Ars Procès informatif 213

VII. Sur la force de Mr Vianney.





213 La vérité est que l'on peut dire que la vertu de force, et ses trois principales annexes la patience, la confiance en Dieu et la constance ont jeté un grand éclat pendant toute la vie de Mr Vianney. Cependant les épreuves, les peines et les tribulations ne lui ont pas manqué. On les a rappelées en parlant de l'espérance. Elles ne faisaient que ranimer sa confiance en Dieu, le détacher de plus en plus des choses créées pour l'attacher à son créateur. Grâce à cette disposition, que Dieu avait mise dans son coeur, il a pu toute sa vie suivre le genre de vie si sévère qu'il s'était tracé. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


Patience de Mr Vianney.





214 La vérité est que le Curé d'Ars pratiquait à la lettre ce mot, qui revenait souvent dans ses conversations: "Les saints ne se plaignent pas." Il avait promis à Dieu de ne point se plaindre, quoi qu'il lui arrivât. Voici à quelle occasion: pendant qu'il était caché aux Noës, les gendarmes étaient venus un jour faire une battue générale. Pour se soustraire à leurs recherches, il fut obligé de s'enfermer dans un grenier à foin, au-dessus d'une écurie. Il étouffait dans cette atmosphère doublement échauffée, et par l'entassement du fourrage et par le voisinage de l'étable, et pensa être asphyxié. Cette situation violente dura longtemps. Le bon Curé disait plus tard qu'il n'avait jamais tant souffert; et ce fut dans ce moment qu'il promit à Dieu, s'il sortait de cette terrible passe, de ne jamais se plaindre, quoi qu'il lui arrivât. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


215 La vérité est que le Curé d'Ars eut bien à souffrir de différentes infirmités qu'il s'était attirées par sa vie mortifiée. Il était sujet à des douleurs d'entrailles et à des maux de tête continuels. Il était fréquemment indisposé. Une toux aiguë le fit bien souffrir pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie. Mais dans le temps que son pauvre cadavre, comme il l'appelait, était le plus torturé, son esprit était toujours libre, l'expression de son visage toujours calme et souriante, rien dans son humeur ou sa conversation ne trahissait ses douleurs, même les plus vives. Quand quelquefois vaincu par la force du mal, il s'affaissait tout à coup sur une chaise, il se contentait de répondre avec un doux sourire: "Oui, je souffre un peu." à ceux qui en étaient témoins et qui naturellement s'empressaient autour de lui. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


216 La vérité est que Mr Vianney ne savait pas se ménager. Lorsqu'après une journée écrasante on venait lui dire qu'il y avait un infirme qui désirait lui parler, il allait le visiter à domicile. On l'a vu plus d'une fois, plié en deux, n'en pouvant plus, s'arrêtant à chaque pas, se traîner jusqu'aux extrémités du village pour remplir cet héroïque ministère. Un repos de trois ou quatre heures seulement succédait aux longues heures de travail. Et encore quel repos prenait-il, lorsque d'un côté il était souvent troublé par le démon, et de l'autre par de grandes souffrances? Mr Vianney a souvent déclaré qu'il ne dormait pas deux heures, et qu'une heure de bon sommeil aurait suffi pour le faire galoper. On ne saurait dire le supplice qu'il endurait en été, lorsque, accablé par la chaleur, épuisé par l'exercice continuel de la parole, il étendait sur son lit son pauvre corps haletant. Il a avoué à ses missionnaires qu'alors il souffrait comme un malheureux, il ne faisait que tousser. Il était baigné de sueur; il se contractait et se repliait sur lui-même, cherchant une bonne place et n'en trouvant point. Il se levait jusqu'à quatre ou cinq fois par heure. Il était si faible et si abattu qu'il ne pouvait se tenir debout. Dieu avait donc bien exaucé le désir de son serviteur, qui avait demandé à beaucoup souffrir, s'il obtenait la conversion de sa paroisse. Aussi Mr Vianney qui n'avait un peu que ce qu'il avait souhaité comme il en fit un jour l'aveu, supportait-il toutes ses souffrances avec la plus grande patience. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


217 La vérité est qu'il est arrivé à Mr Vianney de tomber plusieurs fois en allant de sa chambre à l'église. Cet état de prostration ne l'arrêtait jamais et il finissait par en triompher. Il y avait dans sa constitution je ne sais quoi de nerveux et d'élastique, qui ne fléchissait un instant que pour se redresser ensuite. Il n'était jamais plus près de recouvrer sa vigueur, qu'à l'heure où on le voyait plus affaissé. La foule, la chaleur, l'encombrement, la longueur des séances au confessionnal, tout ce qui aurait dû anéantir ses forces, les lui rendait. A mesure que les nécessités du pèlerinage l'exigeaient, on le voyait se multiplier et devenir supérieur à lui-même. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


218 La vérité est que la patience du bon Curé ne brillait pas moins lorsqu'il avait à souffrir quelque humiliation ou quelque contradiction. Dans ces occasions, il supportait tout en silence, avec une sérénité d'âme incomparable, un abandon parfait entre les mains de Dieu. On a déjà parlé de son inaltérable patience et de son admirable conduite vis-à-vis de ses condisciples de Verrières, qui ne cessaient de le maltraiter (le texte porte "ce", raturé en "ses", et le verbe 'cessait' reste au singulier). Si on lui faisait quelque tort ou quelque injustice, il excusait la conduite du prochain avec une telle indulgence, qu'elle aurait pu quelquefois paraître excessive. Jamais on ne l'a vu sensible à un outrage qui l'atteignît directement. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


