Ars Procès informatif 1473

id. – 2ème déposition – 16 août 1864

1473 (1473) Session 163 - 16 août 1864 à 8h du matin

(1474) Et quoniam praedictus testis iterum vocatus fuit ad explicanda quaedam facta, verbi gratia, secundam fugam, etc., statim interrogatus super Interrogatorio decimo sexto, super quo ei lecto, respondit :

Le samedi trois septembre mil huit cent cinquante-trois, j’arrivai à Ars conduit par Mr Poncet, Vicaire Général, qui devait m’installer, comme missionnaire auxiliaire, près du Serviteur de Dieu. Il m’accueillit avec sa bonté ordinaire. Je remarquai cependant en lui un air soucieux. Le lendemain, dimanche soir, le Frère Athanase me prévint que Mr le Curé se disposait à partir dans la nuit. Je lui dis de m’avertir si réellement il venait à partir. Au milieu de la nuit, le Frère Athanase frappe à ma porte et me dit: “Mr le Curé part.” Je me lève à l’instant, et nous apercevons Mr le Curé sortir de sa chambre avec son chapeau et son bréviaire, se diriger vers la maison de Catherine Lassagne. Nous nous effaçons pour n’être pas reconnus. Lorsqu’il veut sortir, le Frère Athanase, le Frère Jérôme et moi, nous apparaissons et nous faisons nos efforts pour empêcher son départ. Voyant que nous n’obtenons rien, nous nous mîmes à le suivre. Il se dirigea du côté de Juy, escorté de la foule des pèlerins qui avait passé la nuit sous le clocher, et de quelques habitants de la paroisse. Arrivé vers la planche, qui est aujourd’hui remplacée par un pont, j’essayai de lui barrer le passage. Comme il persévérait dans sa résolution, j’eus la pensée de lui soustraire son bréviaire, afin de le forcer à la retraite. Il se borna à me dire tranquillement qu’il réciterait son office à Lyon. “Eh! quoi, Mr le Curé, vous passerez une journée entière sans dire votre bréviaire? - J’ai bien un autre bréviaire chez moi qui a appartenu à Mgr Devie. - Eh! bien, Mr le Curé, nous allons le chercher.” Il ne pouvait être question de celui que je lui avais soustrait; une personne de la foule, sur mon ordre, l’avait emporté. Le voilà qui consent à revenir sur ses pas: c’était plus que je n’avais espéré.



(1475) Nous dépassions la croix qui est au bas du village, lorsque les premiers coups du tocsin se firent entendre. “Déjà l’angélus, lui dis-je ?” Nous tombâmes à genoux avec lui et il le récita à haute voix. Pour gagner du temps: “Si on ajoutait une dizaine de chapelet pour votre heureux voyage ? - Non, non, je dirai bien mon chapelet en route.”



A mesure qu’on approchait de l’église, la foule grossissait. Il arrive à la cure, et monte dans sa chambre. J’y entre sur ses pas et y reste seul avec lui, ayant l’air de chercher dans sa bibliothèque le livre dont il avait besoin, mais brouillant et mêlant tout à plaisir, afin qu’il ne pût se reconnaître. Tout à coup, mes yeux rencontrent le portrait de Mgr Devie, suspendu à la muraille. Je l’interpelle brusquement: “Mr le Curé, voyez Mgr Devie ! Je suis sûr qu’en ce moment il vous fait de gros yeux ! On doit respecter la volonté d’un évêque pendant sa vie, à plus forte raison après sa mort...Souvenez-vous de ce qu’il vous a dit, il y a dix ans. - Oh! non, il ne me grondera (pas) Mgr. Il sait bien que j’ai de bonnes raisons.”



En sortant de sa chambre, il rencontre sur le pallier Mr le Comte des Garets, qui lui fait d’inutiles observations. Mr Vianney avait beaucoup de peine à se frayer un passage à travers la foule qui remplissait la cour. On refusa de lui ouvrir la porte qui donnait sur la rue. Il chercha une autre issue qu’on tenait encore fermée. Il allait ainsi d’une porte à l’autre sans se fâcher, attendri et déconcerté. Enfin on cède à ses instances; la porte du côté de l’église s’ouvre. Le moment me paraît favorable pour tenter un dernier effort. “Vous, Mr le Curé, qui connaissez si bien la vie des saints, oubliez-vous le zèle persévérant et généreux de St Martin, qui, la main déjà sur la couronne s’écriait : Non recuso laborem… » ? Et vous quitteriez le champ de bataille!...Oubliez-vous ces paroles de St Philippe de Néri : « Je serais déjà à la porte du paradis, que si un pécheur réclamait le secours de mon ministère, je laisserais toute la cour céleste pour l’entendre. » ? Et vous, Mr le Curé, vous auriez le courage de laisser inachevées les confessions de ces pauvres pèlerins venus de si loin ? Ne répondrez-vous pas de leur âme devant Dieu ? »



Ces paroles trouvaient de l’écho dans la foule des paroissiens et des étrangers qui tombaient à ses genoux (1476) en lui disant avec des sanglots à fendre le coeur: « Oui, mon Père, laissez-nous finir notre confession. Ne vous en allez pas sans nous entendre. » C’est ainsi qu’on le porta plutôt qu’on ne le suivit, dans l’église où il se rendit bientôt à son confessionnal.



Au milieu de ses contrariétés, j’ai admiré sa douceur et sa patience. Je l’ai vu simplement ému et déconcerté, comme un homme qui ne peut réussir dans un projet longuement médité et arrêté à l’avance.



Je n’ai pu connaître par Mr le Curé lui-même le véritable motif de son départ. Ma conviction est que dans cette circonstance, comme précédemment, il cédait au besoin qu’il éprouva toujours de se retirer dans la solitude, pour y pleurer, disait-il, sa pauvre vie. L’arrivée des missionnaires lui parut sans doute le moment favorable de réaliser son projet. Ce qui me porte à le croire, c’est que quelques jours après, il me dit: « Je vais vous céder la cure et me retirer à la Providence. » Je me contentai de lui répondre: « Mr le Curé, plus vous travaillerez, plus nous travaillerons. » Pour toute réponse, il sourit agréablement.



Dans ma première déposition, j’ai dit que Mr Vianney avait été dispensé par son évêque de la récitation de son office. J’ai eu le bonheur de retrouver la lettre de Monseigneur. Voici à quelle occasion elle me fut adressée. Mr Vianney m’avait exprimé à différentes reprises qu’en rentrant chez lui le soir, il éprouvait les plus grandes difficultés à réciter son bréviaire : “Ma tête s’embrouille”, disait-il. C’était le résultat de ses travaux excessifs pour le salut des âmes, et de l’épuisement de ses forces. Je crus devoir en prévenir Mgr qui me répondit par la lettre suivante :



Belley, le 19 Novembre 1855



Mon bon Ami,

J’apprends, avec une grande peine, l’état dans lequel se trouve la santé de notre bon Curé. Je lui défends de dire son bréviaire toutes les fois que vous ne le lui permettrez pas. Je le dirai en son nom comme au mien, et il offrira à Dieu ses souffrances dans mon intention.



Tout à vous



+ Georges Evêque de Belley.



J’ai donné au Serviteur de Dieu communication de cette lettre. Toutes les fois que j’usai de la faculté accordée par Mgr, j’ai admiré avec quelle docilité (1477) il se soumettait.



Mr Vianney ayant entendu parler de la piété des légendes que renferme le bréviaire romain, avait exprimé plusieurs fois devant moi le bonheur qu’il aurait de le dire. Dans mon voyage à Paris, j’achetai un bréviaire romain, avec l’intention de le lui offrir, me réservant de l’avoir à sa mort. Mr Martin, mon confrère, lui ayant fait observer que le bréviaire romain était plus long que celui du diocèse, qu’il avait déjà tant de peine à réciter, il lui paraissait mieux de ne pas changer. Le Serviteur de Dieu s’en tint à cette observation.



J’ai entendu dire par quelques personnes que Mr le Curé sortait de la grand-messe le dimanche, avant l’élévation, pour se donner la discipline. La pensée m’est venue plusieurs fois de me cacher au presbytère afin de vérifier le fait, mais je ne l’ai vu moi-même sortir que deux fois de l’église, pendant les six ans que je suis resté près de lui. J’attachai peu d’importance à ce fait, et je ne pris aucune mesure pour m’en rendre compte.



Deinde super Interrogatorio decimo octavo, respondit :



Mademoiselle Eugénie Smet de Loos près de Lille, diocèse de Cambrai, le deux novembre mil huit cent cinquante-trois, eut l’idée d’établir une association de prières pour les âmes du purgatoire. Pendant l’octave des morts, il lui vint la pensée qu’il y avait des Ordres pour tous les besoins de l’Eglise militante, et qu’il n’y en avait pas pour ceux de l’Eglise souffrante. Il lui sembla qu’elle était appelée à combler ce vide. Elle donna d’abord suite à la première pensée qui, avec l’approbation de l’Evêque et la bénédiction du Souverain Pontife, prit de rapides accroissements. La seconde pensée l’effrayait. Il y avait tant de difficultés à surmonter. Au milieu de ses peines, elle se souvint du Curé d’Ars et résolut de le consulter. Mlle Waymel fut chargée de lui parler du projet de fonder un Ordre religieux. Mr Vianney répondit: “Quant à son Ordre pour les âmes du purgatoire, elle l’établira quand elle le voudra.” C’était au mois d’août mil huit cent cinquante-cinq. Ne comprenant pas assez cette réponse, elle résolut de consulter de nouveau le Curé d’Ars. Mgr Chalandon me chargea d’être l’intermédiaire entre elle et le curé. Le trente octobre, elle suppliait le saint prêtre de méditer son projet le jour des morts. Je lui répondis le onze novembre: “A mon retour à Ars, le jour de la fête des morts, selon votre désir, j’ai exposé vos demandes à mon saint Curé, le priant de les méditer devant Dieu avant de me donner la réponse. Trois ou quatre (1478) fois depuis cette époque, je lui ai adressé les mêmes questions : toujours les mêmes réponses. Il pense que c’est Dieu qui vous a donné l’idée d’un si sublime dévouement, que vous ferez bien de fonder un Ordre dans l’intérêt des âmes du purgatoire. Mr le Curé vous parle-t-il par une inspiration divine, ou bien d’après son jugement propre et sa tendre compassion pour les âmes du purgatoire ? C’est là un mystère pour ceux qui l’entourent et vivent dans son intimité. Vous pouvez être sûre de deux choses : c’est qu’il approuve votre vocation à la vie religieuse, et la fondation de ce nouvel Ordre, qui, selon lui, prendra dans l’Eglise une rapide extension. »



La fondatrice, prévoyant des obstacles du côté de sa famille, recourait encore au Curé d’Ars, et le vingt-cinq du même mois, j’étais chargé de transmettre la réponse. Je lui disais entre autre: “A mon grand étonnement, lui qui d’ordinaire ne conseille pas aux jeunes personnes de contrarier leurs parents, mais d’attendre en patience leur consentement, n’a pas hésité pour vous. Il dit que les larmes que la tendresse naturelle fera verser à vos parents, seront bientôt taries. Ne craignez donc pas de vous laisser embraser par le Coeur de Jésus, foyer de l’Amour Divin. C’est lui qui saura lever tous les obstacles, et vous établir l’ange consolateur des âmes du purgatoire, ses épouses chéries. » La fondatrice, encouragée par de telles paroles, se mit résolument à l’oeuvre. Des difficultés de tous genres ne tardèrent pas à surgir. Elle voulut les exposer au Curé d’Ars, qui me fit répondre le quatre mai mil huit cent cinquante-six: “Mr le Curé sourit au récit de toutes vos épreuves, et il me fait la même réponse que j’ai transmise à une sainte veuve dévouée à des oeuvres de charité, en proie à toutes sortes de persécutions: “Dites-lui que ces croix sont des fleurs qui bientôt donneront leur fruit. Vous avez bien réfléchi avant de prendre votre détermination, vous avez prié, consulté, pesé d’avance par la pensée les sacrifices à faire: vous avez toutes les garanties possibles de faire la volonté de Dieu. Que vous manque-t-il maintenant? L’énergie que Dieu seul peut vous donner pour une oeuvre qui lui est si chère.” Mr le Curé m’a dit plusieurs fois, avec un accent de profonde conviction: “Cette communauté ne peut manquer de réussir. Seulement vous saurez, vous, ce qu’il vous en coûtera de sollicitude, de travail et de peines, pour consolider cette oeuvre.” Soutenue par ces paroles, la petite communauté redoubla ses prières. Peu de temps après, elle acheta la maison qu’elle occupe aujourd’hui à Paris. Depuis ce jour, l’oeuvre a grandi et prospéré. Les Dames Auxiliatrices des âmes du purgatoire remplissent complètement la devise (1479) qu’elles ont adoptée: “Prier, souffrir, agir pour les âmes du purgatoire.”



Deinde testis scripto exhibuit praesentem statum parochiae Ars, cujus tenorem registrari mandarunt Judices delegati in fine praesentis sessionis.



His peractis completum esse examen praedicti testis Dominationes suae Rmae decreverunt et per me Notarium Actuarium perlecta fuit eidem testi haec nova depositio, qua per ipsum bene audita et intellecta, illam in omnibus confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testis, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.



Ita pro veritate deposui.



