Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.1

401

Seigneur du ciel et de la terre

1 1 Si donc c'est une chose assurée et indiscutable que personne n'a été proclamé Dieu (ou dieu) et Seigneur de façon absolue par l'Esprit en dehors du Dieu qui domine sur toutes choses avec son Verbe et de ceux qui reçoivent l'Esprit de la filiation adoptive, c'est-à-dire de ceux qui croient au seul vrai Dieu et au Christ Jésus, Fils de Dieu; que pareillement aussi les apôtres n'ont, de leur propre chef, appelé Dieu ou Seigneur personne d'autre; qu'enfin notre Seigneur s'en est abstenu bien davantage encore, lui qui est allé jusqu'à nous commander de ne reconnaître personne pour Père en dehors de Celui qui est aux cieux Mt 23,9 et qui est le seul Dieu et le seul Père: ils sont dans l'erreur, les sophistes qui enseignent qu'est Dieu et Père par nature celui qu'ils ont eux-mêmes faussement imaginé, tandis que le Créateur n'est ni Dieu ni Père par nature, mais est appelé ainsi par artifice de langage, parce qu'il domine sur la création, comme disent ces grammairiens dépravés qui exercent leur imagination sur Dieu et qui, répudiant l'enseignement du Christ, font sortir de leurs propres divinations mensongères toute l'"économie" de Dieu: car à leurs Eons ils prétendent donner les noms de Dieux, de Pères, de Seigneurs et même de Cieux, ainsi qu'à leur Mère, qu'ils appellent aussi Terre et Jérusalem, lui attribuant une myriade de vocables.

2 Or n'est-il pas évident que, si le Seigneur avait connu une multitude de Pères et de Dieux, il n'eût pas commandé à ses disciples de ne connaître qu'un seul Dieu et de ne donner qu'à celui-là seul le nom de Père? En fait, il a distingué du vrai Dieu ceux qui sont appelés tels par artifice de langage Mt 6,24, afin qu'on ne s'égare pas en suivant son enseignement et qu'on ne prenne pas une chose pour l'autre. Si, par contre, après nous avoir commandé de ne donner qu'à un seul les noms de Père et de Dieu, il en a reconnu, quant à lui, tantôt l'un, tantôt l'autre pour Père et pour Dieu au même sens strict, il apparaîtra comme donnant un ordre à ses disciples et faisant lui-même tout le contraire: ce ne sera pas là le comportement d'un bon Maître Lc 18,18, mais d'un trompeur et d'un envieux. Et les apôtres, selon eux, apparaîtront comme transgresseurs du commandement, en reconnaissant le Créateur pour Dieu, pour Seigneur et pour Père, comme nous l'avons montré, si celui-ci n'est pas le seul Dieu et Père; de cette transgression sera cause pour eux le Maître, puisque c'est lui qui leur a commandé de ne donner qu'à un seul le nom de Père, leur faisant un devoir de reconnaître le Créateur pour leur Père, ainsi qu'il vient d'être montré.

402 2 1 Quand donc, dans le Deutéronome, Moïse fait la récapitulation de toute la Loi qu'il a reçue du Créateur et dit: "Sois attentif, ciel, et je parlerai, et que la terre écoute les paroles de ma bouche Dt 32,1 !"; quand, à son tour, David dit que son secours vient du Seigneur: "Mon secours, dit-il, vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre Ps 121,2"; quand Isaïe aussi déclare qu'il parle de la part de Celui qui a fait le ciel et la terre et domine sur eux: "Écoute, ciel, dit-il, et toi, terre, prête l'oreille, car le Seigneur a parlé Is 1,2", et encore: "Ainsi parle le Seigneur Dieu qui a fait le ciel et l'a fixé, qui a affermi la terre et ce qu'elle renferme, qui a donné le souffle au peuple qui l'habite et l'Esprit à ceux qui la foulent aux pieds Is 42,5"; 2 et quand, enfin, notre Seigneur Jésus-Christ reconnaît ce même Créateur pour son Père, en disant: "Je te loue, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre Mt 11,25 Lc 10,21": quel Père veulent-ils que nous entendions par là, ces sophistes dépravés de Pandore? l'Abîme inventé par eux? ou leur Mère? ou le Monogène? ou le Dieu faussement imaginé par Marcion et par les autres et dont nous avons longuement prouvé qu'il n'est pas Dieu? ou - ce qui est la vérité - le Créateur du ciel et de la terre prêché par les prophètes, Celui-là même que le Christ reconnaît pour son Père, Celui-là même que la Loi annonce en disant: "Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est l'unique Seigneur Dt 6,4" ?


Paroles des prophètes, paroles du Christ

3 Que les écrits de Moïse soient les paroles du Christ, c'est ce que le Christ lui-même dit aux Juifs, ainsi que Jean l'a rapporté dans l'Évangile: "Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez moi aussi, car c'est de moi qu'il a écrit; mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles Jn 5,46-47 ?" Il signifie clairement par là que les écrits de Moïse sont ses propres paroles. S'il en va ainsi des paroles de Moïse, celles des autres prophètes sont aussi les siennes, comme nous l'avons montré.

