Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.14

414 Cette amitié d'Abraham, ce ne fut pas à cause d'une indigence que le Verbe de Dieu se l'acquit, lui qui est parfait dès le principe - " Avant qu'Abraham fût, dit-il, Je suis Jn 5,58" -, mais ce fut pour pouvoir, lui qui est bon, donner à Abraham lui-même la vie éternelle: car à ceux qui l'obtiennent, l'amitié de Dieu procure l'incorruptibilité. 14 1 Au commencement non plus, ce ne fut pas parce qu'il avait besoin de l'homme que Dieu modela Adam, mais pour avoir quelqu'un en qui déposer ses bienfaits. Car non seulement avant Adam, mais avant toute création, le Verbe glorifiait le Père, tout en demeurant en lui, et il était glorifié par le Père, comme il le dit lui-même: "Père, glorifie-moi de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût Jn 17,5." Ce ne fut pas davantage parce qu'il avait besoin de notre service qu'il nous commanda de le suivre, mais pour nous procurer à nous-mêmes le salut. Car suivre le Sauveur c'est avoir part au salut, comme suivre la lumière c'est avoir part à la lumière. Lorsque des hommes sont dans la lumière, ce ne sont pas eux qui illuminent la lumière et la font resplendir, mais ils sont illuminés et rendus resplendissants par elle: loin de lui apporter quoi que ce soit, ils bénéficient de la lumière et en sont illuminés. Ainsi en va-t-il du service envers Dieu: à Dieu, il n'apporte rien, car Dieu n'a pas besoin du service des hommes; mais, à ceux qui le servent et qui le suivent, Dieu procure la vie, l'incorruptibilité et la gloire éternelle. Il accorde ses bienfaits à ceux qui le servent, parce qu'ils le servent, et à ceux qui le suivent, parce qu'ils le suivent; mais il ne reçoit d'eux nul bienfait, car il est parfait et sans besoin. Si Dieu sollicite le service des hommes, c'est pour pouvoir, lui qui est bon et miséricordieux, accorder ses bienfaits à ceux qui persévèrent dans son service. Car, de même que Dieu n'a besoin de rien, de même l'homme a besoin de la communion de Dieu. Car la gloire de l'homme, c'est de persévérer dans le service de Dieu. C'est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais moi qui vous ai choisis Jn 15,16", indiquant par là que ce n'étaient pas eux qui le glorifiaient en le suivant, mais que, du fait qu'ils suivaient le Fils de Dieu, ils étaient glorifiés par lui. Et encore: "Je veux que, là où je suis, ceux-là soient aussi, afin qu'ils voient ma gloire Jn 17,24: nulle vantardise en cela, mais volonté de faire partager sa gloire à ses disciples. C'est d'eux que disait le prophète Isaïe: "De l'Orient je ramènerai ta postérité, et de l'Occident je te rassemblerai. Je dirai à l'aquilon: Ramène-les ! et au vent du midi: Ne les retiens pas ! Ramène mes fils des pays lointains et mes filles des extrémités de la terre, tous ceux qui ont été appelés en mon nom, car c'est pour ma gloire que je l'ai préparé, que je l'ai modelé et que je l'ai fait Is 43,5-7." Et cela parce que, "où sera le cadavre, là seront rassemblés les aigles Mt 24,28", participant à la gloire du Seigneur qui les a modelés et préparés précisément pour que, étant avec lui, ils participent à sa gloire.

2 Ainsi Dieu, au commencement, a modelé l'homme en vue de ses dons; il a fait choix des patriarches en vue de leur salut; il formait par avance le peuple, enseignant aux ignorants à suivre Dieu; il instruisait les prophètes, accoutumant l'homme dès cette terre à porter son Esprit et à posséder la communion avec Dieu. Lui qui n'avait besoin de rien, il accordait sa communion à ceux qui avaient besoin de lui: pour ceux qui lui étaient agréables, il dessinait, tel un architecte, l'édifice du salut; à ceux qui ne voyaient pas, en Égypte, il servait lui-même de guide, aux turbulents, dans le désert, il imposait la Loi appropriée; à ceux qui entraient dans la bonne terre, il procurait l'héritage convenable; enfin, pour ceux qui revenaient vers le Père, il immolait le veau gras, et il leur faisait présent de la meilleure robe Lc 15,22-23. Ainsi, de multiples manières, disposait-il le genre humain en vue de la "symphonie Lc 15,25" du salut. C'est pourquoi Jean dit dans l'Apocalypse: "Et sa voix était comme la voix de multiples eaux Ap 1,15." Car elles sont vraiment multiples, les eaux de l'Esprit de Dieu, parce que riche et multiple est le Père. Et, passant à travers tout cela, le Verbe accordait libéralement son assistance à ceux qui lui étaient soumis, prescrivant à toute créature la loi convenable et appropriée.


