Amoris laetitia FR 49


Quelques défis

50 Les réponses reçues aux deux questionnaires qui ont été envoyés pendant le parcours synodal, ont mentionné les situations très diverses qui présentent de nouveaux défis. En plus de celles déjà indiquées, beaucoup ont concerné la fonction éducative, rendue difficile parce que les parents arrivent à la maison fatigués et sans envie de parler ; dans de nombreuses familles, il n’y a même plus l’habitude de manger ensemble, et une grande variété d’offres de distractions abonde, en plus de l’addiction à la télévision. Cela rend difficile la transmission de la foi de parents à enfants. D’autres ont fait remarquer que les familles souffrent souvent d’une grande anxiété. Il semble qu’il y a plus de préoccupation pour prévenir les problèmes futurs que pour partager le présent. Ceci – qui est une question culturelle – s’aggrave en raison d’un avenir professionnel incertain, de l’insécurité économique, ou de la crainte pour l’avenir des enfants.


51 La toxicomanie a aussi été mentionnée comme une des plaies de notre époque, qui fait souffrir de nombreuses familles et finit souvent par les détruire. Il en est de même en ce qui concerne l’alcoolisme, le jeu et d’autres addictions. La famille pourrait être un lieu de prévention et de protection, mais la société et la politique tardent à se rendre compte qu’une famille en péril « perd la capacité de réaction pour aider ses membres […]. Nous notons les graves conséquences de cette rupture dans les familles brisées, les enfants déracinés, les personnes âgées abandonnées, les enfants orphelins alors que leurs parents sont vivants, les adolescents et les jeunes désorientés et sans protection ».[38] Comme l’ont indiqué les Évêques du Mexique, il y a de tristes situations de violence familiale qui constituent le terreau de nouvelles formes d’agressivité sociale, parce que « les relations familiales aussi expliquent la prédisposition d’une personne violente. Les familles qui influent pour cela sont celles qui ont une communication déficiente ; dans celles où les attitudes défensives prédominent, où leurs membres ne se soutiennent pas entre eux ; dans celles où il n’y a pas d’activités familiales qui favorisent la participation, dans celles où les relations entre les parents deviennent souvent conflictuelles et violentes, et dans celles où les relations parents-enfants se caractérisent par des attitudes hostiles. La violence intrafamiliale est une école de ressentiment et de haine dans les relations humaines de base ».[39]

[38] Conférence des Évêques d’Argentine, Navega mar adentro (31 mai 2003), n. 42.
[39] Conférence Épiscopale du Mexique, Que en Cristo Nuestra Paz México tenga vida digna (15 février 2009), n. 67.

52 Personne ne peut penser qu’affaiblir la famille comme société naturelle fondée sur le mariage soit une chose qui favorise la société. C’est le contraire qui arrive : cela porte préjudice à la maturation des enfants, à la culture des valeurs communautaires, et au développement moral des villes et des villages. On ne se rend plus clairement compte que seule l’union exclusive et indissoluble entre un homme et une femme remplit une fonction sociale pleine, du fait qu’elle est un engagement stable et permet la fécondité. Nous devons reconnaître la grande variété des situations familiales qui peuvent offrir une certaine protection, mais les unions de fait, ou entre personnes du même sexe, par exemple, ne peuvent pas être placidement comparées au mariage. Aucune union précaire ou excluant la procréation n’assure l’avenir de la société. Mais qui s’occupe aujourd’hui de soutenir les familles, de les aider à surmonter les dangers qui les menacent, de les accompagner dans leur rôle éducatif, d’encourager la stabilité de l’union conjugale ?


