Pie XII 1940 - RÉPONSE A S. EXC. M. FRANKLIN DELANO ROOSEVELT, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE DU NORD


DISCOURS AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME

(8 janvier 1940)1

D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 471.

Répondant aux souhaits de nouvelle année qui lui ont été adressés par le prince assistant au trône, S. Exc. D. Marc Antonio Colonna, le Saint-Père a prononcé ce discours, dans lequel il rappelle les gloires du patriciat et de la noblesse romaine et en définit les devoirs spéciaux pour l'heure présente :


Le patriciat et la noblesse romaine ont voulu Nous offrir en se réunissant autour de Nous un double don au commencement de la nouvelle année : le don très agréable de leur présence et en même temps le don de leurs souhaits filiaux, ornés, comme par une fleur, par le témoignage de leur traditionnelle fidélité au Saint-Siège dont, chers fils et chères filles, Nous ont apporté une preuve nouvelle les paroles éloquentes de dévotion qui viennent d'être prononcées par votre insigne interprète, Nous offrant ainsi une occasion vivement désirée de confirmer à votre illustre assemblée la haute estime dans laquelle ce Siège apostolique l'a toujours tenue et n'a jamais cessé de lui en donner une démonstration non dissimulée.

Rôle du patriciat romain dans l'histoire.

En cette estime vibre l'histoire des siècles passés. Parmi ceux qui en ce moment font une couronne autour de Nous, beaucoup portent des noms qui depuis des siècles sont liés à l'histoire de Rome et de la papauté, dans les jours lumineux et sombres, dans la joie et dans la douleur, dans la gloire et dans l'humiliation, soutenus par ce sentiment intime qui jaillit de la profondeur d'une foi héritée avec le sang des aïeux, qui survit à toutes les épreuves et à toutes les tempêtes et, même dans des écarts passagers, est prompt à retrouver le sentier de la maison du Père. La splendeur et la grandeur de la Ville éternelle reflète et réfracte ses rayons sur les familles du patriciat et de la noblesse romaine. Les noms de vos aïeux sont gravés de façon indélébile dans les annales d'une histoire dont les faits par beaucoup d'aspects ont eu une grande part dans les origines et le développement de tant de peuples du monde moderne. S'il n'est pas possible d'écrire l'histoire profane de nombreuses nations, royaumes et couronnes impériales, sans évoquer le nom de Rome et de ses nobles familles, les noms du patriciat et de la noblesse romaine reviennent plus souvent encore dans l'histoire de l'Eglise du Christ, cette Eglise qui monte à une plus haute grandeur et surpasse toute gloire naturelle et politique dans son chef visible qui, par une bienveillante disposition de la Providence, réside sur les rives du Tibre.

Ses différentes générations.

De cette fidélité à la papauté romaine et de la continuité qui vous honore comme un apanage glorieux de vos familles, Nous voyons autour de Nous avec Nos yeux, dans cette assemblée choisie, comme une vivante image dans la présence simultanée de trois générations. Dans ceux qui parmi vous portent le front couronné de neige ou d'argent, Nous saluons les nombreux mérites acquis dans un long accomplissement du devoir que vous êtes venus déposer ici comme un trophée de victoire pour en faire hommage au seul vrai Seigneur et Maître invisible et éternel. Mais la plupart d'entre vous se tiennent devant Nous forts de la fleur de la jeunesse et de la splendeur de la virilité, avec cette vigueur des énergies physiques et morales qui vous fait ardemment désirer de consacrer vos forces à l'avancement et à la défense de toute bonne cause. Mais Notre prédilection cependant va et se penche vers l'innocence sereine et souriante des petits, derniers venus en ce monde, en qui l'esprit de l'Evangile Nous fait reconnaître ceux qui sont les heureux premiers dans le royaume de Dieu ; en eux Nous aimons la candeur ingénue, l'éclair vivant et pur de leurs regards, reflets angéliques de la limpidité de leurs âmes. Ils sont innocents, en apparence désarmés, mais dans le charme de leur ingénuité qui plaît à Dieu autant qu'aux hommes, ils cachent une arme qu'ils savent déjà manier comme le jeune David sa fronde : la tendre arme de la prière ; tandis que dans le carquois de leur volonté, encore fragile mais déjà libre, ils gardent une flèche merveilleuse, futur et sûr instrument de victoire : le sacrifice.

