Ars Procès informatif 262

IX. Dons extraordinaires accordés à Mr Vianney. - Réputation de sainteté pendant sa vie.





262 La vérité est que Dieu récompensa les vertus de son serviteur par des dons extraordinaires. L'humilité les faisait cacher avec grand soin au Curé d'Ars: aussi est-ce le côté le plus obscur de sa vie; cependant beaucoup de faits ont transpiré et ont démontré 1° que le serviteur de Dieu avait reçu le don des larmes; 2° qu'il lisait au fond des coeurs; 3° qu'il a annoncé des choses futures; 4° qu'il a eu des visions et des révélations; 5° qu'il a opéré un certain nombre de guérisons extraordinaires et miraculeuses, dont son humilité attribuait l'honneur à Sainte Philomène; 6° qu'il y a eu au grenier de la Cure une multiplication de blé en faveur de la Providence, etc. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


263 La vérité est que les lumières divines et infuses que le Curé d'Ars recevait avaient ordinairement pour objet la direction des âmes.

Le ministère par excellence du Curé d'Ars était, en effet, la direction des âmes, et une grande partie de sa vie s'est passée au confessionnal. Il avait reçu un don merveilleux de consoler les affligés, de toucher les pécheurs. Aussi on ne saurait compter les conversions éclatantes, qui se sont opérées par l'entremise du Serviteur de Dieu. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


264 La vérité est que jamais peut-être personne pendant sa vie n'a joui d'une aussi grande réputation de sainteté que Mr Vianney. On ne l'appelait que le saint Curé. L'ambition des pèlerins que sa réputation de sainteté lui amenait de toutes les parties du monde, ne se bornait pas à le voir, à lui parler, à entendre une réponse à leurs paroles, à recevoir sa bénédiction; elle allait encore à vouloir posséder un souvenir de lui, un objet qu'il avait béni, une image qu'il avait signée. De là, l'habitude prise par Mr Vianney bien qu'il en coûtât de continuels efforts à son humilité, de bénir après la messe, les croix, les médailles, les chapelets, et de mettre les initiales de son nom sur les images et sur les livres qu'on lui présentait. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


265 La vérité est qu'un très grand nombre de pèlerins ne se contentaient pas d'avoir la signature du Curé d'Ars ou un objet béni par lui, ils voulaient encore avoir quelque chose qui lui eût appartenu. Au commencement, lorsque le Curé d'Ars quittait un instant l'église, il ôtait son surplis et le déposait sur le mur du cimetière pour le reprendre ensuite; mais il a été bientôt obligé de ne plus le faire, parce qu'on le coupait par morceaux. On faisait de même de son chapeau, qu'il ne pouvait, pendant les longues séances du confessionnal, défendre contre ce pieux vandalisme; c'est pourquoi il résolut de ne plus s'en servir. Plusieurs fois on a donné des coups de ciseaux à sa soutane. On lui a souvent coupé par derrière des mèches de cheveux pendant qu'il faisait son catéchisme. Bien des feuillets de son bréviaire ont été enlevés. Inutile de parler de l'avidité avec laquelle on se disputait les choses qui avaient été à son usage ou qu'il avait simplement touchées. On ne pouvait faire visiter la cure aux étrangers sans avoir à constater ensuite quelques dégâts ou quelques larcins. On enlevait la paille de son lit, on mutilait ses chaises, on entaillait sa table, on déchirait ses livres, on ouvrait ses tiroirs, on lui volait ses plumes. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


266 La vérité est que la réputation de la sainteté du Curé d'Ars était tellement répandue, que son nom était sur toutes les bouches, son portrait se trouvait partout. Ce n'était pas seulement les gens du peuple, mais les personnages les plus distingués et les plus haut placés qui le regardaient et le vénéraient comme un saint. De là cette affluence à Ars des personnages les plus considérables, parmi lesquels un grand nombre d'Évêques. De là ces lettres qu'on adressait à Mr Vianney de toutes les parties du monde. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


267 La vérité est que l'on a vu se renouveler au sujet du Curé d'Ars des débats, qui ne semblaient plus de notre siècle. Les habitants de Dardilly, paroisse natale de Mr Vianney, jetaient des regards de convoitise sur le trésor possédé à Ars et songeaient aux moyens de le posséder à leur tour. Le plus simple fut d'aller trouver Mr Vianney lui-même, et de le supplier de disposer par testament qu'après sa mort sa dépouille mortelle serait rendue à sa paroisse natale. Le bon Curé, qui dans son humilité ne pouvait soupçonner leurs intentions secrètes, fit le testament connue on le désirait. Quand on le sut, ce fut une véritable consternation à Ars et dans tout le diocèse de Belley. L'Évêque dut intervenir: il demanda au Curé pourquoi il voulait quitter, après sa mort, la paroisse où il avait tant travaillé, et quelle raison il avait de désirer que son corps reposât à Dardilly. "Ah! dit le bon Curé, pourvu que mon âme soit auprès du bon Dieu, peu m'importe le lieu où sera mon cadavre." Alors Mgr Chalandon réclama ce pauvre corps, et le Curé mortifié de telles prétentions, promit de faire un autre testament. Il le refit, en effet, la veille de sa mort et disposa définitivement de ses restes en faveur de la paroisse d'Ars. Mais les habitants de Dardilly ne se tinrent pas pour battus et multiplièrent les démarches auprès des diverses autorités pour avoir au moins une part de ce corps qu'ils regardaient déjà comme une précieuse relique. Ainsi qu'il sera déposé, etc.




X. De la précieuse mort de Mr Vianney.





268 La vérité est qu'une vie aussi sainte ne pouvait se terminer que par une sainte mort. Depuis longtemps Mr Vianney semblait n'avoir plus qu'un souffle de vie. Le petit filet de voix qui lui restait, était si faible, qu'il fallait une oreille attentive pour l'entendre. Mais on était tellement accoutumé à voir son existence se soutenir d'une manière comme miraculeuse que l'on ne pouvait croire que bientôt il quitterait cette terre pour aller recevoir la récompense due à tant de travaux. Plusieurs paroles que Mr Vianney avait prononcées, auraient dû cependant faire prévoir que ce moment n'était pas éloigné. On lui avait fait cadeau d'un très beau ruban pour soutenir l'ostensoir à la procession du St Sacrement. "Je ne m'en servirai qu'une fois..." avait-il dit. Lorsqu'on lui présenta vers la fin de juillet à signer son mandat de desservant : "Ce sera pour me faire enterrer." On possède un document d'où il résulte qu'au mois d'Août 1858, Mr Vianney a déclaré formellement qu'il n'avait plus que pour une année de vie, et qu'en 1859, à pareille époque, il aurait quitté la terre. On ne saurait donc douter que le Serviteur de Dieu n'ait connu par révélation l'époque de sa mort. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


269 La vérité est que les fortes chaleurs du mois de Juillet 1859 avaient cruellement éprouvé le saint vieillard; il avait eu plusieurs défaillances. On ne pouvait entrer dans cette église d'Ars réchauffée jour et nuit par un concours immense, sans être suffoqué. Il fallait que les personnes qui attendaient leur tour pour se confesser sortissent à chaque instant pour retrouver, hors de cette fournaise, un peu d'air respirable. Lui, cependant, ne sortait pas; il ne quitta jamais son poste de souffrance et de gloire; il ne songea point à abréger la longueur de ces mortelles séances, qui duraient, le matin, de une heure à onze, et le soir, de une heure à huit; mais il ne respirait plus, ou il ne respirait qu'un air vicié; il souffrait le martyre. On le sollicitait en vain de prendre un peu de repos; il répondait toujours: "Je me reposerai en paradis." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


270 La vérité est que le Vendredi 29 Juillet 1859, Mr Vianney parcourut le cercle ordinaire de ses travaux; il fit son catéchisme, passa seize ou dix sept heures au confessionnal, et termina cette laborieuse journée par la prière. En rentrant chez lui, plus rompu et plus exténué qu'à l'ordinaire, il s'affaissa sur une chaise en disant: "Je n'en peux plus!" Ce qui se passa le reste de cette nuit, personne ne le sait. On sait seulement qu'à une heure du matin, quand il voulut se lever pour se rendre à l'église, il s'aperçut d'une insurmontable faiblesse. Il appelle, on arrive. - Vous êtes fatigué, Mr le Curé? - Oui, je crois que c'est ma pauvre fin. - Je vais chercher du secours. - Non, ne dérangez personne; ce n'est pas la peine. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


271 La vérité est que le jour venu, le Serviteur de Dieu ne parla point de célébrer la sainte Messe, et commença à condescendre à tous les soins qu'il avait jusque là repoussés. Ce double symptôme était grave. - Vous souffrez bien, lui disait-on? Un signe de tête résigné était sa réponse. - Monsieur le Curé, espérons que sainte Philomène, que nous allons invoquer de toutes nos forces, vous guérira encore cette fois, comme elle l'a fait il y a dix huit ans. - Oh! sainte Philomène n'y pourra rien. On aurait peine à se figurer la consternation que produisit l'absence de Mr le Curé, quand, le matin, on ne le vit pas sortir de son confessionnal à l'heure ordinaire. Une douleur profonde se répandit de proche en proche. Cette douleur plus expressive chez les uns, plus concentrée chez les autres, avait une expression particulièrement touchante chez quelques personnes dont l'existence était plus intimement entrelacée à la sienne. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


272 La vérité est que pendant trois jours, tous les moyens que la piété la plus ingénieuse peut inspirer, furent mis en oeuvre pour obtenir du Ciel la conservation d'une vie si précieuse. Le mardi soir, il demanda à être administré. La Providence avait amené pour cette heure des prêtres venus des diocèses les plus lointains. La paroisse entière y assistait. Une personne qui avait le droit d'approcher du malade, vint à mains jointes le supplier en ce moment de demander à Notre Seigneur sa guérison. Il fixa sur elle un regard plein de bienveillance et sans rien dire fit connaître qu'il ne demanderait pas cette grâce. On vit des larmes couler de ses yeux, lorsque la cloche lui annonça la visite du Maître qu'il avait tant adoré. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


273 La vérité est que le lendemain il répandit encore des larmes de joie. Elles tombèrent sur la croix de son Évêque. Mgr de Langalerie, averti des progrès du mal, était venu en toute hâte rendre visite au bon Curé d'Ars. Il était temps; la nuit même qui suivit cette touchante entrevue, à deux heures du matin, sans secousse, sans agonie, sans violence, Jean Marie Baptiste Vianney s'endormit dans le Seigneur pendant que le prêtre, qui faisait la recommandation de l'âme, prononçait ces paroles: "Veniant illi obviam sancti Angeli Dei, et perducant eum in civitatem caelestem Jérusalem." Ainsi qu'il sera déposé, etc.


274 La vérité est que dès que la fatale nouvelle se fut répandue, on se précipita vers le presbytère pour voir et vénérer une dernière fois celui que tous appelaient leur père et qu'ils regardaient maintenant comme un saint. Le corps fut placé dans une salle basse que l'on orna à la hâte de modestes tentures. C'est là que dès le point du jour du Jeudi quatre Août et pendant deux jours et deux nuits, une foule sans cesse renouvelée et toujours grossissante accourut de tous les points de la France à mesure que la fatale nouvelle y pénétrait. On avait eu soin de mettre sous le séquestre tous les objets, qui avaient appartenu au Serviteur de Dieu. Cette précaution était bien nécessaire. Malgré les mesures les plus sévères, il y eut à regretter çà et là quelques pieux larcins que la vénération explique sans les justifier. Deux frères de la Sainte Famille se tenaient auprès du lit de parade, protégé par une forte barrière des contacts trop immédiats de la foule, et leurs bras se lassaient de présenter à ces mains habituées à bénir les objets qu'on voulait leur faire toucher. Dire ce que l'on a appliqué à ces restes vénérés de croix, de chapelets, de livres et d'images, et quand les boutiques si nombreuses du village furent à peu près épuisées, de linge, de bijoux, etc., serait impossible. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


275 La vérité est que la cérémonie des funérailles, qui eut lieu le samedi matin, présenta un spectacle extraordinaire. Elle était présidée par l'Évêque de Belley. Des étrangers, au nombre de plus de six mille, étaient accourus à Ars. Plus de trois cents prêtres étaient venus des diocèses voisins, quoique la circonstance du samedi en eût forcément retenu un grand nombre. Presque toutes les communautés des environs avaient là leur représentant. Ainsi qu'il sera déposé, etc.


276 La vérité est que la réputation de sainteté n'a pas cessé avec la mort de Mr Vianney; elle a même grandi et grandit tous les jours. Plus de trente mille pèlerins viennent encore chaque année s'agenouiller dans l'église d'Ars auprès du tombeau du Serviteur de Dieu, et solliciter par son intercession différentes grâces. On signale déjà plus d'une guérison et d'une grâce extraordinaire, et tout fait espérer que Dieu a l'intention de glorifier son serviteur. Ainsi qu'il sera déposé; etc.



Istos articulos et istas positiones pro nunc dat etc. salvo semper etc. non se tamen astringens etc. non solum etc. sed et omni etc.


Jacobus Estrade Causae Postulatur.







T A B L E DES M A T I E R E S

I. Sur sa vie

II. Sur la Foi de Mr Vianney

III. Sur l'Espérance de Mr Vianney

IV. Sur la charité de Mir Vianney

1° Charité envers Dieu

2° Charité envers le prochain

V. Sur la Prudence de Mr Vianney

VI. Sur la vertu de Justice de Mr Vianney

Obéissance de Mir Vianney

Religion de Mr Vianney

Oraison de Mr Vianney

VII. Sur la force de Mr Vianney

Patience de Mr Vianney

VIII. Sur la tempérance de Mir Vianney

Pauvreté de Mr Vianney

Humilité, simplicité, modestie de Mr Vianney Chasteté de Mir Vianney

IX. Dons extraordinaires accordés à Mir Vianney. - Réputation de sainteté pendant sa vie.

X. De la précieuse mort de Mr Vianney





DEPOSITIONS DES TEMOINS



TABLE DES DEPOSITIONS TRANSCRITES DANS LE PREMIER VOLUME





Témoin I Abbé Joseph Toccanier 106

Témoin VI Catherine Lassagne 462

Témoin VIII Jean Baptiste Mandy 578

Témoin IX Guillaume Villier 618

Témoin X Frère Athanase (Jacob Planche) 658 ; 803

Témoin XI Jeanne Marie Chanay 674

Témoin XIII Laure Justine Françoise des Garets 764 ; 883



La numérotation marginale, à laquelle renvoie cette table, correspond à la pagination de l'original.





TÉMOIN I – ABBÉ JOSEPH TOCCANIER

10105 (105) Session 3-26 Novembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi

(106) Au premier Interrogatoire, le témoin répond:

Je connais parfaitement la valeur et la force du serment que j'ai fait.