Josephus Toccanier


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1481
(1481) Tenor relationis status parochiae Ars sic est:




Etat de la paroisse d’Ars et de son pèlerinage



Je soussigné, missionnaire, vicaire d’Ars, certifie qu’après un mûr examen des registres et autres pièces, il résulte:



1°- Que les voitures publiques faisant le service d’Ars à la gare de Villefranche ont transporté, pendant le cours de l’année mil huit cent soixante-trois, quatorze mille cinq cents personnes. Ce chiffre, comme on peut s’en convaincre, représente à peine la moitié des pèlerins. On peut donc évaluer de trente à trente-cinq mille le nombre des personnes qui sont venues (de tous pays comme pendant la vie) visiter le tombeau du Serviteur de Dieu.

Trois missionnaires et pendant l’été souvent quatre, sont presque continuellement occupés à entendre les confessions des fidèles.

Les seize retraites annuelles ont été constamment suivies.



2°- On a distribué pendant l’année mil huit cent soixante-trois, vingt mille petites hosties. La paroisse n’étant que de cinq cents, on évalue à quinze mille le nombre des pèlerins communiants.

3°- Près de trois cents cinquante prêtres étrangers, des diocèses les plus éloignés, ont célébré la Sainte Messe dans le sanctuaire d’Ars, comme l’indique le chiffre des grandes hosties qui est pour cette année de seize cents. Nous ne parlons pas ici de ceux qui ont passé sans avoir le temps de dire la Ste Messe.



4°- Les fidèles ont donné en moyenne, depuis mil huit cent soixante-(et)-un, douze mille Messes par an.



5°- Chaque jour, j’ai reçu en moyenne quatre à cinq lettres par lesquelles on demande des Messes, neuvaines de prières, images et médailles du Curé d’Ars.



Mes confrères les missionnaires, les Frères de la Ste Famille, les religieuses de St Joseph, établis à Ars par le Serviteur de Dieu, des personnes pieuses, reçoivent également des lettres pour le même objet. Depuis le commencement de l’année mil huit cent soixante-quatre, la situation du pèlerinage ci-dessus énoncée va même en s’améliorant.

(1482) Les mêmes registres et les mêmes pièces constatent que depuis la mort de Mr Jean-Marie-Baptiste Vianney, le nombre des pèlerins, des messes reçues et dites, des communions, etc . devient de plus en plus considérable.

Les archives du pèlerinage renferment environ soixante-dix relations de guérisons ou faveurs signalées.

Un registre contient jusqu’à la date de ce jour, soixante-cinq visites d’actions de grâces pour guérisons et grâces extraordinaires.

La confiance des fidèles et leur vénération et reconnaissance se manifeste chaque jour par des recommandations aux prières faites dans le sanctuaire qui renferme le tombeau du Serviteur de Dieu, par le nombre des couronnes déposées sur sa tombe, couronnes déposées à la cure et s’élevant à deux cents quarante, sans compter celles, plus fragiles, portées au cimetière. On conserve également au presbytère des tableaux et béquilles données par reconnaissance comme ex-voto.



6°- La vie du Curé d’Ars, imprimée d’abord en deux volumes à onze mille exemplaires, puis en une seconde édition également en deux volumes, - la vie en un seul volume, - un extrait de la vie intitulé: Esprit du Curé d’Ars, ont eu un succès de vente prodigieux, malgré le prix élevé.

La vie a été traduite en allemand, en anglais et en italien. Partout elle est reçue avec une grande faveur, comme j’ai pu m’en convaincre par ma correspondance et par la visite des pèlerins venus de tous ces pays.

J’estime à vingt-cinq mille le nombre d’exemplaires de la vie vendus jusqu’à ce jour, en trois ans.



7°- A la maison des missionnaires, on a distribué depuis la mort, plus de vingt mille portraits authentiques du Curé d’Ars, gravés par Devaux d’après Cabuchet, distribué plus de trois mille bustes d’après le même auteur. Plus de deux mille photographies représentant le Curé d’Ars mort, tirées par Dolard, d’après nature, les seules reconnues authentiques.

Les marchands d’Ars et d’ailleurs ont vendu un nombre prodigieux de médailles à son effigie d’un côté, et de l’autre à celle de sa Sainte bien-aimée, Ste Philomène, en cuivre, argent, même en or, de plusieurs mesures ou modèles.

Pendant la vie du Serviteur de Dieu, on comptait une (1483) soixantaine de portraits de différentes grandeurs et modèles, malgré la vente du véritable portrait et les efforts que nous avons faits pour diminuer le nombre de ces contrefaçons de tout genre. Il s’en écoule ici comme ailleurs une grande quantité.



8°- Le deux avril mil huit cent cinquante-neuf, quatre mois avant sa mort, le Curé d’Ars traçait de sa main, en tête d’une liste de souscription, ces lignes: “Je prierai le bon Dieu pour ceux qui m’aideront à bâtir une belle église à Ste Philomène.” Pour réaliser plus vite la somme nécessaire à la construction de cette église, on voulait une loterie. On a refusé, au Ministère, l’autorisation d’une loterie d’un capital non réalisé de cinquante mille francs (cent mille billets à cinquante centimes). La veille de sa mort, je dis à mon Curé: “Impossible de bâtir votre église, où trouver des ressources ? Le bon Dieu vous retire de ce monde et le gouvernement a refusé son concours. - Courage, mon bon ami, vous en avez pour trois ans.”



Fortifié par cette parole, j’ai cherché et trouvé à Paris d’une manière vraiment providentielle, un appui dans le gendre du ministre de l’intérieur, Billaut; avec son patronage, on a demandé et obtenu une loterie de deux cent mille billets à cinquante centimes, un délai pour le tirage de six mois, puis une émission supplémentaire de quarante mille billets. Les fidèles ont fourni quatre mille lots sur quatre mille huit cents, correspondant aux quatre mille huit cents séries de cinquante billets. En seize mois, les cent mille francs, prix du devis pour la construction du vaisseau nu du sanctuaire ont été réalisés, et tous les autres frais couverts.



Pour encourager les zélateurs et zélatrices qui plaçaient les billets et cherchaient des lots, on a promis le titre de fondateurs de l’église à ceux qui placeraient au moins mille billets, ou bien trouveraient cinq cents francs en dons. Or, sur la liste des fondateurs qui s’élèvent à plus de cent, on remarque des noms de personnes de tous les diocèses de France et même des pays étrangers, tel que de (1484) Pondichéry (Indes Orientales). Presque tous les lots ont été réclamés, parce que la vénération des fidèles s’attachait au plus petit souvenir d’Ars. Tout le monde convoitait la montre et le prie-Dieu donnés comme lots par le Curé d’Ars.



Le jour du tirage, premier mai mil huit cent soixante-deux, Monseigneur de Langalerie notre Evêque bénissait la première pierre du sanctuaire maintenant construit. Conservant la vieille église, on peut attendre que les sculptures et peintures soient faites intérieurement avant de le livrer au culte.



Ars, le 16 Août 1864



L’abbé Joseph Toccanier

missionnaire, vicaire d’Ars

TEMOIN II - ALIX HENRIETTE DE BELVEY – 13 janvier 1863

10193
(Tome I - p. 193 à 270)


Baronne de Belvey

(193) Session 13- 13 janvier 1863 à 9h du matin



(194) Au premier interrogatoire le témoin averti de la force et de la nature du serment dans les causes de Béatification et de Canonisation, a répondu :



Je connais parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire ; je dirai la vérité telle que je la connais.



Au second interrogatoire, le témoin a répondu :



Que ses prénoms étaient Alix Henriette de Belvey. Je suis née à Bourg le vingt deux avril mil huit cent-huit, de parents nobles et chrétiens, je ne suis pas mariée ; ma position de fortune est tout à fait convenable.



Au troisième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai le bonheur de m’approcher fréquemment des sacrements, et j’ai communié aujourd’hui même.



Au quatrième interrogatoire, le témoin répond :



Je n’ai jamais été poursuivie, accusée ou traduite devant les tribunaux.



Au cinquième interrogatoire, le témoin répond :



Je n’ai jamais encourue de censures ou de peines ecclésiastiques.



Au sixième interrogatoire, le témoin répond :



Personne, ni de vive voix, ni par écrit ne m’a inspiré ce que je devais déposer ou taire dans la présente cause ; je n’ai pas lu les articles rédigés par le Postulateur de la cause.



Le témoin a été prévenu que si les articles lui étaient remis et que s’il les lisait, il ne devait pas diriger ses réponses d’après leur contenu, mais qu’il ne devait dire que les choses qu’il avait vues ou entendues de témoins oculaires ou auriculaires . Il a dit qu’il agirait ainsi.



Au septième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai une grande vénération pour le serviteur de Dieu Jean-Marie (195) Baptiste Vianney ; je désire qu’il soit béatifié, mais en cela je ne suis mu par aucun motif humain, par aucune crainte, par aucune espérance et dans ma déposition je me propose uniquement de procurer la gloire de Dieu.



Au huitième interrogatoire, le témoin répond :





J’ai entendu dire à des personnes parfaitement informées et dignes de foi que le serviteur de Dieu était né à Dardilly, diocèse de Lyon, le huit Mai mil sept cent quatre-vingt-six, de parents remarquables par leur piété, et qu’il fut élevé très chrétiennement ; je ne sais rien de particulier sur son baptême et sa confirmation.



Au neuvième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai appris de personnes dignes de foi que pendant son enfance et sa jeunesse le Serviteur de Dieu s’était distingué par une piété fervente, qu’il avait beaucoup de goût pour la prière, et qu’il priait pendant son travail, lorsqu’il s’y rendait et revenait à la maison. J’ai entendu constamment faire l’éloge de ses moeurs et de sa conduite pendant cette époque de sa vie.



Au dixième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai entendu dire à des personnes dignes de foi, et en particulier à des ecclésiastiques, dont quelques uns avaient étudié avec lui à Verrières et au grand séminaire, qu’il avait étudié d’abord à Ecully chez Monsieur Balley dans l’intention d’embrasser l’état ecclésiastique, ensuite à Verrières et au grand séminaire et qu’il ne se proposait pas d’autre but que le salut des âmes en entrant dans cette carrière. J’ai entendu dire aux mêmes personnes qu’il avait constamment donné des preuves frappantes de piété.



Au onzième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai oui dire que le Serviteur de Dieu avait quitté ses études pour l’état militaire ; il avait été omis sur le tableau d’exemption. Il tomba malade en (196) route, et fut conduit par un homme qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu aux Noës où il passa environ une année ;il fut remplacé par un de ses frères moyennant un avantage pécuniaire.



Au douzième interrogatoire, le témoin répond :



Je sais que le Serviteur de Dieu reprit le cours de ses études ecclésiastiques et qu’il se prépara à recevoir les saints ordres en s’appliquant de plus en plus à la pratique de la vertu et aux exercices de piété.



Au treizième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai oui dire à des personnes dignes de foi qu’après son ordination à la prêtrise, le Serviteur de Dieu fut nommé vicaire à Ecully et qu’il s’y conduisit d’une manière si édifiante qu’après la mort du vénérable Curé Mr Balley, il fut demandé par la population toute entière pour le remplacer.



Au quatorzième interrogatoire, le témoin répond :



Je sais que le Serviteur de Dieu fut nommé curé d’Ars en mil huit cent dix huit, l’état de la paroisse y était déplorable ; on y aimait les danses, les amusements, les plaisirs ; on y travaillait de Dimanche, on y fréquentait beaucoup les cabarets et peu l’église. Pour détruire ces abus le Serviteur de Dieu eu recours à la prière, à la mortification, aux visites faites aux paroissiens et par sa charité et sa grande prudence, il parvint à changer entièrement cette paroisse.



Au quinzième interrogatoire, le témoin répond :



Je sais que pour réformer sa paroisse, le Serviteur de Dieu établit les pieuses associations du St Sacrement et du Rosaire. Les jeunes garçons et les jeunes filles étaient complètement privés d’éducation et d’instruction. Il choisit un jeune homme de l’endroit pieux et intelligent pour en faire un maître d’école à qui il confia les jeunes garçons. Il chargea des jeunes filles trois

(197) personnes pieuses. Ces deux établissements firent un grand bien dans la paroisse. Plus tard, l’école des garçons fut confiée aux frères de la Sainte-Famille de Belley et celle des filles aux soeurs de saint Joseph.



Au seizième interrogatoire, le témoin répond :



Je sais et j’ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a toujours exactement observé jusqu’à la fin de sa vie les commandements de Dieu et de l’église, qu’il a toujours rempli toutes les obligations que lui imposait le sacerdoce et sa position de Curé, et qu’il a toujours dirigé avec zèle et prudence les institutions qu’il avait fondées. En toute vérité, je ne connais aucun manquement à l’accomplissement de ses différents devoirs. Le Serviteur de Dieu, autant qu’il le pouvait, aidait les prêtres de son voisinage pendant les missions et les jubilés, sans nuire en aucune manière au bien spirituel de sa paroisse ; il suivait du reste en cela les conseils de son évêque. Deux fois il tenta de quitter sa paroisse pour vivre dans la solitude, sans avoir pourtant l’intention de se soustraire à l’obéissance qu’il devait à son évêque, il espérait obtenir son consentement.



Au dix-septième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai entendu dire à des personnes dignes de foi que le Serviteur de Dieu fut en butte aux injures, aux calomnies, aux procédés les plus blessants, les laïques, les ecclésiastiques même y avaient pris part. De son côté cependant, il n’y avait point donné occasion, tout cela fut supporté avec patience, avec soumission à la volonté de Dieu, avec amour pour ses détracteurs et avec un désir sincère de leur faire tout le bien qu’il pourrait. Pendant presque tout le temps qu’il fut à Ars, il fut en butte aux persécutions du démon.


10198 (198) Au dix-huitième interrogatoire, le témoin répond :



J’affirme que le Serviteur de Dieu a brillé par la pratique des vertus chrétiennes et qu’il y a persévéré jusqu’à sa mort.



