Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(24 janvier 1940)

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessagi, t. I, p. 495 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 69.

Précieuses leçons de la conversion de saint Paul :

La semaine dernière, chers fils et filles, en la vigile de la Chaire de saint Pierre à Rome, Nous recevions ici même les jeunes mariés. Vous-mêmes venez à Nous à la veille d'une autre fête : la conversion de saint Paul, comme si la Providence, une fois de plus avait voulu associer ces deux grands apôtres toujours unis dans le culte que leur rend l'Eglise, ces apôtres qui sont, suivant les paroles de saint Léon le Grand, comme les deux yeux brillants du corps mystique dont le Christ est la tête 2.

De même que mercredi passé Nous avons recueilli l'enseignement de saint Pierre, nous écouterons aujourd'hui celui de saint Paul. Si les deux Princes des apôtres ont converti Rome et « l'ont faite, de maîtresse d'erreur, disciple de la vérité » 3, saint Paul, lui, est appelé dans la liturgie «Maître du monde» par excellence, mundi Magister*. Ses enseignements s'adressent à tous ; tous, dit saint Jean Chrysostome, devraient les connaître et les méditer assidûment ; mais, ajoute-t-il, beaucoup de ceux qui nous entourent ont pour tâche d'éduquer les enfants, de s'occuper de leur femme et de leur famille, et par conséquent, ne peuvent pas se livrer à cette étude. Qu'ils tâchent au moins, conclut-il, de mettre à profit ce que d'autres ont recueilli pour eux 5.

Les grandes leçons de saint Paul sur le mariage ne se laissent pas exposer en un bref discours. Ainsi, nous nous en tiendrons à quelques points tirés de sa conversion. Saul de Tarse, qui avait participé à la lapidation du martyr saint Etienne et qui était un cruel persécuteur de l'Eglise naissante, se rendait à Damas, muni par le prince des prêtres de pleins pouvoirs pour arrêter tous les chrétiens, hommes et femmes, qu'il y trouverait, et les mener enchaînés à Jérusalem. Mais comme il approchait de Damas, une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. Il tomba par terre et entendit une voix qui lui disait : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? ». « Qui êtes-vous, Seigneur ? » répondit-il. Et le Seigneur dit : « Je suis Jésus que tu persécutes. » Au même instant, tremblant et stupéfait, il perdait la vue. Mais trois jours après, le disciple Ananie fut envoyé par Dieu vers lui, et aussitôt il tomba des yeux de Saul comme des écailles, et il recouvra la vue. Saul le persécuteur n'existe plus : le voilà devenu l'apôtre Paul.

Ne jamais désespérer de la conversion d'un pécheur.

1. — Le premier enseignement que nous pouvons tirer de ce prodige, c'est qu'il ne faut jamais désespérer de la conversion d'un pécheur, quand même il s'agirait d'un ennemi déclaré de Dieu et de l'Eglise. Tel avait été Paul, comme il l'avoue lui-même : « Je fus autrefois un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur » (1Tm 1,13). « Vous avez entendu parler de ma conduite d'autrefois... : comment je persécutais à outrance et ravageais l'Eglise de Dieu » (Ga 1,13). Et pourtant, Dieu dira plus tard de cet homme : « Il est un instrument que j'ai choisi pour porter mon nom devant les nations, devants les rois et devant les enfants d'Israël » (Ac 9,15).

Sans entrer dans le secret des prédilections divines, il est permis de penser que cette grâce insigne et toute gratuite fut comme une réponse du Seigneur aux prières du premier martyr Etienne et des premiers chrétiens qui, accomplissant fidèlement le précepte de Jésus (Lc 6,27-28), faisaient du bien à ceux qui les haïssaient et priaient pour ceux qui les calomniaient (Ac 7,59). La prière pour les pécheurs n'a jamais cessé d'opérer dans l'Eglise ses bienfaisantes merveilles. Que de pieuses épouses et mères en ont éprouvé les bienfaits ! Que de femmes chrétiennes ont ramené à Dieu un mari parfois nettement hostile, le plus souvent indifférent, ou négligeant les pratiques religieuses ! Que de mères, telle sainte Monique, ont obtenu par leurs larmes et leurs supplications le retour à Dieu d'un Augustin ! Voilà comme le Seigneur demande de préparer les voies à ses grâces de conversion.

Redouter les suites d'une mauvaise éducation.

2. — L'histoire de Saul le persécuteur offre un second enseignement utile aux époux chrétiens. Pourquoi ce jeune homme à l'intelligence vive, au jugement droit, à la volonté tenace, à l'âme ardente, ne fut-il pas un des premiers à suivre Jésus ? Pourquoi fut-il d'abord un ennemi impitoyable de ce qu'il devait plus tard aimer, prêcher, défendre jusqu'à la mort ? Lui-même, ici encore, nous donnera la réponse. Pharisien, fils de Pharisiens (Ac 23,6), à l'excès partisan jaloux des traditions de ses pères (Ga 1,14), il agit par ignorance, n'ayant pas encore la foi (1Tm 1,13). La haine de Saul était donc le fruit de l'ignorance et de l'erreur, et cette ignorance et cette erreur étaient à leur tour le fruit d'une mauvaise éducation. C'est de ses parents d'abord, puis de son maître Gamaliel (Ac 22,3) qu'il tenait l'esprit de formalisme rigide et sectaire que les Pharisiens à la face jaunie avaient insinué dans l'Ancienne Loi et dans les sublimes prophéties de l'Ancien Testament, comme un poison qui les desséchait. Il avait encore hérité d'eux une haine préconçue et implacable contre tout ce qui semblait menacer l'édifice et la charpente méticuleuse de leurs sophismes.

Tels sont les résultats d'une éducation viciée ou simplement défectueuse à ses débuts. Epoux chrétiens, pensez de bonne heure à vos devoirs d'éducateurs. Considérez autour de vous les foules d'enfants qu'une déplorable négligence expose aux périls des mauvaises lectures, des spectacles déshonnêtes, des compagnies malsaines ; considérez les foules d'enfants qu'une tendresse aveugle élève dans l'amour effréné des aises ou des frivolités, dans l'oubli pratique, sinon dans le mépris des grandes lois morales qui s'appellent : devoir de la prière, nécessité du sacrifice et de la victoire sur les passions, justice et charité envers le prochain.

Collaborer avec la grâce divine.

