qui les obtient à cause de son importunité Lc 11,5-8; comment, tandis qu'il était à table chez un Pharisien, une pécheresse baisait ses pieds et les oignait de parfum, et tout ce qu'à cause d'elle le Seigneur dit à Simon au sujet des deux débiteurs Lc 7,36-50; la parabole du riche qui renferma les produits de ses terres et à qui il fut dit: "Cette nuit on te redemandera ton âme: et ce que tu as préparé, qui l'aura Lc 12,16-20 ?"; de même la parabole du riche qui s'habillait de pourpre et festoyait brillamment et du pauvre Lazare Lc 16,19-31; la réponse que le Seigneur fit à ses disciples quand ils lui dirent: "Augmente en nous la foi Lc 17,5-6"; la conversation du Seigneur avec Zachée le publicain Lc 19,1-10; le Pharisien et le publicain qui priaient ensemble dans le Temple Lc 18,9-14; les dix lépreux qu'il purifia ensemble tandis qu'ils étaient en chemin Lc 17,11-19; l'ordre qu'il donna d'aller par les rues et les places et d'en rassembler les boiteux et les borgnes en vue des noces Lc 14,21-24; la parabole du juge qui ne craignait pas Dieu, mais que l'importunité de la veuve contraignit à lui faire justice Lc 18,1-8; le figuier qui était dans la vigne et qui ne donnait pas de fruit Lc 13,6-9. On pourrait trouver encore beaucoup d'autres traits qui n'ont été rapportés que par Luc, et que Marcion et Valentin ne laissent pas d'utiliser. Ajoutons à tout cela les paroles qu'après sa résurrection le Seigneur dit aux disciples le long du chemin, et comment ils le reconnurent à la fraction du pain Lc 24,13-32.

4 Les hérétiques doivent donc nécessairement accepter aussi tout le reste de ce qui a été dit par Luc, ou rejeter aussi ce que nous venons de mentionner: car aucun homme sensé ne leur permettra d'accepter certaines paroles de Luc comme exprimant la vérité, et de rejeter les autres sous prétexte qu'il n'aurait pas connu la vérité. Dès lors, de deux choses l'une: - ou bien ils rejetteront le tout: en ce cas, les disciples de Marcion n'auront pas d'Évangile, puisque c'est en mutilant l'Evangile selon Luc, comme nous l'avons dit déjà, qu'ils se vantent de posséder l'Evangile; quant aux disciples de Valentin, ils cesseront leur copieux bavardage, puisque c'est précisément de cet Evangile qu'ils ont tiré de multiples prétextes à leurs subtilités, en osant mal interpréter ce qui s'y trouve bien exprimé; - ou bien ils seront contraints d'accepter aussi tout le reste de l'Evangile de Luc: en ce cas, prêtant attention à l'intégralité de l'Évangile et de l'enseignement des apôtres, ils devront faire pénitence pour pouvoir être sauvés du péril.


315

Contre ceux qui rejettent le témoignage de Paul

15 1 Nous répéterons la même argumentation à l'adresse de ceux qui ne reconnaissent pas l'apôtre Paul: ou bien ils doivent renoncer aux autres paroles de l'Évangile qui sont venues à notre connaissance par le seul Luc et ne point s'en servir; ou bien, s'ils les acceptent toutes, ils sont contraints de recevoir aussi son témoignage relatif à Paul. Car Luc rapporte que le Seigneur parla d'abord à Paul du haut du ciel en ces termes: "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Je suis Jésus-Christ que tu persécutes ." Puis le Seigneur dit à Ananie au sujet de Paul: "Va, car cet homme m'est un instrument de choix pour porter mon nom devant les nations, les rois et les fils d'Israël. Je lui montrerai en effet moi-même combien il lui faudra souffrir pour mon nom Ac 9,15-16." Ceux donc qui n'acceptent pas celui qui a été choisi par le Seigneur pour porter hardiment son nom aux nations susdites méprisent le choix du Seigneur et se séparent eux-mêmes de la communauté des apôtres. Ils ne peuvent en effet prétendre que Paul n'est pas apôtre, puisqu'il a été choisi pour cette fonction même; ils ne peuvent pas davantage prouver que Luc est menteur, lui qui nous annonce la vérité en toute exactitude Lc 1,3. Car telle est peut-être la raison pour laquelle Dieu a fait en sorte que nombre de traits de l'Evangile fussent révélés par le seul Luc - traits que les hérétiques se verraient contraints d'utiliser -: Dieu voulait que, en se laissant guider par le témoignage subséquent de Luc relatif aux actes et à la doctrine des apôtres et en gardant ainsi inaltérée la règle de vérité, tous puissent être sauvés. Ainsi le témoignage de Luc est véridique, et l'enseignement des apôtres est manifeste, ferme, émanant d'hommes qui n'ont rien omis Ac 20,20 Ac 20,27 ni enseigné certaines choses en secret et d'autres au grand jour.