Quant à la foi je sais que dès son enfance elle fut très vive ; il eut le bonheur d’avoir une mère qui lui appris de bonne heure à aimer Dieu et la sainte Vierge, et lui avait fait présent d’une petite statue de la mère du Sauveur pour laquelle il avait une grande dévotion. Il avait un goût très prononcé pour la prière ; il confiait la garde de son troupeau à ses compagnons pour se retirer seul dans un lieu écarté et y prier avec ferveur. Il priait en allant au travail, pendant qu’il travaillait, il plaçait alors devant lui la petite statue de la Ste Vierge pour se donner du courage et des forces, il priait aussi en rentrant à la maison. Il aimait beaucoup à assister aux offices de l’église, et quand il le pouvait il allait à la messe pendant la semaine, en se faisant remplacer par ses frères ou ses soeurs à qui il rendait des services pour obtenir cette faveur. Il faisait de petites statues de la Ste Vierge et des saints avec de la terre, et il les distribuait à ses compagnons. On a conservé pendant plusieurs années dans la maison paternelle une statue de la Ste Vierge, faite par lui et cuite au four ; elle était vraiment bien. Il dressait de petits autels pour célébrer les offices de l’église. On peut dire que toutes ses idées pendant son enfance étaient des idées de foi et de piété.



Le Serviteur de Dieu avait commencé ses études chez Mr Balley, curé d’Ecully, mais avec peu de succès, sa mémoire était ingrate, il fit alors voeux d’aller en pèlerinage à pied et en demandant l’aumône, auprès du tombeau de St François Régis afin d'obtenir du saint la grâce de mieux (199) réussir dans ses études. Il accomplit son voeu et fut exaucé. Dès ce moment en effet, il put profiter des leçons de Mr Balley et faire des études suffisantes.


10201 (201) Session 14 – 13 janvier 1863 à 2h30 de l’après-midi



Au dix-huitième interrogatoire, le témoin continue sa réponse de la manière suivante :



J’ai entendu dire à des personnes dignes de foi que pendant son séjour aux Noës il édifia singulièrement les habitants par la ferveur de sa piété et la vivacité de sa foi. Il continua ses études à Ecully où il se fit admirer par (202) son grand esprit de foi ; je tiens, comme j’ai déjà dit, de plusieurs de ses condisciples qu’ils avaient surtout remarqué en lui cette vertu au petit et au grand séminaire. Nommé vicaire d’Ecully, il édifia les habitants par sa piété et sa foi encore plus qu’il n’avait fait pendant qu’il y faisait ses premières études. Lorsqu’il vint prendre possession de la paroisse d’Ars, il se mit à genoux au moment où il apercevait les maisons pour demander à Dieu la grâce de remplir saintement son ministère, ce fut sans doute à cette occasion qu’il composa une belle prière pour les prêtres qui prennent possession de la paroisse où ils sont envoyés. On remarqua immédiatement en lui une foi extraordinaire il était presque constamment à l’église devant le St Sacrement. Quoiqu’il éprouvât une grande difficulté à composer ses discours, il ne laissait pas de se préparer toujours à la prédication par un long travail. Il y avait dans ses sermons un si grand esprit de foi qu’il remuait profondément le coeur de ses auditeurs.



Je ne sais si le serviteur de Dieu avait établi l’adoration perpétuelle, mais ce que je sais très certainement c’est que des hommes et des femmes étaient à toute heure du jour, quelquefois même pendant la nuit devant le St Sacrement pour lui rendre leurs hommages. Avant son arrivée à Ars on y communiait rarement, il y établit la communion fréquente et eut la consolation de la voir bientôt pratiquer par un grand nombre de personnes.





Le Serviteur de Dieu parvint tellement à supprimer le travail du Dimanche que même quand l’orage menaçait on ne rentrait pas les récoltes, on se contentait de les entasser dans les champs ! Un Dimanche j’étais à Ars, les blés étaient abattus et la pluie était menaçante, Mr le curé monta en chaire et défendit à ses paroissiens de toucher à leur récolte, leur assurant qu’ils auraient un assez beau temps pour les mettre à l’abri ; ils obéirent et furent récompensés de leur obéissance car pendant quinze jours ils eurent un temps magnifique.(203) A Ars on ne vendait pas même les objets de piété le saint jour du Dimanche et ce jour là Mr Vianney ne les bénissait pas à l’église comme à l’ordinaire. Les voitures publiques ne marchèrent pas le Dimanche jusqu’à l’établissement du chemin de fer, alors, elles n’entraient pas le Dimanche dans le village pour y déposer les voyageurs à leur arrivée et les prendre à leur départ. Dans aucune paroisse le Dimanche n’était si bien observé qu’à Ars. Il eut beaucoup de peines à supprimer la danse dans sa paroisse ; pour cela il eut recours à la prière et à l’établissement de la confrérie du Rosaire, elle fut fondée avec de grandes difficultés, mais il en obtint le résultat qu’il en attendait et peu à peu les danses cessèrent. Un moyen qu’il employa aussi ce fut d’éloigner les ménétriers de sa paroisse, il donna un jour à l’un d’eux une somme plus forte que celle qu’il devait gagner . Son grand esprit de foi le porta à prêcher dans les paroisses voisines pendant les missions et les jubilés. Sa parole quoique simple était puissante ; son confessionnal était entouré de nombreux pénitents. Il opérait des conversions extraordinaires.



Le Serviteur de Dieu tenait beaucoup à ce que son église fut dans un état tout à fait convenable, il fit construire un autel bâtir des chapelles. Il aimait à exciter la dévotion du peuple par la propreté de l’église, la convenance des ornements et la beauté des cérémonies. Il désirait d’offrir à Notre Seigneur dans les vases sacrés tout ce qu’il y avait de plus riche. Le jour de la fête du St Sacrement, il faisait dresser les plus beaux reposoirs possible et aimait à porter lui même le très saint Sacrement.



Mr Vianney célébrait le St sacrifice avec une foi extrêmement vive ; une personne me dit un jour : « Si vous voulez apprendre à bien assister à la messe, placez-vous de manière à voir l’expression de la figure du Curé d’Ars à l’autel » ; je me mis effectivement dans un endroit d’où je pouvais l’observer ; je remarquai sur son visage quelque chose de céleste ; je lui vis répandre (204) des larmes pendant presque toute la durée du saint sacrifice. J’ai remarqué le même fait toutes les fois que j’allais à Ars. Il semblait qu’il voyait Notre Seigneur dans la Sainte Eucharistie ; on peut même supposer qu’il le voyait réellement, car un jour qu’il était triste, des personnes dignes de foi qui me l’ont raconté, lui demandèrent la cause de sa tristesse ; il répondit ingénuement: « je n’ai pas vu Notre Seigneur depuis tel jour (il y avait deux ou trois jours) -Vous voyez donc Notre Seigneur, lui dit-on ? et aussitôt Mr Vianney, comme un homme qui a dit plus qu’il ne voulait dire, changea le sujet de la conversation. »



Le Serviteur de Dieu parlait très volontiers dans ses instructions, dans ses conversations de Notre Seigneur présent au saint Sacrement. Les expressions, les images dont il se servait étaient presque toujours frappantes, admirables. Quand il prêchait de l’autel on sentait au son de sa voix qu’il parlait auprès de Notre Seigneur. Lorsqu’il distribuait la Ste communion, on voyait dans son regard quelque chose de surnaturel, un feu divin. Il me disait un jour : moi, ce que j’aime, c’est la dévotion à Notre Seigneur dans le St Sacrement de l’autel, nous sommes si heureux quand nous le recevons par la communion, nous le cachons dans notre coeur et nous l’emportons avec nous. Les Dimanches où devaient se donner la bénédiction du St Sacrement il parlait d’une manière ravissante du bonheur de recevoir la bénédiction de Notre Seigneur lui-même. Sur la fin de sa vie la présence réelle l’occupait tellement, qu’il y revenait dans presque toutes ses instructions.



Mr Vianney avait une haute idée du sacerdoce. Je crois lui avoir entendu dire que le prêtre ne se comprendrait bien que dans le ciel. Il ajoutait que le sacerdoce était une charge si lourde que si le prêtre n’avait pas la consolation et le bonheur (205) de célébrer la Ste Messe, il ne pourrait pas la supporter. Il parlait souvent de ce sujet et se plaisait à relever les bienfaits que les hommes reçoivent du prêtre. Il revenait souvent dans les catéchismes, dans les instructions sur Dieu sur le ciel. Etre aimé de Dieu, disait-il, être uni à Dieu, plaire à un Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu oh ! belle vie et belle mort ! En disant ces paroles et d’autres semblables, il semblait n’être déjà plus sur cette terre. Pour peindre le bonheur d’une âme qui voit Notre Seigneur en sortant de ce monde, il rappelait la joie que les apôtres et Ste Marie Madeleine avaient dû éprouver en revoyant dans le ciel Notre Seigneur qu’ils avaient vu ressuscité et qu’ils avaient tant aimé dans ce monde. Du reste il avait sur ce sujet des expressions et des comparaisons admirables. Il s’interrompait quelquefois ne pouvant pas continuer tant son émotion était grande. Quand il parlait de la pureté de l’âme en état de grâce sa grande foi lui faisait trouver les comparaisons les plus émouvantes et les plus gracieuses. Il s’étendait avec une sorte de prédilection sur l’action de l’esprit saint dans les âmes ; sans l’esprit saint nous sommes comme un homme estropié privé du mouvement de ses membres ; avec l’esprit saint nous avons la force et le mouvement, il n’y a que l’esprit saint qui puisse élever l’âme et la porter en haut. Il s’exprimait d’une manière si nette et si intelligible qu’un paysan disait : personne ne parle du St Esprit comme Mr le Curé d’Ars, il m’a appris à le connaître.


10206 (206) Il priait beaucoup et tachait d’inspirer aux fidèles son goût pour la prière, il en parlait souvent et se servait des plus ingénieuses comparaisons. L’homme qui prie est comme le poisson dans l’océan, plus il s’enfonce dans la profondeur des eaux plus il est heureux. La prière particulière ressemble à la paille parsemée ça et là dans un champ, si on y met le feu la flamme a peu d’ardeur, mais si on réunit cette paille éparse, la flamme est abondante et s’élève haut vers le ciel ainsi en est il de la prière publique. Il supporta toutes les épreuves de sa vie, toutes les contradictions, toutes les humiliations avec une foi qui ne se démentit jamais. Cette foi lui faisait aimer les croix. Il disait que fuir la croix c’était vouloir en être accablé, que la désirer c’était ne pas en sentir l’amertume. Il avait passé plusieurs nuits sans dormir à cause des souffrances qu’il ressentait, il goûta quelques instants de repos. Une personne m’a raconté qu’elle lui avait demandé s’il avait un peu reposé.- Oui, lui dit-il, mais si cela continue, je serais bientôt ennuyé de ne plus souffrir. Il en était des souffrances comme des épines ; si on les supportait avec peine, on sentait leur aiguillon, mais si la charité les faisait supporter courageusement, elles étaient comme des épines réduites en cendre qui deviennent douces au toucher.



Lorsqu’on lui proposa de recevoir le saint viatique dans sa dernière maladie, il y consentit volontiers et dit en soupirant que c’est triste de communier pour la dernière fois. Montrant ainsi la grande affection qu’il avait pour la Ste Communion.



(207) En résumé j’affirme que la foi était le grand mobile de toutes les actions du curé d’Ars, qu’elle était toute sa science et on pourrait dire toute sa vie.


10209 (209) Session 15 – 14 janvier 1863 à 9h du matin



Au dix-huitième interrogatoire le témoin continue à répondre de la manière suivante :



Au sujet de l’Espérance j’affirme que le Serviteur de Dieu ne comptait point sur lui-même mais exclusivement sur Dieu : de là ses prières continuelles et ardentes non seulement pour le bien spirituel de sa paroisse, mais (210) encore pour la dilatation de la Ste Eglise et la conversion des pécheurs. Dans l’espérance d’amener les habitudes dans une paroisse où elles étaient presque abandonnées, il s’attacha à donner à son église et aux cérémonies qui s’y accomplissaient tout ce qui pouvait développer dans le coeur des fidèles les sentiments de foi et de piété. Pour inspirer l’horreur du péché et l’amour de la grâce, le bon curé disait quelquefois : le bon chrétien parcourt le chemin de ce monde monté sur un beau char de triomphe, assis sur un trône, et c’est Notre Seigneur qui conduit la voiture. Mais le pécheur est attelé lui-même au brancard ; c’est le démon qui est dans la voiture et qui frappe sur lui à grand coups pour le faire avancer. Un prêtre qui l’avait entendu me disait : jamais rien ne m’a fait plus d’impression, et ne m’a inspiré plus d’horreur pour le péché que les paroles et les pensées du curé d’Ars. Mr Vianney parlait souvent du péché et de l’horreur que nous devons en avoir ; mais plus souvent encore de la beauté de l’âme pure unie à Dieu par la grâce ; il parlait aussi de son bonheur et préférait montrer le côté attrayant de la vertu que la laideur du vice.



J’ai entendu ses paroissiens rapporter un prône qu’il leur avait fait sur la grâce de deux jubilés qui se suivaient à courte distance : on dit qu’on a déjà eu un jubilé l’année dernière, on demande pourquoi il y en a encore un cette année ? Mais, mes amis, si un roi ou un grand seigneur vous avait donné trois mille francs et que quelque temps après il jugeat à propos de doubler la somme cela vous ennuierait-il ! Mépriseriez-vous les trois premiers mille francs à cause des trois derniers que vous auriez déjà reçus ?



