Anthologie poésie mariale





HENRI CHANDAVOINE ANTHOLOGIE DE LA POÉSIE MARIALE






LES ÉDITIONS DU CERF PARIS 1993



Bibliothèque chrétienne de Poche foi Vivante

Éditeurs partenaires : Centurion, Jean-Pierre Rosa. Cerf, Jean-Marie Gueullette. Labor et Fides, Gabriel de Montmollin Éditions de l'Atelier, Patrick Merrant. Vie Chrétienne, Emmanuel Lecaron. Marne, Marc Larivé Coordination : Jean-Marie Gueullette. Jean-Pierre Rosa.





Nihil obstat :
Laval, le 12 mai 1965,
Henri Guillet,Cens. dep.

Imprimatur :
Laval, le 12 mai 1965,
+ Jacques Guilhem,
Évêque de Laval.





Première édition : 1966.
c Les Éditions du Cerf, 1993
(29, boulevard Latour-Maubourg 75340 Paris Cedex 07)
ISBN 2-204-04922-0
ISSN 0430-8530




... Marie est bien toujours le chemin qui mène au Christ. La rencontre avec Elle aboutit toujours à le rencontrer, Lui... »
Paul VI (Encyclique Mense Maio).



Nous remercions les Éditions Alsatia, Calmann-Lévy, Flammarion, Gallimard, Office général du livre et Stock, qui, par leur gracieuse obligeance, nous ont permis de réaliser cette anthologie.




AVANT-PROPOS





Un jeune substitut à la Secrétairerie d'État écrivait en 1950, à l'occasion de l'Année sainte : « J'ai présent à l'esprit, en ce moment, une vision humble et pieuse. Je vois de tranquilles et modestes colonnes de pèlerins, braves jeunes gens, femmes dévotes, gens qui viennent de la campagne, des pays lointains et perdus et qui gravissent, précédés d'une croix, chantant des prières suaves, les marches de Saint-Pierre. Ils chantent des hymnes religieux et pacifiques, ils ont au cœur et sur les lèvres les prières de leurs paroisses, tout un petit monde, pieux et rêvant sous le charme, en quelque sorte, du lyrisme et de la poésie de la Foi *... »


1. Mgr Montini, lAnnée sainte, année de paix et de fraternité", Ecclesia, nd 16, juillet 1950.

S'il faut en croire l'auteur de ces réflexions qui n'était autre que Mgr Montini, aujourd'hui le pape Paul VI, il existe une poésie de la Foi. Or, dans notre Foi, il est une personne, qui se dresse, pour ainsi dire, à l'entrée même du chemin et dont saint Luc parle au tout pre­mier chapitre de son Évangile :

« L'Ange Gabriel fut envoyé de la part de Dieu dans une ville de Galilée nommée Nazareth, à une vierge fiancée à un homme nommé Joseph, de la maison de David et le nom de la Vierge était Marie K » Il est donc normal d'admettre, avec l'existence d'une poésie de la Foi, celle d'une poésie mariale — qui est d'ailleurs aussi une poésie de la Foi — une poésie : « In Maria, cum Maria et per Mariam. » Ainsi s'explique et se justifie ce modeste essai d'une Anthologie de poésie mariale... D'ailleurs s'il faut en croire les frères Tharaud, Vierge et poésie, dans un cer­tain sens, se confondent : « Ami, tu me demandes peut-être où est la Vierge dans ce conte? je te réponds : l Elle est partout où est « la poésie 2... »

1. Luc, I, 26-27.
2. J. et J. Tharaud, l Contes à la Vierge r, Exorde.

***

D'abord, qu'est-ce que la poésie? Légion furent les humanistes, les écrivains et les artistes qui s'interro­gèrent à ce sujet! Leurs réponses multiples, si différentes qu'elles soient, ne laissent pas cependant d'être complé­mentaires.
« Comme tous les arts, la poésie est essentiellement mystère. Son charme est fait de certaines qualités qu'il est impossible, soit de définir exactement, soit de réduire à l'état de règles, soit de reproduire à volonté 3... »

3. F. Myers, Article sur Wordsworth, p. 4.

La poésie, pour les uns, c'est un choc indéfinissable ou un rêve merveilleux, pour les autres, un état d'âme exceptionnel ou un sentiment d'une insondable profon­deur. On a aussi comparé la poésie à une prescience, à une sorte d'instinct divinatoire, à une surexcitation de l'intelligence, à un vertige momentané du cœur... Ce qui semble certain, en tout cas, c'est l'universalité, la variété, la nécessité de la poésie. Un agrégé des lettres, fort connu, écrivait dans une récente Anthologie de la Poésie française :
« Tous les hommes, ou presque, y sont sensibles. Tous les sujets, ou presque, y prêtent. Il y a la poésie du soleil et celle de la brume, la poésie de la découverte et celle de l'habitude, de l'espoir et du regret, de la mort et de la vie, du bonheur et du malheur. Pour l'exprimer, prose ou vers, pierre ou peinture importent peu. Mais où elle manque totalement que reste-t-ilJ?... »

