Ars Procès informatif 71

III. Sur l'Espérance de Mr Vianney.





71 La vérité est que Mr Vianney montra, dès sa plus-tendre enfance la plus ferme espérance, et que cette vertu alla toujours en grandissant dans le coeur du serviteur de Dieu. Elle éclata d'une manière particulière lorsqu'à l'âge de dix-huit ans il résolut d'embrasser la carrière ecclésiastique. Une fois qu'il eut connu que sa résolution était la volonté de Dieu, il courut vers le but proposé sans que rien pût jamais l'arrêter, ni le peu de talent qu'il se reconnaissait, ni les difficultés de tout genre que nous avons déjà signalées. Sachant que ce que Dieu veut arrive tôt ou tard, il plaçait en lui toute sa confiance, et tout en faisant ce qu'il pouvait pour réussir, il abandonnait le succès entre les mains de la Providence, Ainsi qu'il sera déposé, etc.


72 La vérité est que Mr Vianney sut entreprendre les travaux les plus rudes à Ecully et surtout à Ars, grâce à son grand abandon de lui-même et à sa grande confiance en Dieu. Il avait compris toute la mission du prêtre. Il avait compris que le prêtre doit être avant tout l'homme de la prière, qu'il a été choisi, comme dit l'Ecclésiastique, ch. 45, v. 20, pour offrir à Dieu les sacrifices, les parfums et la bonne odeur qui appellent sa miséricorde sur le monde. Aussi voyait-on le Curé d'Ars entre le vestibule et l'autel prier le Dieu de toutes miséricordes de toucher le coeur de ses paroissiens et de convertir les pécheurs; le supplier de répandre ses bénédictions sur l'univers tout entier. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


73 La vérité est que Mr Vianney qui avait reçu de Dieu, en même temps que la grâce de s'a vocation, l'intelligence de ce que doit être le prêtre, savait combien il pouvait peu compter sur lui-même. Toutefois la connaissance qu'il avait de lui-même ne le décourageait point. Le découragement est un orgueil souffrant; il naît dans les âmes faibles d'un excès de confiance en Dieu (sic). Le Curé d'Ars n'espérait rien de lui-même et attendait tout de Dieu; il s'adonnait pour cela à la piété, parce qu'il savait par la vie des saints qu'elle peut opérer des prodiges, et que Dieu se plaît souvent à se servir des instruments les plus faibles. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


74 La vérité est que Mr Vianney voulant réformer sa paroisse trouva bien des difficultés. La paroisse d'Ars ressemblait malheureusement à beaucoup d'autres; la vertu était peu connue et peu pratiquée; presque tout le monde négligeait le soin de son âme et de son salut. Les jeunes personnes n'avaient en tête que les amusements et les plaisirs, et elles s'y abandonnaient avec une joie folle et bruyante, sans retenue et sans frein. Qui saura jamais ce que le coeur du saint prêtre eut à souffrir d'un pareil état de choses! Combien l'inutilité apparente de son ministère, au milieu de la population où il devait passer sa vie, a dû dans le commencement désoler son âme! Cette douleur n'allait pourtant jamais jusqu'au découragement. Le Curé d'Ars, tout en reconnaissant la difficulté de l'entreprise, crut qu'il en viendrait à bout par les prières, les soupirs, les gémissements et les larmes devant Notre Seigneur. Dès lors, il résolut de passer les jours et les nuits à conjurer la miséricorde divine d'agir elle-même sur l'esprit de ses paroissiens. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


75 La vérité est que Mr Vianney sachant que l'église est pour tout le peuple; que c'est sa vie, sa foi, son espérance, sa gloire et comme sa famille, parce qu'elle lui rappelle tous les dogmes de notre sainte religion et cette cité du Ciel où tous réunis avec les anges et les saints nous chanterons pendant toute l’éternité les louanges de Dieu; sachant que pour mieux rendre ces mystères sensibles, il faut que le lieu de la prière soit orné d'une manière convenable et qu'aux grandes solennités on puisse étaler la richesse des ornements, résolut d'embellir la pauvre église d'Ars, et de faire pour elle tout ce qu'il pourrait. Tout le monde sait qu'à force d'efforts et de patience, il vint à bout de décorer son église d'une manière convenable, de construire différentes chapelles, et d'acheter des ornements très riches. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


76 La vérité est que la grande espérance jointe à la grande foi de Mr Vianney lui mettait dans la bouche des paroles de feu toutes les fois qu'il parlait du péché. "Le péché, disait-il, est le bourreau du bon Dieu et l'assassin de l'âme. C'est lui qui nous arrache du ciel pour nous précipiter en enfer. Et nous l'aimons!... Quelle folie! Si on y pensait bien, on aurait une si vive horreur du péché qu'on ne pourrait le commettre. O mes frères, que nous sommes ingrats! Le bon Dieu veut nous rendre heureux et nous ne le voulons pas! Nous nous détournons de lui, et nous nous donnons au démon! Nous fuyons notre ami et nous cherchons notre bourreau! Nous commettons le péché, nous nous enfonçons dans la boue; une fois engagés dans ce bourbier, nous ne voulons plus en sortir. S'il y allait de notre fortune, nous saurions bien nous tirer de ce mauvais pas; mais parce qu'il n'y va que de notre âme, nous y restons... Voyez, mes frères, le bon chrétien parcourt le chemin de ce monde, monté sur un beau char de triomphe, assis sur un trône, et c'est Notre Seigneur qui conduit la voiture. Mais le pécheur est attelé lui-même au brancard; c'est le démon qui est dans la voiture, et qui frappe sur lui à grands coups pour le faire avancer." Le Curé d'Ars avait sur ce sujet beaucoup d'autres pensées non moins remarquables. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


77 La vérité est que l'espérance des biens à venir faisait estimer à Mr Vianney les grâces et les bienfaits spirituels à leur juste valeur. Il y eut une époque où deux jubilés se suivirent d'assez près. Il ne manqua pas de gens pour se plaindre de la fréquence des jubilés et de la monotonie de leur répétition. Le retentissement de ces plaintes arriva jusqu'à Mr le Curé qui le dimanche au prône, en annonçant l'ouverture des exercices, eut soin d'ajouter: "On dit qu'on a déjà eu un jubilé l'année dernière, et on demande pourquoi il y en a encore un cette année?... Mais, mes amis, si un roi ou un grand seigneur vous avait donné trois mille francs et que, quelque temps après, il jugeât à propos de doubler la somme, cela vous ennuierait-il? Mépriseriez-vous les trois derniers mille francs à cause des trois premiers que vous auriez déjà reçus?" Ainsi qu'il sera déposé, etc.


78 La vérité est que pour juger de la grande espérance du Curé d'Ars, il suffit de l'avoir entendu parler du Ciel et du bonheur du Ciel. On se rappelle ce jour où pendant un quart d'heure, il ne put que dire; Oui nous le verrons! Nous le verrons! Tous ses auditeurs ont été si profondément impressionnes qu'ils n'en perdront jamais le souvenir. Un jour en parlant du Ciel, après avoir dit que la foi et l'espérance n'existeront plus, il ajouta: "Mais l'amour! Oh! nous en serons enivrés, nous serons noyés, perdus dans cet océan de l'amour divin, anéantis, confondus dans cette immense charité du coeur de Jésus!... Aussi la charité est un avant-goût du Ciel. Si nous savions la comprendre, la sentir, la goûter, oh! que nous serions heureux!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.


79 La vérité est que Mr Vianney ne cessait au saint tribunal, en chaire, dans ses catéchismes de parler de la grande miséricorde du Seigneur, de la facilité que nous avons d'aller au Ciel par le moyen de la grâce. Ce que d'autres n'auraient pu que par de longs discours, le Curé d'Ars l'opérait par un seul mot. Ce mot était ordinairement si plein de grâce et d'onction, qu'il lui suffisait pour entrouvrir une âme et y faire pénétrer les rayons de la lumière éternelle. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


80 La vérité est que le Curé d'Ars avait reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler les âmes. Qui pourrait dire toutes les confidences qu'il a reçues, tous les pleurs qu'il a vu répandre! Mr Vianney entendait des choses, qui fendaient l'âme. Alors il s'arrêtait; il joignait les mains; il levait au Ciel ses yeux mouillés de larmes; puis il les rabaissait sur les malheureux qu'il avait à ses pieds. Il disait quelques mots, et voilà que le calme revenait dans ces âmes troublées. Tous emportaient de leur visite des pensées plus sereines, une attente plus douce et plus paisible de l'avenir, plus de courage à supporter les tristesses présentes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


81 La vérité est qu'en travaillant incessamment au bien des âmes, Mr Vianney ne négligeait pas la sienne. Il se sanctifiait lui-même pour être plus apte à sanctifier les autres. Il n'oubliait pas le repos dans la prière que le Maître conseille à ses disciples. Il avait acquis cette habitude des hommes apostoliques de sortir de Dieu par l'action, quand ils le doivent, et de rentrer en Dieu par la prière, dès qu'ils le peuvent. Il satisfaisait son besoin d'oraison par les élévations continuelles de son âme vers Dieu. Il consacrait un temps considérable à la méditation, sans parler de celui qu'il donnait à la lecture de la Vie des Saints; il faisait de longues visites au saint Sacrement. Si au moment de la trop grande affluence de pèlerins il les rendait plus courtes, c'était uniquement pour entendre les nombreuses personnes qui réclamaient son ministère. Il s'en dédommageait par de fréquentes élévations de son coeur vers Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


