Irénée adv. Hérésies Liv.5 ch.13

513 13 1 Qu'ils nous disent, en effet, ceux qui prétendent le contraire, c'est-à-dire qui nient leur salut: la fille défunte du grand prêtre Mt 9,18 Mc 5,22 Lc 8,41, et le fils de la veuve qu'on emportait, mort, près de la porte de la ville Lc 7,12, et Lazare qui se trouvait dans le tombeau depuis quatre jours Jn 11,39, en quels corps ressuscitèrent-ils? De toute évidence, en ceux en lesquels ils étaient morts. Car, si ce ne fut pas en ceux-là, ce ne furent pas non plus ces morts mêmes qui ressuscitèrent. Mais, en fait, "le Seigneur, dit l'Écriture, prit la main du mort et dit à celui-ci: Jeune homme, je te le commande, lève-toi ! Et le mort se dressa sur son séant. Le Seigneur alors ordonna de lui donner à manger et le rendit à sa mère Mt 9,25 Lc 7,14-15 Lc 8,55". De même "il appela Lazare d'une voix forte, en disant: Lazare, viens dehors ! Et le mort sortit, dit l'Écriture, les pieds et les mains liés de bandelettes Jn 12,17 Jn 11,43-44". C'était le symbole de l'homme enlacé dans les péchés. C'est pourquoi le Seigneur dit: "Déliez-le et laissez-le aller Jn 11,44."

De même donc que ceux qui furent guéris le furent en leurs membres qui avaient été malades et que les morts ressuscitèrent dans leurs corps mêmes, membres et corps recevant la guérison et la vie que donnait le Seigneur - celui-ci préfigurait ainsi les choses éternelles par les temporelles et montrait qu'il était Celui qui a le pouvoir de donner à l'ouvrage par lui modelé la guérison et la vie, afin que l'on crût également à sa parole relative à la résurrection -, de même aussi à la fin, "au son de la trompette dernière 1Co 15,52 ", à la voix du Seigneur, les morts ressusciteront, selon ce qu'il dit lui-même: "L'heure vient où tous les morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l'homme, et ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement Jn 5,25 Jn 5,28-29."

2 Vains et vraiment infortunés sont donc ceux qui ne veulent pas voir des choses aussi évidentes et aussi claires, mais fuient la lumière de la vérité, s'étant aveuglés eux-mêmes à l'instar du malheureux Oedipe. Il arrive que des lutteurs novices, en se mesurant avec d'autres, saisissent de toutes leurs forces quelque partie du corps de leur adversaire et qu'ils soient jetés à terre par ce membre qu'ils étreignent, et, tandis qu'ils tombent, ils s'imaginent remporter la victoire, parce qu'ils s'agrippent farouchement à ce membre qu'ils ont saisi d'emblée, alors qu'en réalité leur chute les couvre de ridicule. Ainsi en va-t-il des hérétiques à propos de la phrase: "La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu 1Co 15,50." En prenant à Paul ces deux vocables, ils n'ont ni perçu la pensée de l'Apôtre ni cherché à comprendre la portée de ses paroles; cramponnés à de simples mots sans plus, ils meurent contre ceux-ci, ruinant, autant qu'il est en leur pouvoir, toute l' "économie" de Dieu.


"Il faut que ce qui est corruptible revête l'incorruptibilité"

