Amoris laetitia FR


EXHORTATION APOSTOLIQUE

POST-SYNODALE

AMORIS LAETITIA

DU SAINT-PÈRE

FRANÇOIS

AUX ÉVÊQUES

AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES

AUX PERSONNES CONSACRÉES

AUX ÉPOUX CHRÉTIENS

ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS

SUR L’AMOUR DANS LA FAMILLE



1 La joie de l’amour qui est vécue dans les familles est aussi la joie de l’Église. Comme l’ont indiqué les Pères synodaux, malgré les nombreux signes de crise du mariage, « le désir de famille reste vif, spécialement chez les jeunes, et motive l’Église ».[1] Comme réponse à cette aspiration, « l’annonce chrétienne qui concerne la famille est vraiment une bonne nouvelle ».[2]

[1] IIIe Assemblée Générale Extraordinaire du Synode des Évêques, Relatio Synodi, 18 octobre 2014, n. 2.
[2] XIVe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques, Relatio finalis, 24 octobre 2015, n. 3.

2 Le parcours synodal a permis d’exposer la situation des familles dans le monde actuel, d’élargir notre regard et de raviver notre conscience de l’importance du mariage ainsi que de la famille. En même temps, la complexité des thèmes abordés nous a montré la nécessité de continuer à approfondir librement certaines questions doctrinales, morales, spirituelles et pastorales. La réflexion des pasteurs et des théologiens, si elle est fidèle à l’Église, si elle est honnête, réaliste et créative, nous aidera à trouver davantage de clarté. Les débats qui se déroulent dans les moyens de communication ou bien dans les publications et même entre les ministres de l’Église, vont d’un désir effréné de tout changer sans une réflexion suffisante ou sans fondement, à la prétention de tout résoudre en appliquant des normes générales ou bien en tirant des conclusions excessives à partir de certaines réflexions théologiques.


3 En rappelant que « le temps est supérieur à l’espace », je voudrais réaffirmer que tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles. Bien entendu, dans l’Église une unité de doctrine et de praxis est nécessaire, mais cela n’empêche pas que subsistent différentes interprétations de certains aspects de la doctrine ou certaines conclusions qui en dérivent. Il en sera ainsi jusqu’à ce que l’Esprit nous conduise à vérité entière (cf. Jn 16,13), c’est-à-dire, lorsqu’il nous introduira parfaitement dans le mystère du Christ et que nous pourrons tout voir à travers son regard. En outre, dans chaque pays ou région, peuvent être cherchées des solutions plus inculturées, attentives aux traditions et aux défis locaux. Car « les cultures sont très diverses entre elles et chaque principe général […] a besoin d’être inculturé, s’il veut être observé et appliqué ».[3]

[3] Discours à l’occasion de la conclusion de la XIVe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques (24 octobre 2015),L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 29 octobre 2015, pp. 8-9 ; cf. Commission Biblique Pontificale, Foi et culture à la lumière de la Bible. Actes de la Session plénière 1979 de la Commission Biblique Pontificale, Turin (1981) ; Conc. OEcuménique Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, GS 44 ; Jean-Paul II, Lettre enc. Redemptoris missio (7 décembre 1990), RMi 52 : AAS 83 (1991), p. 300 ; Exhort. Ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), nn. 69.117 : AAS 105 (2013), pp. 1049.1068-69.

4 De toute manière, je dois dire que le parcours synodal a été d’une grande beauté et a offert beaucoup de lumière. Je remercie pour tous les apports qui m’ont aidé à contempler les problèmes des familles du monde dans toute leur ampleur. L’ensemble des interventions des Pères, que j’ai écouté avec une constante attention, m’a paru un magnifique polyèdre, constitué de nombreuses préoccupations légitimes ainsi que de questions honnêtes et sincères. Pour cela, j’ai retenu opportun de rédiger une Exhortation Apostolique post-synodale pour recueillir les apports des deux Synodes récents sur la famille, en intégrant d’autres considérations qui pourront orienter la réflexion, le dialogue ou bien la praxis pastorale, et qui offriront à la fois encouragement, stimulation et aide aux familles dans leur engagement ainsi que dans leurs difficultés.


5 Cette Exhortation acquiert un sens spécial dans le contexte de cette Année Jubilaire de la Miséricorde. En premier lieu, parce que je la considère comme une proposition aux familles chrétiennes, qui les stimule à valoriser les dons du mariage et de la famille, et à garder un amour fort et nourri de valeurs, telles que la générosité, l’engagement, la fidélité ou la patience. En second lieu, parce qu’elle vise à encourager chacun à être un signe de miséricorde et de proximité là où la vie familiale ne se réalise pas parfaitement ou ne se déroule pas dans la paix et la joie.


6 Dans le développement du texte, je commencerai par une ouverture inspirée par les Saintes Écritures, qui donne un ton approprié. De là, je prendrai en considération la situation actuelle des familles en vue de garder les pieds sur terre. Ensuite, je rappellerai certains éléments fondamentaux de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille, pour élaborer ainsi les deux chapitres centraux, consacrés à l’amour. Pour continuer, je mettrai en exergue certains parcours pastoraux qui nous orientent pour la construction de foyers solides et féconds selon le plan de Dieu, et je consacrerai un chapitre à l’éducation des enfants. Après, je m’arrêterai sur une invitation à la miséricorde et au discernement pastoral face à des situations qui ne répondent pas pleinement à ce que le Seigneur nous propose, et enfin je tracerai de brèves lignes de spiritualité familiale.


7 Vu la richesse apportée au parcours synodal par les deux années de réflexion, cette Exhortation aborde, de différentes manières, des thèmes nombreux et variés. Cela explique son inévitable longueur. C’est pourquoi, je ne recommande pas une lecture générale hâtive. Elle sera plus bénéfique, tant pour les familles que pour les agents de pastorale familiale, s’ils l’approfondissent avec patience, morceau par morceau, ou s’ils cherchent en elle ce dont ils peuvent avoir besoin dans chaque circonstance concrète. Il est probable, par exemple, que les couples s’identifient plus avec les chapitres quatre et cinq, que les agents pastoraux soient intéressés surtout par le chapitre six, et que tous se sentent interpellés par le chapitre huit. J’espère que chacun, à travers la lecture, se sentira appelé à prendre soin avec amour de la vie des familles, car elles « ne sont pas un problème, elles sont d’abord une opportunité ».[4]

[4] Discours à l’occasion de la rencontre avec les familles de Santiago de Cuba (22 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 24 septembre 2015, pp. 14-15.


