Anthologie poésie mariale - PRIÈRE DE DEMANDE

EVE





— 0 mère ensevelie hors du premier jardin, Vous n'avez plus connu ce climat de la grâce, Et la vasque et la source et la haute terrasse. Et le premier soleil sur le premier matin. Et les bondissements de la biche et du daim Nouant et dénouant leur course fraternelle Et courant et sautant et s'arrêtant soudain Pour mieux commémorer leur vigueur éternelle,... Vous n'avez plus connu l'arbre chargé de pommes Et pliant sous le faix dans la mûre saison; Vous n'avez plus connu devant votre maison Les blés enfants jaillis pour les enfants des hommes. Ce qui depuis ce jour est devenu la fange N'était encor qu'un lourd et plastique limon; Et la Sagesse même et le roi Salomon N'eût point départagé l'homme d'avecque l'ange. Ce qui depuis ce jour est devenu la somme S'obtenait sans total et sans addition; Et la Sagesse assise au coteau de Sion N'eût point dépareillé l'ange d'avecque l'homme...














Ce qui depuis ce jour est devenu la boue Était alors le suc de la féconde terre. Et nul ne connaissait la peine héréditaire. Et nul ne connaissait la houlette et la houe. Ce qui depuis ce jour est devenu la mort N'était qu'un naturel et tranquille départ. Le bonheur écrasait l'homme de toute part. Le jour de s'en aller était comme un beau port. Les bonheurs qui tombaient faisaient un déversoir Le silence de l'âme était comme un étang. Le soleil qui montait faisait un ostensoir Et se répercutait dans un ciel éclatant. Les vapeurs qui montaient faisaient un encensoir. Et les cèdres faisaient de hautes barricades. Et les jours de bonheur étaient des colonnades. Et tout se reposait dans le calme du soir... Vous n'avez plus connu que le temps dans le lieu. Vous n'avez plus connu la jeunesse du monde, Et cette paix du cœur plus lourde et plus profonde Que l'énorme Océan sous le regard de Dieu. Vous n'avez plus connu que des biens périssables, Et la succession et le vieillissement. Et la procession des maux ineffaçables Et le regard voilé d'un appauvrissement... Et je vous aime tant, mère de notre mère, Vous avez tant pleuré les larmes de vos yeux. Vous avez tant levé vers de pauvres cieux Un regard inventé pour une autre lumière.














Vous avez tant pleuré votre force première. Vous avez tant voilé le regard de vos yeux. Vous avez tant levé vers de plus pauvres cieux Votre voix hésitante au seuil de la prière. Et je vous aime tant, aïeule roturière Vous avez tant lavé le regard de vos yeux. Vous avez tant courbé sous le courroux des cieux Votre nuque et vos reins frissonnants de misères. Vous avez tant levé vers une autre tempête Une voix défaillante et tremblante d'amour. Vous avez tant levé vers une pauvre fête Un regard inventé pour un tout autre jour. Vous avez tant levé le front de votre tête Vers le repensement d'un plus noble séjour. Vous avez tant levé vers le haut de la tour Vos esprits épuisés d'une éternelle quête. Et moi je vous salue, ô la première femme Et la plus malheureuse et la plus décevante Et la plus immobile et la plus émouvante, Aïeule aux longs cheveux, mère de Notre-Dame.















L'ENFANT





Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde Qu'un gamin d'enfant qui cause avec le bon Dieu Dans le fond d'un jardin; Et qui fait les demandes et les réponses (c'est plus sûr); Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu Le plus sérieusement du monde, Et qui se fait lui-même les consolations du bon Dieu Or, je vous le dis, ces consolations qu'il se fait, Elles viennent directement et proprement de moi. Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu. Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page, Timide comme un ange, Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir, en sautant Et en riant et en (se) jouant. Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger. Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Us n'en ont jamais assez. C'est que pour eux la vingtième fois est comme la pre­mière. Ils comptent comme moi. C'est ainsi que je compte les heures,