3 Car, s'ils prétendent que cette parole a été dite de la chair à proprement parler, et non des oeuvres de la chair, ainsi que nous l'avons montré, ils mettent l'Apôtre en contradiction avec lui-même, puisqu'aussitôt après, dans la même épître, il dit en désignant la chair: "Il faut en effet que cet élément corruptible revête l'incorruptibilité et que cet élément mortel revête l'immortalité. Lorsque cet élément mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole de l'Écriture: La mort a été engloutie dans la victoire. O mort, où est ton aiguillon? O mort, où est ta victoire 1Co 15,53-55 ?" Ces paroles seront dites à juste titre lorsque cette chair mortelle et corruptible, en butte à la mort, écrasée sous la domination de la mort, montera vers la vie et revêtira l'incorruptibilité et l'immortalité: car c'est alors que sera vraiment vaincue la mort, lorsque cette chair, qui était sa proie, échappera à son pouvoir. Il dit encore aux Philippiens: "Pour nous, notre cité est dans les cieux, d'où nous attendons aussi comme Sauveur le Seigneur Jésus, qui transfigurera notre corps d'abjection et le rendra conforme à son corps de gloire par l'action de sa puissance Ph 3,20-21." Quel est donc ce corps d'abjection que le Seigneur transfigurera et rendra conforme à son corps de gloire? De toute évidence, c'est ce corps qui s'identifie à la chair, à cette chair qui manifeste son abjection en tombant dans la terre. Mais la transfiguration par laquelle, de mortelle et corruptible, elle devient immortelle et incorruptible, ne vient pas de sa substance à elle; cette transfiguration vient de l'action du Seigneur, qui a le pouvoir de procurer l'immortalité à ce qui est mortel et l'incorruptibilité à ce qui est corruptible. C'est pourquoi l'Apôtre dit dans sa seconde épître aux Corinthiens: " ... afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. Or Celui qui nous dispose en vue de cela, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit 2Co 5,4-5." C'est évidemment de la chair qu'il parle, car ni l'âme ni l'Esprit ne sont choses mortelles. Ce qui est mortel sera englouti par la vie, lorsque la chair ne sera plus morte, mais vivante, et qu'elle demeurera incorruptible, chantant un hymne au Dieu qui nous aura disposés en vue de cela. Afin donc que nous soyons disposés en vue de cela, il dit à juste titre aux Corinthiens: "Glorifiez Dieu dans votre corps 1Co 6,20." Car Dieu procure l'incorruptibilité.

4 Ce qui prouve que l'Apôtre ne parle pas d'un autre corps, mais du corps de chair, c'est qu'il dit aux Corinthiens avec une précision excluant tout doute et toute ambiguïté: ".., portant sans cesse avec nous en notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus-Christ soit, elle aussi, manifestée dans notre corps: car si nous, les vivants, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin due la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle 2Co 4,10-11..." Et que l'Esprit s'enlace à la chair, il le dit dans la même épître: "Vous êtes une lettre du Christ rédigée par nos soins, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos coeurs 2Co 3,3." Si donc, dès à présent, nos coeurs de chair sont capables de recevoir l'Esprit, quoi d'étonnant si, lors de la résurrection, ils contiennent la vie que donnera cet Esprit? A propos de cette résurrection, l'Apôtre dit dans son épître aux Philippiens: ".., lui devenant conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à la résurrection d'entre les morts Ph 3,10-11." Ainsi donc, en quelle autre chair mortelle pourrait-on concevoir que soit manifestée la vie, sinon dans cette substance qui est également mise à mort à cause de la confession de Dieu, ainsi qu'il le dit lui-même: "Si c'est avec des vues humaines que j'ai combattu contre les bêtes à Ephèse, quel profit m'en revient-il, si les morts ne ressuscitent pas? Car, si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité, et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, vaine aussi votre foi. Et il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l'égard de Dieu, puisque nous avons témoigné qu'il a ressuscité le Christ, alors qu'il ne l'a pas ressuscité. Car, si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité; et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine, car vous êtes encore dans vos péchés; par conséquent aussi ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si c'est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes plus dignes de pitié que tous les autres hommes. Mais en fait, le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis. Car, puisque c'est par un homme qu'est venue la mort, c'est par un homme aussi que vient la résurrection des morts 1Co 15,32 1Co 15,13-21."

5 Ainsi donc, comme nous l'avons déjà dit, ou bien les hérétiques prétendront que, dans tous ces textes, l'Apôtre contredit sa propre assertion selon laquelle "la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu 1Co 15,50", - ou bien, une fois de plus, ils se verront contraints de donner, de tous ces textes, des interprétations vicieuses et forcées, afin de pouvoir en pervertir et en altérer le sens. Car que pourront-ils dire de sensé, s'ils tentent d'interpréter autrement cette parole: "Il faut en effet que cet élément corruptible revête l'incorruptibilité et que cet élément mortel revête l'immortalité 1Co 15,53", et cette autre: "... afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle 2Co 4,11", et toutes les autres paroles par lesquelles l'Apôtre proclame ouvertement la résurrection et l'incorruptibilité de la chair? Ils vont donc être contraints d'interpréter de travers toute cette multitude de textes, pour n'avoir pas voulu entendre correctement une seule phrase.


514

"Vous avez été réconciliés par son corps de chair"

14 1 Ce qui prouve bien que ce n'est pas à la substance même de la chair et du sang que Paul s'en prenait, quand il disait qu'ils ne peuvent hériter du royaume de Dieu 1Co 15,50, c'est le fait que l'Apôtre s'est servi constamment, à propos de notre Seigneur Jésus-Christ, des termes "chair" et " sang". Il entendait par là, d'une part, mettre en lumière l'humanité de celui-ci - car le Seigneur lui-même se disait Fils de l'homme -, d'autre part, affirmer énergiquement le salut de notre chair - car, si la chair ne devait pas être sauvée, le Verbe de Dieu ne se serait pas fait chair Jn 1,14, et, s'il ne devait pas être demandé compte du sang des justes, le Seigneur n'aurait pas eu de sang -.

