Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.28

428 28 1 Ainsi donc, de part et d'autre, c'est le même juste jugement de Dieu; mais là il s'exerçait en figure, pour un temps et avec modération, tandis qu'ici il s'exerce en vérité, pour toujours et avec rigueur: car le feu est éternel, et la colère de Dieu qui va se révéler du haut du ciel Rm 1,18 "par le fait de la face de notre Seigneur 2Th 1,9" - selon cette parole de David: "La face du Seigneur est contre ceux qui font le mal, pour faire disparaître de la terre leur souvenir Ps 34,17" - infligera un châtiment plus grand à ceux qui tomberont en son pouvoir. Ils sont dès lors bien fous, comme le montrait le presbytre, ceux qui, prétextant les maux soufferts par ceux qui jadis désobéirent à Dieu, tentent d'introduire un autre Père: ils comparent à ces maux, pour le leur opposer, tout ce que le Seigneur, lors de sa venue, a fait pour sauver ceux qui l'ont reçu, la pitié qu'il leur a témoignée Mc 5,19, mais ils ne soufflent mot de son jugement ni du sort réservé à ceux qui ont entendu sa parole et ne l'ont pas mise en pratique Lc 6,49; ils oublient qu'il eût mieux valu pour eux n'être pas nés Mt 26,24, et qu'il y aura moins de rigueur pour Sodome et Gomorrhe, lors du jugement, que pour la ville qui n'a pas reçu la parole de ses disciples Mt 10,15 Lc 10,12.

2 Car, de même que dans le Nouveau Testament la foi des hommes envers Dieu s'est accrue, en recevant en supplément le Fils de Dieu, afin que l'homme devînt participant de Dieu; de même que le soin à apporter à la vie morale s'est étendu, puisqu'il nous est commandé de nous abstenir non seulement des actes mauvais, mais encore des pensées mauvaises Mt 15,19, des paroles oiseuses Mt 12,36 et des bouffonneries Ep 5,4: de même la perdition de ceux qui n'obéissent pas au Verbe de Dieu, méprisent sa venue et retournent en arrière, s'est amplifiée elle aussi, n'étant plus temporelle, mais étant devenue éternelle. Car tous ceux à qui le Seigneur dira: "Allez-vous-en loin de moi, maudits, au feu éternel Mt 25,41", seront condamnés pour toujours; et tous ceux à qui il dira: "Venez, les bénis de mon Père, recevez l'héritage du royaume qui vous a été préparé Mt 25,34", recevront pour toujours le royaume et progresseront en lui. II n'y a, en effet, qu'un seul et même Dieu Père, et son Verbe est présent en tout temps à l'humanité, quoique par des "économies" diverses et des opérations multiformes, sauvant depuis le commencement ceux qui sont sauvés, c'est-à-dire ceux qui aiment Dieu et qui, selon leur époque, suivent son Verbe, et condamnant ceux qui sont condamnés, c'est-à-dire ceux qui oublient Dieu et qui blasphèment et méprisent son Verbe.


Exégèse d'un presbytre : l'aveuglement des Egyptiens et l'endurcissement de Pharaon

3 Car, sans même s'en rendre compte, les hérétiques dont nous venons de parler accusent le Seigneur en qui ils prétendent croire. Ils s'en prennent en effet à Celui qui jadis; pour un temps, condamna les désobéissants et frappa les Égyptiens, tandis qu'il sauvait ceux qui lui obéissaient: mais ce reproche n'atteindra pas moins le Seigneur, qui condamne pour l'éternité ceux qu'il condamne et absout pour l'éternité ceux qu'il absout. Celui-ci se trouvera même, d'après leur sentiment, avoir été la cause du plus grand des péchés pour ceux qui mirent la main sur lui et le transpercèrent: car, s'il n'était pas venu de la sorte, ils ne fussent point devenus meurtriers du Seigneur, tout comme, s'il ne leur avait point envoyé les prophètes, ils ne les eussent point tués, non plus que les apôtres. Donc, à ceux qui nous accusent et qui disent: Si les Égyptiens n'avaient pas été frappés et, en poursuivant Israël, n'avaient pas été noyés dans la mer, Dieu n'eût pu sauver son peuple, - s'opposera ceci: Si, d'aventure, les juifs n'étaient pas devenus meurtriers du Seigneur - ce qui leur a fait perdre la vie éternelle - et si, en tuant les apôtres et en persécutant l'Église, ils n'étaient pas tombés dans l'abîme de la colère, nous n'eussions pu être sauvés. Car, comme ceux-là ont été sauvés moyennant l'aveuglement des Égyptiens, nous l'avons été à notre tour moyennant celui des juifs: la mort du Seigneur est en effet la condamnation de ceux qui l'ont crucifié et n'ont pas cru en sa venue, mais elle est le salut de ceux qui croient en lui. Car l'Apôtre dit dans la deuxième épître aux Corinthiens: "Nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ parmi ceux qui sont sauvés et parmi ceux qui se perdent: aux uns une odeur de mort pour la mort, aux autres une odeur de vie pour la vie 2Co 2,15-16." Pour qui donc est-il une odeur de mort pour la mort? Pour ceux qui ne croient pas et ne sont pas soumis au Verbe de Dieu. Et quels sont ceux qui, déjà autrefois, se livrèrent eux-mêmes à la mort? Ceux qui ne croyaient pas et n'étaient pas soumis à Dieu. En revanche, quels sont ceux qui furent sauvés et reçurent l'héritage? Ceux qui croyaient en Dieu et avaient gardé l'amour envers lui, comme Caleb fils de Jéphoné et Jésus fils de Navé Nb 14,30, ainsi que les enfants innocents qui n'avaient pas parlé contre Dieu et n'avaient pas eu la pensée du mal Nb 14,31. Et quels sont ceux qui, maintenant, sont sauvés et reçoivent la vie? Ne sont-ce pas ceux qui aiment Dieu, qui croient en ses promesses et qui sont "de petits enfants par la malice 1Co 14,20" ?

