Anthologie poésie mariale - CANTIQUE A NOTRE-DAME DE SARRANCE


PAUL CLAUDEL





(1868-1955) Parlant de Claudel, les admirateurs crient au génie, s'émerveillent devant son style « transportant r, la profon­deur de sa pensée et l'appellent le théologien de la poésie; les hostiles le clouent au pilori, condamnent ce même style comme illisible, inaudible et l'assimilent aux prédicateurs obscurs et soporifiques. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas! Né en 1868 dans l'Aisne, à Villeneuve-sur-Fère, d'une famille bourgeoise, après de solides études à Louis-le-Grand, il fait du droit, entre à Sciences politiques et passe brillamment le concours des Affaires étrangères. La Car­rière diplomatique le promène aux quatre coins du monde, à New York, en Chine, en Allemagne en attendant Rio de Janeiro et le Japon comme ambassadeur. Dès ses années d'étude, la flamme de la poésie s'était allumée en lui et il se lia d'amitié avec Mallarmé. Le 25 décembre 1886 alors qu'il assistait « distraitement » à Notre-Dame de Paris aux offices de Noël, mystérieusement touché par la grâce, il se convertit à la foi chrétienne. C'est là que le dur gar­çon de dix-huit ans, plein de génie mais au cou rebelle a plié, selon sa propre expression, comme « un jeune tau­reau » Après cet événement paraissent bientôt une série de chefs-d'œuvre : des recueils de poèmes Vers l'exil, Le Chemin de la Croix, Corona benignitatis, Écoute ma














fille, etc., en même temps que des pièces de premier ordre : La Ville, L'Otage, L'Annonce faite à Marie, Le Soulier de satin... Claudel a voulu être un poète chrétien, il a été l'un des premiers écrivains français à ne pas craindre d'affirmer cette position et il a loyalement essayé de la tenir. Il a chanté la Vierge avec des accents de prophète inspiré, son œuvre a été comparé, très justement, à « une cathédrale aux multiples nefs, jaillie du terroir français où, à l'ombre de la Vierge, on ne cesse d'entendre, l'appel d'un Père » ..














LA VISITATION





Le prêtre Zacharie d'Hébron, père de Jean, était une espèce de pope ou comme l'un de nos curés, Car les prêtres dans ce temps-là avaient la permission de se marier. Et sans doute aussi qu'il avait un petit jardin derrière son presbytère, Tout plein de ces fleurs qui ont une odeur très forte, spéciales aux jours caniculaires. C'est là que Marie, abiens in montana, est allée voir sa sœur Elisabeth. Elle, la regarde, et dit : Ah! Elle dit : Ah! seulement et baisse la tête, Car elle a tout compris d'un seul coup, son œil a pro­fondément tressailli, Et joignant ses deux mains de pauvre femme, elle dit bien bas : Unde hoc mibi? Et il me semble aussi que je suis là, qui regarde tout. Et je vois les coins de la pauvre bouche qui tremblent et les larmes qui apparaissent tout à coup, Ces larmes profondes des gens qui ne sont plus jeunes, d'un cœur qui manque et qui s'anéantit, Et cette grimace que l'on fait quand on pleure comme quelqu'un qui rit.














Elle pleure, mais la joie incommensurable est dans ses yeux. La mère de saint Jean-Baptiste regarde la mère de mon Dieu! 0 bienheureuse Elisabeth, qui vis Marie dans le pre­mier Stabat La Sagesse éternelle de Dieu récitant le Magnificat! Ah, puissions-nous, comme vous ce soir-là dans le petit jardin judaïque, Refaire cette promenade pas à pas que font les fidèles catholiques, Et quand nous avons bien ouvert notre coeur coupable et que nous avons tout dit, Sentir dans notre main qui tremble les doigts de notre mère Marie! « Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie. r















CHANT DE NOËL





Minuit sonne. Poursuivez votre chemin et entrez. Quel cœur si dur qui ne se fonde au spectacle qui nous est présenté! Lui qui nous aime tant, qui ne l'aimerait de son côté, Et n'aurait les larmes aux yeux, prenant entre ses bras ce petit pauvre? Et si quelqu'un de vous doute encore, qu'il se range à l'écart et vérifie Ce papier où pour lui, depuis Moïse, j'ai recensé les pro­phéties. Car aujourd'hui un enfant nous est né, un tout petit nous a été donné Une tige est sortie de David, une fleur de la racine de Jessé La personne de David est issue du sein de la Vierge sans péché, Voici la chair de notre chair, voici l'Enfant-avec-Dieu que nous avons fait, Restituant le plein héritage que Satan nous dérobait Et son nom est appelé Admirable, Conseiller, Dieu-fort, Père-du-Siècle futur, Prince-de-la-Paix !...














