Irénée adv. Hérésies Liv.1 ch.9


DEUXIÈME PARTIE

UNITE DE LA FOI DE L'EGLISE ET VARIATIONS DES SYSTÈMES HÉRÉTIQUES


I. UNITÉ DE LA FOI DE L'ÉGLISE


Les données de la foi

110 101 En effet, l'Église, bien que dispersée dans le monde entier jusqu'aux extrémités de la terre, ayant reçu des apôtres et de leurs disciples la foi en un seul Dieu, Père tout-puissant, " qui a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils contiennent Ex 20,11 Ps 146,6 Ac 4,24 Ac 14,15 ", et en un seul Christ Jésus, le Fils de Dieu, qui s'est incarné Jn 1,14 pour notre salut, et en l'Esprit Saint, qui a proclamé par les prophètes les " économies ", la venue, la naissance du sein de la Vierge, la Passion, la résurrection d'entre les morts et l'enlèvement Lc 9,51 corporel dans les cieux du bien-aimé Ep 1,6 Christ Jésus notre Seigneur et sa parousie du haut des cieux dans la gloire du Père Mt 16,27, pour " récapituler toutes choses Ep 1,10" et ressusciter toute chair de tout le genre humain, afin que devant le Christ Jésus notre Seigneur, notre Dieu, notre Sauveur et notre Roi, selon le bon plaisir Ep 1,9 du Père invisible Col 1,15, " tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers et que toute langue " le "confesse Ph 2,10-11" et qu'il rende sur tous un juste jugement Rm 2,5, envoyant au feu éternel Mt 18,8 Mt 25,41 les "esprits du mal Ep 6,12" et les anges prévaricateurs et apostats, ainsi que les hommes impies, injustes, iniques et blasphémateurs, et accordant au contraire la vie, octroyant l'incorruptibilité et procurant la gloire éternelle 2Tm 2,10 1P 5,10" aux justes, aux saints Tt 1,8, à ceux qui auront gardé ses commandements Jn 14,15 et qui seront demeurés dans son amour Jn 15,10, les uns depuis le début Jn 15,27, les autres depuis leur conversion -: 2 ayant donc reçu cette prédication et cette foi, ainsi que nous venons de le dire, l'Église, bien que dispersée dans le monde entier, les garde avec soin, comme n'habitant qu'une seule maison, elle y croit d'une manière identique, comme n'ayant qu'une seule âme et qu'un même coeur Ac 4,32, et elle les prêche, les enseigne et les transmet d'une voix unanime, comme ne possédant qu'une seule bouche.

Car, si les langues diffèrent à travers le monde, le contenu de la Tradition est un et identique. Et ni les Églises établies en Germaine n'ont d'autre foi ou d'autre Tradition, ni celles qui sont chez les Ibères, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles de l'Orient, de l'Égypte, de la Libye, ni celles qui sont établies au centre du monde; mais, de même que le soleil, cette créature de Dieu, est un et identique dans le monde entier, de même cette lumière qu'est la prédication de la vérité brille Jn 1,5 partout et illumine tous les hommes Jn 1,9 qui veulent "parvenir à la connaissance de la vérité 1Tm 2,4". Et ni le plus puissant en discours parmi les chefs des Églises ne dira autre chose que cela - car personne n'est au-dessus du Maître Mt 10,24 -, ni celui qui est faible en paroles n'amoindrira cette Tradition: car, la foi étant une et identique, ni celui qui peut en disserter abondamment n'a plus, ni celui qui n'en parle que peu n'a moins 2Co 8,15 Ex 16,18.

Les questions théologiques

3 Le degré plus ou moins grand de science n'apparaît pas dans le fait de changer la doctrine elle-même et d'imaginer faussement un autre Dieu en dehors de Celui qui est le Créateur, l'Auteur et le Nourricier de cet univers, comme s'il ne nous suffisait pas, ou un autre Christ, ou un autre Fils unique. Mais voici en quoi se prouve la science d'un homme: dégager l'exacte signification des paraboles et faire ressortir leur accord avec la doctrine de vérité; exposer la manière dont s'est réalisé le dessein salvifique de Dieu en faveur de l'humanité; montrer que Dieu a usé de longanimité et devant l'apostasie des anges rebelles et devant la désobéissance des hommes; faire connaître pourquoi un seul et même Dieu a fait des êtres temporels et des êtres éternels, des êtres célestes et des êtres terrestres; comprendre pourquoi ce Dieu, alors qu'il était invisible, est apparu aux prophètes, et cela non pas sous une seule forme, mais aux uns d'une manière et aux autres d'une autre, indiquer pourquoi plusieurs Testaments ont été octroyés à l'humanité et enseigner quel est le caractère propre de chacun d'eux; chercher à savoir exactement pourquoi "Dieu a enfermé toutes choses dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde Rm 11,32"; publier dans une action de grâces pourquoi "le Verbe" de Dieu "s'est fait chair Jn 1,14" et a souffert sa Passion; faire connaître pourquoi la venue du Fils de Dieu a eu lieu dans les derniers temps, autrement dit pourquoi Celui qui est le Principe n'est apparu qu'à la fin; déployer tout ce qui est contenu dans les Ecritures au sujet de la fin et des réalités à venir; ne pas taire pourquoi, alors qu'elles étaient sans espérance Ep 2,12, Dieu a fait "les nations cohéritières, concorporelles et coparticipantes Ep 3,6" des saints; publier comment "cette chair mortelle revêtira l'immortalité, et cette chair corruptible, l'incorruptibilité 1Co 15,54"; proclamer comment "celui qui n'était pas un peuple est devenu un peuple et celle qui n'était pas aimée est devenue aimée Os 2,25 Rm 9,25", et comment "les enfants de la délaissée sont devenus plus nombreux que les enfants de celle qui avait l'époux Is 54,1 Ga 4,27". C'est à propos de ces choses et d'autres semblables que l'Apôtre s'est écrié: "O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables ! Rm 11,33" Il ne s'agit donc pas d'imaginer faussement au-dessus du Créateur et Démiurge une Mère de celui-ci et de ces gens-là - Mère qui serait l'Enthymésis d'un Eon égaré - et d'en venir à un tel excès de blasphème, ni d'imaginer derechef au-dessus d'elle un Plérôme qui contiendrait tantôt trente Éons, tantôt une tribu innombrable d'Eons. Car ainsi s'expriment ces maîtres vraiment dépourvus de science divine, cependant que toute la véritable Eglise possède une seule et même foi à travers le monde entier, ainsi que nous l'avons dit.