Mais en fait, depuis le commencement, le sang des justes élève la voix, comme le montrent les paroles adressées par Dieu à Caïn, après que celui-ci eut tué son frère: "La voix du sang de ton frère crie jusqu'à moi Gn 4,10." Et il sera demandé compte de leur sang, comme le prouvent les paroles de Dieu à Noé et à ses compagnons: "Du sang de vos âmes je demanderai compte à toute bête Gn 9,5." Et encore: "Quiconque répand le sang d'un homme, son propre sang sera répandu en compensation du sang versé Gn 9,6." De même aussi, le Seigneur disait à ceux qui allaient répandre son sang: "Il sera demandé compte de tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le sanctuaire et l'autel: en vérité, je vous le dis, tout cela viendra sur cette génération Mt 23,35-36 Lc 11,50-51." Il laissait entendre par là que l'effusion du sang de tous les justes et de tous les prophètes ayant existé depuis le commencement allait être récapitulée en lui-même et qu'il serait demandé compte de leur sang en sa personne. Or, il ne serait pas demandé compte de ce sang, si celui-ci ne devait être sauvé; et le Seigneur n'aurait pas non plus récapitulé ces choses en lui-même, s'il ne s'était fait lui aussi chair et sang conformément à l'ouvrage modelé aux origines, sauvant ainsi en lui-même à la fin ce qui avait péri au commencement en Adam.

2 Par contre, si le Seigneur s'est incarné à l'aide d'une autre "économie", s'il a pris chair d'une autre substance, il s'ensuit qu'il n'a pas récapitulé l'homme en lui-même: on ne peut même plus le dire chair, puisque la chair, à proprement parler, c'est ce qui succède à l'ouvrage modelé aux origines au moyen du limon. Si le Seigneur avait dû tirer d'une autre substance la matière de sa chair, le Père aurait pris, à l'origine, une autre substance pour en pétrir son ouvrage. Mais en fait, le Verbe sauveur s'est fait cela même qu'était l'homme perdu, effectuant ainsi par lui-même la communion avec lui-même et l'obtention du salut de l'homme. Or ce qui était perdu possédait chair et sang, car c'est en prenant du limon de la terre que Dieu avait modelé l'homme GE 2,7, et c'est pour cet homme-là qu'avait lieu toute l'"économie" de la venue du Seigneur. Il a donc eu, lui aussi, chair et sang, pour récapituler en lui non quelque autre ouvrage, mais l'ouvrage modelé par le Père à l'origine, et pour rechercher ce qui était perdu Lc 19,10. C'est pourquoi l'Apôtre dit dans son épître aux Colossiens: "Et vous aussi, vous étiez autrefois éloignés de lui et ennemis de sa pensée par vos oeuvres mauvaises; mais maintenant vous avez été réconciliés en son corps de chair par le moyen de sa mort, pour vous présenter devant lui saints, sans tache ni reproche Col 1,21-22." "Vous avez été, dit-il, réconciliés en son corps de chair": cela, parce que la chair juste a réconcilié la chair captive du péché et l'a réintroduite dans l'amitié de Dieu.

3 Si donc quelqu'un dit que la chair du Seigneur était autre que la nôtre en ce qu'elle n'a pas péché 1P 2,22 et qu'il ne s'est pas trouvé de fourberie en sa bouche Col 1,22", tandis que nous, nous sommes pécheurs, il parle correctement. Mais si cet homme s'imagine que la chair du Seigneur était d'une autre substance que la nôtre, la parole de l'Apôtre relative à la réconciliation perdra tout fondement à ses yeux. Car qui dit réconciliation, dit réconciliation de ce qui s'est trouvé autrefois dans l'inimitié. Or, si le Seigneur a pris chair d'une autre substance, il n'y a pas eu de réconciliation avec Dieu de cela même qui était devenu ennemi de Dieu par la transgression. Mais en fait, par la communion que nous avons avec lui, le Seigneur a réconcilié l'homme avec le Père, nous réconciliant avec lui-même par son corps de chair' et nous rachetant par son sang, selon ce que l'Apôtre dit aux Éphésiens: "En lui nous avons la rédemption acquise par son sang, la rémission de nos péchés Ep 1,7." Et encore: "Vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ Ep 2,13." Et encore: "Dans sa chair il a détruit l'inimitié, la Loi avec ses commandements et ses décrets Ep 2,14-15." Au reste, dans toute cette épître, l'Apôtre atteste expressément que c'est par la chair de notre Seigneur et par son sang que nous avons été sauvés.