3. — La troisième leçon que vous donne saint Paul converti est contenue en ces paroles : « La grâce de Dieu envers moi n'a pas été vaine » (1Co 15,10), la grâce du Seigneur, qui est en moi, n'a pas été stérile, j'ai collaboré avec la grâce de Dieu.

Quand Paul se releva après le choc prodigieux reçu aux portes de Damas, il aurait pu croire que ce coup foudroyant suffirait à le transformer de persécuteur en apôtre.

Mais non. La grâce de Dieu exige, pour atteindre son but, une libre et assidue collaboration de notre volonté personnelle. Bien que pleinement converti et appelé à l'apostolat, Saul demeura trois jours à Damas, immobile dans le jeûne et la prière (Ac 9,9). Et avant de retourner à Jérusalem il passa une retraite de trois années en Arabie et à Damas.

Alors seulement il se rendit dans la cité sainte pour voir Pierre, et il demeura quinze jour avec lui (Ga 1,17-18). Il était prêt dès lors pour l'action apostolique, c'est-à-dire pour une action qui serait toujours une collaboration de sa volonté avec la grâce. Gratia Dei mecum (1Co 15,10).

Ainsi, n'allez point croire que, pour assurer la persévérance dans votre vocation, c'est-à-dire dans les devoirs du mariage, ou pour garantir le bonheur de votre foyer domestique, il suffise, comme on dit, d'un « coup de foudre » ; même dans l'ordre du sentiment naturel, l'expérience enseigne qu'une solide conformité de croyances, de traditions et d'aspirations, vaut plus et mieux qu'une subite émotion du coeur et de la sensibilité. Comme les feux d'artifice d'été qui enchantent la vue, l'amour né d'une explosion peut s'éteindre avec elle et se réduire souvent en une acre fumée. Au contraire, l'amour vrai et durable, comme le feu du foyer, se fonde sur de délicates attentions et sur une vigilance continuelle ; il se maintient par les grosses bûches qui se consument silencieuses et lentes sous la cendre chaude, et aussi par les brindilles qui lui apportent le flamboiement et le joyeux crépitement de leurs étincelles.

Comment la grâce du sacrement de mariage pourrait-elle vivre et agir en vous, si vous ne prenez soin de l'alimenter et de la cultiver assidûment ? Que seront vos journées, que deviendront vos nuits, si les unes et les autres ne sont pas consacrées à Dieu par la prière ? Pourquoi, hélas ! tant d'infidélités entre époux même chrétiens, pourquoi tant de malheurs, tant de naufrages dans la fidélité conjugale ? Pourquoi, après la sincérité des promesses échangées à l'autel, tant de liens violemment, douloureusement brisés ? Et même sans en arriver là, que de jeunes époux qui s'étaient juré tendresse pour toute la vie, se voient bientôt opposés l'un à l'autre par leur égoïsme sans cesse renaissant, par leurs sensibilités blessées, par leurs jalousies témérairement soupçonneuses ! Que d'époux et d'épouses, jeunes encore, naguère débordant de fugitive joie, et maintenant victimes de précoces désillusions ! Il « leur tombe des yeux » comme a saint Paul, « des écailles », les écailles de leurs rêves chimériques, et ils vivent accablés sous le poids de chaînes et de liens acceptés à la légère et sans le secours de la grâce !

Non, chers fils et filles, vous ne serez pas du nombre de ces malheureux. Vous ne laisserez pas sans réponse dans vos âmes l'intime invitation à la prière, les appels de la grâce, la voix noblement impérieuse et austère du devoir, l'écho doucement insinuant des traditions familiales, l'insistance tenace et persuasive de la conscience personnelle.

2 S. Léon le Grand, Serm. LXXX11, c. 7.
3 Loc. cit., c. 1.
4 Hymne des premières vêpres des saints Pierre et Paul, 29 juin.
5 Comment, in Ep. ad Romanos, Arg. ante Hom. I, n. 1.



LETTRE AU PRÉSIDENT GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT DE PAUL

(29 janvier 1940) 1

Voici la lettre que le Souverain Pontife a fait parvenir le 29 janvier au comte Henri de Vergés, président général de la Société de Saint-Vincent de Paul :

Les voeux de Noël et du nouvel an, dont le Conseil général de la Société de Saint-Vincent de Paul Nous a fait, par l'intermédiaire de son digne président, un si filial hommage, sont nécessairement empreints de la tristesse de l'heure présente, qui a durement atteint l'oeuvre d'Ozanam et continue de s'acharner contre elle dans différents pays, hier encore jouissant paisiblement de son admirable et bienfaisante activité. Et pourtant, il Nous est bien doux d'apprendre que l'oeuvre de Dieu ne faiblit pas et, loin d'être amoindrie par les coups de forces hostiles, ne cesse de progresser avec une vitalité toujours nouvelle, dans laquelle il Nous est impossible de ne pas reconnaître la volonté d'en haut et l'action touchante de la divine Providence. Grâce à cette consolante constatation, vous continuez d'affermir votre foi dans le bien et votre courage dans le travail, et, sans douter aucunement de l'avenir, vous vous appliquez à multiplier les foyers de votre apostolat et à répandre dans le monde les trésors inépuisables de la charité évangélique. Heureux Nous-même d'être aujourd'hui plus que jamais le témoin ému de la conduite de Dieu à l'égard de votre société, qui trouve dans sa pitié pour tous les malheurs la force de surmonter les épreuves et d'en faire le motif d'une action plus large et plus vigoureuse, Nous vous félicitons au nom du divin Maître et au nom aussi de son Eglise, à laquelle votre activité fait honneur.