Si la poésie se trouve ainsi subtilement diffusée de par le monde, elle existe plus particulièrement chez cer­tains êtres, dans telle situation, ou sous une latitude déterminée, mais il est souvent difficile de la découvrir et de l'exprimer. La poésie ne serait-elle pas une certaine façon de sentir qui permet d'aller au-delà des apparences devenues, par là même, des signes, des symboles et de prêter aux choses une sorte d'intériorité comparable à la nôtre, c'est-à-dire une âme? Ce serait en outre une cer­taine façon de s'exprimer caractérisée par la musicalité et la suggestivité. En d'autres termes, je croirais volon­tiers à la « poésie pure » dont parle Bremond, que laissent deviner les points de suspension à la fin des vers et le blanc entre eux, pour ce qui est de la suggestivité, et le choix et l'agencement des mots, pour ce qui est de la musicalité : « L'art ne fait que des vers, le cœur seul est poète 2. » Certains vont encore plus loin, n'entendions-nous pas dernièrement déclarer, lors d'une émission télévisée, à propos des poèmes de Max-Pol Fouchet :


1. Georges Pompidou, Anthologie de la Poésie française, p. ix. 2. André Chénier, Élégies, XXII, 2.



« Il y a la poésie brute et la poésie épurée. La poésie brute c'est une sorte d'état de grâce, de flambée soudaine qui nous jette hors de nous-mêmes et nous fait partici­per à un autre monde. La poésie épurée c'est la poésie publiée, la transcription noir sur blanc de cet état fugi­tif. Le poème est le résidu de la poésie. Ce sont les braises qui restent du feu et auxquelles d'autres hommes allument leur propre feu 1... rJ'ai parlé tout à. l'heure de musicalité : peut-être serait-il bon de distinguer au passage musique et poésie, toutes deux nobles au suprême degré, mais combien différentes. Pourtant, il y a de la poésie dans la musique et de la musique dans la poésie... Ne serait-ce pas la raison majeure pour laquelle les poètes souvent ne paraissent guère ravis de la musique mise sur leurs vers, non plus que les musiciens des paroles ajoutées à leur musique. La musique et la poésie se suffisent chacune à elle-même... Cependant, il faut le reconnaître, quelle poésie chez Chopin, quelle musique chez Verlaine! Alors? Alors, ne cherchons pas à dissocier, lais­sons-nous seulement pénétrer par le charme merveil­leux, le bercement magique, le mystère profond de l'une et de l'autre, les aimant comme des sœurs, belles et unies, non point jalouses... •% C'est assez parlé de poésie, élevons le débat, tournons-nous vers Celle qui mérite, et Elle seule, le titre de « Reine de la Poésie » Peut-être les Théologiens vont-ils froncer les sourcils. Tant pis! Pour nous chrétiens Notre-


1. Télérama, 3 février 1964, p. 31.


Dame n'est-elle pas Celle choisie entre toutes les créa­tures pour devenir la Mère de Dieu et des hommes? N'est-ce pas là un fait merveilleux, dans le sens étymo­logique et poétique du mot, c'est-à-dire qui provoque l'étonnement et l'admiration? De là ces cantiques fré­missants, ces louanges enthousiastes, ces descriptions bibliques débordantes de lyrisme que l'Église et la Liturgie consacrent à Marie! Il est vrai que les événements de sa vie, des plus humbles aux plus glorieux, prennent, du fait même de cette Maternité divine, une grandeur, une noblesse exceptionnelles, qu'il s'agisse de l'Annonciation, de la Visitation, de la Nativité ou de l'Assomption, et l'on comprend qu'ils aient inspiré les plus grands génies : poètes, peintres ou musiciens. Com­ment ne pas parler aussi de la beauté de Marie, celle, unique de son âme immaculée mais aussi sa beauté humaine, morale, voire physique? l Tota pulchra est Maria, Vous êtes toute belle, ô Marie.» Seuls les mystiques et les poètes ont pu tenter d'évo­quer la sublime perfection de la Femme choisie entre toutes les femmes... Henri Ghéon, parlant de ces êtres privilégiés auxquels la Sainte Vierge est apparue décla­rait : « Les saintes âmes qui auront joui de sa vue sur la terre, en nous rapportant le message qu'elles ont mis­sion de propager, réussiront à préciser la forme, la couleur, la splendeur de sa merveilleuse vêture, mais échoueront à nous peindre ses traits. Sainte Mechtilde, moniale de Saint-Benoît, en son couvent saxon d'Helfta, décrira l la rosée qui perle de son diadème, figure de la grâce qu'elle est chargée de répandre sur nous » .. La Sœur Catherine Labouré, dans la chapelle de la rue du Bac, ne tarira pas d'éblouissement au sujet du satin blanc de sa robe. Les enfants de Pontmain détailleront sa mitre, sa robe azur semée d'étoiles et le crucifix fixé sur son sein; ceux de La Salette, sa coiffe, les guirlandes de son corsage; Bernadette de Lourdes, sa ceinture bleu tendre, sa tunique blanche et légère, son chapelet de nacre, les roses d'or posées sur ses pieds nus? Les uns la verront pleurer, d'autres sourire... Mais quels yeux pleurent? Quelle bouche sourit? A quel modèle humain rapporter ce visage? La voyante de Massabielle avait dit tout ce qu'elle savait au sculpteur docile et pieux commis au soin de nous représenter la Visiteuse; en présence de la statue, elle ne put que soupirer : « Ce n'est pas ça du tout! » Un sculpteur de génie aurait-il fait mieux ? Probablement non. Pour reproduire une vision du ciel, il faudrait muer en pinceau l'aile d'un ange 1... » Il n'est pas jusqu'au pays même où vécut la Vierge qui aussi ne se prête à la poésie : la mystérieuse Pales­tine, cette fameuse Terre promise où coulaient, jadis, « le lait et le miel » .. Porte du Moyen-Orient, elle en a le pittoresque et, de tout temps, grâce à son ouverture méditerranéenne, elle reçut par surcroît l'apport des civilisations occidentales... Les nombreux pèlerins qui vont se recueillir sur le tombeau du Christ reviennent enthousiastes de ce pays éclatant de soleil et aux nuits somptueuses : terre de contraste, ici d'une richesse débordante, là d'une extrême pauvreté, dont les villes millénaires, grouillantes et colorées, n'offrent guère que ces rues étroites dans lesquelles le pape Paul VI, lors d'un récent et triomphal voyage, fadlit être étouffé par une foule déchaînée-La poésie mariale découle enfin d'un fait théologique exceptionnel, à savoir que Marie s'insère dans le mys-