53 « Dans certaines sociétés subsiste encore la pratique de la polygamie, et, dans d’autres contextes, celle des mariages arrangés [...]. Dans de nombreux contextes, et pas seulement en Occident, se diffuse largement la pratique de la vie en commun avant le mariage ou même de la cohabitation sans aspirer à un lien institutionnel ».[40] En différents pays, la législation facilite l’accroissement d’une multiplicité d’alternatives, de sorte qu’un mariage avec ses notes d’exclusivité, d’indissolubilité et d’ouverture à la vie finit par apparaître comme une offre obsolète parmi beaucoup d’autres. En de nombreux pays, une destruction juridique de la famille progresse, tendant à adopter des formes basées quasi exclusivement sur le paradigme de l’autonomie de la volonté. S’il est juste et légitime de rejeter de vieilles formes de la famille ‘‘traditionnelle’’, caractérisées par l’autoritarisme, y compris par la violence, cela ne devrait pas conduire à la dépréciation du mariage mais à la redécouverte de son véritable sens et à sa rénovation. La force de la famille « réside essentiellement dans sa capacité d’aimer et d’enseigner à aimer. Aussi blessée soit-elle, une famille pourra toujours grandir en s’appuyant sur l’amour ».[41]

[40] Relatio finalis 2015, n. 25.
[41] Relatio finalis 2015, n. 10.

54 Par cet bref panorama de la réalité, je désire souligner que, bien que de notables améliorations aient eu lieu dans la reconnaissance des droits des femmes à intervenir dans l’espace public, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir dans certains pays. On n’a pas fini d’éradiquer des coutumes inacceptables. Je souligne la violence honteuse qui parfois s’exerce sur les femmes, les abus dans le cercle familial et diverses formes d’esclavage, qui ne constituent pas une démonstration de force masculine, mais une lâche dégradation. La violence verbale, physique et sexuelle qui s’exerce sur les femmes dans certaines familles contredit la nature même de l’union conjugale. Je pense à la grave mutilation génitale de la femme dans certaines cultures, mais aussi à l’inégalité d’accès à des postes de travail dignes et aux lieux où se prennent les décisions. L’histoire porte les marques des excès des cultures patriarcales où la femme était considérée comme de seconde classe ; mais rappelons aussi le phénomène des mères porteuses, ou « l’instrumentalisation et la marchandisation du corps féminin dans la culture médiatique actuelle ».[42] Certains considèrent que beaucoup de problèmes actuels sont apparus à partir de l’émancipation de la femme. Mais cet argument n’est pas valide, « cela est faux, ce n’est pas vrai ! C’est une forme de machisme ».[43] L’égale dignité entre l’homme et la femme nous pousse à nous réjouir que les vieilles formes de discrimination soient dépassées, et qu’au sein des familles un effort de réciprocité se réalise. Même si des formes de féminisme, qu’on ne peut juger adéquates, apparaissent, nous admirons cependant une oeuvre de l’Esprit dans la reconnaissance plus claire de la dignité de la femme et de ses droits.

[42] Catéchèse (22 avril 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 23 avril 2015, p. 2.
[43] Catéchèse (29 avril 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 30 avril 2015, p. 2.

55 « L’homme revêt un rôle tout aussi décisif dans la vie de la famille, en se référant plus particulièrement à la protection et au soutien de l’épouse et des enfants. Beaucoup d’hommes sont conscients de l’importance de leur rôle dans la famille et le vivent avec les qualités spécifiques du caractère masculin. L’absence du père marque gravement la vie familiale, l’éducation des enfants et leur insertion dans la société. Son absence peut être physique, affective, cognitive et spirituelle. Cette carence prive les enfants d’un modèle de référence du comportement paternel ».[44]

[44] Relatio finalis 2015, n. 28.

56 Un autre défi apparaît sous diverses formes d’une idéologie, généralement appelée ‘‘gender’’, qui « nie la différence et la réciprocité naturelle entre un homme et une femme. Elle laisse envisager une société sans différence de sexe et sape la base anthropologique de la famille. Cette idéologie induit des projets éducatifs et des orientations législatives qui encouragent une identité personnelle et une intimité affective radicalement coupées de la diversité biologique entre masculin et féminin. L’identité humaine est laissée à une option individualiste, qui peut même évoluer dans le temps ».[45] Il est inquiétant que certaines idéologies de ce type, qui prétendent répondre à des aspirations parfois compréhensibles, veulent s’imposer comme une pensée unique qui détermine même l’éducation des enfants. Il ne faut pas ignorer que « le sexe biologique (sex) et le rôle socioculturel du sexe (gender), peuvent être distingués, mais non séparés ».[46] D’autre part, « la révolution biotechnologique dans le domaine de la procréation humaine a introduit la possibilité de manipuler l’acte d’engendrer, en le rendant indépendant de la relation sexuelle entre un homme et une femme. De la sorte, la vie humaine et la parentalité sont devenues des réalités qu’il est possible de faire ou de défaire, principalement sujettes aux désirs des individus ou des couples, qui ne sont pas nécessairement hétérosexuels ou mariés ».[47] Une chose est de comprendre la fragilité humaine ou la complexité de la vie, autre chose est d’accepter des idéologies qui prétendent diviser les deux aspects inséparables de la réalité. Ne tombons pas dans le péché de prétendre nous substituer au Créateur. Nous sommes des créatures, nous ne sommes pas tout-puissants. La création nous précède et doit être reçue comme un don. En même temps, nous sommes appelés à sauvegarder notre humanité, et cela signifie avant tout l’accepter et la respecter comme elle a été créée.