Une autre fois encore, le Seigneur lui-même montre Abraham disant au riche au sujet des hommes encore en vie: "S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, lors même que quelqu'un ressusciterait d'entre les morts et irait à eux, ils ne le croiront pas Lc 16,31." 4 Ce n'est pas un conte en l'air que cette histoire du pauvre et du riche. En premier lieu, le Seigneur nous enseigne à fuir les délices, de peur que, en vivant dans les réjouissances mondaines et la bonne chère, nous ne devenions les esclaves de nos passions et n'oubliions Dieu: "Il y avait, dit-il, un riche qui s'habillait de pourpre et de lin fin et festoyait chaque jour brillamment Lc 16,19." C'est à propos de gens de cette espèce que l'Esprit a dit par la bouche d'Isaïe: "Au son des cithares et des harpes, des tambourins et des flûtes, ils boivent le vin; mais ils ne regardent pas les oeuvres de Dieu et ils ne considèrent pas les ouvrages de ses mains Is 5,12." De peur donc que nous n'encourions le même châtiment qu'eux, le Seigneur nous fait voir leur fin. Mais en même temps il donne à entendre que, s'ils écoutaient Moïse et les prophètes, ils croiraient en Celui que ceux-ci ont annoncé par avance, le Fils de Dieu qui est ressuscité d'entre les morts et nous donne la vie. C'est assez dire que tous relèvent d'une même "substance", Abraham, et Moïse, et les prophètes, et le Seigneur lui-même, qui est ressuscité d'entre les morts et en qui croient une foule de circoncis qui écoutent Moïse et les prophètes annonçant la venue du Fils de Dieu. Quant à ceux qui les méprisent et les disent relever d'une autre "substance", ils ne connaissent pas non plus le "Premier-né des morts Col 1,18", puisqu'ils conçoivent comme deux êtres séparés un Christ, qui serait demeuré impassible, et Jésus, qui aurait souffert.


Dieu de Jérusalem et du Temple

5 Car ils ne reçoivent pas du Père la connaissance du Fils, ni n'apprennent du Fils à connaître le Père Mt 11,27 Lc 10,22, alors que, ouvertement et sans paraboles, le Fils enseigne le vrai Dieu: "Ne faites, dit-il, aucune sorte de serments: ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu; ni par la terre, parce que c'est l'escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem, parce que c'est la ville du grand Roi Mt 5,34-35." Ces mots désignent clairement le Créateur. Comme le disait déjà Isaïe: "Le ciel est mon trône, et la terre est l'escabeau de mes pieds Is 66,1." Et il n'est pas de Dieu en dehors de celui-là, sans quoi le Seigneur ne l'eût pas reconnu pour Dieu ni pour grand Roi, car un tel être ne souffre ni comparaison ni supériorité: quelqu'un qui aurait au-dessus de lui un supérieur et se trouverait sous la puissance d'un autre, celui-là ne saurait être ni Dieu ni grand Roi.

6 Ils ne pourront non plus prétendre qu'il s'agit là d'un langage ironique, convaincus qu'ils sont par les mots eux-mêmes que cela fut dit selon la vérité. Celui qui parlait était en effet la Vérité Jn 14,6, et c'était en vérité qu'il prenait la défense de sa propre maison, lorsqu'il jetait dehors les changeurs occupés à vendre et à acheter Mt 21,12 et qu'il leur disait: "Il est écrit: Ma maison sera appelée maison de prière, mais vous, vous en avez fait une caverne de brigands Mt 21,13 Is 56,7 Jr 7,11." Quel motif aurait-il eu d'agir et de parler de la sorte et de prendre la défense de la maison, s'il avait annoncé un autre Dieu? Mais il voulait par là les dénoncer comme transgresseurs de la Loi de son Père: car il n'incriminait pas la maison ni ne condamnait la Loi, qu'il était venu accomplir Mt 5,17, mais il reprenait ceux qui n'usaient pas bien de la maison et qui violaient la Loi.

Et c'est pour cette raison que les scribes et les Pharisiens, qui avaient commencé dès les temps de la Loi à mépriser Dieu, ne reçurent pas non plus son Verbe, c'est-à-dire ne crurent pas au Christ. Isaïe disait à leur propos: "Tes chefs sont des rebelles et des compagnons de voleurs, ils aiment les présents et courent après les rémunérations; ils ne rendent pas justice aux orphelins et ne font nul cas du droit des veuves Is 1,23." Et Jérémie de même: "Les chefs de mon peuple ne me connaissent pas: e sont des fils insensés et inintelligents; ils sont habiles à faire le mal, mais ils n'ont pas su faire le bien Jr 4,22."