82 La vérité est que Mr Vianney s'abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il disait un jour: "Quand je pense au soin que le bon Dieu a pris de moi, quand je récapitule ses bontés et ses miséricordes, la reconnaissance et la joie de mon coeur débordent de tous côtés. Je ne sais plus que devenir... Je ne découvre de toute part qu'un abîme d'amour dans lequel je voudrais pouvoir me perdre et me noyer... Je l'ai reconnu particulièrement deux fois. Lorsque j'étudiais, j'étais accablé de chagrin; je ne savais plus que faire. Je vois encore l'endroit; je passais à côté de la maison de la Bibot; il me fut dit, comme si c'était quelqu'un qui m'eût parlé à l'oreille: "Va, sois tranquille, tu seras prêtre un jour..." Une autre fois que j'avais beaucoup d'inquiétude et d'ennui, j'entendis la même voix qui me disait distinctement: "Que t'a-t-il manqué jusqu'à présent?" En effet, j'ai toujours eu de quoi faire... Il fait bon s'abandonner uniquement, sans réserve et pour toujours à la conduite de la divine Providence... Nos réserves tarissent le courant de ses miséricordes, et nos défiances arrêtent ses bienfaits... Vivons donc doucement dans le sein de cette bonne Providence si attentive à tous nos besoins. Dieu nous aime plus que le meilleur des pères, plus que la mère la plus tendre. Nous n'avons qu'à nous soumettre et à nous abandonner à sa volonté avec un coeur d'enfant." C'est par ces paroles et d'autres semblables que Mr Vianney savait relever le courage des directrices de sa Providence, quand, dans les moments difficiles, leur espérance venait à chanceler. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


83 La vérité est que pour éprouver la vertu de son Serviteur, Dieu permit que le Curé d'Ars fût presque continuellement pendant la nuit en butte aux attaques du démon, qui tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, empêchait le bon Curé de prendre le repos nécessaire à son corps après les pénibles travaux de la journée. Il y avait six ans que Mr Vianney était à Ars lorsque des bruits étranges commencèrent à troubler le repos de ses nuits et le silence de son presbytère. Dans le commencement, il eut peur d'avoir affaire à des voleurs, mais quand il comprit la cause de ces bruits, il se recommanda à Dieu, à la Sainte Vierge et à son bon ange gardien. Les missionnaires lui disaient un jour: "Ces bruits, ces voix que vous entendez dans la nuit, tout ce tintamarre ne vous fait pas peur? - Oh! non, répondit-il, je sais que c'est le grappin (nom qu'il donnait au démon): ça me suffit. Depuis le temps que nous avons affaire ensemble, nous nous connaissons; nous sommes camarades... D'ailleurs, le bon Dieu est meilleur que le démon n'est méchant; c'est lui qui me garde. Ce que Dieu garde est bien gardé!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.


84 La vérité est que Mr Vianney eut à soutenir d'autres attaques de la part des hommes et même de ses confrères; qui le contredirent de différentes manières. A leurs yeux le Curé d'Ars était un ignorant, un hypocrite, un illuminé, un extravagant, un fanatique. Les choses allèrent si loin que plus d'une fois on le dénonça à son Évêque. "Je m'attendais d'un moment à l'autre, disait-il, à être mis à la porte à coups de bâton, interdit et condamné à finir mes jours dans les prisons. Il me semblait que tout le monde aurait dû me faire les cornes pour avoir osé demeurer si longtemps dans une paroisse où je ne pouvais être qu'un obstacle au bien." Que faisait le Curé d'Ars en attendant sa disgrâce, qu'il croyait inévitable? Il priait et s’abandonnait entre les mains de Dieu. A mesure que tout lui manquait dans le monde, il se donnait et s'unissait davantage à son Seigneur. L'injustice des hommes ne servit qu'à briser tous les liens qui pouvaient encore le retenir à la terre et à le faire avancer dans l'amour de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


85 La vérité est que Dieu permit encore que Mr Vianney ressentît de très grandes peines intérieures. Afin d'augmenter ses mérites et de désintéresser son zèle, Notre Seigneur lui mettait un voile sur les yeux, en sorte qu'il n'apercevait pas le bien immense qui s'opérait par lui. Il se croyait un être inutile; il se voyait sans foi, sans piété, sans intelligence, sans savoir, sans discernement, sans vertu. Il n'était bon qu'à tout gâter, à tout compromettre, à malédifier tout le monde; il était un obstacle au bien. "Dieu m'a fait, disait-il, cette grande miséricorde de ne rien mettre en moi sur quoi je puisse m'appuyer, ni talent, ni science, ni sagesse, ni force, ni vertu... Je ne découvre en moi, quand je me considère, que mes pauvres péchés. Encore le bon Dieu permet-il que je ne les voie pas tous, et que je ne me connaisse pas tout entier. Cette vue me ferait tomber dans le désespoir. Je n'ai d'autre ressource, contre cette tentation du désespoir, que de me jeter au pied du tabernacle comme un petit chien aux pieds de son maître." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


86 La vérité est que Mr Vianney laissait parfois dans ses conversations intimes transpirer quelque chose de la profonde tristesse, qui était au fond de son coeur. Une chose le fatiguait plus que le reste, c'était le péché. La vue du mal excitait en lui les mouvements d'un fils qui voit outrager son père. "Je sèche d'ennui sur cette terre, disait-il un jour à un confrère; mon âme est triste jusqu'à la mort. Mes oreilles n'entendent que des choses pénibles et qui me navrent le coeur..." "Mon Dieu, s'écriait-il un jour, que le temps me dure avec les pécheurs! Quand donc serai-je avec les saints!... On offense tant le bon Dieu, disait-il d'autres fois, qu'on serait tenté de demander la fin du monde!... S'il n'y avait pas par là quelques belles âmes pour reposer les yeux et consoler le coeur de tant de mal qu'on voit et qu'on entend, on ne pourrait pas se souffrir en cette vie... Quand on pense, ajoutait-il en pleurant à chaudes larmes, quand on pense à l'ingratitude de l'homme envers le bon Dieu, on est tenté de s'en aller de l'autre côté des mers, pour ne pas la voir. C'est effrayant! Encore, si le bon Dieu n'était pas si bon! mais il est si bon!... O mon Dieu! mon Dieu! quelle honte nous aurons, quand le jour du dernier jugement nous fera voir toute notre ingratitude. Nous comprendrons alors, mais ce ne sera plus temps." Le Curé d'Ars avait sur ce sujet beaucoup d'autres pensées. Dans ces moments de peine, il se jetait aux pieds de Notre Seigneur, comme un petit chien aux pieds de son maître. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


87 La vérité est que Mr Vianney était sans cesse poursuivi de la crainte des jugements de Dieu. On le remarqua d'une manière particulière dans sa première maladie. Il montra aussi une vive appréhension, de la mort. Quoique la crainte des jugements de Dieu fût son idée dominante et le désespoir sa tentation: néanmoins le Curé d'Ars désirait la mort et l'appelait de tous ses voeux: "C'est, disait-il, l'union de l'âme avec le souverain bien." Il a parlé souvent d'écrire un livre sur les délices de la mort. Il y avait des moments où, dans sa conversation, on sentait que, comme St Paul, il souhaitait de sortir bientôt de la tente de son corps, afin que ce qu'il y avait de mortel en lui fût absorbé par la vie. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


88 La vérité est qu'une autre pensée poursuivait partout le Curé d'Ars, c'était le désir d'aller dans la solitude pleurer sa pauvre vie, comme il le disait. Cette idée qu'il n'était bon à rien, qu'il n'était propre qu'à tout gâter, qu'il était pour l'Église un fardeau inutile, idée qui chez lui avait pris le caractère d'une profonde conviction, et que rien ne pouvait chasser, ni la multitude des pèlerins qu'Ars voyait affluer, ni les témoignages de respect qu'il recevait, cette idée lui faisait souhaiter l'heureux jour où il pourraient briser les liens qui le retenaient à Ars. Après sa première maladie, voyant le nombre des pèlerins augmenter, il crut le moment favorable pour réitérer à l'Évêque de Belley la demande qu'il avait déjà faite, de quitter la paroisse d'Ars. La paroisse ne devait pas souffrir de son absence, puisqu'il y laissait un jeune prêtre, qui la conduirait mieux que lui. En attendant la réponse, il quitta Ars ou plutôt il s'enfuit d'Ars (car s'il n'avait pas caché son dessein, on ne l'aurait jamais laissé partir), et alla se reposer dans sa famille à Dardilly. Mais déjà il n'était plus dans la solitude à Dardilly, lorsqu'il reçut la réponse de son Évêque. Monseigneur de Belley, tout en lui offrant deux autres postes où il pouvait le placer, manifestait le désir qu'il restât à Ars. Mr Vianney, en compagnie de Mr l'abbé Raymond, se dirigea vers la chapelle de Beaumont, un des postes indiqués par son Évêque. Mais lorsqu'il y eut dit la sainte messe, se penchant tout à coup, pendant son action de grâces, vers Mr Raymond, il lui dit du ton le plus résolu: "Retournons à Ars". Il y retourna en effet et y fut reçu comme en triomphe. Il réitéra bien des fois sa demande de quitter Ars pour aller dans la solitude. Il chercha même à s'enfuir une seconde fois à l'arrivée des missionnaires. Mais Dieu ne permit pas qu'il pût réaliser son dessein. La divine Providence voulait sans doute qu'en sacrifiant son goût à l'obéissance, son plaisir au devoir, Mr Vianney eût sans cesse l'occasion de se vaincre lui-même, de fouler aux pieds son esprit, son jugement et sa volonté propre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


89 La vérité est que Mr Vianney poursuivit jusqu'à la fin de sa vie les travaux qu'il avait entrepris pour la gloire de Dieu. Comme on le voyait très fatigué dans le courant de l'année 1859, on le pressait mais en vain de prendre un peu de repos; il répondait toujours: "Je me reposerai en paradis." D'autres fois il avait dit lorsqu'il était plus rompu et plus exténué qu'à l'ordinaire: "Ah! les pécheurs tueront le pécheur!" Et encore: "Je connais quelqu'un qui serait bien attrapé, s'il n'y avait point de paradis." "Ah! je pense souvent, reprenait-il, que quand même il n'y aurait point d'autre vie, ce serait un assez grand bonheur d'aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de faire quelque chose pour sa gloire." Lui qui avait tant redouté les jugements de Dieu et tant craint la mort, vit arriver ses derniers moments avec cette assurance que donne l’espérance de voir bientôt son Dieu et de recevoir la récompense de ses travaux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




IV. Sur la charité de Mr Vianney.

1° Charité envers Dieu.





90 La vérité est que Mr Vianney dès sa plus tendre enfance montra un grand amour pour Dieu. A dix-huit mois, il savait déjà mettre ses petites mains jointes dans les mains de sa mère et dire après elle: Jésus, Marie! et toutes les syllabes dont sa langue s'enrichissait chaque jour étaient autant d'emprunts aux formules de prières. A l'âge de trois ans, il recherchait déjà la solitude pour prier avec plus de liberté. Oh! comme il correspondait admirablement aux leçons que lui donnait sa vertueuse mère, qui lui disait souvent: "Vois-tu, mon petit Jean-Marie, si je te voyais offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si c'était un autre de mes enfants." Le jeune Vianney se gardait bien de causer cette peine à sa mère, qui, comme il le répétait si souvent, était si sage. Il s'efforçait tous les jours de bien prier et de bien aimer le bon Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


91 La vérité est que le jeune Vianney devenu plus grand aimait tellement le bon Dieu, qu'il ne le perdait pas de vue, même pendant les travaux. "Si maintenant que je cultive les âmes, disait-il, quand il était Curé d'Ars, j'avais le temps de penser à la mienne, de prier et de méditer, comme quand je cultivais les terres de mon père, que je serais content! Il y avait au moins quelque relâche dans ce temps-là; on se reposait après dîner, avant de se remettre à l'ouvrage. Je m'étendais par terre comme les autres, je faisais semblant de dormir, et je priais Dieu de tout mon coeur. Ah! c'était le beau temps!" "Que j'étais heureux, répétait-il, moins d'un mois avant sa mort, lorsque je n'avais à conduire que mes trois brebis et mon âme!... Dans ce temps-là, je pouvais prier Dieu tout à mon aise." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


92 La vérité est qu'il fallut au jeune Vianney un grand amour de Dieu pour persévérer dans ses études, malgré les difficultés qui semblaient naître sous ses pas et devoir décourager les plus forts. En entrant dans la carrière ecclésiastique, il ne se proposait que de faire aimer Dieu en sauvant les âmes. Il triompha de tous les obstacles pour suivre sa vocation, parce qu'il crut que telle était la volonté de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


93 La vérité est que soit à Ecully, soit à Verrières, soit au Grand séminaire, notre jeune étudiant sut se faire remarquer par la pratique de toutes les vertus, et surtout par sa grande piété. Son amour pour Dieu brilla encore d'un plus vif éclat lorsqu'il fut appelé à recevoir les ordres. Il n'en pouvait pas être autrement. Sa foi jointe à sa grande charité, devait nécessairement réagir sur tout son extérieur dans un moment aussi solennel. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


94 La vérité est qu'aussitôt après la réception du sacerdoce, Mr Vianney, nommé vicaire à Ecully, se sentit, dès les premiers jours, une ardeur qu'il ne se connaissait pas. Il lui semblait qu'il n'avait encore rien fait pour Dieu. Les prières et les pénitences qu'il faisait ne répondaient plus à son nouveau besoin d'aimer Dieu et de s'immoler pour lui. Il y eut donc un redoublement d'ardeur pour le service de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


95 La vérité est que Mr Vianney menait avec Mr Balley, qui avait conservé au milieu du siècle les habitudes du cloître, la vie la plus sainte et la plus exemplaire. Par exemple, il avait été convenu entre Mr Balley et son vicaire que, tous les jours, l'office canonial se dirait en commun, à une heure fixe et invariable; qu'on ne découcherait jamais; qu'on ferait chaque mois, un jour de récollection et chaque année, les exercices spirituels. "J'aurais fini par être un peu sage, disait le Curé d'Ars, si j'avais eu le bonheur de vivre avec Mr Balley. Pour avoir envie d'aimer le bon Dieu, il suffisait de lui entendre dire: Mon Dieu, je vous aime de tout mon coeur." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


96 La vérité est qu'à Ars, Mr Vianney se montra tel qu'il avait paru à Ecully, tout plein de l'amour de Dieu et ne désirant que sa gloire. Il s'efforçait tous les jours d'exciter en lui le feu de la charité. Comme dans le commencement le ministère lui donnait, à son grand regret, peu d'occupation, le Curé d'Ars sembla choisir l'église pour sa demeure. Il y passait presque toute la journée. "Que nous aimons à voir Mr le Curé à l'église, disaient les habitants d'Ars, surtout le matin, au petit jour, quand il dit ses prières! Avant de commencer, et de temps en temps pendant la récitation du saint office, il regarde le tabernacle avec un sourire qui fait plaisir." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


97 La vérité est que Mr Vianney avait parfaitement compris la mission du prêtre en ce monde. Mais il avait aussi parfaitement compris que pour remplir cette mission, c'est-à-dire pour purifier les âmes, les éclairer, les consoler, les amener à vouloir les choses les plus hautes et les plus difficiles, les arracher à la tyrannie des passions et à la fascination des faux biens de la terre, pour les faire vivre de la vie de J.-C., il faut avoir Dieu pour soi et pratiquer à la lettre ce que dit Notre Seigneur: Je me sanctifie moi-même, afin qu'ils soient sanctifiés. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


98 La vérité est que Mr Vianney, pour atteindre ce double but de sa sanctification personnelle et de la sanctification de ses paroissiens, choisit 1° pour lui une vie mortifiée et pénitente. Il avait médité bien des fois cette parole de Notre Seigneur: Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive, et il tâchait de la mettre en pratique. Persuadé que les fidèles tôt ou tard finissent par régler leur conduite sur celle de leur pasteur, il s'efforça 2° de donner en tout le bon exemple, d'administrer les sacrements avec un grand esprit de foi, d'annoncer la parole de Dieu avec toute l'onction et toute la force que donne le zèle du salut des âmes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


99 La vérité est que Mr Vianney, dès qu'il crut le terrain suffisamment préparé, essaya d'établir les confréries, la prière du soir en public, l'adoration perpétuelle et la pratique de la fréquente communion. Il était convaincu par tout ce qu'il avait vu et senti lui-même, que la sainte Eucharistie est le fondement de la vie chrétienne; le secret de toutes les merveilles que l'esprit de foi, d'abnégation et de dévouement fait enfanter tous les jours aux vrais fidèles; le foyer où s'allume le désintéressement des Apôtres, la constance des martyrs, la générosité des Confesseurs, la pureté des vierges. Aussi recommandait-il la fréquente communion dans les termes les plus propres à porter les fidèles à embrasser cette pieuse pratiqué. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


100 La vérité est que le Curé d'Ars sachant que les abus, qu'il avait trouvés dans sa paroisse, s'ils persévéraient, pourraient paralyser tout le bien qu'il avait eu en vue en établissant les confréries, etc., après avoir prié longtemps, déploya pour les détruire tous les moyens qu'un zèle prudent fait employer. Dieu couronna ses efforts d'un plein succès. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


101 La vérité est que le Curé d'Ars n'avait qu'une seule pensée: aimer et faire aimer Dieu, Dieu et rien que Dieu! Dieu toujours, Dieu partout, Dieu en tout! Toute la vie du Curé d'Ars est là. Trente ans de cette sublime monotonie! Trente ans d'une existence toujours semblable à elle-même! Toujours l'oeuvre de Dieu; jamais il n'y a mis du sien; jamais il ne s'est accordé la plus petite jouissance. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


102 La vérité est que pour juger cette grande charité du Curé d'Ars, il faut le suivre dans les différentes fonctions de son ministère.

Sa dévotion envers le très saint sacrement était admirable. Avant que la foule des pèlerins fût si nombreuse, il disait toujours son office à genoux, sans aucun point d'appui; souvent il faisait des pauses et regardait le tabernacle avec des yeux où se peignait une joie si vive, qu'on aurait pu croire qu'il voyait Notre Seigneur. Lorsque le saint sacrement était exposé, il ne s'asseyait jamais, excepté quand il y avait quelque prêtre étranger, pour ne pas faire autrement que lui. Alors il se tournait vers l'autel avec un sourire extatique. Un de ses confrères le surprenant un jour dans cette attitude, porta instinctivement ses regards vers le tabernacle, comme s'il avait dû voir quelque chose. Il ne vit rien; mais l'expression du visage de Mr Vianney l'avait tellement frappé, qu'il dit: "Je crois qu'il viendra un temps où le Curé d'Ars ne vivra que de l'Eucharistie." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


103 La vérité est que Mr Vianney paraissait un ange au saint autel. La pensée qu'il voyait Notre Seigneur à l'autel venait à tous ceux qui avaient le bonheur d'assister à sa messe. Il n'était pas possible de contempler une figure exprimant mieux l'adoration, ou s'illuminant à un si haut degré de cet éclat céleste, qui manifeste l'action du Saint Esprit. On aurait dit qu'il tombait sur lui un rayon de la gloire divine. Le coeur, l'esprit, l'âme et les sens semblaient également absorbés, et ils l'étaient effectivement. On ne pouvait saisir une seconde de distraction dans sa prière. Au milieu de la foule, et sous l'influence de tant de regards attachés sur lui, il communiquait avec Notre Seigneur aussi librement que s'il avait été dans la solitude de sa pauvre chambre. Il répandait en sa présence des pleurs d'amour. Ordinairement ses larmes ne tarissaient pas tout le temps que duraient les saints mystères. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