Au second Interrogatoire, le témoin répond:

Je m'appelle Joseph Toccanier, né à Seyssel le trois Novembre mil huit cent vingt-deux; mon père se nomme Aimé Toccanier et ma mère Françoise Pegoud; je suis prêtre et missionnaire du diocèse de Belley, vicaire de la paroisse d'Ars. Ma fortune est très ordinaire.



Au troisième Interrogatoire, le témoin répond:

Ayant le bonheur d'être prêtre, je dis la sainte messe tous les jours autant qu'il m'est possible; j'ai encore eu le bonheur de la dire ce matin.



Au quatrième Interrogatoire, le témoin répond:

Je n'ai point eu de procès et je n'ai point subi de condamnation.



Au cinquième Interrogatoire, le témoin répond:

Je n'ai point encouru de censures, ni de condamnations ecclésiastiques.



Au sixième Interrogatoire, le témoin répond:

(107) Personne ne m'a instruit ni ne m'a suggéré la manière de déposer dans cette cause; je ne me suis pas inspiré des articles, je ne m'en inspirerai pas pour donner mes réponses; je dirai seulement ce que j'ai vu et ce que j'al entendu.



Au septième Interrogatoire, le témoin répond:

J'ai une affection filiale pour le Serviteur de Dieu Jean Marie Baptiste Vianney; je désire vivement sa Béatification, mais je me soumets entièrement au jugement du Saint Siège; mais dans ma déposition, je ne suis mu que par l'amour de la vérité et le désir de la; gloire de Dieu.



Au huitième Interrogatoire, le témoin répond:

J'ai entendu dire que Mr Vianney était né le 8 Mai mil sept cent quatre-vingt-six. Ses parents étaient des propriétaires honnêtes et chrétiens; ils élevaient très chrétiennement leurs enfants et en particulier le dit Serviteur de Dieu. Sa mère était très pieuse. J'ai entendu dire au Curé d'Ars que sa mère le prenait souvent en particulier le soir pour s'entretenir avec lui des choses de Dieu, jusqu'à une heure très avancée de la nuit. Je ne sais rien de particulier sur l’époque du Baptême et de la Confirmation du dit Serviteur de Dieu.



Au neuvième Interrogatoire, le témoin répond:

J'ai appris de Monsieur Vianney lui-même qu'il avait passé ses premières années chez ses parents à Dardilly; qu'il a été ensuite confié à Monsieur Balley, Curé d'Ecully, confesseur de la foi pendant la grande révolution. Quand je serai interrogé sur les vertus, je répondrai sur les qualités et vertus de son enfance; quant à ses défauts, je n'en connais point.



Au dixième Interrogatoire, le témoin répond:

Je sais du Curé lui-même, que dès son enfance, il avait des indices d'une vocation ecclésiastique, par l'habitude qu'il avait de dresser de petits autels, de prêcher à ses camarades pour les porter à la vertu; je tiens aussi du Curé d'Ars que monsieur Balley avait comme prédit qu'il serait prêtre.



(108) Au onzième Interrogatoire, le témoin répond:

D'après ce que j'ai entendu dire à Monsieur le Curé d'Ars, le jeune homme qui l'accosta au sortir de la petite ville de Roanne, lorsqu'il partit pour se rendre sous les drapeaux, lui était inconnu, et il n'a jamais su qui il était.



Au douzième Interrogatoire le témoin répond:

Je n'ai rien de particulier à dire sur les différentes parties de cet Interrogatoire.



Au treizième Interrogatoire le témoin répond:

Je sais du Curé d'Ars lui-même qu'il a été nommé Vicaire d'Ecully pendant deux ans, et je sais par la voix publique qu'il a édifié grandement la paroisse.



Au quatorzième Interrogatoire, le témoin répond:

Je ne sais pas précisément l'année de l'arrivée de Monsieur Vianney à Ars; je sais seulement par Mr le Curé d'Ars et des personnes dignes de foi que la paroisse d'Ars était plongée dans l'ignorance, et qu'il y régnait de graves abus, tels que la danse, le travail du Dimanche, l'oubli des Sacrements. Il m'a dit lui-même, qu'on ne savait pas dire le chapelet. Je sais par des personnes dignes de foi qu'il est parvenu à déraciner ces abus par de longues et fréquentes prières devant le Saint Sacrement; par des pénitences excessives; par sa dévotion à la Ste Vierge, à laquelle il offrait souvent sa paroisse; par ses nombreuses prédications; par l'établissement des confréries et par toutes les saintes industries que son zèle lui inspirait.



Au quinzième Interrogatoire, le témoin répond:

Je sais par les registres de la paroisse que les confréries dont j'ai parlé en répondant à l'interrogatoire précédent, sont: 1° celle du Saint-Sacrement, secondement du Saint-Rosaire, troisièmement du Sacré-Coeur, quatrièmement l'Archiconfrérie de Notre Dame des Victoires. (109) Je sais qu'il a établi une Providence gratuite pour les orphelines, dirigée d'abord par de pieuses filles; que cette Providence a été remplacée par une école gratuite des filles pour la paroisse; qu'il a établi une école gratuite pour les jeunes gens de la Paroisse, dirigée par les Frères de la Sainte Famille de Belley. Je certifie que ces écoles ont produit d'excellents fruits.





(113) Session 4 - 27 Novembre 1862 à 8h du matin

Au seizième Interrogatoire, le témoin répond:

J'ai appris de personnes graves que le Curé d'Ars accomplissait exactement les commandements de Dieu et de l'Eglise et remplissait parfaitement ses devoirs de prêtre et de Curé. Pendant six ans de mon séjour à Ars auprès du Serviteur de Dieu, j'ai vu moi-même tous les exemples de vertus chrétiennes et sacerdotales qu'il donnait à tout le monde. Aux Interrogatoires sur les vertus, je donnerai les détails. 114 Je puis affirmer qu'il a persévéré jusqu'à la mort dans l’exacte et fidèle observance de tous ses devoirs de prêtre et de pasteur, et je l'affirme comme témoin oculaire. Je ne connais aucun manquement dans l'accomplissement de ses devoirs. Je sais que s'il s'est absenté de sa paroisse pour faire des missions, c'est seulement par zèle pour la conversion des pécheurs et sans nuire aucunement au bien spirituel de sa petite paroisse. Comme les missions se faisaient dans les paroisses voisines, il revenait fréquemment dans sa paroisse. S'il a essayé, de quitter deux fois sa paroisse, c'est parce qu'il croyait, par un sentiment de profonde humilité, qu'il avait besoin de la retraite pour assurer son salut et se préparer à la mort en pleurant sa pauvre vie, comme il le disait souvent. En agissant ainsi, le Serviteur de Dieu présumait le consentement de son Évêque et ne voulait point faire un acte positif de désobéissance; du reste, quelques jours après l'a dernière tentative de fuite, des habitants de Dardilly, sa paroisse natale, vinrent la nuit et lui fournirent tous les moyens de s'évader secrètement, mais le Serviteur de Dieu refusa formellement. Je le tiens de son propre témoignage.



Au dix-septième Interrogatoire, le témoin répond:

Je sais par moi-même et par des témoins dignes de foi qu'il a eu à supporter de nombreuses et pénibles contradictions de la part de ses paroissiens, et de quelques ecclésiastiques du voisinage et d'ailleurs, et qu'il (les) a supportées avec une patience admirable et qu'il a prié pour eux et leur a fait dans l'occasion tout le bien qu'il pouvait leur faire, ainsi que je l'expliquerai plus tard.



Au dix-huitième Interrogatoire, le témoin répond:

J'ai appris de personnes dignes de foi que le Serviteur de Dieu s'est distingué par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, et pendant les six années que je suis resté auprès de lui jusqu'à sa mort, j'ai, vu par moi-même que tout ce que j'avais entendu dire était parfaitement exact.

10115 (115) Quant à la foi, je déclare que j'ai entendu dire à des personnes bien informées, à sa soeur, encore vivante, par exemple, que dès son enfance, il aimait à s'instruire des vérités de la religion, qu'à trois ans il recherchait déjà la solitude par amour pour la prière. Un jour qu'il avait disparu, on le chercha et on le trouva dans une écurie, à genoux et priant devant une crèche. Il aimait à se mêler aux exercices de piété. Le Serviteur de Dieu m'a dit lui-même qu'il avait aimé la Sainte Vierge avant de la connaître, qu'il avait reçu de sa mère une petite statue de la Mère du Sauveur, dont il ne se séparait ni le jour ni la nuit.

J'ai entendu le Serviteur de Dieu dire que pendant la Révolution, il était heureux de pouvoir assister au saint sacrifice toutes les fois que l'occasion s'en présentait. J'ai entendu dire au Serviteur de Dieu que lorsqu'il allait travailler dans les champs, il plaçait la statue de la Sainte Vierge sur un bâton, auquel il la fixait, afin de pouvoir la contempler et prier devant elle.

J'ai entendu dire au Serviteur de Dieu qu'étant encore jeune, il avait fait un pèlerinage au tombeau de Saint François Régis à pied et en mendiant, pour accomplir un voeu qu'il avait fait. Avant de revenir, il obtint de son confesseur la commutation de son voeu, en ce sens qu'il donnait à tous les pauvres qu'il rencontrait, au lieu de mendier lui-même, et il ajoutait qu'il avait vu par là qu'il était plus doux de donner que de demander. Je sais qu'il avait une grande dévotion à saint François Régis, qu'il avait son tableau dans sa chambre, et qu'il avait érigé sa statue dans l'église d'Ars.

Je sais par des témoignages dignes de foi que, retiré aux Noës, il édifia les habitants par la ferveur de sa foi, à tel point que, lorsqu'il fut prêtre, on le demanda instamment pour Curé de cette paroisse.

J'ai entendu dire par des témoins graves que Monsieur Vianney avait édifié ses condisciples au petit et au grand séminaire par la vivacité de sa foi et que ce fut là le motif particulier de son admission au sacerdoce.

(116) Je sais par des témoins dignes de foi que pendant qu'il fut vicaire d'Ecully, il édifia la paroisse par sa foi et sa piété. Je tiens des habitants d'Ars que dès son entrée dans la paroisse, il les avait vivement édifiés par sa foi et particulièrement par sa dévotion au Saint Sacrement de l'autel et par la manière dont il disait la messe.

J'ai entendu dire à des témoins dignes de foi qu'il semblait avoir choisi l'église pour sa demeure, il y passait de longues heures immobile et prosterne dans le sanctuaire; qu'il entrait à l'église avant l'aurore et n'en sortait qu'après l'angelus du soir. Pendant les six années que j'ai passées à Ars, je le voyais pour ainsi dire constamment à l'église; il y allait de minuit à deux heures du matin et n'en sortait qu'à six heures en hiver et à neuf heures en été, excepté le temps consacré à prendre son modeste repas et à visiter les malades de la paroisse. Je sais nue pendant ses longues oraisons devant le Saint Sacrement, il ne cessait de prier pour la conversion des pécheurs et la persévérance des justes, et qu'il conjurait sans cesse Dieu de répandre ses grâces sur ceux qui ne le connaissaient pas et s'offrait en sacrifice pour leur conversion. Je sais qu'il joignait à la prière la prédication de la parole de Dieu. Il s'y était préparé par un travail opiniâtre. Je l'ai vu faire le catéchisme tous les jours pendant six ans, de onze heures à midi, non seulement aux paroissiens, mais encore aux nombreux pèlerins venus de tous les pays, avec une onction qui impressionnait profondément l'auditoire. Je l'ai vu chaque Dimanche, outre le catéchisme qui se faisait à une heure, faire son instruction à la prière du soir.

Je sais qu'il est parvenu à établir la communion fréquente parmi les femmes. Je sais aussi qu'à son instigation, un grand nombre des pèlerins qui venaient à Ars ont pris l'habitude de communier fréquemment. Par ses exhortations, il avait amené presque tous les hommes à communier à Pâques, un certain nombre à communier aux grandes fêtes ; mais malgré ses efforts, il n'avait pu réussir à les amener à la communion fréquente. Je sais que par l'établissement des deux confréries du Saint Sacrement et du Saint Rosaire, dans lesquelles il avait enrôlé un grand nombre de ses paroissiens, hommes et femmes, il vint à bout de détruire plus promptement les abus. 117 Pendant six ans, je n'ai point vu à Ars les danses qui ont lieu dans les paroisses voisines, et jusqu'à ce moment, elles n'ont pas reparu. Je sais qu'il a fait supprimer les deux cabarets qui existaient dans la paroisse, qu'il a fait cesser le travail du Dimanche; que les magasins étaient fermés le Dimanche, que les voitures publiques d'Ars à Lyon ne marchaient jamais le Dimanche, et que les omnibus des chemins de fer obligés de marcher le Dimanche pour faire leur service, n'entraient pas dans le village. J'ai été moi-même témoin de ces faits. Pour obtenir la cessation des danses, le Serviteur de Dieu redoubla ses prières et ses mortifications; il en vint même jusqu'à payer un jour, comme on me l'a assuré, au musicien une somme plus forte que celle qu'il aurait gagnée, et l’éloigna ainsi de sa paroisse.

Je sais que le Serviteur de Dieu ayant travaillé à plusieurs missions ou jubilés dans plusieurs paroisses du voisinage, y répandit une odeur de sainteté, et inspira une telle confiance que les pénitents en grand nombre, qui s'étaient adressés à lui, vinrent ensuite le trouver à Ars; beaucoup de personnes suivirent leur exemple, notamment des personnes d'Ecully et des Noës, ainsi que de Dardilly. De la sorte se forma le pèlerinage qui prit de si grandes proportions que dans les dernières années le nombre des pèlerins s'élevait en moyenne à quatre-vingt mille.

Monsieur le Curé d'Ars, désintéressé et pauvre personnellement, mais, animé par l'esprit de foi le plus sincère, déployait au contraire toute la munificence dont il était capable pour l'embellissement de son église, l'érection de plusieurs chapelles, l'achat des vases sacrés et des ornements, si bien qu'aucune paroisse du Diocèse de Belley ne possède de si beaux ornements. Il me disait souvent avec un sentiment de bonheur: "Je suis heureux de pouvoir embellir et augmenter le ménage du bon Dieu."

Je puis certifier par ma propre expérience que Monsieur Vianney déployait la plus grande pompe dans les grandes solennités de l'Eglise mais surtout pour la fête du Saint Sacrement; 118 il aimait à voir de magnifiques reposoirs, et malgré son grand âge, et malgré le poids énorme de l'ostensoir, il ne cédait à personne le bonheur de porter le Saint Sacrement. Comme je lui faisais observer un jour qu'il devait être bien fatigué, il me répondit: "Oh! mon ami, celui que je portais, me portait."