219 La vérité est qu'il fut en butte dans le commencement de son ministère à beaucoup de contradictions, de calomnies même. On en vint même à le décrier jusque dans ses moeurs; on lui écrivit des lettres anonymes remplies d'ignobles injures. Que faisait le Serviteur de Dieu? Il supportait tout avec une angélique patience. "Je serais fâché, disait-il, que le bon Dieu fût offensé, mais d'un autre côté je me réjouis dans le Seigneur de tout ce qu'il permet qu'on dise contre moi, parce que les condamnations du monde sont des bénédictions de Dieu. J'avais peur d'être hypocrite, quand je voyais qu'on faisait quelque cas de moi; je suis bien content que cette estime si mal fondée se tourne en mépris." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


220 La vérité est qu'un jour il reçut une lettre pleine de choses inconvenantes; peu après, il en reçut une autre qui ne respirait que la vénération et la confiance: on l'appelait un saint. Il en fit part à ses chères filles de la Providence en leur disant: "Voyez le danger qu'il y a à s’arrêter aux sentiments humains. Ce matin, j'aurais perdu la tranquillité de l'âme, si j'avais voulu faire attention aux injures qu'on m'adressait, et ce soir, j'eusse été grandement tenté d'orgueil si je m'étais fié à tous ces compliments. Oh! comme il est prudent de ne pas se prendre aux vaines opinions et aux vains discours des hommes, et de n'en faire aucun cas..." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


221 La vérité est qu'il ne faudrait pas croire que la douceur et la patience étaient des vertus naturelles au Serviteur de Dieu. Mr Vianney a dû avouer qu'il était ne avec un caractère impétueux et qu'il lui avait fallu une extrême violence pour devenir doux et patient. Et pourtant on l'a vu pressé, étouffé, renversé, par la foule sans même que sa physionomie exprimât la moindre contrariété. On l'a vu, au moment où son confessionnal était le plus entouré, se déranger trois fois de suite pour donner la sainte communion à trois personnes différentes qui auraient pu se présenter ensemble, et cela sans plainte et sans murmure, sans faire aucune observation ni donner aucune marque d'impatience. Cela parut si fort à un témoin de cette scène, qu'il sortit de l'église hors de lui, prêt à éclater, disant à qui voulait l'entendre: "Je suis en colère pour Mr le Curé, qui ne l'est pas." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


222 La vérité est qu'on l'a vu plus qu'importuné, harcelé à tout instant du jour par la même personne, qui voulait obtenir de lui quelque chose qu'il ne voulait pas accorder. Elle y mettait une obstination dépourvue de toute convenance et par là même très irritante. Mr le Curé n'a pas cédé, mais sa fermeté n'a eu d'égale que sa douceur, et chaque fois qu'elle l'abordait, il la recevait comme si c'eût été la première fois. Il disait un jour en parlant d'une personne, qui l'aurait fait mourir à petit feu, si son coeur avait été moins affermi dans la patience: "Combien je lui ai de reconnaissance! Je n'aurais pas su sans elle que j'aimais un peu le bon Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.




VIII. Sur la Tempérance de Mr Vianney.





223 La vérité est que Mr Vianney prit toujours un grand soin de mortifier toutes ses passions. Il savait que pour cela il faut dompter la chair: aussi entra-t-il dans la voie de la mortification dès sa jeunesse. Pendant qu'il faisait ses études à Ecully, il avait fait avec sa cousine Marguerite certains arrangements concernant le régime qu'il voulait suivre: par exemple, il voulait qu'elle lui servît sa soupe sans aucune espèce d'assaisonnement. Quand la ménagère avait été fidèle à sa consigne, il l'en récompensait par l'air de contentement répandu sur sa figure, la gaîté de sa conversation et la promesse de quelque pieux présent, comme d'une médaille, d'une image, ou d'un cantique; quand elle manquait, ce qui lui arrivait de temps en temps, soit par mégarde, soit de propos délibéré, le jeune Vianney lui en faisait de vifs reproches, il en éprouvait un sensible déplaisir. Elle le voyait ennuyé, sans courage et sans goût: "Il mangeait sa soupe, dit-elle, comme si chaque morceau eût dû l'étrangler." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


224 La vérité est que Mr Vianney, quand il eut été nommé Vicaire à Ecully, redoubla ses mortifications. Il était effrayant, lorsque dans son catéchisme, il énumérait les disciplines, les haires, les cilices, les chaînes, les bracelets de fer et les autres instruments de pénitence dont faisait usage Mr Balley, Curé d'Ecully. Ce que le Curé d'Ars se gardait bien d'ajouter, et qui est parfaitement prouvé, c'est que le disciple ne le cédait au maître en aucun genre de pénitences; c'était entre eux comme une véritable lutte à qui vaincrait l'autre. Ils en vinrent très vite à s'interdire jusqu'à l'ombre d'une satisfaction sensuelle, et à se faire de la plus rigoureuse mortification, une règle universelle, et comme une seconde nature. Ils ne prenaient presque point de nourriture. Ainsi qu'il sera dépose, etc.