Et c'est pour cela que toute l'éternité et que tout le temps Est (comme) un instant dans le creux de la main. Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en fai­sant sa prière, dit Dieu. Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde. Et pourtant j'en ai vu des beautés dans le monde Et je m'y connais. Ma création regorge de beautés. Ma création regorge de merveilles. Il y en a tant qu'on ne sait pas où les mettre... Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde Qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prière Sous l'aile de son ange gardien Et qui rit aux anges en commençant de s'endormir; Et qui déjà mêle tout ça ensemble et qui n'y comprend plus rien; Et qui fourre les paroles du Notre-Père à tort et à tra­vers pêle-mêle dans les paroles du Je vous salue, Marie Pendant qu'un voile descend sur ses paupières, Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix. J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien, je vous le dis, Je n'ai jamais rien vu de si drôle et par conséquent je ne connais rien de si beau dans le monde Que cet enfant qui s'endort en faisant sa prière Et qui mélange son Notre-Père avec son Je vous salue, Marie. Rien n'est aussi beau et c'est même un point














Où la Sainte Vierge est de mon avis Là-dessus. Et je peux bien dire que c'est le seul point où nous soyons du même avis. Car généralement nous sommes d'avis contraire, Parce qu'elle est pour la miséricorde Et moi il faut que je sois pour la justice.






I LA PROTECTION DE LA VIERGE





Il pense à ses enfants qu'il a mis particulièrement sous la protection de la Sainte Vierge. Un jour qu'ils étaient malades Et qu'il avait eu grand peur. Il pense encore en frémissant à ce jour-là Qu'il avait eu si peur Pour eux et pour lui. Parce qu'ils étaient malades Il en avait tremblé dans sa peau. A l'idée seulement qu'ils étaient malades Il avait bien compris qu'il ne pouvait pas vivre comme cela. Avec des enfants malades Et sa femme qui avait tellement peur Si affreusement Qu'elle avait le regard fixé en dedans et le front barré et qu'elle ne disait plus un mot. Comme une bête qui a mal Qui se tait Car elle avait le cœur serré. La gorge étranglée comme une femme qu'on étrangle. Le cœur dans un étau. La gorge dans des doigts; dans les mâchoires d'un étau. Sa femme qui serrait les dents, qui serrait les lèvres














Et qui parlait rarement et d'une autre voix. D'une voix qui n'était pas la sienne Tant elle avait affreusement peur Et ne voulait pas le dire. Mais lui, par Dieu, c'était un homme. Il n'avait pas peur de parler Il avait parfaitement compris que ça ne pouvait pas se passer comme ça. Ça ne pouvait pas durer Comme ça. Il ne pouvait pas vivre avec des enfants malades. Alors il avait fait un coup (un coup d'audace), il en riait encore quand il y pensait. Il s'en admirait même un peu. Et il y avait bien un peu de quoi. Et il en frémissait encore. Il faut dire qu'il avait été joliment hardi et que c'était un coup hardi. Et pourtant tous les chrétiens peuvent en faire autant On se demande même pourquoi ils ne le font pas Comme on prend trois enfants par terre et comme on les met tous les trois Ensemble. A la fois. Par amusement. Par manière de Jeu Dans les bras de leur mère et de leur nourrice qui rit. Et se récrie Parce qu'on lui en met trop Et qu'elle n'aura pas la force de les porter. Lui, hardi comme un homme Il avait pris, par la prière il avait pris. (Il faut, que France, il faut que Chrétienté continue.) Ses trois enfants dans la maladie, dans la misère où ils gisaient. Et tranquillement il vous les avait mis














Par la prière il vous les avait mis. Tout tranquillement dans les bras de celle qui est char­gée de toutes les misères du monde. Et qui a déjà les bras si chargés Car le Fils a pris tous les péchés Mais la Mère a pris toutes les douleurs. Il avait dit, par la prière il avait dit : Je n'en peux plus Je n'y comprends plus rien. J'en ai par-dessus la tête Je ne veux plus rien savoir Ça ne me regarde pas (Il faut que France, il faut que chrétienté continue.) Prenez-les. Je vous les donne. Faites-en ce que vous voudrez. J'en ai assez. Celle qui a été la mère de Jésus-Christ peut bien aussi être la mère de ces deux petits garçons et de cette petite fille. Qui sont les frères de Jésus-Christ Et pour qui Jésus-Christ est venu au monde. Qu'est-ce que ça vous fait. Vous en avez tellement d'autres. Qu'est-ce que ça vous fait, un de plus un de moins. Vous avez eu le petit Jésus. Vous en avez eu tant d'autres. (Il voulait dire dans les siècles des siècles, tous les enfants des hommes, tous les frères de Jésus, les petits frères, et elle en aura tellement dans les siècles des siècles.) Il faut que les hommes en aient un aplomb, de parler ainsi A la Sainte Vierge Les larmes au bord des paupières, les mots au bord des lèvres il parlait ainsi, par la prière il parlait ainsi