[45] Ibid., n. 8.
[46] Ibid., n. 58.
[47] Ibid., n. 33.

57 Je rends grâce à Dieu du fait que beaucoup de familles, qui sont loin de se considérer comme parfaites, vivent dans l’amour, réalisent leur vocation et vont de l’avant, même si elles tombent souvent en chemin. Un stéréotype de la famille idéale ne résulte pas des réflexions synodales, mais il s’en dégage un collage qui interpelle, constitué de nombreuses réalités différentes, remplies de joies, de drames, et de rêves. Les réalités qui nous préoccupent sont des défis. Ne tombons pas dans le piège de nous épuiser en lamentations auto-défensives, au lieu de réveiller une créativité missionnaire. Dans toutes les situations « l’Église ressent la nécessité de dire une parole de vérité et d’espérance [...]. Les grandes valeurs du mariage et de la famille chrétienne correspondent à la recherche qui traverse l’existence humaine ».[48] Si nous voyons beaucoup de difficultés, elles sont – comme l’ont dit les Évêques de Colombie – un appel à « libérer en nous les énergies de l’espérance, en les traduisant en rêves prophétiques, en actions qui transforment et en imagination de la charité ».[49]

[48] Relatio Synodi 2014, n. 11.
[49] Conférence des Évêques de Colombie, A tiempos dificiles, colombianos nuevos (13 février 2003), n. 3.


TROISIÈME CHAPITRE

LE REGARD POSÉ SUR JÉSUS : LA VOCATION DE LA FAMILLE

58 Face aux familles et au milieu d’elles, doit toujours et encore résonner la première annonce, qui constitue ce qui « est plus beau, plus grand, plus attirant et en même temps plus nécessaire » [50] et qui « doit être au centre de l’activité évangélisatrice ».[51]C’est le principal message « que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la catéchèse sous une forme ou une autre ».[52] Car « il n’y a rien de plus solide, de plus profond, de plus sûr, de plus consistant et de plus sage que cette annonce » et « toute la formation chrétienne est avant tout l’approfondissement du kérygme ».[53]

[50] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 35 : AAS 105 (2013), p. 1034.
[51] Ibid., 164 : AAS 105 (2013), p. 1088.
[52] Ibid.
[53] Ibid., 165 : AAS 105 (2013), p. 1089.

59 Notre enseignement sur le mariage et la famille ne peut cesser de s’inspirer et de se transfigurer à la lumière de ce message d’amour et de tendresse, pour ne pas devenir pure défense d’une doctrine froide et sans vie. Car le mystère de la famille chrétienne ne peut pas non plus se comprendre pleinement si ce n’est à la lumière de l’amour infini du Père manifesté dans le Christ qui s’est donné jusqu’au bout et qui est vivant parmi nous. C’est pourquoi je voudrais contempler le Christ vivant présent dans tant d’histoires d’amour, et invoquer le feu de l’Esprit sur toutes les familles du monde.


60 Dans ce cadre, ce bref chapitre recueille une synthèse de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille. Je citerai également ici divers apports présentés par les Pères synodaux dans leurs réflexions sur la lumière que nous offre la foi. Ils ont commencé par le regard de Jésus et ont indiqué qu’il « a regardé avec amour et tendresse les femmes et les hommes qu’il a rencontrés, en accompagnant leurs pas avec vérité, patience et miséricorde, tout en annonçant les exigences du Royaume de Dieu ».[54] De la même manière, le Seigneur nous accompagne aujourd’hui dans notre souci de vivre et de transmettre l’Évangile de la famille.