1 D'après le texte français des Actes de S. S. Pie XII, t. II, p. 33.

C'est vous dire combien vous pouvez être assuré de Notre bienveillance et combien aussi il Nous est agréable de vous continuer sur la Chaire de saint Pierre la sympathie et la protection que Nous avons toujours prodiguées à votre oeuvre, en Notre qualité de cardinal protecteur. Nous ne doutons pas que Nos paternelles dispositions à votre égard ne soient pour vous tous une aide puissante dans l'accomplissement de votre noble tâche, et ne favorisent toujours davantage les progrès de votre oeuvre. C'est là Notre ardent désir ; et Nous comptons sur la bonne volonté de tous vos membres, ainsi que sur la divine assistance, pour qu'il ait sa pleine réalisation dans l'intérêt de cette grande vertu de charité, par laquelle avant tout il est donné au christianisme de rayonner dans le monde. En attendant, Nous remercions Dieu avec vous du bien qui se fait au sein de votre société. Avec vous aussi Nous adorons ses desseins dans tout ce qui vous afflige à l'heure présente. Et, faisant volontiers Nôtre la consigne qui vous a été donnée par Notre insigne prédécesseur Pie XI, « toujours plus et toujours mieux », Nous vous accordons de tout coeur, à vous-même, Monsieur le président, aux membres de votre Conseil et à la société tout entière, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET AUX FILLES DE MARIE DE LA PAROISSE DE SANTA MARIA IN AQUIRO

(31 janvier 1940) 1

Recevant une multitude considérable de fidèles, parmi lesquels se trouvaient de nombreux couples de jeunes mariés et un groupe important de Filles de Marie de la paroisse Santa Maria in Aquiro de Rome, le Saint-Père prenant occasion de la fête de ce jour a entretenu l'assemblée de l'insigne apôtre de l'éducation chrétienne que fut saint Jean Bosco.

Aux jeunes époux :

Dans un pauvre hameau du Piémont vivait avec ses deux frères, il y a un siècle, un enfant de bien modeste condition. Orphelin de père dès son bas âge, il ne connut que les soins de sa mère, lui qu'on devait appeler un jour le père des orphelins. Cette simple paysanne sans instruction, mais guidée par le Saint-Esprit, éduqua son fils au sens le plus complet et le plus élevé du mot, et avec quelle sagesse, l'Eglise elle-même, peut-on dire, l'a reconnu en élevant sur les autels celui dont la fête se célèbre aujourd'hui même, saint Jean Bosco. Cet humble prêtre, devenu par la suite une des gloires les plus pures de l'Eglise et de l'Italie, fut un merveilleux éducateur, et sa vie vous offre, chers fils et filles, futurs pères et mères de famille, les leçons les plus utiles et les plus salutaires.

Lorsque Dieu confie un enfant à des époux chrétiens, il semble leur répéter ce que la fille de Pharaon disait à la mère de Moïse : « Prends cet enfant et élève-le-moi » (Ex 2,9). Dans l'intention de Dieu, les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 503 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 75.

Mais il faut reconnaître que dans les conditions sociales actuelles, l'urgente préoccupation du pain quotidien rend parfois difficile le plein accomplissement d'un devoir aussi essentiel.

Telles étaient aussi les conditions sociales à l'époque où Jean Bosco rêvait d'aider et, au besoin, de remplacer les parents dans ce grave devoir. Qu'il fût destiné à cette mission par la Providence, les précoces attraits de son coeur le lui disaient ; et son âme en eut comme une révélation dans un songe de ses premières années, où il vit des animaux sauvages subitement changés en doux agneaux qu'il conduisait dociles au pâturage. Pour comprendre comment il traduisit ce rêve en acte, il faut se rappeler l'éducation qu'il reçut et celle qu'il donna : l'une dépend de l'autre, et la mère qu'il eut explique pour une large part le père qu'il fut pour les autres.

L'influence de la mère de Don Bosco.

En fondant sa première maison d'éducation et d'enseignement, Don Bosco l'appela, comme il le dit lui-même, « non pas laboratoire, mais oratoire » : c'est qu'il entendait en faire avant tout un lieu de prière, « une petite église où réunir des garçons ». Mais il rêvait aussi de faire de l'oratoire une sorte de foyer domestique. N'est-ce point parce que « maman Marguerite » avait fait de la maisonnette des Becchi une espèce d'oratoire ? Représentez-vous la jeune veuve agenouillée avec ses trois enfants pour la prière du matin et du soir ; regardez-les gagner, pareils à de petits anges, dans leurs habits des dimanches qu'elle a soigneusement tirés de l'armoire, la bourgade de Murialdo, pour y assister à la sainte messe. L'après-midi, après le dîner frugal où ils ne reçoivent pour toute friandise qu'un morceau de pain bénit, les voilà de nouveau réunis autour d'elle. La jeune maman leur rappelle les commandements de Dieu et de l'Eglise, les grandes leçons du catéchisme, les moyens de salut ; puis elle leur raconte, avec la douce poésie des âmes pures et des imaginations populaires, la tragique histoire du doux Abel et du méchant Cain, l'idylle d'Isaac et de Rebecca, le mystère ineffable de Bethléem, la douloureuse mort du bon Jésus mis en croix sur le Calvaire. Qui mesurera l'influence profonde des premières leçons maternelles ? C'est à elles que Don Bosco, devenu prêtre, attribuait sa dévotion, toute de tendresse et de confiance, envers la Sainte Vierge et la divine Hostie ; il y vit plus tard dans un autre songe comme les deux colonnes où les âmes de ses élèves, battues comme de fragiles nacelles par la mer du monde en furie, jetaient l'ancre pour trouver sûrement le salut et la paix.

La religion, fondement de l'éducation.

La religion est donc le premier fondement d'une bonne éducation. Mais Don Bosco voulut lui associer la raison, la raison éclairée par la foi. Cette vraie raison consiste, avant tout, comme l'indique l'origine même du mot latin ratio, dans la mesure et la sagesse, dans l'équilibre et l'équité. Serait-il logique, par exemple, de vouloir corriger dans un enfant les fautes que l'on commet soi-même devant lui ? Serait-il logique de le vouloir soumis et obéissant, si l'on critique en sa présence les chefs, les autorités ecclésiastiques ou civiles, si on désobéit aux commandements de Dieu ou aux justes lois de l'Etat ? Serait-il juste d'exiger de vos enfants la loyauté, si vous êtes fourbes ? la sincérité, si vous êtes faux ? la générosité, si vous êtes égoïstes ? la charité, si vous êtes avares ? la douceur et la patience, si vous êtes violents et colériques ?

La leçon de l'exemple.

La meilleure leçon est toujours celle de l'exemple. A la maison des Becchi, « maman Marguerite » ne multipliait pas les exhortations. Mais après la mort de son mari, la courageuse veuve mettait elle-même la main à la charrue, à la faux, au fléau, et, lisons-nous, fatiguait par son exemple jusqu'aux journaliers qu'elle embauchait au temps de la moisson et du battage. Formé à cette école, le petit Jean, dès l'âge de quatre ans, prenait part à l'oeuvre commune et effilait les tiges de chanvre. Adulte, il consacrait tout le temps au travail, ne donnait que cinq heures au sommeil, veillait une nuit entière par semaine. En cela, avouons-le, il outrepassait les justes limites de la raison humaine. Mais la raison surnaturelle des saints admet, sans les imposer aux autres, ces excès de générosité, car leur sagesse s'inspire de l'insatiable désir de plaire à Dieu et de leur ferveur, de leur crainte filiale de lui déplaire et de leur désir ardent du bien.

