Ars Procès informatif 162

V. Sur la Prudence de Mr Vianney.





162 La vérité est que, quoique la prudence ne soit pas la vertu de l'enfance, elle brilla cependant d'un vif éclat dans le jeune Vianney. Elle lui faisait estimer, comme on le doit, les choses spirituelles et le portait à ne négliger aucun des moyens de sanctification que la divine Providence avait mis entre ses mains. Il faisait ses délices de la prière, comme il a été dit plus haut; il assistait à la sainte Messe toutes les fois qu'il le pouvait; il aimait à s'instruire des vérités de notre sainte religion. Quoiqu'il eût été, pendant le jour, occupé à des travaux très pénibles pour son âge, on le voyait, le soir, étudier au flambeau son catéchisme, ses évangiles et ses prières, et quand il les savait par coeur, les méditer gravement, et ne suspendre son étude et sa méditation que lorsque, vaincu par le sommeil, il était forcé d'accorder à la nature quelque soulagement. Quand il rencontrait des enfants de son âge, il les engageait à le suivre, et chemin faisant, il leur apprenait le catéchisme. Il a déjà été dit que lorsqu'il était berger tout son bonheur était de prier devant sa chère madone, d'engager ses compagnons à en faire autant, et de leur faire de petites instructions. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


163 La vérité est que connaissant le prix du temps, il tâchait de n'en point perdre, et surtout il s'efforçait de se tenir en la présence de Dieu et de l'adorer au fond de son coeur. Une sagesse prématurée lui avait déjà révélé ce que beaucoup ignorent, c'est que le règne de Dieu est au-dedans de nous, et que sans sortir de notre sphère d'activité, quelque modeste qu'elle soit, nous avons sous la main, dans l'accomplissement de nos devoirs, le premier et le plus sûr moyen de noire perfection et de notre salut. Il était donc très exact à remplir tous les devoirs de son état, et très fidèle à suivre les pratiques de piété qu'il s'était imposées. De plus, comme il le disait plus tard lui-même, en travaillant aux champs il ne négligeait pas la culture de son âme. "En donnant mon coup de pioche, je me disais souvent: Il faut aussi cultiver ton âme; il faut en arracher la mauvaise herbe, afin de la préparer à recevoir la bonne semence du bon Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


164 La vérité est que le jeune Vianney cherchait en tout à fuir la singularité. Il se forma à cette piété douce et aimable, qui ne s'impose pas et qui ne veut pas en imposer aux autres. Il faisait en public ce qu'il devait faire en public; pour le reste, il aimait à se cacher et à n'avoir que Dieu pour témoin. "Quand j'étais seul aux champs, disait-il, avec ma pelle ou ma pioche à la main, je priais tout haut, mais quand j'étais en compagnie, je priais à voix basse." Après dîner, il se reposait comme les autres avant de se remettre à l'ouvrage, faisait semblant de dormir et priait Dieu de tout son coeur. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


165 La vérité est que le jeune Vianney, dès qu'il crut reconnaître que Dieu l'appelait à l'état ecclésiastique, se mit immédiatement à faire ce qui était nécessaire pour atteindre le but proposé. Laissant de côté les considérations humaines, il ne vit dans le sacerdoce que les moyens plus grands qu'il aurait de se sanctifier lui-même, de travailler au salut des âmes et de procurer la gloire de Dieu. Il comprit qu'il fallait pour cela s'efforcer tous les jours de croître dans l'amour de Dieu. Aussi le vit-on faire de nouveaux et rapides progrès dans la piété et la pratique des vertus. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


166 La vérité est que Dieu permit qu'il rencontrât beaucoup de difficultés dans la carrière où sa voix l'appelait, et qu'il se heurtât contre des obstacles presque insurmontables, comme s'il eût voulu rendre plus impossible à son serviteur toute tentation de vaine gloire et le détacher encore plus de lui-même. Sa conception était lente, sa mémoire ingrate, ses progrès peu sensibles. Se trouvant si dénué des facultés sans lesquelles il ne pouvait espérer de voir s'ouvrir pour lui la sainte carrière à laquelle il aspirait, notre jeune homme songea à l'emploi direct des moyens surnaturels pour triompher des obstacles, qui entravaient la marche de ses études. Après avoir pris conseil de son directeur, il fit voeu d'aller à pied, en demandant l'aumône, au tombeau de saint Jean François Régis, afin d'intéresser en sa faveur l'apôtre du Vivarais, et d'obtenir la grâce d'en savoir assez pour devenir, lui aussi, un bon et fidèle ouvrier du Seigneur. Ses prières furent exaucées. Les progrès dans la science furent si sensibles; que son maître en était étonné. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


167 La vérité est que la vocation du jeune Vianney fut soumise à d'autres épreuves, comme il a été dit. Ces épreuves ne purent abattre son courage. Il en profita même pour acquérir un plus grand esprit d'humilité, d'abnégation et de sacrifice. Il s'habitua à placer son coeur au-dessus des choses de la terre, en s'élevant à Dieu sur les deux ailes de la simplicité et de la pureté. Il pratiquait déjà la pénitence; mais il était convaincu que de toutes les pénitences, la meilleure est de faire chaque jour et à chaque heure, la volonté divine plutôt que la nôtre, malgré nos répugnances, nos dégoûts et nos lassitudes. Il voulait être un bon ouvrier du Seigneur, il voulait sauver les âmes. Dans ce but toujours présent à sa pensée, il déployait cette patiente ardeur qui finit bien souvent par suppléer le talent. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


168 La vérité est qu'admis au séminaire pour se préparer à la réception des ordres sacrés, Mr Vianney s'efforçait de mettre de plus en plus sa vie d'accord avec sa vocation. On le vit croître en humilité, en douceur, en piété. Il avait acquis, dès lors, un si grand empire sur lui-même, qu'il put s'appliquer uniquement à faire ce qu'il y avait de plus parfait. Quoique ses dispositions et son goût le portassent plus particulièrement à tout ce qui se rattachait à la piété, il n'affectait pas d'y ramener la conversation, pour se mettre plus à son aise, faire ressortir sa compétence ou briller sa vertu. Il se prêtait à tous les entretiens, à tous les esprits, à tous les caractères, sans contrainte, comme sans ostentation, et s'effaçait toujours le plus qu'il pouvait. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