104 La vérité est que le Curé d'Ars n'était ni trop lent, ni trop prompt à l'autel; il consultait plutôt l’utilité de tous que son attrait et sa piété. Le seul moment où il était plus long que les autres prêtres c'était avant la communion. Les prières liturgiques terminées, il y avait comme un colloque mystérieux entre Notre-Seigneur et son Serviteur. Enfin après un moment d'hésitation, Mr Vianney consommait les saintes espèces. Au moment de l'élévation sa figure paraissait parfois si céleste, que plus d'une personne, croyant presque à une extase, regardait si le Curé d'Ars touchait encore la terre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


105 La vérité est que ce grand amour pour Notre Seigneur au très saint Sacrement porta le Curé d'Ars à orner son église d'une manière convenable. Il aimait les beaux reposoirs pour la Fête-Dieu; il voulut avoir de magnifiques chasubles, etc. Rien n'était trop beau quand il s'agissait du culte de Dieu. "Oh! j'aime bien, disait-il à chaque nouvelle acquisition, augmenter le ménage du bon Dieu. Comment ne donnerait-on pas à Notre Seigneur tout ce qu'on a de plus riche et de plus précieux? Quelle ingratitude ce serait de se montrer avare envers un Dieu, qui se montre si prodigue! N'a-t-il pas donné tout son sang pour nous sur la croix? Ne se donne-t-il pas à nous tout entier dans la sainte Eucharistie?" Ainsi qu'il sera déposé, etc.


106 La vérité est que dans son grand amour pour Notre Seigneur au très saint Sacrement le Curé d'Ars avait demandé à ce divin Sauveur la grâce de distribuer tous les jours son très saint corps à un grand nombre de fidèles. Son voeu fut exaucé au-delà de ce qu'il pouvait attendre. Comme on était édifié toutes les fois qu'on voyait Mr Vianney distribuer la sainte Communion, porter le saint Viatique, donner la bénédiction du Saint Sacrement! Quand il annonçait la procession de la Fête-Dieu et les bénédictions de l'Octave, son visage paraissait tout enflammé. Il jouissait déjà du bonheur qu'il aurait de porter son Dieu et son Sauveur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


107 La vérité est que le Curé d'Ars était admirable toutes les fois qu'il avait à parler sur l'amour de Dieu ou sur le saint Sacrement. "Aimer Dieu, disait-il, oh! que c'est beau!... Il faut le Ciel pour comprendre l'amour... La prière aide un peu, parce que la prière, c'est l'élévation de l'âme jusqu'au Ciel. Plus on connaît les hommes, moins on les aime. C'est le contraire pour Dieu: plus on le connaît, plus on l'aime. Cette connaissance embrase l'âme d'un si grand amour, qu'elle ne peut plus aimer ni désirer que Dieu..." Il finissait souvent son catéchisme par ces mots: "Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu: Oh! belle vie!... et belle mort!" Il ne tarissait pas, quand il avait à parler de l'amour de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


108 La vérité est qu'il n'était pas moins admirable quand il parlait du très saint Sacrement. "O Jésus, s'écriait-il souvent, les yeux remplis de larmes, vous connaître, c'est vous aimer!... Si nous savions comme Notre Seigneur nous aime, nous mourrions de plaisir! Je ne crois pas qu'il y ait des coeurs assez durs pour ne pas aimer en se voyant tant aimés... C'est si beau la charité! C'est un écoulement du coeur de Jésus, qui est tout amour." En l'entendant parler sur ce sujet, on sentait que Jésus Christ était sa vie, et l'adorable Eucharistie le seul étanchement possible à la soif qui le consumait. Ce n'était pas des paroles, c'étaient des flammes, qui sortaient de son coeur et de sa bouche. Il y avait dans la manière dont il prononçait l'adorable nom de Jésus, et dont il disait: Notre Seigneur! un accent qui frappait tout le monde. Il semblait que son coeur se répandait sur ses lèvres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


109 La vérité est que Mr Vianney paraissait également inspiré quand il avait à parler des joies de la prière et de la vie intérieure. "La prière, disait-il, voilà tout le bonheur de l'homme sur la terre. Oh! belle vie, belle union de l'âme avec Notre Seigneur! L'éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce bonheur... La vie intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge... Elle est comme noyée dans l'amour!... Dieu tient l'homme intérieur comme la mère tient la tête da son enfant dans ses mains pour le couvrir de baisers et de caresses... On aime une chose à proportion du prix qu'elle nous a coûté. Jugez par là de l'amour que Notre Seigneur a pour notre âme, qui lui a coûté tout son sang. Il est affamé de communications et de rapports avec elle. Le temps lui dure de la voir, de l'entendre... On n'a pas besoin de tant parler pour bien prier. On sait que le bon Dieu est là, dans le saint tabernacle; on lui ouvre son coeur; on se complaît en sa sainte présence; c'est la meilleure prière, celle-là." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


110 La vérité est que tous ceux qui avaient le bonheur de s'adresser pour la confession au Curé d'Ars sentaient en lui l'homme de Dieu. Quand dans les courtes exhortations qu'il faisait après l’accusation des péchés, il parlait de l'amour de Dieu, de la malice du péché, il le faisait dans des termes auxquels il était impossible de résister. Aussi qui pourrait raconter les nombreuses conversions qui se sont opérées à Ars par son ministère? Le bon Curé a été obligé d'avouer qu'on ne saura jamais en ce monde combien de pécheurs ont rencontré leur salut à Ars. Au lieu de s'en glorifier, il en prenait occasion de s'humilier: "Si Dieu, disait-il, avait eu sous la main un autre prêtre, qui eût plus de raison que moi de s'humilier, il l'aurait pris, et il aurait fait par lui cent fois plus de bien." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


111 La vérité est que Dieu a exaucé d'une manière vraiment extraordinaire ce voeu qu'avait formé Mr Vianney au moment où se sentant appelé au sacerdoce, il s'était dit: "Si j'étais prêtre un jour, je voudrais gagner bien des âmes au bon Dieu." Ce n'étaient pas seulement les pécheurs qui recevaient la grâce de la conversion, les justes s'affermissaient dans le bien, les tièdes déposaient leur langueur spirituelle; tous sentaient croître en eux le désir de servir Dieu et de faire pour cela tous les sacrifices nécessaires. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


112 La vérité est que c'est une difficile épreuve que de conserver le calme dans l'activité, le recueillement dans les travaux extérieurs les plus absorbants, l'union constante avec Dieu, au milieu de la foule et du bruit. Le Curé d'Ars, grâce à son grand amour pour Dieu, a été supérieur à cette épreuve. A quelque moment qu'on le vît, environné, pressé, assailli par la multitude indiscrète, harcelé de questions oiseuses et absurdes, obsédé de demandes impossibles, interpellé de partout et ne sachant souvent à qui répondre, on le trouvait toujours égal à lui-même, toujours gracieux, toujours aimable, toujours compatissait, toujours prêt à condescendre et à accorder tout ce qu'on lui demandait, toujours la figure calme et souriante. Jamais on n'a pu surprendre en lui le moindre signe de dépit, jamais la moindre brusquerie; jamais sur son front la plus imperceptible nuance de mécontentement, l'ombre d'un nuage; jamais sur ses lèvres de reproche, ni de plainte. Était-il entouré des marques du respect, de la confiance, de l'admiration, acclamé, escorté, porté en triomphe par la foule; voyait-il cette foule s'attacher à ses pas, se suspendre à ses lèvres, s'agenouiller pour recevoir sa bénédiction? On le retrouvait encore le même, ingénu comme un enfant, simple, modeste, bon, n'ayant pas l'air de se douter que sa vertu fût pour quelque chose dans cet étonnant concours. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


113 La vérité est que dans les entretiens qu'il était obligé d'avoir, il ne trouvait de bon, d'agréable, d'intéressant, que ce qui lui parlait de Dieu. Le souverain Bien l'attirait à ce point qu'il ne pouvait en détourner sa pensée. Il parlait des mystères de l'autre monde comme s'il en fut revenu et des vanités de celui-ci avec une ironie si douce et si plaisante qu'on ne pouvait s'empêcher d'en rire. Si quelqu'un venait à parler des choses humaines, le bon Curé ne l'interrompait pas, mais on voyait qu'il n'était plus dans son élément. Il fallait ramener la conversation aux choses spirituelles pour lui rendre son aimable gaîté. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


114 La vérité est que si Mr Vianney demeurait étranger aux choses du monde matériel, tout ce qui se rattachait aux choses spirituelles, tout ce qui concernait l'Église, tout ce qui étendait l'honneur et la gloire de Jésus-Christ, tout ce qui contribuait à la glorification de son saint Nom, à la dilatation de sa doctrine, au triomphe de la vérité, toutes les conquêtes de la grâce; tout, dans cet ordre de faits, l'intéressait, l'impressionnait, le faisait tressaillir d'allégresse et le comblait de consolation. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


