S. Alphonse - la religieuse - § 2 - MORTIFICATION DU GOÛT


PRIÈRE

Mon Rédempteur aimé, j'ai honte de paraître devant vous : je me vois si remplie de défauts et si tiède ! Avec les grâces que j'ai reçues de vous, je devrais, à cette heure, être un séraphin d'amour. Hélas! au lieu de monter si haut, je me suis enfoncée davantage dans mes imperfections. Que de fois je vous ai promis de devenir une sainte et d'être vôtre entièrement : je compte autant d'infidélités que de promesses !

Je me rassure en pensant que mon sort est entre vos mains, à vous, mon Dieu, qui êtes la bonté infinie. Seigneur, ne m'abandonnez pas, continuez-moi votre assistance, car, avec le secours de votre grâce, je veux changer de vie. Non, je ne veux plus résister à l'amour que vous me portez. Je le vois, vous voulez que je sois une sainte, et c'est ma volonté aussi de le devenir pour réjouir votre coeur. Je vous promets de mortifier mes sens, particulièrement en m'abstenant de telle chose (spécifiez-la).

Ah! mon Jésus, je le reconnais, le désir de me voir entièrement vôtre vous a rendu, à mon égard, généreux à l'excès : je serais par trop injuste si je vous refusais quoi que ce soit, si je vous aimais peu ! Non, je ne consens plus à être une ingrate envers vous. Vous avez été si bon pour moi : il ne m'est plus possible d'être avec vous avare de mon coeur, comme par le passé. Je vous aime, ô mon Époux. Je me repens de tous les déplaisirs que je vous ai causés. Pardonnez-moi, et aidez-moi à vous être fidèle.

Vous, ô Marie, vous avez toujours été fidèle à Dieu : obtenez-moi cette fidélité pour le temps qu'il me reste à vivre.


3. - MORTIFICATION DE L'OUÏE, DE L'ODORAT ET DU TOUCHER

1. Il faut, quant à l'ouïe, pratiquer la mortification en en prêtant pas l'oreille aux conversations légères, ou peu charitables, ou mondaines. Le moindre dommage qu'elles puissent nous causer, c'est de nous remplir l'esprit de mille pensées et imaginations d'où naissent ensuite distractions et troubles dans l'oraison et dans les autres exercices de piété. Quand vous vous trouvez présente à ces entretiens, tâchez de les rompre aimablement, par exemple en soulevant une question utile. Si vous ne pouvez y parvenir, retirez-vous, ou si vous êtes contrainte de rester, demeurer en silence et les yeux baissés, pour montrer le peu de plaisir que vous prenez à de pareils sujets de conversation.

Pour l'odorat, abstenez-vous des vains parfums : ambre, pastilles, baumes, eaux odorantes et choses semblables; ces délicatesses sont déplacées, même chez les personnes du monde. Procurez-vous plutôt l'occasion de supporter les odeurs désagréable que dégagent souvent les chambres des malades. Les saints vous ont donné l'exemple : leur esprit de charité et de mortification leur a fait trouver plaisir à respirer un air fétide près du lit des malades, comme s'ils s'étaient promenés parmi des fleurs odoriférantes dans un jardin enchanté.

Venons-en au toucher. Ici, il faut mettre toute votre diligence à éviter le moindre manquement, car tout manquement dans le toucher est péril de mort pour l'âme. Il ne m'est pas permis de m'expliquer davantage sur ce sujet délicat. Je dis seulement que les religieuses doivent pousser à l'extrême la modestie et la prudence, non seulement avec autrui, mais aussi avec elles-mêmes, afin de conserver au joyau de la pureté tout son éclat. Certaines, sur ce point, se permettent sottement des badinages, par manière d'amusement. Mais joue-t-on avec le feu ? Saint Pierre d'Alcantara, mortellement malade et sur le point de mourir, se sentit toucher par le frère qui le servait. «Écarte-toi, lui dit-il; ne me touche pas, car je suis encore vivant, et je ne puis offenser Dieu.»

Bien plus, il faut réfréner le plus possible le sens du toucher par des mortifications positives, dont nous avons à parler ici en détail.

2. Ces mortifications se ramènent à quatre choses : les jeûnes, les cilices, les disciplines, les veilles.

Des jeûnes, nous avons dit plus haut tout ce qu'il fallait.

Quant aux cilices, il y en a de plusieurs sortes. Les uns sont de crin ou de soies. Aux personnes de complexion délicate, ils peuvent être nuisibles, car, selon la juste observation du père Scaramelli, ils provoquent une inflammation, attirent la chaleur naturelle de l'estomac, et sont ainsi cause de dépérissement. Les autres cilices sont composés de fils de fers ou de laiton, en forme de chaînettes. Ils sont moins dommageables pour la santé. On les porte aux bras, aux jambes ou sur les épaules, car, sur la poitrine ou à la ceinture, ils peuvent aussi faire du mal.

Ce sont là cilices ordinaires, que tout le monde, sous les réserves indiquées, peut employer sans inconvénients. Les saints en ont porté de bien autre sorte. Dona Sanche Carriglio, la célèbre pénitente du bienheureux Jean d'Avila, était revêtue d'un cilice de crin qui la couvrait depuis le cou jusqu'aux genoux. Celui de sainte Rose de Lima était long aussi et de plus entrelacé d'aiguilles, avec une grosse chaîne de fer formant ceinture. Saint Pierre d'Alcantara portait une grande plaque de fer, appuyée sur les épaules, avec des trous dont les aspérités lui déchiraient la chair. Il n'y aurait donc rien d'excessif à ce que vous portiez une chaînette de fer, au moins depuis le matin jusqu'au repas du midi.