CHANT DE L'EPIPHANIE





Gaspard, Melchior et le troisième offrent les présents qu'ils ont apportés. Et nous, regardons avec eux Jésus-Christ, en ce jour, qui nous est triplement manifesté... Mère de Dieu, favorablement accueillez ces personnes honnêtes Qui ne doutent pas un seul moment de ce qu'elles ont vu au bout de leurs lunettes. Et ce qu'ils vous apportent à grands labeurs du fond de la Perse ou de l'Abyssinie, Tout de même ce sont des présents de grand sens et de grand prix : L'or, qu'on obtient aujourd'hui avec les broyeurs et le cyanure, Et qui est l'étalon même de la Foi sans nulle fraude ni rognure; La myrrhe, arbuste rare dans le désert qu'il a fallu tant de peines pour préserver, Dont le parfum sépulcral et amer est le symbole de la Charité Et, pincée de cendre immortelle soustraite à tant de bûchers, L'unique once d'encens, c'est l'Espoir, que Melchior est venu vous apporter,














Au moyen de mille voitures et de deux cent quatre-vingts chameaux à la file, Qui sans aucune exception ont passé par le trou d'une aiguille!...















LA PRÉSENTATION





Quand Marie se met en marche, et, les Quarante Jours complétés, Monte au Temple de Jérusalem pour y mettre son Fils premier-né Entre les bras du Grand Prêtre qui est qualifié pour représenter toute l'Expectation antique, A part ce très vieux homme, à part Anne la dévouée dans un coin de la basilique, Qui espère l'Espérance encore et qui est-ce qui lit les Prophètes? C'est en vain que Daniel a prédit le temps, et Michée le lieu, et que l'histoire complète, Avec le nom même de Jésus à. chaque ligne, se trouve dans David et dans Isaïe, Tout ça, c'est des histoires de bouquins et des supersti­tions de sacristie. C'est bien plus intéressant de lire le journal et de faire de la politique contre les Romains. Aussi convient-il à ce temps de l'An qui croît et à ce froid crépuscule du matin Que cette transmission de pouvoirs qui se fait de la Sinagogue à l'Église Ait quelque chose de rapide et presque de clandestin.














Je vois Marie sans forme ni visage sous son capuchon et son manteau tout trempé de laine grise, Tel à peu près qu'en portent aujourd'hui les Petites Sœurs des Pauvres et les Clarisses. Je vois le ciel noir avec à l'Est une seule raie de couleur de citron, Je vois Joseph avec (le prix est dessus encore) les deux colombes dans une cage de jonc, Et le vieux prêtre d'or, avec l'enfant dedans, sur le seuil, qui chante le Nunc dimittis;





Lumen ad revelationem gentium! la lumière pour la révé­lation des gensl Non point le soleil propre à tout qui sur tout reluit indifféremment Mais le feu confidentiel et fragile d'un cierge pur Qui nous sert moins à voir qu'à faire voir notre figure. Faites qu'aujourd'hui, Seigneur, nous recevions en grande pureté Cette espèce d'ange portatif qui nous guide au travers de l'année, Image du Verbe splendide, le Fils indivisible du Père, La Sagesse qui est issue avant l'étoile lucifère! Cette longue semence blanche que nous recevons en grand secret Du feu, à la messe basse de sept heures, quand apparaît Aux fenêtres la face pâle et menaçante de l'hiver; (Il y a un enfant malade à la maison et j'attends de mauvaises nouvelles de mon père) Cette semence du jour futur et de l'éternel Désir Que nous recevons dormante et ensevelie dans la cire,














Qu'elle s'enracine jour à jour à la fois dans notre corps et dans notre âme, Réduisant le corps à la cendre aspirant l'esprit dans la flammel