PREMIER CHAPITRE

À LA LUMIÈRE DE LA PAROLE

8 La Bible abonde en familles, en générations, en histoires d’amour et en crises familiales, depuis la première page où entre en scène la famille d’Adam et d’Ève, avec leur cortège de violence mais aussi avec la force de la vie qui continue (cf. Gn 4), jusqu’à la dernière page où apparaissent les noces de l’Épouse et de l’Agneau (Ap 21,2 Ap 21,9). Les deux maisons que Jésus décrit, construites sur le roc ou sur le sable (cf. Mt 7,24-27), sont une expression symbolique de bien des situations familiales, créées par la liberté de leurs membres, car, comme l’écrivait le poète : « toute maison est un chandelier ».[5] Entrons à présent dans l’une de ces maisons, guidés par le psalmiste, à travers un chant qu’on proclame aujourd’hui encore aussi bien dans la liturgie nuptiale juive que dans la liturgie chrétienne :

« Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur
et marchent dans ses voies !
Du labeur de tes mains tu te nourriras,
heureux es-tu ! À toi le bonheur pour toi !
Ton épouse : une vigne fructueuse
au coeur de ta maison.
Tes fils : des plants d'olivier
à l'entour de la table.
Voilà de quels biens sera béni
l'homme qui craint le Seigneur.
Que le Seigneur te bénisse de Sion !
Puisses-tu voir Jérusalem
dans le bonheur tous les jours de ta vie,
et voir les fils de tes fils !
Paix sur Israël ! » (Ps 128,1-6).


Toi et ton épouse

9 Franchissons donc le seuil de cette maison sereine, avec sa famille assise autour de la table de fête. Au centre, nous trouvons, en couple, le père et la mère, avec toute leur histoire d’amour. En eux se réalise ce dessein fondamental que le Christ même évoque avec force : « N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme ? » (Mt 19,4). Et il reprend le mandat de la Genèse : « C’est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2,24).


10 Les deux grandioses premiers chapitres de la Genèse nous offrent l’image du couple humain dans sa réalité fondamentale. Dans ce texte initial de la Bible, brillent certaines affirmations décisives. La première, citée de façon synthétique par Jésus, déclare : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). De manière surprenante, l’‘‘image de Dieu’’ tient lieu de parallèle explicatif précisément au couple ‘‘homme et femme’’. Cela signifie-t-il que Dieu est lui-même sexué ou qu’il a une compagne divine, comme le croyaient certaines religions antiques ? Évidemment non, car nous savons avec quelle clarté la Bible a rejeté comme idolâtres ces croyances répandues parmi les Cananéens de la Terre Sainte. La transcendance de Dieu est préservée, mais, puisqu’il est en même temps le Créateur, la fécondité du couple humain est l’‘‘image’’ vivante et efficace, un signe visible de l’acteur créateur.


11 Le couple qui aime et procrée est la vraie ‘‘sculpture’’ vivante (non pas celle de pierre ou d’or que le Décalogue interdit), capable de manifester le Dieu créateur et sauveur. C’est pourquoi, l’amour fécond arrive à être le symbole des réalités intimes de Dieu (cf. Gn 1,28 Gn 9,7 Gn 17,2-5 Gn 17,16 Gn 28,3 Gn 35,11 Gn 48,3-5). C’est ce qui justifie que le récit de la Genèse, en suivant ce qui est appelé la ‘‘ tradition sacerdotale’’, soit traversé par diverses séquences généalogiques (cf. Gn 4,17-22 Gn 4,25-26 Gn 5 Gn 10 Gn 11,10-32 Gn 25,1-4 Gn 25,12-17 Gn 25,19-26 Gn 36) : car la capacité du couple humain à procréer est le chemin par lequel passe l’histoire du salut. Sous ce jour, la relation féconde du couple devient une image pour découvrir et décrire le mystère de Dieu, fondamental dans la vision chrétienne de la Trinité qui, en Dieu, contemple le Père, le Fils et l’Esprit d’amour. Le Dieu Trinité est communion d’amour, et la famille est son reflet vivant. Les paroles de saint Jean-Paul II nous éclairent : « Notre Dieu, dans son mystère le plus intime, n’est pas une solitude, mais une famille, puisqu’il porte en lui-même la paternité, la filiation et l’essence de la famille qu’est l’amour. Cet amour, dans la famille divine, est l’Esprit-Saint. ».[6] La famille, en effet, n’est pas étrangère à l’essence divine même.[7] Cet aspect trinitaire du couple trouve une nouvelle image dans la théologie paulinienne lorsque l’Apôtre la met en relation avec le ‘‘mystère’’ de l’union entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5,21-33).

[5] Jorge Luis Borges, “Calle desconocida”, dans Fervor de Buenos Aires, Buenos Aires 2011, p. 23.
[6] Homélie à l’occasion de l’Eucharistie célébrée à Puebla de los Ángeles (28 janvier 1979) : AAS 71 (1979), p. 184.
[7] Cf. Ibid.

12 Mais Jésus, dans sa réflexion sur le mariage, nous renvoie à une autre page de la Genèse, le chapitre 2, où apparaît un admirable portrait du couple avec des détails lumineux. Choisissons-en seulement deux. Le premier est l’inquiétude de l’homme qui cherche « une aide qui lui soit assortie » (Gn 2,18 Gn 2,20), capable de combler cette solitude qui le perturbe et qui n’est pas comblée par la proximité des animaux et de toute la création. L’expression originelle en hébreu nous renvoie à une relation directe, presque ‘‘frontale’’ – les yeux dans les yeux – dans un dialogue également silencieux, car dans l’amour les silences sont d’habitude plus éloquents que les paroles. C’est la rencontre avec un visage, un ‘‘tu’’ qui reflète l’amour divin et est « le principe de la fortune, une aide semblable à l’homme, une colonne d'appui », comme dit un sage de la Bible (Si 36,24). Ou bien comme s’exclamera la femme du Cantique des Cantiques dans une merveilleuse profession d’amour et de don réciproque : « Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui […]. Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi ! » (Ct 2,16 Ct 6,3).


13 De cette rencontre qui remédie à la solitude, surgissent la procréation et la famille. Voici le second détail que nous pouvons souligner : Adam, qui est aussi l’homme de tous les temps et de toutes les régions de notre planète, avec sa femme, donne naissance à une nouvelle famille, comme le répète Jésus en citant la Genèse : « Il quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair » (Mt 19,5 cf. Gn 2,24). Le verbe ‘‘s’attacher’’ dans le texte original hébreu indique une étroite syntonie, une attachement physique et intérieur, à tel point qu’on l’utilise pour décrire l’union avec Dieu : « Mon âme s’attache à toi » chante l’orant (Ps 63,9). L’union matrimoniale est ainsi évoquée non seulement dans sa dimension sexuelle et corporelle mais aussi en tant que don volontaire d’amour. L’objectif de cette union est ‘‘de parvenir à être une seule chair’’, soit par l’étreinte physique, soit par l’union des coeurs et des vies et, peut-être, à travers l’enfant qui naîtra des deux et portera en lui, en unissant, non seulement génétiquement mais aussi spirituellement, les deux ‘‘chairs’’.