3. Quant aux flagellations ou disciplines, c'est une mortification grandement louée par saint François de Sales et que les communautés religieuses d'hommes et de femmes ont universellement adoptée. Il n'est aucun saint, au moins parmi les modernes, qui n'ait usé largement de cette pénitence. A saint Louis de Gonzague, entre autres, il arrivait souvent de se flageller trois fois le jour jusqu'au sang ; et à la fin de sa vie, quand il n'eut plus la force de se donner lui-même la discipline, il pria le père provincial de la lui faire donner par un autre de la tête aux pieds. Il n'y aurait donc pas non plus grand excès à ce que vous preniez la discipline une fois le jour, ou au moins trois ou quatre fois la semaine ; jamais cependant, cela va de soi, sans la permission de votre directeur.

4. Parlons enfin des veilles, qui consistent à se priver d'une partie de son sommeil.

Sainte Rose, voulant passer les nuits en prière, s'attachait les cheveux à un clou planté dans la muraille ; ainsi, venait-elle à s'assoupir, sa tête, en s'inclinant, lui causait une douleur qui forcément la réveillait. Durant quarante ans, saint Pierre d'Alcantara ne dormit qu'une heure, ou au plus une heure et demie par nuit ; et, pour n'être pas trahi par le sommeil, il ne dormait que la tête appuyée à une pièce de bois fixée au mur.

Ces sortes de veilles ne doivent pas se pratiquer sans une inspiration et une grâce particulières. Je dis même que la mortification du sommeil doit être fort discrète et modérée, car, faute d'un repos suffisant, on se trouvera ordinairement inapte ou moins apte aux exercices qui réclament de l'application, tels que l'office, l'oraison et la lecture spirituelle. C'est ce qui arrivait à saint Charles Borromée : veillant la nuit, il se trouvait parfois, durant le jour, vaincu par le sommeil, même dans les cérémonies publiques ; aussi jugea-t-il bon de prolonger quelque peu le repos de la nuit. Par contre, remarquons-le, il n'est pas nécessaire; et il ne convient pas aux personnes spirituelles, d'accorder au corps tout le sommeil qu'il désire. Cela est bon pour les animaux, qui ne cessent de dormir que faute d'envie. Prendre le sommeil suffisant, n'en pas prendre trop : telle est la règle. Normalement, les femmes ont besoin de moins de sommeil que les hommes, et cinq ou au plus six heures leur suffiront d'ordinaire.

Je vous prie au moins, ma chère soeur, d'être exacte au lever du matin, dès le signal du réveil, et de ne point imiter certaines paresseuses qui passent alors quelque temps à se tourner et à se retourner dans leur lit. Sainte Thérèse voulait qu'une religieuse fût sur pied au premier son de la cloche.

5. Outre la privation de sommeil, les saints ont agrémenté le dormir d'autres mortifications encore. Saint Louis de Gonzague mettait dans son lit, entre les draps, des morceaux de bois et des cailloux. Sainte Rose de Lima dormait sur quelques troncs d'arbres, dont elle avait rempli les interstices avec des tessons de poterie. La vénérable soeur Marie-Crucifiée, de Sicile; n'avait pour oreiller qu'un faisceau d'épines.

Sur ces pénitences, je ferai la même observation que plus haut : elles sont extraordinaires et ne sont point demandées à tout le monde. Mais une chose qui est demandée à chaque religieuse, c'est de ne point rechercher la mollesse dans le couchage. A telle soeur, en particulier, c'est assez d'une paillasse pour dormir : quel besoin a-t-elle d'un matelas ? Au moins, si un matelas lui suffit, pourquoi en prendre deux ?

6. A la mortification du toucher se rattache aussi la patience à supporter les inconvénients des saisons, la chaleur, le froid.

Saint Pierre d'Alcantara, outre qu'il allait toujours nu-pieds et nu-tête, ne portait, même en hiver, qu'une seule tunique fort usée. Vous ne pouvez en faire autant, mais vous pouvez sans difficulté vous abstenir de vous approcher du feu. C'était la pratique du saint.

Ici encore, il y a lieu de considérer les différences de climats, d'occupations, etc... Il faut, selon le principe général sagement établi par saint Alphonse, tenir devant les yeux, d'un côté, les exigences de la mortification, d'autre part, la nécessité d'une grande discrétion en cette matière. nnte ctac traduciPur.

Louis de Gonzague, bien qu'il habitât la Lombardie, région très froide. Au moins, faites ce sacrifice un jour ou deux par semaine.