429 29 1 Mais, objectent-ils, Dieu a endurci le coeur de Pharaon et de ses serviteurs Ex 9,35. - Que ne lisent-ils donc, ceux qui profèrent cette accusation, le passage de l'Évangile où les disciples disent au Seigneur: "Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?" et où le Seigneur leur répond: "Parce qu'à vous il a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux; mais à eux je parle en paraboles pour que voyant ils ne voient pas et qu'entendant ils n'entendent pas, afin que s'accomplisse à leur endroit la prophétie d'Isaïe qui dit: Épaissis le coeur de ce peuple, obstrue leurs oreilles et aveugle leurs yeux. Pour vous, heureux vos yeux, qui voient ce que vous voyez, et vos oreilles, qui entendent ce que vous entendez Mt 13,10-16 Lc 8,10 Lc 10,23 Is 6,10 !" Ainsi, un seul et même Seigneur apporte l'aveuglement à ceux qui ne croient pas et ne font aucun cas de lui - comme le soleil, sa créature, le fait pour ceux qui, à cause de quelque maladie de leurs yeux, ne peuvent regarder sa lumière -, tandis qu'à ceux qui croient en lui et le suivent il donne une plus pleine et plus grande illumination de l'intelligence. De la même manière, l'Apôtre dit, lui aussi, dans la deuxième épître aux Corinthiens: "... chez qui Dieu a aveuglé l'esprit des incrédules de ce siècle, pour que ne brille point l'éclat de l'Évangile de la gloire du Christ 2Co 4,4." Et derechef dans l'épître aux Romains: "Et comme ils ne se sont pas souciés de connaître Dieu, Dieu les a livrés à leur intelligence pervertie pour faire ce qui ne convient pas Rm 1,28." Et dans la deuxième épître aux Thessaloniciens il dit ouvertement, parlant de l'Antéchrist: "C'est pourquoi Dieu leur enverra une Puissance d'égarement, pour qu'ils croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité, mais se seront complu dans l'iniquité 2Th 2,11-12."

2 Si donc, maintenant encore, Dieu, qui sait toutes choses à l'avance, livre à leur propre incrédulité tous ceux qu'il sait devoir être incrédules, et s'il détourne sa face des hommes de cette sorte en les abandonnant aux ténèbres qu'ils se sont eux-mêmes choisies, qu'y a-t-il d'étonnant si, jadis aussi, il livra à leur propre incrédulité ceux qui devaient être incrédules, en l'occurrence Pharaon avec son entourage? Comme le Verbe le dit à Moïse du sein du buisson: "Je sais que Pharaon, roi d'Égypte, ne vous laissera pas partir, si ce n'est contraint par une main puissante Ex 3,19." Et tout comme le Seigneur parlait en paraboles et produisait l'aveuglement en Israël, afin que, voyant, ils ne voient pas - car il connaissait leur incrédulité -, de cette même manière il endurcissait aussi le coeur de Pharaon, afin que celui-ci, tout en voyant que c'était le doigt de Dieu qui faisait sortir le peuple, ne le crût pas et se précipitât même dans l'océan de l'incrédulité, s'imaginant que leur exode avait lieu à la faveur d'une opération magique et que la mer Rouge livrait passage au peuple non par la puissance de Dieu, mais par un phénomène naturel.


430

Exégèse d'un presbytre: les dépouilles des Egyptiens

30 1 Quant à ceux qui se répandent en critiques et en accusations parce que, lors de l'exode, le peuple partit après avoir, sur l'ordre de Dieu, reçu des Égyptiens des objets de toute sorte et des vêtements Ex 11,2 Ex 12,35-36 dont fut fait le tabernacle dans le désert, ceux-là font eux-mêmes la preuve qu'ils ignorent les jugements de Dieu et ses "économies", comme disait encore le presbytre. Si, en effet, dans l'exode figuratif, Dieu n'avait pas consenti à cela, aujourd'hui, dans notre exode véritable, c'est-à-dire dans la foi par laquelle nous sommes sortis du milieu des gentils, nul ne pourrait être sauvé. Car nous avons tous derrière nous un avoir, grand ou petit, que nous avons acquis "par le Mammon de l'iniquité Lc 16,9". D'où viennent en effet les maisons où nous habitons, les vêtements que nous portons, les objets dont nous usons, bref, tout ce qui sert à notre vie quotidienne, sinon de ce que nous avons acquis par la cupidité lorsque nous étions païens, ou de ce que nous avons reçu de nos parents, proches et amis païens qui l'avaient acquis par l'injustice, pour ne rien dire de ce que nous acquérons encore maintenant, alors que nous sommes dans la foi? Car quel est le vendeur qui ne veut pas tirer parti de l'acheteur? Et quel est l'acheteur qui ne veut pas tirer parti du vendeur? Et quel est le commerçant qui ne se livre pas au commerce pour en tirer sa subsistance? Et même les fidèles qui sont dans le palais impérial, ne tirent-ils pas des biens de César ce qui est nécessaire à leur usage, et chacun d'eux ne donne-t-il pas, selon ses possibilités, à ceux qui sont dépourvus? Car les Égyptiens étaient redevables au peuple non seulement de leurs biens, mais de leur vie, du fait de la bonté ancienne du patriarche Joseph. Mais de quoi nous sont-ils redevables, les païens de qui nous recevons profits et avantages? Tout ce qu'ils produisent par leur labeur, nous, qui sommes dans la foi, nous l'utilisons sans avoir à fournir aucun labeur.