Tes fils comme des plants d’oliviers


14 Reprenons le chant du psalmiste. En ce chant apparaissent, dans la maison où l’homme et son épouse sont assis à table, les enfants qui les accompagnent comme « des plants d’olivier » (Ps 128,3), c’est-à-dire pleins d’énergie et de vitalité. Si les parents sont comme les fondements de la maison, les enfants sont comme les ‘‘pierres vivantes’’ de la famille (cf. 1P 2,5). Il est significatif que dans l’Ancien Testament le mot le plus utilisé après le mot divin (YHWH, le ‘‘Seigneur’’) soit ‘‘fils’’ (ben), un vocable renvoyant au verbe hébreu qui veut dire ‘‘construire’’ (banah). C’est pourquoi dans le Psaume 127, le don des fils est exalté par des images se référant soit à l’édification d’une maison, soit à la vie sociale et commerciale qui se développait aux portes de la ville : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs […]. C'est l'héritage du Seigneur que des fils, récompense, que le fruit des entrailles ; comme flèches en la main du héros, ainsi les fils de la jeunesse. Heureux l'homme, celui-là qui en a rempli son carquois ; point de honte pour eux, quand ils débattent à la porte, avec leurs ennemis » (Ps 128,1 Ps 128,3-5). Certes, ces images reflètent la culture d’une société antique, mais la présence d’enfants est, de toute manière, un signe de plénitude de la famille, dans la continuité de la même histoire du salut, de génération en génération.


15 Sous ce jour, nous pouvons présenter une autre dimension de la famille. Nous savons que dans le Nouveau Testament on parle de ‘‘l’Église qui se réunit à la maison’’ (cf. 1Co 16,19 Rm 16,5 Col 4,15 Phm 2). Le milieu vital d’une famille pouvait être transformé en Église domestique, en siège de l’Eucharistie, de la présence du Christ assis à la même table. La scène brossée dans l’Apocalypse est inoubliable : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3,20). Ainsi se définit une maison qui à l’intérieur jouit de la présence de Dieu, de la prière commune et, par conséquent, de la bénédiction du Seigneur. C’est ce qui est affirmé le Psaume 128 que nous prenons comme base : « Voilà de quels biens sera béni l'homme qui craint le Seigneur. Que le Seigneur te bénisse de Sion ! » (Ps 128,4-5a).


16 La Bible considère la famille aussi comme le lieu de la catéchèse des enfants. Cela est illustré dans la description de la célébration pascale (cf. Ex 12,26-27 Dt 6,20-25), et a été ensuite explicité dans la haggadah juive, c’est-à-dire dans le récit sous forme de dialogue qui accompagne le rite du repas pascal. Mieux, un Psaume exalte l’annonce en famille de la foi : « Nous l'avons entendu et connu, nos pères nous l'ont raconté ; nous ne le tairons pas à leurs enfants, nous le raconterons à la génération qui vient : les titres du Seigneur et sa puissance, ses merveilles telles qu'il les fit ; il établit un témoignage en Jacob, il mit une loi en Israël ; il avait commandé à nos pères de le faire connaître à leurs enfants, que la génération qui vient le connaisse, les enfants qui viendront à naître. Qu'ils se lèvent, qu'ils racontent à leurs enfants » (Ps 78,3-6). Par conséquent, la famille est le lieu où les parents deviennent les premiers maîtres de la foi pour leurs enfants. C’est une oeuvre artisanale, personnalisée : « Lorsque ton fils te demandera demain […] tu lui diras… » (Ex 13,14). Ainsi, les diverses générations chanteront au Seigneur, « jeunes hommes, aussi les vierges, les vieillards avec les enfants » (Ps 148,12).


17 Les parents ont le devoir d’accomplir avec sérieux leur mission éducative, comme l’enseignent souvent les sages de la Bible (cf. Pr 3,11-12 Pr 6,20-22 Pr 13,1 Pr 22,15 Pr 23,13-14 Pr 29,17). Les enfants sont appelés à recueillir et à pratiquer le commandement : « honore ton père et ta mère » (Ex 20,12), dans lequel le verbe ‘‘honorer’’ indique l’accomplissement des engagements familiaux et sociaux dans leur plénitude, sans les négliger en recourant à des excuses religieuses (cf. Mc 7,11-13). De fait, « celui qui honore son père expie ses fautes, celui qui glorifie sa mère est comme quelqu'un qui amasse un trésor » (Si 3,3-4).


18 L’Évangile nous rappelle également que les enfants ne sont pas une propriété de la famille, mais qu’ils ont devant eux leur propre chemin de vie. S’il est vrai que Jésus se présente comme modèle d’obéissance à ses parents terrestres, en se soumettant à eux (cf. Lc 2,51), il est aussi vrai qu’il montre que le choix de vie en tant que fils et la vocation chrétienne personnelle elle-même peuvent exiger une séparation pour réaliser le don de soi au Royaume de Dieu (cf. Mt 10,34-37 Lc 9,59-62). Qui plus est, lui-même, à douze ans, répond à Marie et à Joseph qu’il a une autre mission plus importante à accomplir hors de sa famille historique (cf. Lc 2,48-50). Voilà pourquoi il exalte la nécessité d’autres liens très profonds également dans les relations familiales : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8,21). D’autre part, dans l’attention qu’il accorde aux enfants – considérés dans la société de l’antique Proche Orient comme des sujets sans droits particuliers, voire comme objets de possession familiale – Jésus va jusqu’à les présenter aux adultes presque comme des maîtres, pour leur confiance simple et spontanée face aux autres : « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l'état des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux » (Mt 18,3-4).


Un chemin de souffrance et de sang

19 L’idylle exprimée dans le Psaume 128 ne nie pas une réalité amère marquant toutes les Saintes Écritures. C’est la présence de la douleur, du mal, de la violence qui brise la vie de la famille et son intime communion de vie et d’amour. Ce n’est pas pour rien que l’enseignement du Christ sur le mariage (cf. Mt 19,3-9) est inséré dans une discussion sur le divorce. La Parole de Dieu est témoin constant de cette dimension obscure qui se manifeste déjà dès les débuts lorsque, par le péché, la relation d’amour et de pureté entre l’homme et la femme se transforme en une domination : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi » (Gn 3,16).


20 C’est un chemin de souffrance et de sang qui traverse de nombreuses pages de la Bible, à partir de la violence fratricide de Caïn sur Abel et de divers conflits entre les enfants et entre les épouses des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, arrivant ensuite aux tragédies qui souillent de sang la famille de David, jusqu’aux multiples difficultés familiales qui jalonnent le récit de Tobie ou l’amère confession de Job abandonné : « Mes frères, il les a écartés de moi, mes relations s'appliquent à m'éviter […]. Mon haleine répugne à ma femme, ma puanteur à mes propres frères » (Jb 19,13 Jb 19,17).