225 La vérité est que lorsque Mr Vianney voulait obtenir quelque grâce plus importante, il avait recours au jeûne et à la pénitence, comme il a été dit. Mr Vianney n'avait point de domestique. Une bonne veuve, nommée Claudine Renard, blanchissait son linge et lui rendait tous les autres bons offices dont il pouvait avoir besoin. La difficulté était de les lui faire accepter. Il fallait prendre pour cela beaucoup de détours, revenir souvent à la charge. Quand, à force de manoeuvres adroites, elle avait obtenu un oui, ou que sans dire oui, on n'avait pas dit non, elle courait à sa cuisine; mais pendant qu'elle préparait les mets, Mr le Curé avait eu le temps de se mettre sur un bon pied de défense, et, quand elle arrivait avec ses provisions, elle trouvait la porte close. C'étaient alors des larmes, des gémissements, un vrai désespoir, qui faisaient rire le coupable, sans le corriger. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


226 La vérité est que Mme Claudine Renard, était aussi consternée en voyant que Mr Vianney ne se réservait rien. Quelque soin qu'elle prît de renouveler son trousseau, elle s'apercevait qu'il s'en allait pièce à pièce. Elle se mit alors à ne lui rendre son linge qu'au fur et à mesure qu'il en avait besoin. Quoiqu'elle logeât près du presbytère, elle n'y avait pas ses entrées libres. Lorsque de loin en loin, elle venait à bout de s'y introduire, elle en profitait pour nettoyer, frotter et mettre en ordre de son mieux le petit mobilier. Quelquefois, si le maître était absent, elle s'enhardissait jusqu'à oser faire son lit et soulever un peu cette pauvre paille, qui sans cela n'eût jamais été remuée. Or, il arriva qu'un jour elle trouva le matelas d'un côté et la paillasse de l'autre... Elle comprit et ne put s'empêcher de pleurer. Elle crut devoir tout remettre en place. A quelques jours de là, ce fut la même chose, tant et si bien qu'à la fin, ne voulant pas en avoir le démenti, ni se fâcher contre elle, Mr Vianney prit le parti de trancher la question en donnant son matelas à un pauvre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


227 La vérité est que Mr Vianney s'était trop avancé pour s'arrêter en si beau chemin. Son amour pour la pénitence lui fit aussi donner aux pauvres sa couchette et son traversin, en sorte qu'il ne resta plus que la paillasse dans son lit. Se trouvant encore trop bien sur la paille, il résolut d'y mettre une planche, et d'enlever presque toute la paille. Catherine Lassagne essayait plusieurs fois d'en remettre un peu, mais dès que Mr Vianney s'en apercevait, il la sortait et la jetait au feu. Encore ces petits manèges ne suffisaient pas à satisfaire le besoin de mortification, qui allait chez lui toujours en augmentant; c'est pourquoi il résolut de quitter sa chambre et son lit et de coucher au grenier. Il a avoué à son missionnaire qu'il avait aussi couché à la cave sur une poignée de paille, et que, quand il était meurtri d'un côté, il se tournait de l'autre. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


228 La vérité est que Mr le Curé d'Ars ayant lu dans la vie de Ste Françoise Romaine, qu'elle faisait sa nourriture ordinaire du pain sec et moisi, qui avait traîné longtemps dans la poche des mendiants, touché de cette pratique, résolut de l'imiter; quand il rencontrait un pauvre, il lui proposait de le débarrasser du contenu de sa besace et le payait grassement. On trouvait toujours chez lui une corbeille remplie de ce pain noir des pauvres; il le mangeait avec délice, parce que la mortification, la pauvreté et la charité y mêlaient leur céleste saveur. Quelques pommes de terre cuites à l'eau complétaient le menu du repas. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


229 La vérité est qu'il est arrivé plus d'une fois à Mr Vianney, lorsqu'il n'avait plus de pommes de terre, d'aller, sa petite marmite à la main, quêter chez les voisins la provision de la semaine. Il faisait cuire ses pommes de terre lui-même et les mangeait tant qu'elles duraient. Chaque soir, après la prière, en rentrant chez lui il découvrait sa marmite, en tirait une ou deux pommes de terre, souvent déjà toutes moisies, avalait un bassin d'eau fraîche là-dessus; c'était tout son souper. Un soir, il revenait exténué de l'Eglise. Après avoir mangé une pomme de terre, il eut la tentation d'en prendre une seconde. Il se retint en disant: "La première était pour le besoin; la seconde serait pour le plaisir." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


230 La vérité est qu'ayant pris à la lettre la recommandation de Notre Seigneur de ne se point mettre en peine du lendemain, il n'y songeait pas plus que s'il ne devait point y avoir pour lui de lendemain. Sans aucune inquiétude, ni aucun souci du manger, du boire et des autres choses nécessaires au corps, il remettait à la seule providence de Dieu tout le soin de sa vie. De plus ce qu'il accordait à son corps dans les premières années de son ministère, semblait avoir pour but moins de le conserver que de l'empêcher de mourir. On a constaté qu'il était demeuré plusieurs jours sans prendre aucune nourriture. On peut affirmer qu'il a passé des carêmes entiers sans consommer deux livres de pain. Il a même essayé de vivre d'herbage et de racines, mais au bout de huit jours il fut obligé de renoncer à cette mortification excessive, parce qu'il n'avait plus de forces. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


231 La vérité est que lorsque après de longs jours de jeûne Mr Vianney n'en pouvait plus, il prenait une poignée de farine, c'était la seule provision qu'il se gardât, la délayait dans un peu d'eau et en faisait des matefaims. "Que j'étais donc heureux dans les premiers temps, disait-il! Je n'avais pas ce monde sur les bras; j'étais tout seul... Quand je voulais dîner, je ne perdais pas beaucoup de temps. Trois matefaims faisaient l'affaire. Pendant que je cuisais le second, je mangeais le premier; pendant que je mangeais le second, je cuisais le troisième. J'achevais mon repas en rangeant ma poêle et mon feu, je buvais un peu d'eau, et il y en avait pour deux ou trois jours." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