2 De plus, le peuple était réduit parles Égyptiens à la pire des servitudes, selon ce que dit l'Écriture: "Et les Égyptiens opprimaient les fils d'Israël et leur rendaient la vie odieuse par de durs travaux, argile, briques et tous les travaux des champs, tous travaux auxquels ils les assujettissaient de force Ex 1,13-14." Et ils leur bâtirent des villes fortes en peinant beaucoup, et ils accrurent leur fortune, de longues années durant, par toute espèce d'esclavage, cependant que ceux-ci, non contents d'être ingrats envers eux, voulaient les faire tous périr. Quelle injustice y eut-il donc de leur part, s'ils reçurent peu de chose pour leurs multiples labeurs et si, alors qu'ils auraient pu, sans cet esclavage, posséder de grands biens en propre et partir riches, ils partirent indigents, n'ayant reçu qu'un salaire infime en retour de leur long esclavage? C'est comme si un homme libre, après avoir été enlevé de force par un autre, l'avoir servi comme esclave de longues années durant et avoir accru sa fortune, en obtenait ensuite quelque secours: cet homme pourrait paraître entrer en possession d'une partie des biens de son maître, mais en réalité il partirait après n'avoir reçu que peu de chose en retour de ses multiples labeurs et des grandes richesses acquises grâce à lui; et si quelqu'un l'accusait alors d'avoir agi injustement, c'est bien plutôt ce dernier qui se montrerait un injuste juge à l'égard de l'homme qui aurait été réduit de force en esclavage. Or il en va de même aussi de ces gens-là: ils font un crime au peuple d'avoir reçu peu de chose pour ses multiples labeurs, mais ils ne s'accusent pas eux-mêmes des faveurs qui leur échoient du fait de leurs ancêtres païens et, sans avoir jamais servi de force les païens, ils ne laissent pas de recevoir d'eux les plus grands avantages; ils taxent ceux-là d'injustice pour avoir reçu en retour de leurs propres labeurs, comme nous l'avons déjà dit, quelques objets d'or et d'argent non monnayés, mais - nous dirons la vérité, même si elle doit paraître ridicule à certains - quand eux-mêmes, grâce au labeur d'autrui, portent dans leurs ceintures de l'or, de l'argent et du cuivre monnayés, avec l'inscription et l'effigie de César Mt 22,20-21, ils prétendent agir conformément à la justice.

3 Et si l'on faisait une comparaison entre nous et ceux-là, qui paraîtrait avoir reçu le plus justement? le peuple, des Egyptiens qui leur étaient redevables de tout? ou nous-mêmes, des Romains et autres nations qui n'ont aucune dette de ce genre à notre endroit? Au surplus, le monde est en paix grâce à eux, de sorte que nous puissions voyager sans crainte, par terre et par mer, partout où nous voulons. A des gens de cette sorte conviendra donc bien la parole du Seigneur qui dit: "Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton oeil, et alors tu verras à ôter la paille de l'oeil de ton frère Mt 7,5." En effet, si celui qui te fait ces reproches et se vante de sa gnose s'était séparé de la société des païens, s'il n'avait rien qui fût à autrui, s'il vivait complètement nu, sans chaussures ni toit, dans les montagnes, à la façon d'un de ces animaux qui se nourrissent d'herbe, peut-être serait-il pardonnable, parce qu'il ignorerait les nécessités de notre vie. Mais s'il a part à tous les biens dits d'autrui et s'il critique leur préfiguration, il fait la preuve de son injustice, en retournant contre lui-même son accusation, puisqu'il se trouvera porter sur lui ce qui est à autrui et désirer ce qui n'est pas à lui. C'est pourquoi le Seigneur a dit: "Ne jugez pas afin de n'être pas jugés, car, de la façon dont vous jugez, vous serez jugés vous-mêmes Mt 7,1-2." Non certes qu'il faille laisser le champ libre aux pécheurs et approuver leurs méfaits: mais nous ne devons pas juger les "économies" de Dieu de façon injuste, alors qu'il a préfiguré toutes choses avec justice. Car il savait que nous ferions le bien au moyen de ressources que nous posséderions pour les avoir reçues d'autrui: "Que celui, dit-il, qui a deux tuniques en donne une à qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger en fasse autant Lc 3,11"; et encore: "J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'étais nu, et vous m'avez vêtu Mt 25,35-36"; et encore: "Quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite Mt 6,3"; et toutes les autres oeuvres de bienfaisance par lesquelles nous sommes justifiés en donnant nos propres biens comme à partir de biens étrangers, - étrangers, dis-je, non en ce sens que ce monde serait étranger à Dieu, mais parce que ces choses que nous donnons, nous les possédons pour les avoir reçues d'autres hommes qui, à l'instar des Egyptiens, ignoraient Dieu; et par ces dons nous érigeons en nous-mêmes le tabernacle de Dieu, puisque Dieu habite en ceux qui font le bien, selon ce que dit le Seigneur: "Faites-vous des amis avec le Mammon de l'iniquité, pour que ceux-ci, lorsque vous serez fugitifs, vous reçoivent dans les tabernacles éternels Lc 16,9: car ce que nous avons acquis par l'injustice lorsque nous étions païens, tout cela, une fois devenus croyants, nous le mettons au service du Seigneur et nous sommes par là justifiés.

4 Il était donc nécessaire que tout cela fût préformé dans une figure et que le tabernacle de Dieu fût fait au moyen des objets en question: ceux-là les reçurent en toute justice, comme nous l'avons montré, et nous, nous fûmes annoncés par avance en eux, puisque nous devions servir Dieu au moyen de biens étrangers. Car tout l'exode du peuple hors de l'Égypte sous l'action de Dieu fut une figure et une image de l'exode de l'Église hors de la gentilité. C'est pourquoi aussi, à la fin, cette Église sortira d'ici-bas pour entrer dans son héritage, que lui donnera non pas Moïse, serviteur de Dieu, mais Jésus, le Fils de Dieu He 3,5-6. Et, si l'on examine attentivement ce que les prophètes ont dit de la fin et ce que Jean, le disciple du Seigneur, a vu dans l'Apocalypse, on constatera que la gentilité tout entière subira alors ces mêmes plaies dont jadis l'Égypte seule fut frappée.


431

Exégèse d'un presbytre: les filles et l'épouse de Lot

31 1 En nous donnant de telles explications à propos des anciens, le presbytre nous réjouissait. Il disait encore: Les fautes pour lesquelles les Écritures elles-mêmes blâment les patriarches et les prophètes, nous ne devons pas, quant à nous, les leur reprocher, ni nous faire semblables à Cham, qui railla l'indécence de son père et encourut la malédiction; nous devons plutôt rendre grâces à Dieu pour eux de ce que ces péchés leur ont été remis lors de la venue de notre Seigneur, car, disait le presbytre, eux-mêmes rendent grâces pour notre salut et s'en réjouissent. Quant aux actes que les Écritures ne blâment pas, mais se contentent de rapporter, nous ne devons pas nous en faire les dénonciateurs, car nous ne sommes pas plus zélés que Dieu ni ne pouvons être "au-dessus du Maître Mt 10,24"; nous devons plutôt en chercher la portée figurative, car aucun des actes que l'Écriture rapporte sans les réprouver n'est dépourvu de signification.