Voeux du Saint-Père.

A cette exubérance d'âges variés que Nous sommes heureux de reconnaître en vous, fidèles gardiens des traditions chevaleresques, Nous ne doutons pas, mais Nous sommes par avance assuré que la nouvelle année sera bonne et chrétiennement heureuse. Puisque aussi bien sous le voile opaque dans lequel le futur s'enveloppe, vous serez prêts à le recevoir des mains de la Providence comme un de ces plis scellés portant un ordre des luttes vertueuses et saintes de la vie, que l'officier chargé d'une mission de confiance reçoit de son chef et ne doit ouvrir qu'en cours de sa marche. Jour après jour, Dieu qui vous accorde de commencer cette nouvelle année à son service vous en découvrira le secret ; et vous n'ignorez pas que tout ce que vous apportera cette succession encore mystérieuse d'heures, de jours et de mois n'adviendra que par la volonté et avec la permission du Père céleste dont la providence et le gouvernement du monde ne se trompe et ne faillit jamais dans ses desseins. Pourrions-Nous cependant vous dissimuler que l'année nouvelle et les temps nouveaux, qui sont durs, recèleront aussi des occasions d'oppositions et d'efforts, et aussi, Nous voulons l'espérer, de mérites et de victoire ? Ne voyez-vous pas que c'est parce que la loi de l'amour évangélique a été méconnue, niée, outragée, que se déchaînent aujourd'hui dans quelques parties du monde des guerres — que la miséricorde divine a jusqu'ici épargnées à l'Italie — dans lesquelles on voit des cités entières transformées en monceaux de ruines fumantes et des plaines mûrissantes débondantes moissons en nécropoles de cadavres déchiquetés ? La paix timide erre solitaire à travers les rues désertes, dans l'ombre d'une espérance couverte de nuages ; et sur ses traces et sur ses pas, dans le monde antique et dans le monde nouveau, des hommes qui sont ses amis sont à sa recherche préoccupés et soucieux de la ramener au millieu des hommes par des voies justes, solides et durables, et de préparer dans un effort fraternel d'entente le devoir difficile des reconstructions nécessaires !

Mission du patriciat.

Chers fils et chères filles, vous pourrez avoir une part importante dans cet effort de reconstructions, car s'il est vrai que la société moderne s'insurge contre l'idée et le nom même d'une classe privilégiée, il n'en est pas moins vrai qu'à l'instar des sociétés antiques elle ne pourra se passer d'une classe laborieuse et par cela même faisant partie des cercles dirigeants. Il vous appartient donc de montrer franchement que vous êtes et que vous entendez être un groupe plein de bonne volonté et actif. Vous l'avez du reste bien compris et vos fils le comprendront et le verront plus clairement encore. Personne ne peut se soustraire à la loi originelle et universelle du travail, quelque varié et multiforme qu'il soit et apparaisse dans ses formes, qu'il soit intellectuel ou manuel. C'est pourquoi, Nous sommes assuré que votre magnanime générosité saura faire sien ce devoir sacré, non moins courageusement ni moins noblement que vos grandes obligations de chrétiens et de gentilshommes descendants, comme vous l'êtes, d'aïeux dont à notre époque tant d'armoiries de marbre dans les palais de Rome et d'Italie exaltent et transmettent l'activité.

Vous possédez d'ailleurs un privilège que ni le temps ni les hommes ne pourront vous ravir si vous-mêmes ne consentez pas à le perdre en ne déméritant plus, le privilège d'être les meilleurs, les optimates, non pas tant par l'avantage des richesses, le luxe du vêtement, le faste des palais, que par l'intégrité des moeurs, la rectitude de la vie religieuse et profane ; le privilège d'être des patriciens, patricii, par les hautes qualités de l'esprit et du coeur ; le privilège enfin d'être des nobles, nobiles, c'est-à-dire des hommes dont le nom est digne d'être connu et les actions d'être citées en exemple d'émulation.

Partout où vous travaillez et avancez de cette manière, la noblesse héréditaire resplendira et assurera sa continuité ; et des mains débiles des vieillards aux mains vigoureuses des jeunes passera le flambeau de la vertu et de la lumière silencieuse et calme des couchers de soleil dorés, qui se ravive en nouvelles aurores à chaque génération avec les éclairs d'une flamme d'aspirations généreuses et fécondes.

Tels sont, chers fils et chères filles, les voeux que Nous adressons à Dieu pour vous, pleins de confiante espérance, tandis que, comme gage des grâces célestes les plus choisies, Nous vous accordons à tous et à chacun de vous, à tous ceux qui vous sont chers, à toutes les personnes que vous avez dans l'esprit et dans le coeur, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT POUR LE CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL ITALIEN

(9 janvier 1940) 1

1 D'après le texte italien de VOsservatore Romano, du 13 janvier 1940.

S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, a fait parvenir à S. Exc. Mgr A. A. Rossi, patriarche de Constantinople et évêque de Pompéi, la lettre suivante exprimant les voeux et la bénédiction du Souverain Pontife pour le XllV Congrès eucharistique national italien :

Ce fut un motif de grande joie pour le Saint-Père d'apprendre qu'a débuté dans la ferveur le travail préparatoire au XIII" Congrès eucharistique national.

Au milieu des nombreuses douleurs qui agitent son âme dans les funestes circonstances actuelles, cette consolante nouvelle a rétabli dans son coeur une sereine et plus forte confiance.

Signe et symbole de l'union fraternelle et de la concorde dans l'amour annoncé au monde et laissé aux hommes comme testament du Sauveur, l'Eucharistie est le sacrement qui, avec plus grande efficacité et la plus vive douceur, rassemble autour de lui les âmes de ceux qui croient au Christ dans le lien de la charité et de la paix. C'est pourquoi le choix du thème : L'Eucharistie et la paix a paru à l'auguste pontife d'autant plus opportun que les rivalités funestes font s'étioler en tant d'âmes la lumière féconde et bienfaisante du message chrétien.

Les insistantes et filiales suppliques adressées au Sauveur annoncé par le prophète comme le Prince de la paix, qui choisit son épi-phanie terrestre quand le monde fut « établi dans la paix », qui exalta la béatitude des pacifiques et qui n'eut pour les pécheurs et pour ses persécuteurs que des paroles de paix, feront hâter — Nous l'espérons de son infinie miséricorde — le retour de cet Hôte précieux qui alimente la joie des foyers et rend plus prospère la vie des peuples.

La Vierge sainte de Pompéi accueillera maternellement dans son temple restauré les nombreuses foules des pèlerins. C'est par tant de grâces et de tant de manières qu'elle a déjà montré sa tendre et vigilante prédilection pour le peuple italien qu'elle ne manquera pas d'intercéder auprès de son divin Fils pour que les jours de la tribulation soient abrégés et que soient épargnées à tous de plus vastes et douloureuses expériences.

En gage de ses voeux paternels, souhaitant d'ores et déjà à ce grandiose événement le plus heureux succès, le Saint-Père accorde à Votre Excellence Révérendissime, aux organisateurs et à tous ceux qui, avec zèle et amour, se font les promoteurs de ce XIIIe Congrès eucharistique national, la Bénédiction apostolique que vous implorez.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(10 janvier 1940) 1

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 477 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 60.

Recevant plusieurs centaines de jeunes couples, le Saint-Père, prenant pour comparaison la fête de l'Epiphanie, leur rappelle le triple don que doivent à Dieu les nouvelles familles.

L'Eglise, durant la solennelle octave de l'Epiphanie, répète dans sa liturgie les paroles des Mages : « Nous avons vu en Orient l'étoile du Seigneur et nous sommes venus avec des dons pour l'adorer » (cf. Matth. Mt 2, 2, 11). Vous aussi, chers nouveaux mariés, lorsqu'au pied de l'autel vous échangiez devant Dieu vos promesses, vous avez vu un firmament plein d'étoiles illuminer votre avenir de radieuses espérances, et vous venez ici, riches de présents, honorer Dieu et recevoir la bénédiction de son Vicaire ici-bas.

Quels sont les présents que vous apportez ? Nous savons bien que votre équipage ne présente pas le luxe que la tradition et l'art des siècles attribuent aux Rois Mages : suite de serviteurs, animaux somptueusement harnachés, tapis, essences rares, et, comme pour l'Enfant Jésus, l'or, probablement celui d'Ophir qu'appréciait déjà Salomon (m Rois, 9, 28), l'encens et la myrrhe, tous dons reçus de Dieu, puisque tout ce qu'une créature peut offrir est un don du Créateur. Pour vous, vous avez reçu de Dieu dans le mariage trois biens précieux qu'énumère saint Augustin : la fidélité conjugale (fides), la grâce sacramentelle (sacramentum), les enfants (proies): trois biens qu'à votre tour vous devez offrir à Dieu, trois dons que symbolisent les offrandes des Mages.


L'or des époux : la fidélité.

1. — La fidélité conjugale est votre or, ou plutôt un trésor meilleur que l'or du monde entier. Le sacrement du mariage vous donne les moyens de posséder et d'accroître ce trésor ; offrez-le à Dieu, pour qu'il vous aide à le mieux conserver. L'or, par sa beauté, par sa splendeur, par son inaltérabilité, est le plus précieux des métaux ; sa valeur sert de base et de mesure pour les autres richesses. Ainsi la fidélité conjugale est la base et la mesure de tout le bonheur du foyer domestique. Dans le temple de Salomon, pour éviter l'altération des métaux non moins que pour embellir tout l'édifice, il n'y avait aucune partie qui ne fût revêtue d'or. Ainsi en va-t-il de la fidélité : pour assurer la solidité et la splendeur de l'union conjugale, elle doit comme la recouvrir et l'envelopper tout entière. L'or, pour conserver sa beauté et sa spendeur, doit être pur. De même la fidélité entre époux doit être entière et sans tache ; si elle commence à s'altérer, c'en est fait de la confiance, de la paix et du bonheur de la famille.

Digne de pitié — gémissait le prophète (Lm 4,1) — est l'or qui s'est terni et qui a perdu sa resplendissante couleur ; mais plus pitoyables encore sont les époux dont la fidélité se corrompt. Leur or, dirons-nous avec Ezechiel (Ez 7,19), se change en ordure ; tout le trésor de leur belle concorde se décompose en un désolant mélange de soupçons, de méfiance et de reproches, qui aboutissent souvent à des maux irréparables. Voilà pourquoi votre première offrande au divin Nouveau-né doit être la résolution d'une constante et vigilante fidélité à vos engagements conjugaux.


L'encens des époux : la grâce sacramentelle.

2. — Les Mages apportèrent à Jésus l'encens parfumé. Par l'or ils avaient en lui honoré le Roi ; par l'encens ils rendaient hommage à sa divinité. Vous aussi, époux chrétiens, vous avez dans le sacrement de mariage à présenter à Dieu une offrande riche d'un suave parfum. Ce parfum, qui répandra dans toute votre vie une délicieuse odeur et qui fera de vos tâches journalières mêmes les plus humbles autant d'actes capables de vous procurer au ciel la vision intuitive de Dieu, cet encens invisible mais réel, c'est la vie surnaturelle de la grâce. Cette grâce, conférée par le baptême, renouvelée par la pénitence, nourrie par l'Eucharistie, vous est donnée à un titre spécial par le sacrement de mariage, où vous recevez de nouveaux secours qui correspondent à de nouveaux devoirs. Vous devenez par là plus riches encore que les Mages. L'état de grâce est plus qu'un parfum suave, intime et pénétrant, qui donne à votre vie naturelle un arôme céleste ; c'est une véritable élévation de vos âmes à l'ordre surnaturel qui vous rend participants de la nature de Dieu (n Pierre, 1, 4). Avec quels soins ne devez-vous donc pas conserver et accroître pareil trésor ! En l'offrant à Dieu vous ne le perdez pas ; vous le confiez au gardien le plus vigilant.


La myrrhe des époux : les enfants.