II. VARIATIONS DES SYSTÈMES HÉRÉTIQUES


Diversité des doctrines professées par les Valentiniens

111 111 Voyons maintenant la doctrine instable de ces gens et comment, dès qu'ils sont deux ou trois, non contents de ne pouvoir dire les mêmes choses à propos des mêmes objets, ils se contredisent les uns les autres dans la pensée comme dans les mots. Le premier d'entre eux, Valentin, empruntant les principes de la secte dite "gnostique", les a adaptés au caractère propre de son école. Voici donc de quelle manière il a précisé son système. Il existait une Dyade innommable, dont un terme s'appelle l'Inexprimable et l'autre le Silence. Par la suite, cette Dyade a émis une deuxième Dyade, dont un terme se nomme le Père et l'autre la Vérité. Cette Tétrade a produit comme fruit le Logos et la Vie, l'Homme et l'Église: et voilà l'Ogdoade première. Du Logos et de la Vie sont émanées dix Puissances, comme nous l'avons déjà dit; de l'Homme et de l'Église sont émanées douze autres Puissances, dont l'une, après avoir quitté le Plérôme et être tombée dans la déchéance, a fait le reste de l'oeuvre de fabrication. Valentin pose deux Limites: l'une, située entre l'Abîme et le restant du Plérôme, sépare les Éons engendrés du Père inengendré, tandis que l'autre sépare leur Mère du Plérôme. Le Christ n'a pas été émis par les Eons du Plérôme: c'est la Mère qui, lorsqu'elle s'est trouvée hors du Plérôme, l'a enfanté selon le souvenir qu'elle avait gardé des réalités supérieures, non cependant sans une certaine ombre. Comme ce Christ était masculin, il retrancha de lui-même cette ombre et remonta dans le Plérôme. La Mère alors, abandonnée avec l'ombre et vidée de la substance pneumatique, émit un autre fils: c'est le Démiurge, maître tout-puissant de ce qui est au-dessous de lui. En même temps que lui fut émis un Archonte de la gauche, décrète Valentin à l'instar des "Gnostiques" au nom menteur dont nous parlerons plus loin. Quant à Jésus, il le fait dériver tantôt de l'Éon qui s'est séparé de la Mère et s'est réuni aux autres, c'est-à-dire de Thelètos, tantôt de celui qui est remonté au Plérôme, c'est-à-dire du Christ, tantôt encore de l'Homme et de l'Église. Quant à l'Esprit Saint, il dit qu'il a été émis par la Vérité pour la probation et la fructification des Éons: il entre en eux d'une manière invisible et, par lui, les Éons fructifient en rejetons de Vérité. Telle est la doctrine de Valentin.

2 Secundus enseigne que la première Ogdoade comprend une Tétrade de droite et une Tétrade de gauche: l'une est Lumière, l'autre, Ténèbres. Quant à la Puissance qui s'est séparée du Plérôme et a subi la déchéance, elle ne provient pas des trente Éons, mais de leurs fruits.

3 Un autre, qui est chez eux un maître réputé, "s'étend" vers une gnose plus haute et plus "gnostique" et décrit la première Tétrade de la manière suivante: Il existe avant toutes choses un Pro-Principe pro-inintelligible, inexprimable et innommable, que j'appelle Unicité. Avec cette Unicité coexiste une Puissance que j'appelle encore Unité. Cette Unité et cette Unicité, étant un, ont émis, sans émettre, un Principe de toutes choses, intelligible, inengendré et invisible, Principe que le langage appelle Monade. Avec cette Monade coexiste une Puissance de même substance qu'elle, que j'appelle encore l'Un. Et ces Puissances, à savoir l'Unicité, l'Unité, la Monade et l'Un, ont émis le reste des Éons.

4 Ah ! ah ! hélas ! hélas ! Il est bien permis, en vérité, de pousser cette exclamation tragique devant une pareille fabrication de noms, devant l'audace de cet homme apposant impudemment des noms sur ses mensongères inventions. Car en disant: "Il existe avant toutes choses un Pro-Principe pro-inintelligible que j'appelle Unicité", et: "Avec cette Unicité coexiste une Puissance que j'appelle encore Unité", il avoue de la façon la plus claire que toutes ses paroles ne sont qu'une fiction et que lui-même appose sur cette fiction des noms que personne d'autre n'a employés jusque-là. Sans son audace, la vérité n'aurait donc point encore aujourd'hui de nom, à l'en croire ! Mais alors, rien n'empêche qu'un autre inventeur, traitant le même sujet, définisse ses termes de la façon suivante: Il existe un certain Pro-Principe royal, prodénué-d'intelligibilité, pro-dénué-de-substance et propro-doté-de-rotondité, que j'appelle Citrouille. Avec cette Citrouille coexiste une Puissance que j'appelle encore Supervacuité. Cette Citrouille et cette Supervacuité, étant un, ont émis, sans émettre, un Fruit visible de toutes parts, comestible et savoureux, Fruit que le langage appelle Concombre. Avec ce Concombre coexiste une Puissance de même substance qu'elle, que j'appelle encore Melon
Nb 11,5. Ces Puissances, à savoir Citrouille, Supervacuité, Concombre et Melon, ont émis tout le reste de la multitude des Melons délirants de Valentin. Car, s'il faut accommoder le langage commun à la première Tétrade et si chacun choisit les noms qu'il veut, qui empêcherait de se servir de ces derniers termes, beaucoup plus dignes de créance, passés dans l'usage et connus de tous ?

5 D'autres parmi eux ont encore donné à la première et primitive Ogdoade les noms suivants: d'abord le ProPrincipe, ensuite l'Inintelligible, en troisième lieu l'Inexprimable, en quatrième lieu l'Invisible; du Pro-Principe primitif a été émis, en premier et cinquième lieu, le Principe; de l'Inintelligible a été émis, en deuxième et sixième lieu, l'Incompréhensible; de l'Inexprimable a été émis, en troisième et septième lieu, l'Innommable; de l'Invisible a été émis, en quatrième et huitième lieu, l'Inengendré, par qui se complète la première Ogdoade. Ces Puissances, ils prétendent qu'elles existent antérieurement à l'Abîme et au Silence, afin d'apparaître comme des hommes plus parfaits que les "parfaits" et plus gnostiques que les "gnostiques". On pourrait leur dire à juste titre: "Pauvres melons, qui n'êtes que de vils sophistes, et non des hommes !" Car à propos de l'Abîme lui-même il existe chez eux diverses opinions: les uns disent qu'ils n'a pas de conjoint, n'étant ni mâle ni femelle ni rien du tout; les autres le disent à la fois mâle et femelle, lui attribuant une nature hermaphrodite; d'autres encore lui adjoignent Silence comme compagne, de façon à constituer la première Syzygie.

112 121 Les plus savants parmi les gens de l'entourage de Ptolémée disent qu'il a deux compagnes, qu'ils appellent aussi ses "dispositions", à savoir la Pensée et la Volonté: car, disent-ils, il a d'abord pensé à émettre quelque chose, et ensuite il l'a voulu. C'est pourquoi de ces deux dispositions ou puissances, à savoir la Pensée et la Volonté, mélangées pour ainsi dire l'une à l'autre, est résultée l'émission du couple du Monogène et de la Vérité. Ceux-ci sont sortis comme la réplique et l'image des deux dispositions du Père, image visible de ses dispositions invisibles. L'Intellect reproduit la Volonté, et la Vérité, la Pensée. ("est pourquoi l'Éon mâle est l'image de la Volonté qui est survenue, tandis que l'Éon femelle est l'image de la Pensée qui n'a pas commencé. Car la Volonté est devenue comme la puissance de la Pensée: la Pensée pensait depuis toujours à l'émission, mais elle était impuissante à émettre par elle-même ce qu'elle pensait; par contre, lorsque survint la puissance de la Volonté, alors, ce qu'elle pensait, elle l'émit.

2 Ces gens-là ne te semblent-ils pas, cher ami, avoir conçu en leur esprit le Zeus d'Homère bien plus que le Seigneur de toutes choses? Car le premier est rongé de soucis qui l'empêchent de dormir: il se préoccupe de savoir comment il pourra honorer Achille et faire périr une multitude de Grecsa. Au contraire, le second, en même temps qu'il pense, accomplit cela même qu'il pense, et, en même temps qu'il veut, pense cela même qu'il veut: il pense à l'instant même où il veut et veut à l'instant même où il pense, car il est tout entier Pensée, tout entier Volonté, tout entier Intellect, tout entier Lumière, tout entier Oeil, tout entier Ouïe, tout entier Source de tous les biens.

a cf. Homère, Iliade 2, 1-4.