Je sais que l'opinion commune à Ars est qu'il ressemblait à un ange au saint autel et que l'on voyait en le voyant célébrer si saintement le saint sacrifice qu'il avait le bonheur de contempler le Sauveur. Plusieurs fois je me suis placé de manière à l'observer et j'ai remarqué qu'après la consécration, sa figure paraissait illuminée et qu'elle était parfois inondée de larmes. Je lui ai entendu dire ces paroles: "Jusqu'à la consécration, je vais assez vite, mais après la consécration, je m'oublie, en tenant Notre Seigneur dans mes mains." Une autre fois, ayant quelques inquiétudes sur son salut, il disait à Notre Seigneur ces paroles: "Mon Dieu, si j'avais le malheur d'être séparé de vous pendant l'éternité, prolongez au moins les moments pendant lesquels je vous tiens dans mes mains." Il était si pénétré de la présence réelle de notre Seigneur au Saint Sacrement qu'il en parlait dans presque toutes ses instructions. Les termes dont il se servait étaient si touchants qu'ils faisaient couler les larmes des yeux des auditeurs. Un jour, je l'entendis dire en fixant sur le tabernacle des regards enflammés, ces paroles: "Oh! mes enfants, que fait Notre Seigneur dans le sacrement de son amour? Il a pris son bon. coeur pour nous aimer. Il s'échappe de son coeur comme une transpiration de miséricorde et d'amour pour noyer les iniquités du monde." L'impression qu'il ressentait en parlant du Saint Sacrement était si forte qu'il était obligé de s'interrompre, et qu'il répétait plusieurs fois les mêmes expressions, comme s'il avait été suffoqué par la vivacité des sentiments qu'il éprouvait; quel que fût le sujet qu'il traitât, il revenait toujours à ce grand objet de ses méditations et de son amour. 119




10121 (121) Session 5 - 1er Décembre 1862 à 8h du matin



Sur le dix-huitième Interrogatoire, le témoin continue à répondre :

J'ai été témoin des visites que le Serviteur de Dieu faisait aux malades et j'ai admiré l'esprit de foi avec lequel il leur parlait. J'ai entendu beaucoup de pénitents profondément touchés des paroles qu'il leur avait adressées au confessionnal. On ne pouvait s’'empêcher d'être ému en le voyant distribuer la sainte communion.

(122) Il montrait aussi une foi très vive en bénissant les objets de piété qui lui étaient présentés par les fidèles. Il parlait du sacerdoce avec vénération et il disait que si on comprenait le prêtre, on mourrait d'amour pour Notre Seigneur en le voyant, et en disant ces paroles, il versait des larmes d'attendrissement, et il revenait très souvent sur ce sujet dans ses conversations et ses catéchismes. En parlant de Dieu et du Ciel, il semblait voir ce qu'il disait.

Il répétait souvent: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, Oh! belle vie, oh! belle mort. Souvent dans les discours qu'il prononçait le Dimanche soir, il était tellement impressionné par le sujet qu'il traitait, qu'il répétait: souvent pendant un quart d'heure les mêmes paroles d'amour ou de douleur selon qu'il parlait de Dieu ou du péché. Plusieurs fois, je l'ai entendu, comme hors de lui-même, s'écrier, en parlant de la vision béatifique: "Nous verrons Dieu, mes frères, nous le verrons... Y avez-vous jamais pensé? Nous le verrons tout de bon, nous le verrons face à face, tel qu'il est..." et il versait des larmes de bonheur. J'ai entendu dire à des personnes bien instruites, qu'en dix-huit cent trente, au moment où l'on renversait les croix, il s'écria: "La croix est plus forte qu'eux! Quand Notre Seigneur paraîtra sur les nuées du ciel, ils ne l'arracheront pas de ses mains." Il trouvait les comparaisons les plus gracieuses et les plus frappantes pour peindre une âme en état de grâce. Je lui ai entendu dire les paroles suivantes: "Une âme pure brille devant Dieu comme une perle au soleil. Le Saint-Esprit plane sur elle comme une colombe qui agite ses ailes d'où distille le baume de l'amour. L'âme pure est comme une belle rose sur laquelle les trois Personnes divines s'inclinent pour en respirer le parfum. Elle est comme un miroir bien poli, qui réfléchit le ciel. " 123 Il parlait avec prédilection de l'action du Saint-Esprit sur l'âme, il disait qu'il en était le conducteur, que sans lui elle ne pouvait rien, que l'âme possédée par le Saint Esprit était comme un raisin d'où sortait une liqueur délicieuse quand on le pressait, et qua sans l'Esprit-Saint l'âme était comme un caillou d'où l'on no peut rien tirer. Il disait encore que l'âme sous l'action de la grâce ressemblait à ces oiseaux qui ne font qu'effleurer la terre et qui planent constamment dans les airs, tandis que l'âme en état de péché ressemble à ces oiseaux domestiques qui ne peuvent quitter la terre et sont constamment attachés à elle.

Le Serviteur de Dieu avait sur la prière de très belles et très ingénieuses comparaisons. Il la comparait au feu qui gonfle les ballons et les élève dans les airs; elle est pour l'âme ce que l'eau est pour le poisson; plus l'eau est abondante, plus le poisson est heureux; le poisson est content dans un petit ruisseau, plus content encore dans la mer. Il disait que si les damnés pouvaient prier cinq minutes tous les mille ans, l'espérance de prier ainsi rendrait pour eux moins rigoureuses les flammes de l'enfer. Je lui ai entendu dire, en parlant des peines qu'il avait eu à supporter, qu'il suffisait d'aimer les croix pour qu'on pût les porter facilement; l'amour des croix en détruit l'amertume, comme le feu qui brûle les épines, leur enlève ce qu'elles ont de piquant. En parlant des souffrances, il disait que nous étions sur la terre pour souffrir, mourir et régner. Il aimait à rappeler à ses auditeurs le souvenir des saints martyrs et à parler de la joie qu'ils éprouvaient en quittant cette vie par de rudes souffrances, et personnellement le Serviteur de Dieu pratiquait ce qu'il disait, en montrant dans les épreuves et les souffrances un grand contentement.

Le Serviteur de Dieu montrait un grand, esprit de foi dans ses conversations; il ne parlait que de piété, d'amour de Dieu, du salut. Jamais il ne s'occupait dans ces circonstances, de sujets futiles ou indifférents; il montrait ce même esprit de foi dans toute sa conduite, et dans la manière dont il accomplissait ses devoirs. Cet esprit de foi parut d'une manière frappante, lorsqu'il reçut les derniers sacrements, ainsi que je le déposerai plus tard.


10124 (124) Le témoin ayant fini de parler de la foi, a déposé sur l'Espérance du Serviteur de Dieu de la manière suivante:

Je sais que le Serviteur de Dieu avait une humilité profonde et que, ne comptant pas sur lui-même, il avait en Dieu une confiance sans bornes. Cette confiance le soutenait dans toutes ses entreprises, et quand il avait réussi, il attribuait à Dieu tout le succès.

Je tiens de lui-même que sa paroisse était dans un triste état lorsqu'il en prit possession; que néanmoins il ne se découragea pas; et je sais par les paroissiens qu'attendant seulement de Dieu le changement qu'il désirait, il eut recours à la prière et à la pénitence et que ce fut par ces moyens qu'il détruisit les abus et fit refleurir la vertu. L'Espérance qu'il avait du ciel lui inspirait une horreur profonde pour le péché et une grande compassion pour le sort des pécheurs. Le péché, disait-il, est le bourreau du bon Dieu et l'assassin de l'âme, c'est lui qui nous arrache du ciel pour nous précipiter en enfer. Le Serviteur de Dieu comparait le bon chrétien à un roi exilé qui, espérant de rentrer dans son royaume, y envoie d'avance tous ses trésors. Il inspirait aux pécheurs un grand sentiment de confiance en la miséricorde de Dieu et il excitait le zèle des justes par la pensée de la bonté de Dieu, qui accorde facilement la grâce à ceux qui la demandent.

En s'occupant du salut des autres, le Curé d'Ars ne négligeait pas sa sanctification personnelle; il consacrait à la prière, à la méditation, aux visites au Saint Sacrement le temps qu'il ne donnait pas au salut des autres. Il m'a dit souvent que son secret était de s'abandonner entièrement entre les mains de la Providence. Plusieurs fois, il m'a parlé des luttes qu'il avait avec le démon pendant la nuit et il m'a assuré qu'il n'avait aucune crainte, à cause de la grande confiance qu'il avant en Dieu. Je lui ai entendu dire, en parlant des contradictions qu'il avait éprouvées:

125 J'étais tourmenté pendant le jour par les hommes et pendant la nuit par le démon, et cependant j'éprouvais une grande paix, une grande consolation. Il éprouvait des peines intérieures très violentes par suite de la crainte qu'il avait de ne pas bien remplir son ministère, mais alors il se mettait à genoux devant le tabernacle, d'où il ne s'éloignait jamais sans avoir reçu quelques consolations. Il me disait que dans ses moments de peines, ii se jetait aux pieds de Notre Seigneur comme un petit chien aux pieds de son maître.

S'il désirait quitter sa paroisse et aller dans la solitude, c'est parce qu'il se défiait de ses talents et qu'il se croyait incapable de faire le bien qu'un autre aurait pu faire, mais du moment que la volonté de son évêque était qu'il restât au milieu de ses paroissiens, il reprenait courage et comptait sur la grâce de Dieu. En un mot, je puis affirmer que j'ai toujours remarqué en lui une espérance vive, qui ne se démentait jamais, espérance qu'il savait communiquer aux autres, et je n'ai jamais remarqué qu'il se fût laissé aller aux tentations violentes de découragement et de désespoir qu'il éprouvait fréquemment.



Au sujet de la Charité, le témoin dépose:

Je sais que le Serviteur de Dieu avait un grand amour pour Dieu et pour le prochain.

J'ai entendu dire que dès son enfance il s'efforçait d'aimer Dieu de tout son coeur et de correspondre aux leçons de sa vertueuse mère, qui lui disait souvent: "Vois-tu, mon petit Jean-Marie, si je te voyais offenser le bon Dieu, cela, me ferait plus de peine que si c'était un autre de mes enfants." Il correspondit si bien aux instructions de sa mère que plus tard, il disait lui-même: "Si je n'avais pas été prêtre, je n'aurais jamais su ce que c'était que le péché." Il se plaignait, étant curé, d'avoir moins de temps pour prier Dieu que lorsqu'il était occupé aux travaux des champs.

126 J'ai entendu des prêtres, ses condisciples, raconter que pendant ses études, il avait montré une piété angélique, et que c'était en considération de cette piété qu'il avait été appelé aux saints ordres, quoiqu'il laissât à désirer sous le rapport de la capacité.

Il m'a raconté que lorsqu'il était vicaire à Ecully, il profitait des moments où il était seul avec Monsieur Balley pour parler de Dieu, et s'exciter à l'aimer davantage.

J'ai appris de témoins dignes de foi et je pourrais dire de toute la paroisse, qu'au commencement de son ministère à Ars, comme il avait peu d'occupations, il faisait de fréquentes et longues visites au Saint-Sacrement, de sorte qu'on disait qu'il avait choisi l'église pour sa demeure. Persuadé qu'il faut se sanctifier soi-même pour sanctifier les autres, il s'efforçait d'augmenter en lui l'amour de Dieu par une vie de prière, de mortification et de pénitence et de donner en toutes choses le bon exemple.

Afin de faire aimer Dieu par ses paroissiens, il eut recours à l'établissement des confréries, de la prière du soir et de la pratique de la fréquente communion. Dieu, rien que Dieu, Dieu par tout, Dieu en tout : toute la vie du Curé d'Ars est là.




10129 129 Session 6 - 1er décembre à 2h1/2 de l'après-midi



Au sujet de la Charité, le témoin continue ainsi sa déposition:

Le Serviteur de Dieu, par suite de sa grande dévotion envers le Saint Sacrement, disait son office à genoux à l'église, du moins l'office du jour, et faisait des pauses de temps en temps en regardant le tabernacle, de telle sorte qu'on aurait pu croire qu'il y voyait Notre Seigneur. 130 Quand le Saint Sacrement était exposé, il se tournait vers l'autel avec un sourire extatique, avant la messe, il se mettait à genoux dans le choeur sur les dalles, pour faire sa préparation, et restait quelques moments comme en extase. Pendant le saint sacrifice, sa figure semblait s'illuminer, surtout au moment de la consécration et avant la communion; il semblait avoir un colloque mystérieux avec Notre Seigneur. Il n'était cependant ni trop long, ni trop prompt à l'autel. J'ai déjà parlé, en déposant sur la foi, du goût qu'il avait pour orner l'église et pour acheter de riches ornements. Il aimait à distribuer la sainte communion et à donner la bénédiction du Saint Sacrement.

Toutes les fois que le Curé d'Ars avait à parler sur le Saint Sacrement et l'amour de Dieu, il était admirable. Il disait: "Je ne comprends pas qu'on puisse offenser Dieu, il est si bon! S'il n'était pas si bon, à la bonne heure; c'est trop dommage." Et il pleurait, et les assistants pleuraient avec lui. Il prononçait avec tant de piété et d'onction les mots: Bon Dieu, qu'ils étaient à eux seuls un sermon. Quand il prononçait le nom de Jésus, il y avait dans sa voix un accent qui frappait tout le monde; il semblait que son coeur se répandait sur ses lèvres. Il parlait de la prière et de la vie intérieure dans des termes qui exprimaient l'ardeur de sa charité. La prière, disait-il, voilà tout le bonheur de l'homme sur la terre. Oh! belle vie! belle union de l'âme avec Notre Seigneur! L'éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce bonheur. La vie intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge; elle est comme noyée dans l'amour.

Au tribunal de la pénitence, la charité du Serviteur de Dieu opérait des merveilles tant ses paroles étaient pleines de feu et d'onction. 131 En parlant des nombreuses conversions qui s'étaient opérées à Ars, il disait qu'on n'en connaîtrait le nombre qu'au jugement dernier, attribuant cependant à Dieu tout le bien qui s'était fait. Les pécheurs, par son ministère, se convertissaient, les justes s'affermissaient, les tièdes retrouvaient la ferveur. Il conservait une union constante avec Dieu au milieu de sa vie excessivement occupée; à quelque moment qu'on le vît, environné, pressé, assailli par la multitude indiscrète, harcelé quelquefois de questions oiseuses et absurdes, obsédé de demandes impossibles, interpellé partout, et ne sachant souvent à qui répondre, il était toujours égal à lui-même, gracieux, aimable, compatissant, toujours prêt à condescendre aux désirs des solliciteurs, toujours la figure calme et souriante; jamais on n'a pu surprendre en lui le moindre signe de dépit et la moindre brusquerie; jamais sur son front la plus imperceptible nuance de mécontentement, l'ombre d'un nuage; jamais sur ses lèvres ni de plaintes ni de reproches. Entouré de marques de respect, de confiance, porté en triomphe par la foule, qui s'attachait à ses pas, se suspendait à ses lèvres, s'agenouillait sur son chemin, s'inclinait pour recevoir sa bénédiction, il restait ingénu comme un enfant, simple, modeste et bon, ne semblant pas se douter que sa vertu fût quelque chose dans cet étonnant concours.

