Ars Procès informatif 10271

TEMOIN III – ABBE ANTOINE RAYMOND – 13 janvier 1863 – 11 août 1864

10271 (271) Session 23 – 20 janvier 1863 à 9h du matin



Au premier interrogatoire, le témoin averti de la nature et de la gravité du serment en matière de Béatification et Canonisation, a répondu:



Je connais parfaitement, la nature et la gravité du serment que je viens de faire, et je dirai la vérité telle qu’elle est, sur tous les points qui sont à ma connaissance.



Au deuxième interrogatoire, le témoin répond:



Je m’appelle Antoine Raymond, né à Fareins, diocèse de Belley, le vingt-neuf juillet mil huit cent six, de Jacques Raymond et de Philiberte Sève. J’ai le bonheur d’être prêtre, et l’évêque de Belley m’a confié la paroisse de Polliat. Je n’ai d’autre fortune que celle qui résulte des ressources fournies par mon titre de curé.



Au troisième interrogatoire, le témoin répond:



Ayant le bonheur d’être prêtre, je célèbre la sainte messe tous les jours, et je l’ai encore fait aujourd’hui.



Au quatrième interrogatoire, le témoin répond:



Je n’ai jamais été traduit en justice ni subi de condamnation.



Au cinquième interrogatoire, le témoin répond:



Je n’ai jamais encouru de censures et de peines ecclésiastiques.



Au sixième interrogatoire, le témoin répond:



(273) Je n’ai été instruit par personne de la manière ou des choses que je devais déposer dans la cause du Curé d’Ars; je ne dirai que ce que je sais personnellement. Je n’ai pas lu les articles du Postulateur. Le témoin a été averti que si on les lui remettait et s’il les lisait, il ne devrait pas diriger ses réponses d’après leur contenu, mais qu’il devrait dire ce qu’il a vu ou entendu de témoins oculaires ou auriculaires, ou ce qu’il sait de toute autre manière.



Au septième interrogatoire, le témoin répond:



J’ai de l’affection et de la vénération pour Mr Vianney, je désire le succès de la cause de Béatification, mais en cela je m’en rapporte complètement au jugement de l’Eglise, et c’est pour la plus grande gloire de Dieu que je désire faire ma déposition; je ne suis poussé par aucune considération humaine.



Au huitième interrogatoire, le témoin répond:



Je sais que Jean-Marie Baptiste Vianney est né à Dardilly, paroisse du diocèse de Lyon, le huit mai mil sept cent quatre-vingt-six, de Mathieu Vianney et de Marie Béluse; il fut baptisé le jour même de sa naissance dans l’église de Dardilly. Ses parents étaient de bons chrétiens, sa mère se distinguait par sa haute piété; ils prirent soin d’élever le Serviteur de Dieu dans la pratique des vertus chrétiennes. J’ignore à quel moment et en quel lieu il a reçu la Confirmation. Je tiens tous ces détails du Serviteur de Dieu lui-même, de son frère aîné et d’autres personnes dignes de foi.



Au neuvième interrogatoire, le témoin répond:



Je sais que Mr Vianney a passé son enfance chez ses parents à Dardilly jusqu’à l’âge de neuf à dix ans; il est allé ensuite à Ecully chez sa tante Humbert pour (274) se préparer à la première communion; il la fit à l’âge de douze ans dans une chambre. On était alors au moment de la grande révolution, qui avait fermé les églises. Pendant tout ce temps là, il se distingua par une tendre piété. Rentré chez ses parents après sa première communion, il continua à donner l’exemple de cette même piété qui semblait aller toujours en augmentant. Je ne connais pas de vice ou de défaut qu’on lui ait reproché à cette époque; il était aimé et respecté de tout le monde. Je tiens ces détails de son frère et de son beau-frère. Son frère vit encore.



Au dixième interrogatoire, le témoin répond:



Mr Vianney est resté jusqu’à l’âge de dix-neuf ans environ, chez ses parents qui l’occupaient aux travaux des champs. A cet âge il put réaliser le désir qu’il avait depuis longtemps à cause de sa grande piété, celui d’entrer dans l’état ecclésiastique; pour cela il commença ses études à Ecully, auprès de Mr Balley, curé de cette paroisse. Ses succès ne furent pas très brillants; il n’avait pas beaucoup de facilité, ce ne fut qu’avec peine qu’il put obtenir la science nécessaire au ministre des autels. Pendant tout le temps de ses études, il se fit remarquer par sa grande piété. Je tiens ces faits de lui-même ou d’autres personnes.



Au onzième interrogatoire, le témoin répond:



A l’époque de la conscription, Mr Balley avait eu soin de faire porter Mr Vianney comme aspirant à l’état ecclésiastique; mais malheureusement on omit d’inscrire son nom sur la liste des autres élèves ecclésiastiques. L’autorité civile s’en aperçut une année après et appela le jeune Vianney sous les drapeaux; il fut obligé d’obéir à la loi et d’interrompre ses études ecclésiastiques. Il partait pour rejoindre son corps d’armée, lorsque sur la route, se reposant de ses fatigues, il rencontra un habitant des (275) Noës qui l’engagea à déserter comme faisaient tant d’autres. Cet habitant le conduisit chez le Maire qui voulut bien lui donner l’hospitalité pendant quelques mois et il passa le reste du temps chez une veuve nommée Fayot, s’occupant de l’instruction des enfants du village. Ce ne fut qu’au bout de quatorze mois, qu’il put revenir à Ecully et continuer ses études ecclésiastiques.



Au douzième interrogatoire, le témoin répond:



Depuis son retour, Mr Vianney, trouvant de grandes difficultés à acquérir la science nécessaire à l’état ecclésiastique, résolut de faire le pèlerinage de la Louvesc, auprès du tombeau de St François Régis, pour demander à ce grand saint la grâce d’en savoir assez pour être prêtre un jour. Il lui sembla depuis cette époque avoir plus de facilité. Il resta chez Mr Balley jusqu’à l’année mil huit cent douze. Cette année il alla faire son cours de philosophie au petit séminaire de Verrières où il y reçut des leçons en français. Pendant les vacances qui suivirent l’année de philosophie, Mr Balley lui donna les premières notions de la théologie. Il entra avec les autres vers la Toussaint mil huit cent treize au grand séminaire de Lyon. Ayant échoué au premier examen de Pâques, il revint chez Mr Balley, pour achever son cours de théologie en français. Les grands vicaires du diocèse qui étaient en relation fréquentes avec Mr Balley, lui firent subir les examens avant son admission aux Ordres sacrés. Je sais que Mr Bochard, vicaire général, qui lui a fait subir le dernier examen en a été très satisfait. Mr Vianney reçut les différents ordres les uns après les autres. Je n’ai rien de particulier à dire sur l’exercice des ordres reçus; j’affirme seulement qu’il a exercé dès le commencement les fonctions du sacerdoce avec beaucoup de zèle et de piété. Je tiens presque tous ces faits de Mr Vianney lui-même.



(276) Sur le treizième interrogatoire, le témoin répond:



Aussitôt après son ordination à la prêtrise, Mr Vianney fut nommé par l’autorité ecclésiastique, vicaire à Ecully. Les vicaires généraux s’étaient dit qu’ils ne pouvaient mieux le placer qu’auprès de son ancien maître qui continuerait à le former. Mr Balley était au comble de ses voeux, il lui donna sa confiance en le choisissant pour son directeur. Il le forma à l’exercice du saint ministère en résolvant avec lui les cas les plus difficiles qui peuvent se rencontrer. Je tiens cette particularité de Mr Vianney lui-même. Le Serviteur de Dieu se conduisit dans cette paroisse de manière à mériter la confiance de tout le monde. Sa piété amenait beaucoup de personnes à son confessionnal.



Au quatorzième interrogatoire, le témoin répond:



Après dix-huit mois de vicariat à Ecully, Mr Vianney fut nommé curé à Ars par Mr Courbon, vicaire général du diocèse de Lyon. En lui donnant ses pouvoirs Mr Courbon lui dit : « Je vous envoie dans une mauvaise paroisse afin que vous la rendiez bonne. » Les moyens que Mr Vianney employa furent la prière, la prédication fréquente et la visite de ses paroissiens et les grands exemples de vertu qu’il donnait. J’ai toujours habité le pays et j’ai su par moi-même les résultats de son ministère. Dès le commencement on en parla dans les paroisses voisines. Il avait dès lors la réputation d’un saint prêtre.



Au quinzième interrogatoire, le témoin répond:



Il a institué de pieuses associations, plus tard fondé une école et une Providence. S’inspirant de son zèle et de la direction générale donnée aux prêtres du diocèse de Lyon, il prenait tous les moyens mis en usage à cette époque pour améliorer sa paroisse. Il y allait avec beaucoup de prudence, ne songeant qu’à ses paroissiens, il cherchait à les attirer au catéchisme qu’il faisait le dimanche à Vêpres. Il n’a point donné de règles particulières aux personnes chargées de sa providence. Cédant aux conseils qui lui étaient donnés par ses supérieurs ecclésiastiques, il confia la direction de cet établissement aux Soeurs de St Joseph.



Au seizième interrogatoire, le témoin répond:



Le Serviteur de Dieu remplit exactement tous les commandements de Dieu et de l’Eglise, tous les devoirs de son état; il a persévéré jusqu’à la mort dans la pratique fidèle de tous ses devoirs. J’en fournirai la preuve dans les détails que je donnerai sur les vertus.



Interrogé comment il conciliait ce fidèle accomplissement de tous ses devoirs avec les absences de sa paroisse, avec les deux fuites dont il est parlé dans les articles, le témoin répond:



Ces absences ne nuisaient point à ses devoirs de pasteur; il revenait assez souvent pour que rien ne souffrît; ses paroissiens étaient édifiés de son (277) zèle pour le salut des âmes. Quand il allait dans les paroisses voisines pour remplacer les curés absents ou malades, il ne découchait jamais et les missions n’ont eu lieu qu’en mil huit cent vingt-six, année du Jubilé, excepté celle de Trévoux en mil huit cent vingt-trois. Quant à ses fuites, dans la première, j’étais chargé par lui d’une lettre à Mgr l’Evêque le priant de lui donner un autre poste où il pourrait recevoir les pèlerins et lui disant qu’il attendrait ses ordres dans sa famille. Pour la seconde fuite, je crois que sa tête s’était montée à l’occasion de l’arrivée des missionnaires qui lui étaient envoyés sans qu’il fût prévenu; ils devaient me remplacer. Mr le Curé avait beaucoup d’affection pour moi; il craignait aussi d’être contrarié dans la direction de sa paroisse et du pèlerinage.