7 En revanche, ceux qui craignaient Dieu et révéraient sa Loi accoururent au Christ et furent tous sauvés: "Allez, disait-il à ses disciples, vers les brebis perdues de la maison d'Israël Mt 10,6." Les Samaritains aussi, est-il dit, lorsque le Seigneur eut demeuré deux jours chez eux, "furent beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole, et ils disaient à la femme: Ce n'est plus à cause de tes dires que nous croyons, car nous l'avons entendu nous-mêmes et nous savons qu'il est vraiment le Sauveur du monde Jn 4,41-42." Paul dit aussi: "Et ainsi tout Israël sera sauvé Rm 11,26." Il va jusqu'à dire que la Loi a été pour nous un pédagogue menant au Christ Jésus Ga 3,24. Qu'on ne mette donc pas sur le compte de la Loi l'incrédulité d'un certain nombre ! La Loi ne les empêchait pas de croire au Fils de Dieu; elle les y engageait même, en disant que les hommes ne pourraient être sauvés de l'antique blessure du serpent Nb 21,8 qu'en croyant en Celui qui, élevé de terre Jn 3,14 sur le bois du martyre selon la ressemblance de la chair du péché Rm 8,3, attire tout à lui Jn 12,32 et vivifie les morts Jn 5,21 Rm 4,17.


403

Objection: Le ciel et la terre passeront

3 1 Mais ces malintentionnés nous objectent: Si le ciel est un trône et la terre un escabeau Mt 5,34-35, et s'il est dit que le ciel et la terre passeront Lc 21,33, avec eux passera nécessairement aussi le Dieu qui est assis sur eux, et il ne sera plus le Dieu au-dessus de toutes choses.

Tout d'abord, ils ignorent en quel sens le ciel est un trône et la terre un escabeau; car ils ne savent même pas ce qu'est Dieu, et ils croient que, tel un homme, il est assis sur ces choses et contenu par elles, et non qu'il les contient. Ils ignorent aussi le passage du ciel et de la terre; Paul ne l'ignorait pas, lui qui disait: "Car elle passe, la figure de ce monde 1Co 7,31."

Ensuite, leur question a été résolue par David: lorsque cette figure passera, ce n'est pas seulement Dieu qu'il dit devoir demeurer, mais encore ses serviteurs. Dans le psaume cent unième, il s'exprime ainsi: "Au commencement tu as fondé la terre, Seigneur, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. Eux, ils périront, mais toi, tu demeureras. Tous, ils s'useront comme un vêtement, et comme un habit tu les changeras et ils seront changés; mais toi, tu es identique à toi-même et tes années n'auront pas de fin. Les fils de tes serviteurs auront une demeure, et leur postérité sera stable éternellement Ps 102,26-29." Il montre clairement par là quelles sont les choses qui passent, et quel est Celui qui demeure à jamais, à savoir Dieu avec ses serviteurs. Isaïe dit de même: "Levez vos yeux vers le ciel et regardez en bas vers la terre: car le ciel a été fixé comme une fumée, et la terre s'usera comme un vêtement, et leurs habitants mourront comme eux, mais mon salut demeurera éternellement et ma justice ne s'éteindra pas Is 51,6."


404

Objection: Jérusalem et le Temple ont été délaissés

4 1 De même encore, à propos de Jérusalem et de la maison Mt 21,13 Is 56,7, ils ont l'audace de dire que, si elle était la ville du grand Roi Mt 5,35, elle n'aurait pas été délaissée. Autant dire: Si la tige était une créature de Dieu, jamais elle ne serait délaissée par le grain de blé. Ou encore: Si les sarments de la vigne avaient été faits par Dieu, jamais, lorsqu'ils sont dépourvus de grappes, ils ne seraient retranchés. Or ces choses ont été faites essentiellement, non pour elles-mêmes, mais pour le fruit qui croît sur elles: ce fruit une fois parvenu à maturité et emporté, on les abandonne et on les fait disparaître comme n'étant plus propres à la fructification. Ainsi en fut-il de Jérusalem. Elle porta sur elle le joug de la servitude Ga 5,1, par lequel l'homme, rebelle à Dieu auparavant, au temps où la mort régnait Rm 5,14, fut dompté et, ainsi dompté, devint apte à la liberté. Vint alors le Fruit de liberté Ga 5,1, qui mûrit, fut moissonné, puis enlevé dans le grenier, tandis qu'étaient emportés de Jérusalem et répandus dans le monde entier des hommes capables de fructifier encore, selon ce que dit Isaïe: "Les enfants de Jacob germeront, Israël fleurira, et le monde entier sera rempli de son fruit Is 27,6." Quand donc son fruit eut été répandu dans le monde entier, elle fut abandonnée à bon droit et mise à l'écart, celle qui jadis produisit un fruit excellent - car c'est d'elle qu'est issu le Christ selon la chair Rm 9,5, ainsi que les apôtres -, mais qui maintenant n'est plus propre à la fructification. Car tout ce qui commence dans le temps finit nécessairement aussi dans le temps.