En tout cas, supportez avec patience et bonne grâce le froid et le chaud, comme venant de la main de Dieu. Saint François de Borgia arriva un jour fort tard à une maison de la Compagnie. II en trouva la porte fermée, si bien qu'il dut passer Ia nuit entière exposé au froid et à la neige qui tombait. Le jour venu ses confrères se désolaient qu'iI eût tant souffert ; mais le saint leur répondit « Sans doute, le corps n'était pas à l'aise, mais mon âme a joui de bien douces consolations, car je pensais que cette souffrance du froid était plaisir de Dieu, et il me semblait que sa divine Majesté m'envoyait de ses propres mains, du haut du ciel, ces flocons de neige. »


PRIÈRE

En me trouvant encore aussi attachée aux jouissances terrestres, je suis confuse, ô mon Rédempteur bien-aimé, de me montrer devant vous. Vous, durant votre vie, vous n'avez eu qu'une pensée : souffrir pour moi. Et moi, jusqu'ici, oublieuse de vos souffrances et de l'amour que vous m'avez porté, je n'ai eu de pensées que pour mes satisfactions. Religieuse et votre épouse, qu'y a-t-il eu en moi de mon état, sinon l'habit et le nom ?

Ah ! certes, je mériterais d'être chassée de ce saint lieu, où vous m'avez comblée de vos grâces et de vos lumières pour ne rencontrer que ma continuelle ingratitude. Sans doute, j'ai pris mille bonnes résolutions, je vous ai mille fois promis de les exécuter; mais ensuite, dans la pratique, que j'ai mal tenu parole !

C'en est fait, ô mon Jésus : donnez-moi du courage, car je veux faire quelque chose pour vous avant de mourir. Mourir ! si c'en était l'heure, que je m'en irais peu satisfaite de moi-même ! Vous me prolongez la vie pour que je devienne une sainte. Eh bien ! oui, j'entends le devenir. Je vous aime, ô mon Dieu et mon Époux, et je suis résolue à vous aimer en épouse : je ne veux plus penser à autre chose qu'à vous faire plaisir.

Pardonnez-moi chacune des offenses du passé : je les déteste de tout mon coeur. O Dieu de mon âme, pour mon plaisir à moi, je vous ai si souvent contristé, vous, mon trésor et ma vie, vous qui m'avez tant aimée ! Accordez-moi votre assistance pour que je sois entièrement vôtre à partir de ce jour.

Vierge sainte, Marie, mon espérance, secourez-moi vous aussi : obtenez-moi le courage de faire quelque chose pour Dieu, avant que je sois surprise par la mort.

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page 183 ? 189 ? CHAPITRE IX La pauvreté religieuse


- I. - PERFECTION DE LA PAUVRETÉ

1. Les maximes du monde sont exactement l'opposé de celles de Dieu. Pour le monde, les richesses sont le fondement de la grandeur ; pour Dieu, la pauvreté est le fondement de la sainteté. Il n'est pas certain que les riches se damnent ; mais il est certainement difficile à un riche de se sauver, tout aussi difficile, comme s'exprime l'Evangile, que de faire passer un câble dans le trou d'une aiguille. (Mt 19,59)

Voilà pourquoi tous les saints fondateurs se sont préoccupés d'établir, dans leurs Ordres respectifs, la sainte pauvreté, comme base de la prospérité commune. Saint Ignace de Loyola appelait la sainte pauvreté le mur d'enceinte qui protège la place forte de la ferveur. En effet, les instituts où s'est maintenue la pauvreté ont conservé la ferveur ; là, au contraire, où la pauvreté a été entamée, le relâchement n'a pas tardé à s'introduire. Aussi, l'enfer met tout en oeuvre pour obtenir, là où règne l'observance, une atténuation à la rigueur de la sainte pauvreté. De là cet avis que sainte Thérèse donnait à ses filles, déclarant qu'il leur serait extrêmement utile après sa mort : « La sainte pauvreté, voilà les armes que doivent porter nos bannières ! Que partout se retrouve la pauvreté... et la perfection religieuse ne déchoira point parmi vous. » « La pauvreté, disent avec raison les saints Pères est la gardienne des vertus ; car elle conserve dans les religieux la mortification, l'humilité, le détachement et surtout le recueillement intérieur.»

2. Quand on parle de la pauvreté religieuse, il faut distinguer les obligations qu'entraîne le voeu et les exigences de la perfection.

Le voeu de pauvreté n'exclut pas seulement la propriété des biens et de l'argent, mais il en interdit aussi l'usage indépendant de la volonté de la supérieure. Hélas ! voilà l'écueil qui a causé la perte de bien des religieux ! Sainte Marie-Madeleine de Pazzi en vit un grand nombre dont les infractions au voeu de pauvreté avaient amenés la ruine éternelle. On raconte dans les chroniques des capucins que le démon apparut un jour au milieu de l'assemblée des frères et emporta l'un d'eux sous les yeux de tous : de la manche du malheureux tomba un bréviaire qu'il s'était approprié contre la pauvreté. Plus terrible encore est le trait rapporté par saint Cyrille de Jérusalem, dans une lettre à saint Augustin. Dans la Thébaside, il y avait un monastère de deux cents religieuses, dont une seule observait de son mieux la pauvreté selon la règle. Saint Jérôme apparut à cette religieuse et la chargea d'avertir l'abbesse et la communauté de se corriger : sinon, un grand châtiment allait fondre sur elles. La bonne soeur transmit son message, mais on s'en moqua. Etant en oraison, la soeur reçut l'ordre de réitérer sa menace et, au cas où l'on n'en tiendrait pas compte, de sortir immédiatement du monastère, Elle obéit ; mais, au lieu de l'écouter, l'abbesse la menaça d'expulsion si elle disait encore mot de ces épouvantails. « Vous n'aurez pas à me chasser, répondit la soeur ; je quitte cette maison pour ne pas être enveloppée dans le désastre commun. » Elle était à peine sortie que le monastère s'écroula, écrasant toutes les religieuses sous ses ruines.