La Loi imposée aux Israélites en vue de leur bien

3 Ainsi donnait-il au peuple les prescriptions relatives à la construction du tabernacle, à l'édification du Temple, au choix des lévites, aux sacrifices et oblations, aux purifications et à tout le reste du service du culte. Lui-même n'avait nul besoin de tout cela: depuis toujours il est rempli de tous les biens, ayant en lui toute odeur de suavité et toutes les fumées des parfums avant même que Moïse existât. Mais il éduquait un peuple toujours enclin à retourner aux idoles, le disposant par des pratiques multiples à persévérer dans le service de Dieu, l'appelant par les choses secondaires aux principales, c'est-à-dire par les figuratives aux véritables, par les temporelles aux éternelles, par les charnelles aux spirituelles, par les terrestres aux célestes. C'est ainsi qu'il fut dit à Moïse: "Tu feras tout selon le modèle des choses que tu as vues sur la montagne Ex 25,40 He 8,5." Quarante jours durant, en effet, il apprit à retenir les paroles de Dieu, les caractères célestes, les images spirituelles et les figures des choses à venir. Paul dit également: "Ils buvaient au rocher qui les suivait, et ce rocher était le Christ 1Co 10,4." Puis, après avoir parcouru les événements relatés dans la Loi 1Co 10,7-10, il ajoute: "Toutes ces choses leur arrivaient en figures; et elles ont été écrites pour notre instruction à nous en qui est arrivée la fin des siècles 1Co 10,11." Par des figures, donc, ils apprenaient à craindre Dieu et à persévérer dans son service, 15 1 de telle sorte que la Loi était pour eux tout à la fois une prophétie des choses à venir et un enseignement.

415 Dieu, en effet, se contenta d'abord de leur rappeler les préceptes naturels, ceux-là mêmes que, dès le commencement, il avait donnés aux hommes en les implantant en eux: ce fut le décalogue, sans la pratique duquel on ne peut être sauvé; et il ne leur demanda rien de plus. Comme le dit Moïse dans le Deutéronome: "Telles sont les paroles que le Seigneur adressa à toute l'assemblée des fils d'Israël sur la montagne, et il n'y ajouta rien; et il les écrivit sur deux tables de pierre et il me les donna Dt 5,22." Et c'est pourquoi, à ceux qui voulaient le suivre, le Seigneur conseillait de garder les commandements Mt 19,17. Mais quand ensuite ils se tournèrent vers la fabrication d'un veau et qu'ils revinrent de coeur en Égypte, désirant être esclaves plutôt que libres, alors, conformément à leur convoitise, ils reçurent tout le surcroît des prescriptions cultuelles, qui, sans les séparer de Dieu, les dompteraient sous un joug de servitude Ga 5,1. Comme le dit le prophète Ezéchiel, expliquant les motifs d'une telle Loi: "Leurs yeux suivaient les convoitises de leurs coeurs, et moi, je leur donnai des commandements qui n'étaient pas bons et des prescriptions par lesquelles ils ne vivraient pas Ez 20,24-25." De son côté, Luc écrit qu'Etienne, le premier choisi pour le diaconat par les apôtres et le premier mis à mort à cause du témoignage du Christ, s'exprime ainsi au sujet de Moïse: "Il reçut, pour vous les donner, les commandements du Dieu vivant, mais nos pères refusèrent de lui obéir; ils le repoussèrent et retournèrent de coeur en Egypte, disant à Aaron: Fais-nous des dieux qui nous précèdent, car ce Moïse, qui nous a fait sortir de la terre d'Egypte, nous ne savons ce qui lui est advenu. Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent des sacrifices à l'idole, et ils se réjouissaient de l'ouvrage de leurs mains. Alors Dieu se détourna et les livra au service des armées du ciel, selon qu'il est écrit au livre des prophètes: M'avez-vous offert des sacrifices et des oblations pendant quarante années dans le désert, maison d'Israël? Vous avez porté la tente de Moloch et l'étoile du dieu Rempham, ces images que vous avez faites pour les adorer Ac 7,38-43 Am 5,25-26." Il indique clairement par là que ce n'est pas un autre Dieu, mais celui-là même, qui leur donna une telle Loi, appropriée à leur servitude. C'est pourquoi il dit encore à Moïse dans l'Exode: "J'enverrai devant toi mon ange; car je ne monterai pas avec toi, parce que tu es un peuple à la nuque raide Ex 33,2-3."

2 En plus de cela, le Seigneur a également fait connaître que certaines prescriptions leur furent données par Moïse à cause de leur dureté et de leur insoumission. Car, comme ils lui disaient: Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce et de répudier son épouse ?" il répondit: "Moïse vous l'a permis à cause de votre dureté de coeur, mais au commencement il n'en fut pas ainsi Mt 19,7-8." Il disculpait par là Moïse, ce serviteur fidèle Nb 12,7 He 3,5; il reconnaissait aussi pour seul Dieu Celui qui, au commencement, créa l'homme et la femme; enfin il leur reprochait d'être durs et insoumis: pour ce motif ils avaient reçu de Moïse le précepte de répudiation qui convenait à leur dureté. Mais pourquoi parler de l'Ancien Testament, quand, dans le Nouveau, nous voyons les apôtres agir de même pour le motif qui vient d'être dit? Ainsi, Paul déclare: Ceci, c'est moi qui le dis, et non le Seigneur 1Co 7,12." Et encore: "Je dis ceci par manière de concession, non par manière de précepte 1Co 7,6." Et encore: "Au sujet des vierges, je n'ai pas de précepte du Seigneur, mais je donne un conseil comme ayant obtenu miséricorde de la part du Seigneur pour être fidèle 1Co 7,25." II dit encore ailleurs: "... de peur que Satan ne vous tente à cause de votre incontinence 1Co 7,5." Si donc, même dans le Nouveau Testament, nous voyons les apôtres donner certains préceptes par manière de concession à cause de l'incontinence de certains, de peur que, endurcis et désespérant tout à fait de leur salut, ils ne se détachent de Dieu, nous ne devons pas nous étonner si, déjà dans l'Ancien Testament, le même Dieu a voulu faire quelque chose de semblable pour l'avantage du peuple: il les attirait par les pratiques susdites, afin que, ayant grâce à elles mordu à l'hameçon sauveur du décalogue et y restant accrochés, ils ne puissent plus retourner à l'idolâtrie et se détacher de Dieu, mais apprennent à l'aimer de tout leur coeur. Si quelqu'un, à cause de l'indocilité des Israélites, taxe cette Loi de faiblesse, il pourra constater que, dans la vocation qui est nôtre, "il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus Mt 22,14"; que certains sont loups au dedans d'eux-mêmes, qui au dehors sont revêtus de peaux de brebis Mt 7,15; que Dieu a sauvegardé en tout temps et le libre arbitre de l'homme et son exhortation à lui, afin que ceux qui auront désobéi soient jugés justement pour avoir désobéi, et que ceux qui auront obéi et cru en lui soient couronnés de l'incorruptibilité.