2 Tel est en effet le manège des simulateurs, des séducteurs pervers et des hypocrites, et c'est précisément ainsi qu'agissent les disciples de Valentin. Ils font des discours à la foule, dans le but d'atteindre ceux qui appartiennent à l'Eglise, et qu'ils appellent "gens du commun" et "gens de l'Eglise". Par là ils surprennent les simples et les attirent à eux, contrefaisant notre parole pour qu'on vienne les écouter plus souvent. Ils se plaignent aussi à notre sujet: ils pensent comme nous, et nous refusons sans motif d'être en communion avec eux; ils disent les mêmes choses que nous et ont la même doctrine, et nous les traitons d'hérétiques ! Et quand ils ont ruiné la foi de quelques-uns par leurs questions et qu'ils ont amené leurs auditeurs à ne plus les contredire, ils les prennent alors à part et leur dévoilent le "mystère inexprimable" de leur Plérôme. Ainsi se laissent séduire tous ceux qui se croient capables de distinguer de la vérité ce qui se dissimule sous des discours captieux: car l'erreur est captieuse et chercher à se farder, tandis que la vérité est sans fard et, pour cette raison, a été confiée aux enfants Mt 11,25 Lc 10,21. Et s'il arrive qu'un de leurs auditeurs réclame des éclaircissements ou s'avise de les contredire, ils déclarent que cet homme ne saisit pas la vérité et qu'il ne possède pas la semence d'en haut provenant de leur Mère; ils se refusent alors à lui dire quoi que ce soit, affirmant qu'il appartient à l'Intermédiaire, autrement dit à la race des psychiques. Mais si, telle une petite brebis, quelqu'un se livre à eux sans réserve, une fois initié à leurs mystères et devenu par là bénéficiaire de leur "rédemption", un tel homme ne se sent plus d'orgueil: il croit n'être plus ni au ciel ni sur terre, mais avoir fait son entrée dans le Plérôme et avoir déjà étreint son Ange; il s'avance d'un air important, en regardant de haut, avec l'arrogance d'un coq. Il en est bien parmi eux pour dire que l' "homme venu d'en haut" doit atteindre à une conduite exemplaire, et c'est pourquoi ils affectent une gravité pleine de morgue. Mais la plupart d'entre eux méprisent de tels scrupules, sous prétexte qu'ils sont déjà "parfaits"; vivant sans retenue et dans le dédain de tout, ils se décernent à eux-mêmes le titre de "pneumatiques" et prétendent connaître déjà, au sein de leur Plérôme, le lieu du "rafraîchissement".

3 Mais revenons à notre sujet. Il a été montré clairement que les prédicateurs de la vérité et les apôtres de la liberté n'ont appelé Dieu ou Seigneur personne d'autre que le seul vrai Dieu, c'est-à-dire le Père, et son Verbe, qui a la primauté en toutes choses Col 1,18. Dès lors, la preuve est faite avec évidence que c'est bien le Créateur du ciel et de la terre, Celui qui s'est entretenu avec Moïse, qui lui a donné la Loi et qui a appelé les pères, c'est lui que les apôtres ont confessé comme Seigneur et Dieu, et qu'ils n'en ont connu aucun autre. Et ainsi, d'après les paroles mêmes des apôtres et de leurs disciples, a été manifestée leur pensée sur Dieu.





DEUXIÈME PARTIE


UN SEUL CHRIST, FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L'HOMME POUR RECAPITULER EN LUI SA PROPRE CRÉATION




I. LE FILS DE DIEU S'EST VRAIMENT FAIT HOMME




316

Doctrines gnostiques rejetant la réalité de l'incarnation

16 1 Il en est qui disent que Jésus a été le réceptacle du Christ: ce Christ est descendu d'en haut en Jésus sous la forme d'une colombe et, après avoir révélé le Père innommable, est rentré de façon insaisissable et invisible dans le Plérôme, car non seulement les hommes, mais même les Puissances et les Vertus qui sont dans le ciel n'ont pu le saisir; on a donc de la sorte le Fils, qui est Jésus, le Père qui est le Christ, et le Père du Christ, qui est Dieu. D'autres disent que le Christ a souffert de façon purement apparente, étant impassible par nature. Quant aux disciples de Valentin, ils présentent les choses comme suit: il y a d'un côté le Jésus de l'économie, qui n'a fait que passer par Marie; sur lui est descendu le Sauveur d'en haut, appelé aussi Christ parce qu'il possède les noms de tous ceux qui l'ont émis; celui-ci a rendu le Jésus de l'économie participant de sa puissance et de son nom, pour que, d'une part, la mort fût détruite par lui et que, de l'autre, le Père fût connu par l'intermédiaire de ce Sauveur descendu d'en haut, lequel est lui-même le réceptacle du Christ et de tout le Plérôme. Ils confessent ainsi de bouche un seul Christ Jésus, mais ils le divisent en pensée: car, d'après leur système, ainsi que nous l'avons déjà dit, autre est le Christ, qui fut émis par le Monogène pour le redressement du Plérôme, autre le Sauveur, qui fut émis pour la glorification du Père, et autre enfin le Jésus de l'économie, qu'ils disent avoir souffert tandis que remontait dans le Plérôme le Sauveur portant le Christ. Telles étant les thèses des hérétiques, il nous faut, de toute nécessité, présenter la doctrine des apôtres sur notre Seigneur Jésus-Christ et montrer que non seulement ils n'ont rien pensé de tel à son sujet, mais qu'ils ont même fait connaître d'avance par l'Esprit Saint ceux qui enseigneraient un jour de telles doctrines, gens envoyés en sous-main par Satan pour corrompre la foi de plusieurs et les arracher à la vie.