(279) Session 24 – 21 janvier 1863 à 9h du matin



Sur le dix-septième interrogatoire, le témoin répond:



Je sais que Mr Vianney a éprouvé des contradictions soit de la part de certains ecclésiastiques, soit de la part de quelques laïques. Les ecclésiastiques trouvaient que Mr Vianney n’avait pas assez de connaissances théologiques, son zèle était trop ardent et on craignait dès lors qu’il ne donnât une fausse direction (280) aux personnes qui s’adressaient à lui. Une fois entre autre, il fut péniblement affecté en apprenant que des propos semblables avaient été tenus dans une réunion d’ecclésiastiques où l’on avait même agité la question de savoir si on ne devait pas le dénoncer à son Evêque. Quant aux laïques, je sais également que Mr Vianney a supporté dans différentes circonstances quelques propos malveillants. A l’époque de la révolution de mil huit cent trente, moment de trouble et d’agitation dans les esprits, sept de ses paroissiens vinrent lui signifier d’avoir à quitter leur paroisse. Ils le trouvaient trop sévère dans la direction de la paroisse. J’ai connu moi-même ces personnes et je puis affirmer qu’elles n’étaient point les plus édifiantes de la localité. Ces différentes épreuves lui furent très sensibles et il m’en parla dans l’intimité; mais je dois affirmer qu’il les supportait avec patience et charité.



Au dix-huitième interrogatoire, le témoin répond:



J’affirme que le Serviteur de Dieu a brillé par la pratique de toutes les vertus chrétiennes et qu’il y persévéra jusqu’à la mort.



Quant à la foi j’ai appris de lui-même qu’à l’âge de six ou sept ans, il aimait beaucoup prier et qu’il cherchait à inspirer à ses petits compagnons une grande dévotion envers la Ste Vierge dont il avait une statue qu’il portait toujours; qu’il se plaisait à faire à ses petits compagnons de petites instructions. Quand il était seul son plaisir était d’élever de petits autels et d’adresser devant eux de ferventes prières; son bonheur aussi était de placer sa petite statue de la Ste Vierge dans le creux de quelque arbre, de l’orner de guirlandes de fleurs et de feuillages et de réciter devant elle quelques prières. Je tiens de son frère aîné que sa tenue à l’église (281) pendant les offices divins était très recueillie, et que pendant les soirées passées en famille il se plaisait à entendre la vie des saints et à apprendre des formules de prières dont il faisait usage ensuite.



A l’époque de sa première communion il y eut chez lui un redoublement de ferveur, si bien que les anciennes religieuses de St Charles chassées de leur couvent par la révolution et qui s’occupaient de préparer et d’instruire les enfants à la première communion, faisaient remarquer aux autres le jeune Vianney comme devant être leur modèle. Je sais aussi que Mr Groboz avait admiré la piété de cet enfant et que plus tard, étant secrétaire de l’Archevêché de Lyon il aimait à en parler. De son côté Mr Vianney avait conservé un précieux souvenir de toutes les instructions de ce vénérable ecclésiastique. Quand il parlait de sa première communion, il me disait: « C’est le plus beau jour de ma vie. » Et en disant cela son visage paraissait enflammé et je l’ai vu répandre des larmes de joie. Je tiens de son frère que depuis sa première communion jusqu’au moment où il commença ses études chez Mr Balley, on remarqua chez lui un redoublement de ferveur. Il édifiait toute sa famille et la paroisse entière. Il priait sans cesse soit en allant aux champs, soit en travaillant, soit en revenant à la maison paternelle. Et toutes les fois qu’il le pouvait, il allait faire une petite visite au St Sacrement avant de se mettre au travail. Pour prier plus à son aise, il se tenait à l’écart lorsqu’il était aux champs. Et ses frères et d’autres personnes ont voulu plus d’une fois s’assurer de ce qu’il faisait, et constamment ils l’ont trouvé faisant ses prières, son chapelet (282) à la main.



Je n’ai pas de détails sur les premières idées de sa vocation à l’état ecclésiastique; j’ai tout lieu de penser que ce fut sa grande piété qui lui en donna l’idée. Son père s’y opposa pendant environ deux années; mais sa mère et sa tante d’Ecully désirait vivement qu’il embrassât cette carrière. Ce ne fut qu’à l’âge de dix-neuf ans comme je l’ai déjà dit, qu’il put commencer ses études chez Mr Balley à Ecully; on vit de suite chez lui un redoublement de foi et de piété. Trouvant trop de difficultés à surmonter dans l’étude des sciences, il fit voeu d’aller à pied et en mendiant au tombeau de St François Régis. Il eut tant à souffrir en allant à ce pèlerinage qu’il se crut obligé de faire commuer son voeu pour ne pas mendier en revenant. A son retour il crut éprouver moins de difficulté dans l’étude des lettres. J’ai déjà dit qu’il avait été obligé d’interrompre ses études pour subir la loi de la conscription. J’ai pareillement rappelé qu’il était allé aux Noës. Pendant son séjour il édifia singulièrement tous les habitants de ce village; il donnait l’instruction aux enfants, lisait dans les réunions la vie des saints et faisait même quelques exhortations qui étaient vivement goûtées par ses auditeurs. Tout le monde le vit quitter à regret cette localité. De retour à Ecully il reprit ses études et montra les sentiments de foi et de piété que j’ai déjà mentionnés. Pendant l’absence de Mr Vianney, Mr Balley faisait réciter à la prière du soir, un pater et un Ave Maria pour son retour. Quelques personnes se plaignant de la répétition fréquente de ces prières et croyant Mr Vianney mort, Mr Balley n’en (283) continuait pas moins la recommandation. Et disait: « Non, il n’est pas mort; il sera prêtre un jour. » Mr Balley ignorait pourtant complètement où le jeune homme se trouvait alors. Un jour que Mr Vianney et Mr Loras son condisciple sortaient ensemble dans le village d’Ecully, Mademoiselle Vivien connue par sa grande piété dit de Mr Vianney : « Il sera un saint prêtre. » Et de Mr Loras qui n’avait alors que onze à douze ans: « Il sera un bon évêque. » Tout le monde sait que Mr Loras est mort évêque de Dubuque aux Etats-Unis. Je tiens ce fait de Mr Vianney lui-même.



J’ai entendu dire à ses condisciples que pendant son cours de philosophie à Verrières et pendant le temps qu’il a passé au grand séminaire, Mr Vianney se distingua par sa foi et sa piété et édifia ses maître et ses condisciples. Je ne connais point de détails particuliers sur la réception des ordres sacrés, je tiens seulement du Serviteur de Dieu qu’il fut ordonné prêtre à Grenoble. Comme il était seul on en fit l’observation à l’Evêque Mgr Simon, qui répondit: « Ce n’est pas trop de peine pour ordonner un bon prêtre. » Le Serviteur de Dieu lui-même entendit ce propos qu’il m’a raconté.



J’ai déjà dit d’une manière générale combien il avait édifié la paroisse d’Ecully pendant tout le temps de son vicariat.



Quand il fut nommé à la cure d’Ars, au moment même de son arrivée et en voyant pour la première fois le village, il eut le pressentiment que cette localité ne serait pas assez grande un jour pour contenir la foule des pèlerins; c’est lui qui (284) me l’a raconté; il paraissait ne pas y attacher une grande importance ne sachant trop comment cela pourrait se faire.



Les paroissiens d’Ars remarquèrent de suite sa grande piété. Le maire, Monsieur Mandy, homme de grand bon sens et qui administra pendant quarante ans la commune, disait : « Nous avons une pauvre église, mais nous avons un saint pour curé; il n’est pas comme les autres. » C’est l’impression qu’il fit sur moi et sur mon compagnon de voyage, vénérable vieillard, lors de ma première visite à Ars en mil huit cent dix-huit. Il passait la plus grande partie de son temps à l’église. Sa vie était très mortifiée; il vivait seul dans son presbytère. Il priait beaucoup pour la conversion de sa paroisse. La préparation de ses instructions lui donnait une grande peine; il eut recours une seconde fois à St François-Régis en faisant une neuvaine à laquelle plusieurs personnes pieuses voulurent bien s’associer.



Le Serviteur de Dieu porta quelques personnes pieuses à visiter plus assidûment l’église. Mlle d’Ars qui habitait la localité et Mlle Pignon qui était venue de Lyon attirée par la sainteté du nouveau pasteur; répondirent les premières à la pieuse impulsion du bon curé. Peu à peu d’autres personnes s’adjoignirent à elles; on entendit la messe tous les jours; on fit la visite au St Sacrement; on fréquenta plus souvent la Table Sainte; la prière du soir dans l’église se fit chaque jour, après quelques temps le curé la fit sonner comme un exercice public. (285) Il établit les confréries du Rosaire et du St Sacrement afin de maintenir la piété dans sa paroisse et de fortifier les habitudes religieuses. Il s’appliqua surtout à détruire les abus et en particulier les cabarets et les danses. Il en fit souvent ressortir les dangers dans ses instructions et au confessionnal. Il fut puissamment secondé par le maire de cette époque et peu à peu les danses cessèrent et les cabarets furent abandonnés. Il y eut encore quelques danses dans des circonstances rares, mais elles ne se faisaient plus auprès de l’église. Quelques personnes attachées à ces amusements allaient se dédommager dans les paroisses voisines. Il avait obtenu par ses recommandations fréquentes que l’on sanctifiât le saint jour du Dimanche. Le plus grand nombre des paroissiens se montrait fidèle à la voix de son pasteur, pourtant il est à ma connaissance que quelques-uns se livraient encore au travail au temps des fenaisons et des moissons; mais beaucoup moins que dans d’autres endroits.



Je sais que dans les missions de Trévoux et autres lieux, il fit beaucoup de bien, il prêchait peu, mais il confessait beaucoup. A Trévoux, il fallait l’arracher du confessionnal, la foule des pénitents s’adressait à lui. Quelques personnes qui s’étaient adressées à lui dans les missions, revenaient de temps en temps demander ses conseils à Ars. Ce fut l’origine du pèlerinage.



L’église d’Ars était très pauvre; il s’attacha à l’orner, il commença par l’autel, puis les ornements. Mr d’Ars lui fit donation de très beaux (286) ornements, que le bon Curé était heureux de montrer à tout le monde. Il travaillait lui-même à dresser les reposoirs pour la procession du St Sacrement. Pendant toute la célébration du saint Sacrifice son recueillement était profond et faisait l’admiration de tout le monde. Toutes les fois que le Curé d’Ars parlait de la Ste Eucharistie il faisait sur les esprits et sur les coeurs l’impression la plus vive. On remarquait surtout un geste vers le tabernacle qu’il accompagnait d’un tel regard, qu’il faisait penser et dire à ceux qui en étaient les témoins qu’il voyait vraiment Notre Seigneur dans l’Eucharistie. Il y revenait toujours dans ses instructions et quoique il répétât souvent les mêmes choses, on ne se lassait jamais de l’entendre. Il administrait tous les sacrements avec un grand esprit de foi. Sa manière de prêcher indiquait sa foi profonde, les choses qu’il disait, la manière dont il les disait, le ton de sa voix. Un jour je lui demandais d’adresser quelques mots aux enfants qui venaient de faire leur première communion, c’était le Jeudi Saint, il parla sur la reconnaissance d’une manière admirable. Il parlait souvent de l’état de grâce, du bonheur d’être uni à Dieu; combien c’était beau, combien c’était grand: quand le St Esprit est avec l’âme c’est comme si nous étions plongés dans le baume. Sur la prière, il y revenait souvent et disait le bonheur qu’éprouve l’âme (287) de converser avec son Dieu.



(289) Session 25 – 21 janvier 1863 à 3h de l’après-midi



Sur le dix-huitième interrogatoire, le témoin dépose ainsi au sujet de la Foi:



Dans ses tentations, dans ses souffrances il s’inspirait des sentiments de la foi pour tout supporter avec patience et courage; il s’offrait à Dieu en sacrifice. Le mobile de toutes ses actions (290) et de toute sa vie fut la foi. J’étais présent dans sa première maladie en mil huit cent quarante-quatre; il reçut les sacrements avec une grande édification, encourageant lui-même le vénérable ecclésiastique son confesseur qui était dominé par son émotion. Après avoir été administré, il se voua à Ste Philomène; il promit cent messes et fit brûler un grand cierge. Sa convalescence se déclara immédiatement; il fut bientôt rétabli. Mr Vianney attribua sa guérison à Ste Philomène; le mieux s’était déclaré au moment même où le curé de Fareins célébrait à l’autel de la sainte la première messe promise.



Le témoin interrogé sur la vertu d’Espérance répond de la manière suivante:



La Divine Providence en donnant à Mr Vianney, Mr Balley pour maître, releva son courage et son espérance dans les difficultés qui s’opposèrent à sa vocation à l’état ecclésiastique.



J’ai lieu de croire par la manière dont il parlait des jugements de Dieu, qu’il a dû éprouver de vives craintes; mais cependant il ne s’est point découragé. Il exhortait les autres à l’espérance chrétienne; il cherchait à inspirer une vive horreur du péché; il y revenait très souvent. Il parlait aussi très fréquemment du Ciel. Si on aimait Dieu en enfer, il n’y aurait plus d’enfer. Il répétait souvent une parole de Luther qui disait en montrant le Ciel à sa malheureuse compagne: « Regarde le Ciel, nous n’irons jamais. » « Oh! quel malheur, ajoutait le Curé d’Ars, de ne pas aller au Ciel. » Il disait aussi que les croix, les souffrances étaient le chemin du Ciel, et il se servait (291) de cette pensée pour ranimer le courage des âmes abattues. Dans ses conversations intimes il aimait à répéter : « Je connais quelqu’un qui serait bien attrapé s’il n’y avait pas de paradis. » Voulant par là parler de lui-même.



Il n’oublia jamais le soin de sa propre sanctification; il prenait les moyens ordinaires, la lecture de la vie des saints et de quelques livres ascétiques, la prière, les visites au Saint Sacrement; il joignait à tout cela une vie très mortifiée. Lorsque de nombreux pèlerins réclamèrent son ministère; le Serviteur de Dieu s’offrait en sacrifice et donnait son temps au salut des âmes. L’hiver, ayant plus de loisirs; il reprenait ses exercices ordinaires autant qu’il le pouvait et se livrait à l’étude le soir. Je lui ai procuré moi-même pour ses études les examens de Valentin et de la théologie morale de Gousset, et il les repassait chaque hiver.



Il aimait à penser aux bienfaits qu’il avait reçus de Dieu. Il me disait souvent : « Que Dieu a été bon pour moi! »



Je n’ai jamais entendu les bruits que Mr Vianney attribuait au démon quoique je fusse en sa compagnie et qu’il me dît quelquefois: “Entendez, entendez le Grappin. » (nom qu’il donnait au démon). Je ne doute pas que lui-même n’ait cru les entendre. Or quand il connut la cause de ces bruits étranges, il montra pour le démon, auquel il les attribuait, le plus grand mépris. Au contraire quand il entendait plus de bruit, il se réjouissait par la pensée qu’il avait vu se confirmer souvent, qu’il lui arriverait quelques (292) grands pécheurs. Il avait une grande horreur du péché et souffrait beaucoup lorsqu’il pensait combien Dieu était offensé. Il ressentait une très grande joie en voyant aimer le Seigneur.



Mr Vianney avait une grande défiance de lui-même; il parlait souvent de son peu de talent; cependant il ne se décourageait pas et suivait constamment les règles qu’il s’était tracées; il remplissait tous les devoirs de son ministère et s’excitait même à faire tout le bien possible.



Dans les quinze premières années de son séjour à Ars il a été bien tourmenté de la crainte de la mort et de la pensée des jugements de Dieu. Il m’en a parlé bien souvent, mais pendant les huit ans que j’ai passés auprès de lui comme son auxiliaire, je n’ai pas remarqué qu’il fût troublé par ces pensées, quoiqu’il rappelât souvent dans ses instructions et ses catéchismes le désir et le bonheur du Ciel.



Mr Vianney a parlé bien souvent du désir de se retirer dans la solitude; il en a demandé plusieurs fois la permission à son Evêque et il a consulté là-dessus le prince de Hohenlohe. Comme il m’annonçait la réponse du prince, je lui dit: « Le prince vous a sans doute répondu comme Mgr et comme nous faisons tous que vous faisiez plus de bien en restant à Ars que si vous vous retiriez dans la solitude. » Mr Vianney se mit à sourire.



Je n’attribue pas sa première fuite à son désir de la solitude, car il demandait (293) à son Evêque à se retirer à Montmerle où il aurait continué le pèlerinage et tout porte à croire que là le pèlerinage aurait été mieux placé et par suite plus considérable qu’à Ars.



(295) Session 26 – 22 janvier 1863 à 9h du matin



Sur le dix-huitième interrogatoire, le témoin répond ainsi sur la charité envers Dieu :



J’ai déjà dit quelle piété Mr Vianney montra pendant son enfance. Il me disait quelque fois: « Que j’aimais donc à prier le bon Dieu et à lui dire que je l’aimais et que je (296) voulais l’aimer. » J’ai déjà dit quelle vie édifiante il avait mené pendant son enfance, son adolescence et le temps de ses études. Il se félicita toute sa vie d’avoir eu pour maître un saint prêtre et d’avoir pu commencer sous sa direction l’exercice du saint ministère. Dès son arrivée à Ars il donna des preuves de son amour pour Dieu par son assiduité à l’église, ses visites fréquentes au St Sacrement, par son zèle à orner son église auparavant si pauvre et si délabrée; il employait tout son traitement et ses autres ressources pour rendre la maison de Dieu digne et convenable. Il parlait continuellement de la divine Eucharistie et il exhortait à communier fréquemment, il parlait aussi sans cesse de l’amour de Dieu. Sa vie toute entière était si édifiante que dès lors on le regarda comme un saint.



Je l’ai vu dire habituellement son office à l’église et à genoux. Je puis attester avec tous ceux qui en ont été témoins qu’il disait la messe avec de grands sentiments de foi et de dévotion. Il avait une figure angélique au saint autel. Il mettait le temps ordinaire pour dire la Ste Messe; il faisait cependant une pause assez marquée au moment de la communion.



Quand Mr Vianney parlait de l’amour de Dieu; il le faisait avec un bonheur et une délectation qui se montraient sur tout son extérieur. « Quel bonheur d’aimer Dieu », répétait-il sans cesse. Le Serviteur de Dieu revenait continuellement sur ce sujet dans ses catéchismes et ses instructions. Je puis affirmer que je l’ai toujours entendu avec (297) le même plaisir quand même il répétait le même sujet avec les mêmes expressions. Il était vraiment beau quand il parlait de l’amour de Dieu, je puis dire la même chose de la prière, sujet sur lequel il revenait aussi très souvent. « Oh! mes enfants, disait-il, quel bonheur pour l’homme de pouvoir prier le bon Dieu. La prière c’est tout. » Il avait sur le même sujet une foule de pensées et de comparaisons admirables. Les instructions où il exhalait le plus les sentiments de son coeur, étaient celles sur la prière, sur l’Eucharistie, sur l’amour de Dieu, et sur l’union avec Dieu.



J’affirme que le Serviteur de Dieu a eu toujours un grand zèle pour le salut des âmes; il parlait peu au saint tribunal, mais il poussait sans cesse à l’amour de Dieu et il le faisait d’une manière qui impressionnait tout le monde. Les pénitents qui se sont adressés à lui en ont conservé le souvenir.



Son amour pour Dieu le portait à parler des choses spirituelles dans toutes ses conversations. Mais si la bienséance l’obligeait à entendre discourir sur les choses politiques ou temporelles, il savait adroitement ramener la conversation aux choses spirituelles. A mon avis, rien ne saurait mieux exprimer ma pensée sur le Serviteur de Dieu que cette parole de St Paul: Nostra conversatio in coeli est. Il ne perdait jamais de vue la présence de Dieu. Plus d’une fois j’ai vu personnellement comment il savait parler de Dieu et y ramener le sujet lorsqu’il paraissait s’en écarter, ou (297) lorsqu’on l’entretenait d’autre chose.



J’affirme que l’amour de Dieu a porté Mr Vianney à embrasser cette vie pénitente et mortifiée, cette vie de sacrifices dont j’ai été constamment témoin pendant mon séjour à Ars. Je donnerai des détails en parlant de ses pénitences.



Sur la charité envers le prochain, le témoin répond:



J’ai entendu dire à son frère aîné que dès son enfance Mr Vianney était très charitable, qu’il leur donnait tout ce qu’il avait, qu’il était très heureux lorsque sa mère se servait de lui pour faire les aumônes. Quand il voyait qu’un pauvre n’avait pas eu sa part de la soupe, il sollicitait sa mère jusqu’à ce qu’il eût obtenu qu’on lui en préparât. Je tiens pareillement de son frère aîné qu’étant élève de Mr Balley à Ecully, Mr Vianney avait un jour donné ses souliers à un pauvre.



Je tiens de son beau-frère et d’autres personnes bien informées que pendant son vicariat à Ecully, le Serviteur de Dieu donnait tout aux pauvres. Sa charité était si connue que des personnes lui remettaient de l’argent pour ses aumônes. On le vit aussi toujours prêt à se dévouer, à se sacrifier pour le salut des âmes.



A peine arrivé à Ars, le Serviteur de Dieu s’efforça de donner à ses paroissiens des preuves de la charité et de l’affection qu’il leur portait. On le vit immédiatement remplir tous ses devoirs de pasteur. Son zèle lui fit chercher les moyens de faire refleurir la piété. De là la réforme des abus, l’établissement des oeuvres dont j’ai parlé en déposant sur la foi ou sur les questions générales. (299) Sa grande charité s’exerçait surtout envers les malades auxquels il donnait avec empressement les soins spirituels et les secours matériels dont ils pouvaient avoir besoin.



Sa charité n’était pas moins admirable lorsque de pauvres pécheurs venaient se jeter à ses pieds, il savait leur inspirer de grands sentiments de contrition. On l’a vu plus d’une fois pleurer à chaudes larmes lorsqu’un pénitent lui faisait l’aveu de ses fautes. Un grand nombre de pécheurs ont dû leur conversion aux marques spéciales de la charité que le Serviteur de Dieu leur témoignait.



J’affirme que sa charité ne s’exerçait pas seulement envers les vivants, elle s’étendait aussi sur les âmes du purgatoire. Pour les soulager il a fondé des messes que l’on doit dire chaque année pendant l’octave des morts.