3. Malheur à qui introduit dans les monastères quelque relâchement en matière de pauvreté ! Voyez donc, ma chère soeur, si vous ne détenez pas de l'argent ou toute autre chose sans permission. Et comprenez bien qu'une permission n'est pas valable si elle porte sur une chose qui n'est pas juste, car votre supérieure elle-même n'a de pouvoir que pour ce qui peut être justement accordé. Tout ce que vous avez, argent, mobilier, vêtements, objets quelconques, tout ce que vous recevez de vos parents eux-mêmes ou pour votre pension ou comme rétribution de travaux, tout cela, appartient, non à vous, mais au monastère. Vous n'avez rien autre que le simple usage, et uniquement des choses que vous accorde la supérieure. Si donc vous disposez d'un objet quelconque sans permission, vous commettez un vol, et un vol sacrilège contre le voeu de pauvreté. Persuadez-vous également que, en fait de pauvreté, le Seigneur exige des religieux un compte sévère. Voilà pourquoi les supérieurs zélés apportent tant de vigilance et de rigueur à châtier toute infraction à la pauvreté. Cassien rapporte que, au temps des anciens Pères du désert, le dépensier d'un monastère laissa par négligence tomber trois lentilles : en punition, l'abbé l'exclut des oraisons communes et il ne l'y admit de nouveau qu'après une pénitence publique. Pareillement, Regnauld, prieur des dominicains de Bologne, imposa une pénitence exemplaire à un frère laïc qui avait simplement pris un morceau d'étoffe pour raccommoder sa tunique, mais cela sans permission ; le prieur fit aussi brûler cette pièce en plein chapitre devant tous les religieux.

Quelle idée faudra-t-il donc se faire d'une religieuse qui, ayant un objet à son usage et la supérieure permettant à une autre soeur de s'en servir, jette les hauts cris et révolutionne le monastère ?

Examinez-vous donc, ma chère soeur. Êtes-vous détachée de tout ce que vous avez ? Si la supérieure venait à vous refuser la permission de faire telle dépense, de garder cet argent, ce meuble, quelles seraient vos dispositions ? Si vous découvrez dans votre coeur quelque attachement, imitez cette grande servante de Dieu, soeur Marie de la Croix, carmélite déchaussée : dès qu'il lui semblait tenir à un objet quelconque, elle s'en débarrassait, ou bien elle le portait à la supérieure avec prière de l'employer selon son bon plaisir.

Bref, il faut tenir son coeur entièrement détaché même des choses qu'autorise l'obéissance.

3. Le second degré, c'est de n'avoir rien de superflu, car toute chose superflue empêchera votre parfaite union à Dieu. Sainte Marie-Madeleine alla jusqu'à enlever tout ornement de son petit autel, pour n'y laisser que le crucifix. Sainte Thérèse savait combien Dieu est jaloux de la pauvreté religieuse ; elle nous raconte ceci d'elle-même : « M'arrivait-il d'avoir quelque objet superflu, je ne pouvais me recueillir (dans l'oraison) avant de m'en être dépouillée. »

Si, dans votre monastère, on n'observe pas la vie parfaitement commune, au moins appliquez-vous à imiter les soeurs les plus exemplaires et les plus fidèles à la pauvreté, tant pour l'habillement. que pour la nourriture et le mobilier.

Vous me direz : Je n'ai rien que moyennant permission. - Je réponds : La permission de garder des choses superflues empêche, sans doute, que vous soyez propriétaire, mais ne vous empêche pas de perdre le mérite de la parfaite pauvreté.

Vous me direz encore : Je n'ai rien à quoi je sois attachée. - Je réponds : Dès lors que telle chose ne vous est pas nécessaire, elle suffit à vous enlever la perfection de la pauvreté.

Vous ajoutez enfin : Cet argent, ces objets, me servent pour secourir les pauvres ou mes compagnes. - Je réponds encore : La religieuse qui édifie, ce n'est pas celle qui donne, mais celle qui n'a rien à donner.

« Faire l'aumône aux pauvres, dit saint Thomas, est une bonne chose ; mais être pauvre avec Jésus-Christ est chose meilleure. » Sur quoi, la vénérable soeur Marie-Amédée, visitandine, disait : « La bonne religieuse ne doit pas désirer dispenser d'autres richesses que celles qu'elle reçoit de Dieu : bons exemples, prières, bons conseils, secours pour la vie spirituelle. »

4. Si donc, ma soeur, vous voulez faire plaisir à votre Epoux, mettez de l'empressement à vous défaire de tout objet que vous voyez être superflu. Si vous ne pouvez en juger par vous-même, priez votre supérieure d'inspecter votre cellule et d'en enlever tout ce qui s'y trouverait de trop.

Je ne vous demande pas de vous singulariser ; mais, si vous aimez vraiment la pauvreté, vous ne souffrirez pas qu'il y ait dans votre couvent une religieuse plus pauvre que vous. Étudiez-vous à être pauvre en tout : vêtements, mobilier, nourriture, argent.