En dedans. Il était dans une grande colère, Dieu lui pardonne, il en frémit encore (mais il est rudement heureux d'avoir pensé à ça). (Le sot, comme si c'était lui qui avait pensé le pauvre homme.) Il parlait dans une grande colère (Que Dieu le garde) Et dans cette grande violence et, en dedans, en dedans de cette grande colère et de cette grande violence avec une grande dévotion. Vous les voyez, disait-il, je vous les donne. Et je m'en retourne et je me sauve pour que vous ne me les ren­diez pas. Je n'en veux plus. Vous le voyez bien. Comme il s'applaudissait d'avoir eu le courage de faire ce coup-là. Tout le monde n'aurait pas osé. Il était heureux, il s'en félicitait en riant et en tremblant (Il n'en avait pas parlé à sa femme. Il n'avait pas osé. Les femmes sont peut-être jalouses. Il vaut mieux ne pas se faire d'affaire dans son ménage. Et avoir la paix. Il avait arrangé ça tout seul. C'est plus sûr. Et on est plus tranquille.) Depuis ce temps-là tout marchait bien. Naturellement. Comment voulez-vous que ça marche autrement Que bien. Puisque c'était la Sainte Vierge qui s'en mêlait Qui s'en était chargée. Elle sait mieux que nous.















AU TERME DU PÈLERINAGE





Nous, nous retournerons par ce même chemin. Ce sera de nouveau la terre sans cachette, Le château sans un coin et sans une oubliette, Et ce sol pieux gravé qu'un parfait parchemin. Et nunc et in hora, nous vous prions pour nous Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin, Et sans doute moins purs et moins dans votre main, Et moins acheminés vers vos sacrés genoux. Quand nous aurons joué nos derniers personnages, Quand nous aurons posé la cape et le manteau, Quand nous aurons jeté le masque et le couteau, Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages. Quand nous retournerons en cette froide terre, Ainsi qu'il fut prescrit pour le premier Adam, Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan, Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire. Quand on nous aura mis dans une étroite fosse, Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe, Veuillez vous rappeler, reine de la promesse, Le long cheminement que nous faisons en Beauce.














Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde, Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements, Quand nous aurons râlé nos derniers râlements, Veuillez vous rappeler votre miséricorde. Nous ne demandons rien, refuge du pécheur, Que la dernière place en votre Purgatoire, Pour pleurer longuement notre tragique histoire, Et contempler de loin votre jeune splendeur.














HENRI GHÉON





(1875-1944) Après avoir pratiqué pendant dix ans la médecine dans son village natal de Bray-sur-Seine, Henri Ghéon se tourna tout d'un coup vers la carrière littéraire. Dès 1897, il avait publié deux recueils de poèmes, Chansons d'aube et Solitude de l'été, qui ne passèrent point inaperçus mais la rencontre de Péguy en 1909 fut surtout déterminante dans son changement de situation. Les années suivantes, Ghéon visite l'Italie et la Grèce pour se cultiver « l'esprit et le cœur » quand éclate la guerre 14-18. Il s'engage aussitôt, reprend ses activités médicales et, fait providentiel, il se lie d'amitié au début de 1915, avec le commandant Dupouey. La mort héroïque de cet officier quelques mois plus tard sera le point de départ de la conversion de Ghéon à la foi chrétienne... La guerre terminée, Henri Ghéon se remet à écrire et se fait bientôt un nom dans le monde du théâtre populaire par toute une série de pièces, sortes de mystères religieux dont les plus remarquables sont, sans conteste : Le Pauvre sous l'escalier et Le Noël sur la place. En 1937, il écrit un dernier recueil de poèmes : Chants de la vie et de la foi. Henri Ghéon est un auteur délicat, au style précis, et un chrétien à la foi rayonnante. Les deux poèmes à la Vierge : Nativité et Notre-Dame de Chartres reflètent les qualités marquantes de leur auteur...