Sa conversation était toujours céleste; il n'aimait qu'à parler des choses de Dieu, et ne prenait plus de part à la conversation du moment qu'elle devenait purement humaine. Il ne parlait des vanités de la terre qu'avec ironie et mépris. Tout ce qui intéressait l'Eglise et son triomphe sur la terre, tout ce qui contribuait à la glorification du nom de Dieu l'impressionnait vivement; tout le bien qu'il entendait dire à ce sujet le faisait tressaillir d'allégresse, tandis que les nouvelles fâcheuses lui causaient une vive douleur. 132 Il était arrivé à ce haut degré de charité par la prière, la mortification, le détachement, l'oubli de lui-même, et en appliquant sans cesse le fer et le feu aux plus vives parties de son être. Il disait au milieu de ses peines intérieures que l'on montre plus de charité en servant Dieu malgré les désolations de l'âme et du coeur, qu'en le servant dans l'abondance des consolations spirituelles. Il désirait la solitude parce qu'il pensait qu'il y prierait Dieu avec plus de ferveur et l'aimerait plus ardemment. Il se réjouissait au milieu des attaques du monde par la pensée que c'était la volonté de Dieu; il s'en réjouissait aussi parce que lorsque les attaques étaient plus importunes, quelque grand pécheur devait venir faire sa confession. Les contradictions qu'il éprouvait de la part des honnies lui étaient agréables en ce qu'elles le détachaient des choses de la terre et l'unissaient à Dieu d'une manière plus intime.



Sur la Charité envers le prochain, le témoin dépose ainsi:

Sa charité pour le prochain était immense, il s'intéressait à ses misères spirituelles et corporelles, il embrassait dans son amour le monde entier, car il s'occupait non seulement de sa paroisse, de son diocèse mais pour ainsi dire de toute l'Eglise, comme le prouvent ses nombreuses fondations de messes, soit pour la conversion des pécheurs, le succès des missions, le soulagement des âmes du purgatoire; comme le prouvent aussi les missions qu'il a fondées en très grand nombre.

J'ai entendu dire à des témoins dignes de foi que dès son enfance, il compatissait aux souffrances des pauvres et aimait à les soulager. J'ai entendu dire aussi qu'il aimait à inspirer la piété aux enfants et surtout la dévotion à la Sainte Vierge, et qu'il se montra toujours très charitable soit pendant ses études, soit comme vicaire d'Ecully. 133

Je sais par les habitants d'Ars que dès son entrée dans la paroisse, il se fit remarquer par son amour pour les pauvres, qui lui inspira l'idée de fonder une Providence, ouverte aux jeunes filles sans ressources, et qu'il se fit remarquer aussi par un ardent désir de salut du prochain.

J'ai appris de témoins dignes de foi qu'au commencement de son ministère, il s'était mis en relation avec tous ses paroissiens, saisissant la moindre occasion de leur donner individuellement des marques de son affection et de son dévouement. Je sais qu'il n'aurait pas rencontré un enfant sans lui adresser quelques mots aimables, après l'avoir salué respectueusement. Il attachait une grande importance à la prédication, et j'ai entendu dire à lui-même et à d'autres, qu'il composait avec soin ses instructions; elles lui coûtaient beaucoup de travail, parce qu'il avait naturellement peu de facilité pour la composition. Il s'offrait le jour en sacrifice pour la conversion des pécheurs; les souffrances de la nuit étaient consacrées au soulagement des âmes du purgatoire, ainsi que la journée du Lundi. Je lui disais un jour: "Mon père, si le bon Dieu vous donnait à choisir, ou de monter au ciel tout de suite, ou de travailler encore comme vous le faites à la conversion des pécheurs, que feriez-vous? - Je resterais. - Mais au ciel, les saints ont si heureux! Plus de peines, plus de tentations, etc... - Oui, répondit-il, les saints, au ciel, sont bienheureux; mais ce sont des rentiers; ils ont bien travaillé pourtant, puisque Dieu punit la paresse et ne récompense que le travail; mais ils ne peuvent plus, comme nous, par des travaux et des souffrances, gagner des âmes à Dieu. - Si Dieu vous laissait ici-bas jusqu'à la fin du monde, vous auriez bien du temps devant vous, vous ne vous lèveriez pas si matin. - Oh! mon ami, je me lèverais bien toujours à minuit: ce n'est pas la fatigue qui m'effraie; je serais le plus heureux des prêtres, si ce n'était pas cette pensée qu'il faut paraître au tribunal de Dieu comme curé." Alors deux grosses larmes coulaient de ses joues. Il souffrait beaucoup pendant la nuit, surtout vers la fin de sa vie, et cependant jamais il ne prolongeait le temps d'un repos qui n'en était souvent pas un. Malgré la fatigue et l'accablement, il se rendait au confessionnal et entendait, une partie de la nuit et toute la journée, les nombreux pénitents qui se présentaient. Il m'avoua qu'un jour il était tombé quatre fois de faiblesse en se rendant à l'église, qu'il s'était relevé quatre fois avec une très grande peine, et qu'arrivé au confessionnal, il avait entendu les confessions comme à l'ordinaire. Je lui fis observer une autre fois qu'il semblait bien fatigué; il me répondit en souriant: "Les pécheurs finiront bien par tuer le pauvre pécheur."




10137 137 Session 7 - 2 Décembre 1862 à 8h du matin



Sur le dix-huitième Interrogatoire, le témoin continue ainsi sa déposition, en parlant de la charité:

Je sais qu'il avait un attrait particulier pour la conversion des pécheurs; il s'en occupait sans cesse dans ses prières et dans ses mortifications. 138 Je lui ai entendu dire qu'il était heureux de prier pour les âmes du purgatoire, mais qu'il était surtout à son aise quand il priait pour les pécheurs et qu'il éprouvait une peine quand il ne priait pas pour eux. C'était là la préoccupation de toute sa vie. Il s'était proposé de fonder le plus grand nombre de missions possible. Il avait demandé à Dieu si c'était l'oeuvre qui lui était la plus agréable et de le lui faire connaître par quelque signe particulier; il m'a raconté, en présence du Frère Jérôme, que sa discipline, placée à l'extrémité de sa table, s'était mue d'elle-même et était venue vers lui en marchant comme un serpent; c'était un des signes qu'il avait demandés. Il ajouta: Il y a bien autre chose que je ne veux pas dire. Il appliquait à cet objet les principaux dons qu'il recevait des fidèles; il y consacrait son traitement, qui étant toujours engagé d'avance, et ses honoraires de messes. Lorsqu'il avait recueilli la somme suffisante pour une fondation, il était transporté de joie. Si j'avais le malheur, disait-il, d'être en enfer et qu'une pensée de joie y fût possible, je tressaillirais d'allégresse en songeant que les missions que j'ai fondées ouvriront la porte du Ciel à un grand nombre d'âmes. Quand je suis ennuyé, je compte mes missions. J'aime tant les missions que si, après ma mort, en vendant mon corps, on pouvait en fonder encore une, je le ferais. Le Serviteur de Dieu en a fondé à peu près cent dans différentes paroisses; elles doivent se donner tous les dix ans.

Ses supérieurs jugèrent son zèle digne d'une plus grande paroisse, et le nommèrent à Salles, dans le Beaujolais; mais lorsqu'il voulut s'y rendre, il trouva la Saône tellement débordée et agitée par un vent si violent, qu'il ne put pas passer à l'autre rive; 139 il regarda cette circonstance comme une marque de la volonté de Dieu et revint à Ars au milieu de ses paroissiens désolés de son départ et obtint de ses supérieurs l'autorisation d'y rester. Il ne renfermait pas son activité dans sa paroisse; il venait au secours de ses confrères malades ou absents, pendant que le pèlerinage ne le retint pas constamment à Ars. Il prenait aussi, autant qu'il pouvait, part aux missions qui se donnaient dans le voisinage; il s'acquit partout la réputation d'un saint, et les personnes qui avaient eu le bonheur de l'entendre et de se confesser à lui venaient volontiers le voir dans sa paroisse et profiter de sa direction; ainsi commença le pèlerinage d'Ars, qui se développa d'une manière merveilleuse. Il se levait de minuit à deux heures du matin, se rendait à l'église, où il priait quelque temps avec les pèlerins, puis il rentrait au confessionnal, où il restait jusqu'à sept heures, célébrait la sainte messe et bénissait après, en surplis et en étole, une grande quantité d'objets de piété qui lui étaient présentés. Cette cérémonie terminée, il rentrait à la sacristie et là, pendant quelque temps, il signait les images et les livres de piété; puis il revenait au presbytère, où il prenait comme déjeuner un peu de lait et de pain; il retournait immédiatement de là à l'église et entendait les confessions des hommes jusqu'à onze heures; c'était l'heure du catéchisme pour les pèlerins, il avait lieu régulièrement chaque jour de la semaine; à midi, il rentrait au presbytère, prenait un léger repas, se reposait quelques minutes, allait faire une courte visite aux missionnaires, puis à travers une foule de pèlerins qui s'agenouillaient sur son passage et demandaient sa bénédiction, il revenait à l'église. Quelquefois, il visitait, à cette heure de la journée, les malades de sa paroisse ou les pèlerins malades. A une heure il rentrait à l'église, récitait à genoux son office dans la chapelle de Saint Jean-Baptiste; après l'office, la confession des femmes commençait et se continuait jusqu'à cinq heures. 140 Laissant alors les femmes qui entouraient son confessionnal, il allait à la sacristie, où il entendait la confession des hommes, jusqu'à huit heures en été et environ six heures en hiver. La prière terminait la journée, il récitait en même temps le chapelet de l'Immaculée Conception; puis accompagné des missionnaires et des Frères de la Sainte Famille, il retournait au presbytère. En général, il ne prenait le soir aucune nourriture. Dans les derniers temps de sa vie, Monseigneur Chalandon, Évêque de Belley, à ma demande, le dispensa de la récitation de Matines et Laudes, à cause de son extrême fatigue. J'ignore s'il a usé de la dispense. Il lisait le soir la vie des saints et la Théologie. Tel a été l'ordre de sa journée pendant les six ans que j'ai passés avec lui.

Il était du tiers-ordre de saint François. Quoique épuisé par les jeûnes et les macérations, les infirmités, le manque de repos et de sommeil, il a pu continuer ses longues séances au confessionnal jusqu'à la fin de sa vie; il n'a cessé que le trente juillet mil huit cent cinquante-neuf, c'est-à-dire cinq jours avant sa mort. Il disait aux missionnaires: Saint Liguori avait fait voeu d'être toujours occupé: nous n'avons pas besoin de faire ce voeu-là.

Il disait que les ennemis nous rendent un grand service parce qu'ils nous font mériter davantage en les aimant.

Il avait une grande affection pour les pauvres, les faibles et les petits; il aurait voulu soulager toutes leurs misères; ce fut pour venir au secours des jeunes filles dénuées de ressources qu'il fonda l'établissement de la Providence. Il en confia la direction à trois filles pieuses; il entretenait l'établissement au moyen des aumônes et de ses ressources personnelles. Il recevait autant de pauvres filles que le local pouvait en contenir. Une des directrices lui disait un jour qu'il n'y avait plus de lits. Venez prendre le mien, lui dit-il. 141 Il y eut des moments critiques où l'on manquait du nécessaire. Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'un jour, il n'y avait au grenier qu'une poignée de blé; la pensée lui vint de cacher sous ce blé des reliques de saint François Régis dans l'espérance que le saint ferait un miracle; sa confiance ne fut point trompée et le lendemain il trouva le grenier comble. Il m'a raconté aussi qu'avec un petit tonneau de vin, il en avait rempli un grand. Je sais par Marie Chanay qu'un jour où elle pétrissait, la pâte s'était multipliée dans ses mains et avait rempli le pétrin.

Il fonda aussi plus tard une école gratuite pour les garçons, dirigée par les Frères de la Sainte Famille de Belley.

Je ne lui ai jamais vu refuser l'aumône à. un pauvre; il accueillait les misérables avec bonté et plaisir. Une petite aumône corporelle, disait-il, fait passer l'aumône spirituelle. Il ne secourait pas seulement les pauvres de sa paroisse, mais encore sa charité s'étendait au loin. Beaucoup de personnes malheureuses étaient soulagées par ses aumônes. Je lui disais un jour qu'il lui arrivait sans doute de se tromper en donnant à tous ceux qui se présentaient. Il me répondit: On ne se trompe jamais quand on donne à Dieu. Il disait aussi qu'à la Saint Martin, il avait beaucoup de loyers à payer, parce que, dans le pays, c'est à cette époque qu'on paye les loyers des maisons. Il se dépouillait pour les pauvres de tout ce qui ne lui était pas absolument nécessaire. Il avait vendu le mobilier de sa chambre dont on lui avait laissé la jouissance, même son lit. Quand on voulait lui donner quelque chose qu'il ne vendît pas, on le lui prêtait. J'ai entendu dire à des témoins dignes de foi que ses confrères lui ayant fait cadeau d'un haut de chausses pendant la mission de Trévoux, en bon velours neuf, il l'accepta et regagna sa paroisse par un froid très piquant. 142 En route, il rencontra un pauvre à moitié nu et tout transi de froid. Il se cacha derrière une haie et apparut bientôt son haut de chausses à la main. Il le donna au mendiant. Une autre fois, ne trouvant rien que son mouchoir dans sa poche, il le donna, en s'excusant de ne pouvoir mieux faire, plus tard, il avait une poche pour les bonnes oeuvres; il y puisait incessamment et les yeux fermés. Une fois, une femme lui avait volé une somme assez forte, et vint lui dire: Monsieur le Curé, me donnez-vous ce que je vous ai pris? Il répondit: Je le veux bien, et continua à l'assister dans ses besoins. Un homme ayant soustrait à la sacristie l'argent des messes qui y était déposé, il s'en aperçut. Mon ami, lui dit-il, dites-moi ce que vous m'avez pris; je ne veux pas vous faire rendre l'argent, mais connaître le nombre des messes. Il apprit ensuite que les gendarmes allaient l'arrêter comme voleur; il sortit de son confessionnal, se rendit dans la maison où il était et le prévint afin qu'il pût fuir. Je sais qu'il faisait l'aumône à une pauvre aveugle, il aimait à mettre dans son tablier ce qu'il lui portait sans qu'elle s'en aperçût. Je sais que lorsqu'on lui envoyait quelque mets, il en disposait toujours pour les pauvres.