1. Henri Ghéon, Marie, Mère de Dieu, p. 6.



tère de la Foi tant par sa mission que par ses actes personnels. Mère du Christ, Mère de l'Église vient de dire Paul VI, Elle joue à ces titres un rôle éminent dans le plan de Dieu et dans l'histoire des hommes. Les poètes parlent d'EUe comme les prophètes parlent du Seigneur, et tout naturellement entonnent une sorte de chant sacré. Le lyrisme et la poésie de nombreux livres de la Bible ne viennent-ils pas, en partie, du sujet môme dont ils traitent : Dieu ou le Messie?... Les psaumes n'éclatent-ils pas de poésie parce qu'ils apparaissent bien, comme l'indique l'étymologie grecque, de purs pincements de corde à l'adresse du Très-Haut, d'inéga­lables chants lyriques à sa gloire qu'accompagnaient merveilleusement la harpe et la cithare! Le Hallel, chanté en sacrifiant l'agneau pascal et le Graduel, fre­donné par les pèlerins montant à Jérusalem, tiraient toute leur valeur de cette inspiration religieuse et de leur destination liturgique... Ce qui touche la Vierge n'échappe pas à cette loi et ce que l'on dit d'Elle paraît revêtu de quelque chose de sacré. Multiples sont donc les motifs de l'inspiration quand il s'agit de Marie... Aussi bien, ceux-ci ne caractérisent-ils pas la poésie tout court, dont Pierre-Henri Simon a pu dire : l La poésie a toujours le caractère d'une liturgie qui solennise l'existence en éternisant ses moments excep­tionnels. La poésie se déploie toujours dans la nostalgie d'un monde sacré perdu. r


Bien que la poésie soit partout dans le monde et que beaucoup parmi les grands écrivains étrangers aient été inspirés par Marie, nous ne ferons cependant place en général dans cette Anthologie qu'à des poètes français. Bien sûr, ils n'ont pas le monopole de la poésie mariale mais la poésie française en est particulièrement riche. On a dit que la ballade Dame des deux, Régente ter­rienne de Villon était le testament poétique non pas d'un homme mais d'un Age... Je le pense aussi volontiers, mais fallait-il alors présenter en premier et en détail cette littérature du Moyen Age, belle certes, mais tellement prolixe et fastidieuse par sa longueur pour les non-initiés? J'avoue n'avoir pas osé, dans la crainte de rebuter le lecteur d'aujourd'hui peu familiarisé avec la langue de cette époque. Pourtant le Moyen Age fut une ère particulièrement poétique en ce sens que tout y était spontané, imprévu. Les hommes d'alors vivaient le plus simplement du monde, n'ayant ni socialement ni phy­siquement cette idée d'ordre ou de régularité apportée par la raison et la civilisation. Ce caractère de « gratuité » apparaît également dans la foi de cette époque. 11 ne s'agit pas d'une religion raisonnée et réfléchie : l'univers se présente comme un vaste théâtre où se mêlent les personnages du Ciel, Marie, les Anges et les Saints; ceux de l'Enfer, Satan et ses démons; ceux de la Terre, les hommes avec leurs vertus et leurs vices. Un vent merveilleux de mysticisme souffle sur tout, rarement exempt de superstition, mais les cœurs sont remplis de confiance et d'amour. Il n'y a point de péchés sans pardon, de crimes sans remords, ni d'histoires sans Madone. Pourtant les mœurs sont rudes, voire cruelles : on ignore les nuances et les concessions. Les moines et les flagellants pullulent tandis que le peuple se délecte dans le vin, la chair et le sang, contraste étrange très caractéristique du Moyen Age. La littérature du temps s'en ressent, c'est le triomphe simultané de la farce et du mystère, des chansons de geste et du roman d'aven­ture, des œuvres théologiques et mystiques de saint Anselme ou de saint Bernard, enfin de la poésie lyrique de Rutebeuf, d'Arnould Gréban ou Jean Michel. Dans le même temps surgissent les admirables cathédrales, poèmes de pierre, éloquents témoins de la foi mariale du Moyen Age qui ont fait écrire très justement : l Si le Moyen Age a été, comme l'a dit Verlaine, déli­cat en même temps qu'énorme, c'est parce qu'il a beau­coup regardé et aimé la Vierge 1... rLa Renaissance amenant le goût de l'antiquité grecque et latine dans l'architecture détrôna par ricochet pour un temps l'inspiration mariale dans la littérature. Érasme et l'école humaniste y furent pour une bonne part à laquelle il convient d'ajouter au siècle suivant la péné­tration subtile du jansénisme. Cette désolante doctrine, qui fait de la crainte et non de l'amour de Dieu le prin­cipe de la piété, permet de deviner facilement que le temps n'était plus à la poésie et au lyrisme, mais à la rigueur philosophique et théologique. Remarquons, en effet, combien l'influence de Port-Royal fut considé­rable sur les grands écrivains de l'époque. Seul Cor­neille, nous le verrons, fait noblement exception, mais Racine, Molière, Boileau, La Fontaine, Pascal, s'ils n'ont pas totalement ignoré Marie, n'ont jamais été à pro­prement parler inspirés par Elle... Cela correspondait d'ailleurs à un préjugé du temps, exprimé par Boileau lui-même, qui voulait qu'on laissât les thèmes religieux aux spécialistes. Seules en effet les voix éloquentes de Bossuet, Fénelon, saint François de Sales et autres pré­dicateurs célébreront dignement Marie... Cela n'empêche


1. Charles Baussan, Noël, 26 mai 1932.





pas le xvne siècle d'avoir été quand même en France une grande époque de foi mariale mais dont les héraults furent surtout des écrivains mystiques ou ascétiques comme Bérulle, Olier, saint Grignion de Montfort, saint Alphonse de Liguori, excellents maîtres spirituels certes, mais adoptant le ton la plupart du temps de la littéra­ture pieuse et dévote peu appréciée de nos jours et dont la poésie, reconnaissons-le, semblait totalement absente. Le xvme siècle à l'esprit philosophique voltairien et la tourmente révolutionnaire ne donneront pas non plus à la poésie mariale de chantres appréciés. Le Franc de Pompignan et quelques autres poètes mineurs permet­tront cependant d'attendre le coup de clairon qui devait retentir bientôt avec Chateaubriand. Au xixe siècle, l'auteur du Génie du christianisme, bien qu'il n'ait rien écrit touchant la Vierge, allait par ce célèbre ouvrage remettre à l'honneur l'inspiration religieuse et du même coup la pensée mariale. Les luttes et les horreurs de la Révolution avaient fait éprouver à bien des âmes le besoin de Foi. Aussi le succès du livre fut-il triomphal. Le but de l'auteur n'était pas de pré­senter au grand public un ouvrage d'apologétique rigou­reuse mais d'appeler en faveur de la religion chrétienne l tous les enchantements de l'imagination et tous les intérêts du cœur r, c'est-à-dire le symbolisme des nefs gothiques évoquant les arbres de la forêt, le charme de la flèche ajourée et du vitrail flamboyant, l'éclat des dalmatiques écarlates et le parfum de l'encens... On rirait peut-être de tout cela aujourd'hui, criant au fol­klore, mais à cette période la masse des Français avait soif de retrouver la religion de ses ancêtres pour laquelle combien avaient versé généreusement leur sang. Cha­teaubriand contribua de cette façon à remettre la religion à la mode, il sut plaire et toucher et, tant en littérature qu'en art, il eut la gloire d'être le promoteur d'une véritable renaissance catholique... Les poètes dès lors, de Lamartine à. Verlaine, vont emboîter le pas et, contrairement aux écrivains du siècle précédent, de nou­veau vibrer aux idées et aux thèmes spirituels puis, laissant la place aux parnassiens et aux symbolistes, ouvrir déjà, la porte à l'époque contemporaine où se produira le merveilleux renouveau de poésie mariale de Péguy à Claudel... Bien des études ont été consacrées à ce renouveau catholique dans la littérature contemporaine. Il faut s'en réjouir, le fait en valait la peine... Il y eut pourtant, de la seconde moitié du xixe aux premières années de notre siècle, un dernier et rude assaut de scepticisme... A propos du renouveau qui devait suivre cette période, un excellent critique a écrit : l Les Maîtres de l'heure étaient Leconte de Lisle, Flaubert, Renan et Taine, les maîtres de la poésie, du roman, de la critique, de la philosophie et de l'histoire des plus hauts sommets de l'art et de la pensée. Flau­bert maudissait le christianisme qui a tué, disait-il, le culte de la Beauté; Renan annonçait que la science, expliquant toutes choses, allait supprimer le mystère et remplacer la morale et les religions; Taine exilait le surnaturel et l'âme même d'un monde soumis à des lois mécaniques et à un déterminisme définitif; Leconte de Lisle, en vers marmoréens, lançait l'anathème à l'Église de Jésus-Christ... Trois quarts de siècle ont passé, il y a encore des vivants qui ont entendu des cris blasphé­matoires dans leur fraîche nouveauté. Or, parmi les maîtres d'aujourd'hui, si je veux choisir parmi les poètes, les romanciers, les critiques, les historiens et les philosophes ceux que suit la plus compacte et la plus ardente jeunesse, je rencontre Claudel, Bourget, Bre-mond, Goyau, Maritain... 1860 se reconnaît dans les blasphèmes de Leconte de Lisle comme 1929 dans les aspirations de Claudel... La révolution est totale, aussi profonde que celle qui s'opéra il y a un siècle sous le nom de romantisme, plus profonde que la révolution réaliste et la révolution symboliste. C'est un change­ment d'âme 1... Est-ce que le but de la vie est de vivre? Est-ce que les pieds des enfants de Dieu seront attachés à cette terre misérable? Il n'est pas de charpenter la croix mais d'y monter et de donner ce que nous avons, en riant! « Là est la voie, là est la liberté, là la grâce, là la jeunesse éternelle *! » Notre modeste Anthologie fera une grande place à ces poètes qui, tout proches de nous, ont eu et continuent d'avoir une immense audience près des générations mon­tantes. Les dizaines de milliers d'étudiants pèlerinant chaque année, l la pluie entre les dents r, sur la route de Chartres en souvenir du vœu d'un poète qui n'était pas encore un chrétien engagé et pourtant un ami véri­table de la Vierge, ne sont-elles pas la vivante et élo­quente illustration de l'existence, de la grandeur, de la puissance d'appel de la poésie mariale?... Pourquoi cet élan de la jeunesse intellectuelle française rejoint-il, comme tout naturellement, l'hommage quasi unanime de la pensée et de l'art du passé? Sinon parce que Marie, depuis vingt siècles, a été sans cesse présente à l'esprit et au cœur des hommes. Bref, parce que Notre-Dame