Ce fut le cas de Lot, lorsqu'il emmena de Sodome ses filles, qui conçurent de leur père, et lorsqu'il abandonna dans la contrée sa femme, devenue statue de sel Gn 19,26 jusqu'à ce jour. Car, pour n'avoir point agi par sa volonté ni par désir charnel et pour n'avoir eu ni la perception ni la pensée de cet acte, Lot accomplit une figure. Comme le dit l'Écriture: "L'aînée entra et coucha avec son père cette nuit-là, et Lot ne s'aperçut ni de son coucher ni de son lever Gn 19,33." Et pour la cadette de même: "Il ne s'aperçut, est-il dit, ni de son coucher ni de son lever Gn 19,35." Et ainsi, par là même que cet homme était dans l'ignorance et n'était pas l'esclave du plaisir, une "économie" s'accomplissait, par le moyen de laquelle étaient signifiées les deux filles, c'est-à-dire les deux assemblées qui conçurent d'un seul et même Père sans plaisir charnel. Car il n'y avait personne d'autre qui pût leur donner semence vitale et fructification d'enfants, selon qu'il est écrit: "Et l'aînée dit à la cadette: Notre père est vieux, et il n'y a personne sur la terre pour venir vers nous, selon l'usage de toute la terre. Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui, et suscitons de notre père une postérité Gn 19,31-32."

2 Elles parlaient ainsi parce qu'elles s'imaginaient naïvement que tous les hommes avaient péri à l'instar des habitants de Sodome et que la colère de Dieu s'était déchaînée sur toute la terre: aussi étaient-elles excusables, puisqu'elles croyaient être restées seules avec leur père pour la conservation du genre humain, et c'est pour ce motif qu'elles abusèrent de leur père. D'autre part, leurs paroles signifiaient que personne d'autre ne pouvait rendre mères l'aînée et la cadette des deux assemblées, hormis notre Père. Or le Père du genre humain, c'est le Verbe de Dieu, comme l'a montré Moïse en disant: "Celui-ci n'est-il pas ton Père qui t'a acquis, t'a fait et t'a créé Dt 32,6 ?" Quand donc celui-ci a-t-il répandu dans le genre humain la semence vitale, c'est-à-dire l'Esprit de la rémission des péchés par lequel nous sommes vivifiés? N'est-ce pas lorsqu'il se régalait avec les hommes et buvait du vin sur la terre: "Le Fils de l'homme, dit-il, est venu mangeant et buvant Mt 11,19"? Et n'est-ce pas aussi lorsque, s'étant étendu, il s'endormit et prit son sommeil, comme il le dit lui-même en David: "Je me suis endormi et j'ai pris mon sommeil Ps 3,6"? Et la preuve qu'il faisait cela dans une communion de vie avec nous, c'est qu'il dit encore: "Et mon sommeil m'a été doux Jr 31,26." Tout cela était signifié par Lot: car la semence du Père de toutes choses, c'est-à-dire l'Esprit de Dieu, par l'entremise de qui toutes choses ont été faites, s'est mélangée et unie à la chair, c'est-à-dire à l'ouvrage modelé par Dieu, et c'est par ce mélange et cette union que les deux assemblées ont produit comme fruit, du fait de leur Père, des fils vivants pour le Dieu vivant.

3 Entre-temps, l'épouse était abandonnée près de Sodome, non plus chair corruptible, mais statue de sel Gn 19,26 demeurant pour toujours et montrant en elle-même par les phénomènes naturels ce qui est habituel à l'homme, parce que l'Eglise aussi, qui est "le sel de la terre Mt 5,13", a été abandonnée dans la région de ce monde pour y subir les vicissitudes humaines; et, tandis que lui sont continuellement arrachés des membres, elle demeure la statue de sel inentamée, c'est-à-dire le soutien de la foi, affermissant ses fils et les envoyant au-devant d'elle vers leur Père.


432

Conclusion: unité des Testaments

32 1 C'est de cette manière que le presbytre, disciple des apôtres, discourait sur les deux Testaments, montrant qu'ils proviennent d'un seul et même Dieu. Car il n'y a pas d'autre Dieu en dehors de Celui qui nous a faits et modelés Ps 119,73, et dépourvus de consistance sont les propos de ceux qui disent que notre monde a été fait par l'intermédiaire d'Anges, ou par l'intermédiaire de quelque autre Puissance, ou par un autre Dieu. Si, en effet, quelqu'un s'écarte de l'Auteur de toutes choses et admet que notre monde ait été fait par un autre ou par l'intermédiaire d'un autre, il est fatal qu'un tel homme tombe dans une foule d'absurdités et de contradictions dont il ne pourra se justifier, ni au regard de la vraisemblance, ni au regard de la vérité. Et voilà pourquoi ceux qui introduisent d'autres enseignements nous cachent la conception qu'ils ont eux-mêmes de Dieu, sachant la faiblesse et la futilité de leur doctrine et redoutant une défaite qui mettrait en péril leur existence. En revanche, si quelqu'un croit au seul Dieu qui a fait toutes choses par son Verbe - comme le dit Moïse: "Et Dieu dit: Que la lumière soit ! et la lumière fut Gn 1,3", et l'Évangile: "Toutes choses ont été faites par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait Jn 1,3", et l'apôtre Paul pareillement: "Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et à travers tous et en nous tous Ep 4,5-6" -, tout d'abord celui-là sera "attaché à la tête, par laquelle le corps tout entier est coordonné et uni et, grâce à toutes les jointures de distribution, selon la mesure de chaque partie, opère la croissance du corps pour, son édification dans la charité Ep 4,16 Col 2,19"; ensuite toute parole des Ecritures aura pour lui une signification pleinement assurée, pourvu qu'il lise ces Écritures d'une manière attentive auprès des presbytres qui sont dans l'Église, puisque c'est auprès d'eux que se trouve la doctrine des apôtres, comme nous l'avons montré.