Pour le vêtement d'abord, pratiquez toute la pauvreté compatible avec les usages de la communauté. L'habillement doit être question de nécessité et non de vanité. Qu'a donc à faire une religieuse d'une mise recherchée, si ce n'est pas pour contenter sa vanité et se faire apprécier ? Saint Grégoire le dit fort justement : « Nul ne songe à s'habiller somptueusement là où il n'y aura personne pour le regarder. » Le Saint-Esprit nous avertit que la vraie beauté et la gloire ne consistent pas dans ce qu'on porte sur soi, mais viennent tout entières du dedans (Ps 44,10). L'extérieur, à quoi sert-il ? « À rendre manifeste ce qui est caché au fond de l'âme », répond sainte Brigitte dans ses Révélations. Donc si le vêtement, ou un ornement quelconque, sent la vanité, il décèle une âme vaine. Saint Jean Chrysostome déclare en conséquence qu'une religieuse, a si elle met son étude à se parer, trahit la difformité de son âme ». Saint Bernard ajoute : « Plus on orne son corps, plus on souille son âme ». Sainte Marie-Madeleine de Pazzi vit nombre de religieuses perdues pour leurs fautes contre la pauvreté, et particulièrement pour la vanité dans les habits.

4. Je ne prétends pas que vous ayez à porter des vêtements déchirés et sales. Un habit déchiré ne convient pas : mais quelques pièces à l'habit ne déparent pas une religieuse qui a fait voeu de pauvreté. Il ne convient pas non plus de porter un voile malpropre : mais convient-il de n'en vouloir, à l'exemple de certaines religieuses, que d'une blancheur éblouissante ? Surtout, quelle idée peut-on se former d'une religieuse à la voir avec des manchettes en toile de Hollande, des boutons d'argent aux poignets, un anneau précieux au doigt et un chapelet de grande valeur au côté ? Et de celle qui n'emploie que des voiles fins, et, s'il y paraît la moindre déchirure, s'en débarrasse aussitôt ? Ignorent-elles donc combien déplaît à Dieu le mépris qu'on fait de la pauvreté ? La vénérable soeur Constance de la Conception, religieuse carmélite mettait un jour au rebut un voile tout déchiré. Notre-Seigneur lui apparut et lui dit : « Tu traites avec ce mépris l'insigne que je t'ai donné comme à, mon épouse ? »

Autre est la conduite des religieuses qui aiment Jésus-Christ. La soeur Marguerite de la Croix, fille de l'empereur Maximilien II, devenue clarisse déchaussée, se présenta un jour devant l'archiduc Albert, son frère, avec un habit rapiécé. Le prince en fut étonné, et ne s'en cacha point ; mais elle lui répondit : « Bon frère, je suis plus contente avec cette guenille que tous les monarques avec leur pourpre. « Ce que le monde méprise, Dieu l'apprécie, et le récompense magnifiquement. Violante Palombara, très noble dame, ne portait qu'une robe de toile grossière, n'avait la nuit qu'une couverture de laine et n'usait que d'un chapelet de bois commun. Sur son lit de mort, on l'entendit s'écrier : « Oh ! que vois-je ! ma robe jette des rayons, ma couverture est en drap d'or et mon chapelet de diamants ! »

5. En outre, ayez soin d'être pauvre dans le mobilier de votre cellule et dans les objets à votre service. On lit dans les chroniques des Pères de Saint-Jérôme que leurs supérieurs, lorsqu'ils trouvaient quelque objet sortant de l'ordinaire, le jetaient incontinent au feu, appelant cela « les idoles des religieux ». L'illustre servante de Dieu soeur Marie-Madeleine Carafa, d'abord duchesse d'Andria, puis religieuse au couvent de la Sapience, à Naples, ne consentit jamais à garder dans sa cellule ni tableaux, ni cadeaux, ni même beaucoup de livres, car, disait-elle, un seul livre, c'est assez pour lire, et c'est plus qu'on n'en peut pratiquer. Voilà qui est bien dit, à la confusion de certaines religieuses qui encombrent leur cellule de livres spirituels, quitte à n'en mettre aucun en pratique. Sainte Thérèse faisait chaque jour l'inspection de sa cellule, et tout ce qu'elle y pouvait découvrir de superflu disparaissait aussitôt. Et vous, ma bonne soeur, ne voyez-vous pas plus d'un objet superflu dans votre cellule ? Pourquoi ne pas les enlever ? Tenez, ces peintures profanes, à quoi servent-elles ? Et ces cadres dorés et ces écrins de prix ? et ces objets d'art en argent et ces nombreux cristaux, qui seraient mieux à leur place chez une dame du monde que chez une religieuse ? Pensez-y bien : à l'heure de la mort, ce qui présentement réjouit vos regards ne vous donnera que tourment au coeur, et, dans l'autre vie, au moins en purgatoire, il vous faudra l'expier. Monseigneur Palafox rapporte que le supérieur d'un couvent apparut à un religieux et lui dit que, concernant le voeu de pauvreté, Dieu exige un compte fort rigoureux même de certaines choses auxquelles on ne prend pas garde, et que, quant à lui, il souffrait beaucoup en purgatoire pour certains secrétaires en noyer qu'il avait eus dans sa cellule.

D'autres religieuses ne peuvent se résigner à ne pas avoir sous la main une ample provision de fruits, d'arômes, de conserves, et autres victuailles, sans oublier les assaisonnements. Les médecins avaient prescrit à la vénérable Mère Marie-Jeanne de l'Annonciation des conserves de roses: Elle ne permit jamais qu'on les gardât dans sa cellule, et chaque soir elle s'en faisait apporter ce qu'il en fallait.