4 Si donc la chair et le sang sont ce qui nous procure la vie, ce n'est pas à proprement parler de la chair et du sang qu'il a été dit qu'ils ne peuvent hériter du royaume de Dieu 1Co 15,50, mais des actions charnelles dont nous avons parlé: car ce sont elles qui, en détournant l'homme vers le péché, le privent de la vie. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit dans son épître aux Romains: "Que le péché ne règne donc pas dans votre corps mortel, de sorte que vous lui obéissiez. Ne livrez pas vos membres au péché comme des armes d'injustice, mais livrez-vous vous-mêmes à Dieu, comme étant vivants, de morts que vous étiez, et livrez vos membres à Dieu comme des armes de justice Rm 6,12-13." Ainsi, par ces mêmes membres, par lesquels nous étions esclaves du péché Rm 7,5 et portions des fruits de mort Rm 6,6, il veut que nous soyons esclaves de la Justice Rm 6,19 afin de porter des fruits de vie. Souviens-toi donc, ami très cher, que tu as été racheté par la chair de notre Seigneur et acquis par son sang; "tiens-toi attaché à la tête, de laquelle le corps tout entier" de l'Église "reçoit cohésion et accroissement Col 2,19", c'est-à-dire à la venue charnelle du Fils de Dieu; confesse sa divinité et adhère inébranlablement à son humanité; utilise aussi les preuves tirées des Écritures: ainsi renverseras-tu aisément, comme nous l'avons montré, toutes les opinions inventées après coup par les hérétiques.




DEUXIÈME PARTIE


L'IDENTITÉ DU DIEU CRÉATEUR ET DU DIEU PÈRE PROUVÉE PAR TROIS FAITS DE LA VIE DU CHRIST



I. LA GUÉRISON DE L'AVEUGLE-NÉ


515

La résurrection promise par le Dieu Créateur

15 1 Que Celui qui a créé l'homme au commencement lui ait promis la seconde naissance après sa dissolution dans la terre, Isaïe en fait foi lorsqu'il dit: "Les morts ressusciteront, ceux qui sont dans les tombeaux se lèveront et ceux qui sont dans la terre se réjouiront, car la rosée qui vient de toi est pour eux une guérison Is 26,19." Il dit encore: "Je vous consolerai, et dans Jérusalem vous serez consolés; vous verrez, et votre coeur sera dans la joie, et vos os pousseront comme l'herbe, et la main du Seigneur se fera connaître à ceux qui l'honorent Is 66,13-14."

Ézéchiel dit de son côté: "La main du Seigneur fut sur moi, et le Seigneur me fit sortir en esprit et me plaça au milieu de la plaine, et celle-ci était remplie d'ossements. Il me fit passer près d'eux tout autour; et voici qu'ils étaient en très grand nombre sur la surface de la plaine et tout à fait desséchés. Et il me dit: Fils de l'homme, ces ossements revivront-ils? Je répondis: Seigneur, tu le sais, car c'est toi qui les as faits. Il me dit: Prophétise sur ces ossements et dis-leur: Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur ! Ainsi parle le Seigneur à ces ossements: Voici que je vais amener sur vous l'Esprit de vie; je mettrai sur vous des muscles, je ramènerai sur vous de la chair, j'étendrai sur vous de la peau, je mettrai en vous mon Esprit, et vous vivrez, et vous saurez que je suis le Seigneur. Et je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre. Et comme je prophétisais, il y eut un tremblement de terre, et les os s'emboîtèrent les uns dans les autres. Et je vis, et voici que des muscles et de la chair s'étaient formés sur eux et qu'une peau s'était étendue par-dessus, mais l'Esprit n'était pas encore en eux. Et il me dit: Prophétise sur l'Esprit, prophétise, fils de l'homme, et dis à l'Esprit: Ainsi parle le Seigneur: Viens des quatre vents et souffle sur ces morts, et qu'ils vivent. Et je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre. Et l'Esprit entra en eux, et ils reprirent vie, et ils se tinrent sur leurs pieds: c'était une très, très grande armée Ez 37,1-10." Le même Ézéchiel dit encore: "Ainsi parle le Seigneur: Voici que je vais ouvrir vos tombeaux, et je vous ferai sortir de vos tombeaux, et je vous introduirai dans la terre d'Israël. Et vous saurez que je suis le Seigneur, quand j'ouvrirai vos tombeaux pour faire sortir des tombeaux mon peuple. Je mettrai mon Esprit en vous, et vous vivrez, et je vous établirai sur votre terre, et vous saurez que je suis le Seigneur. J'ai parlé et je l'exécuterai, dit le Seigneur Ez 37,12-14."