3 Des gens qui passent pour être encore plus sages que les précédents disent que la première Ogdoade n'a pas été émise par degrés, un Eon dérivant d'un autre: c'est tout ensemble et d'un seul coup que s'est faite l'émission des six Éons enfantés par le Pro-Père et par sa Pensée. Ils affirment cela péremptoirement, comme s'ils avaient fait eux-mêmes l'accouchement. D'après eux, ce n'est plus le Logos et la Vie qui ont émis l'Homme et l'Église; c'est l'Homme et l'Eglise qui ont engendré le Logos et la Vie. Ils s'expriment ainsi: quand le Pro-Père eut la pensée d'émettre quelque chose, cela fut appelé Père; comme ce qui était ainsi émis était vrai, cela fut nommé Vérité; quand il voulut se manifester lui-même, cela fut dit Homme; quand il émit ceux qu'il avait considérés par avance, cela fut nommé Église; l'Homme proféra le Logos, qui est le Fils premier-né et qu'accompagne la Vie. Ainsi fut achevée la première Ogdoade.

4 Ils se querellent beaucoup aussi au sujet du Sauveur. Les uns disent qu'il est issu de tous les Éons: aussi est-il appelé "Bon plaisir", parce qu'il plut à tout le Plérôme d'honorer par lui le Père. D'autres le font venir des seuls dix Éons émis par le Logos et la Vie: c'est pourquoi il est appelé Logos et Vie, gardant le nom de ses ancêtres. D'autres le font venir des douze Éons produits par l'Homme et l'Église: c'est pourquoi il se proclame lui-même "Fils de l'Homme", comme descendant de cet Homme. D'autres disent qu'il provient du Christ et de l'Esprit Saint, qui avaient été émis pour la consolidation du Plérôme: c'est pourquoi il est appelé Christ, gardant l'appellation du Père par qui il a été émis. D'autres encore disent que c'est le Pro-Père de toutes choses lui-même, le Pro-Principe, le Pro-Inintelligible, qui s'appelle Homme: ce serait même là le grand mystère caché
Ep 3,9 Col 1,26, à savoir que la Puissance qui est au-dessus de tout et qui enveloppe tout s'appelle Homme, et telle serait la raison pour laquelle le Sauveur s'est dit "Fils de l'Homme".


Marc le Magicien et ses disciples: pratiques magiques et débauches

113 131 Un autre des leurs s'est vanté d'être le correcteur du maître. Il porte le nom de Marc. Très habile en jongleries magiques, il a trompé par elles beaucoup d'hommes et une quantité peu banale de femmes, les faisant s'attacher à lui comme au "gnostique" et au "parfait" par excellence et comme au détenteur de la Suprême Puissance venue des lieux invisibles et innommables. C'est un véritable précurseur de l'Antéchrist, car, mêlant les jeux d'Anaxilaüs aux supercheries de ceux qu'on nomme magiciens, il se fait passer pour faiseur de miracles aux yeux de ceux qui n'ont jamais eu le sens ou qui l'ont perdu.

2 Feignant d'"eucharistier" une coupe mêlée de vin et prolongeant considérablement la parole de l'invocation, il fait en sorte que cette coupe apparaisse pourpre ou rouge. On s'imagine alors que la Grâce venue des régions qui sont au-dessus de toutes choses fait couler son propre sang dans la coupe de Marc en réponse à l'invocation de celui-ci, et les assistants brûlent du désir de goûter à ce breuvage, afin qu'en eux aussi se répande la Grâce invoquée par ce magicien. Ou bien encore, présentant à une femme une coupe mêlée, il lui ordonne de l'"eucharistier" en sa présence. Cela fait, il apporte une autre coupe beaucoup plus grande que celle qu'a "eucharistiée" cette égarée, puis il vide la coupe plus petite "eucharistiée" par la femme dans la coupe beaucoup plus grande apportée par lui, tout en disant la formule suivante: "Que Celle qui est avant toutes choses, l'incompréhensible et inexprimable Grâce, remplisse ton Homme intérieur
Ep 3,16 et multiplie en toi sa gnose, en semant le grain de sénevé dans la bonne terre Mt 13,31 Mt 13,8 !" Après avoir dit de telles paroles et égaré ainsi la malheureuse, il donne une démonstration de sa thaumaturgie en faisant en sorte que la grande coupe soit remplie au moyen de la petite, au point même de déborder. Par d'autres prodiges semblables il a séduit et entraîné à sa suite beaucoup de monde.

3 Il semble qu'il ait même un démon assistant, grâce auquel il se donne l'apparence de prophétiser lui-même et fait prophétiser les femmes qu'il juge dignes de participer à sa Grâce. Car c'est surtout de femmes qu'il s'occupe et, parmi elles, des plus élégantes et des plus riches, de celles dont la robe est frangée de pourpre. Veut-il attirer quelqu'une d'entre elles, il lui tient ce discours flatteur: "Je veux te donner part à ma Grâce, puisque le Père de toutes choses voit sans cesse ton Ange devant sa face Mt 18,10. Le lieu de la Grandeur est en nous: il faut nous établir en l'Un. Reçois d'abord de moi et par moi la Grâce. Tiens-toi prête comme une épouse qui attend son époux, afin que tu sois ce que je suis, et moi, ce que tu es. Installe dans ta chambre nuptiale la semence de la Lumière. Reçois de moi l'Époux, fais-lui place en toi et trouve place en lui. Voici que la Grâce est descendue sur toi: ouvre la bouche et prophétise !" La femme de répondre alors: "Je n'ai jamais prophétisé et ne sais pas prophétiser." Mais lui, faisant de nouvelles invocations destinées à stupéfier sa victime, lui dit: "Ouvre la bouche et dis n'importe quoi: tu prophétiseras." Et elle, sottement enorgueillie par ces paroles et l'âme tout enflammée à l'idée qu'elle va prophétiser, sent son coeur bondir beaucoup plus que de raison: elle s'enhardit et se met à proférer toutes les niaiseries qui lui viennent à la pensée, sottement et effrontément, échauffée qu'elle est par un vain esprit. Comme l'a dit un homme supérieur à nous à propos des gens de cette sorte: "Elle est audacieuse et impudente, l'âme qu'échauffe une vaine vapeur." A partir de ce moment, cette femme se prend pour une prophétesse. Elle rend grâces à Marc de ce qu'il lui a communiqué sa Grâce. Elle s'applique à le rétribuer, non seulement en lui donnant ses biens - voilà l'origine des grandes richesses amassées par cet homme -, mais en lui livrant son corps, désireuse qu'elle est de lui être unie en tout, afin de descendre avec lui dans l'"Un".

4 D'autres femmes, des plus fidèles celles-là, qui avaient la crainte de Dieu, ne se laissèrent pas tromper. Il tenta bien de les séduire comme les autres, en leur enjoignant de prophétiser; mais, l'ayant rejeté et couvert de leurs anathèmes, elles rompirent tout commerce avec une aussi détestable compagnie. Elles savaient pertinemment que le pouvoir de prophétiser n'est pas donné aux hommes par Marc le Magicien, mais que ceux à qui Dieu a envoyé d'en haut sa grâce, ceux-là possèdent le don divin de prophétie, et ils parlent où et quand Dieu le veut, non quand Marc le commande. Car celui qui donne un ordre est plus grand et plus puissant que celui qui le reçoit, puisque le premier fait acte de chef et que le second agit en subordonné. Si donc Marc ou quelque autre donne des ordres - comme ont coutume de le faire dans leurs banquets tous ces gens-là, jouant aux oracles, se donnant mutuellement l'ordre de prophétiser et se faisant les uns aux autres des prédictions conformes à leurs désirs -, alors celui qui commande sera plus grand et plus puissant que l'Esprit prophétique, bien qu'il ne soit qu'un homme: ce qui est impossible. La vérité, c'est que les esprits qui reçoivent des ordres de ces gens-là et qui parlent quand ces gens-là le veulent sont chétifs et débiles, encore qu'audacieux et impudents: ils sont envoyés par Satan pour séduire et pour perdre ceux qui ne gardent pas fermement la foi qu'ils ont reçue, au commencement, par l'entremise de l'Eglise.