Déplaire à un père ou à une mère est la douleur suprême d'un enfant bien élevé. Jean Bosco en avait fait l'expérience au foyer domestique, où un léger signe, un regard attristé de sa mère suffisait pour lui donner le regret d'un premier mouvement de jalousie enfantine. Aussi veut-il que l'éducateur use comme principal moyen.

d'action, d'une constante sollicitude animée d'une tendresse vraiment paternelle. Les parents doivent donc, eux aussi, donner aux enfants le meilleur de leur temps, au lieu de le gaspiller loin d'eux parmi des distractions périlleuses ou en des lieux où ils rougiraient de les conduire.

Lorsque la raison dirige l'amour et que la foi éclaire la raison, l'éducation familiale n'est plus sujette à ces d0éplorables cou`s de tête qui trop souvent la compromettent : alternatives d'une indulgente faiblesse dt d'une s(s0 évérité chagrine ; passages d'une coupable condescendance, qui laisse l'enfant sans guide, à une correction violente qui le laisse sans secours. Au contraire, la tendresse éprouvée d'un père ou d'une mère, à laquelle répond la confiance de l'enfant, distribue, avec une égale modération, parce qu'elle se possède elle-même, et avec un égal succès, parce qu'elle possède le coeur de ses enfants, les éloges mérités et les blâmes nécessaires.

« Cherche à te faire aimer, disait saint Jean Bosco, et alors tu te feras obéir sans difficulté. » Puissiez-vous, vous aussi, jeunes époux, futurs pères et mères de famille, reproduire dans vos foyers quelque chose de ce saint idéal !


Aux Filles de Marie :

Nous voyons les voiles blancs d'un groupe nombreux de Filles de Marie de la paroisse Santa Maria in Aquiro. Si le saint d'aujourd'hui Nous a conduit par son exemple et son enseignement vers les nouveaux époux, comment ne pourrait-il pas Nous guider aussi, au moins pour de brefs instants, vers ces âmes absolument consacrées à la dévotion et au service de Marie, à la bonté de laquelle il attribuait tout ce qu'il avait pu et pouvait faire de bien ? Et si le monde entier invoque cette Mère divine comme « auxiliaire des chrétiens », si les fils et les filles de saint Jean Bosco sont placés sous le patronage particulier de Marie Auxiliatrice, comment pourrait-on oublier que notre Rome a tant de fois expérimenté la protection de la puissante Reine qui aime à être appelée Salus populi Romani ?

Instruites et formées par la prédication et la direction assidue de prélats zélés si proches de Nous, continuez, chères filles, à marcher dans les sentiers du jardin de Marie Immaculée. Cultivez-y les fleurs les plus délicates et les plus odorantes : les lis de la pureté, les violettes de l'humilité, les roses de la charité généreuse et active, protégée par les épines d'une modestie toujours en éveil, d'une franche renonciation à toutes les frivolités mondaines et rendue exubérante par la chaleur vivifiante d'une foi courageuse et forte, pour laquelle la fidélité aux divins préceptes vaut davantage que les succès terrestres et les plaisirs de la vie. Puisque votre consécration à Marie vous donne un titre spécial à être exaucées par elle, implorez-la dans ces jours troublés afin que les hommes, dont les âmes ont toutes été rachetées par le sang précieux de son divin Fils, reconnaissent les devoirs de l'amour et de la fraternité chrétienne et retrouvent avec un sincère retour à l'Evangile la voix royale de la tranquillité et de l'ordre dans un infini désir de paix.



RADIOMESSAGE AU PREMIER CONGRÈS EUCHARISTIQUE DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE A WELLINGTON

(Ie' février 1940) 1

1 D'après le texte anglais des A. A. S., 32, 1940, p. 47 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 9.

Voici la traduction du radiomessage que le Saint-Père prononça, en anglais, pour le premier Congrès eucharistique national de la Nouvelle-Zélande, qui s'est tenu à Wellington :

En cette heure où, chers fils et chères filles, vous célébrez avec le Congrès eucharistique la fin du premier et le commencement du second siècle de vie catholique dans la Nouvelle-Zélande, Nous, Père de la grande famille catholique, éprouvons le besoin d'être moralement au milieu de vous, de partager votre joie et d'élever avec vous Notre voix pour rendre grâce au Dieu tout-puissant.

Le centenaire du début des missions en Nouvelle-Zélande.

Des sentiments de gratitude et de joie doivent remplir Notre coeur comme ils comblent les vôtres en voyant l'édifice de votre vie catholique, vos diocèses et paroisses, vos églises et écoles, vos maisons religieuses, vos institutions et oeuvres de bienfaisance qui se sont développés depuis le jour où le vénérable évêque Pompallier, de la jeune Congrégation des Maristes, qui, à l'avenir, méritera si bien de vous, débarqua avec ses compagnons dans la baie d'Hokianga 2. Considérant, en outre, quelle foi et quelle prière, quelle sainteté personnelle et quels sacrifices, quelle patience et quel amour, quel bienfait social, quel travail pour la civilisation, quel bonheur tem porel et surtout surnaturel, quelle gloire pour Dieu, sont représentés dans ce visible accroissement du catholicisme, Nous désirons, à cause de tout cela, proclamer avec vous les louanges de Dieu. La splendeur neigeuse de vos montagnes, la beauté de vos côtes, le charme de vos forêts et de vos plaines, tout s'unit à Nous pour chanter les louanges de Dieu : Quoniam bonus, quoniam in saeculum misericordia ejus, « car il est bon, car sa miséricorde dure à jamais » (n Par., 7, 3). Nous remémorant le cours des derniers cent ans, avec leurs gloires et leurs épreuves, avec leurs événements heureux ou malheureux, Nous découvrons les voies merveilleuses de la Providence divine, et Nous prosternant à genoux, Nous proclamons avec saint Paul : « O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science divines ! Que les desseins de Dieu sont impénétrables et insondables ses voies ! Qui a jamais connu la pensée du Seigneur ? Qui jamais a été son conseiller ? Qui lui a donné le premier pour qu'il ait à lui rendre ? Tout est de lui, par lui et pour lui. A lui soit la gloire à jamais ! Amen. » (Rm 11,33).