416 16 1 Que Dieu n'ait pas donné non plus la circoncision comme conférant la perfection de la justice, mais comme un signe grâce auquel la race d'Abraham demeurerait aisément reconnaissable, nous l'apprenons par l'Écriture elle-même: "Dieu dit à Abraham: Tout mâle parmi vous sera circoncis, et vous circoncirez la chair de votre prépuce, et ce sera en signe d'alliance entre moi et vous Gn 17,9-11." Le prophète Ézéchiel dit la même chose à propos des sabbats: "Je leur ai donné aussi mes sabbats pour servir de signe entre moi et eux, pour qu'ils sachent que je suis le Seigneur qui les sanctifie Ez 20,12." Et, dans l'Exode, Dieu dit à Moïse: "Vous observerez aussi mes sabbats, car ce sera un signe entre moi et vous pour vos générations Ex 31,13." Ces choses furent donc données comme des signes. Et ces signes n'étaient ni vides de signification ni superflus, donnés qu'ils étaient par un sage Artisan. La circoncision selon la chair préfigurait la circoncision spirituelle: "Pour nous, dit l'Apôtre, nous avons été circoncis d'une circoncision non faite de main d'homme Col 2,11." Et le prophète dit: "Circoncisez la dureté de votre coeur Dt 10,16." Quant aux sabbats, ils enseignaient la persévérance dans le service de Dieu tout au long du jour: "Nous avons été considérés, dit l'apôtre Paul, tout au long du jour, comme des brebis de sacrifice Rm 8,36 Ps 44,22", c'est-à-dire comme consacrés, comme servant durant tout le temps de notre foi et comme persévérant en elle, nous abstenant de toute avarice Lc 12,15, ne possédant point de trésors sur la terre Mt 6,19. Ils manifestaient aussi le repos de Dieu consécutif en quelque sorte à la création, c'est-à-dire le royaume en lequel l'homme qui persévère dans le service de Dieu se reposera et prendra part à la table de Dieu.

2 La preuve que l'homme n'était pas justifié par ces pratiques, mais qu'elles avaient été données au peuple comme des signes, c'est qu'Abraham lui-même, sans circoncision ni observation de sabbats, "crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice, et il fut appelé ami de Dieu Jc 2,23 Gn 15,6. Lot, lui aussi, bien que non circoncis, fut emmené hors de Sodome et obtint de Dieu le salut Gn 19,12-29. Pour avoir plu à ce même Dieu alors qu'il n'était pas circoncis, Noé reçut les dimensions du monde de la nouvelle naissance Gn 6,15. Énoch, lui aussi, ayant plu à Dieu sans circoncision, était envoyé comme ambassadeur auprès des anges, quoiqu'il fût homme; et il fut transféré Gn 5,24 Sg 4,10 Si 44,16 He 11,5, et il est gardé jusqu'à ce jour comme témoin du juste jugement de Dieu: car les anges qui avaient transgressé tombèrent pour le jugement, tandis que l'homme qui avait plu à Dieu fut transféré pour le salut. Et toute la multitude des autres justes antérieurs à Abraham et des patriarches antérieurs à Moïse fut justifiée sans les pratiques susdites et sans la Loi de Moïse, comme Moïse lui-même le dit au peuple dans le Deutéronome: "Le Seigneur ton Dieu a conclu une alliance sur l'Horeb; et ce n'est pas avec vos pères que le Seigneur a conclu cette alliance, mais avec vous-mêmes Dt 5,2-3."

3 Pourquoi donc n'est-ce pas avec leurs pères qu'il conclut l'alliance? "Parce que la Loi n'a pas été établie pour le juste 1Tm 1,9." Or, justes, ils l'étaient, leurs pères, eux qui avaient le contenu du décalogue inscrit dans leurs coeurs et dans leurs âmes, puisqu'ils aimaient le Dieu qui les avait créés et qu'ils s'abstenaient de toute injustice à l'égard de leur prochain: ils n'avaient pas besoin d'une Écriture qui les avertît, car ils possédaient en eux-mêmes la justice de la Loi. Mais lorsque cette justice et cet amour envers Dieu furent tombés dans l'oubli et se furent éteints en Égypte, il fallut bien que Dieu, à cause de son grand amour des hommes, se manifestât de vive voix; et il fit sortir d'Égypte son peuple par sa puissance, afin que l'homme redevînt le disciple et le compagnon de Dieu, et il châtia les désobéissants, afin qu'il ne méprisât pas Celui qui l'avait créé; et il le nourrit de la manne, afin qu'il reçût un aliment spirituel, selon que Moïse dit dans le Deutéronome: "Et il t'a nourri de la manne, que ne connaissaient pas tes pères, afin que tu saches que l'homme ne vivra pas de pain seulement, mais que l'homme vivra de toute parole qui sort de la bouche de Dieu et il prescrivit l'amour envers Dieu et enseigna la justice à l'égard du prochain, afin que l'homme ne fût ni injuste ni indigne de Dieu Dt 8,3". Ainsi, par le décalogue, préparait-il l'homme à son amitié et à la concorde à l'égard du prochain: ces choses étaient profitables à l'homme lui-même, et Dieu ne sollicitait de lui rien de plus.