NATIVITÉ





Plus brillant que la promesse, Est-ce vous, mon bel Agneau, Que des deux mains je caresse Sous cet auvent de roseaux? Est-ce vous le roi du monde? Je n'ai rien pour vous vêtir, Que la douceur qui m'inonde, En vous regardant dormir. Quand je vous sens solitaire, Et si nu sur cette terre, Fragile, craintif et froid, Ma pauvreté me fait honte : Mais pour vous garder, je compte Plutôt sur Dieu que sur moi.














NOTRE-DAME DE CHARTRES





Je suis noire, mais je suis belle, Couleur des immenses labours Dont la Providence éternelle Nourrit le blé, couleur de jour, Et, comme la glèbe, je porte, A l'insu de mes laboureurs, Le pain secret qui réconforte Aussi bien que les corps, les cœurs. Ce bon peuple m'a devinée, Avant la naissance de Dieu, Comme divine et désignée Pour alléger le poids des cieux. Parmi les divinités sombres Qui régnaient sur ce vieux pays, Filles de la peur et de l'ombre, Je fus la seule qui sourit. Et, suspendus à mon sourire, Les prêtres du chêne et du vent Entrevoyaient l'immense empire D'un Maître plus doux et plus grand.














Ainsi s'éleva mon image Sous le fardeau fleuri des dons Dont ils couronnaient mon visage Comme une offrande au Dieu sans nom, Et nul ne se doutait encore, En ce sourcilleux Occident, Que je portais en moi l'aurore En train de poindre à l'Orient. Je suis noire, mais je suis belle, Mon peuple a compris ma beauté. Il fut, avant la foi, fidèle Et je lui dois fidélité. Sur la plaine qu'il a fouie, Je pousserai deux hautes tours Pour que ses moissons soient bénies De leur grande ombre, chaque jour. Comme une motte, sous l'église, Je germe — et ne cesserai plus D'enfanter la Grâce promise A mon peuple : l'épi Jésus.















MAX JACOB





(1876-1944) Né à Quimper de parents commerçants israélites, Max Jacob a vécu la plus grande partie de son existence à Paris qui devint véritablement « sa ville » 77 y mena d'abord joyeuse vie, fréquentant Montmartre et ses caba­rets, y rencontrant artistes et poètes alors inconnus et aujourd'hui célèbres tels : Picasso, Vlaminck et Apolli­naire. Frappé par la grâce et certain d'avoir vu l'image du Christ apparaître sur le mur de sa chambre il se conver­tit, se fait catéchumène et reçoit le baptême en 1915. Après la guerre, il mène une existence de solitaire sur les bords de la Loire à l'ombre de l'abbatiale de Saint-Benoît, là il prie et travaille avec acharnement. Survient la guerre de 40, il est arrêté par la Gestapo, déporté et meurt d'épuise­ment au camp de Drancy le 5 mars 1944... Max Jacob a été un écrivain d'une grande fécondité dans tous les genres, depuis les livres pour enfants comme Le Roi Kaboul ou Le Géant du soleil en passant par les poèmes en prose moderne Le Cornet de dés, considéré comme un modèle du genre et par la poésie pure des Bal­lades, dernier ouvrage écrit avant sa déportation. Comme homme, Jacob était le type du garçon apparemment amu­sant et farceur, certains de ses amis l'appelaient le « presti­digitateur » et secrètement sensible et nostalgique. Dans son œuvre, on sent cette complaisance au jeu mais qui sert














aussi subitement à émouvoir. Son poème : La Visitation de la Vierge n'est-il pas émouvant dans sa simplicité avec la pointe d'humour sur saint Joseph, le menuisier de village?