Sur la Prudence, le témoin dépose ainsi:

J'ai entendu dire que dès son enfance, il avait montré une grande prudence, en prenant tous les moyens propres à le conduire à la sainteté et assurer son salut. Nommé vicaire à Ecully, il s'efforça d'imiter Monsieur Balley, homme d'une prudence consommée dans les choses de Dieu. Je sais qu'arrivé dans la paroisse d'Ars, il agit avec une grande prudence pour y introduire la piété, évitant avec un grand soin de froisser et tâchant de gagner les coeurs par la persuasion. 143 Je sais aussi que pour supprimer les abus, il eut recours à la prière, à la pénitence, et qu'il chercha à avoir sur son peuple une grande influence par les grands et bons exemples qu'il donnait. Pour ne pas laisser à ses paroissiens en quelque sorte le temps d'offenser Dieu le Dimanche, il avait établi des exercices successifs et variés, auxquels on se rendait avec empressement. Il faisait le catéchisme à une heure, et lors même que d'autres prêtres avaient prêché à la grand'messe, il ne se croyait pas déchargé de ses obligations pastorales et il ne manquait jamais de faire le soir lui-même une de ces touchantes homélies où son âme s'épanchait en des paroles à la fois si saintes, si élevées, si fortes et si pathétiques. Le jour des fêtes supprimées par le Concordat, on faisait les mêmes exercices pieux que le Dimanche. Il disait qu'on connaissait les amis du bon Dieu en ce qu'ils faisaient ce qu'ils n'étaient pas obligés de faire, et il cherchait ainsi à le persuader à ses paroissiens. Quand il s'agissait d'entreprendre quelque chose, il priait, jeûnait, se mortifiait, puis consultait des personnes prudentes, surtout son Évêque, dans la crainte de se tromper dans la direction des âmes, lorsqu'il avait quelque doute, il consultait avec une grande simplicité, et quelquefois il lui arrivait d'envoyer un pénitent à des confesseurs qu'il croyait plus capables que lui. Il disait que ce que le démon craignait le plus, c'était l'humilité. 144 Je sais qu'il ne donnait aux pénitents que des pénitences proportionnées à leur faiblesse, c'est-à-dire en général très faibles, et qu'il s'appliquait à y suppléer par des pénitences personnelles. Il avait l'habitude de faire des neuvaines pour obtenir la réussite de ses projets; il conseillait aussi aux autres d'en faire: aux personnes qui voulaient connaître leur vocation, il leur conseillait une neuvaine au Saint Esprit; à celles qui demandaient la conversion de quelqu'un ou le soulagement d'une grande affliction, il leur conseillait une neuvaine au saint Coeur de Marie. Quand il s'agissait de guérisons, de grâces temporelles, il conseillait une neuvaine à Sainte Philomène. Par l'intercession de cette sainte, beaucoup de grâces avaient été obtenues. Je lui disais un jour: Le bruit court que vous avez défendu à Sainte Philomène de faire tant de miracles. Il me répondit avec une naïveté charmante: Ces grâces font trop de bruit et amènent trop de monde. J'ai prié sainte Philomène de guérir ici les âmes plutôt que les corps, et les corps ailleurs. Elle m'a bien écouté. Plusieurs personnes malades ont commencé ici leur neuvaine et ont été guéries chez elles: ni vu, ni connu. Il disait ces paroles avec un grand sentiment de bonheur.

Pendant les six ans que j'ai passés avec lui, j'ai toujours remarqué une grande prudence dans ses démarches, dans sa conduite, dans ses conseils, dans ses conversations, dans ses catéchismes, dans les avis qu'il donnait, dans ses prédications; 145 il se défiait de lui-même et comptait beaucoup sur les lumières de l'Esprit Saint; aussi était-il estimé, goûté et vénéré par tout le monde. Sa rare prudence paraissait dans la direction des consciences. Il savait indiquer à chaque pénitent ce qui lui convenait; il savait se renfermer dans le cercle des préceptes, ou bien ouvrir à propos le champ des conseils; bien souvent il lisait au fond des coeurs. Une personne de la Savoie m'a raconté qu'étant venue à Ars, Monsieur le Curé lui dit qu'il aurait à lui parler le lendemain, sans qu'elle lui eût adressé la première la parole; le lendemain le Serviteur de Dieu la vit au confessionnal et avant de l'interroger, lui dit en ce qui la concernait des choses qui l’étonnèrent profondément. Il lui parla de son attrait pour la vie religieuse et de la piété de ses soeurs. Comme je demandais au Serviteur de Dieu comment il avait pu, sans connaître cette personne, lui dire les choses qu'il lui avait dites, il me dit en souriant: J'ai fait comme Caïphe; j'ai prophétisé sans le savoir.

On avait souvent recours à ses conseils, à ses lumières, lorsqu'il s'agissait d'entreprises importantes; il rejetait tous projets sans portée, sans utilité réelle, qui venaient d'un zèle indiscret ou d'une activité inquiète; mais tout projet utile et franchement; chrétien était assuré de son adhésion. De toutes parts on appelait ses encouragements, ses bénédictions et ses suffrages sur des fondations, sur des établissements, sur des écrits, sur des oeuvres qui devaient procurer la gloire de Dieu. Il recevait une multitude de lettres de tous les points de la France et de l'Europe et quelquefois des autres parties du monde; ces lettres venaient souvent de personnes distinguées par leur naissance, leurs talents et leur position.




10149 149 Session 8 - 2 Décembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi

Le Témoin continue à répondre au dix-huitième Interrogatoire:

Au sujet de la prudence, j'ai encore à ajouter: La conduite qu'a tenue le Curé d'Ars sur un fait très important, celui de la Salette, a été marquée au coin de la Prudence. Dès le principe, Monsieur le Curé avait cru à l'apparition de la Sainte Vierge sur la montagne de la Salette. 150 Plus tard, le jeune Maximin étant venu à Ars et ayant été interrogé par Monsieur Vianney hors du tribunal de la Pénitence, cet enfant répondit qu'il n'avait rien vu. Dès lors, Monsieur le Curé cessa d'y croire. Néanmoins, en présence de l'approbation de l'Évêque de Grenoble, ainsi que de plusieurs autres évêques, il ne fit jamais d'opposition publique sur ce point. Il répondait même à ceux qui le consultaient qu'on pouvait croire à ce fait, et même que l'on pouvait faire le pèlerinage, s'appuyant sur l'autorité épiscopale, qu'il ne se permettait pas de juger. Enfin j'atteste que Monsieur Vianney ayant été tourmenté sur ce sujet pendant plusieurs semaines, il fut instantanément délivré en disant intérieurement: Je crois.

Au sujet de la vertu de Justice, le témoin dépose: Pendant les six ans que j'ai passés avec lui, je l'ai toujours vu pratiquer exactement la. vertu de justice en remplissant tous ses devoirs envers Dieu et envers les hommes. Je déclare que Monsieur le Curé d'Ars, très sévère envers lui-même, était plein de respect pour les dépositaires de l'autorité soit spirituelle, soit temporelle; qu'il témoignait constamment les plus grands égards à tout le monde, mais plus spécialement aux prêtres et aux religieux qui venaient à Ars. C'est ainsi qu'il se tenait constamment debout en présence des étrangers et qu'il exigeait que ceux-ci se tinssent assis devant lui. Il ne souffrait pas non plus qu'on le saluât avec les termes honorables dont il se servait lui-même envers les autres. Une gaîté douce et franche, un aimable abandon, mais sans familiarité, présidait à toutes ses relations intimes. 151 Il était bon en particulier pour les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs. Il se montrait continuellement appliqué à écarter de ceux qui vivaient autour de lui les plus légers embarras, spécialement quand il les jugeait atteints d'une petite indisposition. Rien n'égalait sa tendresse pour ses collaborateurs et il saisissait tous les moyens possibles de leur être agréable. J'ai entendu Monsieur le Curé parler de ses parents et surtout de sa mère dans des termes indiquant sa vive reconnaissance pour tous les services qu'il en avait reçus. Je l'ai vu recevoir à Ars plusieurs de ses parents, et leur témoigner la plus franche cordialité et les recevoir à sa table; et alors, il ne craignait pas de sortir de ses habitudes de pénitence et de manger avec eux par motif de charité. Il éprouvait les mêmes sentiments de reconnaissance envers tous ses bienfaiteurs, et notamment envers les bons habitants des Noës, qui le reçurent avec tant de bienveillance lorsqu'il échappa au service militaire. L'un des sentiments les plus profonds dp sa vie était son affection envers Monsieur Balley, son ancien maître. Il ne cessait de parler de ses vertus et il ajoutait qu'il suffisait de voir ce saint prêtre pour se sentir porté à Dieu. Il ne lui reprochait qu'une seule chose, c'était d'avoir été sa caution, lorsqu'il fut appelé au sacerdoce.

Il était très touché des moindres égards qu'on avait pour lui. Voici entre autres choses ce qui m'est arrivé: Il me reprochait un jour d'avoir trop d'attention et trop d'égards pour lui. Je lui répondis: 152 Tes pères et mères (sic) honoreras, afin que tu vives longuement. Sa figure s'épanouit et témoigna combien il était touché.



Interrogé sur la vertu d'obéissance, le témoin a répondu:

Pendant les six ans que j'ai passés auprès du Curé d'Ars, il s'est toujours montré empressé à observer toutes les lois de l'Église, à se soumettre à toutes les règles de sa discipline, aux prescriptions et aux volontés de son Évêque et surtout aux décisions, du Saint-Siège. On ne pouvait lui parler de Rome et du Souverain pontife sans l'intéresser vivement. Je sais, par lui-même, qu'il avait le plus grand désir d'aller dans la solitude pleurer, selon son expression, sa pauvre vie; et néanmoins il resta jusqu'à la mort au poste que la Providence lui avait assigné. Si deux fois il essaya de fuir, ce fut avec la pensée que son Évêque approuverait sa conduite.

Je sais qu'il était très soumis à l'autorité civile, ainsi que je l'ai dit plus haut. Un fait cependant semblerait indiquer qu'il manqua d'obéissance aux lois de son pays, c'est le fait de sa désertion. Voici ce que je puis dire à ce sujet: Jamais je ne lui ai entendu dire le moindre mot qui pût faire soupçonner qu'il se le reprochait comme une faute. Je sais d'ailleurs qu'étudiant pour l'état ecclésiastique, il s'était fait porter sur la liste d'exemption du service militaire et que ce n'est que par suite d.'un oubli qu'il ne fut point inscrit sur les registres. Ce ne fut que trois ans après qu'il reçut l'ordre de rejoindre son régiment. Il tomba malade en route, entra à l'hôpital de Roanne et quelques jours après, au moment où, dans un grand état de faiblesse, il rejoignait son corps, il fut accosté par un inconnu qui, d'un air bienveillant, l'engagea à le suivre. 153 Monsieur Vianney, sans aucune préméditation, suivit l'inconnu, qui le conduisit aux Roës, paroisse reculée dans les montagnes du Forez. On n'a jamais su quel étant cet inconnu.




10155 155 Session 9-3 Décembre 1862 à 8h du matin

Le témoin continue à répondre au dix-huitième Interrogatoire. Sur la vertu de Religion, j'ai à déposer ce qui suit: Je sais que le Serviteur de Dieu n'était pas moins remarquable par la vertu de religion que par les autres vertus. 156 Il recherchait tout ce qui, de près ou de loin, pouvait se rapporter au culte, ou à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher et sacro dès qu'il avait une signification dévote. Il aimait les images, les croix, les chapelets, les médailles, les scapulaires, l'eau bénite, les confréries et les reliques, pour lesquelles il avait une dévotion toute particulière; il en portait toujours sur lui; il en avait rempli son église, sa chapelle de la Providence et sa chambre. Il disait: Je fais volontiers une belle place aux saints ici-bas, afin qu'ils m'en fassent une petite dans le ciel. C'était un grand plaisir pour lui de faire prêcher les autres, d’entendre prêcher et de prêcher lui-même. Il ne se reposait, disait-il, que deux fois par jour: à l'autel et en chaire. Il avait, comme il a déjà été dit, embelli son église et acheté de magnifiques ornements et de riches vases sacrés. Rien ne lui paraissait assez précieux pour honorer Dieu. J'ai déjà parlé de sa grande dévotion pour le Saint Sacrement. Elle était toute sa. vie; notre Seigneur dans la sainte Eucharistie était constamment présent à sa pensée.

Il respectait toutes les pratiques de dévotion en usage dans l'Eglise, et les conseillait volontiers. Il était du tiers-ordre de Saint François et du tiers-ordre de Marie. Il récitait l'office divin en union avec Notre Seigneur; il avait attaché aux différentes heures du bréviaire le souvenir des différentes scènes de la passion. J'ai vu moi-même dans un de ses bréviaires la division, qu'il avait faite et qu'il suivait en récitant le saint office. 157 A Matines, il honorait l'agonie de Notre Seigneur eu jardin des olives; à Laudes, sa sueur de sang; à Prime, sa condamnation; à Tierce, le portement de la Croix; à Sexte, le crucifiement; à None, la mort du Sauveur; à Vepres, sa descente de la croix; à Complies, sa sépulture. Il avait une intention particulière pour chaque jour de la semaine. Il m'a raconté, que le Dimanche, il honorait la Sainte Trinité; que le Lundi, il invoquait le Saint-Esprit, afin d'employer la semaine pour la gloire de Dieu et pour son salut; il priait aussi ce jour-là pour les âmes du purgatoire. Le Mardi était consacré aux anges gardiens; il remerciait Dieu d'avoir donné à ces purs esprits un si ardent amour pour sa gloire, une si grande promptitude à exécuter ses ordres, tant de bienveillance pour les hommes. Le Mercredi était employé à louer toute la cour des Bienheureux. Le Jeudi était le jour du Saint Sacrement; le Vendredi, celui de la passion de Notre Seigneur. Le Samedi, il remerciait Dieu d'avoir créé la Sainte Vierge immaculée, et de lui avoir donné un coeur si bon pour les pécheurs. Depuis qu'il était prêtre, il disait la messe à cette intention à l'autel de la Sainte Vierge autant qu'il pouvait le faire. Après la messe, il récitait ses litanies.

J'ai déjà parlé de la petite statue de la Sainte Vierge qu'il avait reçue étant tout jeune, et de la manière dont il la vénérait, et j'ai dit aussi qu'il avait aimé la mère de Dieu avant de la connaître.

Lorsqu'il était vicaire d'Ecully, il copiait souvent avec Monsieur Balley des prières en l'honneur de l'Immaculée Conception, comme il me l'a raconté lui-même. 158 Il y a environ quinze ans, il fit construire une chapelle et invita Monseigneur Devie à venir la bénir. Au moment de la cérémonie, le vénérable Évêque lui demanda sous quel vocable il voulait placer cette chapelle; il répondit, comme par inspiration: A l'Immaculée Conception. Il avait déjà fait ériger une statue de la Vierge Immaculée sur le frontispice de son église et fait confectionner en son honneur un magnifique ornement, sur lequel étaient brodés ces mots: Maine conçue sans péché; il célébra la messe avec cet ornement le jour même de la Proclamation du dogme. Il avait l'habitude de dire l'Ave Maria quand l'heure sonnait, avec cette invocation: Bénie soit la très sainte et immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie Mère de Dieu. O Marie, que toutes les nations glorifient, que toute la terre invoque et bénisse votre coeur immaculé. Quand l'heure sonnait pendant qu'il était en chaire, il s'interrompait et ne manquait pas même alors à cette pieuse pratique. L'horloge de la paroisse était mauvaise et quelquefois ne sonnait pas les heures. Je le lui fis remarquer en lui disant que la Sainte Vierge et les paroissiens qu'il avait habitués à cette pratique, y perdaient beaucoup; il fit immédiatement installer une horloge neuve. . Après la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception, il s'écria: Quel bonheur! J'ai toujours pensé qu'il manquait ce rayon à l'éclat des vérités catholiques. C'est une lacune qui ne pouvait pas demeurer dans la religion. 159 Il avait consacré sa paroisse en mil huit cent trente-six, comme un tableau en fait foi, à la Vierge Immaculée. Il célébrait ses fêtes avec pompe; ces jours-là, les communions étaient nombreuses; je l'ai vu pendant les six ans que j'ai été à Ars, et j'ai appris qu'auparavant il en était de même. Les habitants ont à peu près tous des images de la Sainte Vierge dans leurs maisons et souvent des statues à l'extérieur. J'ai appris de lui-même qu'il avait conduit sa paroisse en procession à la chapelle de Fourvière à Lyon et que cette procession édifia singulièrement les habitants des pays par où elle passa.

Il parlait avec une effusion extraordinaire de la dévotion à la Sainte Vierge, de cette belle, créature dont la pureté a fléchi la justice de Dieu. Il invoquait les saints avec une grande ferveur; il les appelait ses consuls; il lisait souvent leur vie et en connaissait les circonstances les plus minutieuses. Il en parlait dans ses instructions et dans ses conversations, de manière à étonner ceux qui l'entendaient. Le plus beau présent qu'on pouvait lui faire, était une relique.

Les saints qu'il invoquait de préférence étaient ceux qui, ayant le plus travaillé et le plus souffert, ont montré un plus grand amour pour Notre Seigneur. Il avait fait sur son bréviaire une liste de ses patrons et de ses patronnes. En parlant de Saint Jean l'Evangéliste, il disait: "Je l'aime beaucoup, parce qu'il était bien pur et qu'il a eu bien soin de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge." Il en disait autant de saint Joseph. Il avait voué un culte particulier à sainte Philomène; il lui attribuait toutes les faveurs et les prodiges qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. 160 Il lui avait érigé une chapelle et avant de mourir, il projetait de faire construire en son honneur un magnifique sanctuaire. Il priait beaucoup pour les âmes du purgatoire et invitait à prier pour elles. Il engagea vivement une personne pieuse qui le consultait à établir une Congrégation de religieuses sous le nom de Dames Auxiliatrices des âmes du purgatoire, fondée à Paris. Non seulement il priait pour les âmes souffrantes dans le purgatoire, mais encore il les invoquait, avec la conviction qu'elles obtenaient beaucoup de grâces pour tous ceux qui leur adressaient des prières.



L'oraison du Serviteur de Dieu était habituelle; il était sans cesse en union avec Dieu et le voyait dans toutes ses créatures.



Interrogé sur la vertu de Force, le témoin répond comme il suit:

Je n'ai jamais vu autant d'énergie et de force de volonté; rien ne l'abattait, ni les contradictions, ni les infirmités, ni les tentations. Il a montré constamment le même courage dans la pratique de la vertu et dans le dévouement au prochain. Cette vertu était si frappante chez lui qu'elle excitait l'admiration de tous ceux qui le voyaient. C'était une force calme et tranquille, comme la force qui vient de Dieu, une force invincible. Les pèlerins disaient, même les religieux appartenant aux ordres les plus sévères, qu'ils n'avaient pas besoin d'autre miracle que celui de sa force pour être convaincus de sa sainteté. i

Sa patience était si admirable que, étant aux Noës, dans une position très pénible, il promit à Dieu de ne jamais se plaindre s'il en était délivré, et il a tenu parole. Un jour qu'il était extrêmement fatigué, à la suite d'une de ces journées accablantes comme étaient toutes les siennes, je lui dis: Monsieur le Curé, vous êtes au bout de vos forces; il me répondit: Si je n'avais pas promis au bon Dieu de ne pas me plaindre, je me plaindrais.

161 Il avait à souffrir de maux d'entrailles et de maux de tête, on peut dire qu'il souffrait constamment. Il est resté une fois six mois sans presque dormir; néanmoins, son esprit était toujours libre, son visage calme et souriant; rien ne trahissait ses douleurs même les plus vives. Le soir, quand il rentrait dans sa chambre, et qu'il s'appuyait contre sa cheminée: Vous souffrez beaucoup, lui disait-on. - Oui, un, peu, répondait-il en souriant. Il était très difficile de lui faire accepter quelque soin pour le soulager.

Lorsque quelque infirme désirait le voir, il ne manquait jamais de se rendre auprès de lui malgré son état de fatigue; il ne dormait presque pas, parce qu'il était souvent troublé par le démon et souvent tourmenté par de grandes souffrances. Il était d'une grande patience, lorsqu'il avait à subir des humiliations ou des injures; il ne paraissait pas s'en apercevoir, malgré une grande sensibilité naturelle; ce qui l'affligeait dans ces cas, c'était l'offense de Dieu et le scandale. Il disait: Les saints avaient un bon coeur, un coeur liquide. Et il ne se doutait pas qu'il se peignait lui-même. Il avait été en butte à d'ignobles injures; on avait même attaqué ses moeurs. Pendant dix-huit mois, une personne l'insultait tous les soirs sous ses fenêtres à ce sujet; il ne s'en troubla pas; il se réjouit au contraire parce qu'il craignait qu'on eût trop bonne opinion de lui. Il disait: Si l'on faisait attention aux opinions des hommes, on serait bien malheureux: je reçois des lettres où l'on m'accable d'injures, d'autres où l'on me comble d'éloges; je ne me préoccupe ni des unes ni des autres; je me fortifie dans la résolution de ne travailler que pour Dieu seul.

Je sais qu'il était d'un tempérament ardent et impétueux et qu'il lui avait fallu une volonté très persévérante pour devenir doux et patient. 162 En le voyant au milieu de la foule qui le pressait, le poussait, le faisait tomber quelquefois, je lui disais, en le voyant toujours calme: Monsieur le curé, les anges à votre place se fâcheraient; je serai obligé de me fâcher pour vous. Une personne de la paroisse, dont la tête semblait un peu dérangée, venait toujours au confessionnal, sans jamais terminer sa confession; il la recevait avec la même douceur, la même bonté que les autres pénitents.



Interrogé sur la vertu de Tempérance, le témoin répond comme il suit :

J'ai appris du Serviteur de Dieu que lorsqu'il était à Ecully avec Monsieur Balley, ils menaient tous deux une vie très mortifiée ; quand ils étaient seuls, ils vivaient de mets très communs et peu abondants; mais lorsqu'il arrivait quelqu'un, Monsieur Balley le recevait d'une manière honorable. J'ai ouï dire à des témoins dignes de foi que les habitants d'Ecully avaient envoyé une députation à Monsieur Courbon, Vicaire Général du diocèse de Lyon, afin qu'il obligeât leur Curé et leur vicaire à vivre d'une manière moins pénitente, et que Monsieur Courbon leur répondit: Vous êtes bienheureux, habitants d'Ecully, que votre curé et votre vicaire fassent pénitence pour vous. J'atteste que pendant mon séjour à Ars, le Serviteur de Dieu n'avait point de domestique et qu'il était très difficile de lui faire accepter une nourriture commune et un peu suffisante. Je sais qu'il couchait sur une mauvaise paillasse, avec un traversin en paille; j'ai vu à côté de son lit une planche, et je crois qu'il couchait dessus, sinon toujours, du moins quelquefois. Par des questions adroites, j'ai obtenu de lui l'aveu qu'il avait couché soit au grenier, soit au rez-de-chaussée de la cure, qui est très humide, sans se servir de lit, ce que je savais par d'autres; il ajoutait: Quand on est jeune, on fait des imprudences. J'ai entendu dire à des témoins dignes de foi qu'il achetait le pain des pauvres pour en faire sa nourriture, avec des pommes de terre cuites à l'eau. Un jour, il me disait: Depuis ma maladie, je suis devenu gourmand. - Je lui répondis, afin d'avoir habilement quelques détails sur sa vie passée: Mais autrefois, vous en faisiez trop; on dit que vous restiez huit jours avec un repas. 163 - Non, mon ami, me dit-il avec une naïveté charmante, c'est une exagération: le plus que j'ai fait, c'est de passer huit jours avec trois repas. Une autre fois, il me disait: Le pain est nécessaire à l'homme. - On m'assure, lui répondis-je, que vous avez voulu essayer de vous en passer et de ne vivre que d'herbes. - Oui, répliqua-t-il, mais je ne pouvais plus y tenir, j'étais trop délabré; il faut du pain, il en faut peu, mais il en faut. Je puis affirmer que pendant mon séjour à Ars, on lui donnait un pain d'à peu près une livre, et qu'il y en avait pour toute la semaine, et je crois que c'est toute la quantité de pain qu'il consommait pendant la semaine. Je l'engageai un jour à prendre plus de nourriture, en lui disant que Monseigneur Devie le lui avait prescrit: Non, dit-il, Monseigneur a demandé à une personne si j'y tenais; on l'a assuré que oui. Il a répondu: Eh bien, c'est bon. Je sais que le Serviteur de Dieu allait si loin dans ses privations qu'il était quelquefois obligé de se lever la nuit pour prendre quelque chose, afin de ne pas succomber. Je ne lui ai jamais vu manger de fruit, quoiqu'il les aimât beaucoup; je crois qu'il avait fait voeu de ne pas en manger. Par politesse, quand il se trouvait; chez les missionnaires à Ars, il acceptait quelques gouttes de café, qui avait pour lui beaucoup d'amertume; il m'a avoué que parce qu'il aimait beaucoup le café, il avait prié Dieu de (le) lui rendre amer et qu'il avait été exaucé. Je sais qu'à la fin de sa vie, pour soutenir ses forces et continuer son ministère, il s'était relâché de la première sévérité de son régime, en prenant un peu de viande et un peu de vin blanc.

J'ai vu sa discipline en fer à trois branches; j'ai vu des morceaux de cilice; je possède des morceaux d'une ceinture de fer trouvés dans sa chambre. 164 Je sais par une personne digne de foi que ses linges de corps étaient tachés de sang. Les Dimanches, quand il ne disait pas la grand'messe, il sortait régulièrement quelques Instants avant l'élévation, pour aller passer un moment dans sa chambre et l'opinion publique est qu'il allait se donner la discipline pour s'unir à Notre Seigneur souffrant et mourant pour les pécheurs.

Quoiqu'il craignît beaucoup le froid, on n'a jamais pu lui faire prendre ni manteau, ni douillette, ni calotte, ni chaussures chaudes; seulement, en faisant ses soutanes, on avait soin de les doubler, de manière à lui rendre le froid moins sensible. On avait recours à toute espèce d'industries pour mettre de l'eau chaude au confessionnal, que l'on plaçait sous ses pieds à son insu. Je fus obligé de prendre prétexte de la conservation des ornements pour établir un poêle à la sacristie.




10167 167 Session 10 - 3 Décembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi



Le témoin continue à répondre au dix-huitième Interrogatoire.

Sur la pauvreté, je puis dire que le Curé d'Ars a pratiqué cette vertu à un degré éminent. Ainsi il habitait un presbytère complètement délabré et dans lequel il n'a jamais voulu permettre qu'on fît la moindre réparation. 168 La seule chambre moins inhabitable que les autres, était celle qu'il occupait; elle ne renfermait que quelques pauvres meubles, dont une partie ne lui appartenait pas; ceux qui lui appartenaient, il les vendait, et pour lui en conserver l'usage, ceux qui les avaient achetés les lui prêtaient. Quant à ses vêtements, il ne voulut jamais posséder qu'une soutane à la fois, et l'on était obligé d'user d'industries pour changer ses vêtements; il ne consentait à les quitter que lorsqu'ils tombaient en lambeaux. Il ne voulait que le strict nécessaire. Un jour une personne avait cru bien faire en remplaçant par une tasse en faïence la vieille écuelle de terre qui était depuis longtemps à l'usage du Curé. Celui-ci eut peur de ce luxe et s'en débarrassa au plus vite en disant: "On ne peut donc pas venir à bout de pratiquer la pauvreté." J'affirme que le Curé d'Ars reçut pendant toute sa vie, et spécialement pendant les six ans que j'ai passés auprès de lui, des sommes considérables, dont il pouvait user personnellement; toutes cependant furent scrupuleusement employées en bonnes oeuvres. Il me raconta un jour qu'un ecclésiastique lui ayant demandé son secret pour trouver tant d'argent, Monsieur Vianney lui répondit: Tout donner et ne rien garder pour soi. Un jour, il croyait avoir réuni la somme de douze cents francs nécessaires pour une fondation de messes; il vint me dire qu'il venait de faire des cendres qui lui coûtaient bien cher. Comment donc, lui dis-je? - Ah! me répondit-il, j'avais dans une lettre pour cinq cents francs de billets de banque; par mégarde, j'en ai éclairé mon feu. - C'est bien dommage, répliquai-je, j'aurais ce soir même porté cet argent à l'administration diocésaine. 169 - Oui, reprit-il, c'est bien dommage pour ces pauvres pécheurs, mais il y a moins de mal à cela qu'au plus petit péché véniel. Le soir même, une personne charitable, apprenant ce fait, remplaça la somme de cinq cents francs qui lui manquait. Il est venu immédiatement après, d'un air radieux, en me disant: "Voyez comme le bon Dieu est bon: il me rend d'une main ce qu'il m'a pris de l'autre. Je pourrai faire cette fondation pour la conversion des pécheurs." Il n'attachait aucune importance à toutes les choses qui occupent le monde, à toutes les inventions nouvelles, à tout le mouvement qui se faisait autour de lui; il n'eut même jamais la curiosité d'aller voir le chemin de fer, qui passait à une petite distance, et qui lui amenait cependant chaque jour un si grand nombre d'étrangers.

L'humilité, la simplicité, la modestie forment un des traits caractéristiques de la vie de Monsieur Vianney. Je certifie qu'il n'y avait en lui point d'ostentation, rien de contraint ni d'affecté, rien de l'homme qui veut paraître. J'ai toujours remarqué en lui une simplicité d'enfant. Beaucoup d'abandon et de candeur; une conversation pleine d'ingénuité et de grâce, combinée avec une grande finesse de tact et une grande sûreté de jugement. Un jour, il fut abordé en ma présence par un protestant, à qui il remit une médaille. Monsieur le Curé, lui dit le protestant, vous venez de donner une médaille à un hérétique, de votre point de vue. Mais j'espère bien que malgré la différence de religion, nous serons réunis là-haut. - Oh! mon bon ami, lui répondit le Curé d'Ars, en lui prenant affectueusement les deux mains, pour nous réunir au Ciel, il faut commencer par nous réunir sur la terre. - Mais, Monsieur le Curé, quand on a foi au Christ, on est bien également à son service! - Oh! mon ami, il ne suffit pas de le servir à sa tête; mais il faut le servir de la manière dont lui-même veut être servi.