NOTRE-DAME AUX1LIATRICE





L'enfant chétif qui sait qu'on n'est pas fier de lui et qu'on ne l'aime pas beaucoup Quand d'aventure sur lui se pose un regard plus doux, Devient tout rouge et se met bravement à sourire, afin de ne pas pleurer. Ainsi dans ce monde mauvais les orphelins et les déshé­rités, Ceux qui n'ont pas d'argent, ceux qui n'ont pas de connaissance et pas d'esprit, Comme ils se passent de tout, se passent également d'amis. Les pauvres s'ouvrent peu, mais il n'est pas impossible de gagner leur cœur. Il suffit de faire attention à eux et de les traiter avec un peu d'honneur. Prends donc ce regard, ô pauvre, prends ma main, mais ne t'y fie pas. Bientôt je serai avec ceux de mon espèce et ne penserai guère à toi. Il n'y a pas d'ami sûr pour un pauvre, s'il ne trouve un plus pauvre que lui. C'est pourquoi viens, ma sœur accablée, et regarde Marie.














Pauvre femme dont le mari boit et dont les enfants ne sont pas forts, Quand on n'a pas d'argent pour le terme et qu'on désire d'être mort, Ah! lorsque tout vous manque et qu'on est tout de même trop malheureux, Viens à l'église, tais-toi et regarde la Mère de Dieu! Quelle que soit l'injustice contre nous et quelle que soit la misère, Lorsque les enfants souffrent il est encore plus malheu­reux d'être la Mère. Regarde Celle qui est là, sans plainte comme sans espé­rance, Comme un pauvre qui trouve un plus pauvre et tous deux se regardent en silence.














LA VIERGE A MIDI





Il est midi. Je vois l'église ouverte. Il faut entrer. Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier. Je n'ai rien à offrir et rien à demander. Je viens seulement, Mère, pour vous regarder. Vous regarder, pleurer ce bonheur, savoir cela Que je suis votre fils et que vous êtes là. Rien que pour un moment pendant que tout s'arrête. Midi! Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes. Ne rien dire, regarder votre visage, Laisser le cœur chanter dans son propre langage, Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu'on a le cœur trop plein, Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains. Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée, La femme dans la Grâce enfin restituée. La créature dans son honneur premier et dans son épa­nouissement final, Telle qu'elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.














Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ, Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit. Parce que vous êtes la femme, l'Eden de l'ancienne tendresse oubliée, Dont le regard trouve le cœur tout à coup et fait jaillir les larmes accumulées, Parce que vous m'avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France, Parce qu'elle aussi, comme moi, pour vous fut cette chose à laquelle on pense, Parce qu'à l'heure où tout craquait, c'est alors que vous êtes intervenue, Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus, Parce qu'il est midi, parce que nous sommes en ce jour d'aujourd'hui, Parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que vous êtes Marie, simplement parce que vous existez, Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée!















CHEMIN DE LA CROIX





QUATRIÈME STATION La quatrième station est Marie qui a tout accepté. Voici au coin de la rue qui attend le Trésor de toute Pauvreté. Ses Yeux n'ont point de pleurs, sa bouche n'a point de salive Elle ne dit pas un mot et regarde Jésus qui arrive. Elle accepte. Elle accepte encore une fois. Le cri Est sévèrement réprimé dans le cœur fort et strict. Elle ne dit pas un mot et regarde Jésus-Christ. La Mère regarde son Fils, l'Église son Rédempteur, Son âme violemment va vers lui comme le cri du soldat qui meurt! Elle se tient debout devant Dieu et lui offre son âme à lire. Il n'y a rien dans son cœur qui refuse ou qui retire. Pas une fibre en son cœur transpercé qui n'accepte et ne consente. Et comme Dieu lui-même qui est là, elle est présente. Elle accepte et regarde ce Fils qu'elle a conçu dans son sein Elle ne dit pas un mot et regarde le Saint des Saints.