Témoignage de Jean et de Matthieu

2 Que Jean ne connaisse qu'un seul et même Verbe de Dieu, qui est le Fils unique Jn 1,14 Jn 1,18 et qui s'est incarné Jn 1,14 pour notre salut, Jésus-Christ notre Seigneur, nous l'avons suffisamment montré par les paroles de Jean lui-même.

Mais Matthieu lui aussi ne connaît qu'un seul et même Christ Jésus. Voulant en effet raconter sa génération humaine du sein de la Vierge - cette génération qui répondait à la promesse faite par Dieu à David de susciter "du fruit de son sein" un Roi éternel Ps 132,11, ainsi qu'à une promesse identique faite déjà longtemps auparavant à Abraham -, Matthieu dit: "Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham Mt 1,1." Puis, pour libérer notre esprit de tout soupçon à l'égard de Joseph, il dit: "Or, la génération du Christ arriva de la façon suivante: alors que sa mère avait été fiancée à Joseph, il se trouva, avant qu'ils eussent habité ensemble, qu'elle avait conçu de l'Esprit Saint Mt 1,18." Puis, comme Joseph pensait à répudier Marie parce qu'elle était enceinte Mt 1,19, un ange de Dieu se présenta à lui, disant: "Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qu'elle a en son sein vient de l'Esprit Saint; elle enfantera un Fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Tout cela est arrivé pour que fût accompli ce qu'avait dit le Seigneur par la bouche du prophète: "Voici que la Vierge concevra en son sein et enfantera un fils, et on lui donnera pour nom Emmanuel", c'est-à-dire Dieu avec nous Mt 1,20-23 Is 7,14." Ces textes indiquent clairement que la promesse faite aux pères se trouve accomplie, que de la Vierge est né le Fils de Dieu et que celui-ci même est le Sauveur et le Christ annoncé par les prophètes: ce qui contredit, là distinction que font les hérétiques entre un Jésus né de Marie et un Christ descendu des régions supérieures. Matthieu aurait d'ailleurs pu dire: "La génération de "Jésus" arriva de la façon suivante..."; mais l'Esprit Saint, qui voyait à l'avance ces pervers et voulait nous prémunir contre leurs fraudes, a dit par Matthieu: "La génération du "Christ" arriva de la façon suivante...", et il a spécifié que c'est lui l'Emmanuel, de peur que nous ne pensions qu'il n'est qu'un homme - car ce n'est pas par la volonté de la chair ni par la volonté de l'homme, mais par la volonté de Dieu, que "le Verbe s'est fait chair Jn 1,13-14" - et pour que nous ne supposions pas qu'autre est Jésus et autre le Christ, mais que nous sachions que c'est un seul et le même.


Témoignage de Paul

3 C'est cela même qu'expose Paul, lorsqu'il écrit aux Romains: Paul, apôtre du Christ Jésus, désigné pour l'Évangile de Dieu, que celui-ci avait promis d'avance par ses prophètes dans les saintes Écritures, touchant son Fils, qui est né de la race de David selon la chair, qui a été constitué Fils de Dieu dans la puissance selon l'Esprit de sainteté en suite de sa résurrection d'entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur Rm 1,1-4." Dans cette même épître aux Romains, il dit encore, à propos d'Israël: "C'est à eux qu'appartiennent les pères et c'est d'eux que le Christ est issu selon la chair, lui qui est, au-dessus de tout, Dieu béni dans les siècles Rm 9,5." Il dit encore dans l'épître aux Galates: "Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sous la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, afin que nous recevions la filiation adoptive Ga 4,4-5." Ces textes font apparaître avec évidence, d'une part, un seul Dieu, qui, par les prophètes, a fait la promesse touchant son Fils; d'autre part, un seul Jésus-Christ notre Seigneur, issu de la race de David selon la génération qui lui vient de Marie, et constitué Fils de Dieu dans la puissance selon l'Esprit de sainteté en suite de sa résurrection d'entre les morts, pour être le Premier-né des morts Col 1,18, comme il était déjà le Premier-né dans toute la création Col 7,15, lui, le Fils de Dieu devenu Fils de l'homme afin que par lui nous recevions la filiation adoptive, l'homme portant et saisissant et embrassant le Fils de Dieu.