VISITATION





Louange à cette petite fille de la campagne Qui a été l'épouse et la mère de Dieu! Elle a reçu la visite de l'Ange, elle l'a vu de ses propres yeux. Elle est allée chez sa vieille cousine dans la montagne, Celle qui devait être la mère de Jean. Elle n'est qu'une pauvre enfant de la campagne, Sa famille est une famille de pauvres gens. Sa cousine est l'épouse d'un vieux prêtre, Elle-même est la fiancée d'un menuisier — Un menuisier de bourg, pensez ce que ça pouvait être! — Dans leur vie un événement est arrivé : Il paraît que le Saint-Esprit est sur Marie. Sa cousine est l'épouse d'un vieux prêtre, Marie est allée la visiter. Louange à cette petite fille de la campagne Qui a mérité d'être la mère de Dieu! Il me semble qu'elle était née en Bretagne Et qu'elle a vécu là sous mes yeux... Je connais la colline où vit Elisabeth. C'est à seize kilomètres de chez moi, Un peu avant d'arriver à Bénodet; Un ancien moulin entre une lande et un bois. Marie est venue là avant que d'être mère...














Elle est l'unique. Elle est saluée par Gabriel; Elle le mérite : C'est pourquoi Dieu est sur elle. Il est en elle, il est autour d'elle; Il est son époux, son fils, son père; Elle est sa nourrice et sa mère; Elle est sa reine, il est son roi. Vierge unique, veillez sur moi.














MAURICE BRILLANT (1881-1953) Il y a peu de poésie plus musicale que celle de Maurice Brillant. Angevin d'origine, il a su mettre dans ses vers la douceur de son pays natal. Sa vie elle-même semble s'être écoulée « en douceur r, sans heurts ni difficultés majeures. Il fit d'excellentes études secondaires au Collège de Combrée, village du Maine-et-Loire où il est né en 1881, puis se lança avec succès dans les Lettres et l'His­toire... Il a écrit de nombreux poèmes. Il publia en 1911 Les Matins d'argent, Musique sacrée, Musique profane en 1921, puis son recueil le plus remarqué Cantilène pour une jeune sainte en 1923, en hommage à la petite sainte de Lisieux, enfin Musique des saisons en 1935. Si son sens musical l'apparente à Verlaine, sa foi pro­fonde l'en différencie nettement et donne une plus grande valeur mystique à ses poèmes. Le poème à la Vierge Le Jardin des lys, le jardin lumineux qui sourit au cré­puscule, est, nous semble-t-il, un petit chef-d'œuvre de musicalité. Maurice Brillant véritablement renforce la thèse évoquée au début de ce livre selon laquelle la poésie n'a point besoin de musique car elle est musique qui se suffit à elle-même...















LE JARDIN DES LYS





Le jardin lumineux sourit au crépuscule; Frôlant le sable des allées, Voltigeant des iris aux frêles campanules, Une joie douce harmonieusement ondule Et vient mourir sur les massifs bariolés. Le clair jardin d'amour sourit au crépuscule. La Femme qu'une voix divine va troubler A quitté la demeure où sa gloire est celée. 0 lys de Nazareth et fleur de Galilée, Lys de cristal et d'or, 0 tendre fleur de rêve aux yeux extasiés... Elle descend, modeste et douce, pour prier Dans l'enclos de silence et le muet décor Où l'oraison fleurit quand la rose s'endort. 0 Vierge dont l'amour saignera sur nos peines, De l'enclos ignoré où votre rêve luit, Entendez-vous là-bas la symphonie humaine, La danse vaine, et la tristesse lasse, et tous les bruits Dont l'écho dans le soir agonisant se traîne, Et partout cette voix de l'éternel ennui : Musique verte et bleue dans le jour qui s'enfuit,














Agent glacé des violons en pleurs, Flûte limpide et grêle aux étangs de la nuit, Et chanson violette où meurent Le soir de rêve et la mélancolie des fleurs? Sans quitter votre extase, vous allez, Calme et tendre et les yeux voilés; Mais vous cueillez et vous gardez en votre cœur Tous ces bruits de la terre folle et désolée Qui chante et ne sait pas qu'elle attend un Sauveur. Vous passez, de gloire invisible couronnée. Ignorante de l'ineffable destinée, Humblement vous montez vers votre apothéose En mêlant votre amour au long parfum des roses.