TREIZIÈME STATION





Ici la Passion prend fin et la Compassion continue. Le Christ n'est plus sur la Croix, il est avec Marie qui l'a reçu : Comme elle l'accepta, promis, elle le reçoit, consommé. Le Christ qui a souffert aux yeux de tous de nouveau au sein de sa Mère est caché. L'Église entre ses bras à jamais prend charge de son bien-aimé. Ce qui est de Dieu, et ce qui est de la Mère, et ce que l'homme fait, Tout cela sous son manteau est avec elle à jamais. Elle l'a pris, elle voit, elle touche, elle prie, elle pleure, elle admire; Elle est le suaire et l'onguent, elle est la sépulture et la myrrhe, Elle est le prêtre et l'autel et le vase et le Cénacle. Ici finit la Croix et commence le Tabernacle.














LA VIERGE QUI ÉCOUTE





A l'église de mon village de Brangues il y a la cha­pelle du château : C'est là que je vais tous les jours à cinq heures parce Qu'il fait trop chaud. On ne peut pas se promener tout le temps, alors autant aller chez le Bon Dieu : Dehors le soleil à tue-tête s'en donne, et la route à tra­vers la place en hurlant, on croirait qu'elle crie : Au feu! Mais, dedans, la Sainte Vierge devant moi, pour moi, elle est aussi pure et fraîche qu'un glacier, Toute blanche avec son fils dans sa belle robe tout blanc, si longue qu'on ne lui voit que le bout des pieds. Marie! c'est ce bonhomme encore une fois qui est là, tout débordant d'anxiétés et de désirs : Ah, je n'aurai jamais assez de temps pour les choses que j'ai à vous dire! Mais elle, les yeux baissés, avec un visage sérieux et tendre, Regarde les paroles sur ma bouche comme quelqu'un qui écoute et qui se prépare à comprendre.















LOUIS MERCIER (1870-1951)





Né à Coutouvre dans le Forez, de souche paysanne, Louis Mercier était la simplicité et la bonté mêmes. Son vers s'en ressent : il est traditionnel, sans recherche, mais recèle la force et l'intensité. Chrétien convaincu, Mercier tranche avec les autres poètes par la sérénité et la rectitude de son, existence. Il publia comme méthodiquement ses poèmes Les Voix de la terre et du temps en 1903, Les Poèmes de la maison en 1907, Lazare le ressuscité en 1910. Après la guerre 1914-1918, il reprit son travail d'écrivain et présenta peut-être ses deux plus beaux recueils Les Pierres sacrées en 1920, Virginis corona en 1928. De ce dernier, nous extrayons plusieurs poèmes à la Vierge d'une sobre mais impressionnante beauté... L'originalité de Louis Mercier est peut-être de ne pas en avoir, du moins en apparence. Pourtant un charme biblique très particulier se dégage de ses écrits. « Quelle théologie et quelle poésie dans les psaumes! r, disait Jean XXIII dans ses notes d'une retraite à Clamart. On serait tenté de dire à son tour en lisant les poèmes de Louis Mercier : « Quelle théologie et quelle poésie! » ..














ANNONCIATION





Gabriel a franchi le seuil de la maison; La Vierge, sans savoir qu'un ange est derrière elle, Mains jointes, à genoux, demeure en oraison : Le printemps vient d'éclore et la lumière est belle. L'ange retient le vent de son vol; il se tait; Il admire. Pourtant il vient du ciel; sa place, Là-haut, est près du trône où Dieu flamboie; il est L'un des aigles qui voient le soleil face à face. Il vient du ciel. Son être est le miroir ardent Qui réfléchit la majesté des Trois Personnes. Or, voici qu'à l'aspect d'une fille d'Adam L'Ambassadeur ailé s'intimide et s'étonne. Tant de grâce peut-elle illuminer un corps? Une telle lumière éclater dans une âme Que le limon appesantit encor? Ahl le ciel à la terre enviera cette femme Sans elle les splendeurs de la Sainte Cité Paraîtront désormais manquer de quelque chose : Ses jardins n'auront pas leur plénière beauté... Avant que le Seigneur n'y plante cette rose.