5 Ce même Marc use aussi de philtres et de charmes, sinon avec toutes les femmes, du moins avec certaines d'entre elles, pour pouvoir déshonorer leur corps. Elles-mêmes, une fois revenues à l'Église de Dieu, ont souvent avoué qu'elles avaient été souillées par lui en leur corps et qu'elles avaient ressenti une violente passion pour lui. Un diacre, l'un des nôtres qui sont en Asie, pour l'avoir reçu dans sa maison, tomba dans le malheur que voici: sa femme, qui était belle, fut corrompue dans son esprit et dans son corps par ce magicien et elle le suivit longtemps; convertie ensuite à grand-peine par les frères, elle passa le reste de sa vie dans la pénitence, pleurant et se lamentant sur la corruption qu'elle avait subie du fait de ce magicien.

6 Certains de ses disciples, errant çà et là dans les mêmes parages que lui, ont séduit et corrompu un grand nombre de femmes. Ils se décernent à eux-mêmes le titre de "parfaits", persuadés que personne ne peut égaler la grandeur de leur gnose, non pas même Paul ou Pierre ou quelque autre apôtre. Ils en savent plus que tout le inonde; seuls ils ont bu la grandeur de la connaissance de la Puissance inexprimable. Ils sont dans la hauteur, au-dessus de quelque Puissance que ce soit. Aussi peuvent-ils tout se permettre librement et sans la moindre crainte. Grâce à la "rédemption", en effet, ils deviennent insaisissables et invisibles pour le juge. S'il arrivait pourtant qu'il les saisît, ils se tiendraient devant lui, munis de la "rédemption", et diraient ces mots: "O Assistante de Dieu et du mystique Silence antérieur aux Éons, tu es celle par qui les Grandeurs qui voient sans cesse la face du Père Mt 18,10, recourant à toi comme à un guide et une conductrice, attirent en haut leurs formes. Ces formes, qui ne sont autres que nousmêmes, la Femme à la grande audace, sous le coup de l'apparition, à cause de la bonté du Pro-Père, les a émises en qualité d'images des Grandeurs susdites, car elle avait alors présentes à l'esprit, comme dans un songe, les réalités d'en haut. Voici qu'à présent le juge est tout proche et que le Héraut m'invite à présenter ma défense. Toi donc, qui connais la nature des deux parties, présente au juge la justification de nos deux cas qui n'en font qu'un." En entendant ces paroles, la Mère les couvre aussitôt du casque homérique d'Hadès, pour que, devenus invisibles, ils puissent échapper au juge. Sur le champ elle les tire à elle, les introduit dans la chambre nuptiale et les donne à leurs Époux.

7 Par des discours et des agissements de cette sorte, ils ont séduit un grand nombre de femmes jusque dans nos contrées du Rhône. Marquées au fer rouge dans leur conscience 1Tm 4,2, certaines d'entre elles font, même publiquement, pénitence. Mais d'autres, qui répugnent à un tel geste, se retirent en silence, désespérant de la vie de Dieu Ep 4,18-19: tandis que les unes ont totalement apostasié, les autres restent en suspens, n'étant, selon le proverbe, ni au dehors ni au dedans et savourant ce "fruit" de la semence des fils de la gnose.


Marc le Magicien: grammatologie et arithmologie

114 141 Ce Marc donc, qui prétend avoir été lui seul, en qualité de fils unique, le sein et le réceptacle du Silence de Colarbasus, voici de quelle manière il a mis au monde la "semence" ainsi déposée en luia. La Tétrade plus élevée que tout, assure-t-il, venant des lieux invisibles et innommables, descendit elle-même vers lui sous les traits d'une femme: car, dit-il, le monde n'eût pu porter l'élément masculin qu'elle possède. Elle lui indiqua qui elle était et lui exposa, à lui seul, la genèse de toutes choses, genèse qu'elle n'avait jamais encore révélée à qui que ce fût, ni des dieux ni des hommes. Elle lui tint le discours que voici. Lorsqu'à l'origine le Père qui n'a pas de Père, qui est inconcevable et sans substance, qui n'est ni mâle ni femelle, voulut que fût exprimé ce qui en lui était inexprimable et que reçût une forme ce qui en lui était invisible, il ouvrit la bouche et proféra une Parole semblable à lui; cette Parole, se tenant à ses côtés, lui manifesta ce qu'il était, en apparaissant comme la Forme de l'Invisible. L'énonciation du Nom se fit de la manière suivante: le Père prononça la première partie de son Nom, qui fut le Principe, et ce fut une syllabe comprenant quatre éléments, il y adjoignit une deuxième syllabe, qui comprit, elle aussi, quatre éléments; il prononça ensuite la troisième, qui comprit dix éléments; il prononça enfin la dernière, qui comprit douze éléments. L'énonciation du Nom tout entier comporta donc trente éléments et quatre syllabes. Chacun de ces éléments a ses lettres propres, son caractère propre, sa résonance propre, ses traits, ses images, il n'est aucun d'entre eux qui voie la forme de ce dont il n'est qu'un élément; et non seulement ils ignorent cela, mais chaque élément ignore jusqu'à la résonance de son voisin, chacun faisant entendre sa résonance propre et s'imaginant exprimer le Tout. Car chacun d'eux, qui n'est qu'une partie du Tout, fait retentir son propre son comme s'il était le Tout, et ils ne cessent de résonner de la sorte jusqu'à ce que, tous ayant été successivement proférés, on arrive à la dernière lettre du dernier élément. Et l'achèvement de toutes choses aura lieu, dit la Tétrade, quand tous les éléments, concourant en une lettre unique, feront entendre une seule et même résonance - résonance dont il existe une image, assure-t-elle, lorsque tous ensemble nous disons l'"Amen". Tels sont donc les sons qui forment l'Éon sans substance et inengendré; ils sont ces formes que le Seigneur a appelées Anges et qui voient sans cesse la face du Père Mt 18,10.

Note:
a Ici commence l'exposé des vues de Marc le Magicien. Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un système nouveau. Marc suppose admis le système qu'Irénée a décrit plus haut dans la "Grande Notice" (chap. 1-9), avec son Plérôme de 30 Eons, la passion survenue dans le douzième Eon de la Dodécade, le Sauveur issu de tous les Eons, etc. Mais, persuadé que les choses de notre monde contiennent des reflets des réalités d'en haut, Marc entend scruter les énigmes des lettres et des nombres, afin d'y surprendre de secrètes indications sur la constitution du Plérôme et sur les événements survenus au sein de celui-ci. Tout ne sera pas d'une souveraine clarté dans les spéculations de Marc, et les spécialistes eux-mêmes hésiteront sur plus d'un détail d'interprétation.


2 Les noms communs et exprimables des éléments, poursuit la Tétrade, sont: Eons, Logoi, Racines, Semences, Plérômes, Fruits; quant aux propriétés caractéristiques de chacun d'eux, elles sont renfermées et comprises dans le nom Église. La dernière lettre du dernier de ces éléments fit entendre sa voix, dont le son, sortant du Tout, engendra des éléments propres selon l'image des éléments de ce Tout; c'est des éléments ainsi engendrés que provient notre monde et ce qui a existé avant lui. La lettre elle-même, dont le son se propageait ainsi vers le bas, fut reprise en haut par sa syllabe pour que le Tout demeurât complet; mais le son resta dans la région d'en bas, comme rejeté au dehors. L'Elément lui-même, d'où la lettre était descendue vers les régions inférieures avec sa résonance, comprend trente lettres, dit encore la Tétrade; chacune de ces trente lettres a en elle-même d'autres lettres qui servent à la nommer; et ces dernières lettres, à leur tour, sont nommées au moyen d'autres lettres, et ainsi de suite, si bien que la multitude des lettres s'étend à l'infini. - Tu vas comprendre plus clairement ce qu'elle veut dire: l'élément delta a en lui-même cinq lettres, à savoir le delta lui-même, l'epsilon, le lambda, le tau et l' alpha; ces lettres, à leur tour, s'écrivent au moyen d'autres lettres, et ces dernières, au moyen d'autres encore. Si donc toute la substance du delta s'étend ainsi à l'infini du fait que les lettres ne cessent de s'engendrer les unes les autres et de se succéder, combien plus grand encore sera l'océan des lettres de l'Élément par excellence ! Et si une seule lettre est à ce point immense, vois quel "abîme" de lettres suppose le Nom entier, puisque, d'après l'enseignement du Silence de Marc, c'est de lettres qu'est constitué le Pro-Père. C'est pour ce motif que le Père, connaissant sa propre incompréhensibilité, a donné aux éléments - que Marc appelle aussi Éons - de faire retentir chacun la résonance qui lui est propre, dans l'impossibilité où chacun se trouve d'énoncer le Tout.

3 Après lui avoir fait connaître tout cela, la Tétrade dit à Marc: Je veux te montrer aussi la Vérité elle-même, car je l'ai fait descendre des demeures supérieures pour que tu la voies nue et que tu sois instruit de sa beauté, et aussi pour que tu l'entendes parler et que tu admires sa sagesse. Vois donc sa tête, en haut, qui est a et w, son cou qui est b et q, ses bras et ses mains qui sont g et c, sa poitrine qui est d et f, sa taille qui est e et u, son ventre qui est z et t, ses parties qui sont h et V, ses cuisses qui sont y et r, ses genoux qui sont i et p, ses jambes qui sont k et o, ses chevilles qui sont l et x, ses pieds qui sont m et n. - Voilà, à en croire le Magicien, le corps de la Vérité, voilà la configuration de l'Élément, voilà les traits caractéristiques de la Lettre ! A cet Élément il donne le nom d'Homme: il est, dit-il, la source de tout Logos, le principe de toute Voix, l'expression de tout Inexprimable, la bouche de Silence la silencieuse. - Voilà donc son corps. Mais toi, poursuit la Tétrade, élève plus haut les pensées de ton esprit et, de la bouche de la Vérité, entends le Logos générateur de lui-même et donateur du Père.

4 Quand la Tétrade eut ainsi parlé, la Vérité regarda Marc, puis, ouvrant la bouche, elle prononça une parole: cette parole fut un nom, et ce nom était celui que nous connaissons et disons: Christ Jésus"; ayant prononcé ce nom, elle se tut sur-le-champ. Mare s'attendait à ce qu'elle en dise davantage. Alors la Tétrade, se rapprochant, lui dit: Considères-tu comme méprisable la parole que tu viens d'entendre de la bouche de la Vérité? Ce n'est pas ce nom que tu connais et crois posséder qui est le Nom ancien: car tu ne possèdes que le son du Nom et tu ignores sa vertu. "Jésus" (IhsouV) est le Nom "Insignea", possédant six lettres, connu de tous les "appelés Mt 20,16"; mais le Nom qu'il possède parmi les Eons du Plérôme se compose de multiples parties, est d'une autre forme et d'un autre type et est connu de ceux-là seulement qui sont de la même race que lui et dont les "Grandeurs" sont sans cesse auprès de lui.

Note:
a Le nom IesouV (Jésus) est appelé ici "insigne" (epishmoV) parce qu'il possède six lettres: six était, en effet, l'"épisème" ou "nombre insigne" (epishmon), appelé ainsi à cause du signe au moyen duquel il s'écrivait. On sait que les Grecs exprimaient les nombres au moyen des lettres de l'alphabet. Or le signe exprimant le nombre six (V) avait ceci de particulier qu'il avait disparu de l'alphabet des lettres à une époque très ancienne, mais avait gardé sa place dans la série des nombres. Il en résultait que, dans les spéculations arithmologiques le signe en question pouvait, à volonté, entrer ou ne pas entrer en ligne de compte. On verra plus loin à quels résultats aboutit Marc le Magicien, selon que, pour les besoins de sa démonstration, il tient ou ne tient pas compte de ce "nombre insigne".


5 Sache donc que les vingt-quatre lettres en usage chez vous sont les émanations figuratives des trois Puissances qui enveloppent le nombre total des éléments d'en haut. Les neuf consonnes muettes figurent le Père et la Vérité, qui sont "muets", c'est-à-dire inexprimables et ineffables. Les huit semi-voyelles symbolisent le Logos et la Vie, car elles sont comme à mi-chemin entre les muettes et les voyelles et elles reçoivent aussi bien l'écoulement de ce qui est au-dessus d'elles que l'élévation de ce qui est au-dessous. Les sept voyelles enfin représentent l'Homme et l'Église, car c'est en sortant de l'Homme que la Voix a formé toutes choses: car le son de la Voix leur a procuré une forme. Le Logos et la Vie possèdent donc le nombre huit, l'Homme et l'Église le nombre sept, le Père et la Vérité le nombre neufa. A cause du compte déficient, celui qui s'était établi à part dans le Père descendit, envoyé au dehors vers celui dont il s'était séparé, afin de redresser ce qui s'était fait et pour que l'unité des Plérômes, possédant l'égalité, fructifiât en tous et produisît une seule Puissance qui vînt de tous. Ainsi le nombre sept a reçu la valeur du nombre huit, et il y a eu de la sorte trois Lieux semblables par leur nombre, à savoir des Ogdoades. Celles-ci, en venant trois fois sur elles-mêmes, présentent le nombre vingt-quatre. Et les trois éléments - que Marc dit être unis par syzygie aux trois Puissances, ce qui donne le nombre six, d'où ont découlé les vingt-quatre éléments - ces trois éléments ainsi doublés, multipliés par le chiffre de l'inexprimable Tétrade, engendrent le même nombre. Ces éléments, dit-il, appartiennent à l'Innommable; mais ils sont portés par les trois Puissances en vue d'une ressemblance avec l'Invisible. De ces éléments sont l'image les lettres doubles de notre alphabet: en ajoutant celles-ci aux vingt-quatre éléments, en vertu de l'analogie, on obtient le nombre trente.

Note:
a Pour voir ce que Marc veut dire en son langage ésotérique, il faut avoir présents à l'esprit les noms des huit premiers Eons tels qu'on les a rencontrés dans le système propre à Valentin (,1) et tels qu'on les retrouvera au chapitre suivant (, 1): Inexprimable et Silence, Père et Vérité, Logos et Vie, Homme et Église. La transcendance des deux premiers Éons est telle qu'il ne peut pas même être question d'en dire quoi que ce soit. Les " trois Puissances", dont une sorte de reflet se retrouve dans les divisions de l'alphabet, sont donc tout naturellement le Père, le Logos et l'Homme, étant entendu que chaque Eon masculin inclut l'Éon féminin dont il est inséparable. Lc Père et la Vérité auront leur reflet dans le groupe le plus nombreux de l'alphabet, à savoir les neuf muettes (b, g, d, p, k, t, f, c, y). Le Logos et la Vie auront le leur dans le groupe des huit semi-voyelles (l, m, n, r, s, z, x, q). L'Homme et l'Église auront le leur dans les sept voyelles (a, e, h, i, o, u, w). Cette inégalité, comme on va le voir, n'est que provisoire. Une unité va " descendre " de 9 à 7, de manière à assurer une égalisation du 8 central, et c'est du Plérôme ainsi égalisé que proviendra le " Sauveur", Fruit commun du Plérôme, dont le nombre, ainsi qu'il est dit dans la suite (cf , 2), est précisément 888.


6 Le "fruit" de ce calcul et de cette "économie" est apparu, dit-il, sous la similitude de l'image Rm 1,23, en celui qui, après six jours Mt 17,1 Mc 9,2, monta quatrième à la montagne et devint sixième, puis descendit et fut détenu dans l'Hebdomade, alors qu'il était l'Ogdoade insigne et qu'il avait en lui le nombre total des éléments, nombre que manifesta, lors de son baptême, la descente de la colombe, qui est w et a: car le nombre de celle-ci est 801a. Et c'est pourquoi Moïse dit que l'homme a été fait le sixième jour Gn 1,31; c'est pourquoi aussi l'"économie" a eu lieu le sixième jour, qui est la Parascève, jour où le dernier homme est apparu pour régénérer le premier; et, de cette "économie", le principe et le terme fut la sixième heure, à laquelle il fut cloué au bois. Car l'Intellect parfait, sachant que ce nombre six possède une vertu de création et de régénération, a manifesté aux "fils de lumière Lc 16,8 Jn 12,36 Ep 5,8 1Th 5,5" la régénération qui s'est faite par le moyen du nombre insigne apparu dans le dernier homme. De là vient que les lettres doubles possèdent elles aussi le nombre insigne, dit Marc: car le nombre insigne, mélangé avec les vingt-quatre éléments, produit le Nom de trente lettres.

Note:
a On doit comprendre en ce sens que les nombres correspondant aux différentes lettres du mot peristera (= colombe), additionnés ensemble, donnent le total en question: 80 + 5 + 100 + 10 + 200 + 300 + 5 + 100 + 1 = 801. Le raisonnement ici supposé est le suivant. Le "Sauveur" est la " Colombe" qui descendit sur "Jésus" lors du baptême du Jourdain. Or la colombe (peristera) = 801, et ce nombre s'écrit en grec au moyen des lettres a (= 1) et w (= 800). Donc le Sauveur" est a et w, c'est-à-dire à la fois la première et la dernière lettre de I alphabet et, du coup, toutes celles qui se trouvent entre les deux, c'est-à-dire, en fin de compte, "la totalité des Éléments" constituant le Plérôme.


7 Et le nombre insigne utilise en qualité de serviteur la Grandeur aux sept nombres, comme dit le Silence de Marc, afin que soit manifesté le "fruit" de son libre dessein. Ce nombre insigne, dans le cas présent, dit-elle, comprends-le de celui qui a été formé par le nombre insigne, celui qui a été comme divisé, découpé et qui est resté au dehors, celui qui, par sa propre vertu et prudence, par l'entremise de l'émission provenant de lui, a mis une âme dans notre monde, ce monde qui comprend sept vertus à l'imitation de la vertu de l'Hebdomade, et a fait en sorte qu'il y ait une âme de l'univers visible. Celui-là se sert donc de cet ouvrage comme d'une chose qu'il aurait produite de lui-même; mais les choses, étant des imitations des réalités inimitables, sont au service de l'Enthymésis de la Mère. Le premier ciel fait entendre le son a, le suivant le son e, le troisième le son h, le quatrième, situé au milieu des sept, le son i, le cinquième le son o, le sixième le son u, et le septième, qui est le quatrième à partir du milieu, le son w. Voilà ce qu'affirme le Silence de Marc, qui débite une foule de niaiseries et ne dit rien de vrai. Toutes ces Puissances, dit-il, enlacées les unes dans les autres, résonnent et glorifient celui qui les a émises, et la gloire de ce concert s'élève vers le Pro-Père. Le son de cette glorification, dit-il encore, porté vers la terre, est devenu l'auteur et le générateur de ce qui est sur terre.

8 Marc prouve cela par le fait des enfants nouveau-nés, dont l'âme, à peine sortie du sein maternel, fait entendre le son de chacun de ces éléments. De même, dit-il, que les sept Puissances glorifient le Logos, ainsi l'âme des petits enfants, en pleurant et en vagissant, glorifie Marc lui-même ! C'est pourquoi David a dit: "De la bouche des petits enfants et de ceux qui sont à la mamelle tu as préparé une louange Ps 8,3." Et encore: "Les cieux racontent la gloire de Dieu Ps 19,1." Et c'est pour ce motif que, lorsqu'elle se trouve dans les souffrances et les peines en vue de sa purification, l'âme fait entendre le son w en signe de louange, afin que l'âme d'en haut, reconnaissant ce qui lui est apparenté, lui envoie du secours.

9 Telles sont les divagations de Marc à propos du Nom entier, qui est de trente lettres; de l'Abîme, qui s'accroît des lettres de ce nom; du corps de la Vérité, qui comprend douze membres se composant chacun de deux lettres; de la Voix qu'elle a proférée sans la proférer; de l'explication du Nom non proféré, de l'âme du monde et de l'homme, selon qu'ils ont l'"économie" de l'image. Nous allons maintenant rapporter comment leur Tétrade a révélé, à partir des noms, une vertu de nombre égal: de la sorte tu n'ignoreras rien, cher ami, de ce qui nous est parvenu de leurs dires, selon que tu nous l'as maintes fois demandé.

115 151 Voici comment leur très sage Silence rapporte la genèse des vingt-quatre éléments. Avec l'Unicité coexistait l'Unité. Ces deux en émirent deux autres, comme nous l'avons dit, à savoir la Monade et l'Un; ainsi doublés, les deux devinrent quatre, car deux fois deux font quatre. Puis deux et quatre, additionnés ensemble, firent apparaître le nombre six. Enfin ces six, multipliés par quatre, enfantèrent les vingt-quatre formes. Les noms de la première Tétrade, qui sont sacro-saints, sont atteints par la pensée seule et ne peuvent être exprimés par des mots: ils ne sont connus que par le Fils, et le Père sait quels ils sont. Mais Marc se sert des noms suivants, qu'il prononce avec gravité et foi: ArrhtoV (Inexprimable) et Sigh (Silence), Pathr (Père) et Alhyeia (Vérité). Le nombre total de cette Tétrade est de vingt-quatre éléments. En effet le mot ArrhtoV possède en lui-même sept lettres, Sigh cinq lettres, Pathr cinq lettres et Alhyeia sept lettres: toutes ces lettres additionnées ensemble, soit deux fois sept et deux fois cinq, donnent le total de vingt-quatre. De la même façon la seconde Tétrade, c'est-à-dire LogoV (Logos) et Zwh (Vie), AnyrwpoV (Homme) et Ekklhsia (Eglise), présente le même nombre d'éléments. Le nom exprimable du Sauveur, c'est-à-dire IhsouV(Jésus), est de six lettres, mais son nom inexprimable est de vingt-quatre lettres. Les mots UioV CreistoV (Fils Christ) comportent douze lettres, mais ce qu'il y a d'inexprimable dans le Christ comporte trente lettres. C'est pourquoi Marc dit qu'il est a et w (= 801), afin d'indiquer la Colombe Mt 3,16 (peristera) car cet oiseau possède précisément ce nombre.

2 Ce Jésus possède, dit-il, l'inexprimable genèse que voici. De la Mère de toutes choses, la première Tétrade, sortit, à la manière d'une fille, la seconde Tétrade, et ce fut une Ogdoade, d'où sortit une Décade. Il y eut ainsi une Décade et une Ogdoade. La Décade donc, en s'unissant à l'Ogdoade et en la multipliant par dix, engendra le nombre 80; puis, en multipliant encore par dix le nombre 80, elle engendra le nombre 800; de la sorte, le nombre total des lettres se développant de l'Ogdoade à la Décade fut de 888 (= 8 + 80 + 800), c'est-à-dire 'IhsouV (Jésus): car le mot 'IhsouV, selon les nombres correspondant aux différentes lettres, équivaut à 888 a. Tu sais maintenant clairement quelle est, d'après eux, la supracéleste genèse de Jésus ! C'est pour ce motif que l'alphabet des Grecs a huit unités, huit dizaines et huit centaines, montrant ainsi le nombre 888, c'est-à-dire Jésus, qui se compose de tous les nombres. Et c'est pour cela qu'il est appelé a et w, qui signifient son origine à partir de tous. Marc raisonne encore de la manière suivante: la première Tétrade s'étant additionnée selon la progression des nombres, le nombre 10 est apparu: car 1 + 2 + 3 + 4 = 10, et ce nombre, qui s'écrit au moyen de la lettre i, ils veulent l'identifier à Jésus. De même le mot CreistoV (Christ), dit-il, étant de huit lettres, signifie la première Ogdoade, qui, en s'enlaçant au nombre 10, a enfanté Jésus.

On dit encore, remarque-t-il, UioV CreistoV (Fils Christ): c'est la Dodécade, car le mot UioV est de quatre lettres et le mot CreistoV est de huit, et, additionnés ensemble, ils font apparaître la grandeur de la Dodécade. Avant donc que le nombre insigne de ce Nom, c'est-à-dire Jésus, apparût aux fils, les hommes se trouvaient dans une ignorance et une erreur profondes-, mais lorsque le Nom hexagramme eut été manifesté, s'enveloppant de chair pour descendre jusqu'à la sensibilité de l'homme, ayant en lui le nombre six lui-même comme aussi le nombre vingt-quatre, alors ceux qui le connurent virent cesser leur ignorance et montèrent de la mort à la vie, ce Nom devenant la voie pour les conduire au Père de Vérité Jn 14,6. Car le Père de toutes choses voulut supprimer l'ignorance et détruire la mort. Or, la suppression de l'ignorance, c'était la "gnose" du Père. Et c'est pourquoi fut élu Lc 9,35, selon la volonté de celui-ci, l'homme disposé selon l'"économie" à l'image de la Puissance d'en haut.

Note:
a Les nombres correspondant aux différentes lettres du mot 'IhsouV (= Jésus) donnent l'addition suivante: 8 + 10 + 200 + 70 + 400 + 200 = 888.


3 En effet, d'une Tétrade sortirent les Éons. Or, dans cette Tétrade, il y avait Homme et Église, Logos et Vie. De ces quatre Éons donc, dit Marc, jaillirent des "vertus" qui engendrèrent le Jésus apparu sur la terre: l'ange Gabriel tint la place du Logos, l'Esprit Saint celle de la Vie, la "vertu" du Très-Haut celle de l'Homme, et enfin la Vierge celle de l'Église Lc 1,26 Lc 1,35. Ainsi, selon Marc, fut engendré par l'entremise de Marie l'homme de l'"économie", que, lors de son passage à travers le sein maternel, le Père de toutes choses élut Lc 9,35 par l'entremise du Logos en vue de procurer la connaissance de lui-même. Lorsque cet homme de l'"économie" vint à l'eau du Jourdain, on vit descendre sur lui, sous forme de colombe Mt 3,16, Celui qui remonta là-haut et compléta le nombre douze, et en lui se trouvait la semence de ceux qui furent semés avec lui, descendirent avec lui et remontèrent avec lui. Cette "vertu" qui descendit ainsi, c'était, dit Marc, la semence du Père, semence qui avait en elle le Père, le Fils, la "vertu" innommable de Silence, connue seulement par ceux-ci, et tous les Éons. C'est là cet Esprit qui parla par la bouche de Jésus, se déclarant le Fils de l'Homme et manifestant le Père, après être descendu sur Jésus et s'être uni à lui. Le Sauveur issu de l'"économie" a détruit la mort, dit Marc, et il a fait connaître son Père, le Christ. Jésus est donc le nom de l'homme issu de l'"économie": il fut constitué à la ressemblance et dans la forme de l'Homme qui devait descendre en lui. Lorsqu'il le reçut, il eut alors en lui l'Homme même, le Logos même, le Père et l'Inexprimable, ainsi que le Silence, la Vérité, l'Église et la Vie.

4 Cela dépasse les "Ah !.. .", les "Hélas !.. ." et toutes les exclamations et interjections tragiques possibles. Qui ne haïrait, en effet, le déplorable fabricant de pareils mensonges, en voyant la Vérité travestie en idole par Marc, et en une idole marquée au fer rouge des lettres de l'alphabet? Ce n'est que récemment, en regard de l'origine - ou, comme on dit, hier ou avant-hier - que les Grecs, de leur propre aveu, ont reçu d'abord de Cadmos seize de ces lettres; puis, avec le temps, ils ont trouvé eux-mêmes tantôt les aspirées et tantôt les doubles; en dernier lieu, Palamède, dit-on, a ajouté les longues. Ainsi, avant que tout cela n'ait eu lieu chez les Grecs, la Vérité n'existait pas. Car son corps - d'après toi, Marc - est postérieur à Cadmos et à ses prédécesseurs, postérieur aussi à ceux qui ont ajouté les autres lettres, postérieur enfin à toi, puisque c'est toi seul qui as rabaissé au rang d'idole celle que tu appelles la Vérité.

5 Qui supportera ton si bavard Silence, qui nomme l'Innommable, décrit l'Inexprimable, explore l'Impénétrable, prétend que celui qui est, dis-tu, sans corps et sans figure a ouvert la bouche et a proféré une Parole, comme l'un quelconque de ces vivants qui sont composés de parties, et que cette Parole, semblable à celui qui l'a émise et forme de l'Invisible, est faite de trente lettres et de quatre syllabes? Ainsi, en raison de sa ressemblance avec le Logos, le Père de toutes choses, comme tu dis, sera fait de trente lettres et de quatre syllabes ! Ou encore, qui supportera que tu veuilles enfermer dans des figures et dans des nombres - tantôt trente, tantôt vingt-quatre, tantôt six seulement - Celui qui est le Créateur, l'Ouvrier et l'Auteur de toutes choses, à savoir le Verbe de Dieu; que tu le découpes en quatre syllabes et trente lettres; que tu ravales le Seigneur de toutes choses, Celui qui a affermi les cieux Ps 33,6, au nombre 888, comme tu l'as fait pour l'alphabet; que le Père lui-même, qui contient toutes choses et n'est contenu par aucunea, tu le subdivises en Tétrade, Ogdoade, Décade et Dodécade, et que, par de telles multiplications, tu exposes en détail ce qui est, comme tu dis, l'inexprimable et l'inconcevable nature du Père? Celui que tu appelles incorporel et sans substance, tu en fabriques l'essence et la substance avec une multitude de lettres engendrées les unes des autres, Dédale menteur que tu es et mauvais artisan de la Puissance élevée au-dessus de tout. Et cette substance que tu dis indivisible, tu la subdivises en consonnes muettes, en voyelles et en semi-voyelles, attribuant faussement les muettes au Père et à sa Pensée: tu plonges par là dans le plus profond des blasphèmes et la plus grande des impiétés tous ceux qui se fient à toi.

Note:
a Hermas Pasteur, Mand. 1.