232 La vérité est que dès ce temps-là, Mr Vianney semblait avoir pour principe d'aller jusqu'au bout de lui-même. Maintes fois alors, comme plus tard quand l'âge eut abattu ses forces sans diminuer son courage, on le vit ne marcher qu'en se traînant, en s'appuyant contre les murs et les bancs de son église. Catherine Lassagne l'engageait un jour à prendre un peu plus de nourriture. "Vous ne pourrez pas tenir en vivant de la sorte, disait-elle." - Oh! que si! répondit-il gaîment. Que dit Notre Seigneur? J'ai une autre nourriture, qui est de faire la volonté de mon Père, qui m'a envoyé. Puis il ajouta: "J'ai un bon cadavre; je suis dur: après que j'ai mangé n'importe quoi, ou que j'ai dormi deux heures, je peux recommencer. Quand on a donné quelque chose à un bon cheval, il se remet à trotter comme si de rien n'était; et le cheval ne se couche presque jamais." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


233 La vérité est qu'il arrivait quelquefois cependant que ce bon cadavre, à force d'être surmené, n'en pouvait réellement plus. Mr Vianney était forcé lui-même d'en convenir. Il a été plusieurs fois obligé de se lever la nuit pour prendre quelque chose, parce qu'il avait peur de mourir d'inanition. Il lui est arrivé bien souvent d'être obligé de s'asseoir, en sortant de l'église, parce que ses jambes se dérobaient sous lui. Il était alors content comme un homme, qui vient de faire un grand exploit. Il riait de bon coeur, plaisantait et gourmandait son cadavre; il lui disait avec une douce ironie: "Allons, mon pauvre Colon, debout!... Tiens-toi bon!" faisant allusion à un ivrogne de ce nom qui s'apostrophait ainsi pour se donner des jambes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


234 La vérité est qu'une fois Mr Vianney se trouva mal au confessionnal. Se sentant défaillir, il rassembla ses forces et se traîna comme il put à la Providence, haletant, pâle comme un mort. En arrivant il demanda un peu d'eau de Cologne. "Eh bien! Monsieur, lui dit Catherine, tout en s'empressant autour de lui, vous devez être content, cette fois, vous êtes bien allé jusqu'au bout!" En effet, sous la pâleur et l'altération de ses traits on voyait percer une immense joie intérieure. Il ne voulut rien accepter qu'un peu d'eau de Cologne, et dès qu'il se sentit mieux, il s'échappa pour aller dans la pièce voisine faire le catéchisme aux enfants. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


235 La vérité est que Mr Vianney ne voulait rien accepter de ce qu'on lui apportait, ou s'il l'acceptait il le donnait aux pauvres. Les provisions que Mme Claudine Renard, Mselle Lacon et toutes autres parvenaient à introduire au presbytère étaient pareillement distribuées aux mendiants. Quand sa Providence fut établie, il y allait prendre ses repas. Si minces et si sommaires que fussent les apprêts de son dîner, ii était toujours disposé à trouver qu'on en faisait trop. Il s'en plaignait doucement aux directrices: "Je pense souvent, mais je n'ose pas vous le dire, que si vous aviez plus de charité pour moi et pour les âmes, vous ne me prépareriez jamais rien. Je ferais un peu pénitence, et tout le monde s'en trouverait mieux." Ces apprêts consistaient cependant à faire tout simplement bouillir du lait avec un peu de chocolat. Il prenait son modeste repas debout au coin de la cheminée, quand il avait fini son catéchisme. Il se contentait souvent de boire son lait sans y mettre du pain. Lorsqu'il était pressé, il s'en retournait à la cure, son pot à la main. Un ecclésiastique, qui le surprit ainsi un jour traversant la place, en fut comme scandalisé et s'éloigna avec les marques d'un profond désappointement. Mr Vianney s'amusait beaucoup de cette aventure: "Ce bon Monsieur, disait-il, a été bien attrapé; il s'attendait à trouver quelque chose à Ars, et il n'a rien trouvé." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


236 La vérité est que la seule occasion où il sortît un peu de ses austères habitudes, c''est lorsque la charité l'y obligeait pour faire honneur à un confrère, qui venait le visiter. Le cas d'ailleurs était fort rare. Il usait de la même condescendance à l'égard de ses parents, lorsqu'ils venaient à Ars. Monseigneur Devie essaya souvent de faire fléchir l'austérité des jeûnes du Curé d'Ars. Il voulait au moins que ses visites fussent des jours de relâche pour le Serviteur de Dieu. Il le fit une fois placer à table à côté de lui, et se plut à le servir lui-même. Mr Vianney n'osa pas refuser et mangea à peu près comme les autres. Mais il en fut indisposé et éprouva d'horribles souffrances. En l'apprenant Monseigneur Devie lui dit: "Jeûnez en paix, mon ami, désormais je ne vous obligerai plus à dîner avec moi." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