L'archange a reconnu sa souveraine. Il voit L'Épouse que l'Amour éternel s'est élue. Et, le genou touchant la terre, d'une voix Où tremble un saint respect, il dit : « Je vous salue. r















SURGE, AMICA MEA, ET VENI





Voici le Bien-Aimé que la grâce accompagne! Le voici qui, pareil au faon léger, bondit De la colline à la montagne. Il vient vers ma fenêtre, et son œil s'enhardit A me chercher parmi les feuilles de la treille; Il m'a vue, il m'appelle, il dit : — Lève-toi, mon amie, ô ma douce merveille, Lève-toi. L'hiver fuit et la pluie a cessé; La fleur dans le bourgeon s'éveille. Écoute, la saison des chants a commencé; On entend soupirer la jeune tourterelle Au bord du nid qu'elle a tressé. Regarde; le figuier a sa feuille nouvelle, Et les vignes en fleur embaument le matin! Cesse donc, ô ma toute belle, Cesse de te cacher aux grottes du ravin; Montre-moi ton visage, et que ta voix m'enivre De ton chant plus fort que le vin. — Mon Bien-Aimé, j'accours et suis prête à te suivre.














ASSOMPTION





Vierge, souvenez-vous de l'instant où vos yeux Ont vu la pauvre étoile humaine disparaître! — Vous aviez dépassé les confins de nos cieux; Vous abordiez l'éther sans êtres. Les astres, sous vos pieds, semaient des roses d'or; A se sentir plus près des hauteurs éternelles, Les anges dont le vol secondait votre essor Battaient plus largement des ailes! Comme elle apparaissait, pâle et triste, là-bas, La lueur de la terre au fond de l'étendue! Cependant vos regards ne se détournaient pas De cette planète perdue : C'était le monde où l'homme naît, où l'homme meurt! Vous aviez vécu là parmi ceux qui respirent, Vous aviez partagé leurs travaux et leurs pleurs, Leurs tendresses et leurs sourires. Et voici qu'oubliant, un instant, les splendeurs Du trône que l'Époux a dressé pour vos charmes, Vous avez salué le pays des douleurs De la dernière de vos larmes!














— Mère, souvenez-vous de ce suprême adieu : Des sommets de la gloire où vous siégez, ô Reine, Abaissez quelquefois la pitié de vos yeux Sur notre pauvre étoile humaine!





















NOTRE-DAME DES PETITS





Lorsque les petits enfants meurent, — Et la mort choisit les plus beaux! — Tandis que les mères demeurent A pleurer près des berceaux, Eux, laissant au fond de leurs bières Les langes à leurs bras raidis, Quittent la nuit des cimetières Et s'en vont droit au paradis. Et vers la cité souveraine, Tout nus, et frissonnants un peu, Us avancent, posant à peine Leurs pieds roses sur le ciel bleu. Ce que voyant, la Vierge Mère A leur dénûment compatit, Songeant aux douleurs de la terre Lorsque Jésus était petit. Et, tout de suite à sa quenouille, Mettant un cocon de satin, Elle dévide un fil que mouille L'haleine humide du matin.














Puis, le soir étant venu, Notre-Dame Prenant les cieux pour marchepied, Pour la tisser étend sa trame, Pour la tisser, elle s'assied, Et comme une blonde navette, On entrevoit sans se lasser, Entre la brume violette, Passer la lune et repasser. Et, dans l'étoffe des buées, Près d'elle, de beaux chérubins Taillent des robes de nuées Dont ils revêtent les bambins. Bientôt sous leurs fines toilettes, Les enfants vont, drus et joyeux, Dans les lis et les violettes Jouer par les grands près des cieux. Et, les voyants, la Vierge Mère A leurs beaux rires applaudit, Songeant aux bonheurs de la terre Lorsque Jésus était petit.














CHARLES PÉGUY





(1873-1914) Homme, vie, œuvre, style, tout est « sui generis » et puissant chez Péguy. Peu d'écrivains ont eu une aussi forte personnalité. Il était pourtant peu connu dans le monde des lettres quand il tomba héroïquement frappé d'une balle en pleine tête aux premières heures de la bataille de la Marne, le 5 septembre, à Villeroy. Deux jours plus tôt dans une église de village, il avait orné de fleurs l'autel de la Vierge... Depuis sa disparition surtout, son influence a été prodigieuse... D'une origine modeste (sa mère était rempailleuse de chaises), il avait hérité de ses parents le sens de l'art et de l'amour du travail bien fait, puisqu'il disait avoir vu toute sa jeunesse rempailler les chaises « du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales » Passionné par les idées sociales nouvelles, il fut l'ami de Jaurès et fonda la célèbre revue Les Cahiers de la quinzaine où il fit paraître ses grandes œuvres poétiques Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, La Tapisserie de Notre-Dame, Eve, etc. Par ses idées originales, son style particulier aux vagues succes­sives, il ne peut souffrir comparaison et il a été pour ainsi dire le Debussy de la poésie... Incroyant au départ, sa vie n'a été qu'une recherche loyale de la foi chrétienne, il a aimé et chanté la Vierge admirablement, Elle l'aura sans doute accueilli à la porte du Paradis...