2 La Loi ayant commencé avec Moïse, il était donc normal qu'elle finît avec Jean, puisqu'était arrivé son accomplissement qui est le Christ: et c'est pourquoi, chez eux, "la Loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean Lc 16,16". Jérusalem aussi, par conséquent, après avoir commencé avec David et avoir accompli les temps de sa Loi, dut prendre fin lorsqu'apparut la nouvelle alliance. Car Dieu fait toutes choses avec mesure et ordre, et rien chez lui ne manque de mesure parce que rien non plus ne manque de nombre Sg 11,20. Et il s'est exprimé avec bonheur, celui qui a dit que le Père lui-même, tout incommensurable qu'il soit, est mesuré dans le Fils: le Fils est en effet la mesure du Père, puisqu'il le comprend. Que, d'ailleurs, le service de ceux-là devait n'avoir qu'un temps, Isaïe le dit: "Elle sera délaissée, la fille de Sion, comme une cabane dans une vigne et comme une hutte dans une melonnière Is 1,8." Quand délaisse-t-on ces choses? N'est-ce pas lorsque le fruit est emporté et qu'il ne reste que les feuilles seules, qui ne peuvent plus fructifier ?

3 Et pourquoi parlons-nous de Jérusalem, alors que c'est aussi la figure du monde entier qui doit passer 1Co 7,31, le temps de son passage une fois venu, pour que le froment soit rassemblé dans le grenier, et la paille abandonnée et jetée au feu? "Car le jour du Seigneur sera brûlant comme une fournaise; tous les pécheurs et les artisans d'iniquité seront du chaume, et le jour qui vient les embrasera Ml 4,1." Or quel est-il, ce Seigneur qui doit faire venir un tel jour? Jean-Baptiste le fait connaître, lorsqu'il dit du Christ: "Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu; il tient en mains le van pour nettoyer son aire et il rassemblera le froment dans son grenier; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas Mt 3,11-12 Lc 3,16-17." Ce n'est donc pas un autre qui a fait le froment et un autre la paille, mais c'est un seul et le même, et c'est lui aussi qui les juge, c'est-à-dire qui les sépare. Toutefois le froment et la paille sont des êtres sans âme ni raison; ce qu'ils sont, ils le sont de par leur nature même. L'homme, au contraire, est raisonnable et, par là, semblable à Dieu; créé libre et maître de ses actes, il est pour lui-même cause qu'il devient tantôt froment et tantôt paille. Aussi sera-t-il justement frappé d'exclusion, puisque, créé raisonnable, il a rejeté la droite raison pour mener une vie de brute, se détournant de la justice de Dieu, se livrant à tout esprit terrestre et se faisant l'esclave de toutes les voluptés Tt 3,3. Comme le dit le prophète: "L'homme, alors qu'il était comblé d'honneur, se rendit semblable aux bêtes de somme Ps 49,21."


405

Conclusion: un seul Dieu

5 1 Ainsi donc, il n'y a qu'un seul et même Dieu. C'est lui qui roule les cieux comme un livre Is 34,4 Ap 6,14 et qui renouvelle la face de la terre Ps 104,30. C'est lui qui a fait les choses temporelles pour l'homme, afin que celui-ci, atteignant parmi elles à la plénitude de sa stature, produise pour fruit l'immortalité, et qui fait venir les éternelles à cause de son amour pour l'homme, "afin de montrer aux siècles à venir l'insondable richesse de sa bonté Ep 2,7 Ep 3,8". C'est lui qu'ont annoncé la Loi et les prophètes et que le Christ a reconnu pour son Père. Il est le Créateur, et il est aussi le Dieu au-dessus de toutes choses. Comme le dit Isaïe: "Je suis témoin, dit le Seigneur Dieu, ainsi que l'Enfant que j'ai choisi, pour que vous sachiez et que vous croyiez et que vous compreniez que je suis. Avant moi il n'y eut pas d'autre Dieu, et il n'y en aura pas après moi. C'est moi qui suis Dieu et, en dehors de moi, il n'est pas de Sauveur. J'ai annoncé et j'ai sauvé Is 43,10-12." Et encore: "Moi, Dieu, je suis le premier et je suis dans les temps à venir Is 41,4." Ce n'est ni par vanité ni pour faire le fanfaron qu'il dit cela; mais, parce qu'il est impossible sans l'aide de Dieu de connaître Dieu, par son Verbe il apprend aux hommes à connaître Dieu. A ceux-là donc qui ignorent ces choses et qui, à cause de cela, s'imaginent avoir découvert un autre Père, on dira à juste titre: "Vous êtes dans l'erreur, ne connaissant ni les Ecritures ni la puissance de Dieu Mt 22,29."