237 La vérité est que si, vers la fin de sa carrière, alors que son existence ne se soutenait plus que par miracle au milieu de ses immenses travaux, le Serviteur de Dieu a relâché de sa sévérité envers lui-même, c'est uniquement pour obéir aux ordres de ses supérieurs, dans lesquels il était accoutumé à voir la volonté de Dieu. Du reste il lui en coûta beaucoup pour suivre le nouveau régime et il se reprochait souvent sa gourmandise. Or, au témoignage de la personne chargée de pourvoir à ses besoins, on ne saurait croire combien il mangeait peu. Il ne mangeait pas une livre de pain par semaine; quelquefois il ne faisait que boire. Il n'acceptait jamais de viande deux jours de suite, il y avait des semaines entières où il n'en mangeait pas. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


238 La vérité est que Mr Vianney joignait au jeûne beaucoup d'autres pénitences. Jeanne Marie Ghaney et Catherine Lassagne, directrices de la Providence, attestent avoir trouvé dans la chambre du bon Curé divers instruments de pénitence: des haires, des cilices, des chaînes d'acier, une corde avec des noeuds à intervalles rapprochés, terminée par une boule en fer. Elles ont découvert successivement dans la même cachette quatre ou cinq disciplines de fer, polies par l'usage et brillantes comme de l'argent; les branches de ces disciplines étaient armées de morceaux de fer ou de plomb. Elles affirment aussi avoir vu à la lessive le linge de Mr Vianney taché de sang. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


239 La vérité est que le Curé d'Ars usait très certainement de ces instruments de pénitence. Melle Lacon l'entendit une nuit se frapper rudement pendant deux heures. Lui-même disait un jour à Catherine et à sa compagne: "Le matin, je suis obligé de me donner deux ou trois coups de discipline pour faire marcher mon cadavre. Ça réveille les fibres... N'avez-vous pas vu des meneurs d'ours? Vous savez comme ils apprivoisent ces méchantes bêtes: c'est en leur donnant de grands coups de bâton. C'est ainsi qu'on dompte son cadavre et qu'on apprivoise le vieil Adam." Il était obligé de renouveler souvent ses instruments de pénitence, parce qu'il les avait bien vite brisés. Il commanda un jour au maréchal du village une chaîne dont la grosseur fit trembler les initiés, qui savaient que c'était pour en faire une discipline. Il donna le change à l'ouvrier, afin qu'il ne soupçonnât pas à quel usage cette chaîne était destinée. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


240 La vérité est que Mr Vianney en était venu à pratiquer littéralement ce qu'on lit dans la vie des saints. Ainsi il s'imposait de ne pas sentir une fleur, de ne pas boire, quand il brûlait de soif, de ne pas chasser une mouche importune, de ne pas paraître s'apercevoir d'une mauvaise odeur, de ne jamais manifester de dégoût devant un objet répugnant, de ne jamais se plaindre de quoi que ce soit qui intéressât son bien-être, de ne jamais s'asseoir, de ne jamais s'accouder quand il était à genoux. Le Curé d'Ars craignait beaucoup le froid, mais jamais il ne voulut prendre aucun moyen pour s'en garantir. Il ne voulut jamais que l'on mît un coussinet dans ce confessionnal où il passait tous les jours de si longues heures. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


241 La vérité est que Mr Vianney parcourut ainsi toute sa vie la carrière de la pénitence. "Dans cette voie, disait-il, il n'y a que le premier pas qui coûte. La mortification a un baume et des saveurs dont on ne peut plus se passer quand on les a une fois connus; on veut épuiser la coupe et aller jusqu'au bout... Il n'y a qu'une manière de se donner à Dieu dans l'exercice du renoncement et du sacrifice; c'est de se donner tout entier, sans rien garder pour soi. Le peu que l'on garde n'est bon qu'à embarrasser et à faire souffrir... Je pense souvent que je voudrais bien pouvoir me perdre et ne plus me retrouver qu'en Dieu." Ainsi qu'il sera déposé, etc.




Pauvreté de Mr Vianney





242 La vérité est que dans ce siècle où tout est matériel, quelque chose avait révélé au Curé d'Ars que la matière était plus que jamais l'ennemie de Dieu, et il y avait dans la manière dont il prononçait ce mot un sentiment d'horreur profonde. Tous les jours, il cherchait à s'en rendre de plus en plus indépendant. Il ne mangeait pas, il ne dormait pas, ne voulait rien, n'avait besoin de rien. On eût dit qu'il n'avait pas de corps. Pour le récompenser sans doute de son amour pour la pauvreté, Dieu permit que toujours, sauf pendant les années de son enfance, il vécût d'aumônes. A Ecully, aux Noës, à Ars, partout il trouva des personnes heureuses de lui donner le pain de la charité, qu'à son tour il était heureux de recevoir d'elles. Les pauvres meubles, qui garnissaient sa chambre, ne lui appartenaient pas: ils avaient tous été vendus et rachetés plusieurs fois. Quand son lit eut été brûlé par le démon, il se réjouit à l'idée de n'avoir plus de lit: "Il y a longtemps, dit-il à un missionnaire, que je demandais cette grâce au bon Dieu; il m'a enfin exaucé... Je pense que cette fois je suis bien le plus pauvre de la paroisse: ils ont tous un lit, et moi, grâce à Dieu, je n'en ai plus." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