3. — Les Mages enfin, désireux d'honorer en Jésus non seulement le Roi et le Dieu, mais aussi l'homme lui présentèrent le don de la myrrhe. C'est une espèce de gomme-résine, dont les Anciens, spécialement les Egyptiens, se servaient pour conserver les restes de ceux qu'ils avaient aimés. Vous êtes peut-être surpris que Nous voyions dans cet arôme le symbole de votre troisième offrande, du troisième bien du mariage chrétien, qui est le devoir et l'honneur de mettre au monde des enfants. Mais remarquez qu'en toute nouvelle génération se continue et se prolonge la lignée des aïeux. Les enfants sont l'image vivante et comme la résurrection des aïeux qui, par la génération d'aujourd'hui, tendent la main à la génération suivante. En vos enfants, vous verrez revivre et agir, souvent avec les mêmes traits du visage et de la physionomie morale, et spécialement avec leurs traditions de foi, d'honneur et de vertu, la double série de vos ancêtres. C'est en ce sens que la myrrhe conserve, perpétue, renouvelle incessamment la vie d'une famille, arbre au tronc robuste et au feuillage luxuriant dont chaque génération forme une branche. Assurer la continuité de sa croissance est un insigne honneur, et les familles les plus nobles et les plus illustres sont celles dont l'arbre généalogique plonge le plus profondément ses racines dans la terre des aïeux.

Ce devoir, il est vrai, rencontre souvent plus d'obstacles que les deux précédents. La myrrhe, substance conservatrice et préservatrice, est de saveur amère, les naturalistes l'enseignent dès Pline et le nom lui-même l'insinue. Mais cette amertume ne fait qu'en augmenter la vertu bienfaisante. L'Ancien Testament nous la montre employée comme parfum (Ct 3,6) ; ses fleurs sont un symbole d'amour pur et ardent (Ct 1,12). On lit dans les saints Evangiles que les soldats offrirent à boire au divin Crucifié du vin mêlé de myrrhe (Mc 15,23), breuvage qu'on donnait aux suppliciés afin d'atténuer quelque peu leurs douleurs. Autant de symboles que Nous livrons à votre méditation.

Pour ne Nous arrêter qu'à un seul, les indéniables difficultés que procure une belle couronne d'enfants, surtout en nos temps de vie chère et dans les familles peu aisées, exigent du courage, des sacrifices, parfois même de l'héroïsme. Mais pareille à l'amertume salutaire de la myrrhe, l'amertume temporaire des devoirs conjugaux avant tout préserve les époux d'une source funeste de ruines pour les familles et les nations : elle les préserve de fautes graves. En outre, ces difficultés mêmes, courageusement affrontées, leur assurent la conservation de la grâce sacramentelle et une abondance de secours divins. Elles éloignent enfin du foyer domestique les éléments qui l'empoisonnent et le désagrègent, tels que l'égoïsme, la constante recherche de ses aises, l'éducation fausse et viciée d'une progéniture volontairement restreinte. Que d'exemples autour de vous vous montreront qu'il y a dans les efforts accomplis par les parents pour entretenir une descendance saine et nombreuse, éclose au foyer sous le regard de Dieu, une source même naturelle de joie et de mutuel encouragement.

Voilà, chers jeunes mariés, les trésors que vous avez reçus de Dieu et qu'en cette semaine de l'Epiphanie vous pouvez vous-mêmes offrir au céleste Enfant de la crèche avec la promesse de remplir courageusement les devoirs du mariage.




ALLOCUTION AU GRAND MAITRE DE L'ORDRE SOUVERAIN DE MALTE

(15 janvier 1940) 1

A l'adresse de fervent hommage que lui a adressé le Grand Maître de l'Ordre souverain de Malte, Son Altesse excellentissime le prince Ludovico Chigi Albani délia Rovere, le Saint-Père a répondu par les paroles suivantes :


Les sentiments de filiale dévotion à l'égard du Pontife romain dont, chers fils, l'éminentissime Grand Maître a été le digne interprète, sont inscrits depuis neuf siècles dans l'histoire de votre souverain Ordre militaire.

Cette histoire est une longue et glorieuse épopée au service du Christ et de toutes les grandes causes que son Vicaire sur terre a reçues en garde.

La magnifique action de l'Ordre dans le passé.

Mis lors de sa naissance sous la protection du Précurseur, l'Ordre des Chevaliers de saint Jean a été lui-même précurseur d'oeuvres inspirées par la foi et par la charité.

Longtemps avant que les nations aient réussi à établir un droit international, longtemps avant qu'elles aient pu former le rêve, encore irréalisé, d'une force commune pour la protection des saines libertés humaines, de l'indépendance des peuples, de la paix et de l'équité dans leurs relations mutuelles, l'Ordre de saint Jean avait réuni en une fraternité religieuse et sous une discipline militaire des hommes de huit « langues » diverses, voués à la défense des valeurs qui constitue l'apanage commun de la chrétienté : la foi,, la justice, l'ordre social et la paix.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 483.