1. J. Calvet, Le Renouveau catholique, p. 11, 12, 13.
2. P. Claudel, Annonce faite à Marie, acte IV, s. 5.



a été, est, sera toujours, selon le mot illustre de saint Bernard, Celle dont on n'aura jamais assez parlé, à la gloire de laquelle l'on n'aura jamais assez travaillé :


DE MARIA NUMQUAM SATIS...


RUTEBEUF (v. 1230 - v. 1285)


Rutebeuf est peut-être le plus remarquable des poètes lyriques de son temps. Il connut la misère, funeste consé­quence de sa passion pour le jeu, des difficultés de ménage, du tourbillon de la maladie et du froid, de la voracité des créanciers. Il raconte tout cela lui-même dans une requête adressée à saint Louis auquel il décrit sa vie de lutte et de malheur. Celle-ci d'ailleurs lui a inspiré des pièces touchantes, telle cette belle Prière de Théophile. Rutebeuf est Vun des premiers écrivains français à puiser son inspiration dans ses émotions personnelles. Il a écrit de nombreuses œuvres théâtrales (Le Miracle de Théophile, Le Miracle de Notre-Dame, Le Dit de L'Herberie) et des poèmes restés célèbres (Marie l'Égyp­tienne, La Chanson de Pouille, L'Ave Maria). On considère généralement Rutebeuf comme le plus proche des poètes du Moyen Age et le devancier des poètes maudits.


PRIÈRE DE THÉOPHILE


Ma sainte reine belle,
Glorieuse pucelle.
Dame de Grâce pleine.
Qui le bien nous révèle.
En besoin qui t'appelle,
Délivré est de peine;
Qui son cœur vous amène,
Au perdurable règne
Il aura joie nouvelle;
Jaillissante fontaine
Et délectable et saine,
A ton Fils me rappelle.

En votre doux service
Vous fûtes propice,
Mais trop tôt fus tenté.
Par celui qui attise
Le mal, et le bien brise,
Suis trop mal enchanté;
Donc me désenchantez,
Car votre volonté
Est pleine de franchise,
Ou de calamités
Sera mon corps doté
Par devant la Justice.

Dame sainte Marie.
Fais que mon cœur varie.
Prêt à ce qu'il te serve;
Ou ne sera tarie
Ma douleur ne guérie.
Plus rien ne la préserve,
Mais sera l'âme serve;
Si avant que m'énerve
La mort, ne se marie
Souffrez que je desserve
L'âme ne soit pétrie.

Dame de charité.
Qui par humilité
Portas notre salut.
Qui nous as rejetés
De deuil et de vileté
Et d'infernal palus;
Dame, je te salue!
Ton salut m'a valu,
Le sais de vérité.
Garde qu'à Tantalus
En enfer le goulu
Tombe mon hérité.