4 C'est pourquoi l'Écriture dit: "Telles sont les paroles que le Seigneur adressa à toute l'assemblée des fils d'Israël sur la montagne, et il n'y ajouta rien Dt 5,22": car, comme nous venons de le dire, il ne sollicitait d'eux rien de plus. Moïse leur dit encore: "Et maintenant, Israël, que te demande le Seigneur ton Dieu, sinon de craindre le Seigneur ton Dieu, de marcher dans toutes ses voies, et de l'aimer, et de servir le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme Dt 10,12 ?" C'est cela, en effet, qui rendait l'homme glorieux, en venant combler sa pénurie, c'est-à-dire en lui procurant l'amitié de Dieu; mais à Dieu cela n'apportait rien, car Dieu n'avait pas besoin de l'amour de l'homme; l'homme se trouvait privé, lui, de la gloire de Dieu Rm 3,23, et cette gloire, il ne pouvait l'obtenir autrement que par le service de Dieu. C'est pourquoi Moïse leur dit encore: "Choisis la vie afin de vivre, toi et ta postérité, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t'attachant à lui, car c'est cela qui est ta vie et la longueur de tes jours Dt 30,19-20."


Conclusion: l'Évangile, accomplissement de la Loi

C'est précisément pour préparer l'homme à cette vie que le Seigneur a, par lui-même et pour tous pareillement, énoncé les paroles du décalogue: aussi demeurent-elles pareillement chez nous, après avoir reçu extension et accroissement, mais non abolition, du fait de sa venue charnelle. 5 Quant aux préceptes de la servitude, il les a, par l'entremise de Moïse, intimés à part, au peuple, comme adaptés à leur éducation, ainsi que le dit Moïse lui-même: "Le Seigneur me commanda en ce temps-là de vous enseigner les prescriptions et les jugements Dt 4,14." C'est pourquoi les préceptes qu'il leur avait donnés pour la servitude et comme des signes, il les a abolis par la nouvelle alliance de liberté-, mais les préceptes naturels, qui conviennent à des hommes libres et qui sont communs à tous, ils les a accrus, accordant aux hommes, avec libéralité, de connaître Dieu comme Père par la filiation adoptive Ga 4,5 et de l'aimer de tout leur coeur Mt 22,37 et de suivre son Verbe sans s'en détourner, en s'abstenant non seulement des actes mauvais, mais même de leur désir. II a accru aussi la crainte, car il sied à des fils et de craindre plus que des esclaves et d'aimer davantage leur Père. C'est pourquoi le Seigneur dit: "De toute parole vaine qu'ils auront dite, les hommes rendront compte au jour du jugement Mt 12,36." Et encore: "Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur Mt 5,28." Et encore: "Quiconque se met en colère contre son frère sans motif sera justiciable du jugement Mt 5,22." Il veut nous apprendre par là que ce n'est pas seulement de nos actes que nous rendrons compte à Dieu, tels des esclaves, mais aussi de nos paroles et de nos pensées, comme des gens qui ont reçu le pouvoir de la liberté: car c'est davantage dans l'exercice de celle-ci qu'on éprouve si l'homme respecte et aime le Seigneur; c'est pourquoi Pierre dit que nous n'avons pas la liberté pour servir de voile à notre malice 1P 2,16, mais pour l'épreuve et la manifestation de notre foi .




VI. L'EUCHARISTIE, ACCOMPLISSEMENT DES SACRIFICES FIGURATIFS


417

Les sacrifices prescrits par la Loi

17 1 Les prophètes indiquent encore surabondamment que ce ne fut pas parce qu'il avait besoin de leur service, que Dieu leur prescrivit les observances contenues dans la Loi; à son tour, le Seigneur a ouvertement enseigné que, si Dieu sollicite des hommes une oblation, c'est pour celui-là même qui l'offre, c'est-à-dire pour l'homme. C'est ce que nous allons montrer.