Son Espérance lui faisait souvent parler (211) du bonheur du ciel, ce bonheur était pour lui surtout la jouissance de Dieu ; il affectionnait cette pensée : nous serons perdus en Dieu comme le poisson dans le haut des mers. Il revenait sans cesse sur la miséricorde de Dieu ; il disait qu’il était plus facile de se sauver que de se perdre tant était grande la miséricorde de Dieu. Un seul mot du curé d’Ars suffisait pour calmer une âme inquiète et troublée, et il y en a des milliers d’exemples.



Le Serviteur de Dieu en travaillant au salut des autres il n’oubliait pas son âme. D’après mes entretiens avec lui, je crois pouvoir dire qu’il ne perdait jamais de vue la présence de Dieu, il disait que ses prières pendant la nuit le dédommageait des fatigues du jour et ces prières étaient une sorte d’oraison affective. Dans les commencements il faisait de longues visites au St Sacrement ; elles furent remplacées plus tard par un travail incessant consacré aux âmes.



Quand Mr Vianney parlait des tentations du démon et en particulier des persécutions qu’il en éprouvait, il montrait son mépris pour le tentateur et disait que c’était bon signe, puisque c’est une preuve qu’on ne lui appartenait pas. Toutes les peines qu’il a éprouvées de la part des hommes, peines qui ont durées à peu près toute sa vie, il les a supportées en ce confiant au secours de Dieu et en se détachant de plus en plus de la terre. Il avait une grande défiance de lui-même, une conviction profonde de son néant et de sa misère, de plus une telle crainte des jugements de Dieu qu’il m’a dit lui-même : « Quand j’y pense, je tremble tellement que je ne puis signer mon nom. Et cependant je n’ai remarqué aucun découragement en lui ; il était aussi ferme pour sa propre conduite que pour celle des autres. Plus il se sentait pressé par le sentiment de sa misère et par la crainte des jugements de Dieu, plus il se jetait dans les bras de la miséricorde infinie. (212) Je lui ai entendu dire qu’il était bien triste de voir offenser le bon Dieu. Dans les accusations qui lui était faites, il éprouvait un sentiment semblable à celui d’un fils dont on aurait battu le père ou la mère. La vue des belles âmes le consolait et lui faisait supporter toutes les autres peines de son ministère. Le désir de s’unir plus intimement à Dieu lui faisait souvent désirer la mort, mais sa pensée la plus habituelle était de continuer à souffrir pour Dieu, à se dévouer pour les âmes.



Le Serviteur de Dieu désirait ardemment aller dans la solititude, pour pleurer sa pauvre vie, comme il le disait. Il était sans cesse préoccupé de la pensée d’obtenir la permission de satisfaire à ce désir. Tout autre disait-il ferait aussi bien ou mieux que lui. Ce désir s’est moins manifesté pendant les deux ou trois dernières années de sa vie. Je lui ai entendu dire qu’il se reposerait en paradis, qu’il serait bien à plaindre s’il n’y avait pas de paradis ; il ajoutait toujours, il y a tant de bonheur à aimer Dieu dans cette vie que cela suffirait lors même qu’il n’y aurait pas de paradis dans l’autre vie.



Au sujet de la charité : j’ai entendu des personnes dignes de foi parler de l’éducation si chrétienne qu’il avait reçu de sa mère. Elle lui disait quelquefois : Vois-tu, mon enfant, si je te voyais offenser le bon Dieu, cela me ferait plus de peine que si c’était un autre de tes frères ou soeurs. Il répondit aux soins de sa vertueuse mère, enfant et adolescent, il se fit remarquer par sa grande piété, ce fut là le mobile de sa vocation à l’état ecclésiastique. Il me paraît évident qu’avec les contrariétés qu’éprouva sa vocation, il ne l’aurait pas suivie s’il n’avait pas eu un grand amour pour Dieu. Des ecclésiastiques qui ont été au séminaire avec lui, et en particulier (213) Mr Tournier, Curé de Grand-Corent, m’ont dit qu’il se fit remarquer au séminaire par sa grande piété. Je sais par de nombreux témoignages que sa vie à Ecully, lorsqu’il y fut nommé vicaire, fut merveilleuse de piété et de mortification. La providence avait rapproché Mr Vianney d’un homme admirable par sa vertu, Mr Balley, dont le Serviteur de Dieu me disait lui-même, c’est la plus belle âme que j’aie connue.



Ma famille avait une propriété dans la paroisse de Chaneins, voisine d’Ars. Les domestiques nous rapportaient des merveilles de ce nouveau curé (c’était Mr Vianney qui venait d’être nommé curé à Ars). L’amour de Dieu était si grand chez lui qu’il paraissait dans tout son extérieur ; ce feu débordait de son coeur, on peut dire que la passion de sa vie a été la divine eucharistie ; il cherchait à la faire aimer des fidèles, les portant à la communion fréquente, aux longues visites au St Sacrement.





Je lui ai toujours vu dire son office à genoux et sans aucun appui ; je lui ai vu jeter les yeux vers le tabernacle avec une expression de foi et d’amour qui frappait tout ceux qui en étaient témoins. J’ai déjà parlé de la manière singulièrement édifiante dont il disait la messe. Une chose qui m’a beaucoup frappée, c’est qu’au milieu de la foule et sous le regard de tant de personnes, il priait avec la même liberté d’esprit que s’il eut été seul.



Le curé d’Ars était admirable toutes les fois qu’il avait à parler sur l’amour de Dieu ou sur le saint Sacrement ; il versait souvent des larmes, avait de la peine à dominer son émotion. Bien des fois je lui ai entendu dire : « Aimer Dieu, oh ! que c’est beau ! Il faut le ciel pour le comprendre. La prière aide un peu, parce que la prière c’est l’élévation de l’âme jusqu’au ciel. Plus on connaît les hommes, moins on les aime. C’est le contraire pour Dieu, plus on le (214) connaît, plus on l’aime. Quand une fois une âme a commencé à goûter l’amour de Dieu, elle ne peut plus aimer, ni désirer autre chose. Il finissait souvent son catéchismes par ces mots : être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, oh ! belle vie et belle mort ! Voici une autre de ses paroles : si les damnés, tous les mille ans, pouvaient aimer Dieu une minute, l’enfer ne serait plus un enfer, parce que l’espérance de l’aimer pendant ce court instant suffirait pour adoucir toutes leurs peines



En parlant du St Sacrement il disait souvent : Oh Jésus ! vous connaître c’est vous aimer. Si nous savions comme Notre Seigneur nous aime, nous mourrions de plaisir. Je ne crois pas qu’il y ait des coeurs assez durs pour ne pas aimer en se voyant tant aimer. C’est si beau la charité ! c’est un écoulement du coeur de Jésus qui est tout amour. Il y avait dans la manière dont il prononçait le nom de Jésus, et dont il disait Notre Seigneur, un accent qui frappait tout le monde. Quand il avait à parler des peines de l’enfer, il ne faisait ressortir que celle de la privation de la vue de Dieu et de son amour. Il le faisait d’une manière si saisissante que les paysans eux-mêmes, si peu sensibles ordinairement aux choses spirituelles, en étaient profondément frappés.



Mr Vianney parlait d’une manière admirable des joies de la prière et de la vie intérieure, comme j’ai eu le bonheur de l’entendre. La prière disait-il, voilà tout le bonheur de l’homme sur la terre. Oh ! belle vie, belle union de l’âme avec Notre Seigneur ! L’éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce bonheur. La vie intérieure est un bain d’amour dans lequel l’âme se plonge. Dieu tient l’homme intérieur (215) comme une mère tient la tête de son enfant dans ses mains pour le couvrir de baisers et de caresses. On aime une chose à proportion du prix qu’elle nous a coûtée, jugez par là de l’amour que Notre Seigneur a pour notre âme qui lui a coûté tout son sang. Aussi est-il affamé de communication et de rapports avec elle.


10217 (217) Session 16 – 14 janvier 1863 à 2h30 de l’après-midi



Sur le dix-huitième interrogatoire et sur la charité le témoin continue à déposer de la manière suivante :



Son amour pour Dieu lui faisait obtenir des résultats merveilleux par le ministère de la confession. Il parlait peu, mais ce qu’il disait touchait les âmes. Son union avec Dieu était telle que rien ne pouvait l’en distraire (218) ni la multiplicité des occupations, ni l’abord des nombreux pèlerins, ni les questions si diverses et quelquefois si indiscrètes qui lui étaient adressées. Dans sa conversation il ramenait tout vers Dieu par quelques réflexions aimables et spirituelles. Les autres sujets de conversation lui étaient à charge. Mais dans l’ordre des faits spirituels au contraire, tout l’intéressait, l’impressionnait, le faisait tressaillir d’allégresse et le comblait de consolation. Il revenait très souvent sur un sujet qui déchirait son coeur, la perte des âmes. Cette pensée qu’il y aurait des hommes qui mourraient sans avoir le bonheur d’aimer Dieu, lui faisait verser des larmes et lui causait une amer douleur. Il n’est arrivé à cette grande charité envers Dieu que par des épreuves que je puis appeler inimaginables, ayant eu à souffrir et de la part des hommes et de la part du démon des peines intérieures les plus vives et y ajoutant une multitude de mortifications et de sacrifices volontaires.



Relativement à la charité envers le prochain, le témoin dépose ce qui suit :



Je sais par de nombreux témoignages qu’il a toujours été plein de charité, soit envers les pauvres pour les assister, soit envers les âmes pour les instruire et leur faire du bien. En possession de l’héritage de Mr Balley, il en fit promptement la distribution aux nécessiteux ; il distribuait même son linge personnel, si bien que les personnes qui s’intéressaient à lui ne lui en donnaient qu’au fur et à mesure de ses besoins pour lui ôter la possibilité de tout donner aux pauvres. Il ne se réservait rien pas même ce qui était nécessaire pour ses repas ; en sorte qu’un de ses paroissiens lui fournissait de temps en temps du pain pour sa subsistance. J’ai entendu dire qu’il avait fait le sacrifice d’une somme destinée à l’achat d’une soutane dont il avait le plus grand besoin pour venir au secours d’une personne (219) malheureuse. Il a même été jusqu’à vendre les ustensiles de la Providence.



Quelque désagréables ou exigeant que fussent les pauvres il était toujours pour eux d’une bienveillance et d’une grâce particulière. Il était néanmoins d’une grande discrétion lorsqu’il s’agissait de demander ou même de recevoir. Je lui ai offert un jour de participer à une bonne oeuvre. – Non, me dit-il, je ne veux point de votre argent, vous avez assez affaire chez vous, néanmoins vous serez porté parmi les fondateurs. Il payait beaucoup de loyers en faveur de pauvres honteux. Il avait tout vendu et à sa mort il ne lui restait rien ; le prix de ces différents objets était distribué aux pauvres. Les meubles les plus indispensables lui avaient été laissés en jouissance. Il aimait à porter aux malades, aux pauvres différentes provisions, surtout à une vieille aveugle à laquelle il laissait ignorer quelle était la main qui lui avait remis ces objets ; elle croyait que c’était une voisine. Merci ma mie, disait-elle, merci, et le bon curé riait beaucoup. Il distribuait tout ce qu’on pouvait lui donner pour l’adoucissement de son régime. Dans les libéralités qu’il faisait, il songeait au salut des âmes et il en a hasardé plusieurs dans cette religieuse pensée. Quant aux exercices de la charité spirituelle, ils furent le travail de toute sa vie ; il visitait ses paroissiens d’Ars, cherchant à leur faire plaisir pour les gagner à Dieu et à Jésus-Christ. Il n’abordait personne, pas même un enfant sans lui adresser une parole gracieuse dans laquelle se cachait une secrète inspiration de la pensée de Dieu et du salut. C’est dans ce but d’édification qu’il se montrait pour tous ses paroissiens comme un père de famille, ne craignant pas de descendre dans les moindres détails qui pouvaient les intéresser.



Les prédications dans les commencement lui coûtaient beaucoup quant à la préparation ; il y (220) consacrait cependant beaucoup de temps, et se donnait beaucoup de peines. Les souffrances de la journée il les offrait pour la conversion des pécheurs et celles de la nuit pour le soulagement des âmes du purgatoire. Il avait demandé à Dieu de souffrir beaucoup, souvent ses nuits étaient affreuses, il ne trouvait un peu de repos qu’en se levant et s’appuyant contre un meuble. Un jour, un curé se plaignait à Mr Vianney de ne pouvoir changer le coeur de ses paroissiens : vous avez prié, répondit celui-ci, vous avez gémi, vous avez pleuré, mais avez-vous jeûné, avez-vous veillé, avez-vous couché sur la dure, vous êtes-vous donné la discipline ? Tant que vous n’en serez pas venu là ne croyez pas avoir tout fait. Je tiens ce fait d’un ecclésiastique.