Ainsi donc, le Créateur vivifie dès ici-bas nos corps mortels, comme il est loisible de le voir; il leur promet, de surcroît, la résurrection et la sortie hors des sépulcres et des tombeaux, et il leur accordera l'incorruptibilité - car, st-il dit, "leurs jours seront comme l'arbre de vie Is 65,22" -: dès lors la preuve est faite que le seul Dieu c'est lui, qui fait ces choses, et que lui-même est le bon Père qui, par pure bonté, accorde la vie aux êtres qui ne la possèdent pas par eux-mêmes.


La guérison de l'aveugle-né, révélation de l'action créatrice du Verbe aux origines de l'humanité

2 Voilà pourquoi le Seigneur a montré très clairement à ses disciples qui il est lui-même et qui est le Père, afin qu'on ne cherche plus un autre Dieu que Celui qui a modelé l'homme et l'a gratifié du souffle de vie Gn 2,7 et qu'on n'aille plus jusqu'à cet excès de folie d'imaginer faussement un autre Père au-dessus du Créateur. En effet, tous les autres malades, c'est-à-dire ceux qui se trouvaient frappés de maladies à cause d'une transgression qu'ils avaient commise, le Seigneur les guérissait par une parole. Et c'est pour ce motif qu'il disait: "Te voilà guéri; ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire Jn 5,14", manifestant par là que c'était à cause du péché de désobéissance que les maladies avaient assailli les hommes. Par contre, lorsqu'il eut affaire à l'aveugle-né, ce ne fut plus par une parole, mais par un acte, qu'il lui rendit la vue: il en agit de la sorte non sans raison ni au hasard, mais afin de faire connaître la Main de Dieu qui, au commencement, avait modelé l'homme Ps 119,73 Jb 10,8. Et c'est pourquoi, comme les disciples lui demandaient par la faute de qui, de lui-même ou de ses parents, cet homme était né aveugle, le Seigneur déclara: "Ni lui n'a péché, ni ses parents, mais c'est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui Jn 9,3." Ces "oeuvres de Dieu" sont le modelage de l'homme, car c'est bien par un acte qu'il avait effectué ce modelage, selon ce que dit l'Ecriture: "Et Dieu prit du limon de la terre, et il modela l'homme Gn 2,7." C'est pour cela que le Seigneur cracha à terre, fit de la boue et en enduisit les yeux de l'aveugle Jn 9,6, montrant par là de quelle façon avait eu lieu le modelage originel et, pour ceux qui étaient capables de comprendre, manifestant la Main de Dieu par laquelle l'homme avait été modelé à partir du limon. Car ce que le Verbe Artisan avait omis de modeler dans le sein maternel, il l'accomplit au grand jour, "afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui Jn 9,3" et que nous ne cherchions plus ni une autre Main par laquelle aurait été modelé l'homme, ni un autre Père, sachant que la Main de Dieu qui nous a modelés au commencement et nous modèle dans le sein maternel, cette même Main, dans les derniers temps, nous a recherchés quand nous étions perdus Lc 19,10, a recouvré sa brebis perdue, l'a chargée sur ses épaules et l'a réintégrée avec allégresse dans le troupeau de la vie Lc 15,4-6.

3 Que le Verbe de Dieu nous modèle dans le sein maternel, Jérémie l'affirme: "Avant de te modeler dans le ventre de ta mère, je t'ai connu, et avant que tu sois sorti de son sein, je t'ai sanctifié et je t'ai établi prophète pour les nations Jr 1,5." Paul dit pareillement: "Lorsqu'il plut à Celui qui m'avait mis à part dès le sein de ma mère, afin que je l'annonce parmi les gentils... Ga 1,15-16" Ainsi donc, puisque nous sommes modelés dans le sein maternel par le Verbe, ce même Verbe remodela les yeux de l'aveugle-né: il fit ainsi apparaître au grand jour Celui qui nous modèle dans le secret, car c'était bien le Verbe lui-même qui s'était rendu visible aux hommes, il fit en même temps connaître le modelage originel d'Adam, c'est-à-dire de quelle manière Adam avait été fait et par quelle Main il avait été modelé Ps 119,73 Jb 10,8 et il fit voir le tout à l'aide de la partie, car le Seigneur qui remodela les yeux était Celui qui avait modelé l'homme tout entier en exécutant la volonté du Père.