243 La vérité est que de toutes les pièces qui composaient le presbytère, sa chambre à coucher seule était logeable, et cependant il n'y a pas de religieux, qui ait une cellule aussi modeste. Dans cette petite pièce laide, noire, enfumée, éclairée par deux fenêtres sans rideaux, tout avait et tout a conservé jusqu'ici un air de vétusté et de délabrement. De naïves peintures sur verre, les images de Notre Seigneur, de la très sainte Vierge et de quelques saints bien aimés, le portrait des Évêques de Belley décorent çà et là les murailles, revêtues d'un vieux papier en loque qui achève de disputer à la fumée ses restes de couleurs. En face de la porte, se voit une série de rayons chargés de vieux livres; à l'angle opposé, une antique armoire, dont les tiroirs, souvent remplis et vidés, contenaient sa provision de croix et de médailles; au milieu une petite table en bois de chêne; au fond un lit modeste avec de pauvres rideaux. En entrait dans cette chambre à la fois si modeste et si pauvre, on n'était pas maître de son émotion; on croyait entrer dans un sanctuaire. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




244 La vérité est que la charité, comme il a été dit, dépouillait Mr Vianney de tout. Il ne pouvait rien garder pour lui. Il ne voulait que le strict nécessaire. Un jour Catherine Lassagne avait cru bien faire en remplaçant par une tasse en faïence la vieille écuelle de terre, qui était depuis longtemps à l'usage du bon Curé. Celui-ci eut peur de ce luxe, et s'en débarrassa au plus vite en disant: "On ne pourra donc pas venir à bout d'avoir la pauvreté dans son ménage!" Ainsi qu'il sera déposé, etc.


245 La vérité est que les vêtements du Curé d'Ars indiquaient aussi son grand amour pour la pauvreté. Bien qu'il aimât l'ordre et la propreté qui sont des demis vertus, toutefois par esprit de pénitence et de détachement, il n'avait jamais qu'une soutane. Il la portait jusqu'à ce qu'elle tombât presque en lambeaux; il consentait à la laisser raccommoder et laver, quand elle en avait trop besoin, mais il n'en acceptait une neuve que lorsque la vieille n'était plus portable. Il en était de même de son chapeau, qui était arrivé à n'avoir plus aucune forme, parce qu'il le faisait durer éternellement, et de ses souliers dont n'approchèrent jamais la brosse ni le cirage. Le désordre général de sa mise fournissait parfois matière à de joyeux commentaires dans les conférences ou les autres réunions ecclésiastiques. Mr Vianney répondait toujours: "C'est assez bon pour le Curé d'Ars! Qui voulez-vous qui s'en scandalise? Quand on a dit: C'est le Curé d'Ars, on a tout dit." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


246 La vérité est que Mr Vianney reçut cependant des sommes considérables pendant sa vie. Il aurait pu se servir d'une partie pour son usage; mais il aimait trop la pauvreté pour cela. Plus il méprisait l'argent, plus il en recevait. Son grand secret pour en avoir, comme il le déclara à un prêtre qui le lui demandait parce qu'il bâtissait une église, était de tout donner et de ne rien garder. Il ne voyait dans l'argent qu'un instrument possible de salut et d'apostolat; toute autre destination lui déplaisait. Un jour, il alluma par mégarde sa chandelle avec un billet de banque, et comme on exprimait des regrets devant lui: "Oh! s'écria-t-il, il y a moins de mal à cela que si j'avais commis le plus petit péché véniel." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


247 La vérité est que le Curé d'Ars méprisait non seulement l'argent, mais encore toutes les choses matérielles, dont on parle tant aujourd'hui dans ce siècle de nouveauté, de progrès industriel, en des temps si difficiles et si troublés. Mr Vianney ne formait aucun souhait; il n'éprouvait aucun désir, il ne sentait aucun besoin de connaître ce monde, dont la figure passait autour de lui sans qu'il y fît la moindre attention: tant il en était venu à user des choses comme n'en usant pas, à jouir comme ne jouissant pas. Cet homme à qui les chemins de fer amenaient tous les jours de deux à trois cents étrangers, est mort sans avoir jamais vu un chemin de fer et sans être à même de s'en faire une idée. Il l'aurait pu cependant bien facilement puisque Ars est si rapproché de Villefranche. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




Humilité, simplicité, modestie de Mr Vianney.





248 La vérité est que la simplicité et la modestie brillaient d'une manière toute particulière dans Mr Vianney. Elles semblaient le revêtir de la tête aux pieds. Chez le Serviteur de Dieu point d'ostentation, point de mise en scène; rien de contraint ni d'affecté, rien absolument de l'homme qui veut paraître. Une simplicité d'enfant, un mélange d'abandon, de candeur, d'ingénuité, de grâce naïve, qui se combinant avec la finesse de son tact et la sûreté de son jugement, donnait un charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite. On se sentait attiré à lui et entraîné par ces deux aimables vertus. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


249 La vérité est que Mr Vianney semble s'être surpassé par sa profonde humilité. Pour qui ne connaissait pas le Curé d'Ars, il était naturel de supposer par le récit des choses merveilleuses qui s'accomplissaient autour de lui et qui lui méritaient les ovations de la foule, que dans cette atmosphère de gloire qui l'environnait l'orgueil était sinon son piège, au moins sa tentation. Quelle épreuve, en effet, de rester humble parmi les témoignages les plus expressifs de la vénération publique! Un des missionnaires lui insinua un jour cette idée. Mr Vianney levant alors les yeux au Ciel avec une expression profonde de tristesse: "Ah! mon ami, dit-il, si seulement je n'étais pas tenté de désespoir!" Le recueillement, la vigilance, l'union avec Dieu le préservaient de tout retour sur lui-même au milieu de tant d'hommages qu'il ne pouvait pas fuir. Comme il a été dit, il semblait qu'il n'était pour rien dans tout le mouvement qui se faisait autour de lui, et il ne paraissait pas même s'en apercevoir. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