II. LE PÈRE DU CHRIST, DIEU DES ANCIENS PATRIARCHES



Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

2 Car notre Seigneur et Maître, dans sa réponse aux Sadducéens qui niaient la résurrection et, à cause de cela, méprisaient Dieu et ridiculisaient la Loi, a tout à la fois prouvé la résurrection et fait connaître Dieu: "Pour ce qui est de la résurrection des morts, leur dit-il, n'avez-vous donc pas lu cette parole dite par Dieu: Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob Mt 22,31-32 Ex 3,6 ?" Et il ajoute: "Il n'est pas Dieu de morts, mais de vivants: pour lui, en effet, tous sont vivants Mt 22,32 Lc 20,38." Par là il a fait clairement connaître que Celui qui, du sein du buisson, parla à Moïse et déclara être le Dieu des pères, c'est lui le Dieu des vivants. Or qui donc serait le Dieu des vivants, sinon le vrai Dieu, au-dessus duquel il n'est pas d'autre Dieu? C'est lui qu'avait annoncé le prophète Daniel, lorsqu'à Cyrus, roi des Perses, qui lui demandait: "Pourquoi n'adores-tu pas Bel ?", il répondait: "Parce que je ne vénère pas des idoles faites de main d'homme, mais le Dieu vivant qui a créé le ciel et la terre et qui a pouvoir sur toute chair Da 14,5." Il disait encore: "J'adorerai le Seigneur, mon Dieu, parce que c'est lui le Dieu vivant Da 14,25." Ainsi le Dieu qu'adoraient les prophètes, le Dieu vivant, c'est lui le Dieu des vivants, ainsi que son Verbe, qui a parlé à Moïse, qui a aussi confondu les Sadducéens et octroyé la résurrection, démontrant à partir de la Loi à ces aveugles ces deux choses, la résurrection et Dieu. Car s'il n'est pas Dieu de morts, mais de vivants, et si lui-même est appelé le Dieu des pères qui se sont endormis, sans aucun doute ils sont vivants pour Dieu et n'ont pas péri, "puisqu'ils sont fils de la Résurrection Lc 20,36". Or la Résurrection, c'est notre Seigneur en personne, ainsi qu'il le dit lui-même: "Je suis la Résurrection et la Vie Jn 11,25." Et les pères sont ses fils, car il a été dit par le prophète: "Au lieu de pères qu'ils étaient, ils sont devenus tes fils Ps 45,17." Le Christ lui-même est donc bien, avec le Père, le Dieu des vivants qui a parlé à Moïse et qui s'est manifesté aux pères.


"Abraham a vu mon jour"

3 C'est précisément ce qu'il enseignait, lorsqu'il disait aux Juifs: "Abraham, votre père, a exulté à la pensée de voir mon jour; il l'a vu, et il s'est réjoui Jn 8,56." Qu'est-ce à dire? "Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice Rm 4,3 Ga 3,6 Gn 15,6." Il crut, en premier lieu, que c'était lui l'Auteur du ciel et de la terre, le seul Dieu Gn 14,22; ensuite, qu'il rendrait sa postérité pareille aux étoiles du ciel Gn 15,5. C'est le mot même de Paul: "Comme des luminaires dans le monde Ph 2,15."

C'est donc à juste titre que, laissant là toute sa parenté terrestre, il suivait le Verbe de Dieu, se faisant étranger avec le Verbe afin de devenir concitoyen du Verbe Gn 12,1-5. 4 C'est à juste titre aussi que les apôtres, ces descendants d'Abraham, laissant là leur barque et leur père, suivaient le Verbe Mt 4,22. C'est à juste titre enfin que nous, qui avons la même foi qu'Abraham, prenant notre croix comme Isaac prit le bois Gn 22,6, nous suivons ce même Verbe Mt 16,24. Car, en Abraham, l'homme avait appris par avance et s'était accoutumé à suivre le Verbe de Dieu: Abraham suivit en effet dans sa foi le commandement du Verbe de Dieu, cédant avec empressement son fils unique et bien-aimé en sacrifice à Dieu Gn 22,1-18, afin que Dieu aussi consentît, en faveur de toute sa postérité, à livrer son Fils bien-aimé et unique en sacrifice pour notre rédemption.

5 Ainsi, comme Abraham était prophète et qu'il voyait par l'Esprit le jour de la venue du Seigneur et l'"économie" de sa Passion, par laquelle lui-même et tous ceux qui comme lui croiraient en Dieu seraient sauvés, il tressaillit d'une grande joie. Le Seigneur n'était donc pas inconnu d'Abraham, puisque celui-ci désira voir son jour. Et pas davantage le Père du Seigneur, car, par le Verbe, Abraham avait été instruit sur Dieu, et il crut en lui: aussi cela lui fut-il imputé à justice par le Seigneur Gn 15,6, car c'est la foi en Dieu qui justifie l'homme. Et c'est pourquoi il disait: "J'étendrai ma main vers le Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre Gn 14,22." Mais tout cela, les tenants d'opinions fausses s'efforcent de le renverser, à cause d'une seule phrase qu'ils comprennent de travers.


406

Objection: Nul n'a connu le Père avant la venue du Christ

6 1 Car, pour montrer à ses disciples que lui-même est le Verbe qui produit la connaissance du Père, et pour blâmer la prétention des juifs à posséder Dieu tout en méprisant son Verbe, par qui Dieu est connu, le Seigneur disait: "Nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul non plus ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils voudra les révéler Mt 11,27 Lc 10,22." Voilà ce qu'a écrit Matthieu, et Luc aussi, et Marc de même; Jean a omis ce passage. Mais ces gens, qui veulent en savoir plus long que les apôtres eux-mêmes, modifient ce texte comme suit: "Nul n'a connu le Père si ce n'est le Fils, ni le Fils si ce n'est le Père, et celui à qui le Fils les révélera"; et ils l'expliquent en ce sens que le vrai Dieu n'a été connu de personne avant la venue de notre Seigneur: le Dieu prêché par les prophètes n'est pas, disent-ils, le Père du Christ.


2 Mais, lors même que le Christ n'aurait commencé d'exister qu'au moment de sa venue comme homme, que le Père ne se serait avisé qu'à partir de l'empereur Tibère de prendre soin des hommes et que la preuve serait faite que son Verbe n'a pas toujours été présent à l'ouvrage par lui modelé, même alors, au lieu d'imaginer faussement un autre Dieu, il eût fallu rechercher les causes d'une si grande négligence de sa part. Car aucune recherche ne peut être de telle nature ou prendre de telles proportions qu'elle aboutisse à changer Dieu et à vider de son objet notre foi au Créateur, en Celui qui nous nourrit de sa propre création: tout comme notre foi au Fils, notre amour pour le Père doit être ferme et inébranlable. Et Justin dit avec raison dans son traité contre Marcion: "Je n'aurais pas cru le Seigneur lui-même, s'il avait annoncé un autre Dieu que notre Créateur, notre Auteur et notre Nourricier. Mais c'est de la part du seul Dieu, de Celui qui a fait ce monde et nous a modelés, qui soutient et dirige toutes choses, qu'est venu vers nous le Fils unique, récapitulant en lui-même l'ouvrage par lui modelé: dès lors, ferme est ma foi en lui et inébranlable mon amour pour le Père, le Seigneur nous accordant l'une et l'autre."

3 Car nul ne peut connaître le Père sans le Verbe de Dieu, c'est-à-dire si le Fils ne "révèle Mt 11,27 Lc 10,22", ni connaître le Fils sans le "bon plaisir Mt 11,26 Lc 10,21" du Père. Ce bon plaisir du Père, le Fils l'accomplit, car le Père envoie, tandis que le Fils est envoyé et vient. Et le Père, tout invisible et illimité qu'il soit en comparaison de nous, est connu de son propre Verbe et, tout inexprimable qu'il soit, est exprimé par lui Jn 1,18; réciproquement, le Verbe n'est connu que du Père seul: telle est la double vérité que nous a manifestée le Seigneur. Et c'est pourquoi le Fils révèle la connaissance du Père par sa propre manifestation: c'est la connaissance du Père que cette manifestation du Fils, car toutes choses sont manifestées par l'entremise du Verbe. Afin donc que nous sachions que c'est le Fils venu vers nous qui produit la connaissance du Père en ceux qui croient en lui, il disait à ses disciples: "Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, ni le Fils si ce n'est le Père, et ceux à qui le Fils les révélera Mt 11,27 Lc 10,22", enseignant par là et ce qu'il est lui-même et ce qu'est le Père, afin que nous n'admettions pas d'autre Père que celui que révèle le Fils.

5 Et tel fut bien le but dans lequel le Père révéla le Fils: se manifester par lui à tous, pour accueillir en toute justice dans l'incorruptibilité et l'éternel rafraîchissement ceux qui croient en lui - et croire en lui, c'est faire sa volonté - et enfermer en toute justice dans les ténèbres qu'ils se sont eux-mêmes choisies ceux qui ne croient pas et qui à cause de cela fuient sa lumière. C'est donc à tous que le Père s'est révélé, en rendant son Verbe visible à tous, comme c'est aussi à tous que le Verbe a montré le Père et le Fils, puisqu'il a été vu de tous: et c'est pourquoi juste sera le jugement de Dieu sur tous, puisque, après avoir vu pareillement, ils n'ont pas pareillement cru.

4 Or il est le Créateur "du ciel et de la terre Mt 11,25 Lc 10,21", comme le prouvent les paroles de celui-ci, et non le prétendu Père qu'ont faussement imaginé Marcion, Valentin, Basilide, Carpocrate, Simon ou tous les "Gnostiques" au nom menteur. Car nul d'entre eux n'était le Fils de Dieu, tandis qu'il l'est, lui, le Christ Jésus notre Seigneur, contre qui ils érigent leur doctrine en osant prêcher un Dieu inconnaissable et en ne prenant même pas garde à ce qu'ils disent: car comment peut-il être inconnaissable, s'ils le connaissent? Ce qui est connu, fût-ce de quelques-uns, n'est pas inconnaissable. Au reste, le Seigneur n'a pas annoncé que le Père et le Fils ne pouvaient d'aucune façon être connus, sans quoi sa venue eût été sans objet. Pourquoi fût-il venu? Simplement pour nous dire: Ne cherchez pas Dieu, car il est inconnaissable et vous ne le trouverez pas? C'est là, en effet, ce que le Christ aurait dit à leurs Eons, s'il faut en croire les disciples de Valentin. C'est une ineptie. Ce que nous enseigne le Seigneur, le voici: personne ne peut connaître Dieu à moins que Dieu ne l'enseigne, autrement dit nous ne pouvons sans l'aide de Dieu connaître Dieu; mais, que nous le connaissions, c'est la volonté même du Père, puisque ceux-là le connaîtront auxquels le Fils le révélera.