21 Jésus lui-même naît dans une famille modeste qui bientôt doit fuir vers une terre étrangère. Il entre dans la maison de Pierre où la belle-mère de celui-ci est malade (cf. Mc 1,30-31) ; il se laisse impliquer dans le drame de la mort dans la maison de Jaïre ou chez Lazare (cf. Mc 5,22-24 Mc 5,35-43 Jn 11,1-44) ; il écoute le cri désespéré de la veuve de Naïn face à son fils mort (cf. Lc 7,11-15) ; il écoute la clameur du père de l’épileptique dans un petit village, en campagne (cf. Mc 9,17-27). Il rencontre des publicains comme Matthieu ou Zachée dans leurs propres maisons (Mt 9,9-13 Lc 19,1-10), ainsi que des pécheresses comme la femme qui a fait irruption dans la maison du pharisien (cf. Lc 7,36-50) . Il connaît les angoisses et les tensions des familles qu’il introduit dans ses paraboles : des enfants qui abandonnent leurs maisons pour tenter une aventure (cf. Lc 15,11-32) jusqu’aux enfants difficiles, aux comportements inexplicables (cf. Mt 21,28-31) ou victimes de la violence (cf. Mc 12,1-9). Et il s’intéresse même aux noces qui courent le risque d’être honteuses par manque de vin (cf. Jn 2,1-10) ou par l’absence des invités (cf. Mt 22,1-10), tout comme il connaît le cauchemar à cause de la perte d’une pièce d’argent dans une famille (cf. Lc 15,8-10).


22 Dans ce bref aperçu, nous pouvons constater que la Parole de Dieu ne se révèle pas comme une séquence de thèses abstraites, mais comme une compagne de voyage, y compris pour les familles qui sont en crise ou sont confrontées à une souffrance ou à une autre, et leur montre le but du chemin, lorsque Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n'y en aura plus; de pleur, de cri et de peine » (Ap 21,4).


Le labeur de tes mains

23 Au commencement du Psaume 128, le père est présenté comme un travailleur, qui par l’oeuvre de ses mains peut assurer le bien-être physique et la sérénité de sa famille : « Du labeur de tes mains tu te nourriras, heureux es-tu. À toi le bonheur ! » (Ps 128,2). Que le travail soit une partie fondamentale de la dignité de la vie humaine se déduit des premières pages de la Bible, lorsqu’il est déclaré que « l'homme a été établi dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2,15). C’est l’image du travailleur qui transforme la matière et tire profit des énergies de la création, produisant « le pain des douleurs » (Ps 127,2), tout en se cultivant lui-même.


24 Le travail permet à la fois le développement de la société, l’entretien de la famille ainsi que sa stabilité et sa fécondité : « Puisses-tu voir Jérusalem dans le bonheur tous les jours de ta vie, et voir les fils de tes fils ! » (Ps 128,5-6). Dans le livre des Proverbes, est également présentée la tâche de la mère de famille, dont le travail est décrit dans ses détails quotidiens, suscitant l’éloge de l’époux et des enfants (cf. Pr 31,10-31). L’apôtre Paul lui-même se montre fier d’avoir vécu sans être un poids pour les autres, car il a travaillé de ses propres mains et a pourvu ainsi à sa subsistance (cf. Ac 18,3 1Co 4,12 1Co 9,12). Il était si convaincu de la nécessité du travail qu’il a établi comme loi d’airain pour ses communautés : « Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus » (2Th 3,10 cf. 1Th 4,11).


25 Cela étant dit, on comprend que le chômage et la précarité du travail deviennent une souffrance, comme c’est le cas dans le livre de Ruth et comme le rappelle Jésus dans la parabole des travailleurs assis, dans une oisiveté forcée, sur la place publique (cf. Mt 20,1-16), ou comme il l’expérimente dans le fait même d’être souvent entouré de nécessiteux et d’affamés. C’est ce que la société vit tragiquement dans beaucoup de pays, et ce manque de sources de travail affecte de diverses manières la sérénité des familles.


26 Nous ne pouvons pas non plus oublier la dégénération que le péché introduit dans la société, lorsque l’être humain se comporte comme tyran face à la nature, en la détruisant, en l’utilisant de manière égoïste, voire brutale. Les conséquences sont à la fois la désertification du sol (cf. Gn 3,17-19) et les déséquilibres économiques ainsi que sociaux, contre lesquels s’élève clairement la voix des prophètes, depuis Élie (cf. 1R 21) jusqu’aux paroles que Jésus lui-même prononce contre l’injustice (cf. Lc 12,13-21 Lc 16,1-31).


La tendresse de l’accolade

27 Le Christ a introduit par-dessus tout comme signe distinctif de ses disciples la loi de l’amour et du don de soi aux autres (cf. Mt 22,39 Jn 13,34), et il l’a fait à travers un principe dont un père ou une mère témoignent habituellement par leur propre existence : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). La miséricorde et le pardon sont aussi fruit de l’amour. À cet égard, est emblématique la scène qui montre une femme adultère sur l’esplanade du temple de Jérusalem, entourée de ses accusateurs, et ensuite seule avec Jésus qui ne la condamne pas mais l’invite à une vie plus digne (cf. Jn 8,1-11).


28 Dans la perspective de l’amour, central dans l’expérience chrétienne du mariage et de la famille, une autre vertu se démarque également, quelque peu ignorée en ces temps de relations frénétiques et superficielles : la tendresse. Recourons au doux et savoureux Psaume 131. Comme on le constate aussi dans d’autres textes (cf. Ex 4,22 Is 49,15 Ps 27,10), l’union entre le fidèle et son Seigneur est exprimée par des traits de l’amour paternel ou maternel. Ici apparaît la délicate et tendre intimité qui existe entre la mère et son enfant, un nouveau-né qui dort dans les bras de sa mère après avoir été allaité. Il s’agit – comme l’exprime le mot hébreu gamûl – d’un enfant déjà sevré, s’accrochant consciemment à sa mère qui le porte dans ses bras. C’est donc une intimité consciente et non purement biologique. Voilà pourquoi le psalmiste chante : « Je tiens mon âme en paix et silence ; comme un petit enfant contre sa mère » (Ps 131,2). Parallèlement, nous pouvons recourir à une autre scène, où le prophète Osée met dans la bouche de Dieu comme père ces paroles émouvantes : « Quand Israël était jeune, je l'aimai […]. Je lui avais appris à marcher, je le prenais par les bras […]. Je le menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour ; j'étais pour lui comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m'inclinais vers lui et le faisais manger » (Os 11,1 Os 11,3-4).


29 Par ce regard, fait de foi et d’amour, de grâce et d’engagement, de famille humaine et de Trinité divine, nous contemplons la famille que la Parole de Dieu remet entre les mains de l’homme, de la femme et des enfants pour qu’ils forment une communion de personnes, qui soit image de l’union entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. L’activité procréative et éducative est, en retour, un reflet de l’oeuvre du Père. La famille est appelée à partager la prière quotidienne, la lecture de la Parole de Dieu et la communion eucharistique pour faire grandir l’amour et devenir toujours davantage un temple de l’Esprit.