Durant deux siècles en Palestine, deux siècles à Rome, deux siècles et demi à Malte, cette milice généreuse, formée de chevaliers, c'est-à-dire d'hommes à l'âme haute et fière, plus prompts à mourir qu'à manquer à leur devoir et à leur honneur, sut allumer en chacun d'eux le sublime désir de lutter non point pour la conquête ou la vaine gloire, mais pour les droits sacrés de Dieu, pour la protection des faibles et des opprimés, en un mot pour tout ce qui avait été l'idéal incomparable de la chevalerie du moyen âge.

Sur les hauteurs de Sion encadrées d'olives, sur la pointe de Saint-Jean d'Acre couronnée de blanches maisons ; sur la citadelle de Rhodes qu'entourent les roses, sur les hauts flancs rocheux de Malte que ceignent les vagues de la mer, cet Ordre choisi se dressait vigilant pour écouter d'où venaient les appels au secours, tandis que ses galères sillonnaient les deux bassins de la Méditerrannée pour contenir les corsaires barbaresques et assurer aux peuples chrétiens la liberté de leurs relations commerciales, civiles et politiques.

Magnifique dans ses victoires, indomptable même dans ses défaites, cette milice pouvait perdre une bataille sans perdre l'ardeur de combattre. Pour un royaume perdu, elle en fondait un autre ; sa capitale changeait de nom, sa volonté ne changeait pas d'objet.

C'est pourquoi il pouvait sembler que sa mission était terminée quand se déchaîna sur l'Europe et sur le monde la tempête de la révolution emportant les plus nobles et les plus antiques institutions de l'idéal chrétien.

Mais non. L'Ordre de saint Jean parut disparaître un instant, mais pour ressusciter plus actif et plus bienfaisant, en ravivant en lui l'esprit primitif, celui des marchands d'Amalfi qui avaient fondé à Jérusalem, en 1048, un demi-siècle avant la première croisade, leur hospice pour les pèlerins. Ce devoir de bon samaritain, vos ancêtres ne l'ont jamais oublié. Même alors qu'ils tiraient l'épée du fourreau, ils se souvenaient d'être de vrais religieux et comme tels avant tout des disciples du Dieu d'amour et de charité. Ils voyaient ce Dieu présent, selon sa parole, dans le prochain et spécialement dans les pauvres, les orphelins et ceux qui souffrent.

Son activité charitable aujourd'hui.

De nos jours une telle mission charitable a retrouvé plus que jamais l'occasion de s'exercer et de se développer dans des formes opportunément adaptées aux temps actuels. A une époque encore récente, Nous avions la joie de vous féliciter pour le bien accompli en faveur des pauvres enfants de Tantur. C'est d'hier que date la fondation de la grande léproserie de Selaclacà, magnifique création de la science et de la charité ; tandis qu'à Rome même votre Ordre souverain a fondé l'école missionnaire de médecine et de chirurgie à laquelle se dévouent des personnes de rang social souvent élevé, avec l'unique ambition de faire du bien aux âmes en portant secours à la misère des corps.

l'exemple du Bon Samaritain.

Quand vos ancêtres parcouraient les pistes, alors à peine terminées de la Palestine, ils durent s'arrêter plus d'une fois entre Jérusalem et Jéricho, dans une gorge d'aspect encore presque sauvage. C'est là, raconte Jésus dans l'Evangile (Lc 10,30 et ss.), qu'un voyageur attaqué et dépouillé par des assassins fut laissé comme mort. Mais un Samaritain qui passait par le même chemin, le voyant, fut ému de compassion et banda ses blessures ; puis le conduisit à l'auberge voisine et le fit soigner à ses frais jusqu'à complète gué-rison.

Il Nous semble qu'aujourd'hui encore l'humanité gît étendue et palpitante sur les chemins des temps. Alors qu'elle descendait sottement de Jérusalem à Jéricho, de la cité de la prière à celle des plaisirs, des régions de l'idéal à celles du lucre, elle est tombée dans les mains des voleurs qui s'appellent l'orgueil, l'incrédulité, l'ambition, la violence, la déloyauté, la haine. Ils l'ont dépouillée de ses richesses, des plus hautes valeurs morales qui rendent l'homme digne et saintement fier : la foi en Dieu, la fraternité, la confiance mutuelle ; ils lui ont enlevé violemment un précieux trésor : la paix. Vous donc, chers fils et illustres chevaliers, Jérosolimitains par origine, bons Samaritains par vocation, hospitaliers par destination, charitables par tradition collective et par dévotion personnelle, vous, qui étiez d'anciens fondateurs d'auberges pour les pèlerins et les voyageurs en péril, accordez un large et charitable asile dans vos prières, dans vos aumônes, dans vos sollicitudes, aux millions d'êtres éprouvés par la misère, par les malheurs et par le fléau de la guerre. Comme autrefois l'aubergiste de la parabole évangélique, vous pouvez être assurés que la miséricorde divine vous rendra, non pas exactement mais au centuple, l'argent que vous aurez avancé, c'est-à-dire tout ce que vous aurez généreusement offert de prières, de sacrifices, de richesses, d'influence, d'efforts, pour soulager l'humanité souffrante.

C'est avec ce souhait, en vous retournant les voeux pieux que vous Nous avez adressés pour la nouvelle année, que Nous vous accordons de tout coeur, en gage de l'abondance des grâces divines, pour vous-mêmes et pour tout votre Ordre, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(17 janvier 1940) 1


1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 489 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. i, p. 65.


A l'occasion de la fête de la Chaire de saint Pierre, le Souverain Pontife rappelle aux jeunes époux la présence toujours réelle de saint Pierre et les exhorte à la fidélité et la fermeté dans la foi.


Rome connaît l'antique et pieuse coutume (dont d'augustes personnages ont eux-mêmes donné plus d'une fois l'exemple) que les nouveaux mariés fassent une visite à la patriarcale basilique du Vatican, pour y redire leur Credo catholique et y implorer la persévérance dans la foi. Vous-mêmes, chers fils et filles, vous voilà par une circonstance particulièrement heureuse, venus ici à la veille même du jour où l'Eglise célèbre la fête de la Chaire de saint Pierre à Rome.

Vous irez donc, si vous ne l'avez déjà fait, ou vous retournerez avec une ferveur accrue, vous prosterner et prier dans le plus grand temple de la chrétienté, non seulement sur le tombeau du Prince des apôtres, mais aussi au fond de l'abside, devant la grandiose custode de bronze où le génie du Bernin a renfermé la chaire que la la tradition attribue à saint Pierre.

La chaire est un siège, plus ou moins élevé, plus ou moins solennel, où enseigne le maître. Regardez la chaire d'où le premier pape adressait la parole aux premiers chrétiens, comme Nous-même en ce moment. C'est là qu'il les excitait à la vigilance contre le diable qui, tel un lion rugissant, rôde autour de Nous et cherche qui dévorer (1P 5,8-9) ; c'est là qu'il les exhortait à la fermeté dans la foi, pour ne pas être entraînés par les erreurs des faux prophètes (2P 2,1 2P 3,17). Cet enseignement de Pierre continue dans ses successeurs, et il continuera, immuable, à travers les temps, parce que telle est la mission que le Christ lui-même a donnée au chef de l'Eglise.

Pour relever le caractère universel et indéfectible de cet enseignement, le siège de la primauté spirituelle a été, après une providentielle préparation, fixé dans la ville de Rome. Dieu, selon la remarque de Notre grand prédécesseur Léon Ier, amena par sa Providence les peuples à se réunir en un seul empire, dont Rome était la capitale, afin que d'elle la lumière de la vérité, révélée pour le salut de tous les peuples, se répandit plus efficacement dans tous ses membres 2.

Les successeurs de Pierre, mortels comme tous les hommes, passent eux aussi, plus ou moins rapidement. Mais la primauté de Pierre subsistera toujours, grâce à l'assistance spéciale qui lui fut promise quand Jésus le chargea de confirmer ses frères dans la foi (Lc 22,32). Qu'importe le nom, le visage, les origines humaines de chaque pape ; c'est toujours Pierre qui vit en lui, c'est Pierre qui dirige et gouverne, c'est Pierre surtout qui enseigne et qui répand sur le monde la lumière de la vérité libératrice. Cela faisait dire à un grand orateur sacré que Dieu a établi à Rome une chaire éternelle : « Pierre vivra dans ses successeurs ; Pierre parlera toujours dans sa chaire. » 3

Or, voici le grand avertissement — nous l'avons déjà mentionné — que saint Pierre adressait aux chrétiens de son temps : « Il y eut dans le peuple choisi des faux prophètes, comme il y aura parmi vous des maîtres de mensonge... Vous voilà prévenus : tenez-vous sur vos gardes et veillez à ce que l'erreur des sots ne vous fasse pas déchoir de votre fermeté » (cf. n Pierre).

A vous aussi, chers jeunes mariés, bien que vous viviez dans notre Italie profondément catholique, où notre sainte religion est « la seule religion de l'Etat » et où « une dignité conforme aux traditions catholiques du peuple » est reconnue au mariage, « base de la famille » 4, à vous aussi il pourra arriver de rencontrer des propagateurs de doctrines hostiles à la foi. Vous pourrez entendre autour de vous traiter parfois la religion de chose accessoire, sinon nuisible, au regard des urgentes préoccupations de la vie matérielle. On vantera peut-être devant vous une sentimentalité religieuse sans dogmes ; on soutiendra des erreurs et des préjugés contraires à ce que le catéchisme vous enseigne touchant le mariage, son unité, son indissolubilité ; vous entendrez dire que le mariage chrétien impose aux époux des obligations excessives, impossibles à remplir. Impossibles, oui, aux seules forces humaines ; mais c'est pour cette raison que le sacrement a mis et conserve en vous, avec l'état de grâce, des forces divines. Rien de ce que Dieu prescrit n'est au-dessus de ces forces surnaturelles, présentes et coopérantes en vous. « Toutes les choses me sont possibles en Celui qui est ma force » (Ph 4,13), s'écrie l'Apôtre des gentils. « Non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi » (1Co 15,10).

N'ayez donc pas peur de vos devoirs, si lourds qu'ils puissent vous paraître. Souvenez-vous que le jour où Pierre, pêcheur de Galilée, après avoir fondé l'Eglise d'Antioche et parcouru beaucoup de pays, vint, sans aide humaine, fixer définitivement à Rome sa chaire et celle de ses successeurs, il était, selon la comparaison de Léon le Grand 5, comme un homme entrant dans une forêt pleine de bêtes frémissantes, ou comme un voyageur s'aventurant sur un océan agité par les nombreux courants du paganisme, qui de tous les coins de l'Empire coulaient vers Rome ; néanmoins il marcha sur cette mer avec plus d'assurance que sur le lac de Genesareth, parce que sa foi était désormais divinement affermie.

Demandez à saint Pierre cette fermeté dans la foi, et vos devoirs d'époux chrétiens ne vous sembleront plus trop ardus. Au contraire, vous les pratiquerez avec joie et vous suivrez, en plein XXe siècle, les avis que le premier pape donnait aux époux de son temps : « Que les femmes soient soumises à leurs maris, afin que, s'il en est qui ne croient pas à la parole, ils soient gagnés sans la prédication, par la conduite de leurs femmes, rien qu'en voyant leur vie chaste et pleine de respect... Vous, de votre côté, maris, vivez en commun sagement avec vos femmes, comme à l'égard d'êtres plus faibles, les traitant avec honneur, puisqu'elles sont avec vous héritières de la grâce qui donne la vie » (1P 3,1-2 1P 3,7). Rien ne saura mieux vous préserver des vains désirs de changement, des frivoles inconstances et des dangereuses expériences, que la conscience d'être unis pour toujours l'un à l'autre dans l'état que vous avez librement choisi.

Pierre aujourd'hui vous a répété ses enseignements ; Pierre lui-même, par la main de son successeur, vous donne sa paternelle bénédiction.


2 S. Léon le Grand, Serm. LXXXI1, c. 3 - 5.
3 Bossuet, Sermon sur l'unité de l'Eglise, I.
4 Cf. Traité et Concordat entre le Saint-Siège et l'Italie.
5 Loc. cit.


Pie XII 1940 - RÉPONSE A S. EXC. M. FRANKLIN DELANO ROOSEVELT, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE DU NORD