169 La vérité est qu'ayant eu le bonheur de recevoir le sacerdoce, il sentit dans son coeur un plus grand désir d'aimer Dieu. Il lui semblait qu'il n'avait encore rien fait pour lui. On le vit redoubler ses mortifications, ses pénitences. Nommé vicaire à Écully, il s'efforça, sous la sage direction de Mr Balley, de remplir tous les devoirs d'un bon pasteur. Affable, gracieux, obligeant envers tout le monde, il se faisait tout à tous pour les gagner tous à J.-C. Il n'avait pas deux poids et deux mesures. La perfection, qu'il prêchait aux autres, il en faisait la règle austère de sa conduite. Il accomplissait le premier les sacrifices qu'il demandait aux autres, ou plutôt ses sévérités n'étaient que pour lui: autant il était dur pour lui-même, autant il était bon pour les autres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


170 La vérité est que Mr Vianney nommé Curé d'Ars songea immédiatement aux moyens de réformer sa paroisse, qui en avait grand besoin. Pour cela deux choses étaient nécessaires, introduire certaines pratiques et détruire les abus. Avant d'entreprendre ce grand travail, qui, s'il réussissait, devait tant procurer de gloire à Dieu, Mr Vianney eut d'abord recours au moyen que nous lui avons vu déjà employer avec succès, il redoubla ses prières et ses mortifications. Quand il eut prié, fait pénitence et consulté, il s'efforça peu à peu d'établir les pratiques qu'il avait en vue, l'adoration perpétuelle, la prière du soir dans l'église, les confréries, la fréquentation des sacrements. Ces différentes pratiques, qu'il parvint à introduire, grâce à son zèle persévérant, à sa prudence et à sa douceur, avaient comme organisé l'armée du bien dans sa paroisse; mais tout aurait été bientôt paralysé sans la destruction des abus principaux. Il les attaqua donc avec toute l'ardeur qu'inspire le zèle de la gloire de Dieu, comme aussi avec toute la circonspection que commande la prudence. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


171 La vérité est que s'apercevant que l'usage de la danse ne disparaissait pas comme il l'aurait désiré, il résolut de donner un dernier assaut. Avant de le faire il voulut auparavant faire comme violence au coeur de Dieu en ayant recours d'une manière plus spéciale à la prière et à la pénitence. Se souvenant d'un endroit de l'Évangile où il est question d'un démon, qui ne se chasse que par le jeûne et la prière, il se mit à ne prendre presque plus de nourriture, à passer les jours et les nuits en oraison, à se prosterner avec une plus grande abondance de larmes aux pieds de Jésus crucifié, lui demandant par ses cinq plaies d'avoir pitié de son peuple. Puis il ne craignit pas de dire à ses paroissiens toute sa pensée sur la danse, avec cette force que donne le vrai zèle. Il finit par remporter sur ce point comme sur les autres une victoire complète. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


172 La vérité est que Mr le Curé d'Ars ne se contenta pas de faire cesser le scandale des oeuvres serviles, des danses et des cabarets, il sut faire du Dimanche le jour du Seigneur. C'était un bonheur de se trouver un jour de Dimanche ou de fête dans la paroisse d'Ars. Les communions y étaient nombreuses et les prières continuelles; l'église ne désemplissait pas. Aux offices qui se succédaient à de courts intervalles, l'affluence était si considérable qu'on étouffait dans l'enceinte trop étroite. Mr Vianney faisait régulièrement le catéchisme à une heure après midi; on y assistait presque aussi assidûment qu'à la Messe. Les Vêpres étaient suivies des Complies. Après le chant de l'antienne à la sainte Vierge, Mr le Curé présidait à la récitation du chapelet, à laquelle tout le monde prenait part. Au déclin du jour, la cloche appelait pour la troisième fois les fidèles à l'église, et pour la troisième fois la paroisse entière répondait à cet appel. Mr Vianney sortait de son confessionnal et montait en chaire pour y faire la prière, laquelle était toujours suivie d'une de ces touchantes homélies où son âme s'épanchait en des paroles à la fois si simples et si élevées, si fortes et si pathétiques. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


173 La vérité est que la prudence ne brille pas moins dans les autres oeuvres que le zèle fit entreprendre au Curé d'Ars. Comme il le disait: "La prudence nous fait discerner ce qui est le plus agréable à Dieu et le plus utile au salut de notre âme." Pour faire ce discernement il avait toujours soin de consulter Dieu dans la prière, et quand la chose avait quelque importance, il ne manquait pas de demander conseil à des personnes prudentes et surtout à son évêque et d'obtenir son assentiment, s'il était nécessaire. Lorsque l'oeuvre à entreprendre était importante, il redoublait ses mortifications et ses pénitences. Il avait une grande confiance dans le jeûne comme moyen de fléchir la justice divine et de lutter contre l'enfer. "Le démon, disait-il, se moque de la discipline et des autres instruments de pénitence. Du moins, s'il ne s'en moque pas, il en fait peu de cas et trouve encore moyen de s'arranger avec ceux qui en font usage; mais ce qui le met en déroute, c'est la privation dans la nourriture et le sommeil. Il n'y a rien que le démon craigne autant que cela et qui soit plus agréable au bon Dieu. Que de fois je l'ai éprouvé, quand j'étais seul, pendant cinq ou six ans, pouvant me livrer à mon attrait tout à mon aise, sans être remarqué de personne. Oh! que de grâces Notre Seigneur m'accordait dans ce temps-là!... J'obtenais de lui tout ce que je voulais." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


174 La vérité est que le Curé d'Ars se livrait à ces pénitences extraordinaires quand il s'agissait d'une grâce importante à obtenir, quand il avait en vue quelque conversion éclatante, poursuivait quelque réforme, travaillait à l’extinction de quelque abus, lorsqu'un désordre grave avait affligé son coeur, ou qu'il croyait devoir satisfaire à la place d'un grand pécheur que la miséricorde divine lui avait amené. On lui demandait un jour son avis sur la conduite à tenir à l'égard de certains pécheurs relativement à la pénitence sacramentelle, afin qu'elle ne fût ni trop forte, ni trop faible, et qu'on mît d'accord le principe d'une réparation suffisante et les égards dus à la faiblesse des pénitents: "Pour moi, répondit-il, je vais vous dire ma recette. Je leur donne une petite pénitence et je fais le reste à leur place." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


175 La vérité est que Mr Vianney jugeant que l'établissement de la Providence procurerait la gloire de Dieu et le bien des âmes, voulut cependant avant de l'entreprendre consulter, comme toujours, le Seigneur dans la prière. Il annonça une neuvaine en l'honneur de la très sainte Vierge. "Elle aime tant les pauvres, qui sont les amis de son Fils, se disait-il, qu'elle viendra certainement à mon secours." Pour ne pas paraître tenter Dieu et lui demander des prodiges, il fit tout ce qui était en son pouvoir. Il sacrifia même sa fortune pour acheter une maison convenable. Il essaya d'assurer des ressources à sa Providence en achetant des immeubles qu'il revendait bientôt moyennant une rente annuelle. Il voulait bien qu'on se confiât à la divine Providence, mais il ne voulait pas qu'on lui demandât des prodiges. Dieu daigna cependant montrer plus d'une fois dans les moments de détresse que ce n'est pas en vain qu'on place en lui sa confiance. Les secours arrivaient comme à point nommé et d'une manière merveilleuse. En pensant à cette conduite admirable de la divine Providence, le bon Curé ne pouvait s'empêcher de dire: "Nous sommes bien un peu les enfants gâtés du bon Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


176 La vérité est que le curé d'Ars n'agit pas avec moins de prudence quand il fonda, après avoir obtenu l'assentiment de son Évêque, l'école gratuite des jeunes gens de sa paroisse, l'oeuvre si admirable des missions décennales, etc. Il priait, il jeûnait, et l'argent lui arrivait de tous les côtés. Il disait un jour à Mr l'abbé Tailhades: "J'ai la pensée d'établir une autre fondation en l'honneur des cinq plaies de Notre Seigneur Jésus Christ, pour la conversion des pécheurs du diocèse. Il faut que j'examine cela devant le bon Dieu, et s'il me donne des marques que cette fondation lui est agréable, je m'en occuperai. Je n'ai pas à me mettre beaucoup en peine des fonds: le bon Dieu est riche, il saura bien m'en faire trouver." La fondation de Messes proposée eut lieu en effet. Le bon Curé trouva l'argent nécessaire pour cette fondation comme pour beaucoup d'autres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


177 La vérité est qu'il serait facile de montrer comment Mr Vianney a déployé une grande prudence dans l'exercice du saint ministère. Il a déjà été dit combien il était prudent dans les visites qu'il faisait à ses paroissiens, dans les rapports qu'il avait avec eux. Il ne l'était pas moins dans ses catéchismes et dans ses instructions. Ne comptant pas sur ses propres forces et ne croyant pas que l'ignorance des gens de la campagne dût le dispenser de travailler ses instructions, il les écrivait après avoir étudié et médité devant le Saint Sacrement, les apprenait de mémoire et s'exerçait à les bien débiter. Ce travail lui coûtait beaucoup, comme il l'a avoué; il s'y astreignait cependant afin de traiter plus convenablement la parole de Dieu. Il ne le cessa que lorsque la trop grande affluence de pèlerins ne lui laissa plus aucun moment de repos. Mais Dieu lui inspirait alors ce qu'il avait à dire; ses catéchismes et ses homélies, qu'on était avide d'entendre, faisaient le plus grand bien sur l'esprit de ses auditeurs. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


178 La vérité est que la vie du Curé d'Ars s'est passée en grande partie au saint Tribunal. Il a eu par conséquent un nombre presque infini de personnes à diriger. La direction des âmes demande une grande prudence. Toute chose désirable ne convient pas à tout le monde. C'est à chacun de marcher dans la voie où Dieu l'appelle; il faut que le directeur donne les moyens de suivre cette voie. Il faut pour cela un grand discernement des esprits. Mr Vianney l'avait reçu de Dieu. Dès qu'il avait reconnu les ressources et les moyens, tour à tour exigeant et facile, ou bien il se renfermait dans le cercle des préceptes, ou bien il ouvrait à son pénitent les champs illimités des conseils. Un grand nombre de faits démontre que le bon Curé lisait bien souvent au fond du coeur de ses pénitents et découvrait leurs fautes les plus cachées. Il a fait connaître plus d'une fois à des pénitents qu'ils le trompaient en confession. C'est journellement qu'il disait, à première vue, à ceux qui venaient à lui quels étaient leurs attraits, leur vocation, et par quelles voies Dieu voulait les conduire. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


179 La vérité est que l'on comptait tellement sur la prudence du Curé d'Ars, que lorsque, dans une situation difficile on avait besoin de lumières et de conseils, on venait les chercher auprès de lui. Son merveilleux bon sens apercevait du premier coup d'oeil les difficultés d'une entreprise, les raisons pour et contre. Il rejetait impitoyablement les projets sans portée, sans utilité réelle, qui viennent d'un zèle indiscret, de la volonté propre, de l'amour du bruit ou de l'activité inquiète d'un esprit sans discipline. Mais ses sympathies les plus chaleureuses et son concours le plus efficace étaient toujours au service des institutions, dont la pensée était pure et le but franchement chrétien. De toutes parts on appelait les encouragements du Curé d'Ars, ses bénédictions et ses suffrages sur des fondations, sur des établissements, sur des écrits, sur des oeuvres destinées quelquefois à une grande célébrité. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


180 La vérité est que le Curé d'Ars était très prudent dans ses conversations. Il aurait voulu ne parler que des choses de Dieu; il consentait cependant par charité et par politesse à s'entretenir des choses de ce monde. Ne se croyant bon à rien et ne pouvant se douter que ses paroles dussent avoir quelque portée, il disait encore volontiers son sentiment; mais il était d'une très grande réserve pour toutes les matières politiques. Il n'est pas jusqu'à l’incident d'Ars au sujet de la Salette, comme on s'est plu à le nommer, qui ne démontre une grande prudence de la part de Mr Vianney. Il avait été un des premiers à croire que la Sainte Vierge était apparue à Maximin et à Mélanie. Lorsque Maximin en 1850, sous je ne sais quelle impression et contrairement à tout ce qu'il avait dit jusqu'alors et a dit depuis, eut affirmé à Mr Vianney qu'il n'avait pas vu la Sainte Vierge, celui-ci se trouva dans un grand embarras. Il inclinait à croire au fait de l'apparition et par le penchant de son coeur, et par respect pour l'autorité de l'Évêque de Grenoble, qui s'était prononcé pour le fait de l'apparition. Mais dans sa droiture et sa simplicité, il ne pouvait se figurer que Maximin avait voulu le tromper. Que faire dans une position semblable? En homme prudent, Mr Vianney envisageant d'un côté la conduite de l'Évêque de Grenoble et la valeur de son approbation répondait qu'on pouvait croire à la Salette, il permettait le pèlerinage et l'encourageait au besoin. Quand d'un autre côté on lui demandait son opinion personnelle, il évitait de répondre, et si le caractère de ceux qui l'interrogeaient exigeait une réponse, il se contentait de dire que si ce que l’enfant lui avait dit était vrai, on ne pouvait y croire. Cette entrevue avec Maximin fut pour le bon Curé le sujet de grandes peines. Il n'en fut délivré que lorsqu'au bout de huit ans, il eut dit: Je crois. Il obtint même de Dieu une grâce temporelle par l'intermédiaire de la Sainte Vierge, invoquée sous le titre de Notre Dame de la Salette. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


181 La vérité est que Mr Vianney, comme il a été dit, fut en butte dans le commencement de son ministère à Ars à beaucoup de contradictions. En homme prudent il laissait dire et faire, et profitait de l'injustice des hommes pour s'attacher de plus en plus à son Seigneur. Quelque opposition qu'il trouvât dans l'accomplissement de ses devoirs de pasteur en chaire ou au confessionnal, il s'y porta toujours avec le même amour et la même exactitude. Quand on lui demandait comment il avait pu, sous le coup d'une menace perpétuelle de changement, en butte à tant de tracasseries, conserver l'énergie de son âme et ce qu'il faut d'empire sur soi-même pour se livrer à ses travaux avec la même application et la même ardeur: "On fait beaucoup plus pour Dieu, répondait-il, en faisant les mêmes choses sans plaisir et sans goût. C'est vrai que j'espérais tous les jours qu'on viendrait me chasser, mais en attendant je faisais comme si je n'avais jamais dû m'en aller." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


182 La vérité est que ces épreuves lui étaient encore bonnes et précieuses à un autre point de vue. Elles le délivraient de la crainte qu'il avait d'être hypocrite, quand il se voyait, lui si faible et si misérable, l'objet des empressements de la foule: "Au moins, se disait-il, je ne trompe pas tout le monde. Il y en a qui me mettent à ma place et m'apprécient à ma juste valeur. Combien je leur ai d'obligation! Ce sont eux qui m'aident à me connaître." Quand il sortait, la foule avait coutume de le suivre et de lui donner mille marques de vénération. Mais lui, comme si ces marques de vénération se fussent adressées à un autre, s'en allait tranquillement sans faire attention à ce qui se disait ou se passait, et n'était attentif qu'aux questions dont on l'accablait en ce moment. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




VI. Sur la vertu de Justice de Mr Vianney.





183 La vérité est que Mr Vianney remplit toujours tous les devoirs que la religion nous impose. Il était très exact à tout ce qui est du service de Dieu. Il avait une très grande horreur du péché. Il s'efforça toujours de pratiquer les conseils évangéliques et de suivre les inspirations de la grâce, ainsi qu'il sera déposé, etc.


184 La vérité est que le Curé d'Ars n'était pas moins exact à remplir tous les devoirs que les hommes se doivent mutuellement. Il a déjà été parlé de sa grande charité. Il avait non la politesse froide et maniérée des gens du monde, mais cette politesse pleine de charité, de cordialité, de sincérité qui met chacun à l'aise. A l'exemple du divin Maître, qui a passé sur la terre en faisant le bien, le serviteur de Dieu ne s'appartenait pas lui-même; il pensait à tout, veillait à tout, était plein d'égards et d'attentions pour tout le monde; il n'oubliait que lui-même, et il s'oubliait entièrement. Il n'avait besoin de rien, pas même de consolations, ni de témoignages de sympathie; il s'en croyait indigne. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


185 La vérité est que le Curé d'Ars portait si loin ce respect pour tout le monde, qu'il ne s'asseyait devant personne et ne permettait pas qu'on se tint debout devant lui. Lorsqu'il entrait et qu'on se levait pour le recevoir, on voyait sa figure se couvrir des marques d'une vive confusion: "Asseyez-vous, asseyez-vous" disait-il, en accompagnant ces mots d'un geste expressif, et il insistait jusqu'à ce qu'on se fût assis. Sa formule, en saluant les visiteurs, était toujours: Je vous présente bien mon respect. S'il en avait connu une plus humble et plus courtoise, il l'aurait employée. Mais ces respects qu'il offrait à tout le monde, il n'en voulait point pour lui. On ne pouvait faire entrer ce mot dans aucune phrase à son adresse, sans qu'il en fût offensé. Il vous arrêtait tout court pour vous dire: "Oh! je ne mérite le respect de personne... Donnez-moi un peu de votre amitié, c'est bien assez." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


186 La vérité est que Mr Vianney avait encore pour les Ecclésiastiques de plus grandes marques de respect. Après les ecclésiastiques, les religieux étaient l'objet de sa prédilection; il les regardait comme la gloire et l’ornement de l'Église; il aimait à s'entretenir avec eux de Dieu et des choses célestes. Au reste, le serviteur de Dieu vénérait profondément tous ses confrères. Il avait pour eux, lorsqu'ils venaient à Ars, des égards infinis. Il leur accordait le même privilège qu'aux infirmes et aux malheureux, celui de les entendre aussitôt qu'ils réclamaient son ministère. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


187 La vérité est que le Curé d'Ars honorait les grands et les puissants de la terre comme on doit les honorer. Jamais il n'est arrivé à Mr Vianney de blesser ni de repousser personne. Une gaîté douce et franche, un aimable abandon présidait à toutes ses relations intimes et toutefois cet abandon ne tournait pas à une trop grande familiarité; le respect était toujours là pour en tempérer les saillies. Il s'excusait parfois de se servir du mot ma petite, qu'il employait par une habitude de bonhomie, même à l'égard des femmes du monde; ce qui n’étonnait, et n'offusquait personne. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


188 La vérité est que Mr Vianney était bon envers tout le monde, il était bon toujours, mais il était bon en particulier pour les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs: ce sont là les quatre grandes misères de l'âme et du corps; il les embrassait dans le même sentiment de tendre commisération et de généreuse sympathie. Il était prodigue de grâces, de prévoyances et d'attentions envers le dernier des mendiants qui l'approchait; il cherchait à le contenter, aussi bien qu'à le secourir. Il se montrait continuellement appliqué à écarter de ceux qui vivaient autour de lui le plus petit mécompte, à leur épargner la plus légère contrariété. On ne saurait dire toutes les nuances que cette disposition prenait en lui: c'était tour à tour de la tendresse, de l'indulgence, de la pitié, de la douceur, de la condescendance, de l'abnégation, de la libéralité. Autant il était dur au travail, impitoyable pour lui-même, autant il était sensible, tendre, prompt à s'alarmer, dès qu'il s'agissait de la santé de ses collaborateurs. S'il les voyait souffrants, il les forçait au repos; il leur interdisait la chaire et le confessionnal; il prenait pour lui tout ce qu'il y avait à faire. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


189 La vérité est que Mr Vianney porta toujours un grand respect à son père et à sa mère. Il était très reconnaissant des services qu'il avait reçus d'eux. Un jour qu'il revenait avec attendrissement sur les souvenirs de son enfance, les missionnaires lui disaient: "Vous êtes bien heureux d'avoir senti de si bonne heure le goût de la prière. - Après Dieu, répondit-il, c'est l'ouvrage de ma mère; elle était si sage!... Vois-tu, me disait-elle souvent, mon petit Jean-Marie, si je te voyais offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si c'était un autre de mes enfants." Quand ses parents venaient à Ars, il les recevait avec beaucoup de cordialité, s'enquérait des nouvelles du pays, leur faisait gracieusement les honneurs de sa table, et ce jour-là, pour les porter à manger, ne craignait pas de sortir de son ordinaire et de manger avec eux un peu de tout. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


190 La vérité est que jusque dans les dernières années de sa vieillesse, Mr Vianney conserva le souvenir des bons habitants des Noës, qui lui avaient rendu service pendant son séjour dans ce village. C'est aux Noës qu'il aurait voulu être nommé Curé, c'est là peut-être, si l'évêque de Belley avait consenti à sa retraite, qu'il aurait fini sa vie. "Si j'obtiens la permission de quitter le saint ministère, disait-il en 1841 à Jean Marie Fayot venu à Ars pour le voir, j'ai l'intention d'aller mourir au milieu de vous, ou à la Grande Chartreuse." Sa reconnaissance pour la veuve Fayot, qui lui avait donné l'hospitalité aux Noës ne s'affaiblit pas. Au commencement de son ministère, il était même dans l'habitude de lui écrire tous les ans. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


191 La vérité est que sa reconnaissance pour Mr Balley, son ancien maître, était encore plus vive. La vertu, les talents, la sainteté de Mr Balley revenaient très souvent dans les conversations du Curé d'Ars. Quand il voulait édifier par des traits d'histoire contemporaine, le nom de son ancien maître revenait aussitôt sur ses lèvres, et en même temps ses yeux se remplissaient de larmes; les larmes et les récits ne tarissaient pas. Il disait que personne ne lui avait mieux fait voir jusqu'à quel point l'âme peut se dégager des sens, et l'homme approcher de l'ange. "J'aurais fini par être un peu sage, ajoutait-il quelquefois, si j'avais eu le bonheur de vivre avec Mr Balley. Pour avoir envie d'aimer Dieu, il suffisait de lui entendre dire: Mon Dieu, je vous aime de tout mon coeur." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


192 La vérité est que le Curé d'Ars était très reconnaissant des moindres services qu'on pouvait lui rendre, comme tous ceux qui ont eu le bonheur d'approcher de lui peuvent le déposer. L'expression de sa figure, ses paroles et ses gestes indiquaient alors assez combien il était touché profondément des attentions qu'on avait pour lui. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




Obéissance de Mr Vianney.





193 La vérité est que Mr Vianney pratiqua toujours l'obéissance. Pendant qu'il était chez ses parents, son obéissance était si prompte et si exemplaire que sa mère ne craignait pas de le donner comme modèle à ses autres enfants. Sa soeur Marguerite a rendu de lui ce témoignage: "Notre mère était si sûre de l'obéissance de Jean-Marie que, lorsqu'elle éprouvait de la part de l'un de nous de la résistance ou de la lenteur à exécuter ses ordres, elle ne trouvait rien de mieux que de les intimer à mon frère, qui obéissait sur le champ, et puis de nous le proposer pour modèle en disant: "Voyez, lui, s'il se plaint, s'il hésite ou s'il murmure! Voyez s'il n'est pas déjà loin?" Il était rare que son exemple ne nous entraînât pas." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


194 La vérité est que Mr Vianney s'est fait remarquer par son exacte obéissance aux séminaires de Verrières et de Lyon. Jamais on ne le vit enfreindre la règle; elle était pour lui l'expression de la volonté de Dieu. Jamais on ne le surprit parlant aux heures consacrées au silence, faisant bande à part au moment des récréations, se montrant froid et impoli envers aucun de ses condisciples. Cet amour pour la règle, il le conserva toute sa vie; il produisait en lui un grand respect pour tout ce que l'Eglise nous propose, et une grande fidélité à remplir tout ce qu'elle commande. Comme Mr Vianney aimait l'Eglise et sa discipline! On ne pouvait lui parler de Rome sans provoquer des éclairs de bonheur. Il versait des larmes quand il prononçait ou qu'il entendait prononcer le nom de l'Eglise, mère et maîtresse de toutes les autres. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


195 La vérité est que le Curé d'Ars, comme il a été dit, était tourmenter du désir d'aller dans la solitude pleurer sa pauvre vie. Depuis l'âge de quinze ans ce désir était dans son coeur pour le tourmenter et lui enlever le bonheur qu'il aurait pu goûter dans sa position. Il se réjouissait en pensant que dans la solitude, il pourrait prier en liberté. Il resta cependant jusqu'à la mort dans le poste que la Providence lui avait assigné, parce que son Évêque ne voulut pas lui permettre de quitter sa paroisse. Si plus d'une fois il chercha à quitter Ars, ce fut toujours avec la pensée que l'Évêque de Belley approuverait son projet. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


196 La vérité est que le Curé d'Ars montra toujours envers les représentants de l'autorité civile le respect et l'obéissance qui leur sont dus dans les attributions de leur pouvoir. Un fait cependant, s'il n'était pas expliqué, semblerait prouver que Mr Vianney fut infidèle une fois à une loi de son pays. Lorsque Mr Balley vit approcher pour son élève l'époque de la conscription, ne doutant point de sa persévérance, il s'empressa d'aller à Lyon, afin de le faire inscrire parmi les aspirants au sacerdoce; cette inscription, comme on sait, l'exemptait du service militaire; mais Dieu permit qu'on oubliât de le porter sur les registres. On ne s'en aperçut qu'au bout de trois ans. L'autorité militaire expédia au jeune Vianney l'ordre d'aller rejoindre son régiment à Bayonne. Après quelques tentatives pour conserver à sa vocation le jeune étudiant, son père se décida à lui faire un remplaçant; mais deux jours après la conclusion de cette affaire, le jeune homme avec qui on avait traité se ravisa et vint déposer sur le seuil de la maison Vianney son argent et son sac. Les efforts que Jean Marie avait faits jusque là pour surmonter son chagrin l'avaient brisé; il tomba malade. L'autorité militaire le fit envoyer à l'hôpital de Lyon. Quand il fut à peu près rétabli, on le fit partir pour Roanne, où il fut obligé de séjourner quelque temps, parce qu'il était retombé malade. Enfin le matin du 6 janvier 1810, jour fixé pour le départ de la colonne, il était allé prier dans une église; il s'y oublia et laissa passer l'heure. Quand il se présenta, on lui fit d'amers reproches; on finit cependant par lui signer sa feuille de route. Il marchait depuis quelque temps et disait son chapelet en se recommandant de toute son âme à la très sainte Vierge. Pendant qu'il priait un inconnu s'approcha de lui d'un air bienveillant, et lui demanda où il allait et pourquoi il était si triste. Mr Vianney lui raconta son histoire. L'inconnu lui dit de le suivre, qu'il n'avait rien à craindre avec lui; en même temps, il se chargea de son sac qui était très lourd et que le convalescent avait de la peine à porter. Ce fut chez le maire du village des Noës que l'inconnu le conduisit. Il habita ensuite chez une bonne mère de famille nommée Fayot. Comme partout ailleurs il se fit aimer et admirer de tous ceux qui eurent le bonheur de le connaître. Cette désertion, que Mr Vianney n'avait en aucune façon préméditée, il ne se la reprocha jamais comme une infraction aux lois de son pays, encore moins comme une faute devant Dieu. On était du reste alors au plus fort de la guerre contre l'Espagne, guerre déclarée évidemment injuste par de graves théologiens; l'Empereur venait de faire enlever Pie VII et de lui ravir ses états. La France commençait à se lasser de donner le plus pur de son sang pour satisfaire l'ambition d'un seul homme. Il fallait souvent l'emploi de la force pour faire marcher les recrues; les routes étaient couvertes de déserteurs. Personne ne songeait à blâmer ceux qui prenaient ce parti dangereux. Toutes ces raisons, et beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, démontrent que cette désertion de Mr Vianney ne peut lui être imputée. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




Religion de Mr Vianney.





197 La vérité est que la grande vertu de religion de Mr Vianney lui faisait rechercher tout ce qui de près ou de loin se rapportait au culte et à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher et sacré, dès qu'il avait une signification dévote. Il aimait les images, les croix, les scapulaires, les chapelets, les médailles, l'eau bénite, les confréries, les reliques surtout. Son église, sa chapelle de la Providence, sa chambre en étaient remplies. Il disait un jour avec un air de grande satisfaction qu'il en avait plus de cinq cents. Il était insatiable de la parole de Dieu pour lui et pour les âmes confiées à sa sollicitude pastorale. Il assistait au sermon autant qu'il le pouvait. Il a été déjà dit comment son grand amour pour Dieu joint à sa grande vertu de religion l'avait porté à agrandir et à embellir son église, à acheter de magnifiques ornements, etc. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


198 La vérité est que Mr Vianney a brillé par une grande dévotion au St Sacrement, comme il a été dit plus haut en parlant de la Foi et de la charité. Jésus-Christ dans le St Sacrement semblait être toute sa vie. Il ne pouvait s'empêcher de penser à lui, de parler de lui. Quand il en parlait ou qu'il était aux pieds des autels, son coeur paraissait être en feu et ne pouvoir plus contenir l'ardeur, qui le dévorait. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


199 La vérité est que, quant aux pratiques particulières de dévotion, Mr Vianney respectait toutes celles qui sont en usage dans l'Eglise et les conseillait volontiers. Il était du tiers-ordre de saint François et de plusieurs autres. Il aimait à réciter l'office divin en union avec Notre Seigneur, et, pour faciliter cette union, il avait attaché aux différentes heures du Bréviaire le souvenir des différentes scènes de la Passion: A Matines, il honorait l'agonie de J.-C. au jardin des olives, à Laudes sa sueur de sang, à Prime sa condamnation, à Tierce le portement de sa croix, à Sexte son crucifiement, à None sa mort, à Vêpres sa descente de la croix, à Complies sa sépulture. Pour soutenir et diriger ses intentions pendant la semaine, il se proposait, le Dimanche d'honorer la très sainte Trinité, le lundi d'invoquer le Saint Esprit, afin de bien employer la semaine pour la gloire de Dieu, et pour son salut. Il priait aussi ce jour-là pour les âmes du Purgatoire et offrait à leur intention tous ses mérites. Le mardi était consacré aux Anges gardiens: il remerciait le bon Dieu d'avoir donné à ces purs esprits un si ardent amour pour sa gloire, une si grande promptitude à exécuter ses ordres, tant de bienveillance pour les hommes. Le mercredi était employé à louer toute la cour des bienheureux. Le jeudi était le jour du saint Sacrement, le vendredi celui de la Passion de Notre Seigneur. Le Samedi, il remerciait Dieu d'avoir créé la sainte Vierge immaculée et de lui avoir donné un coeur si bon pour les pauvres pécheurs. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


200 La vérité est que Mr Vianney eut toujours une très grande dévotion à la sainte Vierge. Le premier cadeau qu'il reçut, fut une image en bois de la reine des Cieux. "Oh! que j'aimais cette statue, disait-il, à plus de soixante ans de distance. Je ne pouvais m'en séparer ni le jour, ni la nuit, et je n'aurais pas dormi tranquille, si je ne l'avais pas eue à côté de moi, dans mon petit lit." Il a déjà été dit comment il plaçait sa statue sur un autel de gazon, quand il était berger, invitait ses compagnons à réciter avec lui la salutation angélique et leur prêchait la dévotion à la Ste Vierge, ainsi qu'il sera déposé, etc.


201 La vérité est que Mr Vianney dit un jour à son prêtre auxiliaire: "J'ai aimé la sainte Vierge avant même de la connaître; c'est ma plus vieille affection. Étant tout petit, j'étais possesseur d'un joli chapelet; il fit envie à ma soeur: elle voulut l'avoir. Ce fut là un de mes premiers chagrins. J'allai consulter ma mère; elle me conseilla d'en faire l'abandon, pour l'amour du bon Dieu. J'obéis, mais il m'en coûta bien des larmes." Il savait à peine parler, que déjà il voulait prendre part à tous les exercices de piété, qui avaient lieu en sa présence. Dès qu'il entendait sonner l’Angelus, il donnait l'exemple à toute la maison, et s'agenouillait le premier pour réciter l'Ave Maria. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


202 La vérité est que le jeune Vianney ne laissa pas ralentir sa dévotion à la sainte Vierge lorsqu'il fut employé aux travaux des champs. Il avait de la peine à tenir tête à son frère François plus âgé que lui. Un jour, une religieuse que la révolution avait chassée de son couvent, lui fit présent d'une de ces statuettes de la sainte Vierge renfermées dans un étui cylindrique, qu'on ouvre et ferme à volonté. "Ce présent, dit sa soeur Marguerite, vint fort à propos, et mon frère crut avoir trouvé, dans la sainte image, un renfort et un secours contre l'activité de François. La première fois donc qu'on les envoya ensemble à la vigne, il eut soin, avant de commencer son ouvrée, de déposer à quelques pas de lui sa petite statue, et en avançant vers elle, de prier la sainte Vierge de l'aider à atteindre son frère aîné. Arrivé à l'image, il la ramassait lestement, la plaçait de nouveau devant lui, reprenait sa pioche, priait, avançait, tenant tête à François, qui se morfondait sans pouvoir le dépasser, et qui avoua le soir que la sainte Vierge avait bien aidé son petit frère, et qu'il avait fait autant de besogne que lui." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


203 La vérité est que cette grande dévotion à la très sainte Vierge alla toujours en grandissant dans le coeur du jeune Vianney. Quand il fut prêtre il aimait à célébrer la messe à son autel le plus souvent qu'il le pouvait; il n'y manquait jamais le samedi. Tous les jours il récitait le Regina Caeli pour remercier la sainte Vierge des grâces qu'il avait reçues par son entremise. Tous les soirs à la prière il disait en chaire le chapelet de l'Immaculée Conception. Depuis son vicariat à Ecully, il avait organisé une association de prières en l'honneur de la sainte Mère de Dieu. La pratique fondamentale consistait à réciter l'Ave Maria, quand l'heure sonnait, avec l'invocation: "Bénie soit la très sainte et immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu. O Marie, que toutes les nations glorifient, que toute la terre invoque et bénisse votre Coeur immaculé!" Jamais il n'omit cette pieuse observance. C'est pour y être plus fidele lui-même et y amener ses paroissiens, qu'il a fait placer au clocher une grande horloge, dont le timbre s'entend des extrémités du village. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


204 La vérité est qu'avant que l'Immaculée Conception fût définie comme dogme de foi, le Curé d'Ars avait attaché son coeur à cette douce croyance. Lorsque la voix du chef de l'Eglise se fut fait entendre: "Quel bonheur! s'écria-t-il; j'ai toujours pensé qu'il manquait ce rayon à l'éclat des vérités catholiques. C'est une lacune qui ne pouvait pas demeurer dans la religion. " Et pour marquer sa joie et féliciter sa souveraine de la gloire qu'elle recevait en ce grand jour, il fit faire une magnifique chasuble. Déjà depuis longtemps il avait consacré sa paroisse à Marie invoquée sous le titre d'Immaculée. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


205 La vérité est que c'est à ce titre de dévot serviteur de Marie que Mr Vianney se fit d'abord connaître à son peuple; il ne négligea rien pour rehausser le culte de sa bien-aimée souveraine. Même avant l'origine du pèlerinage, ses fêtes se célébraient à Ars avec une grande pompe et un grand concours de peuple; les communions étaient nombreuses, les offices solennels. Cette animation religieuse, fruit de l'exemple du bon Curé, alla toujours en augmentant. Il n'y avait jamais tant d'étrangers à Ars que dans les jours consacrés au culte de la mère de Dieu. Son image se voit partout dans le village, sur la façade de l'Église, sur la porte et dans l'intérieur des maisons. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


206 La vérité est que lorsque Mr Vianney eut reçu du Vicomte d'Ars les magnifiques ornements, qui se voient encore dans l'église d'Ars, il ne sut, pendant quelques jours, comment marquer à Dieu sa reconnaissance. A la fin, il lui vint une idée: "Mes frères, dit-il le dimanche suivant, vous avez vu ce que Mr d'Ars vient de faire pour nous. Eh bien! j'ai formé le projet de vous mener tous en procession à Fourvière rendre grâces à la très sainte Vierge et lui faire hommage de ces richesses: c'est elle qui les bénira. Nous nous consacrerons à elle en même temps dans ce sanctuaire où elle se montre si puissante et si bonne. Il faut qu'elle nous convertisse." Le jour qu'il fixa fut le six août, fête de saint Sixte, patron de la paroisse. On se souvient encore à Trévoux de l'impression produite par l'arrivée de cette procession. Mais ce qui frappa pour le moins autant que l'or des bannières et de leur riche tissu, ce fut le Curé d'Ars lui-même, avec ses traits pâles et mortifiés et l'air de sainteté répandu sur sa figure. Après une petite halte sur les bords de la Saône, on partit sur deux grandes barques traînées par des chevaux, et l'on arriva à Lyon assez à temps pour que Mr Vianney pût célébrer dans l'église de Fourvière le saint sacrifice de la messe et communier un très grand nombre de ses paroissiens. Cette édifiante journée est restée inscrite comme une date mémorable dans le souvenir des habitants d'Ars. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


207 La vérité est que le très saint Coeur de la sainte Vierge était le refuge du Curé d'Ars dans toutes ses peines, et l'arsenal où il puisait incessamment les armes dont il se servait pour combattre l'enfer. Une de ses grandes pratiques était de conseiller une neuvaine au saint Coeur de Marie. "J'ai si souvent puisé à cette source, disait-il, qu'il n'y resterait plus rien depuis longtemps, si elle n'était pas inépuisable." Il ne se lassait pas de parler dans ses instructions de ce Coeur si pur, si beau, si bon, l'ouvrage et les délices de la très sainte Trinité. Le bon Curé d'Ars a dit des choses admirables sur la dévotion à la sainte Vierge. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


208 La vérité est que les saints étaient pour le Curé d'Ars de vrais amis, en la société desquels il vivait par l'esprit et par le coeur; il les appelait ses consuls. Il lisait continuellement leur vie. Aussi parler de ces bons saints, comme il les nommait, était toute sa joie et quand il était sur ce chapitre, il ne s'arrêtait plus.

Les traits, les épisodes, les détails charmants, les circonstances les plus minutieuses de leur vie, s'offraient à sa mémoire avec une abondance et une précision admirables. Il ne se lassait de raconter et on ne se lassait pas de l'entendre. Il avait pour leurs images et leurs reliques une profonde vénération. Il n'imaginait pas qu'on pût faire un plus beau présent que celui d'une relique. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


209 La vérité est que parmi les saints dont le Curé d'Ars se plaisait à faire l'éloge dans ses entretiens, il était aisé de voir qu'il accordait une place de faveur à ceux qui, ayant le plus travaillé et le plus souffert, avaient montré par là un plus grand amour pour Notre Seigneur. Après St Joseph, Époux de la Ste Vierge, St Jean Baptiste, son saint patron, St Jean l'Evangéliste et les saints apôtres, c'étaient St François d'Assise, s. François Régis, s. Louis roi de France, s. Louis de Gonzague, s. Stanislas de Kostka, s. Nicolas de Tolentin, Ste Catherine de Sienne, Ste Colette, Ste Thérèse, qu'il invoquait le plus souvent. Il admirait surtout le séraphique Père s. François, à cause de l'esprit d'amour et de sacrifice dont il était enflammé. Il aimait également à parler de sainte Claire, cette autre amante de la Croix et de la sainte pauvreté, si modeste qu'on ne la vit qu'une seule fois dans sa vie lever sa paupière pour demander au Pape sa bénédiction, et qu'on connut alors seulement la couleur de ses yeux. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


210 La vérité est que le Curé d'Ars avait voué à sainte Philomène un culte tout particulier. Il l'appelait sa chère petite sainte et lui avait fait construire une chapelle. Quand on venait à Ars pour solliciter quelque grâce temporelle, il conseillait de faire une neuvaine à sainte Philomène. C'est sur le compte de sa chère petite sainte qu'il n'a cessé de mettre toutes les faveurs et tous les prodiges, qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. C'était à elle à s'en défendre; lui n'y était pour rien. Cela ne le regardait en aucune façon. Il était cependant un peu désappointé lorsqu'une guérison, par exemple, faisait du bruit, et il lui arrivait de se plaindre un peu de sainte Philomène. Un enfant de huit ans, qui ne pouvait marcher, fut tout à coup guéri à Ars, après avoir reçu la veille la bénédiction de Mr Vianney et entendu de sa bouche des paroles pleines de consolation et d'espérance. L'enfant courait dans l'église, disant à qui voulait l'entendre: "Je suis guéri! je suis guéri!" Comme on pressait Mr Vianney de recevoir la, mère de l'enfant, qui voulait le prier de l'aider à remercier sainte Philomène, il se retourna et bénit en silence la mère et l'enfant. Puis, de l'air le plus désappointé: "Sainte Philomène, dit-il, aurait bien dû guérir ce petit chez lui!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.


211 La vérité est que le Curé d'Ars avait aussi une grande dévotion aux âmes du purgatoire; il encourageait toutes les entreprises, qui avaient pour but de les soulager. Lui-même il ne cessait de prier pour elles. Il offrait de plus à leur intention, toutes ses insomnies et toutes ses douleurs nocturnes. Il ne cessait de conseiller la dévotion aux âmes du Purgatoire. "Oh! disait-il, si l'on savait combien nous pouvons obtenir de grâces par leur moyen, elles ne seraient pas tant oubliées! Ces saintes âmes sont les épouses de J.-C., et bien qu'elles ne puissent pas mériter pour elles-mêmes, elles peuvent cependant prier pour leurs bienfaiteurs: leurs prières sont plus puissantes que les nôtres, parce qu'elles sont plus saintes et confirmées en grâce. D'ailleurs, ne pouvant pas par elles-mêmes, ni se délivrer, ni se soulager dans les terribles souffrances qu'elles endurent, elles sont obligées de recourir à nous, qui sommes comme leurs sauveurs, pour obtenir du soulagement et leur délivrance. Elles sont donc intéressées à prier le bon Dieu pour toutes les personnes, qui pensent à elles, et à leur faire sentir les bons effets de leurs prières, afin de les engager de plus en plus à ne pas les oublier." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


Oraison de Mr Vianney.





212 La vérité est que l'on peut dire que l'oraison de Mr Vianney était continuelle. Son âme était sans cesse unie à Dieu. S'il désirait la solitude, c'était pour livrer plus facilement son coeur et toutes ses facultés à cette douce communication de l'âme avec son Dieu. Au milieu des plus grands travaux, il ne se relâchait point de la sainte contemplation, demeurait toujours en la présence de Dieu et le regardait avec amour dans toutes ses créatures. Tout lui parlait de son Dieu et il savait le trouver partout. Son esprit rapportait de ce commerce avec Dieu des idées si claires et si lucides sur les choses spirituelles, que l'on pouvait répéter avec Mgr Devie, Évêque de Belley: "Je ne sais pas s'il est instruit, mais il est éclairé disait-il à des ecclésiastiques qui parlaient du peu de science de Mr Vianney. Sa volonté ne savait que se porter vers le souverain Bien. Aimer Dieu et le faire aimer, telle était la seule pensée de son coeur. Aucun signe extérieur ne révélait ordinairement chez lui les opérations de la grâce, si ce n'est un maintien pieux et recueilli, qui annonçait une grande concentration intérieure, sans avoir rien d'affecté. Il disait un jour à un prêtre, qui mettait trop d'affectation dans sa piété: "Mon ami, ne nous faisons pas remarquer." Ainsi qu'il sera déposé, etc.





Ars Procès informatif 162