6 En effet, déjà par la création le Verbe révèle le Dieu Créateur, et par le monde le Seigneur Ordonnateur du monde, et par l'ouvrage modelé l'Artiste qui l'a modelé, et par le Fils le Père qui l'a engendré: tous le disent pareillement, mais tous ne croient pas pareillement pour autant. De même, par la Loi et les prophètes, le Verbe a annoncé tout à la fois lui-même et le Père: e peuple entier a entendu pareillement, mais tous n'ont pas cru pareillement pour autant. Enfin, par l'entremise du Verbe en personne devenu visible et palpable, le Père s'est montré, et, si tous n'ont pas cru pareillement en lui, tous n'en ont pas moins vu le Père dans le Fils Jn 14,9: car la Réalité invisible qu'on voyait dans le Fils était le Père, et la Réalité visible en laquelle on voyait le Père était le Fils. C'est pourquoi, lui présent, tous disaient qu'il était le Christ et nommaient Dieu. Même les démons disaient en voyant le Fils: "Nous savons qui tu es, le Saint de Dieu Mc 1,24 Lc 4,34." Le diable tentateur disait en le voyant: "Si tu es le Fils de Dieu Mt 4,3 Lc 4,3..." Tous voyaient et nommaient lé Fils et le Père, mais tous ne croyaient pas pour autant.

7 Car il fallait que la vérité fût attestée par tous, pour le salut de ceux qui croiraient et la condamnation de ceux qui ne croiraient pas: de la sorte, tous seraient jugés avec justice, et la foi au Père et au Fils serait garantie par tous, c'est-à-dire corroborée par tous en recevant témoignage de tous, et de ceux du dedans à titre d'amis, et de ceux du dehors à titre d'ennemis. Car la preuve vraie et irréfragable est celle qui porte le sceau du témoignage des adversaires eux-mêmes: ceux-ci, dans l'instant où ils la voyaient de leurs yeux, étaient convaincus au sujet de la réalité présente, lui rendaient témoignage et apposaient leur sceau-, mais, après cela, ils se jetaient dans une attitude hostile, se faisaient accusateurs et eussent voulu que leur propre témoignage ne fût point vrai. Ce n'était donc pas un autre qui était connu, et un autre qui disait: "Nul ne connaît le Père", mais un seul et le même. Toutes choses lui ont été soumises par le Père 1Co 15,27, et de tous il reçoit ce témoignage qu'il est vraiment homme et qu'il est vraiment Dieu, du Père, de l'Esprit, des anges, de la création, des hommes, des esprits apostats, des démons, de l'ennemi et, pour finir, de la mort elle-même 1Co 15,25-26. Ainsi le Fils, en servant le Père, conduit toutes choses à leur perfection depuis le commencement jusqu'à la fin, et sans lui personne ne peut connaître Dieu. Car la connaissance du Père, c'est le Fils; quant à la connaissance du Fils, c'est le Père qui la révèle par l'entremise du Fils. Et c'est pourquoi le Seigneur disait: "Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, ni le Fils si ce n'est le Père, et tous ceux à qui le Fils les révélera Mt 11,27 Lc 10,22." Car le mot "révélera" n'a pas exclusivement le sens futur, comme si le Verbe n'avait commencé à manifester le Père qu'après être né de Marie, mais il a une portée générale et vise la totalité du temps. Depuis le commencement, en effet, le Fils, présent à l'ouvrage par lui modelé, révèle le Père à tous ceux à qui le Père le veut, et quand il le veut, et comme il le veut. Et c'est pourquoi, en toutes choses et à travers toutes choses, il n'y a qu'un seul Dieu Père, un seul Verbe, un seul Esprit et un seul salut pour tous ceux qui croient en lui.