Lorsqu'il les voyait négliger la justice et se détourner de l'amour de Dieu, et s'imaginer néanmoins qu'ils pourraient se rendre Dieu favorable par des sacrifices et par d'autres observances figuratives, Samuel leur disait: "Le Seigneur veut-il les holocaustes et les sacrifices plus que d'écouter la voix du Seigneur? Voici que l'obéissance l'emporte sur le sacrifice, et la docilité, sur la graisse des béliers 1S 15,22." David dit de son côté: "Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m'as formé des oreilles; tu n'as demandé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché Ps 40,7": il leur enseigne par là que Dieu préfère l'obéissance, qui les sauve, aux sacrifices et aux holocaustes, qui ne leur sont d'aucun profit pour la justice, et, en même temps, il prophétise la nouvelle alliance. Plus clairement encore, au Psaume cinquantième, il dit à ce sujet: "Si tu avais voulu un sacrifice, je te l'aurais offert, mais tu ne prendras pas plaisir aux holocaustes; le sacrifice pour Dieu, c'est un cour contrit: un cour contrit et humilié, Dieu ne le méprisera pas Ps 51,18-19." Que Dieu n'ait besoin de rien, il l'affirme dans le Psaume précédent: "Je n'agréerai pas de veaux de ta maison, ni de boucs de tes troupeaux, car à moi sont tous les animaux de la forêt, les bêtes des montagnes et les boeufs; je connais tous les oiseaux du ciel, et la beauté des champs est avec moi; si j'ai faim, je ne te le dirai pas, car à moi est le monde et tout ce qu'il renferme. Vais-je donc manger la chair des taureaux ou boire le sang des boucs Ps 50,9-13 ?" Mais ensuite, pour que personne ne s'imagine que c'est par colère qu'il repousse tout cela, il ajoute en manière de conseil: "Immole à Dieu le sacrifice de la louange et acquitte tes voeux envers le Très-Haut; invoque-moi au jour de la détresse, et je te délivrerai, et tu me glorifieras ." Ainsi, après avoir repoussé ce par quoi ils croyaient, tout en péchant, se rendre Dieu favorable, et avoir montré que lui-même n'a besoin de rien, il conseille et rappelle ce par quoi l'homme est justifié et s'approche de Dieu.

Isaïe dit de même: "Que m'importe la multitude de vos sacrifices? dit le Seigneur. Je suis rassasié Is 1,10." Puis, après avoir repoussé les holocaustes, sacrifices et oblations, ainsi que les néoménies, les sabbats, les fêtes et toute la suite des autres observances, il ajoute, en leur conseillant ce qui procure le salut: "Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez la malice de vos coeurs de devant mes yeux; cessez vos méchancetés, apprenez à bien faire; recherchez la justice, sauvez celui qui souffre l'injustice, faites droit à l'orphelin et défendez la veuve: venez alors et disputons ensemble, dit le Seigneur Is 1,16-18."
2 Par là, il n'exclut pas leurs sacrifices à la façon d'un homme irrité, ainsi que plusieurs ont l'audace de le dire, mais il a pitié de leur aveuglement et enseigne le sacrifice véritable, celui par l'offrande duquel ils se rendront Dieu favorable et obtiendront de lui la vie. Comme il le dit encore ailleurs: "Le sacrifice pour Dieu, c'est un cour contrit; l'odeur de suavité pour Dieu, c'est un cour qui glorifie Celui qui l'a modeléa."

Note:
a Agraphon II.


Si c'était par colère qu'il repoussât leurs sacrifices, comme de gens indignes d'obtenir sa miséricorde, il ne leur conseillerait pas ce par quoi ils pourraient être sauvés; mais, parce que Dieu est miséricordieux, il ne les prive pas du bon conseil. C'est ainsi qu'après leur avoir dit par la bouche de Jérémie: "Pourquoi m'apportez-vous l'encens de Saba et le cinnamome d'une terre lointaine? Vos holocaustes et vos sacrifices ne m'ont pas été agréables Jr 6,20", il ajoute: "Écoutez la parole du Seigneur, vous tous, Juda. Voici ce que dit le Seigneur Dieu d'Israël: Redressez vos voies et vos habitudes de vie, et je vous ferai habiter en ce lieu. Ne vous fiez pas à des paroles mensongères qui ne vous seront d'aucun profit, en disant: C'est le temple du Seigneur, c'est le temple du Seigneur Jr 7,2-4."

3 De même encore, leur signifiant qu'il ne les a pas tirés d'Egypte pour qu'ils lui offrent des sacrifices, mais pour qu'en oubliant l'idolâtrie des Égyptiens ils puissent entendre la voix de Dieu, qui est leur salut et leur gloire, il dit par la bouche du même Jérémie: "Voici ce que dit le Seigneur: Ajoutez vos holocaustes à vos sacrifices et mangez-en les chairs; car je n'ai rien dit à vos pères et ne leur ai rien prescrit au sujet des holocaustes et des sacrifices le jour où je les ai fait sortir d'Égypte. Mais voici le commandement que je leur ai donné: coutez ma voix, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple; marchez dans toutes mes voies que je vous prescrirai, pour que vous vous en trouviez bien. Mais ils n'ont pas écouté ni prêté attention; ils ont marché selon les pensées de leur cour pervers, ils ont rétrogradé au lieu d'avancer Jr 7,21-25." Et de nouveau, après avoir dit par la bouche du même: "Que celui qui se glorifie, se glorifie de comprendre et de savoir que c'est moi le Seigneur, qui fais la miséricorde, la justice et le jugement sur la terreJr 9,24", il ajoute: " Car c'est à cela que je prends plaisir, dit le Seigneur Jr 9,24", et non aux sacrifices, aux holocaustes et aux oblations.