115 La vérité est qu'au contraire toutes les nouvelles fâcheuses concernant l'Église, comme les attaques des impies, etc., lui causaient une amère douleur. Il ne cessait de pleurer sur le sort des malheureux pécheurs, sur l'ingratitude des hommes envers Dieu, envers Notre Seigneur au très saint Sacrement. Une chose le fatiguait plus que tout le reste, c'était la vue du péché, comme il a été dit ci-dessus au n° 86. Il répandait une très grande abondance de larmes en pensant au malheur des prêtres, qui ne correspondent pas à la sainteté de leur vocation. "Un prêtre, disait-il un jour aux missionnaires, qui a le malheur de ne pas célébrer en état de grâce, quel monstre!... Non, on ne peut comprendre tant de méchanceté!" Il avait l'habitude de réciter, le soir avant de se coucher, sept Gloria Patri en réparation des outrages faits au corps de Notre Seigneur par les prêtres indignes, et il a fait une fondation de messes à la même intention. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


116 La vérité est que pour arriver à ce grand degré de charité, que nous admirons dans Mr Vianney, le serviteur de Dieu a dû passer par beaucoup de tribulations, de luttes et d'épreuves. La sainteté est le fruit du sacrifice: c'est une mort et une renaissance, la mort du vieil homme, la renaissance de l'homme nouveau. Or, tout cela ne se fait pas sans souffrir. On est presque effrayé quand on songe à toutes les mortifications et à toutes les pénitences que l'amour de Dieu a fait entreprendre à Mr Vianney. La mortification et l'humilité ont été le fondement de sa sainteté et les deux puissants ressorts de sa vie. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


117 La vérité est que c'est en n'épargnant rien de ce qu'il y avait en lui de sensible; c'est en appliquant sans cesse aux parties les plus vives de son être le fer et le feu; c'est par la croix et par le sacrifice que Mr Vianney arriva peu à peu à pouvoir dire avec l'Apôtre: Je vis, mais ce n'est pas moi qui vis, c'est J.-C. qui vit en moi. En se sacrifiant lui-même, il avait écarté les obstacles qui l'empêchaient de voler vers Dieu. Aussi put-il courir à grands pas dans le chemin de la vertu. Il était arrivé à pouvoir dire avec l'Apôtre, Philip. III, v. 8 et seq.: "Tout me semble perte au prix de cette haute science de Jésus-Christ mon Seigneur, pour l'amour de qui j'ai résolu de perdre toutes choses, les regardant comme ce qu'il y a de plus vil, afin de gagner J.-C..., d'avoir part à ses souffrances en devenant conforme à sa mort." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


118 La vérité est que Dieu, pour éprouver son serviteur, permit que Mr Vianney ressentît des peines intérieures, qui l'ont bien fait souffrir toute sa vie. Mais comme le Curé d'Ars servait Dieu pour Dieu, et non pour son plaisir particulier, il ne changea rien à son genre de vie sans y être forcé par l'obéissance. Il tâchait de pratiquer ce qu'il disait lui-même aux autres, que l'on montre plus de charité en servant Dieu malgré les désolations intérieures qu'en le servant au milieu des consolations spirituelles. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


119 La vérité est que la profonde humilité de Mr Vianney, en le persuadant que non seulement il était inutile, mais encore nuisible au bien des âmes, avait mis dans son coeur une pensée, qui le poursuivait partout. Le désir de la solitude lui revenait sans cesse à l'esprit. L'idée de s'enfuir à la Trappe, au Carmel, à la Grande Chartreuse ou dans un désert éloigné pour y pleurer sa pauvre vie, disait-il, et essayer si le bon Dieu voudrait encore lui faire miséricorde, fut longtemps son idée fixe. "Ah! disait-il, comme je vais prier le bon Dieu quand je serai seul! Une pensée me dit que j'aurai bien du bonheur." Dieu ne permit pas qu'il pût réaliser son dessein. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


120 La vérité est que Mr le Curé d'Ars fut en butte à d'autres peines. Presque toutes les nuits le démon tantôt d'une façon, tantôt d'une autre venait l'effrayer et troubler son sommeil. Dans le commencement il crut que c'étaient des voleurs et prit des précautions. Quand il eut acquis la certitude que c'était le démon, qui voulait l'effrayer, il s'abandonna à la volonté de Dieu, le pria d'être son défenseur et son gardien, et de s'approcher de lui avec ses saints anges, quand son ennemi viendrait de nouveau le tourmenter. Il se recommandait aussi à la sainte Vierge et à son bon ange. Comme les attaques du malin esprit étaient plus importunes, lorsque quelque grand pécheur devait venir faire sa confession, le bon Curé, qui s'oubliait en tout lui-même, s'en réjouissait en pensant au bien qui allait se faire, et en annonçant la visite du démon, il ajoutait parfois avec un aimable sourire: "Le diable est en colère, c'est bon signe." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


121 La vérité est que le Curé d'Ars fut en butte aux contradictions des hommes, comme il a été dit plus haut. Ces contradictions ne firent que le détacher des choses de ce monde et l'attacher à Dieu. Il savait que, selon l'Apôtre St Paul, tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qu'il a appelés selon son décret pour être saints. Il savait, comme il le disait lui-même, que les épreuves pour ceux que Dieu aime, ne sont pas des châtiments, mais des grâces. Il s'humiliait donc, il priait, et il s'abandonnait entièrement entre les mains de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


122 La vérité est que les missionnaires, rappelant un jour à Mr Vianney cette époque de sa vie, lui demandèrent si la contradiction ne l'avait jamais ému, au point de lui faire perdre la paix. Il leur fit cette réponse admirable: "La croix, la croix faire perdre la paix! C'est elle qui a donné la paix au monde; c'est elle qui doit la porter dans nos coeurs. Toutes nos misères viennent de ce que nous ne l'aimons pas. C'est la crainte des croix, qui augmente les croix. Une croix portée simplement, et sans ces retours d'amour propre, qui exagèrent les peines, n'est plus une croix. Une souffrance paisible n'est plus une souffrance. Nous nous plaignons de souffrir! Nous aurions bien plus de raison de nous plaindre de ne pas souffrir, puisque rien ne nous rend plus semblables à Notre Seigneur Jésus-Christ par l'amour et la vertu de sa croix! Je ne comprends pas comment un chrétien peut ne pas aimer la croix et la fuir! N'est-ce pas fuir en même temps celui qui a bien voulu y être attaché et y mourir pour nous?"Ainsi qu'il sera déposé, etc.




2° Charité envers le prochain.





123 La vérité est que la maison Vianney était l'asile ouvert à tous les malheureux. Notre jeune Vianney s'exerça dès le bas âge à seconder ses parents dans l'exercice de la charité. Il amenait à la maison tous les mendiants qu'il rencontrait sur son chemin; une fois, il vint à bout d'en réunir vingt-quatre. A la vue de ces malheureux, qui bien souvent avaient avec eux de petits garçons ou de petites filles, son coeur s'attendrissait; rien ne pourrait donner une idée de son industrieuse activité pour subvenir à leurs besoins les plus pressants. Il les faisait approcher du foyer les uns après les autres, en commençant par les plus petits. Son bonheur était de ramasser ce qui restait du repas de la famille, de le leur distribuer, en y ajoutant tout ce qu'il pouvait retrancher sur sa propre nourriture. Il passait ensuite l'inspection de leurs vêtements et demandait à sa mère dont il connaissait la tendre compassion, pour l'un un pantalon, pour l'autre une chemise, pour celui-ci une veste, pour celui-là des sabots. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


124 La vérité est que lorsque le jeune Vianney avait à faire à des enfants de son âge, il leur apprenait le Pater, l'Ave Maria, les actes de foi, d'espérance, de charité, les principales vérités de la religion; il leur disait qu'il fallait être bien sage, bien aimer le bon Dieu, ne pas se plaindre de leur sort et en supporter patiemment les rigueurs en pensant au bonheur du ciel. Quoiqu'il s'adressât aux petits, il était écouté des grands avec un intérêt, qui tenait à la fois de la reconnaissance et de l'admiration. A leur départ, tous le bénissaient, mais le jeune Vianney, qui déjà fuyait les éloges, se dérobait au plus vite à leur reconnaissance. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


125 La vérité est que tout son bonheur, quand il était berger, comme il a été dit plus haut, était de placer sa petite statue de la sainte Vierge sur un autel de gazon; puis, lorsqu'il lui avait offert le premier ses hommages, d'inviter tous ses compagnons à en faire autant. Il ne se sentait pas de joie, quand il les voyait à genoux autour de l'image vénérée. Il récitait la salutation angélique, se levait gravement et se mettait à prêcher la dévotion à la très sainte Vierge avec un langage empreint de la plus expressive tendresse. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


126 La vérité est que pendant qu'il était à Ecully pour faire ses études, il continuait à être l'ami des pauvres. Il ne put jamais rencontrer un malheureux sans être touché jusqu'au fond du coeur. Il amenait coucher à la ferme du Point du jour où il avait fixé sa résidence, tous ceux qu'il trouvait sur son chemin. Allant une fois d'Ecully à Dardilly, il en vit un qui n'avait point de chaussures; il lui donna ses souliers neufs, et arriva chez lui les pieds nus, il fut bien grondé par son père, qui, tout charitable qu'il était, ne l'était pas à la manière de son fils. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


127 La vérité est que le jeune Vianney sut mériter à Verrières comme ailleurs les éloges des personnes, qui eurent le bonheur de le connaître. Parmi ses condisciples il en était un cependant qui ne pouvait supporter les marques d'estime que l'on prodiguait au jeune Vianney. Il ne cessait de l'injurier et en venait même aux voies de fait. Notre jeune Vianney ne répondait que par un sourire de contentement et de bienveillance. Il se serait bien gardé de se plaindre à ses supérieurs. Un jour que les menaces avaient succédé aux injures et les coups aux menaces avec un redoublement de violence, on raconte que le jeune Vianney tomba à genoux devant son bourreau et lui demanda pardon. Terrassé par un coup si inattendu, rougissant enfin de sa lâche conduite, ce fut au tour du vrai coupable de tomber à genoux et de demander pardon. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


128 La vérité est que lorsque Mr Vianney après la réception du sacerdoce eut été placé comme vicaire à Ecully, on le vit pratiquer toutes les vertus d'un bon pasteur. On le trouvait en particulier toujours prêt à se dévouer et à se sacrifier. Les malades, au moindre signe, le voyaient accourir à leur chevet; il était ingénieux à les consoler, patient à les entendre, assidu à les visiter. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


129 La vérité est qu'il était à Ecully affable, obligeant, gracieux envers tout le monde. Il semblait cependant avoir une prédilection pour les pauvres et les petits. Il ne ferma jamais à personne ni sa bourse, ni son coeur. On a conservé, à Ecully, la mémoire de son inépuisable charité. Nous n'en citerons qu'un trait parmi beaucoup d'autres. Il y avait longtemps qu'il portait la même soutane, et l'on s'en apercevait facilement. Averti plus d'une fois qu'il devait à sa dignité une mise plus convenable, il répondait: "J'y songerai." Et en attendant son petit traitement de vicaire, il continuait à se fondre en aumônes et en libéralités de toute espèce. Un jour cependant, il s'était décidé à remettre à la femme du marguillier la somme nécessaire à l'emplette d'une soutane. Mais quelques heures après il recevait la visite d'une dame, que le malheur des temps et une bienfaisance, qui donnait toujours sans jamais compter, avaient réduite à la plus douloureuse extrémité. Le bon Vicaire fut attendri au récit qui lui était fait, et courut aussitôt chercher son argent pour le faire remettre à cette dame par des mains inconnues. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


130 La vérité est que Mr Vianney nommé Curé à Ars chercha immédiatement les moyens de renouveler sa paroisse. Il avait déjà vu par tout ce qui s'était passé à Ecully, que le vrai moyen de faire du bien, c'est de se faire aimer. Comme on l'a dit, la charité est la première puissance pour gouverner les hommes, pour les relever de leur abjection, les grandir à leurs propres yeux et les pousser parfois jusqu'à l'héroïsme. Ce secret de la charité, le nouveau Curé d'Ars le possédait. Il n'a tenu tant d'âmes dans sa main, il n'en a vu tant d'autres à ses pieds, que parce qu'il a beaucoup aimé les hommes et qu'il a su s'en faire aimer. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


131 La vérité est qu'à peine installé au milieu de ses paroissiens, il voulut tout voir de ses yeux, tout connaître par lui-même, tout réjouir par sa présence, se faire tout à tous pour les gagner tous à J.-C. Pour cela il ne se contentait pas de ces rapports généraux, où le prêtre étant l'homme de tout le monde n'est pas assez l'homme de chacun; il saisissait la moindre occasion de donner individuellement à ses paroissiens des marques privées et directes de son affection et de son dévouement pour eux. Ouvert, complaisant, affable envers tous, sans cependant oublier sa dignité de prêtre et de pasteur, il n'aurait pas rencontré un enfant sans le saluer et lui adresser en souriant quelques mots aimables. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


132 La vérité est que le Curé d'Ars sut faire de la visite à domicile un des moyens de se gagner le coeur de ses paroissiens. Il ne se contentait pas d'aller là où on l'appelait, il se présentait même là où on ne l'appelait pas, mais toujours d'une façon très discrète; attendant les occasions favorables ou les faisant naître. Il choisissait volontiers l'heure des repas, afin de trouver toute la famille réunie, et pour ne causer ni dérangement ni surprise, il s'annonçait de loin, en appelant par son nom de baptême le maître de la maison; puis il entrait, faisait signe à tout le monde de continuer, d'un geste qui n'admettait point de réplique, s'appuyait un instant contre un meuble, et, après avoir demandé des nouvelles de tout ce qui pouvait intéresser la famille, par une transition ménagée avec autant d'adresse que de douceur, il ne manquait pas d'ajouter quelques mots d'édification. Tous l’écoutaient avec une attention religieuse. Quand il s'en allait, sa visite n'avait pas seulement charmé; elle avait instruit, consolé, affermi dans le bien. De nombreux retours à Dieu furent le fruit de ces simples entretiens. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


133 La vérité est que son amour pour Dieu joint à sa grande charité pour ses paroissiens le porta à remplir avec toute la perfection possible ses devoirs de Curé. Il sut détruire les abus, introduire ces pratiques dont nous avons parlé et qui font fleurir la piété. Une chose lui coûtait beaucoup: c'était la prédication. Il aurait pu se dire comme plusieurs se plaisent à le répéter: A quoi bon tant préparer mes instructions? Je suis au milieu d'un peuple de paysans; j'en saurais toujours assez pour eux. Le Curé d'Ars raisonnait bien différemment. Aussi consacrait-il à préparer ses instructions tout le temps que les exercices spirituels et les autres devoirs de sa charge pastorale ne remplissaient pas. Il se renfermait des journées entières dans sa sacristie, pour composer ses prônes et ses homélies. Lorsqu'il les avait écrits, seul et sans témoin, il les récitait comme s'il eût été en chaire. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


134 La vérité est que le Curé d'Ars désirait tellement le salut de ses paroissiens, qu'il avait dit à Dieu: "Mon Dieu, accordez-moi la conversion de ma paroisse: je consens à souffrir ce que vous voudrez, tout le temps de ma vie." Il avait dit d'autres fois: "J'accepterais bien de souffrir cent ans les douleurs les plus aiguës, pourvu que le bon Dieu daignât m'accorder la conversion de ma paroisse." Un curé se plaignait un jour à Mr Vianney de ne pouvoir changer le coeur de ses paroissiens: "Vous avez prié, répondit celui-ci, vous avez pleuré, vous avez gémi, vous avez soupiré. Mais ayez-vous jeûné, avez-vous veillé, avez-vous couché sur la dure, vous êtes-vous donné la discipline? Tant que vous n'en serez pas venu là, ne croyez pas avoir tout fait." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


135 La vérité est que Mr Vianney avait demandé à souffrir beaucoup, le jour pour la conversion des pécheurs, la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire, et Dieu l'avait largement exaucé. Il a souvent avoué qu'il ne dormait pas une heure d'un sommeil tranquille et réparateur. Vers la fin de sa vie la fièvre le brûlait sur son pauvre grabat; la toux qui lui déchirait la poitrine était sans intermittence; il se levait de quart d'heure en quart d'heure, rompu de fatigue, baigné de sueur, pour essayer de trouver hors du lit quelque soulagement à ses souffrances. Et quand la douleur commençait à se calmer par son intensité même, quand il allait pouvoir enfin s'assoupir, c'était l'heure où ce pauvre vieillard septuagénaire, par un héroïque effort qu'il renouvelait chaque nuit, s'arrachait au repos avant de l'avoir goûté, et reprenait gaîment sa longue et rude journée de travail. L'amour des âmes, la soif de leur salut lui rendait légers tous les sacrifices. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


136 La vérité est que le Curé d'Ars gémissait continuellement sur la perte des âmes. Il disait avec un accent, qui indiquait toute sa douleur: "Quel dommage que des âmes, qui ont coûté tant de souffrances au bon Dieu, se perdent pour l’éternité!" Il disait encore en élevant les yeux au Ciel et en soupirant: "Mon Dieu, est-il possible que vous ayez enduré tant de tourments pour sauver les âmes, et que ces âmes deviennent la proie du démon?" Il ne cessait de prier pour la conversion des pécheurs; il a fondé des messes dans la même intention. En recommandant de prier pour la conversion des pécheurs, il disait: "Rien n'afflige tant le coeur de Jésus que de voir toutes ses souffrances perdues pour un grand nombre... Prions donc pour la conversion des pécheurs: c'est la plus belle et la plus utile des prières. Car les justes sont sur le chemin du Ciel, les âmes du purgatoire sont sûres d'y entrer... Mais les pauvres pécheurs, les pauvres pécheurs!... Que d'âmes nous pouvons convertir par nos prières!... Toutes les dévotions sont bonnes, mais il n'y en a pas de meilleure que celle-là." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


137 La vérité est qu'un jour le Missionnaire de Mr Vianney lui disait: "Monsieur le Curé, si le bon Dieu vous proposait ou de monter au Ciel à l'instant même, ou de rester sur la terre pour travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous? - Je crois que je resterais, mon ami. - Oh! Monsieur le Curé, est-ce possible? Les saints sont si heureux dans le Ciel! plus de tentations, plus de misères! - C'est vrai, mon ami, reprit-il avec un sourire angélique; mais les saints sont des rentiers! Ils ont bien travaillé, et Dieu récompense leurs travaux; mais ils ne peuvent plus comme nous glorifier Dieu par des sacrifices pour le salut des âmes. - Resteriez-vous sur la terre jusqu'à la fin du monde? - Tout de même. – Dans ce cas, vous auriez bien du temps devant vous: vous lèveriez-vous si matin? - Oh! oui, mon ami, à minuit! Je ne crains pas la peine... Je serais le plus heureux des prêtres, si ce n'était cette pensée qu'il faut paraître au tribunal de Dieu avec ma pauvre vie de Curé." En disant cela, de grosses larmes coulaient de ses yeux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


138 La vérité est que son grand désir de sauver les âmes lui a fait fonder l'oeuvre admirable des missions. Près de cent missions, comme nous l'avons dit, ont été établies par ses soins et se donneront de dix en dix ans dans les paroisses qu'il a désignées, sans que les fidèles aient à supporter aucune dépense. Une société de douze missionnaires est chargée du service de ces missions, de la direction de la paroisse et du pèlerinage d'Ars, et perpétue ainsi le bien que le bon Curé avait en vue en faisant de si utiles fondations. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


139 La vérité est que dans le commencement de son ministère à Ars, le zèle de Mr Vianney se sentait à l'étroit dans une si petite localité, et toute la sollicitude pastorale ne suffisait pas pour alimenter le feu sacré qui brûlait au fond de son coeur d'Apôtre. Ses supérieurs le comprirent et lui offrirent la paroisse de Salles dans le Beaujolais. Mais par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, il ne put en prendre possession, et sur les instances réitérées des habitants d'Ars, ses supérieurs consentirent à le laisser dans sa pauvre paroisse. Dès lors il s'attacha plus que jamais à ses chers paroissiens. Il sembla ne vivre et ne respirer que pour eux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


140 La vérité est que Mr Vianney se montrait tout disposé à rendre service à ses confrères, à les remplacer même. Il visitait les malades des paroisses voisines, lorsque les Curés étaient infirmes ou absents. Il prit une part très active à la mission de Trévoux, de Saint Trivier, de Saint Bernard. Il prêcha dans plusieurs paroisses à l'occasion du Jubilé de 1826. La Providence lui avait ménagé toutes ces occasions pour exercer son zèle et aussi pour le faire connaître. Il s'acquit partout la réputation d'un saint. Les personnes qui avaient eu le bonheur de l'entendre et surtout de recevoir ses avis au saint Tribunal ne purent se passer de sa direction. Un grand nombre vinrent à Ars retrouver leur directeur. Le pèlerinage d'Ars était fondé et devait aller en s'augmentant jusqu'à la fin de la vie du Serviteur de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


141 La vérité est que Mr Vianney, qui s'était dit: Si j'étais prêtre, je voudrais gagner bien des âmes au bon Dieu, trouva, grâce au pèlerinage, l'occasion de contenter son désir. On venait à lui de tous les pays du monde. On peut dire que la vie de Mr Vianney, depuis le commencement du pèlerinage, s'est passée au confessionnal. Sur les dix-huit ou vingt heures, qui composaient sa journée de travail, il ne prenait que le temps de réciter son office, de célébrer la sainte Messe et de faire à midi un semblant de repas. Il passait en moyenne quinze heures au confessionnal chaque jour. Ce labeur quotidien commençait à une heure ou deux heures après minuit. Quoique épuisé par les jeûnes, les macérations, les infirmités, le manque de repos et de sommeil, il a pu continuer ses longues séances au confessionnal jusqu'à la fin de sa vie. Il n'a cessé que le 30 Juillet 1859, c'est-à-dire cinq jours avant sa mort. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


142 La vérité est que le Curé d'Ars mettait en pratique ce qu'il disait en parlant des saints. "Les saints aiment tout le monde; ils aiment surtout leurs ennemis... Leur coeur embrasé de l'amour divin se dilate, à proportion du nombre des âmes que le bon Dieu met sur leur chemin, comme les ailes de la poule s'étendent à proportion du nombre de leurs petits." Jamais le Curé d'Ars n'était si content que lorsque toute la journée il avait été écrasé par les pénitents. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


143 La vérité est que la foule sentait tout ce que ce dévouement avait de prodigieux; elle comprenait toute l'importance des bienfaits dont le vénérable Curé était le dispensateur: aussi rien ne peut donner une idée de son empressement à les recevoir. Si matinal que fût Mr Vianney, les pèlerins l'avaient devancé et l'attendaient à la porte de son église. Un grand nombre passaient la nuit sous le porche pour être assurés de ne pas le manquer. On avait été obligé d'établir une certaine règle et l'arrivée de chacun déterminait son rang. Mais il y avait les privilégiés; quelquefois Mr Vianney les distinguait au milieu de la foule et les appelait lui-même. Le peuple prétendait que le discernement du bon Père lui faisait reconnaître ceux que quelques obstacles eussent empêché d'attendre ou qu'amenaient à Ars des besoins plus sérieux et des nécessités plus pressantes. Aussi personne ne songeait à se plaindre de ces faveurs. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


144 La vérité est que Mr Vianney en travaillant à sa propre sanctification et au salut des âmes sentait croître en lui l'amour pour l'humanité souffrante et délaissée, c'est-à-dire pour les pauvres, les faibles et les petits. Il les aimait parce que Notre Seigneur les a aimés, et parce qu'il comprenait que ne trouvant ici-bas que privations, peines et rebuts de tout genre, ils avaient plus besoin d'être prévenus, honorés et consolés. Se voyant entouré de misères, sans nombre, il aurait voulu dès son arrivée à Ars les soulager toutes, ou du moins courir aux plus pressés. Après avoir bien réfléchi devant Dieu, il crut devoir commencer par l'établissement d'une Providence ou asile d'orphelines. C'était venir en aide d'un seul coup à une triple faiblesse, celle de l'âge, du sexe et de l'abandon. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


145 La vérité est que cette oeuvre de la Providence commença humblement et pauvrement, comme la plupart des oeuvres sur lesquelles Dieu veut répandre ses bénédictions. Il y avait derrière le choeur de la petite église d'Ars, à l'orient de la grande place du village, une maison nouvellement et assez proprement construite. "Si ce bâtiment était à moi, disait Mr Vianney, j'en ferais une Providence pour les pauvres filles abandonnées. En sortant de l'église, je n'aurais que la place à traverser pour visiter ma petite famille, y faire mon catéchisme et y prendre mon repas. La Providence me donnerait mon pain, je lui donnerais la parole de vérité, qui est le pain des âmes. Je recevrais d'elle la nourriture qui fait vivre le corps en échange de celle qui fait vivre l'esprit. J'aimerais bien ça." Peu à peu cette idée prit de la consistance. Mais avant de la produire sous la forme d'un projet arrêté et d'adresser une demande directe au propriétaire de la maison, il voulut comme toujours consulter le Seigneur, et annonça une neuvaine en l'honneur de la sainte Vierge. Restait une difficulté, le manque de ressources. Les effets de sa bienfaisance journalière le laissaient, tous les soirs, sans le premier sou pour le lendemain. L'argent de son traitement était toujours dépensé d'avance. Il en était de même de la petite pension que son frère François lui servait pour sa part des biens patrimoniaux. Il ne trouva point d'autre moyen que d'aliéner tous ses biens, et avec cette ressource il put payer la maison, qui lui coûta six mille francs. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


146 La vérité est qu'une oeuvre comme celle qu'il méditait n'existe pas, quand les murs de l'établissement sont debout. A qui en confierait-il la direction? Par un souvenir reconnaissant, son choix se porta d'abord sur les soeurs de saint Charles. C'étaient elles, qui, pendant les jours de la Terreur, cachées sous un costume étranger, l'avaient préparé à sa première communion; il leur devait les joies de ce grand jour. Il pensa bien aussi à la Congrégation de saint Joseph, que le nouvel Évêque de Belley venait de faire refleurir en ouvrant le noviciat de Bourg. Plus tard, pour des raisons particulières et surtout pour assurer l'avenir de son oeuvre comme école gratuite des filles de sa paroisse, il céda sa Providence à la Congrégation de saint Joseph. Mais pour le moment il crut devoir prendre un autre parti, et confier la direction de son établissement à deux filles de sa paroisse. Une bonne veuve de Chaleins, et une fille de Jassans vinrent bientôt les rejoindre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


147 La vérité est qu'après avoir trouvé les directrices Mr Vianney ouvrit une école gratuite pour les petites filles de la paroisse. Peu de temps après, il admit aussi gratuitement quelques enfants des paroisses voisines, qui se nourrissaient à leurs frais, bien qu'elles fussent logées dans la maison. Il en reçut non pas autant qu'il s'en présenta, mais autant que le local en put contenir; ce local était alors très petit. C'était Mr le Curé qui pourvoyait à tout et subvenait aux nécessités de chaque jour. Un peu plus tard, une Lyonnaise qui vint à Ars voulut bien se charger des frais du ménage. Elle aidait aussi Mr Vianney lorsqu'il voulait acheter des bois et des terres pour faire subsister la maison. Le Curé d'Ars, qui avait d'abord voulu fonder son oeuvre sur l'acquisition de quelques immeubles finit par se lasser d'avoir à les faire cultiver et vendit tout au comte de Cibeins, qui s'offrit à lui servir la rente des sommes qu'on avait pu capitaliser. Il put alors recevoir quelques enfants pauvres. Le nombre des orphelines reçues augmenta bientôt. Le local devenant trop petit, il fallut l'agrandir. Mr le Curé ne craignit pas de se faire architecte, maçon et charpentier. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


148 La vérité est qu'en très peu de temps, avec l'aide de quelques personnes charitables, avec des ressources inespérées et la bénédiction de Dieu, on put installer dans le local agrandi plus de soixante jeunes filles, logées, nourries et entretenues aux frais de la Providence, préservées du vagabondage et de ses suites, vivant à l'abri des dangers, qu'elles avaient courus autrefois. Chaque nouvelle orpheline était reçue avec des transports de joie. On se privait de tout pour qu'elle ne manquât de rien. C'était chose admirable de voir comment avec si peu de ressources, une maison aussi nombreuse pouvait se suffire, arriver au bout de l'année et bien des fois s'ouvrir encore aux nécessités des autres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


149 La vérité est qu'il y eut pourtant des heures critiques, des moments d'angoisse où l'on eût dit que tout était perdu et que faute de ressources il fallait renvoyer ces pauvres orphelines. Cette pensée était comme un coup de poignard pour le coeur du bon Curé. Mais Dieu qui ne voulait que l'éprouver, lui envoyait les secours nécessaires d'une manière inattendue. Il a même voulu opérer des prodiges en faveur de l'établissement de la Providence en multipliant la farine et le blé destinés aux pauvres orphelines. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


150 La vérité est qu'une autre oeuvre non moins importante préoccupait le bon Curé. Pourquoi ne ferait-il pas pour les jeunes gens de sa paroisse ce qu'il avait fait pour les filles? Mais où trouver des ressources? La divine Providence lui vint encore en aide en lui envoyant comme à point nommé les secours dont il avait besoin. Il put donc encore fonder une école gratuite pour les jeunes gens et en confier la direction à une congrégation religieuse. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


151 La vérité est que Mr Vianney aima toujours les pauvres et se dépouilla de tout pour les secourir. Il disait en parlant d'eux: "Que nous sommes heureux que les pauvres viennent ainsi nous demander! S'ils ne venaient pas, il faudrait aller les chercher, et on n'a pas toujours le temps." Son amour pour eux était si grand, qu'il dut prendre contre lui-même certaines précautions, afin de sauvegarder l'argent de ses messes ou de ses fondations. Il en a remis pendant longtemps le dépôt à une veuve qui avait sa confiance, et lui disait: "Claudine, je vous confie cet argent: gardez-le bien. Mais surtout défiez-vous du Curé d'Ars; et s'il vous demande, refusez-lui tout net." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


152 La vérité est que la charité du Curé d'Ars ne s'exerçait pas seulement envers la misère, qui vient d'elle-même s'offrir à la pitié des coeurs sensibles pour les émouvoir en sa faveur, mais active, autant que généreuse, elle allait au devant de l'infortune craintive et timide. Il savait combien est poignante cette douleur que personne n'essuie. C'est une opinion généralement accréditée dans le pays, que le bon Curé soutenait un grand nombre de familles déchues, qui recouraient à lui de Lyon et des environs. Nous savons que toutes les semaines une pauvre mère de famille venait d'une ville voisine lui demander le pain de ses enfants. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


153 La vérité est qu'en 1854 on disait à Mr Vianney, à propos de la mort d'une de ses paroissiennes: "Mr le Curé, cette mort vous assure une rente." - "Oh! répondit-il, cette rente est réversible sur plus d'une tête." Dans le même temps, il avait envoyé réclamer une petite créance d'un de ses débiteurs. Celui-ci trouvant que le Curé d'Ars n'avait pas besoin d'argent, refusa de solder. "Il le croit, lui, se contenta de faire observer l'indulgent prêteur, que je n'ai pas besoin d'argent. Cependant nous approchons de la saint Martin, et j'ai plus de trente loyers à payer." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


154 La vérité est que quand un pauvre heurtait à sa porte, au lieu de lui jeter son aumône par la fenêtre, il descendait afin de le voir, de lui parler et d'ajouter à l'aumône matérielle quelques bonnes et encourageantes paroles. Il ne savait pas refuser. Pour satisfaire le besoin qu'il avait de donner, il n'a pas tardé à vendre les uns après les autres ses pauvres meubles à des personnes qui les lui payaient grassement, parce qu'elles tenaient à avoir des objets lui ayant appartenu. Il lui est arrivé de vendre à des prix très élevés de vieux souliers, de vieilles soutanes, de vieux surplis, et, lorsqu'il en fut venu à n'avoir plus rien, de vendre jusqu'à sa dernière dent. Ces petits traits de bienfaisance, mêlés d'un peu de singularité, fournissaient quelquefois à ses confrères la matière de conversations gaies et pieuses. Si elles se prolongeaient trop, pour en finir il coupait court en disant: "Après tout, peu m'importe? pourvu que j'aie de l'argent pour mes pauvres." Il est certain que, s'il eût continué à se mêler de son vestiaire, sa charité pour les pauvres l'eût réduit à n'avoir pas de quoi changer de linge. On fut obligé de lui donner au fur et à mesure le linge dont il avait besoin. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


155 La vérité est qu'à la mission de Trévoux ses confrères s'apercevant du mauvais état de ses vêtements lui firent cadeau d'un haut-de-chausses en bon velours neuf, avec prière de le porter en souvenir d'eux. Mr Vianney l'accepte et regagne sa paroisse par un froid très piquant. Arrivé au point le plus élevé de la route, appelé les Bruyères, il rencontre un pauvre à moitié nu et tout transi de froid: "Vous avez bien froid, n'est-ce pas, mon ami?" Puis sans attendre sa réponse, il se cache derrière un buisson et reparaît bientôt, son haut-de-chausses à la main. Il le donne au pauvre mendiant. A quelques jours de là on veut savoir, à la Cure, s'il fait honneur à la souscription de ses amis. Embarrassé de ce qu'il appelle leur visite domiciliaire, il dit aux inspecteurs sur le ton d'un aimable badinage: "Ce que vous m'aviez donné, je l'ai prêté à fonds perdus à un pauvre que j'ai rencontré sur les Bruyères." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


156 La vérité est que le Dimanche suivant revenant de sa paroisse, à la nuit tombante, il atteignit, à l'endroit dit les Grandes Balmes, un autre mendiant, qui, tout courbé sous le poids des années, n'osait se risquer le long de la rampe abrupte et verglacée. La route n'était pas encore percée, ni adoucie. Le bon Curé le prend par le bras et l'aide à descendre. Ils arrivent ainsi, l'un soutenant l'autre, au bas de la côte. Mr Vianney charge ensuite sur ses épaules la lourde besace du pauvre et ne la lui rend qu'à l'entrée de Trévoux, pour ne pas être surpris dans l'exercice de cette bonne action. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


157 La vérité est qu'un jour Mr Vianney en sortant de la Providence, se voit arrêté par un pauvre, qui n'ayant ni souliers, ni bas avait les pieds tout ensanglantés. Le bon Curé ôte ses souliers et ses bas, les lui donne et regagne son presbytère comme il peut, ayant soin de se baisser, afin de cacher sous les plis de sa soutane traînante ses jambes et ses pieds nus. - Un autre jour un mendiant s'approche de lui; Mr Vianney se fouille et ne trouve rien dans ses poches que son mouchoir; il le donne au mendiant en s'excusant de ne pouvoir mieux faire. Plus tard, afin de n'être pas pris au dépourvu, Mr Vianney portait toujours avec lui une somme destinée à ses aumônes; il y puisait incessamment et les yeux fermés. Plusieurs fois, il a fait rechercher dans la foule et dans les différents quartiers du village des pauvres à qui il se reprochait de n'avoir pas assez donné. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


158 La vérité est qu'un jour un voleur s'étant introduit dans le presbytère, avait trouvé au fond d'un tiroir quelques cuillers et fourchettes d'étain; il se les était appropriées, et passant dans la pièce où étaient les provisions, il était occupé à faire main basse sur le pain des orphelines de la Providence, lorsque Mr le Curé le surprit: "Que faites-vous là, mon ami, lui dit-il? - J'avais faim, Mr le Curé." Après lui avoir fait une abondante aumône, le bon Curé, qui reconnut son bien entre les mains de son voleur, ajouta: "Sauvez-vous, mon ami, sauvez-vous vite, de peur qu'on ne vous arrête." Il est allé une fois prévenir une femme, qui lui avait volé 900 francs, que les gendarmes la cherchaient. Il a fait une pension à une autre personne pour qu'elle ne volât plus. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


159 La vérité est qu'il n'était pas rare de rencontrer Mr Vianney dans les chemins avec quelque chose qu'il avait soin de cacher sous sa soutane. Il était très embarrassé quand il ne trouvait pas les gens à qui il destinait ces provisions. Il les déposait alors dans quelque coin et se mettait à parcourir les maisons du village jusqu'à ce qu'il eût découvert son monde. Il y avait une vieille aveugle qui demeurait à côté de l'Église, et qui lui était particulièrement chère. C'est chez elle qu'il portait de préférence les mets et les provisions qu'on lui donnait, parce que la pauvre aveugle avait sur les autres l'avantage de ne pas voir par qui sa misère était soulagée. Souvent il la trouvait assise, occupée à teiller du chanvre; il s'approchait d'elle doucement, déposait dans son tablier ce qu'il tenait, sans souffler mot. La bonne vieille croyant que c'était le fait d'une voisine, disait: "Grand merci, ma mie, grand merci!" Mr le Curé s'en allait en riant de tout son coeur. Il payait encore son loyer et pourvoyait à tous ses besoins. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


160 La vérité est que plusieurs personnes voulant faire admettre à Mr Vianney quelques adoucissements à son impitoyable régime, lui portaient différentes provisions. Le bon Curé au lieu d'en profiter n'avait rien de plus pressé que de les porter aux pauvres. Mademoiselle Lacon revenait souvent à la charge, mais il lui était bien difficile de pouvoir triompher de l'obstination du Curé d'Ars. Repoussée, elle ne se déconcertait pas et attendait qu'un hasard heureux lui livrât l'entrée du presbytère. Alors elle s'y glissait furtivement et y déposait les provisions que Mr le Curé n'avait pas voulu accepter; puis, croyant la partie gagnée, elle jouissait de son triomphe jusqu'à ce qu'elle retrouvât le lendemain, dans le panier des pauvres qui venaient quêter à sa porte, les mets que la veille elle avait cachés dans l'armoire du presbytère. Alors c'étaient de grands chagrins, d'amusantes colères, des plaintes sans fin, qui faisaient beaucoup rire le coupable et ne le corrigeaient jamais. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


161 La vérité est que l'on pourrait citer beaucoup d'autres traits de la grande charité de Mr Vianney. L'habitude qu'il s'était faite de tout voir au point de vue de la foi, était cause que dans ses libéralités il jouissait profondément par la pensée du mauvais tour qu'il jouait au démon. "Le Grappin, disait-il, est furieux, quand il voit que de ce même argent, dont il se sert pour corrompre et perdre les âmes, nous faisons sortir leur salut." Ainsi qu'il sera déposé, etc.





Ars Procès informatif 71