Et parce que, en cette chair modelée selon Adam, l'homme était tombé dans la transgression et avait besoin du bain de la régénération Tt 3,5, le Seigneur dit à l'aveugle-né après lui avoir enduit les yeux de boue: "Va te laver à la piscine de Siloé Jn 9,7", lui octroyant ainsi simultanément le modelage et la régénération opérée par le bain. Aussi, après s'être lavé, "s'en revint-il voyant clair Jn 9,7", afin tout à la fois de reconnaître Celui qui l'avait modelé et d'apprendre quel était le Seigneur qui lui avait rendu la vie.


Une seule terre, un seul Dieu, un seul Verbe

4 Ils s'égarent donc, les disciples de Valentin, lorsqu'ils prétendent que l'homme n'a pas été modelé au moyen de cette terre, mais à l'aide de la "matière fluide et inconsistante". Car il est clair que la terre avec laquelle le Seigneur remodela les yeux de l'aveugle-né était aussi celle avec laquelle l'homme avait été modelé à l'origine. Il n'eût pas été logique de modeler les yeux avec une matière, et le reste du corps avec une autre: tout comme il ne serait pas logique que quelqu'un eût modelé le corps, et un autre les yeux. Mais Celui qui avait modelé Adam au commencement et à qui le Père avait dit: "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance Gn 1,26", Celui-là même, s'étant manifesté aux hommes à la fin des temps, remodela les yeux de celui qui, issu d'Adam, était né aveugle. Et c'est pour cette raison que l'Écriture, voulant signifier l'avenir, rapporte qu'au moment où Adam s'était caché à la suite de sa désobéissance, le Seigneur était venu à lui, le soir, et l'avait appelé, en lui disant: "Où es-tu Gn 3,9 ?" Et cela parce que, dans les derniers temps, le même Verbe de Dieu est venu appeler l'homme, lui rappelant "ses oeuvres Jn 9,3" parmi lesquelles l'homme vivait lorsqu'il s'était dérobé aux yeux de Dieu. Car, de même qu'autrefois Dieu avait parlé à Adam le soir pour le rechercher, de même dans les derniers temps, par la même Voix, il a visité la race d'Adam pour la rechercher.

516 16 1 Et que le modelage d'Adam ait été effectué au moyen de cette terre qui est nôtre, l'Ecriture l'atteste lorsqu'elle rapporte ces paroles de Dieu à Adam: "Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu'à ce que tu retournes à la terre d'où tu as été pris Gn 3,19". Si donc nos corps retournaient dans quelque autre terre après la mort, il s'ensuivrait que c'est d'elle qu'ils tireraient leur origine. Mais s'ils retournent en cette terre même, il est clair que c'est également au moyen de celle-ci que le modelage d'Adam a été effectué, comme d'ailleurs le Seigneur l'a manifesté en remodelant au moyen de celle-ci les yeux de l'aveugle-né. Si donc, d'une façon précise, a été montrée la Main de Dieu par laquelle fut modelé Adam Ps 119,73 Jb 10,8 et par laquelle nous avons été modelés à notre tour, s'il n'y a qu'un seul et même Père dont la Voix est présente, du commencement à la fin, à l'ouvrage par elle modelé, et si enfin la substance de cet ouvrage modelé que nous sommes a été clairement indiquée dans l'Évangile, il ne faut plus chercher d'autre Père que celui-là, ni d'autre substance de cet ouvrage modelé que celle que nous avons déjà dite et que le Seigneur a montrée, ni d'autre Main de Dieu que celle qui, du commencement à la fin, nous modèle, nous ajuste en vue de la vie, est présente à son ouvrage et le parfait à l'image et à la ressemblance de Dieu Gn 1,26.

2 La vérité de tout cela apparut lorsque le Verbe de Dieu se fit homme, se rendant semblable à l'homme et rendant l'homme semblable à lui, pour que, par la ressemblance avec le Fils, l'homme devienne précieux aux yeux du l'ère. Dans les temps antérieurs, en effet, on disait bien que l'homme avait été fait à l'image de Dieu, mais cela n'apparaissait pas, car le Verbe était encore invisible, lui à l'image de qui l'homme avait été fait: c'est d'ailleurs pour ce motif que la ressemblance s'était facilement perdue. Mais, lorsque le Verbe de Dieu se fit chair Gn 1,26, il confirma l'une et l'autre: il fit apparaître l'image dans toute sa vérité, en devenant lui-même cela même qu'était son image, et il rétablit la ressemblance de façon stable, en rendant l'homme pleinement semblable au Père invisible par le moyen du Verbe dorénavant visible.




II. LA CRUCIFIXION


La désobéissance par le bois réparée par l'obéissance sur le bois

3 Ce n'est pas seulement par ce qui vient d'être dit que le Seigneur a fait connaître le Père et s'est fait connaître lui-même: c'est aussi par sa Passion. Car, pour détruire la désobéissance originelle de l'homme, qui s'était perpétrée par le bois, "il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix Ph 2,8", guérissant ainsi par son obéissance sur le bois la désobéissance qui s'était accomplie par le bois. Or il ne serait pas venu détruire au moyen des mêmes choses la désobéissance commise à l'égard de Celui qui nous avait modelés, s'il avait annoncé un autre Père. Mais en fait, c'est par ces mêmes choses, par lesquelles nous avions été désobéissants à Dieu et indociles à sa parole, qu'il a réintroduit l'obéissance à Dieu et la docilité à sa parole: par là, de la façon la plus claire, il fait voir ce Dieu même que nous avions offensé dans le premier Adam, en n'accomplissant pas son commandement, et avec qui nous avons été réconciliés dans le second Adam, en devenant obéissants jusqu'à la mort; car nous n'étions les débiteurs de nul autre que de Celui dont nous avions transgressé le commandement à l'origine.


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La rémission des péchés octroyée par Celui-là même dont nous étions les débiteur

17 1 Or celui-ci est le Créateur: selon son amour, il est notre Père; selon sa puissance, il est notre Seigneur; selon sa sagesse, il est Celui qui nous a faits et modelés. C'est précisément de lui que, pour avoir transgressé son commandement, nous étions devenus les ennemis. Et c'est pourquoi, dans les derniers temps, le Seigneur nous a rétablis dans l'amitié par le moyen de son incarnation: devenu "médiateur de Dieu et des hommes 1Tm 2,5", il a fléchi en notre faveur son Père contre qui nous avions péché et l'a consolé de notre désobéissance par son obéissance, et il nous a accordé la grâce de la conversion et de la soumission à notre Créateur. C'est pourquoi aussi il nous a appris à dire dans notre prière: "Et remets-nous nos dettes Mt 6,12." S'il nous fait parler ainsi, c'est assurément parce que celui-ci est notre Père Mt 6,9, dont nous étions les débiteurs pour avoir transgressé son commandement. Or quel est celui-ci? un prétendu "Père inconnaissable" et qui n'a jamais donné le moindre commandement? ou le Dieu prêché par les prophètes et dont nous étions les débiteurs pour avoir transgressé son commandement? Or ce commandement avait été donné à l'homme par le Verbe: "Adam, dit en effet l'Écriture, entendit la Voix du Seigneur Dieu Gn 3,8." C'est donc à juste titre que le Verbe de Dieu dit à l'homme: "Tes péchés te sont remis Mt 9,2 Lc 5,20": Celui-là même contre qui nous avions péché au commencement accordait ainsi à la fin la rémission des péchés. Par contre, si autre était Celui dont nous avions transgressé le commandement, et autre Celui qui disait: "Tes péchés te sont remis", ce dernier n'était ni bon, ni véridique, ni juste. Comment eût-il été bon, puisqu'il ne donnait pas de ce qui était à lui? Comment eût-il été juste, puisqu'il s'appropriait ce qui était à autrui? Comment les péchés nous eussent-ils été vraiment remis, à moins que Celui-là même contre qui nous avions péché ne nous en eût accordé la rémission, "par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, en lesquelles il nous a visités " par son Fils ?