Il gémissait continuellement sur la perte des âmes. Quel dommage, disait-il, que des âmes qui ont coûté tant de souffrances au bon Dieu se perdent pour l’éternité, qu’elles deviennent la proie du démon. Il a fondé des messes pour la conversion des pécheurs ; il recommandait de prier à cette intention. C’est la plus belle et la plus utile de toutes les prières. Les justes sont sur le chemin du ciel, les âmes du purgatoire sont sûres d’y entrer, mais les pauvres pécheurs, les pauvres pécheurs ! On lui demandait un jour : si Dieu vous proposait d’aller au ciel à l’instant même, ou de rester sur la terre pour travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous ? Je resterai jusqu’à la fin du monde. Je crois que c’est Mr Toccanier, missionnaire d’Ars, qui me l’a appris. C’est dans cette pensée qu’il attachait tant de prix à l’oeuvre des missions. Il m’a dit à moi-même : on ne sait pas tout le bien que les missions opèrent ; pour l’apprécier, il faudrait être à ma place, il faudrait être (221) confesseur. Il en a fait lui-même et avec beaucoup de succès, dans le commencement de son ministère ; il s’y acquit une grande réputation de sainteté. Les personnes qui avaient eu le bonheur de l’entendre et surtout de recevoir ses avis au saint tribunal, ne purent désormais se passer de sa direction ; elles vinrent le trouver à Ars. Plus tard sa réputation se répandant de proche en proche lui amena des personnes de tous les pays du monde. On voyait dans la foule des personnes de toutes les conditions. On peut dire que la vie de Mr Vianney, depuis cette époque se passait au confessionnal, il y restait en moyenne une quinzaine d’heures par jour. Sur les dix-huit ou vingt heures qui composaient sa journée de travail, il ne prenait que le temps de réciter son office, de célébrer la Ste Messe et de faire à midi un semblant de repas ; tout le reste du temps était employé au salut des âmes ; il ne prenait jamais un seul jour de repos. C’était à une heure après minuit qu’il se rendait à l’église pour entendre les confessions. Si matinal que fut Mr Vianney, les pèlerins l’avaient déjà devancé, un grand nombre passaient la nuit à la porte de l’église, attendant son arrivée.



Les deux motifs qui lui faisaient aimer le prochain se confondirent pour lui faire aimer entre toutes l’oeuvre des établissements consacrés à recevoir les pauvres enfants. Il fonda une providence pour les jeunes filles ; cette oeuvre (222) commença très pauvrement et sur les ressources personnelles du pauvre Curé. Il avait dans cette maison soixante enfants, aux besoins desquels il pourvoyait de toutes manières. Il avait placé trois pieuses filles à la tête de cet établissement. Il eut aussi la consolation de fonder une école gratuite pour les garçons, confiée aux frères de la Sainte Famille de Belley.

10225 (225) Session 17 – 15 janvier 1863 à 2h30 de l’après-midi



Sur le dix-huitième interrogatoire, le témoin dépose ainsi au sujet de la Prudence : J’affirme avoir entendu dire par des personnes dignes de foi que dès sa plus tendre enfance il s’appliquait à la prière ; qu’il priait très souvent, pour surmonter les obstacles qui s’opposaient à sa vocation, il eut recours à la prière et à un pèlerinage comme je l’ai (226) déjà dit. Il ajouta toujours la mortification à la prière comme moyen de sanctification, soit pour lui, soit pour les autres. Au séminaire, d’après les témoignages que j’ai recueillis de la bouche de ses condisciples, il édifiait tout le monde, non seulement par sa piété, mais encore par l’abscence de la singularité et par le caractère aimable de sa dévotion. Vicaire à Ecully, il sut tout en redoublant ses pratiques de piété et de pénitence se rendre aimable envers tout le monde. Il était sévère pour lui-même et doux pour les autres. Arrivé à Ars et trouvant la paroisse dans un état déplorable, il commença par la prière, la pénitence, et chercha ensuite les moyens de rallumer la foi et la piété parmi ses paroissiens, en établissant, comme je l’ai dit, les confréries, la fréquentation des sacrements, la prière du soir et se faisant tout à tous pour les gagner à Jésus-Christ.



Pour la destruction des abus il montra autant de zèle que de prudence. Je veux parler surtout de la danse qu’il eut beaucoup de peine à supprimer ; il n’y parvint que par sa prudence, par sa douceur secondant les efforts de son zèle. Grâce à son zèle et à sa prudence le Dimanche qui était si souvent profané dans sa paroisse avant son arrivée devint vraiment le jour su Seigneur .Les communions étaient nombreuses, l’église ne désemplissait pas, aux offices qui se succédaient à de courts intervalles, l’affluence était très considérable. Mr Vianney faisait le catéchisme à une heure après midi ; on y assistait presque comme à la messe. Les vêpres étaient suivies de complies. Après le chant de (227) l’antienne à la Sainte Vierge, Mr le Curé présidait à la récitation du chapelet à laquelle tout le monde prenait part. Au déclin du jour , la cloche appelait pour la troisième fois les fidèles à l’église ; pour la troisième fois la paroisse répondait à cet appel. Mr Vianney sortait alors de son confessionnal, faisait la prière du soir, laquelle était suivie d’une de ces touchantes homélies que je lui ai entendu faire avec tant de bonheur. Il aimait a consulter son Evêque dans les questions importantes et ne manquait pas de redoubler ses prières et ses jeûnes. Il recourait aux mêmes moyens lorsqu’il avait quelque grâce particulière à demander à Dieu, tel que la réforme d’un abus, une conversion éclatante, etc. J’ai entendu dire qu’il se chargeait quelquefois d’une partie de la pénitence des pauvres pécheurs qui s’adressaient à lui. Pour l’établissement de la Providence, il compta sur les secours de Dieu qui ne lui firent jamais défaut, mais en même temps, il engagea ce qu’il possédait afin de mieux assurer cette établissement. Pour l’école des Frères, il n’a rien brusqué, il a su attendre le moment favorable et en confiant la maison à une congrégation religieuse, il a eu soin de placer très convenablement l’ancien instituteur. Passionné pour l’oeuvre des missions diocésaines et en parlant incessamment, il savait attendre les moyens et les ressources suffisantes pour en fonder une. Une chose remarquable c’est qu’ayant fait tant de bonnes oeuvres pendant sa vie, il n’ait pas contracté une seule dette. Sa prudence lui fit préparer avec soin ses instructions dans les commencements de son ministère ; il ne cessa que lorsque l’affluence des pèlerins rendit ce travail (228) impossible et Dieu l’assistant d’une manière spéciale dans les catéchismes qu’il faisait tous les jours et les homélies qu’il donnait les dimanches et les fêtes.


Sa prudence éclatait surtout au confessionnal, on ne saurait dire avec quel tact admirable il discernait et indiquait les besoins des âmes ce qui était précepte, ce qui était devoir et ce qui était conseil, l’attrait à suivre la mesure de perfection à demander à chacun. On venait de tous côtés lui demander conseil ; il avait un tact admirable pour rejeter ce qui était l’inspiration d’un zèle indiscret, l’affaire de l’amour propre, mais il encourageait les oeuvres, les institutions, toute idée vraiment propre à procurer le salut et la sanctification des âmes.



Il était d’une grande prudence dans sa conversation, la pente de son esprit et de son coeur était de parler de Dieu, il y ramenait naturellement les conversations qui paraissaient les plus étrangères. Il était très réservé pour les matières politiques.



Pour le fait de la Salette, Mr Vianney y crut d’abord, puis une affirmation contraire de Maximin qui était venu lui parler à Ars, infirma ses convictions. Il fut très prudent, évitant toujours de manifester son défaut de croyance et cependant n’opposant aucun acte qui fut contraire à sa pensée. Par exemple il évitait de signer de les images de Notre Dame de la Salette. Il souffrit beaucoup à l’occasion de ce fait. Dieu à la fin de sa vie permit qu’un incident extraordinaire lui rendit ses convictions sur la vérité de l’apparition.


Mr Vianney n’était sensible, ni aux louanges ni aux mépris et se servait de ces occasions si diverses pour mieux remplir ses devoirs.

10229 (229) Sur la vertu de Justice pratiquée par le serviteur de Dieu, le témoin a déposé de la manière suivante :



Il avait une profond respect pour Dieu et pour tout ce qui tient à l’honneur de son culte. Rien n’était trop beau pour ce qui servait à la divine Eucharistie. Il était très exact à remplir tous les préceptes de Dieu et de l’Eglise et il les faisait observer à ceux dont il était chargé autant qu’il le pouvait.



Le Serviteur de Dieu rendait aux hommes les devoirs qui leur sont dûs. Sa politesse était pleine de cordialité ; on voyait qu’il ne l’avait pas apprise du monde, mais de sa grande charité pour Dieu et le prochain. Il avait pour tous le respect que l’on doit à des chrétiens ; il le témoignait par ses actes et par ses paroles, et il le mesurait suivant la qualité des personnes avec beaucoup de discernement et de convenance . Il était pénétré du plus profond respect pour ses supérieurs ecclésiastique et surtout envers son Evêque. Il donnait à ses confrères des marques particulières de respect ; il savait très bien changer et élever au besoin les formules de son langage suivant la condition plus élevée des personnes qui s’adressaient à lui.



Il était particulièrement bon et compatissant pour les pauvres, pour les petits, les malheureux, les infirmes, les pauvres pécheurs, plus on était à plaindre, plus il témoignait d’affection et de bonté. On eut dit qu’il était le serviteur de ceux qui souffraient. Pour tout le monde il était d’une prévenance pleine d’attention et de délicatesse, mais surtout pour ses collaborateurs veillant sur eux avec une tendresse de père et d’amis.



Baronne de Belvey

Plein de reconnaissance pour ses parents (230) il les recevait avec cordialité et empressement et cependant évitait de leur donner le temps consacré à ses labeurs pastorales. Il avait gardé une profonde reconnaissance pour les habitants des Noës, et plus particulièrement pour la veuve Fayot qui lui avait donné l’hospitalité. La mémoire du vénérable Mr Balley lui fut toujours particulièrement chère, il m’en a parlé quelques fois avec un respect et une affection touchante qui m’ont vivement impressionnée. Il était presque extrême dans ses témoignages de reconnaissance. Pour le moindre service il remerciait. J’en ai des preuves personnelles.



Interrogé sur l’obéissance du Serviteur de Dieu le témoin a répondu :



Je sais par des témoignages dignes de foi que dans son enfance il faisait tout ce que voulait ses parents donnant l’exemple à ses frères et soeurs et obéissant souvent lui-même à leur place. J’ai entendu dire qu’il avait édifié tous ses condisciples au séminaire dans tout ce qui entraîne l’obéissance aux règlements, et je n’ai rien de particulier à ce sujet. Son esprit d’obéissance l’a aidé à combattre ce violent désir qui le portait vers la solitude. Relativement au fait de la conscription militaire, il me paraît évident que malgré sa répugnance, malgré les scandaleux exemples qui devaient affliger sa piété, il voulait la subir. Il fut détourné par des causes extraordinaires et qui paraissent providentielles. Généralement on regardait comme miraculeuse l’exemption dont il a été l’objet dans cette circonstance. J’ajoute qu’on avait oublié de le porter sur les rôles de dispensé, comme étudiant ecclésiastique, et qu’enfin un de ses frères, moyennant (231) moyennant un avantage pécuniaire consentit par lui et à son détriment partit à sa place. Je termine en ajoutant qu’il était empressé d’obéir, non seulement aux ordres, mais au moindre désirs de ses supérieurs.


10233 (233) Session 18 – 16 janvier 1863 à 8h30 du matin



Sur le dix huitième interrogatoire, le témoin continue à répondre de la manière suivante :



Sur la vertu de Religion j’ai remarqué que tout ce qui se rapportait au culte et à la gloire de Dieu, lui était particulièrement cher et précieux. Les reliques, les images, les croix, médailles, chapelets, etc. (234) Je lui ai entendu par de l’eau bénite d’une manière si saisissante que lorsque j’en prends ce qu’il disait alors me revient à la mémoire. Il aimait la parole de Dieu , quelque fut la personne qui en fut l’interprète, il l’écoutait avec une respectueuse et vive attention. J’ai déjà dit ce qu’il avait fait pour l’embellissement de son église, et pour le culte de Dieu. J’ai dit aussi que sa dévotion particulière était celle du très St Sacrement.



Pour les pratiques de dévotion Mr Vianney aimait et respectait toutes celles qui sont en usage dans l’Eglise, à tel point que l’on eut dit que lorsqu’il parlait de l’une d’entre elles, elle lui était plus particulièrement chère que les autres. Il était du tiers ordre de St François et de plusieurs autres confréries. J’ai copié sur son bréviaire les scènes de la passion qu’il avait attachées aux différentes parties de l’office divin. A Matines, il honorait l’agonie de J.C. au jardin des olives ; à Laudes sa sueur de sang ; à Prime, sa condamnation ; à Tierce, le portement de sa croix ; à Sexte, son crucifiement ; à None, sa mort ; à Vêpres, sa descente de la croix ; à Complies, sa sépulture. Je lui ai entendu recommander la pratique des diverses intentions pour chaque jour de la semaine. Le Dimanche, la Ste Trinité, le Lundi, au St Esprit, etc..



Il avait une grande dévotion à la Ste Vierge, cette dévotion avait commencé dès son plus bas âge. Tout petit enfant il avait une statue de Marie qu’il affectionnait et portait toujours avec lui. Devenu prêtre et Curé d’Ars, il aimait à dire la Ste Messe à l’autel de Marie, il n’y manquait jamais le samedi. J’ai entendu dire qu’il avait ce jour là une intention spéciale en l’honneur de la Ste Vierge. Tous les soirs à la prière (235) à la prière, il récitait le chapelet ; dans les premières années, le chapelet ordinaire, et plus tard celui de l’Immaculée Conception. Aux heures marquées par l’horloge, il s’interrompait même en chaire pour dire un Ave Maria suivi de ces paroles : Bénie soit la très pure, très sainte et Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. Cette pratique était devenue générale dans la paroisse, c’était à cause d’elle qu’il attachait beaucoup de prix à l’horloge de son église, et souffrait lorsqu’elle ne sonnait pas.