250 La vérité est que le Curé d'Ars recherchait l'obscurité et le silence avec autant d'ardeur que les autres en mettent à courir après la réputation et la gloire. Il aimait mieux être humble que de le paraître. Impossible à l'oeil le plus exercé de découvrir sur son visage l'expression de la gêne ou du malaise, les traces d'une préoccupation personnelle quelconque, d'un retour sur lui-même qui sentît les joies ou les anxiétés de l'amour propre. On eût dit que le moi n'existait plus en lui. Rien de ce qui lui était personnel n'effleurait son âme ; de quelque procédé qu'on usât envers lui, il paraissait content. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


251 La vérité est que les éloges étaient comme des coups de verge pour le Serviteur de Dieu. Si l'on s'avisait de lui dire quelque chose d'agréable, il répondait par une courte et humble parole; mais il était facile de s'apercevoir à son maintien et à son silence que ce propos l'avait douloureusement affecté. Monseigneur Devie s'oublia un jour jusqu'à l'appeler "Mon saint Curé!" Ce fut une vraie désolation. "Que je suis malheureux, s'écriait-il, il n'y a pas jusqu'à Monseigneur, qui ne se trompe sur moi!... Faut-il que je sois hypocrite!" On l'a vu plus d'une fois, les jours de dimanche, quitter précipitamment sa stalle, se réfugier dans la sacristie et en fermer la porte, parce que le prédicateur disait quelques mots à sa louange. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


252 La vérité est que l'humilité portait Mr Vianney à ne parler jamais de lui le premier. Si on l'interrogeait, il répondait avec une modestie qui commandait la réserve et un laconisme qui réduisait l'interlocuteur au silence. Puis il coupait court pour tout ce qui le regardait. Au reste, il épuisait en pareille rencontre toutes les formes du mépris, et son humilité était ingénieuse à en inventer de nouvelles. Il n'avait que des accusations à former contre lui-même. A l'en croire, il était le plus grand des pécheurs, et il remerciait souvent le bon Dieu de ce qu'il avait la bonté de supporter ses immenses misères. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


253 La vérité est que le Curé d'Ars souffrait beaucoup de voir son portrait s'étalant aux portes des maisons du village. Il avait fini cependant par s'y habituer comme à tant d'autres souffrances. Pourtant, quand il faisait son petit trajet journalier du presbytère à l'église, en passant par la maison des missionnaires, il baissait la tête et ne savait que faire de ses yeux; il avait l'air d'un patient. S'il lui arrivait, par mégarde, d'apercevoir un de ses portraits, qui tapissaient les murs, il échappait à cette importune vision par une aimable saillie: "Toujours ce carnaval (nom qu'il donnait à son portrait pour marquer le mépris qu'il en faisait)!... Voyez comme je suis malheureux! On me pend... On me vend!... Pauvre Curé d'Ars!" En 1852, un artiste d'Avignon ayant assez bien réussi à reproduire la figure du Curé d'Ars, on fit faire une lithographie, qui se vendait deux ou trois francs. En voyant apparaître cette nouvelle édition de son carnaval, Mr Vianney dit en souriant: "Hélas! on est bien averti, à chaque instant, du peu qu'on vaut. Quand on me donnait pour deux sous, j'avais encore des acheteurs; depuis qu'on me vend trois francs, je n'en ai plus." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


254 La vérité est que le bon Curé d'Ars souffrait aussi beaucoup de cette publicité de tous les instants, qui s'attachait à lui sous toutes les formes. Il s'en affligeait jusqu'à verser des larmes abondantes. Sur la fin de sa vie, après plusieurs attentats du même genre, il se fit un dernier essai biographique, qui le chagrina plus que les autres. Ne pouvant contenir sa peine, il dit à l'auteur: "Vous finirez bien, vous autres, par me vendre à la foire." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


255 La vérité est que Mr Vianney pratiqua en tout et partout l'humilité, qui était une de ses vertus principales. En parlant des autres vertus, on a déjà eu occasion de rappeler une foule de traits ou de paroles qui prouvent sa grande humilité. Il attachait à la pratique de cette vertu une très grande importance. "Monsieur le Curé, lui disait un jour une personne, comment faudrait-il faire pour être sage? - Mon ami, il faudrait bien aimer le bon Dieu. - Eh! comment faire pour aimer le bon Dieu? - Ah! mon ami, humilité! humilité! C'est notre orgueil, qui nous empêche de devenir des saints. L'orgueil est la chaîne du chapelet de tous les vices, l'humilité, la chaîne du chapelet de toutes les vertus. Hélas! on ne conçoit pas comment et de quoi une si petite créature que nous peut s'enorgueillir (il pleurait) Le diable apparut un jour à St Macaire, armé d'un fouet comme pour le battre, et il lui dit: "Tout ce que tu fais, je le fais: tu jeûnes, moi je ne mange jamais; tu veilles, moi je ne dors jamais. Il n'y a qu'une chose que tu fais et que je ne puis faire. - Eh! quoi donc? - M'humilier, répondit le diable, et il disparut. Ah! mon ami, continua le Curé d'Ars, il y a des saints qui mettaient le diable en fuite en disant: Que je suis misérable! " Ainsi qu'il sera déposé, etc.


256 La vérité est que le Curé d'Ars pratiquait à la lettre ce qu'il disait souvent: "Ceux qui nous humilient sont nos amis, et non ceux qui nous louent." Sa vie est pleine de traits qui le démontrent.