Mr Vianney a fondé une messe annuelle pour demander les grâces nécessaires au pasteur afin qu’il puisse bien gouverner la paroisse, et une autre messe en l’honneur de la Ste Vierge, pour mettre ses paroissiens sous la protection spéciale de la Mère de Dieu. Il a fait de semblables fondations pour une dizaine de paroisses voisines. Il a fondé des messes dans sa paroisse presque pour tous les jours de l’année à différentes intentions qui manifestaient tout à la fois sa piété, sa charité, son zèle.



Ces premières fondations ne furent que le prélude d’autres beaucoup plus importantes. Mgr Devie avait fait un établissement de missionnaires; il avait prié Mr Vianney de (300) s’intéresser en sa faveur et m’avait même chargé de le rappeler au Serviteur de Dieu. Mr Vianney répondit: « Je consulterai le bon Dieu à cet égard.» Et quelques jours après il me remit la somme de six mille francs pour établir tous les dix ans une mission dans deux paroisses différentes. Depuis ce temps-là l’oeuvre des missions lui fut très à coeur et il l’a continuée jusqu’à sa mort ; près de cent missions ont été établies par ses soins. Les missionnaires diocésains vivent sur les revenus annuels des sommes versées pour les missions. Pendant que j’étais auprès de lui à Ars, je l’ai vu fonder des écoles gratuites dans plusieurs paroisses et notamment dans une où il y avait des protestants. Dans cette même paroisse, il a fait une fondation de trente messes pour la conversion des protestants et pour l’entretien de l’église. Il a donné à plusieurs églises ou chapelles des vases sacrés dont la plupart étaient très beaux. Je l’ai vu aussi donner des ornements aux églises pauvres.



J’ai déjà parlé des missions qu’il avait faites dans les paroisses voisines, à l’époque surtout du Jubilé de mil huit cent vingt-six. Sa charité le portait à aller remplacer les curés voisins, lorsqu’ils étaient âgés ou malades ou lorsqu’ils sollicitaient son concours.



Sa charité pour les âmes s’est manifestée surtout dans l’exercice de la confession. Je l’ai vu l’année mil huit cent quarante pendant la belle saison rester au confessionnal, depuis une ou deux heures du matin jusqu’à la nuit tombante, moins le temps consacré à la (301) célébration de la sainte messe, à la récitation de son bréviaire et à son modeste repas. Dans l’hiver il y venait vers quatre heures du matin et y restait jusqu’à la nuit tombante. J’ai vu des prêtres et en particulier des missionnaires stupéfaits en comptant les heures que Mr Vianney passait au confessionnal.



(303) Session 27 – 22janvier 1863 à 3h de l’après-midi



Sur le dix-huitième interrogatoire, le témoin continue à répondre:



Les pèlerins restaient la nuit exposés aux injures de l’air pour attendre le moment où Mr le curé viendrait les confesser. En mil huit cent quarante-quatre, Mr Vianney demanda qu’on disposât pour eux un vestibule qui restait libre à cause (304) de la reconstruction du choeur. Il s’était toujours fait remarquer par son amour pour les pauvres. Ce fut sous cette inspiration jointe au désir de renouveler sa paroisse qu’il établit une école gratuite de filles, laquelle devint plus tard une Providence, où il recevait de pauvres enfants délaissés. Il consacra à l’achat de la maison tout son patrimoine s’élevant à sept mille cinq cent francs. Le local fut agrandi au moyen des ressources qui lui arrivaient providentiellement; il pourvoyait à toutes les dépenses. Il prenait à la Providence son repas de midi et y faisait le catéchisme aux enfants, avant ou après. Quelques pèlerins se joignaient aux enfants pour avoir le bonheur de le voir et de l’entendre. La foule devenant trop considérable, il fit venir les enfants à l’église et ce catéchisme devint ainsi un exercice public auquel les pèlerins étaient heureux d’assister; on y convoquait par le son de la cloche; ce changement se fit en mil huit cent quarante-cinq. Le nombre des enfants reçus à la Providence s’éleva à soixante environ. Cet établissement fit beaucoup de bien, mais il laissait à désirer sous le rapport de l’ordre, de la propreté et de l’instruction. Plusieurs personnes voyant la santé de Mr Vianney si frêle et avec des infirmités graves craignaient pour l’avenir de cette Providence et le pressaient d’y appeler des Soeurs; j’étais du nombre de ceux qui lui donnaient ce conseil. Mr Vianney finit par se rendre et confia cet établissement aux Soeurs de St Joseph. L’oeuvre cessa comme Providence et redevint une simple école gratuite parce que Mr Vianney ayant vu le changement avec peine, dirigea ses ressources vers d’autres oeuvres et notamment vers l’oeuvre des missions diocésaines.



(305) En mil huit cent quarante sept, il fonda l’école gratuite des garçons dont il confia la direction aux Frères de la Ste Famille de Belley. Il fonda cette oeuvre peu de temps après qu’il eût consenti à mettre à la Providence les soeurs de St Joseph. Le Serviteur de Dieu donnait avec beaucoup de générosité aux mendiants; il faisait aussi d’abondantes aumônes aux pauvres honteux de sa paroisse et même des autres paroisses. Il payait les loyers; il donnait aux pèlerins pauvres afin qu’ils pussent rester quelques jours de plus et travailler au salut de leur âme. Il lui est arrivé de vendre ou de donner des objets qui lui appartenaient pour secourir les pauvres. Son désintéressement et sa charité étaient si connus, que beaucoup de personnes aimaient à faire passer leurs aumônes par ses mains.



Le témoin interrogé sur la Prudence a répondu:



J’affirme que la Prudence du Serviteur de Dieu lui a fait prendre pendant toute sa vie tous les moyens propres à procurer sa sanctification et celle des autres. Elle lui faisait aussi estimer comme on le doit les choses spirituelles. J’ai déjà raconté quelles étaient ses habitudes de piété. J’affirme qu’il avait parfaitement connu le prix du temps et qu’il s’efforçait de n’en point perdre. Ses conversations et ses récréations étaient aussi courtes que possible, c’était pour donner plus de temps à la prière et aux travaux du saint ministère. Il était très exact à remplir tous ses devoirs et très fidèle à suivre les pratiques qu’il s’était imposées; les exercices de piété qu’il s’était tracés, il ne les omettait que lorsque la charité et le besoin des âmes le réclamaient. Sa piété n’avait rien de singulier, elle était douce et aimable. (306) S’il éprouva de grandes difficultés dans l’acquisition des sciences, sa prudence le fit recourir aux moyens surnaturels, la prière, l’invocation de la Ste Vierge et des saints. J’ai déjà parlé de son pèlerinage à la Louvesc auprès du tombeau de St François Régis.



Quand il fut prêtre, il prêchait plus d’exemple que de parole. La perfection qu’il annonçait aux autres, il en faisait la règle austère de sa conduite. Avant l’établissement du pèlerinage, il préparait avec beaucoup de soin ses instructions, cette préparation cependant lui coûtait beaucoup.



Dans la réforme des abus, il montra beaucoup de prudence, allant doucement, sans heurter, recourant à la prière, à la mortification pour attirer les secours de Dieu. Le succès qu’il obtint fut surtout remarquable par rapport à la destruction de la danse. Dans les oeuvres qu’il établissait j’ai observé bien souvent que le bon curé mettait beaucoup de prudence et de mesure, n’entreprenant que ce qu’il pouvait entreprendre pour le moment, attendant les instants de la Providence et ne s’engageant jamais pour l’avenir.



Sa grande piété le portait à croire au merveilleux, mais cependant sa prudence l’a garanti contre les dangers de cette tendance. Il déférait volontiers aux conseils et aux avis qu’on lui donnait; j’en ai fait l’expérience quelques fois. Il était prudent dans la direction des âmes; quelques personnes ont pu mal entendre ce qu’il leur disait, de là quelques plaintes sur le bon curé; je m’en suis convaincu par moi-même. Je lui ai conduit une fois une personne qui croyait avoir entendu qu’elle serait damnée; le bon curé n’a pas eu de peine à la rassurer.(307) Il était prudent dans les conseils qui lui étaient demandés pour différentes oeuvres quelquefois de la plus haute importance. Le Père Lacordaire vint le consulter sur le rétablissement des Dominicains en France. Mr Vianney l’encouragea beaucoup en lui disant: « Vous réussirez, nous avons trop besoin de saints religieux et de bons prédicateurs pour renouveler la France. »



Interrogé sur le fait de la Salette, le témoin répond dans les termes suivants:



Maximin vint à Ars accompagné de trois personnages laïques appartenant aux classes élevées de la société. Je ne leur cachai pas, Maximin présent, mes incertitudes et mes doutes sur le fait de l’apparition. Je leur dit qu’une personne m’avait déclaré avoir menti en disant qu’en présence de deux autres enfants de son âge elle avait vu la Ste Vierge; elles avaient neuf à dix ans. Il y avait quarante ans qu’elle avait fait ce mensonge, lorsqu’elle me l’avoua. Le lendemain matin, Maximin se confessa à Mr le Curé à la sacristie et après vingt-cinq minutes sortit très troublé sans même saluer l’autel ; on le ramena quelques instants après à Mr le Curé qui le vit un instant à son confessionnal derrière l’autel. A partir de ce moment, la croyance de Mr le Curé d’Ars au fait de la Salette parut ébranlée; il ne signait plus les images représentant l’apparition. Le trouble de Maximin avait été remarqué, commenté; on répandit le bruit qu’il avait démenti à Ars le fait que jusque-là il soutenait exister. Deux ecclésiastiques, Mr Rousselot et Mr le Curé de Corps, furent envoyés (308) par Mgr l’Evêque de Grenoble avec une lettre de Maximin autorisant Mr Vianney à révéler tout ce qu’il lui avait dit en confession ou autrement sur le fait de la Salette. Ce fut alors que Mr le curé put me dire que Maximin avait menti en disant qu’il avait vu la Ste Vierge. Il l’avait dit également à ces Messieurs lorsqu’ils lui eurent montré l’autorisation écrite de Maximin. Mr le Curé se montra toujours très réservé sur ce sujet, laissant aux autres leur croyance à la Salette, mais ne disant rien de ses propres impressions. Quand la qualité des personnes qui l’interrogeaient sur son opinion personnelle exigeait une réponse, il disait: « Si Maximin m’a dit vrai, il n’a pas vu la Ste Vierge. » C’est la réponse qu’il fit un jour en ma présence au Père Lacordaire qui était accompagné de Mr l’abbé Dauphin actuellement doyen de Ste Geneviève à Paris.



(311) Session 28 – 23 janvier 1863 à 8h et demie du matin



Sur le dix-huitième interrogatoire et sur la vertu de Justice, le témoin interrogé répond de la manière suivante:



Le Serviteur de Dieu était exact à remplir ses devoirs envers Dieu, attentif aux moindres inspirations de la grâce. Sa politesse était simple et toute cordiale; il avait un grand (312) respect pour tout le monde, appliquant ces mots de St Paul: Honorem cui honorem. Il aimait à dire ces paroles: « Je vous présente bien mes respects. » Toutes les fois qu’il parlait du Souverain Pontife, c’était avec une grande vénération. Il était aussi très respectueux pour son évêque et pour les représentants de l’autorité épiscopale. Sa contenance devant eux était humble et pleine de déférence. Il savait faire la différence des rangs, bon envers tous, mais plus attentifs à l’égard des grands et des dames. Il avait un respect particulier pour les ecclésiastiques et surtout pour les prêtres; il était plein d’attention pour ses collaborateurs. Il accueillait avec bonté et déférence les religieux et les religieuses.



Mr Vianney ne montrait pas moins de bonté envers les pauvres qui venaient solliciter quelques secours; il se plaisait à leur remettre lui-même l’aumône qu’il voulait faire pendant qu’il aurait pu très facilement se servir de l’intermédiaire de quelques personnes. On voyait à la manière dont il les accueillait qu’il les regardait comme les membres de Jésus-Christ.



Son coeur était profondément reconnaissant pour tous ceux qui lui avaient rendu quelques services. Il aimait à parler de tout ce qu’il devait à son père, à sa mère, à son frère aîné, à Mr Balley, aux bons habitants des Noës. C’est avec bonheur qu’il rappelait souvent que ses parents avertis par une personne éminemment chrétienne, qu’ils ne pouvaient suivre la direction du curé de Dardilly, prêtre assermenté, avaient déféré aussitôt à cet avertissement et n’avaient plus pris part aux offices qu’il célébrait; ils allaient dans la nuit entendre la messe d’un prêtre resté fidèle à ses devoirs; il se plaisait à rappeler que sa soeur aînée avait la première compris le danger. Mr Vianney ne cessait de parler de tout ce qu’il devait à Mr Balley, et faisait constamment l’éloge de sa (313) piété, de sa science, de ses mortifications, de sa charité et des soins assidus qu’il en avait reçus. Le souvenir qu’il avait conservé des habitants des Noës le porta à leur faire une visite dès qu’il fut dans les ordres sacrés. Il avait une reconnaissance toute particulière pour la veuve Fayot qui lui avait donné l’hospitalité. Quand elle vint à Ars pour la première fois, il lui en donna un témoignage en l’embrassant devant tout le monde, comme si elle eût été sa mère. Il accueillait avec une cordialité toute particulière les autres habitants des Noës, lorsqu’ils venaient à Ars.



Sur l’obéissance du Serviteur de Dieu, je dépose: qu’il a pratiqué cette vertu dès son enfance. Sa mère le citait à ses autres enfants comme un modèle: « Voyez, leur disait-elle quand ils n’obéissaient pas aussitôt, Jean-Marie est bien plus obéissant que vous; il fait immédiatement ce qu’on lui commande. » Cette réflexion faisait impression sur ses frères et ses soeurs qui comme ils l’ont assuré devenaient plus dociles aux ordres de leur mère.



Son ardeur pour la prière, les choses de Dieu et les pieuses lectures l’entraînait quelquefois le soir et lui faisait oublier les recommandations de sa mère qui voulait qu’il prît un repos nécessaire à son âge; elle avait chargée son frère aîné de l’avertir si Jean-Marie prolongeait trop sa veillée. Son frère fut obligé plus d’une fois de donner cet avertissement.



Au séminaire, il se fit remarquer par sa grande piété ainsi que je l’ai déjà dit, ce qui entraîne l’obéissance aux règlements et à ses supérieurs. Devenu prêtre et Curé d’Ars, il combattit son désir de la solitude par le sentiment de l’obéissance envers ses supérieurs et surtout de son Evêque. Il ne déféra pas toujours à leurs observations et à leurs avis, parce qu’ils ne lui étaient pas donnés sous formes impératives (314) et qu’il croyait pouvoir suivre les inspirations personnelles de sa conscience, par exemple lorsque Mgr Devie lui disait: de se modérer pour ses mortifications, de prendre plus de nourriture; lorsqu’il lui demandait d’accepter un prêtre auxiliaire etc. Le bon Curé croyait dans ces circonstances pouvoir persister dans sa manière de voir et d’agir.



Il a toujours montré envers l’autorité civile le respect et la déférence qui leurs sont dus. Quant au fait de la conscription, voici ce que je lui ai entendu raconter: « J’étais fatigué de ma route et encore convalescent de la maladie qui m’avait retenu à l’hôpital de Roanne pendant une huitaine de jours; je m’étais détourné de la grand-route et m’étais assis sur mon sac pour me reposer. Un paysan qui passait là me dit: Vous allez donc rejoindre votre corps; vous n’avez pas l’air de faire un bon soldat, venez avec moi; nous avons déjà plusieurs conscrits cachés dans nos bois; je vous mènerai chez le maire, où vous serez bien en sûreté. Je lui répondis alors: il faut bien que j’obéisse à la loi: il est vrai que la guerre n’est pas bien juste; et puis le capitaine Blanchard est bien sévère, il a déjà bien chagriné mes parents. - Vos parents, dit à son tour le paysan, seront plus contents de vous revoir que si vous mourriez à la guerre, la joie du retour leur fera oublier toutes les peines qu’ils pourront éprouver à votre sujet. Vaincu par ses instances, je me décidai à le suivre. »



Interrogé sur la vertu de Religion, le témoin répond:



Dès son enfance il montra sa religion par le respect et l’affection qu’il avait pour tous les objets religieux, les croix, les chapelets et surtout comme je l’ai dit pour sa petite statue de la Ste Vierge. Il était insatiable de la Parole de Dieu, aimant à l’entendre autant qu’à l’annoncer lui-même. Il recommandait aux fidèles de réciter un Pater et un Ave Maria pendant (315) que le prêtre montait en chaire pour demander à Dieu, pour le prêtre, la grâce d’annoncer convenablement la Parole de Dieu, pour les fidèles, celle de l’écouter avec profit pour leur salut.



J’ai déjà dit quelle était sa dévotion pour la divine Eucharistie. Il était d’un grand nombre de confréries ; j’ai vu dans son bréviaire une indication des différentes circonstances de la Passion qu’il rattachait à la récitation des parties de l’office divin. J’ai déjà dit qu’il disait toujours son bréviaire à genoux et autant que possible à l’église.



J’ai déjà dit quelle avait été dès son enfance sa tendre dévotion envers la très Ste Vierge : « Je l’ai aimée, me disait-il, avant de la connaître. » Devenu prêtre il disait la Ste Messe le samedi à l’autel de la Ste Vierge. Il avait surtout de la dévotion pour l’Immaculée Conception. Lorsqu’il apprit les miracles opérés par la médaille miraculeuse, il fit faire une belle statue d’après cette médaille et la fit placer dans son église; il consacra ses paroissiens à Marie Immaculée, et renferma tous leurs noms dans un coeur d’or suspendu à la statue. Un tableau commémoratif de cette consécration se voit encore dans l’église d’Ars à côté de la chapelle de la Ste Vierge. Il récitait tous les soirs à l’église avec les fidèles le chapelet de l’Immaculée Conception. Quand l’heure sonnait, il avait établi l’usage de réciter une Ave Maria avec une invocation à l’Immaculée Conception. La proclamation du dogme de l’Immaculée Conception fut une grande fête à Ars et devint pour les habitants d’Ars une occasion d’offrir un magnifique ornement à la Ste Vierge. Les fêtes de la Ste Vierge et je puis en dire autant des fêtes supprimées, étaient solennisées dans l’église d’Ars, quoiqu’il n’en fît pas une obligation à ses paroissiens. Partout dans les (316) maisons d’Ars, j’ai remarqué l’image de la Ste Vierge. Ses médailles étaient attachées aux portes, plusieurs habitants à l’imitation de Mr Vianney avaient fait pratiquer une niche au dessus de la porte principale de leur maison pour y placer une statue de la Mère de Dieu. Vers l’année mil huit cent quarante, il fit placer sur le pignon de son église la statue de Marie Immaculée afin qu’elle dominât autant que possible sa paroisse toute entière. On savait à Ars la tendre dévotion de Mr le Curé pour l’Immaculée Conception; aussi y eut-il une joie toute particulière lorsqu’on apprit la définition du dogme. J’entendis beaucoup parler chez mes parents du pèlerinage que Mr Vianney fit à Fourvière avec ses paroissiens en mil huit cent vingt trois ou vingt-quatre. A cette procession figurèrent les belles bannières données par Mr d’Ars.



Le Serviteur de Dieu avait voué envers son saint patron St Jean Baptiste une dévotion toute particulière . Chaque année il en solennisait la fête d’une manière splendide. Il aimait aussi et vénérait St Joseph, St Pierre, St François Régis, St François d’Assise. Il a fait ériger à son saint patron une magnifique chapelle et c’est là qu’était placé son confessionnal. St Pierre, St Paul, St Joseph, St François Régis, St François d’Assise avaient une statue dans son église. Le Serviteur de Dieu avait une grande dévotion envers un grand nombre de saints dont il conservait précieusement les reliques. Il disait en parlant des reliques nombreuses qu’il possédait et qu’il se faisait donner de tous les côtés, que c’était toute sa richesse. Dans ses instructions et ses catéchismes il se plaisait à raconter les traits de la vie des saints qui l’avaient frappé.



(317) Mr Vianney honorait d’une manière particulière les saints Anges Gardiens; il en recommandait la dévotion et il fit construire une chapelle en leur honneur.



Mais le Serviteur de Dieu semblait avoir voué un culte tout particulier à Ste Philomène qu’il appelait sa chère petite sainte; il lui avait fait construire une chapelle. Il disait souvent la messe à son autel; il allait très souvent faire quelques prières dans sa chapelle; il recommandait très souvent sa dévotion. Quand on venait à Ars solliciter quelque grâce temporelle, surtout une guérison il faisait faire une neuvaine à Ste Philomène. C’est à sa puissante protection qu’il attribuait les guérisons qui s’opéraient à Ars. C’est l’érection de la chapelle de Ste Philomène et l’impulsion que Mr Vianney avait donné à sa dévotion qui ont amené à Ars le plus grand nombre des pèlerins infirmes ou malades. Quand on avait des grâces spirituelles à demander, il faisait faire des neuvaines au St Esprit, ou à la Ste Vierge. Il se plaisait à renvoyer les pécheurs à la chapelle de l’Ecce Homo, c’était pour les exciter à la contrition qu’il l’avait fait construire.



Sa dévotion pour les âmes du purgatoire s’est manifestée par les fondations dont j’ai déjà parlé, par les appels touchants qu’il faisait dans ses instructions en faveur des âmes du purgatoire; il disait la messe de temps en temps pour ses parents décédés. Pendant l’octave des morts, il laissait son catéchisme pour faire publiquement le chemin de la Croix.