Car ce ne fut pas primitivement, mais par voie de conséquence et pour la raison exposée plus haut, que le peuple reçut ces choses. Comme le dit encore Isaïe: "Ce n'est pas pour moi que sont les brebis de ton holocauste, et tu ne m'as pas glorifié par tes sacrifices; tu ne m'as pas servi par des sacrifices, et je ne t'ai pas fatigué pour de l'encens; tu n'as pas acheté pour moi du parfum à prix d'argent, et je n'ai pas désiré la graisse de tes sacrifices; mais c'est dans tes péchés et tes iniquités que tu t'es tenu devant moi Is 43,23-24." "Sur qui donc, dit-il, jetterai je les yeux, sinon sur celui qui est humble et paisible et tremble à mes paroles Is 66,2 ?" "Car ce ne sont pas les voeux et les chairs sacrées qui ôteront de toi tes injustices Jr 11,15." "Car voici le jeûne que j'ai choisi, dit le Seigneur: dénoue tout noeud d'injustice, délie les lacets des échanges forcés, renvoie en paix ceux qui sont brisés et déchire tout contrat nuque; partage ton pain de bon cour avec celui qui a faim et fais entrer dans ta maison l'étranger qui n'a pas de toit; si tu vois un homme nu, couvre-le, et ne méprise pas ceux de ta maison et de ton sang. Alors ta lumière jaillira dès le matin et ta guérison se lèvera promptement; la justice marchera devant toi et la gloire de Dieu t'entourera; tu parleras encore, que déjà je dirai: Me voici Is 58,6-9 !"

Et Zacharie, parmi les douze prophètes, leur signifie en ces termes la volonté de Dieu: "Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant: Jugez avec justice, pratiquez la pitié et la miséricorde chacun envers son frère; n'opprimez pas la veuve et l'orphelin, l'étranger et le pauvre, et que personne d'entre vous ne conserve dans son cour le souvenir de la méchanceté de son frère Za 7,9-10." Et encore: "Voici, dit-il, les paroles que vous accomplirez: dites la vérité chacun à son prochain; jugez pacifiquement à vos portes; que personne d'entre vous ne repasse en son cour la méchanceté de son frère; n'aimez pas faire de faux serments: car tout cela je le hais, dit le Seigneur tout-puissant Za 8,16-17."

David dit aussi pareillement: "Quel est l'homme qui veut la vie et aime voir des jours heureux? Détourne ta langue du mal et tes lèvres des paroles perfides; évite le mal et fais le bien; cherche la paix et poursuis-la Ps 34,13-15."

4 De tout cela, il ressort que ce ne sont pas des sacrifices et des holocaustes que Dieu attendait d'eux, mais la foi, l'obéissance et la justice, pour leur salut. Ainsi encore, chez le prophète Osée, pour leur enseigner sa volonté, Dieu leur disait: "Je veux la miséricorde plus que le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes Os 6,6." Et notre Seigneur aussi leur rappelait ces mêmes choses, en disant: "Si vous aviez su ce que signifie: Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n'auriez pas condamné des innocents Mt 12,7." Par là, il attestait que les prophètes prêchaient la vérité, et il faisait honte à ceux-là de leur coupable folie.


Le sacrifice de la nouvelle alliance

5 A ses disciples aussi, il conseillait d'offrir à Dieu les prémices de ses propres créatures, non que celui-ci en eût besoin, mais pour qu'eux-mêmes ne fussent ni stériles ni ingrats. Le pain, qui provient de la création, il le prit, et il rendit grâces, disant: "Ceci est mon corps Mt 26,26." Et la coupe pareillement, qui provient de la création dont nous sommes, il la déclara son sang et il enseigna qu'elle était l'oblation nouvelle de la nouvelle alliance Mt 26,28. C'est cette oblation même que l'Église a reçue des apôtres et que, dans le monde entier, elle offre au Dieu qui nous donne la nourriture, comme prémices des propres dons de Dieu sous la nouvelle alliance.

De celle-ci, parmi les douze prophètes, Malachie a parlé d'avance en ces termes: "Je ne prends pas plaisir en vous, dit le Seigneur tout-puissant, et je n'agréerai pas de sacrifice de vos mains; car du levant au couchant, mon nom est glorifié parmi les nations, et en tout lieu de l'encens est offert à mon nom, ainsi qu'un sacrifice pur: car mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant Ml 1,10-11." Il signifiait très clairement par là que le premier peuple cesserait d'offrir à Dieu, tandis qu'en tout heu un sacrifice lui serait offert, pur celui-ci, et que son nom serait glorifié parmi les nations. 6 Or, quel est le nom qui est glorifié parmi les nations, sinon celui de notre Seigneur, par l'entremise de qui est glorifié le Père et est glorifié l'homme? Mais, parce que c'est le nom de son propre Fils et que ce nom est son oeuvre Mt 1,21, il l'a déclaré sien. De même qu'un roi qui aurait tracé lui-même le portrait de son fils dirait à bon droit que ce portrait est sien pour ce double motif que c'est celui de son fils et qu'il l'a fait lui-même, ainsi en va-t-il du nom de Jésus-Christ qui, à travers le monde entier, est glorifié dans l'Église: ce nom, le Père l'a déclaré sien, et parce que c'est celui de son Fils, et parce que lui-même l'a tracé, en le donnant pour le salut des hommes Ac 4,12. Donc, puisque le nom du, Fils appartient en propre au Père et puisqu'en tout lieu l'Eglise offre au Dieu tout-puissant par Jésus-Christ, le prophète dit à juste titre pour cette double raison: "Et en tout lieu de l'encens est offert à mon nom, ainsi qu'un sacrifice pur Ml 1,11." Cet encens, Jean dit dans l'Apocalypse que ce sont les prières des saints Ap 5,8.

418 18 1 Ainsi donc, l'oblation de l'Eglise, que le Seigneur a enseigné à offrir dans le monde entier, est réputée sacrifice pur auprès de Dieu et lui est agréable. Ce n'est pas qu'il ait besoin de notre sacrifice, mais celui qui offre est lui-même glorifié du fait qu'il offre, si son présent est accepté. Par ce présent, en effet, se manifestent l'honneur et la piété que nous rendons au Roi, et c'est ce présent que le Seigneur veut nous voir offrir en toute simplicité et innocence: "Si, dit-il, tu offres ton présent à l'autel, et que tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton présent devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis, étant revenu, offre ton présent Mt 5,23-24." Il faut donc offrir à Dieu les prémices de ses propres créatures, comme le dit Moïse: "Tu ne paraîtras pas devant lc Seigneur ton Dieu les mains vides Dt 16,16": de la sorte, en lui exprimant sa reconnaissance au moyen des choses mêmes dont il a été gratifié, l'homme recevra l'honneur qui vient de lui.

2 Le "genre" des oblations n'a donc pas été abrogé: il y avait des oblations là-bas, il y en a ici aussi; il y avait des sacrifices dans le peuple, il y en a également dans l'Église. L'"espèce" seule en a été changée: ce n'est plus par des esclaves, mais par des hommes libres, qu'est faite l'offrande. S'il n'y a en effet qu'un seul et même Seigneur, il n'y en a pas moins un caractère propre à l'oblation des esclaves et un caractère propre à celle des hommes libres, pour que jusque dans les oblations se manifeste la marque distinctive de la liberté: car rien n'est oiseux ni dépourvu de signification auprès de lui. Voilà pourquoi ceux-là voyaient consacrer la dîme de leurs biens, tandis que ceux qui ont reçu la liberté en partage mettent tout leur avoir à l'usage du Seigneur, donnant joyeusement et généreusement des biens moindres parce qu'ils ont l'espérance de plus grands, la veuve pauvre jetant ici toute sa subsistance dans le trésor de Dieu Lc 21,4.

3 Dès le commencement, en effet, Dieu regarda les présents d'Abel, parce qu'il offrait avec simplicité et justice; mais il ne regarda pas le sacrifice de Caïn, parce que, avec la jalousie et la méchanceté, il avait dans son coeur la division contre son frère Gn 4,4-5. C'est ce que Dieu, démasquant ses secrètes dispositions, lui disait: "Si tout en offrant avec rectitude, tu ne partages pas avec rectitude, n'as-tu pas péché? Calme-toi Gn 4,7." Car ce ne sont pas des sacrifices qui rendent Dieu favorable. Si quelqu'un tente d'offrir avec une pureté, une rectitude, une exactitude tout apparentes, mais que, dans son âme, il ne partage pas avec rectitude la communion à l'égard du prochain et n'ait pas la crainte de Dieu, il ne trompe pas Dieu en offrant ce sacrifice avec une rectitude tout extérieure alors qu'au dedans de lui il a le péché: ce n'est pas l'oblation qui sera profitable à un tel homme, mais la suppression du mal conçu au dedans de lui, faute de quoi, par cette action simulée, le péché fera de l'homme son propre meurtrier. Aussi le Seigneur disait-il: "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous êtes semblables à des sépulcres blanchis. Au dehors, le sépulcre a belle apparence, mais au dedans il est rempli d'ossements de morts et d'immondices de toute sorte: ainsi vous aussi, au dehors vous apparaissez aux hommes comme des justes, mais au dedans vous êtes remplis de méchanceté et d'hypocrisie Mt 23,27-28." Tandis qu'au dehors ils passaient pour offrir avec rectitude, ils avaient en eux-mêmes une jalousie pareille à celle de Caïn: aussi tuèrent-ils le Juste Jc 5,6, répudiant le conseil du Verbe à l'exemple de Caïn. Car il dit à ce dernier: "Calme-toi Gn 4,7." Mais il n'y consentit point. Se calmer, qu'était-ce d'autre que dominer l'impulsion du moment? Il leur dit pareillement: "Pharisien aveugle, purifie l'intérieur de la coupe, pour que l'extérieur aussi en devienne pur Mt 23,26." Mais ils ne l'écoutèrent point. "Car voici, dit Jérémie, que tes yeux et ton coeur ne sont pas bons, mais dans ta cupidité tu les tournes vers le sang innocent pour le répandre, vers l'injustice et le meurtre pour les perpétrer Jr 22,17." Et encore Isaïe: "Vous avez tenu un conseil, mais non par moi; vous avez conclu des pactes, mais non par mon Esprit Is 30,1." Donc, pour que leurs volontés et leurs pensées intimes, en étant dévoilées au grand jour, montrent que Dieu n'est pas en faute - car il manifeste ce qui est secret, mais n'opère pas le mal -, comme Caïn ne se calmait pas, il lui dit: "Vers toi se porte ton frère, et toi, tu vas le dominer Gn 4,7." A Pilate aussi il disait pareillement: "Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, s'il ne t'avait été donné d'en haut Jn 19,11." Car Dieu a, en tout temps, livré le juste, afin que l'un, à la suite des souffrances qu'il aura supportées, soit justifié et agréé, tandis que l'autre, à la suite du mal qu'il aura commis, sera condamné et jeté dehors. Ce ne sont donc pas les sacrifices qui sanctifient l'homme, car Dieu n'a pas besoin de sacrifices; mais ce sont les dispositions de celui qui offre, qui sanctifient le sacrifice, si elles sont pures: elles contraignent Dieu a l'accepter comme d'un ami. "Quant au pécheur, dit-il, qui m'immole un veau, c'est comme s'il tuait un chien Is 66,3."