CELLE QUI EST AU-DESSUS DE TOUT





Il y a des jours dans l'existence où on sent qu'on ne peut plus se contenter des saints patrons... Alors il faut prendre son courage à deux mains. Et s'adresser directement à celle qui est au-dessus de tout. Être hardi. Une fois. S'adresser hardiment à celle qui est infiniment belle. Parce qu'aussi elle est infiniment bonne. A celle qui intercède. La seule qui puisse parler avec l'autorité d'une mère. S'adresser hardiment à celle qui est infiniment pure. Parce qu'aussi elle est infiniment douce. A celle qui est infiniment noble. Parce qu'aussi elle est infiniment courtoise. Infiniment accueillante. Accueillante comme le prêtre qui au seuil de l'église va au-devant du nouveau-né jusqu'au seuil. Au jour de son baptême. Pour l'introduire dans la maison de Dieu. A celle qui est infiniment riche Parce qu'aussi elle est infiniment pauvre.














A celle qui est infiniment haute Parce qu'aussi elle est infiniment descendante. A celle qui est infiniment grande Parce qu'aussi elle est infiniment petite. Infiniment humble Une jeune mère. A celle qui est infiniment jeune Parce qu'aussi elle est infiniment mère. A celle qui est infiniment droite Parce qu'aussi elle est infiniment penchée. A celle qui est infiniment joyeuse Parce qu'aussi elle est infiniment douloureuse. Septante et sept fois septante douloureuse. A celle qui est infiniment touchante Parce qu'aussi elle est infiniment touchée. A celle qui est toute Grandeur et toute Foi Parce qu'aussi elle est toute Charité. A celle qui est toute Foi et toute Charité Parce qu'aussi elle est toute Espérance.














LA PASSION





Elle pleurait. Elle pleurait. Elle fondait. Elle fondait en larmes. Elle ravalait ses larmes avec sa salive. Et en même temps elle avait la gorge sèche, brûlante De fièvre Le gosier sec Brûlant Elle avait la tête toute en eau Et il y en avait toujours Et il y en sortait toujours. Et en même temps elle avait la tête sèche, lourde, brû­lante Pesante Et les yeux lui piquaient Et ça lui battait dans les tempes A force d'avoir pleuré Et d'avoir encore envie de pleurer. Elle pleurait. Elle fondait. Son cœur fondait Son corps se fondait Elle fondait de bonté De charité Il n'y avait que sa tête qui ne fondait pas. Elle marchait comme involontaire














Elle ne se reconnaissait plus elle-même. Elle n'en voulait plus à personne Elle fondait en bonté En charité. Sa douleur était trop grande C'était une trop grande douleur. On ne peut pas en vouloir au monde pour un malheur qui dépasse le monde. Ce n'était plus la peine d'en vouloir au monde D'en vouloir à personne Elle qui autrefois aurait défendu son garçon contre toutes les bêtes féroces Quand il était petit. Aujourd'hui elle l'abandonnait à cette foule Elle laissait aller Elle laissait couler Qu'est-ce qu'une femme peut faire dans une foule Je vous le demande. Elle ne se reconnaissait plus Elle était bien changée. Elle allait entendre le cri Le cri qui ne s'éteindra dans aucune nuit d'aucun temps... L'un le tirait, l'autre le poussait A hue, à dia Mais celui qui le tirait et celui qui le poussait C'était toujours vers ce sommet du Golgotha...