Témoignage de Marc et de Luc

C'est pourquoi Marc dit aussi: "Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, selon ce qui est écrit dans les prophètes Mc 1,1-2..." I1 ne connaît donc qu'un seul et même Fils de Dieu, Jésus-Christ, qui fut annoncé à l'avance par les prophètes: c'est lui l'Emmanuel Is 7,14, "fruit du sein Ps 131,11" de David, le "Messager du grand dessein Is 9,5" du Père.

C'est aussi Celui en la personne de qui Dieu a fait se lever "sur la maison de David Lc 1,69 Is 7,13" un "Soleil levant Lc 1,78 Za 3,8 Za 6,12" juste Jr 23,5, "a dressé" pour elle "une Corne de salut Lc 1,69 Ps 18,3 Ps 132,17" et, comme le dit David en expliquant les motifs de sa naissance, "a suscité un Témoignage en Jacob et établi une Loi en Israël, afin que le connaisse la génération ultérieure, c'est-à-dire les fils qui naîtront, qu'eux-mêmes se lèvent et le racontent à leurs fils, et qu'ainsi ils placent en Dieu leur espérance et recherchent ses préceptes Ps 78,5-7". De même, lorsque l'ange annonce la bonne nouvelle à Marie, il lui dit: "Il sera grand et il sera appelé Fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père Lc 1,32." L'ange proclame par là que le même, qui est Fils du Très-Haut, est aussi fils de David. D'ailleurs David lui-même, connaissant par l'Esprit l'"économie" de sa venue, par laquelle il règne souverainement sur tous les vivants et les morts Rm 14,9 proclame qu'il est Seigneur et qu'il siège à la droite du Père Très-Haut Ps 110,1.

4 Et Siméon, "qui avait reçu de l'Esprit Saint cette révélation qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ Lc 2,26", lorsqu'il eut reçu dans ses bras ce Premier-né de la Vierge Lc 2,7, "bénit Dieu et dit: C'est maintenant que tu laisses aller ton serviteur, ô Maître, selon ta parole, dans la Paix, car mes yeux ont vu ton Salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, Lumière pour éclairer les nations et Gloire de ton peuple Israël Lc 2,28-32." Il confessait par là que l'enfant qu'il portait dans ses bras, c'est-à-dire Jésus né de Marie, était en personne le Christ, Fils de Dieu, Lumière des hommes et Gloire d'Israël, Paix et Rafraîchissement de ceux qui se sont endormis. Car déjà cet enfant "dépouillait" les hommes, en enlevant leur ignorance, et, en leur octroyant la connaissance de lui-même, il faisait son "butin" de ceux qui le connaissaient, selon cette parole d'Isaïe: "Appelle son nom: "Dépouille promptement, fais du butin rapidement" Is 8,3". Or ce sont précisément là les oeuvres du Christ. C'est donc bien le Christ en personne que portait Siméon, lorsqu'il bénissait le Très-Haut Lc 2,28. C'est aussi pour avoir vu le Christ que les bergers glorifiaient Dieu Lc 2,20. C'est aussi le Christ que Jean, étant encore dans le sein de sa mère et lui dans le sein de Marie, reconnaissait comme son Seigneur et saluait par son tressaillement Lc 1,41. C'est aussi après avoir vu et adoré le Christ, lui avoir offert les présents mentionnés antérieurement et s'être prosternés aux pieds du Roi éternel, que les mages s'en allèrent par un autre chemin Mt 2,11-12 au lieu de retourner vers le roi des Assyriens; "car avant que l'enfant sache appeler "papa" ou "maman", il s'emparera de la puissance de Damas et des dépouilles de Samarie à la face du roi des Assyriens Is 8,4": c'était faire voir de façon cachée, mais puissante, que "le Seigneur, d'une main secrète, triomphait d'Amalec Ex 17,16". C'est pourquoi aussi il enlevait les enfants de la maison de David qui avaient eu l'heureuse fortune de naître à ce moment-là, afin de les envoyer au-devant de lui dans son royaume Mt 2,16: étant lui-même tout-petit, il se préparait des martyrs parmi les tout-petits des hommes, car c'est bien pour "le Christ" né "à Bethléem de Judée Mt 2,4-5", "dans la cité de David Lc 2,11,", qu'ils étaient mis à mort, comme en témoignent les Ecritures.

5 C'est pourquoi encore le Seigneur disait à ses disciples après sa résurrection: "O hommes sans intelligence et coeurs lents à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire Lc 24,25-26 ?" Il leur dit encore: "Ce sont là les paroles que je vous ai dites quand j'étais encore avec vous: qu'il fallait que s'accomplît tout ce qui est écrit à mon sujet dans la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes Lc 24,44." "Alors il leur ouvrit l'intelligence pour qu'ils comprissent les Écritures. Et il leur dit: Ainsi a-t-il été écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts et qu'en son nom la rémission des péchés serait prêchée à toutes les nations Lc 24,45-47." Or ce Christ est bien Celui qui est né de Marie, car "il faut, disait-il, que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour Mt 16,21 Mc 8,31 Lc 9,22". L'Evangile ne connaît donc pas d'autre Fils de l'homme que Celui qui est né de Marie et qui a aussi souffert la Passion; il ne connaît pas davantage un Christ qui se serait envolé de Jésus avant cette Passion, mais il reconnaît en Celui qui est né Jésus-Christ, le Fils de Dieu, et il proclame que c'est celui-ci même qui, après avoir souffert la Passion, est ressuscité.


Suite du témoignage de Jean

C'est exactement ce qu'affirme Jean, le disciple du Seigneur, lorsqu'il dit: "Ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant vous ayez la vie éternelle en son nom Jn 20,31." Jean voyait en effet d'avance les théories blasphématoires de ces gens qui divisent le Seigneur, autant qu'il est en leur pouvoir, en le déclarant fait de deux êtres distincts. C'est pourquoi, dans son épître, il nous a encore donné ce témoignage: "Mes petits enfants, c'est la dernière heure, et, comme vous avez appris que l'Antéchrist vient, voici que maintenant plusieurs Antéchrists ont été produits: par là nous connaissons que c'est la dernière heure. Ils sont sortis de chez nous, mais il n'étaient pas des nôtres. Car, s'ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous. Mais cela est arrivé afin qu'il fût mis en évidence qu'ils n'étaient pas des nôtres. Connaissez donc que tout mensonge est étranger et ne procède pas de la vérité. Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ? Le voilà, l'Antéchrist !"

6 Or tous ces gens dont nous avons parlé, lors même qu'ils confessent de bouche un seul Jésus-Christ, se moquent d'eux-mêmes du fait qu'ils pensent une chose et en disent une autre. Car, encore qu'avec des modalités diverses, ainsi que nous l'avons montré, leurs systèmes proclament qu'autre est celui qui a souffert et qui est né, c'est-à-dire Jésus, et autre celui qui est descendu en lui et qui en est ensuite remonté, c'est-à-dire le Christ: le premier est celui qui relève du Démiurge, ou le Jésus de l'économie, ou encore celui qui est né de Joseph, et il est, exposent-ils, capable de souffrir; quant au second, il est descendu des régions invisibles et inexprimables, et il est, affirment-ils, invisible, insaisissable et impassible. Ainsi s'égarent-ils loin de la vérité, parce que leur pensée s'écarte du vrai Dieu. Ils ignorent en effet que le Verbe de Dieu Jn 1,1-3, le Fils unique Jn 1,18, qui était de tout temps présent à l'humanité , s'est uni et mêlé selon le bon plaisir du Père à son propre ouvrage par lui modelé et s'est fait chair Jn 1,14: et c'est ce Verbe fait chair qui est Jésus-Christ notre Seigneur, et c'est lui qui a souffert pour nous, qui est ressuscité pour nous, qui reviendra dans la gloire du Père pour ressusciter toute chair, faire apparaître le salut et appliquer la règle du juste jugement à tous ceux qui subiront son pouvoir. Il n'y a donc qu'un seul Dieu, le Père, comme nous l'avons montré, et un seul Christ Jésus, notre Seigneur, qui est passé à travers toutes les "économies" et qui a tout récapitulé en lui-même Ep 1,10. Dans ce "tout" est aussi compris l'homme, cet ouvrage modelé par Dieu: il a donc récapitulé aussi l'homme en lui, d'invisible devenant visible, d'insaisissable, saisissable, d'impassible, passible, de Verbe, homme. Il a tout récapitulé en lui-même, afin que, tout comme le Verbe de Dieu a la primauté sur les êtres supracélestes, spirituels et invisibles, il l'ait aussi sur les êtres visibles et corporels assumant en lui cette primauté et se constituant lui-même la tête de l'Église Ep 1,22, afin d'attirer tout à lui Jn 12,32 au moment opportun.

7 Car il n'y a rien de désordonné ni d'intempestif chez lui, comme il n'y a rien d'incohérent chez le Père: tout est connu d'avance par le Père et accompli par le Fils de la manière voulue au moment opportun. C'est pourquoi, lorsque Marie avait hâte de voir le signe merveilleux du Vin et voulait participer avant le temps à la Coupe 1Co 10,16-17 du raccourcia, le Seigneur, repoussant sa hâte inopportune, lui dit: "Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi? Mon heure n'est pas encore venue Jn 2,4": il attendait l'heure connue d'avance par le Père. C'est pourquoi aussi, lorsqu'à maintes reprises les hommes voulurent se saisir de lui, "personne, est-il dit, ne mit la main sur lui, car l'heure n'était pas encore venue Jn 7,30" où il devait être arrêté, non plus que le temps de sa Passion connu d'avance par le Père. Comme le dit le prophète Habacuc: "Quand approcheront les années, tu seras reconnu; quand le temps sera venu, tu te montreras; quand mon âme sera troublée par ta colère, tu te souviendras de ta miséricorde Ha 3,2." Paul dit aussi de son côté: "Quand fut venue la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils Ga 4,4."