6 Aussi est-ce à juste titre et d'une façon bien appropriée à ton audace que ce vieillard divinement inspiré et ce héraut de la vérité a invectivé contre toi par les vers que voici :

Tu n'es qu'un fabricant d'idoles, Marc, et un charlatan ! Rompu aux artifices de l'astrologie et de la magie, tu confirmes par eux tes doctrines de mensonge. Comme signes, tu fais voir à ceux que tu trompes les oeuvres de la Puissance apostate, celles que ton père Satan te donne sans cesse d'accomplir par la vertu de l'ange Azazel, car il a en toi un précurseur de l'impiété qui doit se déchaîner contre Dieu.

Telles sont les paroles du vieillard ami de Dieu. Pour nous, nous allons tenter d'exposer brièvement le reste de leur mystagogie, qui est fort longue, et de produire au grand jour ce qui a été caché si longtemps. Ainsi ces aberrations pourront-elles être réfutées sans peine par tout le monde.

116 161 Ces gens qui ramènent tout à des nombres s'efforcent donc de décrire d'une manière encore plus "mystique" la genèse de leurs Eons ainsi que l'égarement et le recouvrement de la brebis Lc 15,4-7, en faisant un seul bloc de tout cela. Toutes choses, disent-ils, tirent leur origine de la monade et de la dyade. En comptant à partir de la monade jusqu'à quatre, ils engendrent la Décade: un et deux et trois et quatre, additionnés ensemble, enfantent le nombre de dix Eons. A son tour la dyade, en progressant à partir d'elle-même jusqu'au nombre insigne - soit deux et quatre et six -, fait apparaître la Dodécade. Enfin, si nous comptons de la même manière à partir de la dyade jusqu'à dix, nous voyons apparaître la Triacontade, en laquelle il y a l'Ogdoade, la Décade et la Dodécade. La Dodécade donc, par le fait qu'elle a le nombre insigne pour la terminer, est appelée par eux "passion". Et c'est pourquoi, une chute étant survenue dans le douzième nombre, la brebis a bondi au dehors et s'est égarée: car, disent-ils, la défection s'est faite à partir de la Dodécade. De la même manière encore, ils conjecturent qu'une Puissance s'est séparée de la Dodécade et s'est perdue: cette Dodécade est la femme qui a perdu sa drachme, a allumé une lampe et a retrouvé la drachme' Lc 15,8-11. De la sorte, les nombres restants, c'est-à-dire neuf pour les drachmes et onze pour les brebis, en se mêlant ensemble, enfantent le nombre 99, car 9 x 11 = 99. Voilà pourquoi, disent-ils, le mot 'Amhn possède ce nombre.

2 Je n'hésiterai pas à te rapporter encore une autre de leurs interprétations, afin que tu puisses contempler sous toutes ses faces leur "fruit". Ils prétendent, en effet, que la lettre h, si l'on compte le nombre insigne, est l'Ogdoade, puisqu'elle vient en huitième lieu à partir de la première lettre. Comptant ensuite sans le nombre insigne le nombre formé par ces lettres et additionnant celles-ci jusqu'à h, ils obtiennent le nombre 30. En effet, en allant de a à h, si on laisse de côté le nombre insigne et si on additionne les nombres croissants correspondant aux différentes lettres, on trouve le nombre 30. En allant jusqu'à la lettre e, on obtient le nombre 15; en y ajoutant z, on obtient le nombre 22; enfin, en y ajoutant h, on a le Plérôme de l'admirable Triacontade. Ainsi prouvent-ils que l'Ogdoade est la Mère des trente Éons ! Et puisque le nombre 30 résulte de l'union de trois "vertus", devenu trois fois lui-même, il donne le nombre 90: car 3 x 30 = 90. De son côté, la Triade, multipliée par elle-même, donne le nombre 9. Et c'est ainsi que l'Ogdoade enfante le nombre 99. Et parce que le douzième Éon, en faisant défection, a laissé les onze autres là-haut, la forme des lettres, disent-ils, a été disposée d'une façon appropriée en sorte qu'elles soient une figure du Logos. En effet, la onzième lettre est le L, qui est le nombre 30, et cette lettre a bien été disposée à l'image de l'"économie" d'en haut, puisque, si, en allant de A à L et en laissant de côté le nombre insigne, on additionne ensemble les nombres croissants correspondant aux différentes lettres, le L y compris, on obtient le nombre 99. Mais le L, qui a le onzième rang, est descendu à la recherche de son semblable, pour parachever le nombre 12, et, lorsqu'il l'a eu trouvé, il a été complété. Et c'est ce qui apparaît avec évidence par le dessin même de la lettre: le L, en effet, étant allé à la recherche de son semblable, puis l'ayant trouvé et s'étant emparé de lui pour se l'unir, a rempli le douzième lieu, étant donné que la lettre M est faite de l'union de deux L. Et c'est pour ce motif qu'ils fuient, par la gnose, la région du nombre 99, c'est-à-dire la "déficience", figurée par la main gauche, et poursuivent l'unité qui, ajoutée à 99, les fera passer dans la main droitea.

Note:
a Allusion à la coutume qu'avaient les anciens de compter jusqu'à 99 au moyen des doigts de la main gauche, pour passer, à partir de 100, aux doigts de la main droite.


3 En lisant tout cela, cher ami, tu riras de bon coeur, je le sais, devant d'aussi prétentieuses inepties. Ils sont pourtant à plaindre, ceux qui mettent en pièces une religion si vénérable et la grandeur de la Puissance vraiment inexprimable et les incomparables "économies" de Dieu, et cela au moyen de l'alphabet et de chiffres agencés d'une façon aussi froide et aussi artificielle. Tous ceux qui se séparent de l'Église et adhèrent à ces contes de vieilles femmes 1Tm 4,7 sont vraiment eux-mêmes les auteurs de leur condamnation Tt 3,11. Ces gens-là, Paul nous enjoint de les "rejeter après un premier et un second avertissement Tt 3,10". Jean, le disciple du Seigneur, les a condamnés d'une manière plus sévère encore, en nous défendant même de les saluer: "Celui qui les salue, dit-il, participe à leurs oeuvres mauvaises 2Jn 1,11". Rien de plus juste, car "on ne doit point saluer les impies, dit le Seigneur Is 48,22". Or ils sont impies au-dessus de toute impiété, ces gens qui disent que le Créateur du ciel et de la terre, le seul Dieu tout-puissant, au-dessus de qui il n'est point d'autre Dieu, est issu d'une déchéance provenant elle-même d'une autre déchéance, en sorte que, à les en croire, il serait le produit d'une troisième déchéance. Rejetant et anathématisant comme elle le mérite cette façon de penser, nous avons à fuir loin d'eux, et, plus ils affirment leurs théories et se réjouissent de leurs trouvailles, plus il faut que nous sachions qu'ils sont agités par l'Ogdoade des esprits mauvais. Quand des malades tombent dans des crises de délire, plus ils rient et se croient bien portants et font tout comme s'ils étaient en santé, voire plus qu'en santé, plus en réalité ils sont malades. De même ces gens-là: plus ils croient avoir de hautes pensées et se rompent les nerfs à force de tendre leur arc, plus ils s'éloignent du bon sens. L'esprit impur de déraison est sorti et, les trouvant en train de vaquer, non à Dieu, mais à des questions mondaines, il est allé prendre avec lui sept autres esprits plus méchants que lui Mt 12,43-45 il a enflé d'orgueil leurs pensées, en leur faisant croire qu'ils pourraient comprendre ce qui est au-dessus de Dieu, et, après les avoir convenablement préparés en vue de leur ruine, il a déposé en eux l'Ogdoade de déraison des esprits pervers.


Irénée adv. Hérésies Liv.1 ch.9