Avant la proclamation du dogme de l’Immaculée conception cette croyance lui était extrémmement chère. Je l’ai entendu prononcer un discours quelques jours avant la définition du dogme lorsque tout d’ailleurs semblait annoncer ce grand événement, il était transporté de joie ; il rappelait tout ce qu’il avait fait pour Marie Immaculée, la chapelle qu’il lui avait dédiée, la statue placée au frontispice de son église. Il engagea ses paroissiens à consacrer, par l’achat d’un magnifique ornement, le souvenir de ce grand événement, et il fit frissonner tout son auditoire lorsqu’il dit en terminant son discours : Pour moi si je pouvais me vendre pour donner quelque chose à la Ste Vierge, je me vendrai. Déjà depuis longtemps il avait consacré sa paroisse à la Vierge Immaculée. Il avait su donner un éclat et une solennité particulière aux fêtes de la Ste Vierge, le concours de ses paroissiens et des pèlerins étaient alors plus nombreux. On voyait du reste partout dans le village, dans les maisons l’image de la Mère de Dieu, sa médaille était appliquée aux portes des maisons. J’ai entendu raconter le pèlerinage qu’il fit à Fourvières avec sa paroisse ; il y dit la messe (236) et presque tous ceux qui l’avait accompagné eurent le bonheur de communier. Un tableau commémoratif de ce pèlerinage et de la consécration de sa paroisse à Marie Immaculée se voit encore dans l’église d’Ars. Il recommandait beaucoup la dévotion au Saint Coeur de Marie et faisait faire très souvent aux personnes qui le consultait ou recouraient à lui des neuvaines à ce saint coeur. Je l’ai entendu parler bien souvent de la dévotion à la Ste Vierge dans ses instructions de la manière la plus persuasive et la plus touchante. Il parlait des saints comme de protecteurs et d’amis ; on eut dit qu’il avait vécu avec eux à la manière dont il racontait les détails de leur vie, ses instructions étaient pleines de traits de la vie des saints. Dans ses moments de grandes souffrances, un soulagement pour lui était la lecture de la vie des saints. Un des plus beaux présents qu’on pu faire, à son avis, était celui d’une relique. Parmi les saints il avait une affection particulière pour ceux qui avait soigné la Ste Vierge, St Joseph et St Jean l’Evangéliste, ceux qui avaient le plus aimé Notre Seigneur et souffert pour lui : St François Régis, St François d’assise, Ste Thérèse, etc.



Il avait voué un culte particulier à Ste Philomène, il l’appelait sa chère petite sainte. Il indiquait des neuvaines en son honneur pour les faveurs temporelles qu’on désirait obtenir de Dieu. Il mettait sur le compte de Ste Philomène les grâces extraordinaires obtenues dans le pèlerinage d’Ars. Il a beaucoup contribué à faire connaître Ste Philomène et à la faire honorer, soit dans nos contrées, soit dans tout le reste de la France.



Il avait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, il offrait pour elles toutes ses insomnies et ses cruelles souffrances de nuit.



Sur l’oraison du serviteur de Dieu le témoin a déposé que son union à Dieu était continuelle que (237) tout le ramenait à Dieu ; il n’y avait rien d’extraordinaire dans son maintien qu’un grand air de recueillement de piété ; s’il désirait si vivement la solitude c’était pour se livrer plus entièrement à son goût pour la prière. Le temps libre qu’il passait dans sa chambre était consacré en grande partie à l’oraison. Son oraison était plutôt affective que consacrée à des réflexions ou à des raisonnements.



Sur la Force du Serviteur de Dieu, le témoin a déclaré qu’on ne peut pas se faire une idée de tout ce qu’a souffert le Curé d’Ars et de la manière courageuse dont il a supporté toutes les peines et les tribulations que Dieu lui envoyait. C’est une belle chose d’être saint, mais il en a bien coûté au Curé d’Ars. Il avait beaucoup d’infirmités dont plusieurs tenaient à ses pénitences et à sa vie mortifiée. Il était sujet à des maux d’entrailles, des douleurs de tête, à une toux très fatiguante, à une hernie qui lui causait par moment les plus cruelles souffrances et toutes fois rien dans sa conversation et dans les fonctions de son ministère ne trahissait les douleurs qu’il éprouvait. Un jour, je l’ai vu sortir éprouvant d’atroces coliques et revint à l’église peu de temps après et fit la prière sans vouloir même s’appuyer.



Je sais qu’il est allé visiter des malades malgré un état de grande souffrance ; il dormait à peine une ou deux heures par nuit et bien souvent ces courts moments de sommeil étaient ils interrompus. Dans les derniers temps de sa vie, il prenait quelques instants de sommeil après son repas, douze ou quinze minutes à peine. Il semblait reprendre de nouvelles forces lorsqu’elles devenaient nécessaires pour remplir les fonctions de son ministère, pour répondre aux besoins du pèlerinage .On ne saurait se faire une idée de la souffrance que lui causait en hiver le froid, auquel il était très sensible, et contre lequel il ne voulait prendre aucune précaution. En été, la chaleur qui était insupportable dans une église si petite et encombrée de monde.



La patience du serviteur de Dieu a été admirable dans les nombreuses contradictions et persécutions qu’il a éprouvées. On peut dire que pendant longtemps tout le monde a été contre lui. Plus longtemps encore qu’il n’a point trouvé dans son entourage des volontés qui se pliassent à la sienne sauf une ou deux exceptions. Sous différents prétextes, on contrariait de mille manières le Serviteur de Dieu. Pendant plusieurs années un auxiliaire lui avait été donné, il se croyait appelé à diriger en toute (238) chose le serviteur de Dieu. Il n’aurait pas voulut qu’il fit une aumône sans son autorisation, ainsi du reste. Il est incroyable tout ce que le bon curé a souffert de la part d’un homme qu’il aimait, qu’il défendait au besoin contre l’animadversion de ses paroissiens ; il rendait justice à son zèle à la pureté de ses intentions ; mais la divergence de vue et la rudesse des manières lui ont rendu ce concours extrêmment pénible. Malgré cela il en faisait l’éloge en toute circonstance, il m’a défendu et a défendu à d’autres personnes de parler de sa conduite à l’Evêque de Belley et toutes les fois que le prélat manifestait l’intention de changer cet ecclésiastique, Mr Vianney s’y opposait. Le Curé d’Ars disait que cet ecclésiastique lui rendait service en lui faisant connaître ses défauts.



Dans le commencement de son ministère il fut en butte à beaucoup de contradictions de la part de ses paroissiens. On chercha à le décrier jusque dans ses moeurs, cependant la calomnie tomba d’elle-même. Les ecclésiastiques furent longtemps avant de rendre justice à leur pieux confrère ; ils préchaient contre lui le traitant d’exagéré, d’imprudent, d’ignorant. Ils sont allés jusqu’à faire des démarches auprès de l’autorité ecclésiastique pour demander son changement. La malveillance contre lui s’étendait au loin et arrivait jusqu’à lui sous diverses formes, des propos, des lettres, charivari, affiches, etc. On se fera une idée des souffrances et de la patience du bon curé par le propos suivant ; il me disait l’année même de sa mort : si j’avais su en arrivant à Ars, tout ce que j’y devais souffrir, je serai mort sur le coup. Pour avoir un droit particulier à sa bienveillance, ses paroissiens avaient remarqués et ce sont eux qui me l’ont dit, qu’il suffisait de chercher à lui faire quelque peine, quelque humiliation.



Il était facile de se convaincre après avoir vu quelque temps, Mr Vianney, qu’il avait dû beaucoup combattre pour pratiquer et acquérir la patience, il était très sensible, d’un tempéramment très vif. Un des traits les plus extraordinaires de sa patience et qui était cependant journalier, c’était de répondre toujours avec calme et douceur à toutes les personnes qui venaient à lui, qui le pressaient et le harcelaient de toutes parts et de toutes manières. De pieux fidèles organiserent d’eux-mêmes un service de régularité autour du bon curé, lui n’eut jamais que sa patience pour répondre à toute les exigences dont il était l’objet. (239) J’ai vu une personne revenir plusieurs fois le même jour pour obtenir de lui quelque chose qu’il ne voulait pas accorder. Elle y mettait une obstination dépourvue de toute convenance et par là même très irritante. Mr Vianney n’a pas cédé ; mais sa fermeté n’a eu d’égal que sa douceur, et chaque fois qu’elle l’abordait, il la recevait comme si c’eut été la première fois.


10241 (241) Session 19 – 16 janvier 1863 à 3h de l’après-midi



Au dix-huitième interrogatoire, le témoin continue à déposer sur la vertu de patience du serviteur de Dieu de la manière suivante :



Une des plus grandes de Mr Vianney a été la transformation de la Providence , il aimait cette maison parce qu’elle était consacrée à de pauvres enfants ; il y allait souvent, il les mettait en prière pour les grâces qu’il voulait obtenir (242) de Dieu et il disait dans ces cas qu’il était toujours exaucé, mais d’un autre côté cet établissement était en défaveur auprès de l’autorité académique qui ne trouvait pas l’instruction assez complète. Plusieurs paroissiens avaient de la peine à voir leurs enfants avec mêlés des filles que la charité recueillait et entretenait. Peu de personnes se préoccupaient de l’avenir de cette fondation lorsque Mr le Curé viendrait à manquer. Mr Perrodin supérieur du grand séminaire préoccupé de ces diverses difficultés et porté pour les soeurs de St Joseph qu’il avait occupé à la fondation d’une Providence qui avait parfaitement réussie dans la ville de Bourg, fit des démarches réitérées auprès de Mr Vianney pour le déterminer à céder l’établissement aux soeurs de St Joseph. Après avoir résisté longtemps, il crut devoir céder aux instances de Mr Perrodin. La Providence ne fut plus qu’une école gratuite pour les enfants de la paroisse. Le bon curé regretta toujours la première institution, mais il supporta cette peine avec beaucoup de courage et de patience ; il en parlait en souriant, quoique son coeur fut déchiré. Dès lors il dirigea ses ressources et tourna son coeur du côté de la fondation des missions.



Sur la Tempérance, le témoin interrogé a répondu dans les termes suivants :



Je sais par des personnes dignes de foi que quand il étudiait à Ecully et étant nourri chez sa cousine, il se fâchait contre elle lorsqu’elle mettait dans sa soupe du beurre ou autre assaisonnement. Habituellement il ne mangeait que sa soupe quoique son tempéramment sembla exiger plus de nourriture.



Vicaire à Ecully il redoubla ses mortifications ce que faisait en ce genre Mr Balley et lui était quelque chose d’effrayant.



Lorsqu’il fut arrivé à Ars, il étonna tout le monde par sa vie mortifiée, un peu de pain quelques pommes de terre cuites pour huit jours, un peu de lait c’était toute sa nourriture. Il était même bien rare qu’il voulut accepter du lait. Mr le Curé n’avait point de domestique, une bonne veuve nommée Claudine Renard avait reçue (243) de mademoiselle d’Ars une vache à la condition qu’elle donnerait du lait à Mr le Curé ; malgré ses vives instances et ses désolation, Mr le Curé acceptait très rarement ce qu’elle lui offrait. Il couchait sur une paillasse qu’il dégarnissait de temps en temps lorsque des personnes préoccupées de sa santé en avaient renouvelé le contenu ; il mettait sur cette paillasse une planche pendant son sommeil. Il aimait à manger le pain des pauvres et pour cela il achetait à de pauvres mendiants le pain qu’ils avaient reçu. Il lui est arrivé d’aller sa marmite à la main chercher quelques pommes de terre chez ses voisins. Il est resté plusieurs jours sans prendre de nourriture ; il a même essayé de se passer de pain et de vivre d’herbes crues ; mais les forces lui manquèrent. Dans les commencements, il faisait quelquefois lui-même son ordinaire, consistant en deux ou trois matefaims faits avec un peu de farine délayée dans l’eau et passés à la poêle, il ne buvait que de l’eau. Son jeûne était si rigoureux qu’il lui enlevait ses forces et qu’il pouvait à peine se traîner dans son église. Pendant longtemps il n’a rien pris qu’à midi et encore son repas était très exigu, un peu de lait, quelques miettes de pain ou une pomme de terre. Dans les dernières années de sa vie on obtint qu’il prit quelque chose le matin et jamais il ne prit rien le soir. Son repas de midi ne durait pas deux minutes. Tout ce qu’on lui apportait, lorsqu’il jugeait à propos de l’accepter, était presque toujours distribué aux pauvres. S’il a fait quelque trêve à ses habitudes si extraordinaires de mortification, c’était à l’occasion de quelques rares visites de parents ou de confrères. Ce ne fut que par obéissance, que vers la fin de sa vie, il adoucit un peu son austère régime ; ses supérieurs l’avaient exigé parce qu’il semblait à bout de force.



Mr Vianney faisait usage de la discipline, on m’a dit qu’il les brisait sur lui et on m’en a donné un morceau en métal qui avait été trouvé dans sa chambre. J’ai entendu dire qu’il commanda un jour au maréchal du village une chaîne d’une grosseur extraordinaire pour en faire une discipline ; pour la faire faire, il eut soin de donner le change à l’ouvrier. Il se mortifiait en toutes choses, ne pas s’apercevoir d’une mauvaise odeur, ne pas boire quand il avait soif, rester (244) immobile au confessionnal pendant des heures entières, même pendant les froids les plus rigoureux. A la fin de sa vie, il repoussa et mit en pièce un coussin qu’on avait placé sur le banc de son confessionnal. Une parole qu’il m’a dite, m’a fait juger qu’il était insatiable de mortification. Jamais disait-il, il ne faut aller jusqu’au bout de ses désirs en fait d’austérités et de pénitences.