Je certifie que Monsieur Vianney, au milieu des choses merveilleuses qui s'accomplissaient autour de lui, en voyant la foule le suivre avec un respectueux empressement et se prosterner à ses genoux, conservait toujours les sentiments de la plus profonde humilité et qu'il rapportait tout à Dieu.

(170) Il me racontait qu'un prêtre lui demandait un jour s'il n'était pas tenté d'orgueil, au milieu de tant de témoignages de la vénération publique. Oh! mon ami, lui dit-il, si seulement je n'étais pas tenté de désespoir...

Lorsqu'il recevait quelque lettre où il y avait quelques éloges à son égard, il me disait souvent: "Pauvre hypocrite! Si l'on me connaissait..." Il s'oubliait complètement lui-même et lorsqu'on lui adressait quelques paroles flatteuses, il en éprouvait immédiatement une véritable confusion, qui se manifestait dans tous ses traits et souvent par des paroles qui exprimaient toute sa peine; il ne pouvait pas comprendre qu'on eût pour lui la moindre estime et le moindre respect. Il m'a raconté un jour que lorsqu'il était venu à Ars, il craignait de ne pas rencontrer un prêtre qui voulût se charger de la direction de son âme, car il se regardait somme le plus grand des pécheurs.

Le Serviteur de Dieu n'a jamais souffert, sous aucun prétexte, que l'on prît son portrait. Aucune des industries qu'on a pu employer à cet égard, aucun motif de charité ou de déférence aux désirs de son Évêque n'ont pu vaincre sur ce point ses répugnances. L'une des grandes contrariétés qu'il a éprouvées a été de voir son portrait étalé et vendu dans sa paroisse d'Ars; il en était profondément humilié, en détournait les yeux lorsqu'il le rencontrait sur son passage. N'ayant pu empêcher cette vente, il s'en moquait agréablement en appelant ces portraits son carnaval. Un artiste d'Avignon ayant réussi à représenter assez bien ses traits, cette nouvelle image se vendait à un prix assez élevé. Voyez, disait-il à ce sujet, on me vend, on me pend; mais on connaît bien le prix de chaque chose. Quand on me vendait deux liards, un sou, tout le monde m'achetait; à présent qu'on me vend un franc, deux francs, personne n'en veut plus. Je dois déclarer, en déposant sur l'humilité de Monsieur Vianney, que toutes les circonstances de sa vie 171 que j'ai pu connaître par lui-même, je n'ai pu les (s)avoir qu'en employant mille petits pièges, dans lesquels sa simplicité et sa naïveté, le faisait tomber à son insu. A la fin, il s'en est aperçu et il disait de moi à ce sujet, à une personne qui m'a rapporté le propos: "Ce bon missionnaire finira bien par savoir toute ma vie."




10173 (173) Session 11 - 4 Décembre 1862 à 8h du matin



Le Témoin continue-à répondre au dix-huitième Interrogatoire.

Sur l'humilité, j'ai encore à dire qu'il aimait à citer une circonstance de la vie de saint Macaire. Le diable, disait-il, lui apparut un jour armé d'un fouet comme pour le battre et il lui dit: Tout ce que tu fais, je le fais: tu jeûnes, moi je ne mange jamais; tu veilles, moi je ne dors jamais. Il n'y a qu'une chose que tu fais et que je ne puis faire. - Eh! quoi donc? - M'humilier, répondit le diable, et il disparut. Il disait souvent que l'humilité est aux vertus ce que la chaîne est au chapelet: ôtez la chaîne, et tous les grains s'en vont; ôtez l’humilité, et toutes les vertus disparaissent. Il savait que les humiliations sont le moyen le plus sûr d'acquérir l'humilité; aussi se réjouissait-il d'être humilié. J'ai appris d'une manière certaine qu'un curé lui avait écrit une lettre dans laquelle il lui disait: Quand on a aussi peu de théologie que vous, on ne devrait jamais entrer dans un confessionnal. Le Serviteur de Dieu, loin de se fâcher, éprouva une grande joie et répondit aussitôt à ce confrère: Vous êtes le seul qui me connaissez bien; aidez-moi donc à obtenir la grâce que je demande depuis si longtemps, de quitter un poste que je ne suis pas digne d'occuper, à cause de mon ignorance, et de me retirer dans un petit coin pour y pleurer ma pauvre vie. Monseigneur Devie, inquiété par les dénonciations qui lui arrivaient sans cesse, vint à Ars pour voir les choses par lui-même. Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'en cette circonstance, il espérait qu'on allait le chasser à coup de bâton. Comme Monseigneur Devie, loin de le retirer d'Ars, fut heureux de l'y laisser exercer son ministère, le Serviteur de Dieu dit: "Ils me connaissent bien, cependant ils me laissent comme un petit chien à l'attache." Beaucoup de personnes distinguées venaient lui rendre visite; il était loin de s'en enorgueillir. Après une visite du Père Lacordaire, il dit en chaire, comme je l'ai appris de témoins bien informés: Mes frères, ce matin vous avez entendu l'extrême science; ce soir, vous allez entendre l'extrême ignorance. 175

Monseigneur Chalandon le nomma chanoine d'honneur de la cathédrale de Belley et lui porta lui-même le camail. Le Serviteur de Dieu fut très ennuyé de le recevoir et d'être obligé d'assister à l'autel son évêque avec le camail sur les épaules. Ce camail lui semblait être un lourd fardeau, et il se hâta de s'en décharger en sortant de l'église; il le vendit à une personne d'Ars cinquante francs pour ses bonnes oeuvres. Je lui disais: Monseigneur vous a fait un grand honneur: vous êtes le seul chanoine qu'il ait nommé jusqu'à présent. - Il a eu si mauvaise main, répondit-il, qu'il n'a pas osé y revenir.

Sur la proposition des autorités civiles du département, il fut nommé à son insu chevalier de la légion d'honneur. Monsieur le Préfet vint à Ars pour féliciter le bon Curé; en s'approchant de lui, il lui dit: Monsieur le Curé, je vous félicite de la distinction qui vous est accordée. - Monsieur le Préfet, répondit en ma présence le Serviteur de Dieu, portez votre croix à de plus dignes. - Ce serait difficile, répliqua le Préfet, d'en trouver de plus digne que vous. Si l'Empereur vous a donné la croix, ce n'est pas pour vous honorer, mais pour honorer la croix. - Je prierai Dieu de vous conserver au département, afin que longtemps vous lui soyez utile par vos conseils et vos exemples. Et, disant ces mots, il remit à Monsieur le Préfet une médaille de la Sainte Vierge, le salua et se rendit au confessionnal. Quelque temps après, la croix lui fut envoyée par Monseigneur Chalandon, en sa qualité de chevalier. Elle était renfermée dans un étui scellé des armes de l'Empereur. Je la reçus moi-même, et la portai à M. le Curé dans sa chambre. 176 Tenez, Monsieur le Curé, lui dis-je, ce sont probablement des reliques que l'on vous envoie. Il ouvrit l'écrin, sans remarquer le sceau; ayant aperçu la croix, il s'écria: Hélas! ce n'est que ça..., et il me la remit aussitôt en disant: Tenez, mon ami, ayez autant de plaisir en la recevant, que moi en vous la donnant.

En faisant allusion au camail et à la croix, je lui dis un jour: Toutes les puissances de la terre vous décorent; Dieu ne manquera pas de vous décorer au Ciel. - C'est bien, me répondit-il, ce qui me fait peur: quand la mort viendra et que je me présenterai avec ces bagatelles dans les mains, Dieu me dira: Va-t'en, tu as reçu ta récompense.



Interrogé sur la vertu de chasteté, le témoin répond:

Je sais qu'il était très réservé avec les femmes; il ne leur parlait qu'autant que l'exigeaient les besoins de leur âme. Jamais il ne s'asseyait devant elles; jamais avec elles il n'avait de conversations inutiles; il n'avait point de servante et les personnes qui quelquefois s'occupaient de l'arrangement intérieur du presbytère ne s'y trouvaient que pendant son absence. Sa réputation à ce sujet était tellement établie, qu'elle n'eut rien à souffrir lorsqu'on voulut le calomnier.



J'affirme que je n'ai jamais rien vu, ni rien entendu de contraire aux vertus sur lesquelles je viens de déposer, et qu'il les a pratiquées jusqu'à la mort.



Sur le dix-neuvième Interrogatoire, le témoin répond comme il suit:

Je sais que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus sur lesquelles je viens de déposer à un degré héroïque; j'entends par degré héroïque un degré supérieur à l'état des chrétiens qui remplissent exactement leurs devoirs et leurs obligations. La déposition que j'ai faite sur les vertus théologales, cardinales et leurs annexes prouve que ces vertus ont été pratiquées à un degré élevé d'héroïcité;

(177) je m'en rapporte aux indices et aux preuves que j'ai données. Je déclare que le Serviteur de Dieu a persévéré dans l'exercice héroïque de ces vertus jusqu'à sa mort, et qu'il n'est point à ma connaissance qu'il se soit jamais relâché de sa ferveur ordinaire.



Interrogé sur le vingtième Interrogatoire, le témoin répond comme il suit:

Je sais que le Serviteur de Dieu avait reçu le don des larmes; il pleurait au confessionnal, en chaire, en disant la Sainte Messe, quand il parlait de l'amour de Dieu et du triste sort des pécheurs, et j'ai été témoin de cela, tous les jours pendant six ans. J'ai entendu dire à beaucoup de personnes dignes de foi qu'il avait lu au fond de leur coeur sans les connaître et leur avait parlé de leurs dispositions intérieures avant qu'elles en eussent parlé elles-mêmes. En ma présence, dans la cour du presbytère, et en présence d'un autre ecclésiastique, il dit à un jeune homme qu'il voyait pour la première fois: Mon ami, vous voulez vous faire capucin. Ce jeune homme, étonné, rougit à l'instant; il y avait six ans que ce désir était dans son coeur sans qu'il l'eût fait connaître à personne; il est maintenant capucin à Marseille. Un matin à six heures, en entrant à l'église, il trouva une jeune fille qu'il n'avait jamais vue: Mon enfant, partez vite, on vous attend chez vous. Cette jeune fille, qui avait commencé sa confession, demanda à son confesseur ce qu'elle devait faire; il l'engagea à partir et à lui écrire quand elle serait arrivée. Il reçut en effet une lettre, dans laquelle elle lui annonçait que sa soeur était morte à quatre heures du matin, le jour où Monsieur le Curé d'Ars lui avait dit de partir. Pendant la maladie de ma belle-soeur, qui était à Seyssel, je lui demandais si elle guérirait; il ne voulut rien me répondre; 178 mais le Dimanche, il me pressa de partir; je la trouvai morte à mon arrivée. J'appris à mon retour qu'il avait aux vêpres dit le chapelet pour une personne qui était entre la vie et la mort. En l’abordant, je lui dis: Mon père, j'ai trouvé ma belle-soeur morte; il me répondit: Je le pensais bien. Quelques années auparavant, sur le point d'aller à Seyssel, à l'époque où le choléra y sévissait, je lui avais dit: Monsieur le Curé, reverrai-je ma mère? - Oui, mon ami, répondit-il sans la moindre hésitation. Cette chère mère avait échappé à quinze heures de crampe. Un homme avait amené à Ars sa servante, qui était un peu sourde, pour obtenir sa guérison; il entre avec elle dans l'église, la laisse au bas de la nef, près de la porte; il va lui-même à la sacristie, s'adresse à Monsieur le Curé et il lui demande s'il peut guérir sa servante. Monsieur le Curé, qui n'avait jamais vu cette fille, lui répondit: Ah! oui, Marie, l'appelant par son nom. Je la vois dans le choeur... (Elle-était en effet derrière l'autel, près d'un confessionnal, dans une place que Monsieur le Curé ne pouvait pas voir.) Étonné de l'entendre nommer sa servante par son nom, cet homme pensa que le Serviteur de Dieu s'était au moins trompé sur la place qu'elle occupait, puisqu'il l'avait laissée à la porte de l'église; il sortit pour s'en assurer et, ne la trouvant ni au bas de l'église, ni dehors, il vint au choeur et la trouva en effet derrière l'autel, à son grand étonnement. Je lui demandai de consigner ce fait sur un registre, avec sa signature, ce qu'il fit très volontiers. Cet homme était un incrédule; je lui demandai comment il expliquait ce fait; il me répondit: Je n'en sais rien. Je ne sais pas si c'est par le magnétisme. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'a pas les yeux comme les autres.

Un jour, il a dit à une femme, qui était à ses pieds: 179 C'est donc vous qui avez quitté votre mari, l'avez laissé à l'hôpital et ne voulez pas le rejoindre... – Qui vous a dit cela, mon Père? Je ne l'ai dit à personne. – J’étais plus étonné qu'elle, dit Monsieur Vianney, en ma présence et en celle des Frères Athanase et Jérôme, je croyais qu'elle me l'avait dit.

J'ai entendu dire à des personnes dignes de foi qu'il leur avait annoncé des choses, qui leur étaient arrivées plus tard.

Il m'a dit qu'il avait vu une nuit auprès de son lit comme une personne habillée de blanc, qui lui parlait à voix basse comme un confesseur. Malgré mes questions, je n'ai pu en savoir davantage. Un jour qu'il me donnait de l'argent pour la fondation d'une mission, je lui dis: Mon Père, la terre vous donne sa graisse, comme le Ciel sa grâce. - On a bien besoin de la grâce, me répondit-il; c'est comme cette nuit, j'étais très accablé, je ne dormais pas, je pleurais ma pauvre vie. Tout à coup, j'ai entendu une voix qui me disait: "In te Domine speravi, non confundar in aeternum". Je regardais autour de moi et je n'ai rien vu. La même voix répéta ces mêmes paroles d'une manière plus distincte. Je me suis levé, j'ai allumé ma chandelle, et en ouvrant mon bréviaire, mes yeux sont tombés sur ce même passage, et j'ai été bien consolé.

Un jeune homme de Cébazat, près de Clermont en Auvergne, nommé Charles Blazé, privé de l'usage de ses jambes depuis trois ans et obligé de garder le lit, vint à Ars avec ses béquilles. Monsieur le Curé l'engagea à faire une neuvaine à Ste Philomène, à laquelle il s'unirait. A la fin de la neuvaine, le jour de l'Assomption, il alla trouver Monsieur Vianney à la sacristie, et lui demanda s'il fallait quitter ses béquilles: Êtes-vous assez fort pour les quitter? - Si je ne suis pas assez fort, Ste Philomène l'est pour moi. - Monsieur Vianney sourit. Le jeune homme alla prier à genoux devant le Saint Sacrement et fut subitement guéri. 180 Il se leva et alla déposer ses béquilles à la chapelle de Ste Philomène. Une attestation par écrit de l'état du jeune homme avant la guérison, et de la persévérance de la guérison, m'a été délivrée par le curé de Cébazat; je l'ai vu moi-même cette année en parfait état de santé.