Un jour, on lui remit une missive dans laquelle on lisait cette phrase: "Monsieur le Curé, quand on a aussi peu de théologie que vous, on ne devrait jamais entrer dans un confessionnal..." Le reste était à l'avenant. Cet homme qui ne trouva jamais le temps de répondre à aucune des lettres qui lui arrivaient tous les jours plus nombreuses et qui faisaient incessamment appel à ses conseils, à son expérience, à sa sainteté, crut qu'il ne pouvait pas se dispenser de témoigner la joie et la reconnaissance qu'il éprouvait d'être enfin traité d'une manière conforme à ses mérites. Il prit immédiatement la plume et écrivit: "Que j'ai de raisons de vous aimer, mon très cher et très vénéré confrère! vous êtes le seul qui m'ayez bien connu. Puisque vous êtes si bon et si charitable que de daigner vous intéresser à ma pauvre âme, aidez-moi donc à obtenir la grâce que je demande depuis si longtemps, afin qu'étant remplacé dans un poste que je ne suis pas digne d'occuper à cause de mon ignorance, je puisse me retirer dans un petit coin pour y pleurer ma pauvre vie... Que de pénitences à faire! que d'expiations à offrir! que de larmes à répandre..." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


257 La vérité est que dans le temps que Mr Vianney était en butte à toutes sortes de contradictions et que par suite des dénonciations faites contre lui, il s'attendait, comme il le disait, à être mis à la porte à coups de bâton, interdit et condamné à finir ses jours dans les prisons, une de ces pièces accusatrices tomba un jour entre ses mains; il l'envoya à ses supérieurs, après l'avoir lui-même apostillée. "Cette fois, dit-il, ils sont bien sûrs de réussir, puisqu'ils ont ma signature." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


258 La vérité est que Mr Vianney voyait arriver à Ars les personnages les plus éminents et les plus haut placés dans la hiérarchie, aurait bien eu des raisons de s'enorgueillir; mais le bon Curé était tellement humble qu'il n'avait pas même la pensée d'y faire attention.

Pourquoi y aurait-il attaché de l’importance, puisque dans sa pensée lui n'y était pour rien? Au moment où la ville de Lyon retentissait du bruit des prédications du P. Lacordaire, celui-ci voulut rendre une visite au Curé d'Ars. Cette visite fut très remarquée des habitants d'Ars. Que dit alors Mr Vianney? "Savez-vous, dit-il à quelqu'un, la réflexion qui m'a frappé pendant la visite du P. Lacordaire? Ce qu'il y a de plus grand dans la science est venu s'abaisser devant ce qu'il y a de plus petit dans l'ignorance... Les deux extrêmes se sont rapprochés." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


259 La vérité est que Monseigneur Chalandon, Evêque de Belley, crut devoir nommer Mr Vianney chanoine honoraire de la cathédrale. Le bon Curé ne porta son camail qu'à la cérémonie de réception et il souffrit plus qu'il n'aurait souffert quelques années auparavant des coups de bâton qui devaient le mettre hors de chez lui. Quant à la croix de la Légion d'honneur que le gouvernement lui avait envoyée, il fallut, pour qu'on pût dire qu'il l'avait acceptée, lui faire croire que c'étaient des reliques qu'on lui offrait."Hé! là! dit-il avec un soupir de désappointement, lorsqu'il eut ouvert l'écrin qui la renfermait... Ce n'est que ça!..." Puis la passant à Mr Toccanier: "Tenez, mon ami, lui dit-il, l'Empereur s'est trompé. Ayez autant de plaisir à la recevoir que j'en ai à vous la donner." Ainsi qu'il sera déposé, etc.




Chasteté de Mr Vianney.





260 La vérité est que Mr Vianney montra toujours une grande prédilection pour la sainte vertu de chasteté. Il en donna des preuves dès son enfance. Il n'avait encore que sept ans, lorsqu'un jour Marion Vincent lui dit: "Si un jour nos parents voulaient, nous nous marierions ensemble. - Oh! pour ce qui est de moi, reprit vivement le jeune Vianney, n'en parlons pas, n'en parlons jamais!" Ses paroles, ses actions, ses démarches ont toujours montré le grand amour qu'il avait pour la belle vertu. On n'a jamais rien pu surprendre chez lui qui méritât le moindre blâme ou pût faire naître l'ombre d'un soupçon. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


261 La vérité est que Mr Vianney, quand il fut nommé Curé d'Ars, au lieu d'imiter ses confrères et de suivre l’usage général de son pays en prenant à son service une personne du sexe, crut devoir s'en passer et préparer lui-même ses aliments, mettre l'ordre dans son presbytère. Sa vie, du reste, était si austère qu'il avait peu à faire sous ce rapport. Si parfois des personnes du sexe, bien connues par leur piété, parvenaient à s'introduire au presbytère dans le but de nettoyer les meubles, de déposer des provisions, c'était en plein jour qu'elles le faisaient et en l'absence du maître, qui ne pouvait souffrir qu'on lui rendît service. Leur manière d'agir ne pouvait produire, et de fait n'a produit aucune mauvaise impression. La conduite de Mr Vianney a toujours été si irréprochable que dans le temps même où il était en butte aux contradictions et où l'on répandait sur lui beaucoup de calomnies, on n'osa pas attaquer sa vertu ou, si quelques uns le firent, ils ne purent se faire écouter. Ainsi qu'il sera déposé, etc.





Ars Procès informatif 213