Note :

a Le sens de cette expression a été donné par Irénée; voir plus haut, III, 11, 5 .


Il est clair par là que tout ce qui était connu d'avance par le Père, notre Seigneur l'a accompli selon l'ordre, le temps et l'heure connus d'avance et convenables: il est de la sorte un et le même, tout en étant riche et multiple, car c'est la riche et multiple volonté du Père qu'il sert en étant tout à la fois le Sauveur de ceux qui sont sauvés, le Seigneur de ceux qui subissent son pouvoir, le Dieu des choses qui furent créées, le Fils unique du Père, le Christ qui fut annoncé d'avance et le Verbe de Dieu qui s'incarna quand fut venue la plénitude du temps où il fallait que le Fils de Dieu devînt Fils de l'homme. 8 Ils sont dès lors tous en dehors de l'"économie", ceux qui, sous prétexte de "gnose", en viennent à penser qu'autre est Jésus, autre le Christ, autre le Monogène, autre le Logos et autre le Sauveur, ce dernier étant l'émission des Éons tombés dans la déchéance, comme vont jusqu'à dire ces disciples de l'erreur. Au dehors, ce sont des brebis, car leur langage extérieur les fait paraître semblables à nous du fait qu'ils disent les mêmes choses que nous; mais, au dedans, ce sont des loups Mt 7,15, car leur doctrine est homicide, elle qui invente une pluralité de Dieux et imagine une multitude de Pères et qui, d'autre part, met en pièces et divise de multiples façons le Fils de Dieu.

Ces gens-là, le Seigneur nous a dit d'avance de nous en garder Mt 7,15, et son disciple Jean, dans son épître déjà citée, nous a prescrit de les fuir, en disant: "Beaucoup de séducteurs sont venus dans le monde, qui ne confessent pas que Jésus-Christ est venu en chair. Le voilà, le séducteur et l'Antéchrist ! Prenez garde à eux, afin que vous ne perdiez pas ce que vous avez accompli 2Jn 1,7-8." Et encore dans cette épître: "Beaucoup de faux prophètes sont venus du siècle. En ceci vous reconnaîtrez l'Esprit de Dieu: tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chair est de Dieu; et tout esprit qui divise Jésus n'est pas de Dieu, mais de l'Antéchrist 1Jn 4,1-3." Ces paroles sont semblables à ce qu'il dit dans l'Évangile, à savoir que "le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous Jn 1,14". C'est pourquoi il dit encore dans son épître: "Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu 1Jn 5,1." Il ne connaît qu'un seul et même Jésus-Christ, pour qui les portes du ciel se sont ouvertes Ps 24,7 Ps 23,9 à cause de son enlèvement dans la chair et qui, dans cette même chair en laquelle il a souffert, viendra nous révéler la gloire du Père Mt 16,27.


Suite du témoignage de Paul

9 En accord avec cette doctrine, Paul s'exprime ainsi à l'adresse des Romains: "... à bien plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et de la justice régneront-ils dans la vie par l'unique Jésus-Christ Rm 5,17." Il ignore donc un Christ qui se serait envolé de Jésus, et il ne connaît pas davantage un Sauveur d'en haut prétendument impassible. Si en effet l'un a souffert, tandis que l'autre est demeuré impassible, et si l'un est né, tandis que l'autre est descendu sur le premier pour l'abandonner ensuite, ce n'est plus un unique sujet, mais deux, que l'on nous présente. Que l'Apôtre n'en connaisse qu'un seul, à savoir le Christ Jésus qui est né et qui a souffert, c'est ce qu'il dit encore dans la même épître: "Ou bien ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés, afin que, comme le Christ est ressuscité d'entre les morts, nous marchions nous aussi dans une nouveauté de vie Rm 6,3-4 ?" De même encore, voulant indiquer que c'est bien le Christ qui a souffert et que c'est lui le Fils de Dieu qui est mort pour nous et nous a rachetés par son sang au temps fixé, il dit: "Pourquoi, alors que nous étions encore impuissants, le Christ, au temps marqué, est-il mort pour des impies? Dieu prouve son amour pour nous en ce que, alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. A bien plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés dans son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. Car si, lorsque nous étions des ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, ayant été réconciliés, serons-nous sauvés dans sa vie Rm 5,6 Rm 5,8-10." De toute évidence Paul proclame par là que Celui-là même qui a été arrêté, qui a souffert et qui a répandu son sang pour nous, c'est lui le Christ, lui le Fils de Dieu, lequel est également ressuscité et monté aux cieux. Comme le dit Paul lui-même, tout ensemble: "Le Christ, qui est mort, bien plus, qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu Rm 8,34." Et encore: ".., sachant que le Christ, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus Rm 6,9." C'est en effet parce qu'il voyait d'avance lui aussi par l'Esprit les découpages de ces mauvais maîtres et pour leur enlever tout prétexte à dissentiment qu'il dit les paroles qui viennent d'être citées. < Il dit encore >: "Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels Rm 8,11." Peu s'en faut qu'il ne crie à ceux qui veulent bien l'entendre: Ne vous y trompez pas 1Co 6,9 1Co 15,33 ! Il n'y a qu'un seul et même Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui par sa Passion nous a réconciliés avec Dieu, qui est ressuscité d'entre les morts, qui est à la droite du Père. Il est parfait en tout: frappé, il ne rendait pas les coups; "souffrant, il ne proférait pas de menaces 1P 2,23"; crucifié, il priait son Père de pardonner Lc 23,34 à ceux qui le clouaient à la croix. Car c'est lui qui nous a vraiment sauvés, lui le Verbe de Dieu, lui le Fils unique issu du Père, le Christ Jésus notre Seigneur.


317

La descente de l'Esprit Saint sur le Fils de Dieu fait homme

17 1 Les apôtres auraient pu dire en effet que le Christ était descendu sur Jésus, ou le Sauveur d'en haut sur le Jésus de l'économie, ou celui qui provient des régions invisibles sur celui qui relève du Démiurge. Mais ils n'ont rien su ni rien dit de tel - car, s'ils l'avaient su, ils l'auraient dit sans aucun doute -. En revanche, ils ont dit ce qui était, à savoir que l'Esprit de Dieu descendit sur lui comme une colombe Mt 3,16 Mc 1,10 Lc 3,22 Jn 1,32. C'est lui l'Esprit dont Isaïe avait dit: "Et l'Esprit de Dieu reposera sur lui Is 11,2", comme nous l'avons expliqué déjà; et encore: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint Is 61,1 Lc 4,18." C'est lui l'Esprit dont le Seigneur disait: Car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit de votre Père qui parlera en vous Mt 10,20." De même encore, lorsqu'il donnait à ses disciples le pouvoir de faire renaître les hommes en Dieu, il leur disait: "Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit Mt 28,19." Cet Esprit, en effet, il avait promis par les prophètes de le répandre dans les derniers temps sur ses serviteurs et ses servantes afin qu'ils prophétisent Jl 3,1-2 Ac 2,17-18. Et c'est pourquoi cet Esprit est descendu sur le Fils de Dieu devenu Fils de l'homme: par là, avec lui, il s'accoutumait à habiter dans le genre humain, à reposer Is 11,2 1P 4,14 sur les hommes, à résider dans l'ouvrage modelé par Dieu; il réalisait en eux la volonté du Père et les renouvelait en les faisant passer de leur vétusté à la nouveauté du Christ.

2 C'est cet Esprit que David avait demandé pour le genre humain en disant: "Et, par ton Esprit qui dirige, affermis-moi Ps 51,14." C'est encore cet Esprit dont Luc nous dit qu'après l'ascension du Seigneur il est descendu sur les disciples, le jour de la Pentecôte Ac 2,1-4, avec pouvoir sur toutes les nations pour les introduire dans la vie et leur ouvrir le nouveau Testament: aussi est-ce dans toutes les langues que, animés d'un même sentiment, les disciples célébraient les louanges de Dieu, tandis que l'Esprit ramenait à l'unité les tribus séparées et offrait au Père les prémices de toutes les nations Ac 2,5-12. C'est pourquoi aussi le Seigneur avait promis de nous envoyer un Paraclet Jn 15,26 qui nous accorderait à Dieu. Car, comme de farine sèche on ne peut, sans eau, faire une seule pâte et un seul pain, ainsi nous, qui étions une multitude, nous ne pouvions non plus devenir un dans le Christ Jésus Rm 12,5 1Co 10,17 Ga 3,28 sans l'Eau venue du ciel. Et comme la terre aride, si elle ne reçoit de l'eau, ne fructifie point, ainsi nous-mêmes, qui n'étions d'abord que du bois sec Lc 23,31, nous n'aurions jamais porté du fruit de vie sans la Pluie généreuse Ps 68,10 venue d'en haut. Car nos corps, par le bain Ep 5,26 Tt 3,5 du baptême, ont reçu l'union à l'incorruptibilité, tandis que nos âmes l'ont reçue par l'Esprit Jn 3,5. C'est pourquoi l'un et l'autre sont nécessaires, puisque l'un et l'autre contribuent à donner la vie de Dieu. Ainsi notre Seigneur a-t-il pris en pitié cette Samaritaine infidèle Jr 3,7-8 Jr 3-11, qui n'était pas demeurée dans l'appartenance d'un seul mari, mais avait forniqué dans de multiples noces: il lui a montré, il lui a promis une Eau vive Jn 4,10, afin qu'elle n'ait plus soif désormais et ne soit plus astreinte à s'humecter d'une eau péniblement acquise, puisqu'elle aurait en elle un Breuvage jaillissant pour la vie éternelle Jn 4,14, ce Breuvage même que le Seigneur a reçu en don Jn 4,10 du Père et qu'il a donné, à son tour, à ceux qui participent de lui, en envoyant l'Esprit Saint sur toute la terre.

3 C'est parce qu'il voyait d'avance la grâce de ce don que Gédéon, cet Israélite que Dieu avait choisi pour sauver le peuple d'Israël de la domination des étrangers, changea sa demande Jg 6,36-40: il prophétisa par là que sur la toison de laine, qui seule avait d'abord reçu la rosée et qui était la figure du peuple d'Israël, viendrait la sécheresse, c'est-à-dire que ce peuple ne recevrait plus de Dieu l'Esprit Saint - selon ce que dit Isaïe: "Je commanderai aux nuées de ne pas pleuvoir sur elle Is 5,6" -, tandis que sur toute la terre se répandrait la rosée, qui est l'Esprit de Dieu. C'est précisément cet Esprit qui est descendu sur le Seigneur, "Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu Is 11,2-3". Et c'est ce même Esprit que le Seigneur à son tour a donné à l'Église, en envoyant des cieux le Paraclet' sur toute la terre, là où le diable avait été précipité comme l'éclair, selon la parole du Seigneur Lc 10,18 Ap 12,9: c'est pourquoi cette rosée de Dieu nous est nécessaire pour que nous ne soyons pas consumés ni rendus stériles et pour que, là où nous avons un accusateur Ap 12,10, nous ayons aussi un Défenseur. Car le Seigneur a confié à l'Esprit Saint l'homme, son propre bien, qui était tombé entre les mains des brigands, cet homme dont il a eu compassion et dont il a lui-même bandé les blessures, donnant deux deniers royaux Lc 10,30-35 pour que, après avoir reçu par l'Esprit l'image et l'inscription Mt 22,20 Mc 12,16 Lc 20,24 du Père et du Fils, nous fassions fructifier le denier qui nous est confié et le remettions au Seigneur ainsi multiplié Mt 25,14-30 Lc 19,12-27.

4 Ainsi donc, c'est bien l'Esprit qui est descendu, à cause de l'"économie" que nous venons de dire; quant au Fils unique de Dieu, qui est aussi le Verbe du Père, lorsqu'est venue la plénitude du temps Ga 4,4, il s'est incarné dans l'homme à cause de l'homme et il a accompli toute son "économie" humaine, étant, lui, Jésus-Christ notre Seigneur, un seul et le même. Voilà ce que le Seigneur lui-même atteste, ce que les apôtres confessent, ce que les prophètes proclament. Mensongères, dès lors, s'avèrent toutes les doctrines de ces gens qui ont inventé des Ogdoades, des Tétrades et des Décades et qui ont imaginé divisions et subdivisions ! Car, d'une part, ils éliminent l'Esprit; d'autre part, ils estiment qu'autre est le Christ et autre Jésus, et ils enseignent de la sorte non un seul Christ, mais plusieurs; même s'ils les disent unis, ils reviennent à la charge pour exposer que l'un a eu en partage la Passion, tandis que l'autre est demeuré impassible, que l'un est monté au Plérôme, tandis que l'autre est demeuré dans l'Intermédiaire, que l'un festoie et se délecte dans les régions invisibles et innommables, tandis que l'autre est assis aux côtés du Démiurge qu'il dépouille de sa puissance.

Aussi faudra-t-il que toi-même, ainsi que tous ceux qui lisent cet écrit et ont le souci de leur salut, vous n'alliez pas, dès que vous entendez le son extérieur de leurs paroles, vous courber spontanément sous leur loi. Car tout en tenant aux fidèles le même langage que nous, ainsi que nous l'avons déjà dit, ils ont des pensées non seulement différentes, mais à l'opposé des nôtres et toutes remplies de blasphèmes, et ils tuent par là ceux qui, sous la ressemblance des mots, attirent en eux le poison fort dissemblable de leur sentiment intérieur. C'est comme si quelqu'un donnait du plâtre mêlé à de l'eau en guise de lait et trompait ainsi les gens par la ressemblance de la couleur. Comme le disait un homme supérieur à nous, à propos de tous ceux qui, d'une manière quelconque, corrompent les choses de Dieu et altèrent la vérité: "Il est mal de mêler le plâtre au lait de Dieu."



Irénée adv. Hérésies Liv.3 ch.13