[54] Relatio Synodi 2014, n. 12.


Jésus reprend et conduit à sa plénitude le projet divin

61 Face à ceux qui interdisaient le mariage, le Nouveau Testament enseigne que « tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n'est à proscrire » (1Tm 4,4). Le mariage est un ‘‘don’’ du Seigneur (1Co 7,7). En même temps, grâce à cette évaluation positive, un accent fort est mis sur la protection de ce don divin : « Que le mariage soit honoré de tous et le lit nuptial sans souillure » (He 13,4). Ce don de Dieu inclut la sexualité : « Ne vous refusez pas l'un à l'autre » (1Co 7,5).


62 Les Pères synodaux ont rappelé que Jésus « se référant au dessein initial sur le couple humain, […] réaffirme l’union indissoluble entre l’homme et la femme, tout en disant qu’‘‘en raison de votre dureté de coeur, Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi’’ (Mt 19,8). L’indissolubilité du mariage (‘‘Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer’’, Mt 19,6), ne doit pas avant tout être comprise comme un “ joug” imposé aux hommes, mais bien plutôt comme un “don” fait aux personnes unies par le mariage. […]. La condescendance divine accompagne toujours le chemin de l’homme, par sa grâce elle guérit et transforme le coeur endurci en l’orientant vers son origine, à travers le chemin de la croix. Les Évangiles font clairement ressortir l’exemple de Jésus qui […] a annoncé le message concernant la signification du mariage comme plénitude de la révélation qui permet de retrouver le projet originel de Dieu (cf. Mt 19,3) ».[55]

[55] Ibid., n. 14.

63 « Jésus, qui a réconcilié toutes choses en lui, a ramené le mariage et la famille à leur forme originelle (cf. Mc 10,1-12). La famille et le mariage ont été rachetés par le Christ (cf. Ep 5,21-32), restaurés à l’image de la Très Sainte Trinité, mystère d’où jaillit tout amour véritable. L’alliance sponsale, inaugurée dans la création et révélée dans l’histoire du salut, reçoit la pleine révélation de sa signification dans le Christ et dans son Église. Du Christ, à travers l’Église, le mariage et la famille reçoivent la grâce nécessaire pour témoigner de l’amour de Dieu et vivre la vie de communion. L’Évangile de la famille traverse l’histoire du monde depuis la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26-27) jusqu’à l’accomplissement du mystère de l’Alliance dans le Christ à la fin des siècles avec les noces de l’Agneau (cf. Ap 19,9) ».[56]

[56] Ibid., n. 16.

64 « L’exemple de Jésus est un paradigme pour l’Église. Le Fils de Dieu est venu dans le monde au sein d’une famille […]. Il a inauguré sa vie publique sous le signe de Cana, accompli lors d’un banquet de noces (cf. Jn 2,1-11) […]. Il a partagé des moments quotidiens d’amitié avec la famille de Lazare et de ses soeurs (cf. Lc 10,38) et avec la famille de Pierre (cf. Mt 8,14). Il a écouté les pleurs des parents pour leurs enfants, leur rendant la vie (cf. Mc 5,41 Lc 7,14-15) et manifestant ainsi la véritable signification de la miséricorde, qui implique la restauration de l’Alliance (cf. Jean-Paul II, Dives in misericordia DM 4). Ceci ressort clairement des rencontres avec la samaritaine (cf. Jn 4,1-30) et avec la femme adultère (cf. Jn 8,1-11), chez qui la perception du péché se réveille face à l’amour gratuit de Jésus ».[57]

[57] Relatio finalis 2015, n. 41.