JACQUES DE TODI (v. 1230-1306)

Franciscain d'origine italienne, Jacques de Todi parcourut l'Europe et fréquenta l'Université de Paris. Il était surnommé le gros Jacques "Giacopone". Un peu fou d'apparence, mais aussi et surtout d'amour du Seigneur et de sa Mère... On trouve dans ses poèmes, spécialement dans son Stabat un accent dramatique rarement atteint. On a vigoureusement réagi au XVIIe siècle, contre l'aspect trop humain des sentiments prêtés à la Vierge, réaction janséniste bien compréhensible car la sensibilité de Jacques de Todi n'était guère dans la ligne de pensée des maîtres de Port-Royal. Aujourd'hui, au contraire où Von met l'accent, souvent avec bonheur, parfois exagérément sur les valeurs humaines, la poésie de "Giacopone" revêt une curieuse actualité...


STABAT MATER





La mère était là, tout en pleurs,
Au pied de la croix des douleurs,
Quand son Fils agonisa;
Son âme, hélas! tant gémissante,
Tant contristée et tant dolente,
Un glaive la transperça.

Oh! qu'elle fut triste et affligée,
La bénie, la prédestinée,
La Mère du Fils unique!
S'apitoyait, s'adolorait,
Si fort tremblait, quand elle voyait
Des peines si véridiques.

Quels yeux pourraient garder leurs larmes
A voir la Mère de l'Adorable
Sous le poids d'un tel supplice?
Quel homme au monde sans se contrire
Pourrait contempler le martyre
De la Mère et de son Fils?

Pour nos péchés, ô race humaine,
Elle vit Jésus en grand'géhenne
Très durement flagellé;
Elle vit son Fils, son Fils très doux,
Baisser la tête, mourir pour nous
Et mourir abandonné.

Source d'amour, douloureux cœur,
Fais que je souffre à ta douleur,
Fais que je pleure avec toi;
Fais que mon âme soit tout en feu,
Que je plaise à Jésus, mon Dieu,
Fais que j'adore avec toi.

0 Mère très sainte, daigne enfoncer
Les clous sacrés du Crucifié
En mon cœur très fortement;
Je veux pâtir de ses blessures
Et je veux que ma chair endure
La moitié de son tourment.

Verser de vraies larmes, ô Mère,
Avec toi gémir au Calvaire
Jusques à ma dernière heure!
Permets qu'à l'ombre de la croix,
Debout, côte à côte avec toi
Je me lamente et je pleure.

Vierge entre toutes claire et insigne,
Oh! laisse-moi, cœur très indigne,
Me lamenter avec toi;
Fais que je meurs la mort du Christ,
Qu'à si grand deuil je me contriste,
Que ses plaies saignent en moi!

Des plaies de Jésus tant blessé,
Je veux à la croix m'enivrer
Pour l'amour de ton doux Fils;
Pour tant d'amour daigne me prendre,
0 Vierge! et daigne me défendre
A l'heure de la justice.

Que la croix m'enchaîne et me tienne,
Jésus me garde et me soutienne
Au nom de son agonie;
Fais qu'à mon âme, après ma mort,
Advienne, quand mourra mon corps,
La gloire du Paradis.




JEAN DOMINICI (1357-1419)


Le poète Jean Dominici, savant dominicain, devait finir archevêque de Raguse. Lui aussi fréquenta dans sa jeunesse l'Université de Paris et s'intéressa vivement A la Culture française. Il a écrit des poèmes délicieux à l'adresse de la Vierge. Dans l'un des plus célèbres, celui que nous citons, long­temps par erreur attribué à Jacques de Todi, il fait montre d'une délicatesse toute filiale et d'une science théologique certaine. Comment n'être pas remué rien que par ces premiers vers particulièrement expressifs :


Dis, douce Marie, avec quel amour
Tu regardas ton petit enfant, le Christ, mon Dieu!


DIS, DOUCE MARIE

Dis, douce Marie, avec quel amour
Tu regardas ton petit enfant, le Christ, mon Dieu!
Quand tu l'eus enfanté sans peine,
La première chose, je crois que tu fis
Fut de l'adorer, ô pleine de grâce!
Puis sur le foin, dans la crèche, tu le posas;
Tu l'enveloppas dans quelques pauvres langes,
L'admirant et te réjouissant, je crois.

Oh! quelle joie tu avais et quel bonheur
Quand tu le tenais dans tes bras!
Dis-le, Marie, car peut-être conviendrait-il
Que par pitié du moins, tu me satisfasses un peu.
Tu l'embrassais alors sur le visage,
Si je crois bien, et tu lui disais : « O mon petit enfant! » Tantôt enfant, tantôt père et seigneur, Tantôt Dieu et tantôt Jésus, ainsi tu l'appelais. O quel doux amour tu sentais en ton cœur. Quand sur ton sein tu le tenais et l'allaitais! Que de doux et suaves gestes d'amour Charmaient tes yeux, quand tu regardais ton fils! Si parfois dans le jour il s'endormait un peu Et que tu voulusses éveiller ce trésor de paradis;














Tu marchais tout doucement, tout doucement, pour [qu'il ne t'entendît pas Et tu posais ta bouche sur son visage, Et puis tu lui disais avec un sourire maternel : « Ne dors plus, cela te ferait mal. » Fille du souverain Père, Humble servante du Seigneur, Très pieusement par Lui tu fus appelé « Mère » A cette seule pensée, le cœur se fond A qui sent quelque douce étincelle De cet amour, dont toujours je m'éloigne. Va, ma chanson, vers Marie, notre chère avocate. Agenouillée devant elle, prie-la pour moi Afin qu'elle ne me soit pas trop avare de son fils, Qui jamais ne lui refusa, ni ne lui refuse rien. Et dis-lui : « Ah! retiens, retiens pour jamais Celui qui toujours s'éloigne de toil r















CHARLES D'ORLÉANS (1394-1465)





L'œuvre poétique de Charles d'Orléans marque l'apogée de la poésie lyrique médiévale dite « aristocratique » Si l'on n'y trouve guère la profondeur des sentiments, en revanche elle est d'une délicatesse souvent exquise... Agréable et gracieux, soucieux de la beauté plastique du vers, Charles d'Orléans mélange le pittoresque et la préciosité. A la fois prince, poète et soldat, il fut fait prisonnier à la bataille d'Azincourt, il connut les rigueurs de la détention d'où le ton nostalgique de certains de ses poèmes, plus particulièrement de cette belle Ballade à la paix...














BALLADE A LA PAIX





Priez, pour paix, douce Vierge Marie, Reine des cieux et du monde maîtresse. Faites prier, par votre courtoisie, Saints et saintes, et prenez votre adresse Vers votre Fils, requérant sa hautesse Qu'il lui plaise son peuple regarder, Que de son sang a voulu racheter, En déboutant guerre qui tout dévoie. De prières ne vous veuillez lasser; Priez pour paix, le vrai trésor de joie! Priez, prélats et gens de sainte vie; Religieux, ne dormez en paresse; Priez, maîtres et tous suivant clergie, Car par guerre faut que l'étude cesse. Moutiers détruits sont, sans qu'on les redresse; Le service de Dieu vous faut laisser Et ne pouvez en repos demeurer. Priez si fort que bientôt vous oie. L'Église veut ce à vous ordonner : Priez pour paix, le vrai trésor de joie! Priez, peuple qui souffrez tyrannie; Car vos seigneurs sont en telle faiblesse Qu'ils ne peuvent vous garder, par maistrie,














Ni vous aider en votre grand'détresse, Loyaux marchands, la selle bien vous blesse Fort sur le dos; chacun vous vient presser Et ne pouvez marchandise mener; Car vous n'avez sûr passage ni voie Et maint péril vous convient-il passer : Priez pour paix, le vrai trésor de joiel














VILLON (1431 -apr. 1463)





Villon n'était pas un Père de l'Église, loin de là! Clerc sans doute et étudiant, mais encore voleur de grands che­mins, voire meurtrier, il fut condamné à la potence et sa peine commuée en bannissement. L'on ignore la date exacte de sa mort... Il n'en est pas moins le premier des grands poètes fran­çais. La sincérité de ses remords, le sentiment de sa fai­blesse le rendent sympathique et touchant. Dans cette immortelle Ballade à Notre-Dame que sa vieille maman lui demanda d'écrire pour obtenir son propre pardon, il apparaît bien comme il se nommait lui-même : un malandrin de cœur « piteux » ..















BALLADE POUR PRIER NOTRE-DAME





Dame du ciel, régente terrienne, Emperière des infernaux palus, Recevez-moi, votre humble chrétienne, Que comprise sois entre vos élus, Ce nonobstant qu'oncques rien ne valus. Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse, Sont bien plus grands que ne suis pécheresse, Sans lesquels biens âme ne peut merir N'avoir les cieux. Je n'en suis jangleresse. En cette foi je veux vivre et mourir. A votre Fils dites que je suis sienne; De lui soient mes péchés absolus; Pardonne-moi comme à l'Égyptienne, Ou comme il fit au clerc Theophilus, Lequel par vous fut quitte et absolus, Combien qu'il eût au diable fait promesse. Préservez-moi de faire jamais ce, Vierge portant, sans rompure encourir, Le sacrement qu'on célèbre à la messe : En cette foi je veux vivre et mourir. Femme je suis pauvrette et ancienne, Qui rien ne sais; oncques lettre ne lus.














Au moutier vois, dont suis paroissienne, Paradis peint où sont harpes et luths, Et un enfer où damnés sont boullus : L'un me fait peur, l'autre joie et liesse. La joie avoir me fais, haute Déesse, A qui pécheurs doivent tous recourir, Comblés de foi, sans feinte ni paresse : En cette foi je veux vivre et mourir. Vous portâtes, digne Vierge, princesse, Jésus régnant qui n'a ni fin ni cesse. Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse, Laissa les cieux et nous vint secourir, Offrit à mort sa très chère jeunesse; Notre-Seigneur tel est, tel le confesse : En cette foi je veux vivre et mourir.