PRÉSENTATION DE LA BEAUCE A NOTRE-DAME DE CHARTRES





Étoile de la mer voici la lourde nappe Et la profonde houle de l'océan des blés Et la mouvante écume et nos greniers comblés, Voici votre regard sur cette immense chape Et voici votre voix sur cette lourde plaine Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés, Voici le long de nous nos poings désassemblés Et notre lassitude et notre force pleine. Étoile du matin, inaccessible reine, Voici que nous marchons vers votre illustre cour, Et voici le plateau de notre pauvre amour, Et voici l'océan de notre immense peine. Un sanglot rôde et court par-delà l'horizon A peine quelques toits font comme un archipel Du vieux clocher retombe une sorte d'appel L'épaisse église semble une basse maison. Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale De loin en loin surnage un chapelet de meules, Rondes comme des tours, opulentes et seules Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.














Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire. Vous nous voyez marcher sur cette route droite, Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. Sur ce large éventail ouvert à tous les vents La route nationale est notre porte étroite. Nous allons devant nous, les mains le long des poches, Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours, Des champs les plus présents vers les champs les plus [proches. Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois. Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois, Et toute leur séquelle et toute leur volaille Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille Ont appris ce que c'est que d'être familiers, Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers, Vers un dernier carré le soir d'une bataille. Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau, Dans le recourbement de notre blonde Loire, Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire N'est là que pour baiser votre auguste manteau.














Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau, Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse, Et la Loire coulante et souvent limoneuse N'est là que pour laver les pieds de ce coteau. Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans Le portail de la ferme et les durs paysans Et l'enclos dans le bourg et la bêche et la fosse. Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate Et nous avons connu dès nos premiers regrets Ce que peut receler de désespoirs secrets Un soleil qui descend dans un ciel écarlate Et qui se couche au ras d'un sol inévitable Dur comme une justice, égal comme une barre, Juste comme une loi, fermé comme une mare, Ouvert comme un beau socle et plan comme une table. Un homme de chez nous, de la glèbe féconde A fait jaillir d'un seul enlèvement, Et d'une seule source et d'un seul portement, Vers votre assomption la flèche unique au monde. Tour de David voici votre tour beauceronne. C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté Vers un ciel de clémence et de sérénité, Et le plus beau fleuron dedans votre couronne. Un homme de chez nous a fait ici jaillir, Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix, Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois La flèche irréprochable et qui ne peut faillir...















LES PRIÈRES A MARIE





Et telle est la flotte des Pater, solide et plus innom­brable Que les étoiles du ciel. Et derrière je vois la deuxième flotte, et c'est une flotte innombrable, car c'est la flotte aux voiles blanches, l'innombrable flotte des Ave Maria. Et c'est une flotte de birème. Et le premier rang de rames est : Ave Maria, gratia plena; Et le deuxième rang de rames est : Sancta Maria, Mater Dei. Et tous ces Ave Maria, et toutes ces prières de la Vierge et le noble Salve Regina sont de blanches caravelles, humblement couchées sous leurs voiles au ras de l'eau; comme de blanches colombes que l'on pren­drait dans la main. Or ces douces colombes sous leurs ailes, Ces blanches colombes familières, ces colombes dans la main, Ces humbles colombes couchées au ras de la main, Ces colombes accoutumées à la main,














Ces caravelles vêtues de voilures De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes. C'est-à-dire celles qui se présentent le plus directement devant le port... Ce Notre Père, dit Dieu, est le père des prières. C'est comme celui qui marche en tête. C'est un homme robuste, et la prière du je vous salue Marie est comme une humble femme. Et les autres prières sont derrière eux comme des enfants. Et le Notre Père et le Je vous salue Marie, sont comme l'homme et la femme. Qui vont l'un derrière l'autre et qui fendent la foule qui est venue pour la procession. L'homme va devant et fend le flot de la foule, La foule de ma colère, Et la foule suit derrière dans le sillage, Et l'homme a pris sur ses épaules à califourchon Cette curieuse enfant Espérance. Et le Notre Père est le roi et le Je vous salue Marie est la reine et l'espérance est la dauphine. Et c'est un jeu de cartes et le Notre Père est le roi et le Je vous salue Marie est la reine et tous les autres sont les fidèles valets... Et le royaume du Notre Père est le royaume même de l'espérance : Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. Et le royaume du Je vous salue Marie est un royaume plus secret.