65 L’incarnation du Verbe dans une famille humaine, à Nazareth, touche par sa nouveauté l’histoire du monde. Nous avons besoin de plonger dans le mystère de la naissance de Jésus, dans le oui de Marie à l’annonce de l’ange, lorsque la Parole a été conçue dans son sein ; également dans le oui de Joseph, qui a donné à Jésus son nom et a pris en charge Marie ; dans la fête des bergers près de la crèche ; dans l’adoration des Mages ; dans la fuite en Égypte à travers laquelle Jésus participe à la douleur de son peuple exilé, persécuté et humilié ; dans l’attente religieuse de Zacharie et dans la joie qui accompagne la naissance de Jean le Baptiste ; dans la promesse accomplie pour Siméon et Anne au temple ; dans l’admiration des docteurs écoutant la sagesse de Jésus adolescent. Et ensuite, pénétrer les trente longues années où Jésus gagnait son pain en travaillant de ses mains, en murmurant la prière et la tradition croyante de son peuple et en étant éduqué dans la foi de ses parents, jusqu’à la faire fructifier dans le mystère du Royaume. C’est cela le mystère de la Nativité et le secret de Nazareth, plein de parfum familial ! C’est le mystère, qui a tant fasciné François d’Assise, Thérèse de l’Enfant-Jésus et Charles de Foucauld, où se désaltèrent aussi les familles chrétiennes pour renouveler leur espérance et leur joie.


66 « L’alliance d’amour et de fidélité, dont vit la Sainte Famille de Nazareth, illumine le principe qui donne forme à toute famille et la rend capable de mieux affronter les vicissitudes de la vie et de l’histoire. Sur cette base, toute famille, malgré sa faiblesse, peut devenir une lumière dans l’obscurité du monde. ‘‘Une leçon de vie familiale. Que Nazareth nous enseigne ce qu’est la famille, sa communion d’amour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable; apprenons de Nazareth comment la formation qu’on y reçoit est douce et irremplaçable; apprenons quel est son rôle primordial sur le plan social’’ (Paul VI, Discours prononcé à Nazareth, 5 janvier 1964) ».[58]

[58] Ibid., n. 38.


La famille dans les documents de l’Église

67 Le Concile OEcuménique Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes s’est occupé de la promotion de la dignité du mariage et de la famille (cf. GS 47-52). « Il a qualifié le mariage de communauté de vie et d’amour (cf. GS 48), en plaçant l’amour au centre de la famille [...] Le “véritable amour conjugal” (GS 49) implique le don réciproque de soi, inclut et intègre la dimension sexuelle et l’affectivité, en correspondant au dessein divin (cf. GS 48-49). De plus, Gaudium et spes GS 48 souligne l’enracinement des époux dans le Christ : le Christ Seigneur “vient à la rencontre des époux chrétiens dans le sacrement du mariage” et demeure avec eux. Dans l’incarnation, il assume l’amour humain, le purifie, le conduit à sa plénitude et donne aux époux, avec son Esprit, la capacité de le vivre en imprégnant toute leur vie de foi, d’espérance et de charité. De la sorte, les époux sont comme consacrés et, par une grâce spécifique, ils édifient le Corps du Christ et constituent une Église domestique (cf. Lumen gentium LG 11). Aussi l’Église, pour comprendre pleinement son mystère, regarde-t-elle la famille humaine qui le manifeste d’une façon authentique ».[59]

[59] Relatio Synodi 2014, n. 17.

68 Ensuite, « le bienheureux Paul VI, dans le sillage du Concile Vatican II, a approfondi la doctrine sur le mariage et sur la famille. En particulier, par l’Encyclique Humanae vitae, il a mis en lumière le lien intrinsèque entre l’amour conjugal et l’engendrement de la vie : ‘‘L’amour conjugal exige donc des époux une conscience de leur mission de “paternité responsable”, sur laquelle, à bon droit, on insiste tant aujourd’hui, et qui doit, elle aussi, être exactement comprise. […]. Un exercice responsable de la paternité implique donc que les conjoints reconnaissent pleinement leurs devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la famille et envers la société, dans une juste hiérarchie des valeurs’’ (HV 10). Dans son Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi, Paul VI a mis en évidence le rapport entre la famille et l’Église ».[60]

[60] Relatio finalis 2015, n. 43.