JEAN MICHEL (v. 1435-1501)





Médecin d'Angers, Jean Michel remanie, en 1486, la Passion d'Arnould Gréban à laquelle il ajoute la baga­telle de... « 45.000 vers » ' On trouvera ici un passage célèbre de cet ouvrage interminable où la Vierge, tour à tour suppliante et rési­gnée, implore son fils de sauver le monde par un moyen moins cruel que le supplice de la croix. Le dialogue entre le Fils et la Mère est véritablement pathétique et le dernier vers, fait curieux dans un tel débor­dement, d'une remarquable concision théologique :





« Accomplir faut les Écritures. l















MARIE IMPLORE SON FILS





Notre-Dame : 0 mon fils, mon Dieu et mon sire, Je te merci très humblement Que tu n'as pas totalement Obéi à ma volonté. Excuses ma fragilité Si par humaines passions Ai fait telles pétitions Qui ne sont mie recevables. Tes paroles sont raisonnables Et tes volontés très hautaines Et les miennes ne sont qu'humaines. Pour ce ta divine sagesse Excuse l'humaine simplesse De moi ton indigne servante, Qui, d'amour maternel fervente, Ai-fait telles requêtes vaines. Jésus : Elles sont douces et humaines Procédantes de charité; Mais la divine volonté A prévu qu'autrement se fasse. Notre-Dame : Au moins veuillez, de votre grâce, Mourir de mort brève et légère! Jésus : Je mourrai de mort très amère.














Notre-Dame : Non pas fort vilaine et honteuse! Jésus : Mais très fort ignominieuse. Notre-Dame : Doncques bien loin, s'il est permis! Jésus : Au milieu de tous mes amis. Notre-Dame : Soit doncques de nuit, je vous prie! Jésus : Mais en pleine de midi. Notre-Dame : Mourez donc comme les barons! Jésus : Je mourrai entre deux larrons. Notre-Dame : Que ce soit sous terre et sans voix! Jésus : Ce sera haut pendu en croix. Notre-Dame : Vous serez au moins revêtu? Jésus : Je serai attaché tout nu. Notre-Dame : Attendez l'âge de vieillesse! Jésus : En la force de la jeunesse. Notre-Dame : Ne soit votre sang répandu! Jésus : Je serai tiré et tendu Tant qu'on nombrera tous mes os; Et dessus tout mon humain dos Forgeront pécheurs de mal pleins, Puis fouiront et pieds et mains De fosses et plaies très grandes. Notre-Dame : A mes maternelles demandes Ne donnez que réponses dures! Jésus : Accomplir faut les Écritures.














GUILLAUME ALEXIS (v. 1440-1450 - 1486)





Religieux de Lyre, lieudit difficile à localiser de nos jours, puis prieur de Bercy, Guillaume Alexis était un bénédictin jovial et sympathique, surnommé l. le bon moine de Lyre » Guillaume fut aussi un grand voyageur puisque c'est à Jérusalem qu'il composa, en 1486, le Dialogue du cru­cifix et du pèlerin. Il est aussi l'auteur du Grand Blason de faulses amours écrit, dit-il lui-même, en « chevauchant avec ung gentilhomme entre Rouen et Verneuil » .. Son Oraison très dévote est un beau poème empreint de fraîcheur rustique et d'humilité monacale.














ORAISON TRÈS DÉVOTE O Reine qui fûtes mise Et assise Là-sus au trône divin, Devant vous en cette église, Sans feintise, Je suis venu ce matin. Comme votre pèlerin, Chef enclin, Humblement je vous présente Mon corps et mon âme, afin Qu'à ma fin Vous veuilliez être présente. Vierge, reine débonnaire, Exemplaire De parfaite charité, Vers vous je me viens retraire, Car soustraire Veux mon cœur de vanité. Hélas! Vierge, j'ai été, Maint été Et maint hiver, sans bien faire; L'ennemi m'a fort guetté Et tenté Pour moi en enfer attraire.














Je suis des mauvais le pire, A vrai dire; Car tout mon entendement Ai mis pour à chacun nuire, Et empire De jour en jour grandement. Quand je pense fortement Vraiement, Je ne sais moi que je fasse Sinon de pleurer souvent Ci-devant Votre glorieuse face. Très précieuse fontaine, Claire et saine, Et vraie étoile de mer, Espérance très certaine, D'amour pleine, Que pécheurs doivent clamer, Où me pourrai-je bouter Ni sauver Quand Dieu chacun jugera? Qui me pourra conforter M'assurer, Vierge, quand le jour sera? Hélas! Vierge, que feront, Que diront Pécheurs à cette journée? Car les anges trembleront Quand orront La sentence redoutée Lors soyez, Vierge honorée.














Apprêtée Devant Dieu à jointes mains, En disant : « Douce portée, Très aimée, Ayez pitié des humains. » Hélas! Vierge, que ferai, Où serai A ce jour horrible et fier? A vous du tout me rendrai Et dirai Que suis votre prisonnier. Je m'y dois bien rallier Et fier; Car vous êtes tant bénigne Que ne pouvez oublier Ni laisser Celui qui vers vous s'incline.















Anthologie poésie mariale