Le beau jardin s'est tu... Que chanteraient les fleurs quand s'étonne le ciel? Les rameaux d'une paix divine sont vêtus. Comment vous exalter avec des voix mortelles, 0 vous qui avez entendu Les paroles de l'Ange à vos pieds descendu Et la musique au doux bercement de ses ailes? Émue encor des célestes ave, Dans le soir tiède où le miracle s'est levé, Vous pensez tendrement au monde qui s'endort Et que votre humble parole a sauvé. A genoux près du cercle d'or Où l'Ange s'est évanoui, Votre extase ineffable adore Le dieu qui vient en vous et qui vous éblouit. Or, prodige nouveau, miraculeuse flore, Illuminant le soir d'une clarté d'aurore,














De grands calices blancs soudain viennent d'éclore. Le jardin n'est qu'un champ de lys immaculés... Vous vous levez de votre extase et vous allez, Fragile et douce, avec votre neuve auréole; Vous glissez comme une musique sur le sol. Anémone du Ciel et lys de Galilée... Tandis qu'à pas de songe vous allez, Contemplant le royal et merveilleux symbole, Les calices immaculés Sèment en nuage étoile Un pollen d'or autour de votre gloire ailée. Votre pensée leur sourit et s'envole Vers le Fils qui louera aux tendres paraboles L'anémone candide et son regard penchant, Le doux Sauveur qui aimera le Lys des champs Et les glorifiera d'une de ses Paroles.















MARIE NOËL (1883-1967)





« La plus grande ce n'est pas moi, c'est Marie Noël r, déclarait un jour la comtesse de Noailles... D'un talent tellement original dans sa simplicité, Marie Noël s'est en effet imposée, sans le chercher, à notre génération en apparence bien éloignée de la poésie. « Imaginez, disait Bremond, une sorte d'humour céleste, de gaminerie angéli-que... » De fait, il y a bien cette curieuse et charmante espièglerie dans le fameux recueil Des chansons et des heures qui, du jour au lendemain a révélé Marie Noël. Fille d'un professeur agrégé de philosophie, elle est née en 1883 à Auxerre et n'en a pas bougé. On oserait presque dire d'elle, qu'elle a choisi la « petite voie d'enfance r, non point spirituelle mais poétique et que cette voie l'a menée tout droit à la « perfection » .. Physiquement aussi et humainement elle est effacée, discrète et cependant remarquable comme ses poèmes. Ainsi l'a décrite excel­lemment Dussane : « C'est une menue silhouette aux cheveux gris qui se hâte de l'église à l'école, de l'école chez le pauvre, et du pauvre chez elle, où elle travaillera pour lui, pour l'école et pour l'église. Elle glissera près de vousje dirai presque au-dessous de vous, car elle est de petite taillesans que vous la remarquiez. Mais si vous l'arrêtez pour lui demander votre chemin au crépuscule,














dans les ombres que font les réverbères des rues tor­tueuses, elle lèvera timidement vers vous deux yeux immenses qui semblent avoir capté les dernières lueurs du ciel. » « Capter les lueurs du Ciel r, dans ses poèmes à la Vierge en particulier, Marie Noël semble bien y avoir réussi...














BERCEUSE DE LA MÈRE DIEU





Mon Dieu qui dormez, faible entre mes bras, Mon enfant tout chaud sur mon cœur qui bat, J'adore en mes mains et berce, étonnée, La merveille, ô Dieu, que m'avez donnée. De fils ô mon Dieu, je n'en avais pas. Vierge que je suis, en cet humble état Quelle joie en fleur de moi serait née? Mais vous, Tout-Puissant me l'avez donnée. Que rendrai-je à Vous, moi sur qui tomba Votre grâce? O Dieu, je souris tout bas, Car j'avais aussi, petite et bornée, J'avais une grâce et Vous l'ai donnée. De bouche, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas Pour parler aux gens perdus d'ici-bas... Ta bouche de lait vers mon sein tournée, O mon Fils, c'est moi qui te l'ai donnée. De main, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las... Ta main, bouton clos, rose encor gênée, O mon Fils, c'est moi qui te l'ai donnée.














De chair, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas Pour rompre avec eux le pain du repas... Ta chair au printemps de moi façonnée, O mon Fils, c'est moi qui te l'ai donnée. De mort, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas Pour sauver le monde... O douleur, là-bas, Ta mort d'homme, un soir, noire, abandonnée, Mon petit, c'est moi qui te l'ai donnée.















CHANT DE LA VIERGE MARIE





Marie : Je me hâte, je prépare Car nous entrons en Avent, Je me hâte, je prépare, Le trousseau de mon enfant. Joseph a taillé du hêtre Pour sa couchette de bois. Les Anges : Les Juifs tailleront du hêtre Pour lui dresser une croix. Marie : J'ai fait de beaux points d'épine sur son bonnet rond... Les Anges : Nous avons tressé l'épine En couronne pour son front. Marie : J'ai là des drapeaux de toile Pour l'emmailloter au sec.





Les Anges : Nous avons du drap de toile Pour l'ensevelir avec.





Marie : Un manteau de laine rouge Pour qu'il ait bien chaud dehors.














Les Anges : Une robe de sang rouge Pour lui couvrir tout le corps. Marie : Pour ses mains, ses pieds si tendres, Des gants, des petits chaussons. Les Anges : Pour ses mains, ses pieds si tendres, Quatre clous, quatre poinçons. Marie : La plus douce des éponges Pour laver son corps si pur. Les Anges : La plus dure des éponges Pour l'abreuver de vin sur... Marie : Et pour lui donner à boire Le lait tiède de mon sein. Les Anges : Et pour lui donner à boire Le fiel prêt pour l'assassin. Marie : Au bout de l'Avent nous sommes, Tout est prêt, il peut venir... Les Anges : Tout est prêt, tu peux venir, O Jésus, sauver les hommes.















ANNONCIATION





La Vierge Marie est dans sa maison. Son petit jardin par la porte ouverte Respire. Une abeille entre. La saison Qui vient de très loin n'est pas encor verte... Un frisson le long du petit jardin A couru... Qui vient? La feuille nouvelle? Qui passe?... Un oiseau sort du ciel. Soudain La graine des champs les sent partir d'elle. Le vent sur le toit vient de rencontrer Dessus un oiseau que l'azur apporte. Qui vole?... Le ciel a poussé la porte, La porte a chanté, un Ange est entré. Un Ange a parlé tout bas dans la chambre. Toi seule, ô Marie, entends ce qu'il dit, Toi seule dans l'ombre et le Paradis. Il a semé Dieu tout grand dans tes membres. Je ne l'ai pas vu. Mais en s'en allant, — J'étais sur le pas ému de la porte — Il a laissé choir dans mon cœur tremblant Un grain murmurant du Verbe qu'il porte.














Il a fait tomber à la place en moi La plus ignorée et la plus profonde Un mot où palpite on ne sait pas quoi, Un mot dans mon sein pour le mettre au monde. Ah! comment un mot sortira-t-il bien De moi que voilà qui suis peu savante? Mais le Saint-Esprit — je suis sa servante — S'il veut qu'il me naisse y mettra du sien... La Vierge Marie est dans son bonheur. La Vierge Marie est là qui se noie Dans le miel de Dieu. L'épine est en fleur Autour du jardin, autour de ma joie. Il y a dans toi, Vierge, un petit Roi, Ton petit enfant, un Dieu! Trois ensemble! Et nul ne s'en doute. Il y a dans moi Un petit oiseau dont le duvet tremble. Un oiseau secret qui bat, étourdi, Dans le creux où j'ai l'âme la plus douce, Et déjà j'entends son aile qui pousse... Midi! le repas! Rien n'est prêt... Midi! Joseph va rentrer et ma mère crie Où mets-tu le bois? Je souffle le feu. — L'ange aurait bien dû nous aider un peu — Voici l'eau, le pain... Hâtons-nous, Marie!














MAGNIFICAT





La vieille Elisabeth sur sa porte fleurie File, écoutant des yeux les pas lointains du soir... Voici par le sentier sa cousine Marie, Celle de Nazareth, qui monte pour la voir. Voici venir Marie avec sa grand'nouvelle : Ce qui l'autre semaine est en elle arrivé... Elisabeth la voit et court au-devant d'elle Laissant rouler au vent son fil inachevé. Dieu sait ce qu'elles ont toutes les deux ensemble De pressant à se dire! Et pourtant l'entretien Leur manque tout à coup, la joie en elles tremble, Leurs mots se sont perdus, elles ne disent rien. Chacune va cherchant en elle une assurance Avant de confier à l'autre sans délai, Tout haut, cette espérance au-dessus d'espérance. Est-ce bien vrai?... Mon Dieu! si ce n'était pas vrai! Mais soudain le miracle a bougé dans leur âme, Dans leurs corps! Le silence autour a chancelé! Elle, la jeune fille, elle, la vieille femme, Tressaillent : leurs petits entre eux se sont parlé.