PRIÈRE POUR UN AMI





Nous venons vous prier pour ce pauvre garçon Qui mourut comme un sot au cours de cette année, Presque dans la semaine et devers la journée Où votre fils naquit dans la paille et le son. 0 Vierge il n'était pas le pire du troupeau. Il n'avait qu'un défaut dans sa jeune cuirasse. Mais la mort qui nous piste et nous suit à la trace A passé par le trou qu'il s'est fait dans la peau. Il était né vers nous dans notre Gâtinais. Il commençait la route où nous redescendons. Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons. Et pourtant c'était lui que tu te destinais, 0 mort qui fus vaincue en un premier caveau. Il avait mis ses pas dans nos mêmes empreintes. Mais le seul manquement d'une seule des craintes Laissa passer la mort par un chemin nouveau. Le voici maintenant dedans votre régence. Vous êtes reine et mère et saurez le montrer. C'était un être pur. Vous le ferez rentrer Dans votre patronage et dans votre indulgence.














0 reine qui lisez dans le secret du cœur, Vous savez ce que c'est que la vie ou la mort, Et vous savez ainsi dans quel secret du sort Se coud et se découd la ruse du traqueur. Et vous savez ainsi sur quel accent du chœur Se noue et se dénoue un accompagnement, Et ce qu'il faut d'espace et de déboisement Pour laisser débouler la meute du piqueur. Et vous savez ainsi dans quel recreux du port Se prépare et s'achève un noble enlèvement, Et par quel jeu d'adresse et de gouvernement Se déroule et se fixe un illustre support. Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive Se joue et se déjoue un épouvantement, Et par quel coup de pouce et quel balancement L'un des plateaux descend pour que l'autre s'élève? Et ce que peut coûter la lèvre du moqueur, Et ce qu'il faut de force et de recroisement Pour faire par le coup d'un seul retournement D'un vaincu malheureux un malheureux vainqueur. Mère le voici donc, il était notre race, Et vingt ans après nous notre redoublement. Reine recevez-le dans notre amendement. Où la mort a passé, passera bien la grâce.















PRIÈRE DE DEMANDE





Nous ne demandons pas que le grain sous la meule Soit jamais replacé dans le cœur de l'épi, Nous ne demandons pas que l'âme errante et seule Soit jamais reposée en un jardin fleuri. Nous ne demandons pas que la grappe écrasée Soit jamais replacée au fronton de la treille, Et que le lourd frelon et que la jeune abeille Y revienne jamais se gorger de rosée. Nous ne demandons pas que la rose vermeille Soit jamais replacée aux arceaux du rosier, Et que le paneton et la lourde corbeille Retourne vers le fleuve et redevienne osier. Nous ne demandons pas que cette page écrite Soit jamais effacée au livre de mémoire, Et que le lourd soupçon et que la jeune histoire Vienne remémorer cette peine prescrite. Nous ne demandons pas que la tige ployée Soit jamais redressée au livre de nature, Et que le lourd bourgeon et la jeune nervure Perce jamais l'écorce et soit redéployée.














Nous ne demandons pas que le rameau broyé Reverdisse jamais au livre de la grâce, Et que le lourd surgeon et que la jeune race Rejaillisse jamais de l'arbre foudroyé. Nous ne demandons pas que la branche effeuillée Se tourne jamais plus vers un jeune printemps, Et que la lourde sève et que le jeune temps Sauve une cime au moins dans la forêt noyée. Nous ne demandons pas que le pli de la nappe Soit effacé devant que revienne le maître, Et que votre servante et qu'un malheureux être Soient jamais libérés de cette lourde chape. Nous ne demandons pas que cette auguste table Soit jamais resservie, à moins que pour un Dieu, Mais nous n'espérons pas que le grand connétable Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu. Nous ne demandons pas qu'une âme fourvoyée Soit jamais replacée au chemin du bonheur. 0 reine il nous suffit d'avoir gardé l'honneur Et nous ne voulons pas qu'une âme apitoyée Nous remette jamais au chemin de plaisance, Et nous ne voulons pas qu'une amour soudoyée Nous remette jamais au chemin d'allégeance, 0 seul gouvernement d'une âme guerroyée, Régente de la mer et de l'illustre port, Nous ne demandons rien dans ces amendements, Reine, que de garder sous vos commandements Une fidélité plus forte que la mort.















Anthologie poésie mariale - CANTIQUE A NOTRE-DAME DE SARRANCE