2 Or les apôtres ont tous enseigné qu'il y eut deux Testaments chez deux peuples, mais qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu à les avoir dispensés l'un et l'autre pour le profit des hommes qui, à mesure que ces Testaments seraient donnés, devaient croire en Dieu: c'est ce que nous avons montré, par l'enseignement même des apôtres, dans notre troisième livre. Nous avons montré aussi que ce n'est pas inutilement, sans raison, au hasard, que fut donné le premier Testament: d'une part, il courba sous une servitude à l'égard de Dieu ceux à qui il était donné, et cela en vue de leur propre avantage, car Dieu n'avait nul besoin du service des hommes; d'autre part, il montra une figure des choses célestes, parce que l'homme ne pouvait encore voir de ses yeux les choses de Dieu, il offrit une image anticipée des réalités de l'Eglise, pour que fût affermie notre foi, et il renferma une prophétie de l'avenir, afin que l'homme apprît que Dieu sait par avance toutes choses.





IV. UNE LECTURE ECCLÉSIALE DES ECRITURES : L'ANCIEN TESTAMENT, PROPHÉTIE MULTIPLE ET UNE




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Le disciple spirituel juge tous les hommes

33 1 Un tel disciple, vraiment "spirituel" - pour avoir reçu l'Esprit de Dieu qui fut depuis le commencement avec les hommes dans toutes les "économies" de Dieu, prédisant l'avenir, montrant le présent et racontant le passé -, "juge tous les hommes et n'est lui-même jugé par personne 1Co 2,15".

Il juge les gentils: ils servent la créature au lieu du Créateur et, en suivant leur intelligence dépravée Rm 1,28, ils dépensent en pure perte toute leur activité.

Il juge aussi les juifs: ils n'ont pas reçu le Verbe de liberté, ni voulu être affranchis alors qu'ils avaient au milieu d'eux le Libérateur Jn 5,36; à contretemps et en dehors de la Loi, ils ont affecté de rendre à Dieu un culte dont celui-ci n'a nul besoin; ils n'ont pas reconnu la venue du Christ que celui-ci effectua pour le salut des hommes; ils n'ont pas voulu comprendre que tous les prophètes avaient annoncé cieux venues de celui-ci: - la première, lors de laquelle il fut un homme couvert de plaies et sachant supporter l'infirmité Is 53,3, assis sur le petit d'une ânesse Za 9,9, rejeté par les bâtisseurs Ps 118,22, mené comme un agneau à l'égorgement Is 53,7, par l'extension de ses mains détruisant Amalec Ex 14,11 et rassemblant des extrémités de la terre dans le bercail du Père les enfants dispersés Is 11,12 Jn 11,52, se souvenant de ses morts qui s'étaient endormis dans les temps antérieurs et descendant vers eux pour les libérer et les sauvera - et la deuxième, lors de laquelle il viendra sur les nuées Da 7,13, amenant le jour qui est brûlant comme une fournaise Ml 4,1, frappant la terre de la parole de sa bouche et, du souffle de ses lèvres, tuant les impies Is 11,4, ayant en mains le van, purifiant son aire, rassemblant le froment dans le grenier et brûlant la paille dans un feu inextinguible Mt 3,12 Lc 3,11.

Note:
a Psaume de Jérémie


2 Il juge aussi la doctrine de Marcion. Comment peut-il y avoir deux Dieux séparés l'un de l'autre par une distance infinie? Ou comment sera-t-il bon, celui qui, alors qu'ils relèvent d'un autre, détourne les hommes de leur Créateur et les convie dans son propre royaume? Pourquoi sa bonté fait-elle défaut, en ne les sauvant pas tous? Pourquoi, tout en paraissant bon envers les hommes, est-il souverainement injuste envers leur Créateur, qu'il dépouille de son bien? Comment, si le Seigneur était issu d'un autre Père, pouvait-il sans injustice déclarer que le pain appartenant à notre création était son corps et affirmer que le mélange de la coupe était son sang Mt 26,26-28? Pourquoi se déclarait-il Fils de l'homme, s'il n'avait pas subi la naissance humaine? Comment pouvait-il nous remettre des péchés qui faisaient de nous les débiteurs de notre Créateur et Dieu? Et, s'il n'était pas chair, mais n'avait que l'apparence d'un homme, comment put-il être crucifié, comment du sang et de l'eau purent-ils sortir de son côté transpercé Jn 19,34? Quel était le corps qu'embaumèrent les embaumeurs, et quel était celui qui ressuscita d'entre les morts ?

3 Il juge aussi tous les disciples de Valentin. Ils confessent des lèvres un seul Dieu Père de qui viennent toutes choses 1Co 8,6, mais ils disent que Celui qui a fait toutes choses est le fruit d'une déchéance. De même ils confessent des lèvres un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils de Dieu, mais dans leur pensée ils octroient une émission distincte au Monogène, une autre au Verbe, une autre au Christ et une autre encore au Sauveur: de la sorte, selon eux, tous sont dits ne faire qu'un, mais chacun d'eux n'en est pas moins conçu à part et n'en possède pas moins son émission distincte suivant son rang de syzygie. Ainsi donc les lèvres des gens de cette sorte accèdent seules à l'unité, quant à leur pensée et à leur esprit, qui, en scrutant les profondeurs 1Co 2,10, s'écartent de cette unité, ils tomberont sous le multiple jugement de Dieu. Car ils seront interrogés sur leurs inventions mensongères par le Christ, qu'ils disent être postérieur au Plérôme des trente Éons et dont ils affirment - comme s'ils avaient fait eux-mêmes l'accouchement ! - que l'émission eut lieu après une déchéance et à cause de la passion survenue en Sagesse. Ils auront pour accusateur leur propre prophète, Homère, à l'école de qui ils ont imaginé tout cela et qui dit: "Il m'est odieux à l'égal des portes de l'Hadès, celui qui cache une chose en son coeur et en profère une autrea."

Note:
a Homère, Iliade 9, 312-373


Il juge aussi les bavardages des "Gnostiques" aux opinions fausses, en démontrant qu'ils sont les disciples de Simon le Magicien.