4 Donc, parce que l'Eglise offre avec simplicité, c'est à juste titre que son présent est réputé sacrifice pur auprès de Dieu. Comme le dit Paul aux Philippiens: "Je suis comblé, maintenant que j'ai reçu d'Épaphrodite votre envoi, odeur de suavité, sacrifice agréable et qui plaît à Dieu Ph 4,18." Car il nous faut présenter une offrande à Dieu et témoigner en tout notre reconnaissance au Créateur, en lui offrant, dans une pensée pure et une foi sans hypocrisie, dans une espérance ferme, dans une charité ardente, les prémices de ses propres créatures. Et cette oblation, l'Église seule l'offre, pure, au Créateur, en lui offrant avec action de grâces ce qui provient de sa création. Les juifs ne l'offrent plus: leurs mains sont pleines de sang Is 1,15, car ils n'ont pas reçu le Verbe par qui l'on offre à Dieu. Toutes les assemblées des hérétiques ne l'offrent pas davantage. Les uns disent, en effet, qu'il y a un Père autre que le Créateur: mais alors, en lui offrant des dons tirés de notre monde créé, ils prouvent qu'il est cupide et désireux du bien d'autrui. D'autres disent que notre monde est issu d'une déchéance, d'une ignorance et d'une passion: mais alors, en offrant les fruits de cette ignorance, de cette passion et de cette déchéance, ils pèchent contre leur Père, car ils l'outragent bien plus qu'ils ne lui rendent grâces.

Au surplus, comment auront-ils la certitude que le pain eucharistié est le corps de leur Seigneur, et la coupe, son sang, s'ils ne disent pas qu'il est le Fils de l'Auteur du monde, c'est-à-dire son Verbe, par qui le bois "fructifie", les sources coulent, "la terre donne d'abord une herbe, puis un épi, puis du blé plein l'épi Mc 4,27-28"? 5 Comment encore peuvent-ils dire que la chair s'en va à la corruption et n'a point part à la vie, alors qu'elle est nourrie du corps du Seigneur et de son sang? Qu'ils changent donc leur façon de penser, ou qu'ils s'abstiennent d'offrir ce que nous venons de dire ! Pour nous, notre façon de penser s'accorde avec l'eucharistie, et l'eucharistie en retour confirme notre façon de penser. Car nous lui offrons ce qui est sien, proclamant d'une façon harmonieuse la communion et l'union de la chair et de l'Esprit: car de même que le pain qui vient de la terre, après avoir reçu l'invocation de Dieu, n'est plus du pain ordinaire, mais eucharistie, constituée de deux choses, l'une terrestre et l'autre céleste, de même nos corps qui participent à l'eucharistie ne sont plus corruptibles, puisqu'ils ont l'espérance de la résurrection.

6 Nous lui offrons, en effet, non comme à quelqu'un qui serait dans le besoin, mais pour lui rendre grâces à l'aide de ses dons et sanctifier la création. Car, de même que Dieu n'a pas besoin de ce qui vient de nous, de même nous avons besoin d'offrir quelque chose à Dieu. Comme le dit Salomon: "Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu Pr 19,17." Car il accepte nos bonnes actions, lui, le Dieu qui n'a besoin de rien pour pouvoir nous donner en retour Pr 19,17 ses propres biens. Comme le dit le Seigneur: "Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume préparé pour vous: car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire, j'ai été étranger, et vous m'avez accueilli; nu, et vous m'avez vêtu; malade, et vous m'avez visité; en prison, et vous êtes venus à moi Mt 25,34-36." Donc, de même que, sans avoir besoin de ces choses, il les sollicite à cause de nous, afin que nous ne soyons pas stériles, ainsi le même Verbe prescrivit au peuple de faire les oblations, bien qu'il n'en eût pas besoin, afin qu'ils apprissent à servir Dieu, tout comme il veut que, nous aussi, nous offrions notre présent à l'autel continuellement.

419 Il y a donc un autel dans les cieux - c'est là que montent nos prières et nos oblations -, ainsi qu'un temple - comme Jean le dit dans l'Apocalypse: "Et le temple de Dieu fut ouvert Ap 11,19" -, ainsi qu'un tabernacle - "Voici, dit-il, le tabernacle de Dieu dans lequel il habitera avec les hommes Ap 21,3" -. 19 1 Quant aux présents, aux oblations et aux sacrifices, le peuple les reçut à titre de figures, conformément à ce qui fut montré à Moïse sur la montagne Ex 25,40 He 8,5, du seul et même Dieu dont le nom est maintenant glorifié dans l'Église parmi toutes les nations Ml 1,11. Les choses terrestres, disposées à notre niveau, il est en effet normal qu'elles soient les figures des choses célestes, - tout en étant d'ailleurs faites par le même Dieu, puisqu'un autre eût été incapable de réaliser une image des choses spirituelles.

Mais prétendre que les choses célestes et spirituelles, qui sont pour nous invisibles et ineffables, sont à leur tour les figures d'autres choses célestes et d'un autre Plérôme et que Dieu est l'image d'un autre Père, c'est là le fait de gens égarés loin de la vérité, complètement fous et obtus. De tels hommes se verront contraints, nous l'avons montré à maintes reprises, d'inventer sans arrêt des figures de figures et des images d'images, sans jamais pouvoir fixer leur esprit dans le Dieu unique. Leurs pensées sont allées au-dessus de Dieu, et ils se sont élevés dans leurs coeurs au-dessus du Maître: ils ont cru du moins s'élever et se hausser, en réalité ils se sont écartés du vrai Dieu.



Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.14