30 À chaque famille est présentée l’icône de la famille de Nazareth, avec sa vie quotidienne faite de fatigues, voire de cauchemars, comme lorsqu’elle a dû subir l’incompréhensible violence d’Hérode, expérience qui se répète tragiquement aujourd’hui encore dans de nombreuses familles de réfugiés rejetés et sans défense. Comme les mages, les familles sont invitées à contempler l’Enfant et la Mère, à se prosterner et à l’adorer (cf. Mt 2,11). Comme Marie, elles sont exhortées à vivre avec courage et sérénité leurs défis familiaux, tristes et enthousiasmants, et à protéger comme à méditer dans leur coeur les merveilles de Dieu (cf. Lc 2,19 Lc 2,51). Dans le trésor du coeur de Marie, il y a également tous les événements de chacune de nos familles, qu’elle garde soigneusement. Voilà pourquoi elle peut nous aider à les interpréter pour reconnaître le message de Dieu dans l’histoire familiale.



DEUXIÈME CHAPITRE

LA RÉALITE ET LES DÉFIS DE LA FAMILLE

31 Le bien de la famille est déterminant pour l’avenir du monde et de l’Église. Les analyses qui ont été faites sur le mariage et la famille, sur leurs difficultés et sur leurs défis actuels sont innombrables. Il convient de prêter attention à la réalité concrète, parce que « les exigences, les appels de l’Esprit se font entendre aussi à travers les événements de l’histoire », à travers lesquels « l’Église peut être amenée à une compréhension plus profonde de l’inépuisable mystère du mariage et de la famille ».[8] Je ne prétends pas présenter ici tout ce qui pourrait être dit sur les divers thèmes liés à la famille dans le contexte actuel. Mais, étant donné que les Pères synodaux ont présenté un panorama de la réalité des familles dans le monde entier, je juge opportun de reprendre quelques-uns de ces apports pastoraux, en ajoutant d’autres préoccupations qui proviennent de mon regard personnel.

[8] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981),
FC 4 : AAS 74 (1982), p. 84.


La situation actuelle de la famille

32 « Fidèles à l’enseignement du Christ, nous regardons la réalité de la famille aujourd’hui dans toute sa complexité, avec ses lumières et ses ombres [...]. Le changement anthropologique et culturel influence aujourd’hui tous les aspects de la vie et requiert une approche analytique et diversifiée ».[9] Dans le contexte d’il y a plusieurs décennies, les évêques d’Espagne reconnaissaient déjà une réalité de la famille pourvue de plus de marge de liberté, « avec une répartition équitable de charges, de responsabilité et de taches […]. En valorisant davantage la communication personnelle entre les époux, on contribue à humaniser toute la cohabitation familiale […]. Ni la société dans laquelle nous vivons, ni celle vers laquelle nous cheminons ne permettent la pérennisation sans discernement de formes et de modèles du passé ».[10] Mais « nous sommes conscients de l’orientation principale des changements anthropologiques et culturels, en raison desquels les individus sont moins soutenus que par le passé par les structures sociales dans leur vie affective et familiale ».[11]

[9] Relatio Synodi 2014, n. 5.
[10] Conférence Épiscopale Espagnole, Matrimonio y familia, (Madrid, 6 juillet 1979), nn. 3.16.23.
[11] Relatio finalis 2015, n. 5.

33 D’autre part, « il faut également considérer le danger croissant que représente un individualisme exaspéré qui dénature les liens familiaux et qui finit par considérer chaque membre de la famille comme une île, en faisant prévaloir, dans certains cas, l’idée d’un sujet qui se construit selon ses propres désirs élevés au rang d’absolu ».[12] « Les tensions induites par une culture individualiste exacerbée, culture de la possession et de la jouissance, engendrent au sein des familles des dynamiques de souffrance et d’agressivité ».[13] Je voudrais ajouter le rythme de vie actuel, le stress, l’organisation sociale et l’organisation du travail, parce qu’ils sont des facteurs culturels qui font peser des risques sur la possibilité de choix permanents. En même temps, nous nous trouvons face à des phénomènes ambigus. Par exemple, on apprécie une personnalisation qui parie sur l’authenticité, au lieu de reproduire des comportements habituels. C’est une valeur qui peut promouvoir les différentes facultés et la spontanéité ; mais, mal orientée, elle peut créer des attitudes de suspicion permanente, de fuite des engagements, d’enfermement dans le confort, d’arrogance. La liberté de choisir permet de projeter sa vie et de cultiver le meilleur de soi-même, mais si elle n’a pas de nobles objectifs ni de discipline personnelle, elle dégénère en une incapacité à se donner généreusement. De fait, dans beaucoup de pays où le nombre de mariages diminue, le nombre de personnes qui décident de vivre seules ou qui ont une vie commune sans cohabiter, augmente. Nous pouvons aussi souligner l’admirable sens de la justice ; mais, mal compris, il transforme les citoyens en clients qui exigent seulement que des services soient assurés.

[12] Relatio Synodi 2014, n. 5.
[13] Relatio finalis 2015, n. 8.

34 Si ces risques en viennent à affecter la conception de la famille, celle-ci peut se transformer en un lieu de passage, auquel on a recours quand cela semble convenir, ou bien où l’on va réclamer des droits, alors que les liens sont livrés à la précarité changeante des désirs et des circonstances. Au fond, il est facile aujourd’hui de confondre la liberté authentique avec l’idée selon laquelle chacun juge comme bon lui semble ; comme si, au-delà des individus il n’y avait pas de vérité, de valeurs ni de principes qui nous orientent, comme si tout était égal, et que n’importe quoi devait être permis. Dans ce contexte, l’idéal du mariage, avec son engagement d’exclusivité et de stabilité, finit par être laminé par des convenances circonstancielles ou par des caprices de la sensibilité. On craint la solitude, on désire un milieu de protection et de fidélité, mais en même temps grandit la crainte d’être piégé dans une relation qui peut retarder la réalisation des aspirations personnelles.


35 En tant que chrétiens nous ne pouvons pas renoncer à proposer le mariage pour ne pas contredire la sensibilité actuelle, pour être à la mode, ou par complexe d’infériorité devant l’effondrement moral et humain. Nous priverions le monde des valeurs que nous pouvons et devons apporter. Certes, rester dans une dénonciation rhétorique des maux actuels, comme si nous pouvions ainsi changer quelque chose, n’a pas de sens. Mais il ne sert à rien non plus d’imposer des normes par la force de l’autorité. Nous devons faire un effort plus responsable et généreux, qui consiste à présenter les raisons et les motivations d’opter pour le mariage et la famille, de manière à ce que les personnes soient mieux disposées à répondre à la grâce que Dieu leur offre.