4 Il juge aussi les Ébionites. Comment les hommes peuvent-ils être sauvés, si Dieu n'était pas celui qui opéra leur salut sur la terre? Ou comment l'homme ira-t-il à Dieu, si Dieu n'est pas venu à l'homme? Comment les hommes déposeront-ils la naissance de mort, s'ils ne sont pas régénérés, par le moyen de la foi, dans la naissance nouvelle qui fut donnée contre toute attente par Dieu en signe de salut, celle qui eut lieu du sein de la Vierge Is 7,14? Ou comment recevront-ils de Dieu la filiation adoptive, s'ils demeurent en cette naissance qui est selon l'homme en ce monde? Comment avait-il plus que Salomon ou plus que Jonas Mt 12,41-42 et comment était-il le Seigneur de David Mt 22,43, s'il était de la même substance qu'eux? Comment eût-il abattu celui qui était fort contre l'homme Mt 12,29 Lc 11,21-22, qui avait vaincu l'homme et le tenait en son pouvoir, comment eût-il triomphé du vainqueur et libéré le vaincu, s'il n'avait été supérieur à l'homme vaincu? Or, supérieur à l'homme, qui fut fait à la ressemblance de Dieu, et plus excellent que lui, quel autre pouvait l'être hormis le Fils de Dieu, à la ressemblance de qui l'homme fut fait? Voilà pourquoi, à la fin, le Fils de Dieu lui-même a montré la ressemblance, en se faisant homme et en assumant en lui-même l'antique ouvrage modelé, comme nous l'avons montré dans le livre précédent.

5 Il juge aussi ceux qui introduisent la pure apparence. Comment peuvent-ils croire argumenter véritablement, si leur Maître n'a été qu'une pure apparence? Comment peuvent-ils tenir de lui quelque chose de ferme, s'il a été pure apparence et non réalité? Comment peuvent-ils avoir véritablement part au salut, si Celui en qui ils se targuent de croire ne s'est montré qu'en apparence? Tout est donc apparence chez eux, et non réalité: on se demandera dès lors si eux aussi, n'étant pas des hommes, mais des animaux sans raison, n'offriraient pas à la multitude de pures apparences d'hommes.

6 Il juge aussi les faux prophètes, qui n'ont pas reçu de Dieu le charisme prophétique et n'ont pas la crainte de Dieu, mais qui, par vaine gloire, ou par appât du lucre, ou sous quelque autre influence du mauvais esprit, feignent de prophétiser et mentent à la face de Dieu.

7 Il juge aussi les fauteurs de schismes, qui sont vides de l'amour de Dieu et visent à leur propre avantage, non à l'unité de l'Église; qui, pour les motifs les plus futiles, déchirent et divisent le grand et glorieux corps du Christ et, autant qu'il est en leur pouvoir, lui donnent la mort; qui parlent de paix et font la guerre et, en toute vérité, "filtrent le moucheron et avalent le chameau Mt 23,24": car il ne peut venir d'eux aucune réforme dont l'ampleur égale celle des dommages causés par le schisme.

Il juge enfin tous ceux qui sont en dehors de la vérité, c'est-à-dire qui sont en dehors de l'Église.


Le disciple spirituel n'est jugé par personne

"Quant à lui, il n'est jugé par personne 1Co 2,15", car tout, chez lui, possède une inébranlable fermeté :

- à l'égard du seul Dieu tout-puissant, "de qui viennent toutes choses 1Co 8,6", c'est une foi totale,

- à l'égard du Fils de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur, "par qui viennent toutes choses 1Co 8,6", et de ses "économies", par lesquelles s'est fait homme le Fils de Dieu, c'est une conviction ferme,

- à l'égard de l'Esprit de Dieu, qui procure la connaissance de la vérité 1Tm 2,4, qui met les "économies" du Père et du Fils sous les yeux des hommes, selon chaque génération, comme le veut le Père, 8 c'est une connaissance vraie Jn 14,17, comportant:
l'enseignement des apôtres ;
l'organisme originel de l'Eglise répandu à travers le monde entier ;
la marque distinctive du Corps du Christ, consistant dans la succession des évêques auxquels les apôtres remirent chaque Église locale ;
parvenue jusqu'à nous, une conservation immuable des Ecritures, impliquant trois choses: un compte intégral, sans addition ni soustraction, une lecture exempte de fraude et, en accord avec ces Écritures, une interprétation légitime, appropriée, exempte de danger et de blasphème ;
enfin, le don suréminent de l'amour, plus précieux que la connaissance, plus glorieux que la prophétie, supérieur à tous les autres charismes 1Co 12,31.

9 Voilà pourquoi l'Église, en tout lieu, à cause de son amour pour Dieu, envoie sans cesse au-devant d'elle une multitude de martyrs vers le Père. Quant à tous les autres, non seulement ils sont incapables de montrer cette chose chez eux, mais ils nient qu'un tel témoignage soit même nécessaire: le vrai témoignage, à les en croire, c'est leur doctrine. Aussi bien, durant tout le temps depuis lequel le Seigneur est apparu sur la terre, c'est à peine si l'un ou l'autre d'entre eux, comme s'il avait lui aussi obtenu miséricorde, a porté l'opprobre du Nom 1P 4,14 avec nos martyrs et a été conduit avec eux au supplice, comme une sorte de surcroît dont on les eût gratifiés. Car l'opprobre de ceux qui souffrent persécution pour la justice Mt 5,10, qui endurent toutes sortes de tourments et qui sont mis à mort pour l'amour de Dieu et la confession de son Fils, seule l'Église le supporte purement: sans cesse mutilée, sur-le-champ elle accroît ses membres et retrouve son intégrité, de la même manière que son image, la femme de Lot devenue statue de sel Gn 19,26. Il en va d'elle comme des anciens prophètes, qui souffrirent persécution, selon ce que dit le Seigneur: "C'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui furent avant vous Mt 5,12": parce que - encore que d'une manière nouvelle - le même Esprit repose sur elle 1P 4,14, elle souffre persécution de la part de ceux qui ne reçoivent pas le Verbe de Dieu. 10 Car les prophètes, en plus de tout le reste de leur prophétie, avaient prophétisé aussi cela, à savoir que ceux sur qui reposerait l'Esprit de Dieu, qui obéiraient au Verbe du Père et le serviraient de tout leur pouvoir, ceux-là seraient persécutés, lapidés et mis à mort: car les prophètes préfiguraient en eux-mêmes tout cela, à cause de leur amour pour Dieu et à cause de son Verbe.