6. Veillez à être pauvre surtout en fait d'argent. Saint Paul déclare que la convoitise de l'argent est une sorte d'idolâtrie (Ep 5,8). Cela est vrai, car l'avare fait de l'argent son Dieu, c'est-à-dire, sa fin dernière. De là cette recommandation de saint Jean Chrysostome : « Méprisons l'argent, si nous ne voulons pas que Jésus-Christ nous méprise. » Voilà pourquoi les premiers chrétiens vendaient leurs biens et venaient en déposer le prix aux pieds des apôtres (Ac 3,34) : ils marquaient par là, dit saint Jérôme, que l'homme doit tenir l'argent non dans son coeur, mais sous ses pieds.

Certaines religieuses, sous prétexte de nécessité, n'en finissent pas d'amasser. « On veut être dans l'abondance, disait sainte Catherine de Sienne, et tant que l'on n'a pas trop, on s'imagine n'avoir pas assez. » Ce n'est pas la manière des religieuses qui aiment la perfection : elles craignent de dépasser le strict nécessaire et elles prélèvent sur leurs rentes à peine de quoi leur suffire. Garder le surplus, à quoi cela servirait-il sinon à nourrir l'orgueil, l'amour des aises, la vanité, l'immortification, bref, à satisfaire tous les caprices qui passent par la tête ? Si donc vous avez un excédent de revenus, je vous conseille de le mettre à l'entière disposition de l'abbesse ; ou, au moins, employez-le à secourir vos soeurs moins fortunées, non pour les tenir en votre dépendance, mais par un sentiment de cordiale charité. « Quelle honte, écrit sainte Catherine de Sienne dans une de ses lettres, de voir des religieuses, qui doivent être des miroirs de pauvreté, vivre plus délicatement que si elles vivaient dans le siècle ! » Et le comble de la honte, c'est de voir une religieuse qui prétend à être plus riche au couvent qu'elle ne l'eût été en restant dans le monde.

7. Il faut aussi, pour ne pas blesser la pauvreté, user d'une grande modération dans les dépenses. De notre temps surtout, où les excès de la prodigalité ne connaissent plus de limites, il se rencontre des religieuses qui se vantent d'être des esprits grands et généreux. Elles ont pour maxime : « Quand on dépense, on dépense. » Belle maxime, en vérité ! Passe encore qu'une personne du monde tienne ce langage : mais une religieuse !

Prétextera-t-on que ces dépenses se font pour l'honneur de Dieu dans les solennités du monastère ? Vaine excuse. Clément V a défendu expressément aux religieux toute dépense superflue, même pour le culte divin. Aussi saint Charles Borromée ordonnât-il aux religieuses de donner à leurs cérémonies un caractère pieux, mais d'en exclure toute somptuosité. « Qu'en pensez-vous ? dit saint Bernard, parlant de ce genre de fêtes; est-ce la pénitence et la componction qu'on y recherche ? ou n'est-ce pas plutôt l'admiration des spectateurs ?. » Cette religieuse, demanderai-je à mon tour, cherche-t-elle, en déployant de telles pompes, à procurer la gloire de Dieu en portant le prochain à la dévotion ? ne veut-elle pas plutôt contenter sa vanité en faisant admirer son bon goût et sa magnificence ? qu'en pensez-vous ?

Saint Bernard se fait ensuite cette objection : Les évêques ne regardent pas aux frais pour donner de la splendeur aux cérémonies. Voici sa réponse : « Autre est la condition des évêques, autre celle des religieux. Nous qui avons renoncé à tout l'éclat de ce monde, nous ne devons viser, dans les fêtes, qu'à exciter la dévotion du peuple. » Et nous n'exciterons jamais mieux cette dévotion qu'en imprimant à nos fêtes mêmes le cachet de cette pauvreté dont nous faisons profession.

Hélas ! combien de manquements occasionnent aujourd'hui ces malheureuses fêtes ! On ne se contente pas de dépenser sans compter pour le luminaire, pour la décoration de l'église, pour la musique; on veut traiter somptueusement les invités : la vaine gloire trouve encore là sa pâture. Et quel tohu-bohu déconcertant pour faire passer les prêtres, la messe à peine terminée, de l'autel au parloir où les attendent rafraîchissements, chocolat, friandises !

8. J'entends une religieuse me dire : Quel remède à ce mal ? Les autres font ainsi : je dois faire comme elles. - Au moins, vous répondrai-je, ne cherchez pas à surpasser les autres et gardez-vous d'ajouter aux excès introduits par vos devancières. Si vous faites un pas en avant, celle qui devra pourvoir à la fête suivante ne voudra certainement pas rester en arrière, pour n'avoir pas l'air de lésiner. Je le répète, tout au, moins, n'introduisez pas de nouveaux abus, contentez-vous de ceux qui existent ; sinon, vous en rendrez à Dieu un compte sévère. Voici, en effet, l'origine de ces abus et de leurs progrès : une religieuse a dépassé un peu la mesure, dans la dépense et dans la pompe; une autre est allée un peu plus loin; on en est arrivé ainsi, avec le temps, à des excès auxquels il semblerait bien difficile d'ajouter. Et voilà comment des communautés entières ont perdu la ferveur et abandonné l'observance. Combien de religieuses, à cause de ces dépenses, passent leur existence dans les distractions et le trouble, sans recueillement, sans dévotion, livrées à la vanité et entassant fautes sur fautes ! Papes et Congrégations romaines ont tenté bien des fois de remédier à ce désordre, avec peu ou, pour mieux dire, point de résultat. Que dirai-je de plus ? Il ne me reste qu'à m'écrier : Malheur à la religieuse qui ouvre la porte de son monastère aux abus et aux vanités mondaines !