2 Ce fut le 19 janvier 1838 que Mgr Pompallier débarqua avec deux Frères sur la côte nord-ouest de l'île du Nord dans la Nouvelle-Zélande.

signification du Congrès.

Nous Nous sommes réjoui que vous célébriez le premier centenaire de l'Eglise catholique en Nouvelle-Zélande par un Congrès eucharistique. Ainsi vous proclamez votre désir et votre espoir que le Christ règne dans toute la vie de votre nation, dans la vie de chacun et dans la vie sociale ; que son esprit, sa volonté, sa parole inspirent ceux qui guident vos destinées et dictent vos lois ; que son amour atténue vos difficultés et guérisse les blessures du passé ; que sa paix demeure sur votre patrie et vous protège miséricordieu-sement des horreurs de la guerre. En adorant publiquement le Christ dans l'Eucharistie, vous proclamez en outre que vous-mêmes, en puisant aux sources de la grâce dans le mystère eucharistique, vous désirez vous revêtir du Christ et prendre la ressemblance du Christ (Rm 13,14 Ga 4,19). Et, en effet, abstraction faite des trésors éternels que, de cette façon, vous appelez sur vous et sur votre nation, vous ne pouvez pas mieux contribuer, comme déjà vous l'avez fait dans le passé — Nous le disons avec gratitude et fierté — à la vie sociale de votre peuple, qu'en vivant — et vous proclamez vouloir le faire à l'avenir — comme de vrais catholiques, dans la crainte filiale de Dieu.

Vous avez choisi la bienheureuse Vierge Marie comme patronne et reine de vos îles. Aujourd'hui, consacrez-vous de nouveau à elle.

Recommandez par-dessus tout à son amour maternel la foi et la pureté de votre jeunesse, la sainteté et le bonheur de votre vie familiale. Puisse sa puissante intercession obtenir pour vous tous que « votre âme et votre corps se conservent purs de toute faute pour la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (1Th 5,23).

S'il y a parmi vous des fidèles auxquels s'adresse d'une façon spéciale l'amour de leur Père commun, ce sont Nos fils et Nos filles du peuple maori. Nous prions le Dieu tout-puissant que dans ce second siècle de l'Eglise catholique dans la Nouvelle-Zélande, il les fasse devenir une grande famille chrétienne, que les fruits les plus riches surgissent de ces fleurs jeunes et encore tendres de leur appel divin dans le sacerdoce et dans la vie religieuse. Sur tout le peuple maori, Nous appelons la bénédiction de Dieu. Puisse-t-il croître en nombre ; jouir d'un paisible bien-être ; parvenir à la connaissance de la vraie foi et, avec cette foi, obtenir bonheur, amour et paix véritable au sein des coeurs et des familles.

Nous terminons par le salut de saint Paul : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la participation du Saint-Esprit soient avec vous tous » (2Co 13,13). Comme gage de l'amour, de la grâce, de l'amitié de Dieu, Nous vous bénissons. A vos bons et dignes évêques, à vos prêtres et religieux, à tous ceux qui travaillent au salut des âmes, à votre jeunesse, aux malades et aux malheureux, à chacun de vous, chers fils et chères filles, Nous accordons du plus profond de Notre coeur la Bénédiction apostolique.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 517 : cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. Il, p. 35.


DISCOURS AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(6 février 1940) 1

Le mardi 6 février, le Saint-Père reçut en audience spéciale, dans la salle du Consistoire, les curés et prédicateurs de carême de Rome et leur donna de sages conseils et ses voeux affectueux. Voici le texte de ce long discours :

Une chère et vénérable coutume Nous offre la joie et la consolation de voir, à l'approche du temps de carême, réunis autour de Nous, les curés et les prédicateurs de Rome. Au milieu de vous, Nous éprouvons un voisinage et une affection à la fois ancienne et nouvelle. Nous ressentons combien la responsabilité de Pasteur suprême et l'amour de Père commun, qui Nous unissent à tous les diocèses du monde, Nous lient d'une façon plus étroite, en se ravivant, au clergé de Notre cité natale que Nous a confiée maintenant le Saint-Esprit qui, dans sa bonté infinie, Nous a placé dans cette charge pour diriger l'Eglise de Rome et, en même temps, l'universelle Eglise de Dieu (Ac 20,28).

Mais les graves et toujours grandissantes sollicitudes du gouvernement de l'Eglise obligent les souverains pontifes, aujourd'hui plus encore que dans les temps passés, à mettre avec confiance, dans d'autres mains capables, le soin journalier du diocèse de Rome. C'est pourquoi, en cette heureuse circonstance, Nous avons la joie d'exprimer et de manifester hautement devant vous gratitude et très grande reconnaissance à Notre très cher et Vénérable Frère, le cardinal vicaire, ainsi qu'à ses collaborateurs, pour le zèle éclairé et infatigable avec lequel ils Nous aident dans le ministère épiscopal. C'est pourquoi, tandis que Nous Nous réjouissons, chers fils, de vous saluer ici présents, Nous voulons vous remercier également et parce que Nous connaissons vos oeuvres, vos fatigues et votre constance (Ap 2,2). Nous désirons ardemment vous signifier Notre profonde satisfaction pour votre louable activité.

Que si Notre satisfaction Nous offre aujourd'hui l'occasion de Nous entretenir avec vous de certaines exigences de la charge pastorale à Rome, Nous désirons que, dans Nos paroles, vous voyiez et sentiez par-dessus tout une approbation pour ce que vous avez réalisé ou ce à quoi vous aspirez, un paternel encouragement à continuer dans la voie suivie, une assurance que vous et Nous sommes animés et poussés par les mêmes intentions et les mêmes desseins.

mission du prêtre

N'est-il pas vrai que nous tous, prêtres, avons été établis médiateurs de réconciliation entre Dieu et les hommes ? Médiateurs, bien sûr, subordonnés au Christ, unique médiateur entre Dieu et les hommes, unus mediator Dei et hominum homo Christus Jésus, qui s'est livré lui-même pour la rédemption de tous, et par lequel Dieu nous a réconciliés avec lui et nous a confié le ministère de la réconciliation, dedit nobis ministerium reconciliationis, et nous a chargés de la parole de réconciliation, posuit in nobis verbum reconciliationis. Pro Christo ergo legatione fungimur (1Tm 2,5-6 2Co 5,18-20). Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ au milieu du monde, comme si Dieu exhortait les hommes par notre bouche. Elevons, chers fils, notre regard, nos aspirations, nos desseins à la hauteur de cette conception du sacerdoce, que nous propose le Docteur des gentils. Par notre zèle actif, exaltons et rendons digne de vénération, au milieu du peuple chrétien, notre dignité de médiateurs et d'ambassadeurs du Christ. Mais dans les degrés de la hiérarchie sacrée, qui est constamment plus près du peuple que le curé, dont les trois mots : apôtre, père, pasteur, caractérisent la mission ?