2 C'est pourquoi aussi, sitôt guéri le paralytique, "à cette vue, est-il dit, les foules glorifièrent Dieu qui avait donné une telle puissance aux hommes Mt 9,8." Quel Dieu glorifièrent donc les foules qui se tenaient alentour? Le "Père inconnaissable" inventé par les hérétiques? Mais comment eussent-elles pu glorifier quelqu'un qu'elles ne connaissaient absolument pas? Il est donc clair que les Israélites glorifiaient le Dieu qu'avaient prêché la Loi et les prophètes, et qui est aussi le Père de notre Seigneur: et c'est pourquoi celui-ci apprenait aux hommes avec vérité, par les miracles qu'il faisait, à rendre gloire à Dieu Lc 17,18. Si autre avait été le Père d'où lui-même serait venu, et autre le Dieu que glorifiaient les hommes à la vue de ses miracles, il eût rendu les hommes ingrats à l'égard du Père qui avait envoyé les guérisons. Mais, parce que c'est de la part du vrai Dieu que le Fils Monogène était venu pour le salut des hommes, il invitait les incrédules, par les miracles qu'il faisait, à rendre gloire à son Père, et, aux Pharisiens qui n'accueillaient pas la venue du Fils de Dieu et qui, pour cette raison, ne croyaient pas à la rémission des péchés accomplie par lui, il disait: "Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés... Mt 9,6", et, après avoir ainsi parlé, il ordonnait au paralytique de prendre le grabat sur lequel il gisait et de s'en retourner à sa maison Mt 9,6. Par l'accomplissement de ce miracle, il confondait les incrédules et faisait comprendre qu'il était lui-même la Voix de Dieu par laquelle, sur la terre, l'homme avait reçu les commandements: c'est pour les avoir transgressés qu'il était devenu pécheur, et la paralysie avait été la conséquence des péchés.

3 Ainsi, en remettant les péchés, le Seigneur n'a pas seulement guéri l'homme, il a aussi révélé clairement qui il était. En effet, si personne ne peut remettre les péchés, sinon Dieu seul Lc 5,31, et si le Seigneur les remettait et guérissait l'homme, il est clair qu'il était le Verbe de Dieu devenu Fils de l'homme, ayant reçu du Père le pouvoir de remettre les péchés parce qu'il était homme et parce qu'il était Dieu, afin que, comme homme, il souffrît avec nous, et que, comme Dieu, il eût pitié de nous et nous remît les dettes Mt 6,13 dont nous étions débiteurs à l'égard de Dieu notre Créateur. Et c'est pourquoi David a proclamé par avance: "Heureux ceux dont les iniquités ont été remises et dont les péchés ont été couverts ! Heureux l'homme à qui le Seigneur n'impute pas de péché Ps 32,1-2 Rm 4,8 !" Il faisait ainsi connaître par avance la rémission des péchés qu'a procurée la venue du Seigneur, cette rémission par laquelle "il a détruit le document" qui attestait notre dette "et l'a cloué à la croix Col 2,14", afin que, comme par le bois nous étions devenus débiteurs à l'égard de Dieu, par le bois nous recevions la remise de notre dette.


L'"économie" du bois préfigurée par Elisée

4 Cela fut montré d'une façon symbolique, entre beaucoup d'autres, en la personne du prophète Élisée. Comme les prophètes qui se trouvaient avec lui coupaient du bois pour édifier leur habitation, le fer d'une hache se détacha du manche et tomba dans le Jourdain. Il leur fut impossible de le retrouver. Étant arrivé en cet endroit et ayant appris ce qui s'était passé, Elisée jeta alors un morceau de bois dans l'eau: à peine l'avait-il fait, que le fer se mit à surnager, et ceux qui venaient de le perdre purent le reprendre à la surface de l'eau 2R 6,1-7. Par cet acte, le prophète signifiait que le solide Verbe de Dieu, que nous avions perdu par le bois à cause de notre négligence et que nous ne retrouvions plus, nous le recouvrerions par l'"économie" du bois. Que le Verbe de Dieu soit semblable à une hache, Jean-Baptiste l'atteste, quand il dit de lui: "Voici que la hache est à la racine des arbres Mt 3,10." Jérémie dit de même: Le Verbe du Seigneur est comme une hache à deux tranchants qui fend le rocher Jr 23,29." Ainsi donc, ce Verbe qui nous avait été caché, l'"économie" du bois nous l'a manifesté, ainsi que nous venons de le dire. Car, puisque nous l'avions perdu par le bois, c'est par le bois qu'il est redevenu visible pour tous, montrant en lui-même la hauteur, la longueur et la largeur Ep 3,18, et, comme l'a dit un des anciens, rassemblant par l'extension de ses mains les deux peuples vers un seul Dieu. Il y avait en effet deux mains, parce qu'il y avait deux peuples dispersés aux extrémités de la terre Is 11,12 Jn 11,52 Ep 2,15; mais au centre il n'y avait qu'une seule tête, parce qu'il n'y a qu'"un seul Dieu, qui est au-dessus de toutes choses, à travers toutes choses et en nous tous Ep 4,6".



Irénée adv. Hérésies Liv.5 ch.13