Interrogé sur l’oraison du Serviteur de Dieu, le témoin répond:



J’ai déjà dit qu’il était continuellement uni à Dieu, qu’il ne perdait pas de vue sa sainte présence. Quand il était pressé par la foule, il ne (318) faisait pas d’oraison proprement dite; il s’offrait en sacrifice et élevait de temps en temps son coeur à Dieu pendant qu’il remplissait les devoirs de son ministère. Tous les soirs cependant il faisait dans son presbytère la lecture de la vie des saints. Pendant l’hiver il y joignait aussi l’étude de la théologie comme je l’ai dit. Durant les nuits il avait de longues et fréquentes insomnies. Comme il recommandait très souvent à ses paroissiens de prier pendant la nuit lorsqu’on s’éveillait, j’aime à croire qu’il pratiquait lui-même ce qu’il indiquait aux autres; mais je n’ai point sur ce sujet de preuves directes.



Interrogé sur la force du Serviteur de Dieu, le témoin répond:



Il a surmonté par sa vertu de force tous les obstacles qui se sont opposés à sa sanctification et aux grandes oeuvres qu’il a faites.



Interrogé en particulier sur la vertu de patience, le témoin répond:



J’affirme que Mr le Curé d’Ars a toujours été sur la croix; Dans les premières années de son séjour à Ars, il a eu plusieurs fois la fièvre. Il a été travaillé pendant plus de quinze ans par un rhumatisme qui lui causait à la tête de violentes douleurs: « Oh! que je souffre, oh! que la tête me fait mal » me disait-il souvent quand je le rencontrais. Le défaut d’exercice provoquait des étourdissements qui l’obligeaient à se faire saigner chaque année. En prêchant il a contracté une hernie que l’on n’a découverte que longtemps après. On ne s’expliquait pas pourquoi en sortant du confessionnal il se tenait tout courbé et tenait sa main sur la partie douloureuse, et ce n’était qu’après avoir fait rentrer sa hernie qu’il pouvait revenir au (319) confessionnal, ne prenant d’autre remède contre cette affection si grave que quelques lavements. Lorsque le médecin eut découvert cette hernie, il lui fit mettre un bandage, mais peu de temps après, Mr Vianney en contracta une seconde en prêchant; il fallut doubler le bandage.



(321) Session 29 – 23 janvier 1863 à 3h de l’après-midi



Au dix-huitième interrogatoire et sur la vertu de Patience, le témoin continue à répondre:



A toutes les souffrances dont j’ai déjà parlé, vint s’en ajouter une plus cruelle encore ; je veux parler d’une détention d’urine qu’il éprouva en mil huit cent quarante cinq et dont il souffrit jusqu’à sa (322) mort. Plusieurs fois pendant la nuit, il s’est cru au moment de mourir tant les douleurs étaient vives. Durant les quinze dernières années de sa vie il a éprouvé une toux sèche qui le tourmentait et le faisait beaucoup souffrir. Ces grandes infirmités et ces souffrances ne l’empêchaient pas de remplir les charges de son ministère. Ce que j’admire le plus, c’est qu’il ait pu faire de si longues séances au confessionnal. Ses nuits étaient très mauvaises, son sommeil était très court, à peine d’une heure, surtout dans les dernières années de sa vie; il ne prenait presque point de récréation, il travaillait constamment, il n’est pas étonnant qu’il s’assoupît assez souvent pendant quelques instants au confessionnal. Les personnes charitables qui s’en apercevaient interrompaient leur confession, pour lui laisser quelques moments de repos.



Il était très sensible au froid; il ne voulait prendre aucune précaution pour s’en préserver au confessionnal, il a dû y souffrir cruellement les hivers. Quelques personnes usèrent de stratagèmes vers les dernières années de sa vie, pour réchauffer ses pieds; il fut longtemps sans s’en apercevoir, quand il le sut, il laissa faire, parce que sa santé s’affaiblissait de plus en plus. En été la chaleur dans l’église était étouffante, l’odeur infecte, et de pauvres pèlerins y apportaient souvent de la vermine. J’ai remarqué que le soir après sa journée de travail, il paraissait exténué ; le matin quand il se rendait à l’église, il paraissait avoir de nouvelles forces. J’ai déjà dit qu’il avait eu à souffrir de la part de ses paroissiens, de la part de certains ecclésiastiques. Dans une circonstance, il a emprunté une somme pour la donner à un malheureux qui (323) l’avait frappé en exigeant la somme qu’il demandait. Quelque temps après le malheureux en eut du repentir, vint lui en demander pardon, et fit une bonne confession.



Je tiens de Mr Vianney et d’autres personnes qu’une fille de sa paroisse avait commis plusieurs escroqueries à son préjudice; elle était poursuivie par la justice qui avait lancé contre elle un mandat d’arrêt ; Mr Vianney tâcha de la soustraire en la plaçant dans une maison du Bon Pasteur. Sachant ensuite qu’on devait l’arrêter dans cette maison-là, et toujours mû par un sentiment de charité, il fit prévenir la supérieure de l’établissement pour que la coupable ne fût pas arrêtée dans la maison. Ayant été cependant prise, elle subit une condamnation; elle revint à Ars où Mr le Curé lui donna des vêtements et des secours. Dans sa première grave maladie, une personne se présenta auprès de lui pour lui demander la condamnation d’une somme de neuf cents francs qu’elle lui avait volée, il le fit à l’instant sans hésiter. Cette somme représentait cependant un dépôt qui lui avait été confié et qu’il avait dû remplacer.



La transformation de sa Providence lui coûta beaucoup, mais Dieu s’en servit pour diriger ses ressources vers l’oeuvre des missions. Le calme de son esprit n’a jamais été troublé par le flux et reflux des pèlerins dont un bon nombre étaient très importuns. Je dois ajouter qu’il était d’un tempérament très vif, très sensible. « Vous avez bien de la vivacité, Mr le Curé, lui disais-je un jour, comment pouvez-vous être si calme? - Oh! mon ami, il a fallu bien des efforts pour en venir là. » La foule assiégeait son confessionnal; souvent il était fatigué par le bruit qu’on faisait. Il sortait et disait (324) avec calme: « Si on ne cesse pas le bruit, je vais quitter l’église. »



Interrogé sur la vertu de tempérance du Serviteur de Dieu, le témoin répond:



Je ne sais rien de particulier jusqu’à son vicariat d’Ecully. Il m’a raconté qu’étant vicaire à Ecully, il vivait en communauté avec Mr Balley, et qu’un plat de viande leur suffisait plus d’une fois pour toute la semaine. Il me disait aussi que Mr Balley n’avait pour boisson que du mauvais cidre, il faisait cette mortification pour avoir plus d’argent à distribuer aux pauvres. Je pense que Mr Vianney participait à toutes les mortifications de Mr Balley, car à son arrivée à Ars on l’a vu mener une vie très mortifiée. Ainsi pour sa nourriture, vivant seul dans son presbytère, il faisait cuire quelques pommes de terre et s’en contentait avec un peu de pain, quelquefois ce pain était celui des pauvres, qu’il achetait aux mendiants. Je tiens ces détails des personnes du pays; il m’a avoué lui-même qu’il avait essayé de se nourrir pendant huit jours d’herbes et de racines. A l’époque où j’ai exercé le ministère avec lui, il faisait régulièrement deux repas: le matin il prenait une tasse de chocolat au lait avec quelques morceaux de pain; à midi il achevait son chocolat dans lequel on mettait un peu de café; il y ajoutait un peu de viande ou de légumes. A l’époque du pèlerinage il lui fut impossible de se mortifier comme il le faisait au début de son ministère, il ne pouvait plus observer les jeûnes avec la rigueur habituelle en France. Sa journée de travail commençait à une heure du matin, sa santé était très affaiblie et donnait de continuelles inquiétudes; le médecin lui avait ordonné dans sa première maladie de prendre un peu de viande au principal repas. Je crois inutile (325) de mentionner qu’il ne prenait cette viande qu’aux jours permis par l’Eglise. Il se vit même obligé de prendre quelques légers adoucissements entre ses repas tels que un peu de vin vieux, quelques pastilles, quelques légères pâtisseries ou quelques fruits; ses adoucissements étaient nécessaires pour soutenir sa frêle existence. Son lit consistait dans un garde-paille si peu garni qu’il devait sentir les planches du bois de lit, il n’usait de matelas que dans le temps de ses maladies.



Les filles qui s’occupaient du presbytère m’ont dit avoir trouvé sa chemise ensanglantée et elles ont fini par découvrir sa discipline. Il conseillait à ses pénitents la mortification et à quelques-uns le cilice et la discipline. Je l’ai vu donner à un de ses pénitents un rude cilice en fer.



En finissant de déposer sur la Tempérance, je dois ajouter qu’en m’envoyant à Ars, Mgr Devie m’avait chargé de faire prendre au Serviteur de Dieu un (peu) plus de nourriture. Je lui disais : « Votre pénitence, Mr le Curé, est d’être continuellement au confessionnal, comment voulez-vous soutenir votre vie si vous ne prenez pas plus de nourriture! »



Interrogé sur la vertu de pauvreté, le témoin répond:



Le Serviteur de Dieu consacrait son traitement de curé à l’entretien de son église ou à fonder des missions; la Providence veillait à ses besoins, mais il ne s’en est jamais préoccupé. Etant vicaire à Ecully, il m’a dit souvent qu’il a refusé un héritage de trente mille francs, parce qu’il craignait de s’attacher aux biens de la terre. Lorsqu’il eut entrepris ses bonnes oeuvres, il ajouta: « Oh! si c’était aujourd’hui, je ne refuserais pas. »



L’aspect de sa chambre était pauvre et misérable. Ses vêtements respiraient la plus grande (326) pauvreté. A la fin on prit le parti de lui en donner afin qu’il fût plus propre et plus convenable. Le Serviteur de Dieu n’appréciait l’argent que parce qu’il pouvait s’en servir pour faire le bien et établir ses fondations. J’ai déjà dit qu’il avait employé tout son patrimoine pour l’acquisition de la maison de la Providence. Toutes les immenses ressources qu’il recevait ne faisaient que passer par ses mains; il les employait toutes en bonnes oeuvres ou à soulager les pauvres. Il ne gardait jamais rien pour lui. Quand on lui demandait comment il faisait pour avoir tant d’argent: « Mon secret est bien simple, c’est de ne jamais rien garder et de n’avoir jamais rien. » Tous les cadeaux qu’il recevait, il se faisait un plaisir de les donner aux autres. Ayant reçu un beau bréviaire doré sur tranche et en maroquin il me l’apporta aussitôt en disant: « Tenez, camarade, voilà qui vous ira bien. » En un mot j’affirme que les choses du monde n’étaient rien pour lui, il ne s’occupait que de Dieu et du salut des âmes.



Interrogé sur les vertus d’humilité, simplicité et modestie, le témoin répond:



J’affirme que la simplicité et la modestie brillaient d’une manière particulière dans le Serviteur de Dieu. Chez lui, il n’y avait point d’ostentation, rien de contraint ni d’affecté, rien de l’homme qui veut paraître. Ces deux vertus donnaient un charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite; on se sentait attiré vers lui.



Une des choses qui m’ont le plus frappé dans le Curé d’Ars, c’est qu’il ait pu résister d’une manière aussi admirable à l’enivrement des hommages (327) dont il était constamment l’objet de la part de tout le monde, prêtres et laïques. Il parlait volontiers des oeuvres accomplies par son intermédiaire; il comprenait très bien, il voyait très bien que c’était lui surtout qu’on venait chercher et voir à Ars, et cependant, je n’ai jamais surpris un sentiment d’orgueil dans son coeur. Préoccupé à ce sujet et voulant connaître le secret de son humilité, je lui demandais un jour d’une manière générale: « Comment peut-on être humble, Mr le Curé, quand on reçoit les hommages, les louanges, les flatteries? » Il me répondit : « Mon ami, quand les saints sont arrivés à un certain degré de perfection, ils sont insensibles aux éloges comme au blâme. »



Je soutiens tout en conservant l’humilité et dans la pensée de l’utilité qui en revenait aux âmes qu’il était content de voir son portrait établi de toutes parts, qu’on eût écrit sa vie et qu’on racontât au loin tout ce qui se passait à Ars. Cependant je dois ajouter que bien souvent il disait en ma présence que cela lui déplaisait. Par exemple quand on lui présentait sa biographie à signer, il refusait et repoussait le livre en disant: « C’est un mauvais livre. » « Pourquoi mauvais ? » lui disait-on « Il n’y a que des mensonges. » Je l’ai entendu bien souvent dire cela.



(328) Quand le Serviteur de Dieu prêchait sur l’humilité, ce qui arrivait souvent, il disait qu’elle était la première des vertus et la base des vertus. Lorsque le Père Lacordaire vint à Ars, il fit une allocution en chaire. Le lendemain, Mr Vianney me dit: « On dit quelquefois que les deux extrêmes se touchent. Ca s’est bien rencontré hier dans la chaire d’Ars. On a vu l’extrême science et l’extrême ignorance. Lorsque Mgr Chalandon lui remit le camail de chanoine honoraire, j’étais à ses côtés, il rougit et repoussait le camail en disant: « Il y irait bien mieux à Mr Raymond qu’à moi. » Quelques jours après il vendit son camail cinquante francs et dans une lettre qu’il écrivait à Mgr pour le remercier de l’honneur qu’il lui avait fait: « Vous ne serez pas fâché, Mgr, de ce que j’ai vendu le camail que vous m’avez donné; le prix en est renfermé dans la somme que je vous envoie pour établir une mission. »



Interrogé sur la chasteté, le témoin répond:



Que cette vertu a toujours brillé en lui d’un vif éclat. A l’occasion d’un fait étrange (une fille déshonorée était venue faire ses couches chez sa mère qui demeurait dans des appartements contigus à la cure), la calomnie essaya de ternir sa réputation ; ce ne fut qu’un bruit sans consistance que sa vertu bien connue fit tomber à l’instant. Il était prudent dans ses rapports avec les personnes du sexe, et celles (329) qui fréquentaient la cure étaient si connues qu’elles n’ont jamais éveillé le moindre soupçon.



(331) Session 30 – 24 janvier 1863 à 8h du matin



Sur le dix-neuvième interrogatoire, le témoin répond:



Je pense que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus à un degré héroïque. J’entends par vertu héroïque, une vertu pratiquée à un haut degré.



(332) J’affirme de plus que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus théologales, les vertus cardinales et les autres qui en découlent, à un très haut degré d’héroïcité. Toute ma déposition en est la preuve. Il y a persévéré jusqu’à la mort. Si son régime de vie a paru, vers la fin de sa vie, moins austère, c’est qu’il a été forcé de l’adoucir à cause de son ministère si extraordinairement pénible, à cause de l’affaiblissement de sa santé et par déférence pour les avis et conseils qui lui étaient donnés.



Sur le vingtième interrogatoire, le témoin répond:



Je crois qu’il a été favorisé de dons extraordinaires.

1°- Il paraissait avoir le don des larmes. Au confessionnal, dans ses instructions, même dans sa conversation ordinaire, les larmes lui venaient continuellement en parlant de Dieu et des choses spirituelles.



2°- Je n’ai pas de preuves qu’il lût au fond des coeurs. Comme on disait qu’il lisait au fond des coeurs; je lui demandai si c’était vrai; il me répondit : « Non, mon ami. - Pourquoi donc parlez-vous à certaines personnes des choses qu’elles n’ont pas dites ? » Il me répondait: « Ces personnes ne pouvant m’aborder, racontent le motif de leur pèlerinage aux personnes chez lesquelles elles logent ou qui entourent mon confessionnal, c’est ainsi qu’elles m’arrivent et je leur en parle immédiatement dès qu’elles se présentent pour ne pas perdre de temps. »



3°- Quant aux choses futures, je n’ai qu’un fait à citer. Un jeune homme de vingt ans avait contracté une mauvaise habitude, qui selon l’avis du médecin était au dernier période de la vie; il fut amené auprès de Mr Vianney, par sa mère, pour chercher (333) la guérison du corps et de l’âme. Le jeune homme m’a affirmé que le Serviteur de Dieu après avoir entendu sa confession lui avait annoncé que sa santé se rétablirait suffisamment pour pouvoir continuer le cours de ses études et qu’il serait prêtre. Le jeune homme en me faisant cette révélation, me demandait s’il pouvait compter sur les paroles de Mr Vianney. « Parlez-en de nouveau à Mr Vianney et tenez-vous-en à ce qu’il vous dira » répondis-je. Il m’a fait une nouvelle confidence en me disant que Mr le Curé l’avait confirmé dans la première décision et lui avait conseillé de s’adresser aux pères Jésuites, ou aux pères Maristes pour solliciter son admission dans l’un de ces ordres. Le jeune homme plein de confiance est entré au noviciat des pères Jésuites à Dôle, diocèse de St Claude, et a fait profession religieuse dans la maison d’Avignon.



4°- Je tiens de Catherine Lacon, personne éminemment pieuse, le fait suivant: Mr Vianney aurait vu un jour dans son église une procession de saints et il en aurait été extraordinairement impressionné. C’est Mr Vianney lui-même qui lui en a donné connaissance.



5°- Pendant les vingt (et) un ans que j’ai été près de lui ou avec lui, j’ai entendu parler de beaucoup de guérisons miraculeuses, sur lesquelles je n’ai aucune assurance positive. Voici les faits dont j’ai été témoin 1° Mme Raymond résidant à Châlons-sur-Saône, avait perdu la voix par la suite d’une affection au larynx et aux bronches. C’était pendant la première maladie de Mr le Curé qui me chargea de l’entendre en confession. Je m’assurai par moi-même de la faiblesse de son organe et de la fatigue qu’elle éprouvait (334) pour dire un mot ou deux. Elle fut obligée de se confesser en écrivant sur une ardoise. Le lendemain après la communion faite dans la chapelle de Ste Philomène, elle fut complètement guérie et chanta un long cantique en l’honneur de la sainte. Madame Raymond m’avait prié de demander à Mr Vianney ce qu’elle devait faire pour obtenir sa guérison : « Dites à Mme Raymond, me dit-il, qu’elle se tourmente trop et qu’elle doit s’abandonner sans inquiétude à la Providence. » Lorsqu’elle eut été guérie, elle me pria de l’accompagner auprès du lit du Serviteur de Dieu, pour le remercier de ce qu’il s’était intéressé à sa guérison et lui demander ses conseils. « Mon enfant, lui dit-il, faites un bon usage de votre voix et servez vous-en pour faire le bien. » A son retour son mari, mon frère, commis de sa maison et les médecins qui l’avaient soignée, furent émerveillés de sa guérison. 2° Une fille de douze à quatorze ans avait perdu l’usage de ses jambes par suite d’une fièvre typhoïde. Elle vint à Ars et communia sur une chaise à la messe que disait Mr Vianney, dans la chapelle de Ste Philomène. Après sa communion la jeune fille se leva et se mit à genoux en disant : « Je suis guérie.» Un mouvement se produisit dans la foule témoin de ce fait. Mr Vianney s’en aperçut et pendant qu’il était à la sacristie occupé à signer des images, je lui dis: « Il y avait longtemps que Ste Philomène n’avait rien fait. - Aussi, me dit-il, pendant la messe je l’ai grondée en lui disant : « Grande sainte, si vous n’opérez plus de miracles, vous allez perdre votre réputation. » 3° Un jeune homme ouvrier à Lyon avait fait une chute de cheval. Il éprouvait à la jambe des douleurs atroces; les médecins et les (335) chirurgiens n’avaient pu le soulager. Il vint à Ars accompagné d’une jeune fille qu’il avait la pensée d’épouser. En descendant de voiture il poussait de hauts cris, tant il souffrait. Je le vis à son arrivée ainsi que Mr le Curé. Le lendemain Mr Vianney me renvoya auprès de lui; je trouvai la jeune fille dont j’ai parlé, je lui demandai si c’était sa soeur : « Non, dit-il, c’est une personne que j’ai l’intention d’épouser. » Je rapportai ce fait à Mr Vianney qui vint le voir et lui dit: « Mon ami, vous êtes venu pour la guérison de votre corps; il faut commencer par celle de votre âme. Renvoyez cette personne, sinon je ne m’occupe pas de vous. » Le jeune homme fit sa confession, se prépara à la Ste Communion qu’il put faire à l’église en s’y rendant quelques jours après appuyé sur un bâton. Au bout de huit jours, il fut entièrement guéri; il n’avait employé aucun remède.



6°- Le témoin interrogé sur la multiplication du blé et de la farine répond: Mr Vianney m’a dit dans un moment de peine: « Si le Bon Dieu n’approuvait pas ma manière de faire, il ne multiplierait pas le grain dans mon grenier. » Les directrices de la Providence, Mlles Filliat, Lassagne et Chanay m’ont affirmé la multiplication de la farine et du blé: Pour le blé, Marie Chanay a rapporté que la multiplication s’en était faite après que le meunier eût rempli ses sacs dans le grenier. Mr Vianney envoya Marie Chanay mettre en tas le peu de blé qui devait rester au grenier; elle le trouva tellement rempli qu’elle eut de la peine à ouvrir la porte; (336) elle courut avertir Mr le Curé, et lui dit: « Vous avez voulu éprouver mon obéissance; votre grenier est plein. - Comment! Il est plein! - Oui, il est plein, il regorge; venez voir vous-même.» Et ils y allèrent tous les deux. « Nous devons cela, dit Mr le Curé, à l’intercession de St François Régis, dont j’ai déposé le reliquaire dans le grenier.» Or, ils remarquèrent l’un et l’autre que le blé atteignait une hauteur plus qu’ordinaire et avait une couleur différente de celui qui était resté. Quant à la farine, la multiplication se serait faite de la manière suivante: un jour, comme Marie Chanay me l’a raconté, il ne restait de farine que pour faire le levain; le meunier n’avait pas livré la provision qu’on attendait. Elle avertit Mr Vianney qui lui dit : « Mettez en levain la farine que vous avez, le meunier viendra bien demain.» Le lendemain matin quel ne fut pas son étonnement lorsqu’elle trouva le pétrin rempli de farine; il y en avait pour la journée ordinaire. Le meunier cependant n’était pas arrivé. Je tiens tous ces détails de Marie Chanay.