69 « Saint Jean-Paul II a consacré à la famille une attention particulière à travers ses catéchèses sur l’amour humain, sa Lettre aux familles Gratissimam sane et surtout dans l’Exhortation Apostolique Familiaris consortio. Dans ces documents, ce Pape a qualifié la famille de “voie de l’Église” ; il a offert une vision d’ensemble sur la vocation à l’amour de l’homme et de la femme ; il a proposé les lignes fondamentales d’une pastorale de la famille et de la présence de la famille dans la société. En particulier, s’agissant de la charité conjugale (cf. Familiaris consortio FC 13), il décrit la façon dont les époux, dans leur amour mutuel, reçoivent le don de l’Esprit du Christ et vivent leur appel à la sainteté ».[61]

[61] Relatio Synodi 2014, n. 18.

70 « Benoît XVI, dans l’Encyclique Deus caritas est, a repris le thème de la vérité de l’amour entre homme et femme, qui ne s’éclaire pleinement qu’à la lumière de l’amour du Christ crucifié (cf. ). Il y réaffirme que : “Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain ” (). Par ailleurs, dans son Encyclique Caritas in veritate, il met en évidence l’importance de l’amour comme principe de vie dans la société (cf. ), lieu où s’apprend l’expérience du bien commun ».[62]

[62] Ibid., n. 19.


Le sacrement de mariage

71 « L’Écriture et la Tradition nous ouvrent l’accès à une connaissance de la Trinité qui se révèle sous des traits familiers. La famille est l’image de Dieu qui […] est communion de personnes. Lors du Baptême, la voix du Père désigne Jésus comme son Fils bien aimé et c’est l’Esprit Saint qu’il faut reconnaître dans cet amour, (cf. Mc 1,10-11). Jésus, qui a réconcilié toutes choses en lui et qui a racheté l’homme du péché, n’a pas seulement ramené le mariage et la famille à leur forme originelle, mais il a aussi élevé le mariage au rang de signe sacramentel de son amour pour l’Église (cf. Mt 19,1-12 Mc 10,1-12 Ep 5,21-32). C’est dans la famille humaine, réunie par le Christ, qu’est restituée ‘‘l’image et la ressemblance’’ de la Sainte Trinité (cf. Gn 1,26), mystère d’où jaillit tout amour véritable. Par l’Église, le mariage et la famille reçoivent du Christ la grâce de l’Esprit Saint, pour témoigner de l’Évangile de l’amour de Dieu ».[63]

[63] Relatio finalis 2015, n. 38.

72 Le sacrement de mariage n’est pas une convention sociale, un rite vide ni le simple signe extérieur d’un engagement. Le sacrement est un don pour la sanctification et le salut des époux, car « s'appartenant l'un à l'autre, ils représentent réellement, par le signe sacramentel, le rapport du Christ à son Église. Les époux sont donc pour l’Église le rappel permanent de ce qui est advenu sur la croix. Ils sont l'un pour l'autre et pour leurs enfants des témoins du salut dont le sacrement les rend participants ».[64] Le mariage est une vocation, en tant qu’il constitue une réponse à l’appel spécifique à vivre l’amour conjugal comme signe imparfait de l’amour entre le Christ et l’Église. Par conséquent, la décision de se marier et de fonder une famille doit être le fruit d’un discernement vocationnel.

[64] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981),
FC 13 : AAS 74 (1982), p. 94.