Passons à quelques remarques importantes.

Que la soeur qui a le maniement des affaires de la communauté se garde bien de faire des dépenses excessives pour ses nécessités personnelles ; en cela, elle pourrait blesser gravement son voeu de pauvreté.

Les permissions concernant les dépenses doivent être demandées, non au confesseur, mais à, la supérieure, car, dans les choses temporelles, c'est à la supérieure que la religieuse est tenue d'obéir.

Quand on a obtenu la permission de faire une dépense, on ne peut en changer l'objet sans violer la pauvreté.

Une religieuse manque à la pauvreté si elle fait des cadeaux sans juste raison, par simple caprice et par vanité, à des personnes qui n'en ont pas besoin. « Je regarde comme un sacrilège, dit saint Jérôme de donner à ceux qui ne sont pas pauvres le bien des pauvres, » c'est-à-dire des religieux qui ne possèdent rien en propre.

Les décrets apostoliques interdisent aux confesseurs de rien recevoir des religieuses, surtout des cadeaux de grande valeur ; défense surtout de s'en faire mutuellement. « La fréquence des petits cadeaux, mouchoirs, travaux d'aiguille, friandises, plus encore les lettres affectueuses, ce sont là, dit saint Jérôme, pratiques étrangères au saint amour de Dieu. » Mais ce point sera traité plus au long dans le chapitre suivant.

9. Le troisième degré de la pauvreté, c'est de ne pas se plaindre, s'il arrive parfois que l'on manque même du nécessaire.

La sainte Vierge, apparaissant un jour à une religieuse franciscaine, sa fidèle servante, lui dit : «Ma fille, si on te donne tout ce dont tu as besoin, tu n'es pas une vraie pauvre : la vraie pauvreté consiste à n'avoir pas tout le nécessaire. » Se plaindre de sa pauvreté, disait sainte Jeanne de Chantal, c'est déplaire à Dieu et aux hommes. Pour moi, je goûte un vrai bonheur à porter quelque marque de la sainte pauvreté. » Pareillement, une grande servante de Dieu, Baptista Vernazza, chanoinesse régulière, assurait qu'elle éprouvait une grande joie à la pensée que, s'il lui survenait quelque besoin, elle ne pourrait y subvenir. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi se désolait quand elle voyait sa prieure la pourvoir de ce qui lui manquait. Un jour, on la laissa sans pain à table : elle ressentit un tel contentement qu'elle s'en accusa ensuite comme d'un excès de plaisir. Elle s'écriait parfois : « Oh ! quelle grâce ce serait pour moi d'aller à table et de ne pas trouver de nourriture ! d'aller dormir et de ne pas trouver de lit ! d'aller m'habiller et de ne pas trouver de vêtements ! Oh ! si je pouvais manquer de tout ! »

Dites-moi, ma soeur, parlez-vous ainsi ? vous conduisez-vous de la sorte ? Sans doute, votre coeur est détaché du monde et des choses vaines et superflues ; mais je crains que vous ne restiez attachée à ce que vous estimez le nécessaire ; que vous ne soyez en inquiétude pour le vêtement, la nourriture, le couchage et choses semblables, les désirant à votre convenance. Dès lors, si ces choses viennent à vous manquer, vous voilà dans le trouble.

10. Comment entendez-vous donc la pauvreté ? prétendriez-vous en recevoir la récompense, mais que, pourtant, rien ne vous manquât ? Quel pauvre que dis-je ? quel riche a tout ce qu'il désire ? Si vous étiez restée dans le monde, combien de choses vous auraient fait défaut ! et puis, au couvent, où vous êtes entrée pour souffrir, pour professer la pauvreté, vous voulez que rien ne vous manque ? « Vouloir être pauvre et n'en point recevoir d'incommodité dit saint François de Sales, c'est vouloir l'honneur de la pauvreté et la commodité des richesses. »

Je suis malade, dites-vous, et on ne me soigne pas comme il le faudrait. - Ma soeur, écoutez bien ce que je vais vous dire. Vous vous plaignez d'être oubliée : mais vous, n'oubliez-vous pas que vous êtes venue en religion pour souffrir ?

La religieuse doit faire bon accueil à la souffrance, non seulement quand elle est en santé, mais aussi quand elle est malade. Dans les constitutions des Carmes déchaussés, on trouve cet avis particulier : « S'il vient à manquer quelque chose à nos frères malades, ils se souviennent qu'ils ont embrassé la pauvreté de Jésus-Christ : c'est pourquoi ils ne veulent pas être traités comme des riches, ni quand ils sont bien portants ni quand ils sont malades. » Sur ce même point, un autre avis, aussi touchant, est donné aux religieuses par sainte Marie-Madeleine de Pazzi : « Si malades que vous soyez, ne prenez et n'acceptez jamais rien qui ne sente la pauvreté. » Saint Bernard demandait à ses religieux de ne pas recourir, dans leurs maladies, à d'autres remèdes que des infusions, « car, disait-il, les médecines de prix ne conviennent pas à des malades qui font profession de pauvreté. » Si vous étiez restée dans le Inonde, je ne sais si vous auriez pu avoir les remèdes et les médecins que vous procure la communauté : et vous en réclamez davantage ? Allons, ma soeur, soyez heureuse, non seulement de vivre, mais aussi de mourir en pauvre ; réjouissez-vous de ce que la mort, quand elle viendra vous enlever de ce monde, vous trouve traitée en pauvre.