Je vis à la sacristie un père avec son fils; le père montrait à Monsieur Vianney le nez de son enfant. Quand ils furent sortis, je demandai à Monsieur le Curé pourquoi le père lui montrait ainsi le nez de son fils. Il me répondit: Voyez comme Dieu est bon! Comme il récompense la foi de ces braves gens! Cet enfant avait une loupe au nez, qu'on n'avait pu faire disparaître malgré tous les remèdes. Le père me l'a amené il y a quelque temps, et m'a dit de toucher cette loupe, comme si mon doigt pouvait faire quelque chose. Je l'ai touché, pour lui faire plaisir. La loupe a diminué peu à peu, a fini par disparaître, et il me montrait tout à l'heure la place.

Le Curé de St Jean de Belleville, dans la Tarentaise, avait une servante, atteinte d'une phtisie pulmonaire parfaitement caractérisée, et à laquelle les médecins ne voyaient plus de remède; il m'écrivit pour la recommander aux prières du Serviteur de Dieu; je le fis et lui envoyai une médaille bénite par lui. On commença une neuvaine à Ste Philomène; le second jour, la servante se trouva mieux et le dixième tous les symptômes du mal avaient disparu. Monsieur le r Curé de St Jean étant venu à Ars en action de grâces a certifié le fait sur un registre.

Au mois d'Août dix-huit cent cinquante-six, une religieuse de Saint Joseph, de l'Ardèche, avait une extinction complète de voix, depuis près de cinq mois; 181 elle vint en pèlerinage à Ars, et après la communion, elle fut subitement guérie. J'ai vu ce fait, qui est attesté par des certificats.

Madame Daumas de Marseille était atteinte d'une maladie de la moelle épinière qui lui rendait la marche impossible; elle partit pour aller prendre les eaux de Vichy; chemin faisant, elle eut la pensée de venir à Ars, où elle fut portée sur une chaise longue. Monsieur le Curé d'Ars l'engagea à faire une neuvaine à Ste Philomène; il pria de son côté, et elle fut complètement guérie. A son retour, son mari fut singulièrement étonné, lorsqu'elle l'engagea à l'accompagner à Notre Dame de la Garde, pèlerinage qu'elle fit à pied. Madame Daumas, encore vivante, a certifié le fait par écrit, avec plusieurs autres personnes.

J'ai parlé ailleurs de la multiplication du blé et de la pâte.

J'ai vu deux filles de Cette, qui étaient venues malades à Ars (et) ont été subitement guéries; l'une ne pouvait pas marcher, et l'autre ne marchait qu'avec des béquilles. La guérison de la première a persévéré, la seconde est retombée malade.

Melle Zoé Pradel de la Pallud (vaucluse) m'a attesté qu'elle, avait été subitement guérie à Ars.

J'ai vu encore un grand nombre de faits extraordinaires se produire à Ars.

Il avait un don merveilleux pour consoler les affligés et de convertir les pécheurs. Il y a eu à Ars beaucoup de conversions extraordinaires.

Je ne doute en aucune manière de la vérité des faits sur lesquels je viens de déposer.

Le Serviteur de Dieu ne croyait pas facilement aux choses extraordinaires. Il n'était point homme d'imagination et avait un jugement très solide.


10182 182 Au vingt (et) unième Interrogatoire, le témoin répond:

Il n'est pas à ma connaissance que le Serviteur de Dieu ait écrit quelques livres, quelque traité, quelque opuscule. Il a composé des sermons et écrit des lettres. Je ne sais où se trouvent ses sermons; quant aux lettres, elles sont entre les mains de ceux à qui il les a adressées. Elles n'ont fait que confirmer sa réputation de sainteté.



Sur le vingt-deuxième Interrogatoire, le témoin répond:

Je sais que le Serviteur de Dieu est mort à Ars, le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf, d'épuisement. Au commencement de sa maladie, qui n'a duré que cinq jours, il me dit que sa fin était arrivée. Je lui répondis que Ste Philomène, qui l'avait déjà guéri une fois, le guérirait encore. - Non, mon ami, cette fois, elle n'y fera rien. Tout le temps, il a montré une grande foi, un grand calme et une grande patience; lui qui avait tant redouté la mort pendant sa vie la voyait venir avec joie. Je ne sais s'il a demandé lui-même les sacrements; je sais qu'il a reçu les sacrements de pénitence, d'Eucharistie et d'extrême onction, l'avant-veille de sa mort. La nuit où il mourut, j'étais à côté de son lit; il me fit observer qu'il n'avait pas encore reçu l'indulgence plénière; je m'empressai de lui accorder cette faveur, qu'il reçut avec de grands sentiments de foi. Vers les deux heures du matin, il rendit son âme à Dieu, pendant qu'on récitait les prières des agonisants. Sa mort fut sainte, comme l'avait été sa vie.

L'avant-veille de sa mort, je lui exprimais mes craintes relativement au projet de la construction de l'église d'Ars: 183 Mon Père, lui disais-je, puisque le gouvernement a refusé d'autoriser la loterie, et que Dieu vous retire de ce monde, c'en est fait. - Il me répondit: Courage! Vous en avez pour trois ans. Depuis, la loterie a été autorisée par le gouvernement, et l'église se construit; elle est déjà très avancée.




10185 185 Session 12-4 Décembre 1862 à 2h1/2 de l'après-midi



Le Témoin continue à répondre sur le vingt-deuxième Interrogatoire, comme il suit:

Ce qui contribua à affaiblir considérablement les forces du Serviteur de Dieu, fut la température excessivement chaude du mois de Juillet dix-huit cent cinquante-neuf. On ne pouvait entrer dans l'église d'Ars, échauffée jour et nuit per un concours immense, sans être suffoqué. Les personnes qui attendaient pour se confesser, sortaient à chaque instant pour respirer. 186 Lui cependant ne quittait pas son poste. Il souffrait le martyre. Le Vendredi vingt-neuf Juillet, il travailla toute la journée comme à l'ordinaire et rentra exténué au presbytère; ce fut sa dernière journée de travail; il se coucha le soir pour ne plus se relever. Il condescendit alors à tous les soins qu'il avait jusque là repoussés. On aurait peine à se figurer la désolation qui se répandit sur les paroissiens et sur les pèlerins. On se mit en prière; on alla même en pèlerinage à Fourvières, pour demander sa guérison. Monseigneur de Langalerie, ayant appris sa maladie, accourut à Ars. Le Serviteur de Dieu le reconnut, lui sourit, baisa amoureusement sa croix, reçut pieusement sa bénédiction et put à peine lui dire quelques mots, tant il était fatigué; il mourut la nuit même.



Sur l'interrogatoire vingt-troisième:

Je sais que dès que la nouvelle de la mort se fut répandue, on se précipita vers le presbytère, pour voir et vénérer une dernière fois le Serviteur dei Dieu. Le corps fut placé au rez-de-chaussée, dans une salle ornée de modestes tentures. Le Jeudi dès le point du jour, et pendant deux jours et deux nuits, on accourut de tous les points de la France, à mesure que la fatale nouvelle y pénétrait. On avait fermé les objets qui avaient appartenu à Monsieur Vianney et cependant il y eut à regretter, çà et là, quelques pieux larcins. Deux frères de la Ste Famille de Belley protégeaient le corps des contacts trop immédiats de la foule. Leurs bras se lassaient de faire toucher à ses mains accoutumées à bénir, des médailles, des chapelets, des croix, des livres, des images en quantité innombrable. On avait renvoyé le jour de la sépulture, afin de faciliter aux fidèles l'assistance aux funérailles. Elles eurent lieu le samedi six Août, au milieu d'un immense concours. 187 L'Évêque de Belley les présida; il s'y trouva de six à sept mille personnes; un nombre considérable des prêtres, de religieux et de religieuses.



Sur le vingt-quatrième Interrogatoire, le témoin répond:

Le corps du Serviteur de Dieu, placé dans un cercueil en plomb recouvert d'un cercueil de chêne, fut déposé au milieu de l'église d'Ars, dans un caveau fait exprès, formé d'une pierre tumulaire sur laquelle se trouvent gravés simplement ces mots: Jean Marie Baptiste Vianney, Curé d'Ars.

La réputation de sainteté du Serviteur de Dieu a continué depuis sa mort à attirer auprès de son tombeau près de trente mille pèlerins par année, pour solliciter par son intercession des grâces spirituelles et temporelles.

On a eu soin de faire disparaître tout ce qui, de la part des fidèles, indiquerait un culte public, et moi-même j'ai veillé à ce qu'il n'y eût jamais rien de contraire aux prescriptions de l'Eglise. On n'a jamais laissé sur le tombeau du Serviteur de Dieu que ce qui se trouve en France sur les tombeaux ordinaires.



Interrogé sur le vingt-cinquième Interrogatoire, le témoin répond comme il suit:

J'entends par renommée, l'opinion qu'un nombre considérable de personnes ont sur quelqu'un. Je sais que le Serviteur de Dieu avait une grande réputation de sainteté; cette réputation venait de personnes graves, prudentes, instruites, et aussi des personnes du peuple, et cela je le sais par moi-même. Je sais aussi que cette réputation ne régnait pas seulement à Ars, mais qu'elle s'était étendue à toute la France, à l'Angleterre, en Belgique, en Italie, à l'Amérique et jusqu'aux Indes Orientales; je le sais par les rapports que j'ai eus avec les pèlerins de tous ces pays. 188 Cette réputation est allée sans cesse en s'augmentant jusqu'à la mort du Serviteur de Dieu, et depuis elle n'a point diminué; il est même, plus généralement connu que pendant sa vie. Je ne sais pas que l'on ait écrit, parlé ou agi contre cette réputation de sainteté, excepté ce que je dirai à l'Interrogatoire suivant. Ma conviction est que cette réputation est parfaitement fondée. On recherchait sa signature, on voulait avoir quelque chose qui lui eût appartenu; on lui changeait ses surplis; on coupait des morceaux de sa ceinture, de sa soutane, des mèches de ses cheveux; on se disputait les objets qui avaient été à son usage ou qu'il avait simplement touchés.



Sur l'Interrogatoire vingt-sixième, le témoin répond:

Au commencement du ministère du Serviteur de Dieu à Ars, il eut des personnes qui le blâmèrent, quelques unes qui le calomnièrent; mais quelques années plus tard, sa réputation de sainteté fut tellement affermie qu'elle était acceptée de tout le monde et que personne n'ait osé l'attaquer.

Les mauvais journaux eux-mêmes la respectent.

Aussi les habitants de Dardilly, sa paroisse natale, jetaient-ils des regards de convoitise sur le trésor que possédait la paroisse d'Ars et songeaient-ils à s'emparer de son corps après sa mort. On fut obligé de recourir au Serviteur de Dieu, qui mit dans son testament qu'il donnait son corps à la paroisse d'Ars. Il agit ainsi sur les instances de son Évêque, tenant fort peu, du reste, au lieu où son corps serait déposé. Quand le Notaire lut cette clause du testament, il dit: Je ne leur donne pas grande chose.



Sur le vingt-septième Interrogatoire, le témoin répond:

Je connais plusieurs faits que l'on regarde comme miraculeux. Un enfant de Saint-Laurent-les-Macon, diocèse de Belley, était complètement paralysé, prenait des crises nombreuses et avait perdu l'usage de la voix. 189 Il fut porté à Ars par sa mère, et présenté à Monseigneur, qui s'y trouvait, par le Curé de Saint Laurent. Monseigneur engagea la pauvre mère à faire une neuvaine et à demander la guérison de son enfant par l'intercession du Curé d'Ars. Les prières furent commencées, l'enfant alla d'abord mieux, puis guérit complètement en peu de jours. Le père, qui n'était point religieux, en fut si frappé, qu'il vint à Ars pour se confesser, et est devenu depuis un excellent chrétien.

La soeur Calamand, supérieure de la maison de Saint Vincent de Paul, Rue Doyenné, numéro deux, à Lyon, avait une petite orpheline dont le bras était ankylosé; elle plaça sur l'ankylose un cordon de soulier du Serviteur de Dieu et fit une neuvaine. L'enfant fut radicalement guérie.

La supérieure de l'hôpital du Havre avait au ventre une tumeur jugée incurable par les médecins; elle appliqua sur la tumeur une image du Curé d'Ars, en l'invoquant, et fut à l'instant guérie. Je tiens ce fait d'une des religieuses de l'hôpital, et de monsieur Doudiet, peintre à Paris, rue de Surennes, qui se trouvait alors à l'hôpital du Havre.

La Supérieure des Dames Auxiliatrices des âmes du purgatoire à Paris, Rue Barouillière, seize, m'a assuré qu'une de ses soeurs, atteinte d'une grave maladie au larynx, a été guérie en faisant une neuvaine au Curé d'Ars. - La Supérieure des Dames de la Miséricorde de Besançon m'a présenté une de ses religieuses, que j'ai interrogée moi-même; elle avait le bras paralysé et elle avait été guérie en faisant une neuvaine au Curé d'Ars.

Un Curé du diocèse de Moulins est venu à Ars en action de grâces avec un enfant qui avait une foule d'infirmités graves résultant des privations qu'il avait éprouvées; 190 il avait été guéri subitement en invoquant Monsieur Vianney. Ce fait a été consigné sur un registre et signé par le Curé et l'enfant.

Un prêtre du diocèse de Limoges, professeur au collège Saint-Martial, a obtenu la guérison subite de sa. soeur en faisant voeu à son insu de faire le pèlerinage d'Ars. Elle avait des crampes d'estomac très violentes, qui avaient résisté à tous les remèdes. Il a attesté ce fait sur un registre.

Une soeur des pauvres de Bordeaux, très dangereusement malade, a été subitement guérie en invoquant le Curé d'Ars.

Les soeurs de Sainte Claire de Lyon, Rue Sala, ont amené à Ars une jeune fille de treize à quatorze ans, qui était sourde et muette et qui a commencé à entendre et à parler après avoir invoqué le curé d'Ars.

La Supérieure des soeurs de Sainte Claire m'a dit qu'elle avait été guérie en invoquant le Curé d'Ars.

Une fille de la Savoie, qui ne voyait pas depuis deux mois, a été guérie en invoquant le Curé d'Ars.



Sur le vingt-huitième Interrogatoire, le témoin répond qu'il n'a rien à ajouter pour le moment à la déposition qu'il vient de faire.



Completo examine super Interrogatoriis deventum fuit ad examen super articulis.

Propositoque primo Articulo testis respondit:

Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai déposé.

Au deuxième Article, le témoin répond: J'ai dit tout ce que j'avais à dire.

Sur le troisième Article, le témoin répond qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'il a répondu.

Sur le quatrième Article, le témoin répond qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'il a déposé.

Comme on continuait la lecture des articles, le témoin a déclaré plusieurs fois qu'il était inutile de l'interroger davantage sur les articles: J'ai dit tout ce que je savais dans mes réponses aux Interrogatoires.



191 Sic completo examine integra depositio perlecta fuit a me Notario a principio usque ad finem testi supradicto alta et intelligi-bili voce qua per ipsum bene audita, et intellecta respondit se in eamdem perseverare et illam confirmavit.








Ars Procès informatif 262