73 « Le don réciproque constitutif du mariage sacramentel est enraciné dans la grâce du baptême qui établit l’alliance fondamentale de chaque personne avec le Christ dans l’Église. Dans l’accueil réciproque et avec la grâce du Christ, les futurs époux se promettent un don total, une fidélité et une ouverture à la vie, ils reconnaissent comme éléments constitutifs du mariage les dons que Dieu leur offre, en prenant au sérieux leur engagement réciproque, en son nom et devant l’Église. Or, dans la foi, il est possible d’assumer les biens du mariage comme des engagements plus faciles à tenir grâce à l’aide de la grâce du sacrement […]. Par conséquent, le regard de l’Église se tourne vers les époux comme vers le coeur de la famille entière qui tourne à son tour son regard vers Jésus »[65]. Le sacrement n’est pas une ‘‘chose’’ ou une ‘‘force’’, car en réalité le Christ lui-même « ‘‘vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement du mariage’’ (Gaudium et spes GS 48, § 2). Il reste avec eux, il leur donne la force de le suivre en prenant leur croix sur eux, de se relever après leurs chutes, de se pardonner mutuellement, de porter les uns les fardeaux des autres ».[66] Le mariage chrétien est un signe qui non seulement indique combien le Christ aime son Église à travers l’Alliance scellée sur la Croix, mais encore rend présent cet amour dans la communion des époux. En s’unissant pour être une seule chair, ils représentent les fiançailles du Fils de Dieu avec la nature humaine. C’est pourquoi « dans les joies de leur amour et de leur vie familiale il leur donne, dès ici-bas, un avant-goût du festin des noces de l’Agneau »[67]. Même si « l’analogie entre le couple mari-femme et celui Christ-Église » est une « analogie imparfaite »[68], elle invite à invoquer le Seigneur pour qu’il répande son propre amour dans les limites des relations conjugales.

[65] Relatio Synodi 2014, n. 21
[66] Catéchisme de l’Église catholique, CEC 1642.
[67] Ibid. CEC 1642
[68] Catéchèse (6 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 7 mai 2015, p. 2.

74 L’union sexuelle, vécue de manière humaine et sanctifiée par le sacrement, est en retour un chemin de croissance dans la vie de grâce pour les époux. C’est le « mystère nuptial ».[69] La valeur de l’union des corps est exprimée dans les paroles de consentement, où ils se sont acceptés et se sont donnés l’un à l’autre pour partager toute la vie. Ces paroles donnent un sens à la sexualité, et la libèrent de toute ambiguïté. Mais en réalité, toute la vie en commun des époux, tout le réseau des relations qu’ils tissent entre eux, avec leurs enfants et avec le monde, tout cela est imprégné et fortifié par la grâce du sacrement qui jaillit du mystère de l’Incarnation et de la Pâque, où Dieu a exprimé tout son amour pour l’humanité et s’est uni intimement à elle. Ils ne seront jamais seuls, réduits à leurs propres forces pour affronter les défis qui se présentent. Ils sont appelés à répondre au don de Dieu par leur engagement, leur créativité, leur résistance et leur lutte quotidienne, mais ils pourront toujours invoquer l’Esprit Saint qui a consacré leur union, afin que la grâce reçue se manifeste sans cesse dans chaque situation nouvelle.

[69] Léon le Grand, Epistula Rustico narbonensi episcopo, inquis. IV : PL 54, 1205A ; cf. Incmaro de Reims, Epist. 22 : PL 126, p. 142.

75 Selon la tradition latine de l’Église, dans le sacrement de mariage les ministres sont l’homme et la femme qui se marient.[70] Ceux-ci, en manifestant leur consentement et en l’exprimant par le don de leur corps, reçoivent un grand don. Leur consentement et l’union de leurs corps sont les instruments de l’action divine qui fait d’eux une seule chair. À travers le baptême a été consacrée leur capacité à s’unir dans le mariage comme ministres du Seigneur pour répondre à l’appel de Dieu. C’est pourquoi, lorsque les époux non chrétiens sont baptisés, il n’est pas nécessaire qu’ils renouvellent la promesse matrimoniale et il suffit qu’ils ne la rejettent pas, puisque par le baptême qu’ils reçoivent cette union devient automatiquement sacramentelle. Le droit canonique reconnaît également la validité de certains mariages qui sont célébrés sans un ministre ordonné.[71] Car l’ordre naturel a été pénétré par la rédemption de Jésus Christ, en sorte que « entre baptisés, il ne peut exister de contrat matrimonial valide qui ne soit, par le fait même, un sacrement ».[72] L’Église peut exiger le caractère public de l’acte, la présence de témoins et d’autres conditions qui ont varié au cours de l’histoire, mais cela n’enlève pas aux deux personnes qui se marient leur caractère de ministres du sacrement ni n’affaiblit le caractère central du consentement de l’homme et de la femme, qui est, en soi, ce par quoi le lien sacramentel est établi. De toute manière, nous avons besoin de réfléchir davantage sur l’action divine dans le rite nuptial, qui est bien mise en exergue dans les Églises Orientales, par l’accent placé sur l’importance de la bénédiction sur ceux qui contractent le mariage, en signe du don de l’Esprit.

[70] Cf. Pie XII, Lettre enc. Mystici Corporis Christi (29 juin 1943) : AAS 35 (1943), p. 202 : « Matrimonio enim quo coniuges sibi invicem sunt ministri gratiae ».
[71] Cf. Code de Droit Canonique,
CIC 1116 CIC 1161-1165 ; Code des Canons des Églises Orientales, CIO 832 CIO 848-852.
[72] Code de Droit Canonique, CIC 1055 § 2.


Semences du Verbe et situations imparfaites

76 « L’Évangile de la famille nourrit également ces germes qui attendent encore de mûrir et doit prendre soin des arbres qui se sont desséchés et qui ont besoin de ne pas être négligés », [73] en sorte que, partageant le don du Christ dans le sacrement, ils « soient patiemment conduits plus loin, jusqu'à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie ».[74]

[73] Relatio Synodi 2014, n. 23.
[74] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981),
FC 9 : AAS 74 (1982), p. 90.

77 En assumant l’enseignement biblique selon lequel tout a été créé par le Christ et pour le Christ (cf. Col 1,16), les Pères synodaux ont rappelé que « l’ordre de la rédemption illumine et réalise celui de la création. Le mariage naturel se comprend donc pleinement à la lumière de son accomplissement sacramentel : ce n’est qu’en fixant le regard sur le Christ que l’on connaît à fond la vérité sur les rapports humains. ‘‘En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné […]. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation’’ (Gaudium et spes GS 22). Il apparaît particulièrement opportun de comprendre dans une optique christocentrique […] le bien des époux (bonum coniugum) »[75], qui inclut l’unité, l’ouverture à la vie, la fidélité et l’indissolubilité, ainsi que dans le mariage chrétien également l’aide mutuelle sur le chemin vers une amitié plus pleine avec le Seigneur. « Le discernement de la présence des semina Verbi dans les autres cultures (cf. Ad Gentes AGD 11) peut être appliqué aussi à la réalité conjugale et familiale. Outre le véritable mariage naturel, il existe des éléments positifs présents dans les formes matrimoniales d’autres traditions religieuses »,[76] même si les ombres ne manquent pas non plus. Nous pouvons dire que « quiconque voudrait fonder une famille qui enseigne aux enfants à se réjouir de chaque geste visant à vaincre le mal – une famille qui montre que l’Esprit est vivant et à l’oeuvre – trouvera gratitude, appréciation et estime, quels que soient son peuple, sa religion ou sa région ».[77]

[75] Relatio finalis 2015, n. 47.
[76] Ibid.
[77] Homélie à l’occasion de la Messe de clôture de la VIIIe Rencontre Mondiale des Familles à Philadelphie (27 septembre 2015) :L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 8 octobre 2015, pp. 17-18.

78 « Le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme (cf. Jn 1,9 Gaudium et spes GS 22), inspire la pastorale de l’Église à l’égard des fidèles qui vivent en concubinage ou qui ont simplement contracté un mariage civil ou encore qui sont des divorcés remariés. Dans la perspective de la pédagogie divine, l’Église se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de façon imparfaite : elle invoque avec eux la grâce de la conversion, les encourage à accomplir le bien, à prendre soin l’un de l’autre avec amour et à se mettre au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent […]. Quand l’union atteint une stabilité visible à travers un lien public – et qu’elle est caractérisée par une profonde affection, par une responsabilité vis-à-vis des enfants, par la capacité de surmonter les épreuves – elle peut être considérée comme une occasion d’accompagner vers le sacrement du mariage, lorsque cela est possible ».[78]

[78] Relatio finalis 2015, nn. 53-54.

79 « Face aux situations difficiles et aux familles blessées, il faut toujours rappeler un principe général : ‘‘Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l'obligation de bien discerner les diverses situations’’ (Familiaris consortio FC 84). Le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas et il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision. C’est pourquoi, tout en exprimant clairement la doctrine, il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition ».[79]

[79] Ibid., n. 51.


Amoris laetitia FR 49