C'est impossible, ô Dieu! C'est une rêverie... Impossible! Et pourtant plus vrai que tout, plus vrai Que le soleil qu'on voit. Et le cœur de Marie En a chanté comme un buisson au mois de mai. Elle part, elle monte, elle a pris sa volée, Elle monte et sans route arrive aux pieds de Dieu. Elle chante, à jamais hors de terre en allée, Elle chante, perdue au plus haut du ciel bleu Et ne sachant plus rien, réalité, chimère, Mensonge, vérité, raison ou déraison, Sauf que son Dieu peut tout et qu'elle sera mère...





Mais voici Zacharie au seuil de la maison.















GUY CHASTEL (1883-1962)





A7é à Saint-Étienne le 5 août 1883, Guy Chastel fait des études secondaires chez les Jésuites, du droit à Lyon et les « Sciences politiques » à Paris. Il publie d'abord un recueil de poèmes Dans le silence des rêves puis Vigiles et La Pomme d'or. Paraissent aussi quelques romans : Les Pierres vives et L'Enfant de lumière... L'art de Guy Chastel est particulièrement émouvant par la simplicité et l'impression de bonté qui s'en dégage comme tout naturellement. D'une exquise sensibilité, Guy Chas­tel a chanté son pays du Forez avec des accents de joie projonde et calme. Le poème Humble et si belle Notre-Dame a ce charme en même temps qu'il exprime l'amour tranquille et confiant du chrétien envers sa Mère du Ciel.














HUMBLE ET SI BELLE NOTRE-DAME





Humble et si belle Notre-Dame, Au vieux village Saint-Jean, Priez, priez pour qu'à notre âme Votre Jésus soit indulgent! Priez, Notre-Dame-sous-Terre! Il fait nuit au fond de nos cœurs, Mais si la crypte a son mystère, Qu'elle ait son bouquet de lueurs! Priez qu'une foi simple et bonne Au Père, au Fils et à l'Esprit, Soit la fleur large qui fleuronne Vos colonnettes de granit! Notre-Dame voilée et seule, Toute blanche au caveau profond, Vous restez notre bonne aïeule Et vous gardez la bonne fonts. Nous vous cherchons dans la retraite Où dort la paix d'un demi-jour : Plus votre ombre nous est secrète, Plus le cœur est près de l'amour!














Nous ne savons rien que nous taire, Mais vous nous voyez si petits Que votre manteau de lumière Nous tiendrait tous entre ses plis. La vie est détournée et vaine : Faites que parfois nos chemins Passent par votre beau domaine De pâturage et de pins! Nous sommes Foréziens de race, Des vieux monts et du plat pays; Notre-Dame, faites-nous grâce Et nous gardez à votre Fils!




HENRIETTE CHARASSON (1884-1972)

Havraise d'origine, mariée et mère de famille, Henriette Charasson semble avoir réalisé dans sa propre vie les vers de Verlaine : La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour... Henriette Charasson sait découvrir, en effet, dans les choses les plus simples une exquise poésie et faire partager aux autres les joies profondes de celte découverte : Tout m'est joie, le fruit, le soleil, la verdure, l'eau bril­lante qui court, Le vers harmonieux, le livre ému, le rond doré de l'abat- [jour, Le bébé inconnu qui rit, et dans le ciel incomparable [un lent nuage qui glisse... Elle a publié plusieurs recueils de poèmes remarqués et couronnés par l'Académie française : Attente, Les Heures du foyer, Sur la plus haute branche. Toufours se retrouve cette sensibilité fine et prenante qui caractérise Henriette Charasson. La Ballade à Marie pourrait servir de prière du soir à toutes les maîtresses de maison et jeunes mamans coulumières des « besognes vulgaires r, en butte parfois « aux absurdes chamaillis » ..















Anthologie poésie mariale - PRIÈRE DE DEMANDE