Désormais, chaque fois qu'il vous arrivera d'endurer quelque privation, réfléchissez à cette belle pensée de sainte Jeanne de Chantal : « Les occasions de pratiquer la pauvreté sont trop rares pour que, l'une ou l'autre se présentant, on ne la saisisse avec bonheur. »

11. Quatrième et dernier degré de la pauvreté : non seulement se contenter de ce qui est pauvre, mais encore choisir ce qui est le plus pauvre, la plus pauvre cellule, le plus pauvre lit les plus pauvres habits, la plus pauvre nourriture. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi prenait plaisir à manger les restes de la communauté ; elle portait un habit tellement usé que la prieure lui commanda d'en prendre un autre par obéissance.

« Voici, disait sainte Jeanne de Chantal, ce que veut la perfection de la pauvreté : où l'étain suffit, n'employez pas l'argent ; et où le plomb suffit, n'usez pas d'étain. » Appliquez cette règle, par analogie, à toutes les choses qui se présentent : c'est la règle que doit suivre une religieuse qui entend devenir une sainte.

12. Donnons ici, en terminant, les excellents avis que traça, au sujet de la pauvreté, le père Antoine Torrès, déjà cité ailleurs, pour l'instruction d'une religieuse, sa pénitente.

« Vous aimerez la pauvreté comme un trésor, car ainsi l'estimait votre Epoux.

« Vous la pratiquerez en toutes choses, la regardant comme votre gloire et votre plus bel ornement.

« Vous ne souffrirez pas qu'il y ait, dans le monastère, une soeur, pas même une soeur converse, plus pauvre que vous.

« Vous ne porterez sur vous absolument rien qui soit pour la parure, rien qui ne soit commandé par la nécessité. Votre voile sera pauvre, des moins fins et des plus rapiécés ; pauvre le chapelet que vous portez au côté. Vous mettrez votre bonheur à porter un habit pauvre et raccommodé, et vous n'en changerez qu'à l'extrême limite de l'usure. Evitez autant que possible d'avoir un vêtement de rechange ou plus de linge que n'en a la dernière des soeurs converses.

« Ne recevez ni ne demandez aucune chose, si nécessaire qu'elle vous paraisse, sans avoir considéré votre modèle, votre Epoux nu sur la croix : il sera le premier à qui vous demanderez la permission.

« Malgré toutes les instances, ne donnez rien, si peu due ce soit, n'acceptez rien non plus, sans avoir d'abord obtenu la permission de votre supérieure.

« Dans votre chambre, il n'y aura que votre lit avec de très pauvres draps et couvertures, deux chaises de paille, le crucifix, quatre images en papier, quelques livres, peu nombreux et choisis par votre directeur, et ce qui sera indispensable pour votre usage, rien de plus.

« Souvent, en colloque avec le Crucifix, vous examinerez votre vie sous le rapport de cette vertu, et s'il vous semble avoir un objet superflu, vous le porterez à votre supérieure.

« Ne demandez rien à vos parents pour vous-même ; vous pourrez recourir à eux pour les besoins de la communauté, sans permettre qu'ils vous réservent la moindre part. »

13. Et maintenant, ma bonne soeur, écoutez ma prière : après avoir renoncé au monde et à tout ce qu'il peut offrir, n'allez pas préférer à Dieu un peu de fange.

Dioclétien offrait à saint Clément, évêque d'Ancyre, de l'argent, de l'or, des pierreries, pour l'amener à renier Jésus-Christ : le saint poussa un profond et douloureux soupir, de voir son Dieu mis en parallèle avec de la boue. À saint Basile, martyr, le tribun promettait, de la part de l'empereur Licinius, la dignité de pontife suprême et de chef de tous les prêtres, s'il renonçait au christianisme. « Dites à l'empereur, répondit le saint, que, s'il consentait à me céder son empire, il ne compenserait pas le dommage qu'il m'aurait causé en m'enlevant mon Dieu pour me rendre esclave du démon.» Je vous parle à vous-même : Puisque vous avez tout quitté pour Dieu, ne courez pas le risque de perdre Dieu pour une bagatelle d'ici-bas. Représentez-vous Dieu se plaçant lui-même devant vous avec les créatures, et vous disant, comme il dit un jour, en pareil cas, à la vénérable soeur Marie du Crucifix : « Entre elles et moi, choisis : quel est le lot qui te convient ? » Non, une religieuse ne peut choisir, pour son trésor, un autre bien que Dieu seul.

Je termine par ces paroles de sainte Marie-Madeleine de Pazzi : « Heureux les religieux ! Détachés de tout par le moyen de la sainte pauvreté, ils peuvent dire : Le Seigneur est ma part d'héritage (Ps 15,5), Dieu même est mon lot, en tout ce que je désire pour la vie présente et pour l'éternité. » De là ce cri d'amour qui s'échappait du coeur de la sainte : « Rien, rien, sinon Dieu ! et je ne veux Dieu que pour lui-même ! »


S. Alphonse - la religieuse - § 2 - MORTIFICATION DU GOÛT