36 En même temps, nous devons être humbles et réalistes, pour reconnaître que, parfois, notre manière de présenter les convictions chrétiennes, et la manière de traiter les personnes ont contribué à provoquer ce dont nous nous plaignons aujourd’hui. C’est pourquoi il nous faut une salutaire réaction d’autocritique. D’autre part, nous avons souvent présenté le mariage de telle manière que sa fin unitive, l’appel à grandir dans l’amour et l’idéal de soutien mutuel ont été occultés par un accent quasi exclusif sur le devoir de la procréation. Nous n’avons pas non plus bien accompagné les nouveaux mariages dans leurs premières années, avec des propositions adaptées à leurs horaires, à leurs langages, à leurs inquiétudes les plus concrètes. D’autres fois, nous avons présenté un idéal théologique du mariage trop abstrait, presqu’artificiellement construit, loin de la situation concrète et des possibilités effectives des familles réelles. Cette idéalisation excessive, surtout quand nous n’avons pas éveillé la confiance en la grâce, n’a pas rendu le mariage plus désirable et attractif, bien au contraire !


37 Pendant longtemps, nous avons cru qu’en insistant seulement sur des questions doctrinales, bioéthiques et morales, sans encourager l’ouverture à la grâce, nous soutenions déjà suffisamment les familles, consolidions le lien des époux et donnions un sens à leur vie commune. Nous avons du mal à présenter le mariage davantage comme un parcours dynamique de développement et d’épanouissement, que comme un poids à supporter toute la vie. Il nous coûte aussi de laisser de la place à la conscience des fidèles qui souvent répondent de leur mieux à l’Évangile avec leur limites et peuvent exercer leur propre discernement dans des situations où tous les schémas sont battus en brèche. Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles.


38 Nous devons nous féliciter du fait que la plupart des gens valorisent les relations familiales qui aspirent à durer dans le temps et qui assurent le respect de l’autre. C’est pourquoi on apprécie que l’Église offre des espaces d’accompagnement et d’assistance pour les questions liées à la croissance de l’amour, la résolution des conflits ou l’éducation des enfants. Beaucoup apprécient la force de la grâce qu’ils expérimentent dans la Réconciliation sacramentelle et dans l’Eucharistie, qui leur permet de relever les défis du mariage et de la famille. Dans certains pays, spécialement en différentes parties de l’Afrique, la sécularisation n’a pas réussi à affaiblir certaines valeurs traditionnelles, et dans chaque mariage, se réalise une forte union entre deux familles élargies, où l’on garde encore un système bien défini de gestion des conflits et des difficultés. Dans le monde actuel, on apprécie également le témoignage des mariages qui, non seulement ont perduré dans le temps, mais qui continuent aussi à soutenir un projet commun et conservent l’amour. Cela ouvre la porte à une pastorale positive, accueillante, qui rend possible un approfondissement progressif des exigences de l’Évangile. Cependant, nous avons souvent été sur la défensive, et nous dépensons les énergies pastorales en multipliant les attaques contre le monde décadent, avec peu de capacité dynamique pour montrer des chemins de bonheur. Beaucoup ne sentent pas que le message de l’Église sur le mariage et la famille est un reflet clair de la prédication et des attitudes de Jésus, qui, en même temps qu’il proposait un idéal exigeant, ne renonçait jamais à une proximité compatissante avec les personnes fragiles, comme la samaritaine ou la femme adultère.


39 Cela ne signifie pas qu’il faut cesser de prendre en compte la décadence culturelle qui ne promeut pas l’amour et le don de soi. Les consultations préalables aux deux derniers Synodes ont mis en lumière divers symptômes de la ‘‘culture du provisoire’’. Je fais référence, par exemple, à la rapidité avec laquelle les personnes passent d’une relation affective à une autre. Elles croient que l’amour, comme dans les réseaux sociaux, peut se connecter et se déconnecter au gré du consommateur, y compris se bloquer rapidement. Je pense aussi à la peur qu’éveille la perspective d’un engagement stable, à l’obsession du temps libre, aux relations qui calculent les coûts et les bénéfices, et qui se maintiennent seulement si elles sont un moyen de remédier à la solitude, d’avoir une protection, ou de bénéficier de quelque service. Ce qui arrive avec les objets et l’environnement se transfère sur les relations affectives : tout est jetable, chacun utilise et jette, paie et détruit, exploite et presse, tant que cela sert. Ensuite adieu ! Le narcissisme rend les personnes incapables de regarder au-delà d’elles-mêmes, de leurs désirs et de leurs besoins. Mais celui qui utilise les autres finit tôt ou tard par être utilisé, manipulé et abandonné avec la même logique. Il est significatif que les ruptures aient lieu souvent entre des personnes âgées qui cherchent une espèce d’‘‘autonomie’’, et rejettent l’idéal de vieillir ensemble en prenant soin l’un de l’autre et en se soutenant.


40 « Au risque de simplifier à l’extrême, nous pourrions dire que nous vivons dans une culture qui pousse les jeunes à ne pas fonder une famille, parce qu’il n’y a pas de perspectives d’avenir. Par ailleurs la même culture offre à d’autres tant d’options qu’ils sont aussi dissuadés de créer une famille ».[14] Dans certains pays, de nombreux jeunes « sont souvent induits à repousser leur mariage pour des problèmes économiques, de travail ou d’études. Parfois aussi pour d’autres raisons, comme l’influence des idéologies qui dévaluent le mariage et la famille, l’expérience de l’échec d’autres couples qu’ils ne veulent pas risquer de vivre à leur tour, la peur de quelque chose qu’ils considèrent comme trop grand et trop sacré, les opportunités sociales et les avantages économiques qui découlent de la simple cohabitation, une conception purement émotionnelle et romantique de l’amour, la peur de perdre leur liberté et leur autonomie, le refus de quelque chose qui est conçu comme institutionnel et bureaucratique ».[15] Nous devons trouver les mots, les motivations et les témoins qui nous aident à toucher les fibres les plus profondes des jeunes, là où ils sont le plus capables de générosité, d’engagement, d’amour et même d’héroïsme, pour les inviter à accepter avec enthousiasme et courage le défi du mariage.

[14] Discours au Congrès des États-Unis d’Amérique (24 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 1er octobre 2015, p. 12.
[15] Relatio finalis 2015, n. 29.

41 Les Pères synodaux ont fait allusion aux actuelles « tendances culturelles qui semblent imposer une affectivité sans limites […] une affectivité narcissique, instable et changeante qui n’aide pas toujours les sujets à atteindre une plus grande maturité » Ils se sont déclarés préoccupés par « une certaine diffusion de la pornographie et de la commercialisation du corps […], favorisée aussi par un usage incorrect d’internet » et « par la situation des personnes qui sont obligées de s’adonner à la prostitution ». Dans ce contexte, « les couples sont parfois incertains, hésitants et peinent à trouver les moyens de mûrir. Beaucoup sont ceux qui tendent à rester aux stades primaires de la vie émotionnelle et sexuelle. La crise du couple déstabilise la famille et peut provoquer, à travers les séparations et les divorces, de sérieuses conséquences sur les adultes, sur les enfants et sur la société, en affaiblissant l’individu et les liens sociaux ».[16] Les crises du mariage sont « affrontées souvent de façon expéditive, sans avoir le courage de la patience, de la remise en question, du pardon mutuel, de la réconciliation et même du sacrifice. Ces échecs sont ainsi à l’origine de nouvelles relations, de nouveaux couples, de nouvelles unions et de nouveaux mariages, qui créent des situations familiales complexes et problématiques quant au choix de la vie chrétienne ».[17]

[16] Relatio Synodi 2014, n. 10.
[17] IIIe Assemblée Générale Extraordinaire du Synode des Évêques, Message, 18 octobre 2014.

42 « Le déclin démographique, dû à une mentalité antinataliste et encouragé par les politiques mondiales en matière de santé reproductive, entraîne non seulement une situation où le renouvellement des générations n’est plus assuré, mais risque de conduire à terme à un appauvrissement économique et à une perte d’espérance en l’avenir. Le développement des biotechnologies a eu lui aussi un fort impact sur la natalité ».[18] D’autres facteurs peuvent s’y ajouter comme « l’industrialisation, la révolution sexuelle, la crainte de la surpopulation, des problèmes économiques […]. La société de consommation peut aussi dissuader les personnes d’avoir des enfants, simplement pour préserver leur liberté et leur mode de vie ».[19] Il est vrai que la conscience droite des époux, quand ils ont été très généreux dans la communication de la vie, peut les orienter vers la décision de limiter le nombre d’enfants pour des raisons assez sérieuses ; mais aussi, « par amour de cette dignité de la conscience, l’Église rejette de toutes ses forces les interventions coercitives de l’État en faveur de la contraception, de la stérilisation ou même de l’avortement ».[20] Ces mesures sont inacceptables y compris dans des lieux à taux de natalité élevé ; mais il faut noter que les hommes politiques les encouragent aussi dans certains pays qui souffrent du drame d’un taux de natalité très bas. Comme l’ont indiqué les Évêques de Corée, c’est « agir de manière contradictoire en négligeant son propre devoir ».[21]

[18] Relatio Synodi 2014, n. 10.
[19] Relatio finalis 2015, n. 7.
[20] Ibid., n. 63.
[21] Conférence des Évêques Catholiques de Corée, Towards a culture of life ! (15 mars 2007).

43 L’affaiblissement de la foi et de la pratique religieuse dans certaines sociétés affecte les familles et les laisse davantage seules avec leurs difficultés. Les Pères ont affirmé qu’« une des plus grandes pauvretés de la culture actuelle est la solitude, fruit de l’absence de Dieu dans la vie des personnes et de la fragilité des relations. Il existe aussi une sensation générale d’impuissance vis-à-vis de la situation socio-économique qui finit souvent par écraser les familles [...]. Souvent les familles se sentent abandonnées à cause du désintéressement et de la faible attention que leur accordent les institutions. Les conséquences négatives du point de vue de l’organisation sociale sont évidentes : de la crise démographique aux problèmes éducatifs, de la difficulté d’accueillir la vie naissante à l’impression de fardeau que représente la présence des personnes âgées, jusqu’au malaise affectif diffus qui aboutit parfois à la violence. L’État a la responsabilité de créer les conditions législatives et d’emploi pour garantir l’avenir des jeunes et les aider à réaliser leur projet de fonder une famille ».[22]

[22] Relatio Synodi 2014, n. 6.

44 Le manque d’un logement digne ou adéquat conduit souvent à retarder la formalisation d’une relation. Il faut rappeler que « la famille a droit à un logement décent, adapté à la vie familiale et proportionné au nombre de ses membres, dans un environnement assurant les services de base nécessaires à la vie de la famille et de la collectivité ».[23] Une famille et une maison sont deux choses qui vont de pair. Cet exemple montre que nous devons insister sur les droits de la famille, et pas seulement sur les droits individuels. La famille est un bien dont la société ne peut pas se passer, mais elle a besoin d’être protégée.[24] La défense de ces droits est « un appel prophétique en faveur de l'institution familiale qui doit être respectée et défendue contre toute atteinte »,[25]surtout dans le contexte actuel où elle occupe généralement peu de place dans les projets politiques. Les familles ont, parmi d’autres droits, celui de « pouvoir compter sur une politique familiale adéquate de la part des pouvoirs publics dans les domaines juridique, économique, social et fiscal ».[26] Parfois les angoisses des familles sont dramatiques quand, face à la maladie d’un être cher, elles n’ont pas accès aux services de santé adéquats, ou quand le temps passé sans trouver un emploi digne se prolonge. « Les contraintes économiques excluent l’accès des familles à l’éducation, à la vie culturelle et à la vie sociale active. Le système économique actuel produit diverses formes d’exclusion sociale. Les familles souffrent en particulier des problèmes liés au travail. Les possibilités pour les jeunes sont peu nombreuses et l’offre de travail est très sélective et précaire. Les journées de travail sont longues et souvent alourdies par de longs temps de trajet. Ceci n’aide pas les membres de la famille à se retrouver entre eux et avec leurs enfants, de façon à alimenter quotidiennement leurs relations ».[27]

[23] Conseil Pontifical pour la Famille, Charte des droits de la famille (22 octobre 1983), n. 11.
[24] Cf. Relatio finalis 2015, nn. 11-12.
[25] Conseil Pontifical pour la Famille, Charte des droits de la famille (22 octobre 1983), Intr.
[26] Ibid, n. 9.
[27] Relatio finalis 2015, n. 14.

45 « De nombreux enfants naissent en dehors du mariage, en particulier dans certains pays, et nombreux sont ceux qui grandissent ensuite avec un seul parent ou dans un contexte familial élargi ou reconstitué […]. L’exploitation sexuelle de l’enfance constitue, par ailleurs, une des réalités les plus scandaleuses et les plus perverses de la société actuelle. Les sociétés traversées par la violence à cause de la guerre, du terrorisme ou de la présence de la criminalité organisée, connaissent, elles aussi, des situations familiales détériorées, surtout dans les grandes métropoles et dans leurs banlieues où le phénomène dit des enfants des rues s’accroît ».[28] L’abus sexuel des enfants devient encore plus scandaleux quand il se produit dans des lieux où ils doivent être protégés, en particulier en famille, à l’école et dans les communautés et institutions chrétiennes.[29]

[28] Relatio Synodi 2014, n. 8.
[29] Cf. Relatio finalis 2015, n. 78.

46 « Les migrations représentent un autre signe des temps, qu’il faut affronter et comprendre, avec tout leur poids de conséquences sur la vie familiale ».[30] Le dernier Synode a accordé une grande importance à cette problématique, en soulignant que « cela touche, avec des modalités différentes, des populations entières dans diverses parties du monde. L’Église a exercé un rôle de premier plan dans ce domaine. La nécessité de maintenir et de développer ce témoignage évangélique (cf. Mt 25,35) apparaît aujourd’hui plus que jamais urgente [...]. La mobilité humaine, qui correspond au mouvement naturel historique des peuples, peut se révéler être une richesse authentique, tant pour la famille qui émigre que pour le pays qui l’accueille. Mais la migration forcée des familles est une chose différente, quand elle résulte de situations de guerre, de persécution, de pauvreté, d’injustice, marquée par les aléas d’un voyage qui met souvent en danger la vie, traumatise les personnes et déstabilise les familles. L’accompagnement des migrants exige une pastorale spécifique pour les familles en migration, mais aussi pour les membres du foyer familial qui sont demeurés sur leurs lieux d’origine. Cela doit se faire dans le respect de leurs cultures, de la formation religieuse et humaine d’où ils proviennent, de la richesse spirituelle de leurs rites et de leurs traditions, notamment par le biais d’une pastorale spécifique [...]. Les migrations apparaissent particulièrement dramatiques et dévastatrices pour les familles et pour les individus quand elles ont lieu en dehors de la légalité et qu’elles sont soutenues par des circuits internationaux de traite des êtres humains. On peut en dire autant en ce qui concerne les femmes ou les enfants non accompagnés, contraints à des séjours prolongés dans des lieux de passage, dans des camps de réfugiés, où il est impossible d’entreprendre un parcours d’intégration. La pauvreté extrême, et d’autres situations de désagrégation, conduisent même parfois les familles à vendre leurs propres enfants à des réseaux de prostitution ou de trafic d’organes ».[31] « Les persécutions des chrétiens, comme celles de minorités ethniques et religieuses dans diverses parties du monde, spécialement au Moyen-Orient, constituent une grande épreuve, non seulement pour l’Église, mais aussi pour la communauté internationale tout entière. Tout effort doit être soutenu pour faire en sorte que les familles et les communautés chrétiennes puissent rester sur leurs terres d’origine ».[32]

[30] Relatio Synodi 2014, n. 8
[31] Relatio finalis 2015, n. 23 ; cf. Message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2016 (12 septembre 2015) :L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 8 octobre 2015, p. 19.
[32] Ibid., n. 24.

47 Les Pères ont aussi prêté une attention particulière « aux familles des personnes frappées par un handicap qui surgit dans la vie, qui engendre un défi, profond et inattendu, et bouleverse les équilibres, les désirs et les attentes [...]. Les familles qui acceptent avec amour l’épreuve difficile d’un enfant handicapé méritent une grande admiration. Elles donnent à l’Église et à la société un témoignage précieux de fidélité au don de la vie. La famille pourra découvrir, avec la communauté chrétienne, de nouveaux gestes et langages, de nouvelles formes de compréhension et d’identité, dans un cheminement d’accueil et d’attention au mystère de la fragilité. Les personnes porteuses de handicap constituent pour la famille un don et une opportunité pour grandir dans l’amour, dans l’aide réciproque et dans l’unité [...]. La famille qui accepte, avec un regard de foi, la présence de personnes porteuses de handicap pourra reconnaître et garantir la qualité et la valeur de toute vie, avec ses besoins, ses droits et ses opportunités. Elle sollicitera des services et des soins et favorisera une présence affectueuse dans toutes les phases de la vie ».[33] Je veux souligner que l’attention accordée, tant aux migrants qu’aux personnes diversement aptes, est un signe de l’Esprit. Car, les deux situations sont paradigmatiques : elles mettent spécialement en évidence la manière dont on vit aujourd’hui la logique de l’accueil miséricordieux et de l’intégration des personnes fragiles.


48 « La plupart des familles respectent les personnes âgées, elles les entourent d’affection et les considèrent comme une bénédiction. Ce que font les associations et les mouvements familiaux qui oeuvrent en faveur des personnes âgées est particulièrement appréciable, aussi bien du point de vue spirituel que social [...]. Dans les sociétés hautement industrialisées, où leur nombre tend à augmenter alors que la natalité décroît, elles risquent d’être perçues comme un poids. D’autre part, les soins qu’elles requièrent mettent souvent leurs proches à dure épreuve ».[34] « Valoriser la dernière phase de la vie est aujourd’hui d’autant plus nécessaire qu’on tente le plus possible de refouler par tous les moyens le moment du trépas. La fragilité et la dépendance de la personne âgée sont parfois exploitées de façon inique pour de purs avantages économiques. De nombreuses familles nous enseignent qu’il est possible d’affronter les dernières étapes de la vie en mettant en valeur le sens de l’accomplissement et de l’intégration de l’existence tout entière dans le mystère pascal. Un grand nombre de personnes âgées est accueilli dans des structures ecclésiales où elles peuvent vivre dans un milieu serein et familial sur le plan matériel et spirituel. L’euthanasie et le suicide assisté constituent de graves menaces pour les familles dans le monde entier. Leur pratique est devenue légale dans de nombreux États. L’Église, tout en s’opposant fermement à ces pratiques, ressent le devoir d’aider les familles qui prennent soin de leurs membres âgés et malades ».[35]

[33] Ibid., n. 21.
[34] Ibid., n. 17.
[35] Ibid., n. 20.

49 Je veux souligner la situation des familles submergées par la misère, touchées de multiples manières, où les contraintes de la vie sont vécues de manière déchirante. Si tout le monde a des difficultés, elles deviennent plus dures dans une famille très pauvre.[36] Par exemple, si une femme doit élever seule son enfant, à cause d’une séparation – ou pour d’autres raisons – et doit travailler sans avoir la possibilité de le confier à une autre personne, il grandit dans un abandon qui l’expose à tout type de risques, et sa maturation personnelle s’en trouve compromise. Dans les situations difficiles que vivent les personnes qui sont le plus dans le besoin, l’Église doit surtout avoir à coeur de les comprendre, de les consoler, de les intégrer, en évitant de leur imposer une série de normes, comme si celles-ci étaient un roc, avec pour effet qu’elles se sentent jugées et abandonnées précisément par cette Mère qui est appelée à les entourer de la miséricorde de Dieu. Ainsi, au lieu de leur offrir la force régénératrice de la grâce et la lumière de l’Évangile, certains veulent en faire une doctrine, le transformer en « pierres mortes à lancer contre les autres ».[37]

[36] Ibid., n. 15.
[37] Discours de clôture de la 14e Assemblée Générale ordinaire du synode des Évêques (24 octobre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 29 octobre 2015, p. 8.


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