407

Abraham a connu le Père par le Verbe

7 1 Abraham connut donc, lui aussi, par le Verbe, le Père "qui a fait le ciel et la terre Gn 14,22", et c'est celui-ci qu'il proclama Dieu. Il apprit également la venue du Fils de Dieu parmi les hommes, par laquelle sa postérité deviendrait pareille aux étoiles du ciel Gn 15,5 Gn 22,17; il désira alors voir ce jour, afin de pouvoir lui aussi embrasser le Christ, et, l'ayant vu de façon prophétique par l'Esprit, il exulta Jn 8,56. C'est pourquoi Siméon, qui était de sa postérité, portait à son accomplissement la joie du patriarche et disait: "Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s'en aller selon ta parole dans la Paix, car mes yeux ont vu ton Salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, Lumière pour éclairer les nations et Gloire de ton peuple Israël Lc 2,29-33." De leur côté, les anges annoncèrent "une grande joie Lc 2,10" aux bergers qui veillaient dans la nuit. Et Élisabetha disait, elle aussi: "Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit a exulté en Dieu mon Sauveur Lc 1,46-47." L'exultation d'Abraham descendait de la sorte en ceux de sa postérité qui veillaient, qui voyaient le Christ et qui croyaient en lui; mais cette même exultation revenait aussi sur ses pas et remontait des fils vers Abraham qui, déjà, avait désiré voir le jour de la venue du Christ. C'est donc à bon droit que le Seigneur lui rendait témoignage, en disant: "Abraham, votre père, a exulté à la pensée de voir mon jour; il l'a vu, et il s'est réjoui Jn 8,56."

Note :

a "Élisabeth": cette leçon est imposée ici par l'accord de la version arménienne et de la première des deux familles des manuscrits latins. Il a déjà été question du Magnificat en III, 10, 2 , mais, à cet endroit, les manuscrits latins étaient unanimes à l'attribuer à "Marie", tandis que la version arménienne faisait défaut. Irénée se serait-il contredit? Ou son texte se serait-il altéré, par le fait des copistes, dans l'un ou l'autre des deux passages en question? Faute de pouvoir en décider de façon certaine, il semble plus indiqué de garder, de part et d'autre, la leçon qu'imposent les manuscrits.


2 Ce n'est pas seulement à propos d'Abraham qu'il disait cela, mais il entendait montrer que tous ceux qui, depuis le commencement, eurent la connaissance de Dieu et prophétisèrent la venue du Christ, avaient reçu cette révélation du Fils lui-même. Et c'est ce Fils qui, dans les derniers temps, s'est fait visible et palpable et a conversé avec le genre humain, afin de susciter à partir de pierres des fils à Abraham, d'accomplir la promesse faite par Dieu à celui-ci et de rendre sa postérité pareille aux étoiles du ciel Gn 15,5 Gn 22,17. Comme le dit Jean-Baptiste: "Dieu peut, en effet, à partir de ces pierres, susciter des fils à Abraham Mt 3,9 Lc 3,8." Cela, Jésus l'a fait en nous arrachant au culte des pierres, en nous retirant d'une dure et stérile parenté et en créant en nous une foi semblable à celle d'Abraham. Et Paul en témoigne, lorsqu'il dit que nous sommes fils d'Abraham selon la ressemblance de la foi et la promesse de l'héritage Rm 4,11-18.


Conclusion: un seul et même Dieu

3 Il n'y a donc qu'un seul et même Dieu. C'est lui qui a appelé Abraham et qui lui a donné la promesse. C'est lui le Créateur, et c'est également lui qui, par le Christ, dispose "comme des luminaires dans le monde Ph 2,15" ceux d'entre les gentils qui ont cru: "Vous êtes, dit-il, la lumière du monde Mt 5,14", c'est-à-dire "pareils aux étoiles du ciel Gn 15,5 Gn 22,17". Celui-là, ainsi que nous l'avons montré, nul ne le connaît si ce n'est le Fils et ceux à qui le Fils le révélera, mais le Fils le révèle à tous ceux par qui le Père veut être connu; et ainsi, sans le bon plaisir du Père comme sans le ministère du Fils, personne ne connaîtra Dieu. C'est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples: "Je suis la Voie, la Vérité et la Vie, et personne ne vient au Père que par moi. Si vous m'avez connu, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès à présent vous l'avez connu et vous l'avez vu Jn 14,6-7." D'où il ressort clairement que c'est par le Fils, c'est-à-dire par le Verbe, qu'on le connaît.

4 Et voilà pourquoi les juifs se sont égarés loin de Dieu: ils n'ont pas reçu son Verbe et ils se sont imaginé qu'ils pourraient connaître Dieu par le Père lui-même, sans le Verbe, c'est-à-dire sans le Fils. C'était méconnaître Celui qui, sous une forme humaine, s'était entretenu avec Abraham, et une autre fois avec Moïse, en lui disant: "J'ai vu l'affliction de mon peuple en Égypte, et je suis descendu pour les délivrer Ex 3,7-8." Cette activité, en effet, le Fils, qui n'est autre que le Verbe de Dieu, l'exerçait depuis le commencement. Car le Père n'avait pas besoin d'anges pour faire le monde et modeler l'homme en vue duquel fut fait le monde, et il n'était pas davantage dépourvu d'aide pour l'ordonnance des créatures et l'"économie" des affaires humaines, mais il possédait au contraire un ministère d'une richesse inexprimable, assisté qu'il est pour toutes choses par ceux qui sont tout à la fois sa Progéniture et ses Mains, à savoir le Fils et l'Esprit, le Verbe et la Sagesse, au service et sous la main desquels sont tous les anges. Ils sont donc vains ceux qui, à cause de la phrase "Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils Mt 11,27 Lc 10,22", introduisent un autre Père inconnaissable.


Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.1