Comment le disciple spirituel interprète les prophéties des Écritures

Car, parce qu'ils étaient eux aussi les membres du Christ, chacun d'entre eux manifestait la prophétie selon qu'il était un membre déterminé, cependant que tous, malgré leur nombre, n'en préfiguraient et n'en annonçaient pas moins un seul personnage. De même que par nos membres s'exprime l'activité de tout notre corps, mais que l'attitude de tout l'homme ne s'exprime pas par un seul membre mais par tous, ainsi en était-il des prophètes: tous préfiguraient un seul personnage, mais chacun d'eux accomplissait l'"économie" selon qu'il était un membre déterminé et prophétisait l'action du Christ qui se rapportait à ce membre.

11 Les uns, en effet, l'ont vu dans la gloire Is 6,1 Jn 12,41: c'était sa vie glorieuse auprès du Père, à la droite de celui-ci Ps 110,1, qu'ils contemplaient.

D'autres l'ont vu venir sur les nuées en qualité de Fils de l'homme Da 7,13 et ont dit de lui: "Ils verront celui qu'ils ont transpercé Za 12,10 Jn 19,37": ils signifiaient par là cette venue dont lui-même dit: "Est-ce que le Fils de l'homme, lors de sa venue, trouvera la foi sur la terre Lc 18,8 ?" et dont Paul dit: "C'est justice pour Dieu que de rendre l'affliction à ceux qui vous affligent et de vous donner, à vous qui êtes affligés, le repos avec nous, quand le Seigneur Jésus apparaîtra du ciel avec les messagers de sa puissance et dans une flamme de feu ."

D'autres lui ont décerné le titre de juge Ps 50,6 et ont dit que le jour du Seigneur serait brûlant comme une fournaise Ml 4,1, "car il rassemble le froment dans son grenier et il brûlera la paille au feu qui ne s'éteint pas Mt 3,12 Lc 3,17": par là ils menaçaient les incrédules, dont le Seigneur lui-même dit: "Allez-vous-en loin de moi, maudits, au feu éternel que mon Père a préparé pour le diable et pour ses anges Mt 25,41", et dont l'Apôtre dit pareillement: "Ils subiront la peine éternelle de la perdition, par le fait de la face du Seigneur et de l'éclat de sa puissance, quand il viendra pour être glorifié dans ses saints et reconnu admirable en ceux qui auront cru 2Th 1,9-10."

D'autres encore ont dit: "Tu l'emportes en splendeur et en beauté sur les fils des hommes Ps 45,3", et encore: "O Dieu, ton Dieu t'a oint d'une huile d'allégresse plus que ceux qui ont part à toi Ps 45,8", et encore: "Ceins ton épée sur ta cuisse, ô héros, dans ta splendeur et ta beauté; tends ton arc, avance avec succès et règne en faveur de la vérité, de la douceur et de la justice Ps 44,4-5", et ainsi de suite: c'est sa splendeur, sa beauté et son allégresse dans son royaume, plus éclatantes et plus excellentes que celles de tous ses sujets, qu'ils indiquaient par là, afin que leurs auditeurs eussent le désir de s'y trouver en faisant ce qui plaît à Dieu.

D'autres encore ont dit: "Il est homme, et pourtant qui le connaîtra Jr 17,9 ?", et encore: "J'allai vers la prophétesse et elle mit au monde un fils; son nom est: Conseiller merveilleux, Dieu fort Is 8,3 Is 9,5", et ils ont prêché l'Emmanuel né de la Vierge Is 7,14: par là ils faisaient connaître l'union du Verbe de Dieu avec l'ouvrage par lui modelé, à savoir que le Verbe se ferait chair, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme; que lui, le Pur, ouvrirait d'une manière pure le sein pur qui a régénéré les hommes en Dieu et qu'il a lui-même fait pur; que, s'étant fait cela même que nous sommes, il n'en serait pas moins le "Dieu fort Is 9,5", Celui qui possède une génération inexprimable Is 53,8.

D'autres ont dit: "De Sion le Seigneur a parlé, et de Jérusalem il a fait entendre sa voix Am 1,2", et encore: "Dieu est connu en Judée Ps 75,2": ils signifiaient par là sa venue de la Judée.

D'autres encore ont dit que Dieu viendrait du midi et de la montagne de Pharan Ha 3,3: ils disaient par là sa venue de Bethléem, comme nous l'avons montré dans le livre précédent; car c'est de là qu'est venu le chef qui paît le peuple du Père Mt 2,6.

D'autres ont dit: "Grâce à sa venue le boiteux bondira comme le cerf, la langue des bègues sera nette, les yeux des aveugles s'ouvriront et les oreilles des sourds entendront Is 35,5-6", et encore: "Les mains défaillantes et les genoux chancelants s'affermiront Is 35,3", et encore: "Les morts gisant dans les tombeaux ressusciteront Is 26,19", et encore: "Il a pris sur lui nos infirmités et porté nos maladies Is 53,4 Mt 8,17": ils annonçaient par là les guérisons opérées par lui.

12 Certains ont dit qu'il serait un homme méprisé, sans gloire et sachant supporter l'infirmité Is 53,3; qu'il viendrait à Jérusalem assis sur le petit d'une ânesse Za 9,9; qu'il présenterait son dos aux fouets et ses joues aux soufflets Is 50,6; que, tel un agneau, il serait conduit à l'égorgement Is 53,7; qu'il serait abreuvé de vinaigre et de fiel Ps 69,22, abandonné de ses amis et de ses proches Ps 38,12; qu'il étendrait ses mains durant tout le jour Is 65,2; qu'il serait un objet de risée et d'insultes pour les spectateurs, que ses vêtements seraient partagés et sa tunique tirée au sort, et qu'il descendrait dans la poussière de la mort Ps 22,8 Ps 22,16 Ps 22,19, et ainsi de suite: ils prophétisaient par là sa venue comme homme, et comment il fit son entrée à Jérusalem, où il souffrit sa Passion et fut crucifié et endura tous les tourments susdits.