et du curé

Vous êtes les coopérateurs de l'évêque, lui-même successeur des apôtres, avec lequel vous constituez une unité morale au point que le mandat de la grande mission du Christ appartient à chacun de vous. Vous êtes les pères de vos paroissiens et vous pouvez leur répéter les paroles de l'apôtre saint Paul aux nouveaux chrétiens :

« O mes petits enfants ! Vous que j'enfante pour la seconde fois dans la douleur jusqu'à ce que vous ayez pris la parfaite ressemblance du Christ » (Ga 4,19). Vous êtes les pasteurs de votre troupeau, selon les descriptions incomparablement belles et exhaustives, et selon le modèle impossible à atteindre du Bon Pasteur Jésus-Christ. Autour de ces paroles à la signification si pleine de choses : apôtre, père, pasteur, Nous voulons vous exposer quelques brèves considérations qui concernent le bien et la prospérité de Notre diocèse de Rome.

... qui est apôtre

1. — Tout curé est un apôtre ; mais par-dessus tout celui qui travaille dans une grande cité doit sentir en lui les flammes de l'esprit apostolique et missionnaire et du zèle conquérant d'un saint Paul. Si vous considérez les temps modernes avec leurs événements politiques et religieux et avec la déviation multiforme des croyances religieuses dans la recherche philosophique et scientifique et dans l'instruction et l'éducation profanes, vous ne tarderez pas à voir comment les anciennes conditions spirituelles de la société sont tellement changées que, pas même en Notre chère Rome, on ne peut plus parler d'un terrain purement, entièrement et pacifiquement catholique, parce que, à côté de ceux — et ils sont magnifiques légions — demeurés fermes dans la foi, il ne manque pas dans chaque paroisse de groupes de personnes qui, devenues indifférentes ou étrangères à la religion, constituent comme un territoire de mission à reconquérir au Christ.

En raison de ce double aspect de son peuple, c'est le devoir du curé de se dresser, avec une intuition prompte et rapide, un tableau clair et minutieusement détaillé, Nous voulons dire topographique-ment, rue par rue, à savoir, d'un côté, de la population fidèle et notamment de ses membres plus choisis, qui seront les éléments pour promouvoir l'Action catholique, et, de l'autre côté, le tableau des classes éloignées des pratiques de la vie chrétienne. Elles sont aussi les brebis appartenant à la paroisse, brebis vagabondes ; chers fils, de ces brebis également, bien plus, d'elles particulièrement, vous êtes les gardiens responsables ; en tant que bons pasteurs, vous ne devez pas fuir le travail ou la peine pour les rechercher, les regagner, ni vous accorder de repos jusqu'à ce que toutes aient retrouvé abri, vie et joie dans le retour au bercail de Jésus-Christ. Telle est, pour le curé, la signification naturelle et essentielle de la parabole du Bon Pasteur, de ce Pasteur qui est à la fois Père et

Maître. Tel est l'apôtre de la paroisse qui, comme saint Paul, « se fait faible avec les faibles, pour gagner les faibles, et se fait tout à tous pour les sauver tous » (1Co 9,22).

. pasteur et père.

2. — Le curé est pasteur et père, pasteur des âmes et père spirituel. Nous devons toujours Nous souvenir, chers fils, que l'action de l'Eglise, toute orientée vers le règne de Dieu, qui n'est pas de ce monde, si elle ne veut pas être stérile, mais se déployer vivifiante, saine et efficace, doit tendre à ce but que les hommes vivent et meurent dans la grâce de Dieu. Instruire les fidèles dans l'esprit chrétien, renouveler l'homme à la suite et à l'instigation du Christ, aplanir la voie, toujours étroite, qui conduit au royaume du ciel et rendre vraiment chrétienne la cité, telle est la mission propre du curé comme maître, père et pasteur de sa paroisse.

Dans l'accomplissement de ces devoirs, ne laissez pas détourner ni entraver votre zèle par les travaux d'administration. Peut-être plusieurs d'entre vous ont-ils journellement à entreprendre une lutte difficile pour ne pas être opprimés par les occupations administratives et pour trouver le moyen et le temps indispensable pour le vrai soin des âmes. Si l'organisation et l'administration sont aussi, sans aucun doute, moyens précieux d'apostolat, elles doivent cependant être adaptées et subordonnées au ministère spirituel et à la véritable et propre charge activement pastorale.

,a célébration de la messe et l'administration des sacrements

3. — Par dessein de Dieu, comme l'évêque, le prêtre « est pris d'entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour les péchés » (He 5,1) ; c'est pourquoi le caractère sacré de celui-ci intermédiaire entre Dieu et les hommes, se manifeste, se développe, s'épanche, se hausse, et, pleinement, se sublimise, entouré et enveloppé de la suprême et souveraine lumière de son ministère, dans le saint sacrifice de la messe et dans l'administration des sacrements. A l'autel, aux fonts baptismaux, au tribunal de la pénitence, à la table eucharistique, à la bénédiction des époux, au chevet des infirmes, à l'agonie des mourants, parmi les enfants avides de l'avenir et de la marche de la vie, dans les familles et dans les écoles, dans les asiles de douleur et dans les maisons fortunées, en chaire et dans les pieuses réunions, depuis les sourires et les vagissements des blancs berceaux jusqu'aux silences des cimetières où les morts reposent dans l'attente d'une renaissance immortelle, le prêtre est, entre les mains de Dieu, le ministre, l'instrument le plus efficace de la puissance, de l'amour, du pardon, de la rédemption offerte à l'homme déchu pour se soustraire à l'esclavage et aux embûches de Satan et pour revenir au Père céleste, comme un pèlerin régénéré, revêtu de grâce, héritier du ciel, restauré du viatique d'un pain plus vivant et plus salutaire que ne pouvait l'être le fruit de l'arbre de vie planté au milieu du paradis terrestre. Combien il a plu au Fils de Dieu, Rédempteur du monde, d'exalter son prêtre pour le salut des hommes !