Sur la vertu de Pauvreté, le témoin dépose ainsi :



Il n’a jamais songé à lui-même, il a presque toujours vécu de ce qu’on lui donnait ; ces meubles comme j’ai déjà dit, ne lui appartenaient plus, il les avait vendu. Sa chambre était pauvre et délabrée ; un misérable lit, quelques rayons de bibliothèque portaient ses livres, une armoire et une table avec quelques images pieuses grossièrement encadrés pour la plupart. Voilà tout ce qu’on y voyait. C’était la seule chambre du presbytère où il y eut quelques meubles. J’ai vu dans la cheminée de la cuisine près du potager une ronce qui avait poussé de vigoureux rejetons, elle a été malencontreusement coupée par un conseiller municipal qui se préoccupait de la réputation que ferait à la paroisse d’Ars la vue d’un pareil parasite.



Naturellement il aimait l’ordre et la propreté et cependant il ne portait qu’une soutane usée, un vieux chapeau, des souliers rapiécés et il n’avait que la paire qu’il portait aux pieds. Il a reçu beaucoup d’argent dans sa vie, mais il avait pour tous les biens du monde un profond mépris et un grand détachement, cet argent reçu, il l’employait immédiatement en bonnes oeuvres et surtout pour la fondation d’une mission. Il brûla un jour par mégarde un billet de banque et il dit en souriant de cette occasion : « il y a moins de mal a cela que si j’avais commis le plus léger péché véniel. La simplicité et la modestie ont brillé d’une manière particulière pendant toute la vie du Curé d’Ars. Ces deux vertus semblaient le revêtir de la tête aux pieds. Chez le Serviteur de Dieu point (245) d’ostentation ; rien de contraint ni d’affecté, rien absolument de l’homme qui veut paraître. Une simplicité d’enfant, un mélange d’abandon, de candeur, d’ingénuité, de grâces naïves qui se combinant avec la finesse de son tact et la sureté de son jugement donnait un charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite. On se sentait attiré à lui par ces deux aimables vertus, comme j’en ai été témoin bien des fois.



Sur l’humilité du Serviteur de Dieu, le témoin a déposé de la manière suivante : Il était profondément humble. Je suis persuadé que les pratiques de pauvreté dont j’ai parlé tout à l’heure, par exemple d’aller chercher sa nourriture porter des habits pauvres tenaient surtout à son humilité. Aux plaisanteries qu’on faisaient sur son compte dans les conférences ecclésiastiques, il répondait : « c’est assez bon pour le Curé d’Ars .



Il aimait l’abjection et le mépris ; il en était aussi avide que les orgueilleux le sont des louanges. Dans le confessionnal il parlait correctement le français, j’en ai la preuve par moi-même, tandis que dans ses catéchismes il semblait affecter de faire quelques fautes, surtout lorsqu’il y avait des personnages plus considérables ; Pour la louange, au contraire, il paraissait peiné profondément.



Quand il fut nommé chanoine honoraire (246) Monseigneur Chalandon le revêtit lui-même du camail ; cette marque d’honneur lui fit une peine extrême, tout le monde s’en aperçu ; on eut dit qu’il entendait sa sentence de mort. Nommé chevalier de la légion d’honneur par le gouvernement il en fut très étonné, ne voulut jamais porter la décoration et la donna immédiatement à Mr Toccanier. Tout témoignage d’estime le froissait au milieu de ces foules si empressées autour de lui, il paraissait indifférent à tout hommage et ne songeait qu’à satisfaire aux différentes fonctions de son ministère. On eut dit qu’il n’était pour rien dans tout ce mouvement qui s'opérait autour de lui. Je serai porté à croire qu’il était tellement pénétré de la pensée de son néant qu’il n’éprouvait pas même la tentation d’orgueil ; et je m’expliquerai sa profonde humilité par les deux considérations suivantes ; la première, la conviction de sa misère et de son néant, car il me disait un jour au confessionnal : Ma fille, ne demandez pas à Dieu la connaissance entière de votre misère ; je l’ai demandé un jour et obtenue ; sans une grâce spéciale de Dieu, je serais tombé à l’instant même dans le désespoir. La seconde chose qui à mon avis maintint le Curé d’Ars dans une humilité si profonde fut cette tentation de désespoir , qui revint si souvent dans le cours de sa vie.



(247) Je désire ajouter ce dernier trait sur l’humilité du Serviteur de Dieu : quand il éprouvait quelque humiliation, même en face, il était gai, souriant ; on ne voyait pas la moindre rougeur sur son visage, pas le moindre embarras, pas la moindre émotion.


10249 (249) Session 20 – 17 janvier 1863 à 9h du matin



Sur le dix-huitième interrogatoire, le témoin dépose ainsi sur la chasteté :J’affirme que Mr Vianney a toujours montré une grande prédilection pour cette vertu. Il était facile à le voir en l’écoutant dans ses catéchismes et en le suivant dans toute sa conduite. Lorsqu’il fut nommé Curé d’Ars, au lieu (250) d’imiter ses confrères et de suivre l’usage général du pays en prenant à son service une personne du sexe, il crut devoir s’en passer et préparer lui-même ses aliments, mettre l’ordre dans son presbytère. J’affirme que si quelques fois des personnes du sexe s’introduisaient dans le presbytère pour déposer des provisions ou veiller à la propreté, c’était toujours en l’absence de Mr Vianney, qui du reste n’aimait pas qu’on lui rendit service. J’affirme que ces personnes étaient connues de tous pour leur grande piété et que leur manière d’agir n’a jamais éveillé aucun soupçon. Dans le temps où Mr Vianney était en butte aux contradictions, si quelques-uns ont osé le calomnier sur le rapport des moeurs, la calomnie était tellement évidente qu’on ne les a pas crus. Les personnes qui l’ont approché de plus près ont été convaincues qu’il n’avait jamais connu le mal et que même il n’avait pas été tenté sous le rapport de la sainte vertu. Je le tiens de ces personnes elles-mêmes.





Sur le dix-neuvième interrogatoire, le témoin répond ainsi :



J’affirme que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus dont j’ai parlé au degré héroïque. J’affirme même que la lecture de la vie des saints ne m’avait pas donnée une aussi grande idée de la sainteté que l’ensemble de la conduite de Mr Vianney.



Interrogé ensuite sur ce qu’il entend par vertu héroïque, le témoin répond :



J’entends par vertu héroïque une vertu qui est plus qu’ordinaire ; mais j’affirme que Mr Vianney a pratiqué ces vertus dans un degré d’héroïcité très élevé ; les raisons et les faits que j’ai allégués le démontrent assez. J’affirme enfin que le serviteur de Dieu a persévéré jusqu’à la mort dans la pratique des vertus au degré héroïque, (251) qu’il ne s’est jamais relâché de sa ferveur et qu’il n’a jamais rien fait qui ai pu ternir l’héroïcité de ses vertus.



Sur le vingtième interrogatoire, le témoin dépose :



J’affirme que le Serviteur de Dieu a été comblé de dons extraordinaires.

Je dis 1° qu’il a eu le don des larmes. On le voyait ordinairement verser des larmes lorsqu’il célébrait le Saint Sacrifice, lorsqu’il faisait ses prières et très souvent lorsqu’il entendait les confessions ; il en était venu au point de ne pouvoir parler dans ses catéchismes, ses instructions, sur l’amour de Dieu, le St Sacrement, la passion de Notre Seigneur, le bonheur du ciel, du malheureux état des pauvres pécheurs, sans verser d’abondantes larmes.



J’affirme 2° que le Serviteur de Dieu lisait au fond du coeur. J’en ai eu des preuves personnelles. Une fois entre autre, dans les premières années, je n’osais lui parler d’une chose qui me causait une vive peine ; dans la crainte qu’il ne me comprit pas bien, et que sa décision jeta un trouble indicible dans mon âme, que personne ne put calmer, parce que personne ne possédait au même degré ma confiance ; comme il ne s’agissait pas d’une accusation en confession, après bien des hésitations je résolus de me taire et j’entrais au confessionnal ; quel ne fut pas mon étonnement lorsque Mr le Curé répondit à ma pensée, comme aurait eu peine à le faire une personne à laquelle j’aurais exposé la chose fort en détails. Lorsque je m’adressais à lui pour la première fois, on me défendit de lui faire une confession générale ; je n’eus pas l’idée de lui faire connaître entièrement mon âme, les grâces que j’avais reçu, etc. j’ai pu constater bien des fois qu’il était au courant de tout et il dit un jour sur moi à une dame de mes amies, une chose concernant une grâce que j’avais reçue, dont je ne lui avais pas (252) parlé. Malgré mes demandes il n’avait jamais voulu m’aider à faire mon examen en confession. Tout à coup il me questionnait sur quelques péchés, c’était toujours sur des fautes ignorées ou oubliées, tellement qu’à la fin lors même que le souvenir ne m’en revenais pas aussitôt, je n’osais pas nier, sûre que plus tard je verrai que ce n’était pas sans motif qu’il m’avait fait ces questions. Beaucoup de personnes m’ont attesté qu’il avait eu sur elles le même genre de lumières surnaturelles. Une personne eut un jour le malheur de lui taire un péché en confession ; il lui dit : vous me trompez mon enfant et c’est bien mal ; vous reviendrez une autre fois et il ferma la grille. Cette personne fut si bouleversée qu’elle ne put s’empêcher de le dire à une dame pieuse que je connaissais beaucoup et de qui je tiens directement ce fait. Un homme de ma paroisse que Mr le Curé d’Ars ne pouvait pas connaître alla se confesser à lui ; il lui parla de ses deux filles, sans que le pénitent lui en eu rien dit. Je tiens ce fait de la personne qui avait accompagné à Ars l’homme dont je parle. Un autre homme ayant reçu une commission pour Mr le Curé d’Ars vint la lui faire à la sacristie. Il y a bien longtemps que vous ne vous êtes pas confessé, lui dit le bon Curé ; une quarantaine d’années répondit l’autre. Non, mon ami, il y a quarante quatre ans. Il y a quelque chose qui ne va pas bien dans votre conscience, ajouta-t-il en fondant en larmes. Ce pauvre pécheur fini pas se convertir. Je tiens le fait d’une de mes parentes qui était présente.



J’affirme 3° qu’il a annoncé des choses futures. Il m’a prédit plusieurs fois des événements politiques ; notamment ceux de mil huit cent quarante huit et années suivantes. Il me dit entre autre une fois : ne vous inquiétez pas il n’y aura rien dans nos pays ; beaucoup de sang sera versé ailleurs, surtout dans les grands centres. (253) En mil huit cent quarante huit, mon neveu était au petit séminaire des minimes à Lyon : on faisait courir beaucoup de bruit contre cette maison et sa destruction paraissait imminente. Je lui faisait part de nos craintes : Non, dit-il, il n’y aura rien. Et l’événement confirma la prédiction. Il m’a prédit une grave maladie qui a duré cinq ans et il me fit dire dans le courant de la maladie que je ne mourrais pas. Je lui demandais un jour si je devais quitter Ars, ou si je pouvais y rester ; les nouvelles de ma famille, en particulier de ma mère, étant toutes fraîches et très bonnes ; il me dit de partir. Etonné de cette réponse, je lui fis quelques observations ; d’autres personnes lui en firent également, il répondit d’un ton très affirmatif que je devais partir. En arrivant chez moi j’appris que ma mère venait de tomber malade. Ma soeur était malade ; on priait beaucoup à son intention ; je lui demandais ce qu’il adviendrait d’elle. Il me répondit : elle mourra, mais elle ira droit au ciel. Mon beau-frère était inconsolable de la mort de sa femme ; je le disais à Mr le Curé, qui me répondit d’une manière très ferme qu’il se remarierait. Mademoiselle Hedwige Moizin de Bourg, avait une vocation très prononcée pour la vie religieuse. Sa famille y mettait opposition ; elle faisait part à Mr le Curé de ses désirs et de son chagrin. Celui-ci lui dit les choses les plus consolantes et lui dit que ses peines finiraient dans un an ; à la fin de l’année elle était morte. Une fille de ma paroisse était infirme et voulait se placer parce que sa mère la rendait malheureuse et que d’ailleurs elle n’avait pas besoin d’elle. Elle consulta Mr le Curé qui lui dit : Non ma fille, votre mère a besoin de vous, et peu de temps après la mère tomba malade et mouru.



4° Je suis convaincu qu’il a eu des visions ; je l’étais déjà avant qu’il me raconta le fait suivant : a l’occasion de la construction d’une nouvelle église (254) en l’honneur de Ste Philomène, il me dit un jour : j’étais en peine de connaître la volonté de Dieu sur cette entreprise qui me contrarie. J’ai demandé a être éclairé à ce sujet. Ste Philomène m’est apparue dans un nuage blanc environnée de lumière ; elle m’a dit par deux fois : tes oeuvres sont plus parfaites que les siennes. Dans la pensée de Mr le Curé, la sainte voulait parler de Mr Toccanier qui désirait vivement la construction de la nouvelle église ; pour lui il désirait employer l’argent à la fondation de nouvelles missions.





J’affirme 5° que le Serviteur de Dieu a opéré des guérisons extraordinaires et miraculeuses. Dans les premiers temps que j’étais à Ars, j’ai vu porter par son père un enfant d’une sixaine d’années, qui était muet et dont les jambes étaient comme du coton ; il ne pouvait ni se soutenir ni marcher. Mr Vianney leur conseilla de faire une neuvaine à Ste Philomène ; le troisième jour, le Serviteur de Dieu dit la messe à cette intention à l’autel de Ste Philomène. Après la messe l’enfant se mit à marcher. Je suis sorti de l’église pour m’assurer plus parfaitement du fait. Je l’ai vu traverser toute la place marchant à côté de son père. Je partis d’Ars avant lui : j’ai su après qu’il avait recouvré l’usage de la parole. J’ai entendu parler de beaucoup de guérisons extraordinaires. Mr Vianney attribuait ces guérisons à Ste Philomène.



Je tiens des habitants d’Ars, de Mr Perrodin, supérieur de grand séminaire de Bourg, et de Mgr Devie, évêque de Belley, le fait de la multiplication du blé au grenier de la cure. Il n’y avait presque plus de blé, le lendemain lorsqu’on le visita sur l’ordre du Curé, le grenier était comble, la quantité était telle qu’il est vraiment extraordinaire que les poutres en mauvais état ait pu supporter un pareil poids. J’ai entendu raconter à Mgr Devie, qu’un jour voulant s’assurer du fait et se trouvant au grenier sous prétexte de visiter la cure, il indiqua au Curé avec sa main une (255) certaine hauteur : le blé après la multiplication venait jusque là : non, Mgr, il venait jusque là, répondit le Curé et il indiquait une plus grande hauteur. J’ai su comme toute la paroisse d’Ars que la farine s’était multipliée d’une manière miraculeuse au moment où on la pétrissait. Ces deux miracles ont eu lieu en faveur de la Providence.


10257 (257) Session 21 – 17 janvier 1863 à 3h de l’après-midi



Sur le vingtième interrogatoire, le témoin continue à déposer ainsi :



Il avait un don merveilleux pour convertir les pécheurs, pour consoler les âmes affligées ; on ne pouvait aller à Ars sans entendre parler de nombreuses conversions : c’étaient des pécheurs de vingt ans, de trente ans, de quarante ans qui étaient revenus à Dieu par le ministère du bon Curé. (258) Le nombre en est si considérable que les détails se confondent dans mon esprit.



Sur le vingt unième interrogatoire, le témoin répond :



Je ne connais de lui que trois ou quatre prières qui ont été imprimées dans le guide des âmes pieuses. Mademoiselle Catherine Lassagne les avait écrites sous la dictée de Mr le Curé. Mademoiselle Ricottier doit avoir quelques instructions manuscrites, ainsi que les Frères de la Ste Famille à Ars ; tout cela est complètement inconnu du public.



Sur le vingt deuxième interrogatoire, le témoin répond :



Il est tombé malade à Ars le vingt neuf juillet mil huit cent quarante neuf, et il mourut le quatre août suivant à deux heures du matin. La maladie tenait surtout à un épuisement de forces aggravé par un toux très violente et une très forte dysenterie. Il a prédit sa mort en disant qu’il ne se servirait qu’une fois d’un beau ruban donné pour supporter l’ostensoir à la procession du St Sacrement. Je tiens ce détail de Mademoiselle Catherine Lassagne. D’autres personnes à Ars m’ont dit qu’en signant son mandat de traitement au mois de juillet, il dit que ce serait le dernier et que l’argent servirait pour ses funérailles. Peu de temps avant sa mort, il me dit qu’il ne fonderait presque plus de missions. Dans ses instructions du mois de Mai, il revenait continuellement sur la pensée de sa mort. Plus tard dans une instruction du Dimanche soir à laquelle il avait convoqué spécialement les hommes de sa paroisse, il leur dit : Moïse avant de mourir réunit le peuple de Dieu pour leur rappeler les bienfaits qu’ils avaient reçus du Seigneur pendant qu’il les avait conduits. Je vous réunis de même aujourd’hui pour vous rappeler les grâces que vous avez reçues de Dieu pendant tout le temps que j’ai été avec vous. Il parla alors des (259), différentes oeuvres établies dans la paroisse et en particulier de l’école des Frère et de Soeurs, de l’établissement des missionnaires sous la conduite desquels il fini par les laisser.



Je n’ai rien d’extraordinaire à signaler pendant sa dernière maladie, tout en lui à ce moment a répondu à cet amour de simplicité et d’humilité qui avait été le caractère de sa vie. Seulement toutes tentations de désespoir de la part du Démon et la crainte si vive des jugements de Dieu qu’il avait ressentie dans d’autres circonstances avait complètement disparue ; il était profondément calme. Il a reçu tous les sacrements en pleine connaissance ; je ne sais s’il les a demandés lui-même.



Sur le vingt troisième interrogatoire, le témoin répond :



Le corps est resté exposé pendant deux jours ; une foule innombrable est venue contempler les traits du Serviteur de Dieu, faire toucher différents objets à ses restes vénérés. Il y avait des personnes de tous les coins de la France et de toute condition. A son enterrement la foule ne fut pas moins nombreuse, on peut la porter au nombre de cinq à six mille personnes ; les prêtres étaient très nombreux, une foule de communautés religieuses d’hommes et de femmes y avaient leurs représentants. La cérémonie était présidée par Mgr l’Evêque de Belley.



Sur le vingt quatrième interrogatoire, le témoin répond :



Le corps a été enterré dans l’église, après avoir séjourné quelque temps dans la chapelle de St Jean Baptiste, pour laisser la possibilité de faire un caveau au milieu de l’église et c’est là que le corps a été déposé. L’inscription autant que je puis m’en rappeler est très simple et se contente de rappeler le nom et prénom du Serviteur de Dieu. Je ne sache rien qui indique (260) que l’on ai rendu sur son tombeau un culte quelconque. On y voit que ce que l’on voit en France sur les tombeaux.



Sur le vingt cinquième interrogatoire, le témoin répond :



Pendant sa vie Mr Vianney a joui d’une très grande réputation de sainteté. On ne l’appelait que le saint Curé ; les pèlerins qui venaient de toutes les parties du monde, voulaient non seulement le voir lui parler, lui soumettre leur questions, recevoir sa bénédiction ; mais le plus grand nombre ne se retiraient qu’après avoir reçu un souvenir de lui, par exemple un objet qu’il avait béni, une image qu’il avait signée. Dans le commencement, Mr Vianney ne voulait signer que des images où il y avait des consécrations ou des affiliations à quelque confrérie. Plus tard il se vit comme forcé de céder aux importunités des pèlerins et de signer les images pieuses qu’on lui présentait. La profonde vénération qu’on avait pour lui porta plus d’une fois des personnes à couper en morceaux son surplis lorsque dans le commencement il le déposait sur le mur du cimetière, on faisait de même de son chapeau, de sa soutane ; on lui a souvent coupé par derrière des mèches de cheveux pendant qu’il faisait son catéchisme. Bien des feuillets de son bréviaire ont été enlevés. On se disputait les moindres objets qui avaient été à son usage, ou qu’il avait simplement touché. On ne pouvait faire visiter la cure sans qu’on eu à constater quelques dégâts ou quelques larcins. J’affirme que sa réputation était tellement répandue que son nom était sur toutes les bouches et son portrait se trouvait partout. Les personnages les plus distingués et les plus haut placés le regardaient et le vénéraient comme un saint ; ceci explique cette affluence à Ars des personnages les plus considérables parmi (261) lesquels des Evêques, c’est ce qui explique aussi ses lettres qu’on envoyait à Mr Vianney de tous les pays du monde. La foule partageait le même sentiment de vénération et le regardait aussi comme un saint.



Cédant aux instances de sa famille, Mr Vianney avait demandé par testament que son corps fut enterré à Dardilly et sur les observations de Mgr l’Evêque de Belley, il changea ses dispositions et voulut qu’il restât et fut enterré dans la paroisse d’Ars.



Cette réputation de sainteté n’a pas cessé depuis la mort du Serviteur de Dieu, elle grandi tous les jours, de nombreux pèlerins viennent à Ars.



Sur le vingt sixième interrogatoire, le témoin répond :



Je ne connais personne qui ait attaqué en quelque manière que ce soit la réputation de sainteté de Mr Vianney par écrit ou de vive voix.



Sur le vingt septième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai entendu parler de plusieurs miracles opérés depuis la mort du Serviteur de Dieu par son intercession. 1° Pauline Rochet qui a été élevée sous mes yeux et qui est actuellement chez Mr de la Bastie d’Ars, m’a dit avoir vu un enfant recouvrer la vue sur le tombeau du saint Curé. 2° On m’a parlé à Ars d’une sourde-muette qui a été guérie il y a quelques mois sur le dit tombeau. 3° Je tiens de Mr Oriol qu’un domestique de son frère ayant reçu un coup de corne étant condamné par le médecin, fut guéri presque instannément par l’application d’une image et d’un objet qui avait appartenu au Curé d’Ars. Le médecin en fut très étonné. 4° Un domestique de mon neveu Alfred de la Bastie, condamné par (262) le médecin qui ne lui donnait plus que quelques heures de vie, fut guéri par l’application d’un morceau de la chemise du Curé d’Ars. Il avait deux maladies dont l’une était un abcès dans la poitrine. 5° J’ai entendu parler d’une religieuse du Havre qui a été guérie miraculeusement par l’intercession du Serviteur de Dieu, quelque temps après sa mort.



Sur le vingt huitième interrogatoire, le témoin répond :





J’ajoute à ce que j’ai dit sur la force du Serviteur de Dieu que malgré son extrême douceur, il avait lorsque c’était nécessaire une inébranlable fermeté. D’un mot, quelquefois, il faisait ployer les plus opiniâtres résistances. Sur la Justice, j’ai entendu raconter qu’en allant voir son frère malade il fut obligé de demander un bâton pour se soutenir et ne voulut pas consentir à ce que ceux qui l’accompagnait en coupassent un dans la haie voisine ; il en acheta un à un passant. Je suis dépositaire de ce bâton.


10265 (265) Session 22 – 19 janvier 1863 à 9h du matin



Sur le vingt huitième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai encore à ajouter à ma déposition ce qui suit : j’ai été singulièrement frappé de la régularité et de la piété de la paroisse d’Ars. Dans le temps surtout où (266) Mr Vianney en avait seul la direction et avant qu’un si grand nombre de personnes étrangères se fussent établies pour faire le commerce, quoique néanmoins le pèlerinage fut déjà très grand, à la sanctification si complète du Dimanche, comme je l’ai déjà dit, à la fréquentation si générale des sacrements se joignait l’absence de tout divertissement dangereux. Non seulement il n’y avait point de cabaret, mais quoique dans toutes les maisons des habitants on donnat à manger aux pèlerins, on ne s’y réunissait pas pour boire ; la vue d’un homme ivre était une chose extraordinaire, on n’entendait point de jurements. Je me suis promené autour des champs au moment où l’on faisait la récolte, et je n’en ai pas entendu un seul ; j’en fis avec admiration la remarque à un paysan qui me répondit : « nous ne valons pas mieux que les autres, mais nous aurions bien trop de honte de commettre de semblables fautes à côté d’un saint. » La tenue à l’église me frappa aussi surtout celle que les mères exigeaient même de leur plus petits enfants ; je voyais avec surprise, les hommes dans les champs, suspendre leur travaux pour dire l’angélus au son de la cloche. Un grand nombre d’habitants allaient prier à l’église, avant ou après leur journée de travail. Je sais que plus tard cet état de choses s’est gâté, par diverses causes toutes amenées par l’énorme affluence des étrangers, ce qui a été un vrai martyre pour le coeur du vénéré pasteur. (267) Comme on a parlé à plusieurs reprises de la difficulté que Mr Vianney eut à apprendre, on pourrait peut-être croire qu’il n’avait pas les lumières suffisantes pour répondre aux besoins de cette foule énorme, prise dans tous les rangs de la société et dans tous les genres de position ; il fut toujours surabondamment à la hauteur de cette tâche, et quant à la science, j’ai vu Mgr Devie, si bon juge en cette matière, dans le plus grand étonnement de la manière dont il avait résolu des cas de conscience excessivement difficile.



Le témoin ajoute : on m’a donné l’année de sa mort quelques gouttes de sang provenant d’une saignée faite depuis plusieurs années. Ce sang est toujours liquide.



Completo examine super interrogatoriis a Promotore fiscali datis deventum est ad examen super articulis a Postulatore exhibitis.



Proposito itaque primo articulo testis respondit : J’ai dit tout ce que je savais quand on m’a posé les questions des interrogatoires.

Baronne de Belvey



Article 2°. J’ai pareillement dit tout ce que je savais sur cet article, en répondant aux interrogatoires.

Article 3°. J’ai déjà dit tout ce que je savais sur cet article, en répondant aux interrogatoires.

(268) Article 4°. Je déclare que sur cet article, je n’ai rien à dire, et que de plus j’ai dit tout ce que je savais sur la cause du Curé d’Ars, dans mes réponses aux interrogatoires.



At cum Rmus et Illmus Dnus Episcopus Bellicensis. Alios articulos pro ponebat, testis pluries dixit et respondit : il est très inutile de m’interroger davantage sur les articles, j’ai dit tout ce que je savais en répondant aux interrogatoires.



Qua accepta declaratione pluries iterata completoque examine, perlecta fuit a me Notario Actuario alta et intelligibile voce testi supradicto integra depositio a principio ad finem. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, illamque iterum confirmavit praeter sequentia , quae addidit, videlicet ut infra :



J’ai entendu dire à de vénérables ecclésiastiques qui faisaient avec lui la mission de St Trivier, qu’ils avaient ouï des bruits extraordinaires au milieu de la nuit partant de la chambre du Curé d’Ars ; ils croyaient que la cure allait tomber. Soyez tranquilles répondit le bon curé, c’est le démon qui fait ce bruit là. L’un de ces ecclésiastiques est Mr Viallier, mort lazariste et l’autre Mr Chevalon missionnaire décédé.



Les différents faits se rattachant aux persécutions auxquels Mr Vianney était en butte à Ars , de la part du (269) démon sont connus de tous les habitants d’Ars et de beaucoup d’étrangers ; j’en ai connaissance comme les autres. Mr Vianney se plaisait à en parler dans ses conversations et dans ses catéchismes.


Ita pro veritate deposui

Bne Alix Henriette de Belvey





Ars Procès informatif 1473