D'autres ont dit: "Le Seigneur, le Saint d'Israël, s'est souvenu de ses morts qui dormaient dans la terre du tombeau, et il est descendu vers eux pour les en tirer, pour les sauvera": ils donnaient par là la raison pour laquelle il souffrit tout cela.

Note:
a Psaume de Jérémie


D'autres ont dit: "En ce jour-là, dit le Seigneur, le soleil se couchera en plein midi et il y aura des ténèbres sur la terre en un jour serein, et je changerai vos fêtes en deuil et tous vos cantiques en lamentations Am 8,9-10": ils annonçaient Ouvertement par là ce coucher de soleil survenu lors de sa crucifixion, à partir de la sixième heure Mt 27,45, et qu'après cet événement les fêtes et les cantiques prescrits par la Loi se changeraient en deuil et lamentation, lorsqu'eux-mêmes seraient livrés aux gentils. Plus clairement encore Jérémie annonça ce même événement, en disant de Jérusalem: "Elle a été réduite à néant, celle qui enfantait; le dégoût a rempli son âme; le soleil s'est couché pour elle, alors qu'on était encore au milieu du jour; elle a été couverte de honte et d'opprobre; ceux qui resteront d'elle, je les livrerai au glaive à la face de ses ennemis Jr 15,9."

13 D'autres encore ont dit qu'il s'était endormi et plongé dans le repos, et qu'il s'était réveillé parce que le Seigneur l'avait soutenu Ps 3,6, et ils ont invité les princes des cieux à ouvrir les portes éternelles afin qu'entrât le Roi de gloire Ps 24,7: ils proclamaient par là sa résurrection d'entre les morts accomplie par le Père et son enlèvement dans les cieux.

D'autres ont dit: "Du plus haut des cieux il prend son départ, et le terme de sa course est au plus haut des cieux, et il n'est personne qui puisse se dérober à son ardeur Ps 19,7": ils indiquaient par là qu'il serait enlevé là même d'où il était descendu, et qu'il n'est personne qui puisse échapper à son juste jugement.

D'autres ont dit: "Le Seigneur a régné: que les peuples s'irritent ! Il est assis sur les Chérubins: que la terre s'agite Ps 99,1 !": ils prophétisaient par là, d'une part, la colère de tous les peuples se déchaînant contre ses fidèles après son enlèvement, et l'agitation de toute la terre contre l'Église; d'autre part, l'ébranlement de toute la terre qui aura lieu lorsqu'il viendra du ciel avec les messagers de sa puissance 2Th 1,7, selon ce qu'il dit lui-même: "I1 y aura une grande commotion de la terre, telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement Mt 24,21."

D'autres encore ont dit: "Quel est celui qui est jugé? Qu'il se tienne en face ! Et quel est celui qui est justifié? Qu'il s'approche de l'Enfant du Seigneur Is 50,8 Is 50,10 !", et encore: "Malheur à vous, parce que tous vous vieillirez comme un vêtement, et la teigne vous dévorera Is 50,9", et encore: "Toute chair sera abaissée, et le Seigneur seul sera élevé dans les hauteurs Is 2,17": ils signifiaient par là qu'après sa Passion et son enlèvement Dieu mettrait tous ses adversaires sous ses pieds Ps 8,7 He 2,8, qu'il serait élevé au-dessus de tous, et qu'il n'y aurait personne à pouvoir être justifié ou lui être comparé.

14 D'autres ont dit que Dieu établirait en faveur des hommes une alliance nouvelle, différente de celle qu'il avait établie en faveur des pères au mont Horeb Jr 31,31-32, et qu'il donnerait aux hommes un coeur nouveau et un Esprit nouveau Ez 36,26; ils ont dit encore: "Ne vous souvenez plus des choses antérieures et ne pensez plus aux choses anciennes; voici que j'en fais de nouvelles, qui vont surgir maintenant et que vous connaîtrez: je ferai un chemin dans le désert et, dans la terre aride, des fleuves pour abreuver ma race élue, mon peuple que j'ai acquis afin qu'il publie mes hauts faits Is 43,18-21": ils annonçaient clairement par là la nouvelle Alliance de la liberté et le vin nouveau que l'on met dans les nouvelles outres Mt 9,17, c'est-à-dire la foi au Christ, car ce sont bien là le chemin de la justice Rm 3,22 surgi dans le désert et les fictives de l'Esprit Saint Jn 7,37-39 jaillis dans la terre aride pour Abreuver la race élue de Dieu, cette race qu'il s'est acquise pour publier ses hauts faits, mais non pour blasphémer le Dieu qui a fait toutes choses.

15 Et ainsi de toutes les autres paroles qui, comme nous l'avons si abondamment montré, furent dites par les prophètes: ces paroles, un homme vraiment spirituel les expliquera en montrant quel trait particulier de l'"économie" du Seigneur vise chacune d'entre elles et en fusant voir également le corps entier de l'oeuvre accomplie par le Fils de Dieu; en tout temps, il reconnaîtra le même Dieu en tout temps aussi, il reconnaîtra le même Verbe de Dieu même si, présentement, il s'est manifesté à nous; en tout temps encore, il reconnaîtra le même Esprit de Dieu, même si, dans les derniers temps, il a été répandu sur nous d'une manière nouvelle; enfin, depuis l'origine du monde jusqu'à la fin, il reconnaîtra le même genre humain, au sein duquel ceux qui croient en Dieu et suivent son Verbe obtiennent de lui le salut, tandis que ceux qui s'éloignent de Dieu, méprisent ses préceptes, déshonorent leur Créateur par leurs oeuvres et blasphèment leur Nourricier par leurs pensées, accumulent sur eux-mêmes le plus juste des jugements. Cet homme donc "Juge tous les hommes et n'est lui-même jugé par personne 1Co 2,15": il ne blasphème pas son Père, il ne méprise pas ses "économies", il n'accuse pas les pères, et il n'outrage pas les prophètes en disant qu'ils relevaient d'un autre Dieu, ou bien encore que les prophéties émanaient de substances diverses.




V. CONCLUSION : MÉCONNAISSANCE DES PROPHÉTIES PAR LES HÉRÉTIQUES




Irénée adv. Hérésies Liv.4 ch.28