Aussi prenez bien soin que votre dignité resplendisse toujours devant votre peuple et que ce dernier connaisse et comprenne dans une foi vive la signification et la valeur de la messe et des sacrements que vous administrez, de façon qu'il puisse, avec une intelligente et personnelle participation, en suivre les cérémonies admirables, comme également toute la beauté ineffable de la liturgie. Il Nous est agréable et très réconfortant de savoir, ô chers prédicateurs du carême, que cette année le thème central de votre prédication sera les sacrements.

Donc vous tous, comme certainement vous l'avez fait jusqu'à présent, célébrez avec une dévotion profonde et grave les saints mystères, évitant avec tout le soin possible que les rites sacrés se dessèchent, pour ainsi dire, dans les mains du prêtre. Sans doute, l'effet essentiel des sacrements ne dépend pas du mérite personnel du ministre, et on s'exposerait au danger de les ramener à un acte purement externe si on attribuait de l'importance principalement à leur efficacité psychologique. Mais réellement pour stimuler les fidèles à s'approcher de ces fontaines surnaturelles et les disposer à en recevoir la grâce, vous devez considérer comme votre devoir sacré de célébrer le saint sacrifice et d'administrer les sacrements avec ce respect profond, avec cette révérence consciente, avec cette piété intérieure qui rendent les fonctions sacrées exemplaires, édifiantes et poussant à la dévotion. Pressé par les dures éventualités de la vie journalière, quand l'heure où la cloche de la paroisse l'invite, et au milieu du tumulte de ses sentiments, la pensée de Dieu et le battement de son âme se réveillent alors qu'il met le pied sur le seuil de l'église et qu'il entre pour assister avec les autres aux saints mystères et entendre la parole de Dieu, que cherche donc, que désire le chrétien ? Que veut le peuple ? Il veut trouver aliment et réfection, avant tout et par-dessus tout, dans la grâce qui fortifie, mais aussi — et cela est également volonté du Christ — dans l'effet élevant que la magnificence de la maison de Dieu et la beauté des offices divins offrent à l'oeil et à l'oreille, à l'intelligence et au coeur, à la foi et au sentiment.

. surtout du sacrement de pénitence.

Après le saint sacrifice, l'acte le plus grave et le plus important est l'administration du sacrement de pénitence, qui a été appelé la planche de salut après le naufrage. Soyez prompts et généreux à offrir cette bouée à ceux qui naviguent sur la mer déchaînée de l'existence. Donnez-vous-y avec un zèle spécial et un complet dévouement. Asseyez-vous à ce divin tribunal d'accusation, de regret et de pardon, comme des juges qui portent dans leur poitrine un coeur de père et d'ami, de médecin et de maître. Et si le but essentiel de ce sacrement est de réconcilier l'homme avec Dieu, ne perdez pas de vue que pour atteindre ce but si élevé, la direction spirituelle est d'un grand secours, par quoi les âmes, plus proches que jamais de la voix paternelle du prêtre, versent en lui leurs peines, leurs troubles et leurs doutes, et en écoutent avec confiance les conseils et les avertissements ; c'est pourquoi le peuple sent vivement le besoin de confesseurs qui, par leur vertu et par leur science théologique et ascétique, par leur maturité et leur pondération, avec tact et bienveillance, soient capables de fournir d'une façon simple et claire des règles lumineuses et sûres de vie et de bien.

La prédication.

4. — Tout ce que Nous avons dit jusqu'ici regarde spécialement le ministère vigilant et pieux du curé. Mais, en plus de cela, c'est son devoir strict d'annoncer la parole de Dieu2, devoir essentiel de l'apôtre, auquel a été confié « la parole de la réconciliation », non moins que le «ministère de la réconciliation» (2Co 5,18-19), « car, malheur à moi si je n'évangélise pas » (1Co 9,16). Parce que « la foi vient de la prédication, et la prédication se fait par la parole du Christ... Comment croire en lui si on n'a pas entendu parler de lui ? Et comment en entendre parler en l'absence de pré-

C. /. C, can. 1344.

dicateurs ? » (Rm 10,14-17). Comme l'intelligence éclaire la volonté, ainsi la vérité est la lampe de la bonne action. La parole est le véhicule de la vérité et, trop souvent aussi, de l'erreur, qui frappent à la porte de l'intelligence et de la volonté. Vous comprenez pourquoi les avertissements de l'Apôtre relient foi et audition, audition et prédicateur pour guérir la cécité du monde dans la connaissance de Dieu qui parle par la sagesse qui brille dans l'univers : « C'est par la folie de la prédication qu'il a plu à Dieu de sauver les croyants » (1Co 1,25). Sublime folie que celle-là, puisque ce qui est folie aux yeux de Dieu dépasse la sagesse des hommes (1Co 1,25) et que « l'ignominie du Golgotha » est la gloire du Christ. Ces vérités conviennent aussi, comme les avertissements de l'Apôtre, à notre époque où l'ignorance religieuse est profonde et pleine de périls. Prêchez la doctrine, les humiliations et les gloires du divin Sauveur, et puisque spécialement chaque dimanche et au temps de carême, les chrétiens se groupent très nombreux autour des chaires, une occasion unique — que les hérauts des autres doctrines considèrent avec jalousie — s'offre à vous de rendre plus puissante, plus ferme et plus profonde la foi du peuple ; celui qui ne profiterait pas avec un zèle ardent d'une heure aussi opportune manquerait du sens d'une responsabilité éclairée dans la diffusion du bienfait de l'instruction religieuse, si nécessaire pour vivre chrétiennement.

Par la prédication, rendez familiers la personne et les exemples de PHomme-Dieu, parce que la vie religieuse de chacun s'épanouit et se développe avec une fraîcheur divine dans un rapport personnel et dans l'union avec Jésus-Christ. Prêchez les mystères de la foi, prêchez la vérité dans sa pureté et son intégrité, jusque dans ses dernières conséquences morales et sociales : le peuple a faim de cela. Prêchez avec simplicité, visant à ce sens pratique qui arrive à l'intelligence et qui se fait guide de l'esprit. Aujourd'hui spécialement, ce n'est pas l'éloquence brillante et recherchée qui conquiert les âmes, mais bien la parole convaincue qui part du coeur et qui va au coeur.