Comme j’avais entendu parler d’une multiplication de vin qui aurait eu lieu dans la cave de la cure, je voulus demander à Mr Vianney s’il y croyait. « Non, me dit-il; Mlle d’Ars, qui m’a plus d’une fois envoyé du vin pour ma Providence, a bien pu pendant que j’étais à l’église, m’envoyer un tonneau plein et son voiturier emmener le tonneau presque vide.» Cette pensée de Mr le Curé sur la multiplication du vin m’a fait demander quelquefois à moi-même, si on ne pourrait pas expliquer la multiplication du blé de la même manière, vu (337) que le père Mandy, maire de la Commune, était chargé de faire la provision de blé chaque année. N’aurait-il pas pu remplir le grenier à l’insu de Mr le Curé, c’est ce que je n’ai pas vérifié. Je dois à ma conscience de dire tout ce qui peut mettre le tribunal sur la voie de connaître la vérité.

7°- Mr Vianney avait un don merveilleux pour toucher les coeurs, pour convertir les pauvres pécheurs. J’ai vu s’opérer à Ars de nombreuses et éclatantes conversions, surtout parmi les hommes; je puis dire que c’est le plus beau chapitre de la vie du Curé d’Ars. « Ah! mon ami, me disait-il souvent, c’est au jugement dernier que l’on connaîtra toutes les âmes qui ont trouvé leur salut à Ars. » Je regarde comme une grâce particulière de Dieu la facilité merveilleuse que Mr Vianney avait à s’exprimer dans ses catéchismes et ses instructions, lui qui dans les commencements de son ministère éprouvait à ce sujet tant de difficulté.



Sur le vingt (et) unième interrogatoire, le témoin répond:



Le Serviteur de Dieu a très peu écrit, même des lettres. Je ne connais que quelques prônes ou sermons indéchiffrables. Je crois qu’une partie de ces instructions se trouvent entre les mains de Mlle Ricottier à Ars. J’en avait vingt, mais je les ai perdues dans mon déménagement et je n’ai qu’une lettre de lui. Je ne connais rien dans ses écrits qui puisse nuire à sa réputation de sainteté, au contraire, très imparfaits sous le rapport de la forme, ils respirent la piété et l’amour de Dieu. On a attribué au Serviteur de Dieu quelques prières imprimées dans des livres de piété, mais je ne crois pas qu’elles soient de lui (338) d’après ce que Mr Vianney m’a donné à entendre.



Sur le vingt-deuxième interrogatoire, le témoin répond:



Je sais que le Serviteur de Dieu est mort à Ars le quatre août mil huit cent cinquante-neuf. J’ai eu le bonheur de le voir huit jours avant sa mort; il ne s’était pas encore arrêté, mais je le trouvai bien changé; je lui en fis l’observation, il me répondit: « Je ne puis pas rester dans ma chambre, je me trouve mieux de travailler. J’étais si fatigué cette dernière nuit, que je croyais que c’était ma fin. » Je n’oublierai jamais avec quelle bonté et quelle générosité, il me fit don d’une chape. Je n’ai point été présent dans sa dernière maladie et à ses derniers moments; je fus obligé de revenir dans ma paroisse après cette dernière entrevue.



Sur le vingt-troisième interrogatoire, le témoin répond:



En apprenant sa mort, je suis parti pour Ars où j’ai eu le bonheur d’embrasser ses restes exposés dans une salle basse du presbytère. Je n’oublierai jamais le spectacle que présentait le concours des pèlerins de toutes conditions qui venaient vénérer ses restes et assister à sa sépulture. Ce deuil n’était pas comme les autres, les espérances chrétiennes se montraient sur tous ces visages et moi-même, malgré la douleur que j’éprouvais de sa perte, j’étais consolé en pensant qu’enfin il avait reçu la récompense de ses travaux.



Sur le vingt-quatrième interrogatoire, le témoin répond:



Je sais qu’après avoir été déposé, quelques jours dans la chapelle de St Jean-Baptiste, le corps du Serviteur de Dieu (339) a été inhumé au milieu de la nef de l’église et son tombeau recouvert d’une pierre sur laquelle se trouve une inscription, dont je ne me rappelle pas la teneur. J’ai vu bien des personnes venir prier autour de son tombeau. Je n’ai rien vu qui indiquât un culte public.



Sur le vingt-cinquième interrogatoire, le témoin répond:



Depuis son arrivée à Ars la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu a été toujours croissante jusqu’à sa mort; il la devait à ses éminentes vertus, aux grands exemples qu’il donnait; en un mot à tout ce que j’ai dit de ses oeuvres et de ses vertus. J’ai vu à Ars les personnes les plus graves et les plus instruites; j’ai vu un président de la Cour de cassation, Mr Bélanger, pleurant à chaudes larmes pendant que Mr Vianney disait la messe à son intention; j’ai vu d’autres jurisconsultes éminents, des officiers, des religieux de tous ordres, des prêtres de tous les pays, en un mot d’innombrables pèlerins appartenant à toutes les conditions de la société et à tous les pays du monde. Tous regardaient Mr Vianney comme un saint. Deux ecclésiastiques, dont l’un était postulateur de la cause de Béatification du Vénérable de la Salle, et l’autre religieux, appartenant tous les deux au clergé de Rome vinrent à Ars pendant que j’y étais. Ayant entendu dire qu’à Rome il y avait deux prêtres jouissant de la réputation d’une grande sainteté, je leur demandai s’ils les connaissaient : « Oui. » répondirent-ils. « Quelle différence trouvez-vous entre eux et mon bon Curé? - Mr Vianney, dirent-ils, nous cause une plus vive impression; sa physionomie (340) respire une plus grande sainteté.» Ils en étaient ravis.



La foule des pèlerins témoignait de mille manières leur vénération pour le Serviteur de Dieu. On était empressé de le voir, d’approcher de sa personne, de toucher ses vêtements, de tomber à genoux pour recevoir sa bénédiction, d’emporter un objet qu’il eût béni ou qui lui eût appartenu. On est allé jusqu’à couper sa soutane et même ses cheveux. Un jour un Monsieur me priait de lui donner quelques cheveux de Mr le Curé, je m’empressai de le dire à Mr Vianney en présence de toute la foule; il se tourna vers le solliciteur et lui dit en souriant: « Demandez de ceux de Mr Raymond, ils sont bien plus jolis que les miens. »



Pendant que j’étais à Ars les gens de Dardilly firent signer à Mr le Curé une promesse par laquelle il s’engageait à leur donner son corps. Depuis la mort du Serviteur de Dieu, je sais que le pèlerinage continue à son tombeau et que rien n’est venu troubler ce concert universel d’éloges sur la sainteté de Mr Vianney. Je ne connais aucun écrit, aucune parole qui ait contredit l’opinion générale. Je pense moi-même que toute la vie du Serviteur de Dieu justifie la vénération dont il est l’objet. Je n’ai qu’un regret, c’est de n’avoir pas assez profité de ses grands exemples de vertu; je compte néanmoins sur la tendre et paternelle affection qu’il m’a toujours témoignée.



Sur le vingt-sixième interrogatoire, le témoin répond:



Je n’ai rien à dire, d’après la (341) réponse que j’ai faite à l’interrogatoire précédent.



Sur le vingt-septième interrogatoire, le témoin répond:



Je ne connais aucun miracle opéré par l’intercession du Serviteur de Dieu depuis le moment de sa mort.



(343) Session 31 – 24 janvier 1863 à 2h de l’après-midi



Sur le vingt-huitième interrogatoire, le témoin interrogé s’il a quelque chose à dire encore soit sur les vertus du Serviteur de Dieu, soit sur les dons extraordinaires ou sur les miracles soit sur tout autre détail de la vie, répond:



Je n’ai pas suffisamment (344) expliqué son genre de nourriture pendant les premières années de son séjour à Ars. J’ai à ajouter qu’il se contentait de faire lui-même quelques matefaims pour ne pas déranger les personnes qui s’occupaient un peu de préparer son repas de midi. J’ai dit aussi qu’il mangeait quelques pommes de terre avec un peu de pain et quelquefois avec le pain des pauvres. Je dois faire observer que ce régime n’était pas habituel; des personnes pieuses qui étaient dans sa familiarité et qui habitaient des appartements contigus à la cure, lui préparaient elles-mêmes son petit repas de midi. Quand il trouvait trop de recherche dans les apprêts, il se plaisait à les contrarier en donnant aux pauvres ce qu’elles avaient préparé, plus tard il prit son repas à la Providence. Quand le pèlerinage a commencé, la veuve Trève lui a fourni le lait qu’il prenait le matin. Après la mort de cette digne veuve, la femme Cinier le lui a fourni jusqu’à la fin de sa vie. J’atteste que son repas était très frugal et qu’il n’y mettait pas plus d’un quart d’heure à vingt minutes. Il sortait un peu de ses habitudes de frugalité, lorsqu’il recevait quelques confrères ou ses parents; ce qui arrivait très rarement. Jamais il n’a découché et n’a mangé dehors que pour les missions et les conférences.



J’ai dit que la Providence était attentive à ses besoins et lui procurait des ressources pour ses bonnes oeuvres. On l’a vu souvent (345) recevoir des secours inattendus entre autre celui-ci qu’il m’a raconté. Il devait cinq cents francs au menuisier pour la chapelle de St Jean-Baptiste qu’il venait de faire construire. L’ouvrier était venu pour réclamer son payement. Le bon Curé n’ayant aucune ressource sortit, très embarrassé, quelques instants pour chasser un peu cette inquiétude. Il rencontra à quelque distance de son église une personne qui lui dit : « Etes-vous Mr le Curé d’Ars? » « Oui » lui dit-il ; et la personne déposa entre ses mains six cents francs qu’elle était chargée de lui remettre pour ses bonnes oeuvres.



Mr Vianney m’a raconté plusieurs fois le bruit extraordinaire qui s’était fait pendant la nuit à St Trivier à l’époque où il assistait à la mission comme confesseur. Le soir en soupant avec ses confrères il leur avait dit: « C’est bon, le grappin a fait du tapage, c’est une preuve que le jubilé ira bien. » Les confrères le plaisantèrent et attribuaient à des rêveries le bruit qu’il prétendait entendre. Au milieu de cette nuit un bruit extraordinaire se fit entendre et le presbytère fut ébranlé; tout le monde effrayé courut à la chambre de Mr Vianney qui seul était (346) tranquille, il répondit: « Je sais ce que c’est. »



Completo examine super interrogatoriis a Promotore Fiscali datis deventum ad examen super articulis a Postulatore exhibitis. Proposito itaque primo articulo testis respondit :



J’ai dit tout ce que je savais quand on m’a posé les questions des interrogatoires.



Cum tamen Illmus ac Rmus Episcopus Bellicensis sequentes articulos proponeret, testis pluries dixit et respondit :



Il est très inutile de m’interroger sur les articles; je les ai lus ces jours-ci et je déclare qu’ils ne m’ont rien rappelé que je n’aie dit. Je déclare que je n’ai plus rien à déposer.


Ars Procès informatif 10271