Le catéchisme.

Avec les grands et avec les gens adultes, soyez, à l'image de l'apôtre Paul, pères et docteurs de perfection ; avec les petits et avec les jeunes, faites-vous petits comme des mères, « comme une mère nourrit ses enfants et prend soin d'eux » (1Th 2,7). Ne croyez pas vous humilier avec les petits et les ignorants ; la catéchèse est égale en valeur à la prédication, l'instruction des enfants vaut celle des adultes. Dans ce champ de l'instruction religieuse, le clergé paroissial peut compter sur l'appui et le concours de l'Action catholique ; à tous ceux qui collaborent à une oeuvre si sainte, Nous sommes heureux d'envoyer paternellement l'expression de Notre profonde reconnaissance et la Bénédiction apostolique. N'oubliez pas cette importante mission que les canons 1329-1333 regardent comme un devoir naturel et primordial de la cure des âmes, devoir que doit accomplir celui qui a reçu charge d'âmes. Le zèle du prêtre et sa compétence seront un stimulant et un modèle pour les collaborateurs laïques ; l'heure du catéchisme offrira au curé une occasion propice de se retrouver avec la jeune génération de la paroisse. Ne laissez pas échapper l'occasion de préparer personnellement, quand cela vous sera possible, les petits enfants à la première confession et communion ; c'est la première et secrète rencontre de vous et du Christ, qui aime les petits enfants, avec ces âmes candides qui s'approchent de vous et de l'autel, et s'ouvrent comme des fleurs printanières aux premiers rayons du soleil et en conservent à travers le cours mouvementé de la vie le souvenir inoublié.

Les oeuvres de charité.

5. — Nous ne voulons pas, enfin, laisser de côté un trait caractéristique de la figure du Bon Pasteur qui, non seulement, est la Lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde, dans la vérité, la voie et la vie, mais a prodigué hors de lui la vertu qui guérissait aussi les corps et toute misère humaine, « faisant le bien et guérissant tous » (Ac 10,38), et laissant à ses apôtres et à son Eglise le commandement de la charité miséricordieuse envers les pauvres, les malades, les abandonnés ; parce que la vie d'ici-bas est un flux et un reflux de biens et de maux, de plaintes et de joies, de besoins et de secours, de chutes et de relèvements, de luttes et de victoires. Mais l'amour pour les frères, tous rachetés par le Christ, est le baume mystérieux de toute douleur et misère.

Au commencement du second siècle, comme vous le savez bien, saint Ignace d'Antioche donnait déjà à l'Eglise de Rome, dont il allait, comme un lion mourant parmi les rugissements des lions, consacrer avec son sang l'amphithéâtre, le titre de npoxadujfJLSvrj r^C ayàm^f;, « qui préside à la charité », expression qui, entre autres choses, manifeste la reconnaissance honorable et noble de sa charité, ce qui revient à dire qu'elle possède « la primauté (également) dans l'amour»3. La charité romaine n'a jamais diminué au cours des siècles ; elle brille dans les catacombes, dans les maisons des chrétiens, dans les hôpitaux, dans les refuges ou abris donnés aux pèlerins, aux orphelins, aux fils errants du peuple ; elle se manifeste à l'égard des familles et des jeunes filles en danger, dans les mille aspects de l'infortune d'autrui. Montrez-vous dignes de vos aïeux. Il n'y a pas de paroisse où il n'y ait pas un besoin à soulager ; une vie paroissiale florissante ne peut s'en désintéresser. Ne savez-vous pas que chaque jour grandissent le besoin et la pauvreté soit secrète, soit connue ? Organisez les oeuvres de bienfaisance, pour qu'elles exercent d'une manière ordonnée, juste, égale, étendue ; animez-les d'un vif esprit d'amour, d'un délicat respect, d'un regard prévoyant pour ceux qui, sans l'avoir mérité, sont tombés dans l'indigence ; « celui qui fait l'aumône, avertit saint Paul, qu'il le fasse en rayonnant de joie » (Rm 12,8), « avec ce silence pudique qui te fait le don agréable » 4.

Puisez le courage et la lumière dans l'histoire de la ville et du diocèse de Rome. Pour ses grandeurs, ses déclins et la dureté des événements, Rome n'a pas de pareille, et, en même temps, elle n'a pas d'égale en ce qui concerne les puissantes manifestations de la miséricorde divine. Combien grande est la dignité de cette colline du Vatican et de ces rives du Tibre ! Combien grande est la gloire des paroisses et des sanctuaires romains, aux parois desquels mille souvenirs et inscriptions enseignent et conseillent ceux qui les contemplent ! Que si c'est un devoir pour nos âmes de rester conscientes de l'heure importante et dure qui s'écoule, nous voulons que notre vie et notre ardeur soient soutenues par la confiance que Dieu, dans sa force, créera aujourd'hui encore des oeuvres puissantes et parfaites, parce que toute notre suffisance vient de lui : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se déploie dans la faiblesse » (2Co 3,5 xii, 2Co 9).

Portez vos regards en haut sur les innombrables chrétiens qui, en tant que témoins du Christ, ont abreuvé de leur sang le sol de cette cité ; sur les héros du zèle, de la prédication et de la charité qui l'ont rendu fertile et luxuriant par la sainteté de leur vie, des princes des apôtres et des premiers martyrs de l'Eglise romaine sous Néron jusqu'aux ministres de Dieu : prêtres, religieux, prélats et pontifes qui furent, à Rome, des flambeaux ardents et lumineux dans les siècles plus proches du nôtre. Avec une pleine confiance dans leur

Epist, ad Rom., ii. Manzoni, Pentec.

intercession, et spécialement dans celle de la Très Sainte Vierge, vous aidant réciproquement dans un fraternel esprit sacerdotal, vous consacrant avec un entier et continuel dévouement à l'oeuvre du Christ et de son Eglise, faites que cette ville, Notre diocèse particulier et également votre cure ou charge d'âmes, si agrandie en quelques dizaines d'années, si augmentée avec une extraordinaire rapidité dans sa population et sa splendeur, faites qu'elle soit, aux yeux des hommes qui y viennent de tous les pays, un modèle de foi profonde, de vie catholique et de charité chrétienne.

Dans ce but, avec toute Notre paternelle affection, Nous accordons, chers fils, à vous et à vos collaborateurs, à toutes vos intentions et à vos espoirs, à vos paroissiens, et spécialement à la jeunesse, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX